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Date : 20150507


Dossier : T-210-12

Référence : 2015 CF 592

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

JENNIFER MCCREA

 

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSION DE L’ASSURANCE‑EMPLOI DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une requête déposée par Jennifer McCrea [demanderesse] visant à obtenir l’autorisation d’intenter une action en tant que recours collectif, en vertu de l’article 334.16 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] contre Sa Majesté la Reine [défenderesse], en qualité de représentante de la Commission de l’assurance-emploi du Canada [la Commission], de Service Canada du ministre de l’emploi et du développement social Canada [le ministre ou EDSC], anciennement le ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences [RHDC]. La Commission est responsable de la surveillance du régime d’assurance-emploi; elle doit se rapporter tous les ans au Parlement. ESDC et Service Canada assurent l’administration et la gestion de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 [la LAE ou la Loi], laquelle accorde des prestations aux demandeurs admissibles, par exemple, ceux qui ont perdu leur emploi ou qui sont absents de leur travail en raison d’un congé parental ou de maternité ou d’une maladie ou du fait qu’ils doivent assurer les soins d’enfants gravement malades.

Table des matières

La position générale de la demanderesse  8

La position générale de la défenderesse  16

Dispositions législatives pertinentes  20

Les questions en litige  26

Les actes de procédures divulguent-ils des causes d’action raisonnables? Alinéa 334.16(1)a) des Règles  28

Principales questions en litige  28

Observations de la demanderesse  28

Observations de la défenderesse  32

Les conclusions de droit ne peuvent pas être plaidées  34

La législation a été bien interprétée  34

Le dossier ne comprend aucune cause d’action pour violation d’une loi  38

Conclusion quant aux questions principales portant sur la cause d’action  39

Il ne s’agit pas simplement d’une demande de prestations  42

La conclusion de droit invoquée par la demanderesse n’est pas impossible à démontrer  43

La loi n’est pas sans ambiguïté  47

La demanderesse n’a pas plaidé la violation d’une loi  52

Négligence et déclarations inexactes par négligence  53

Observations de la demanderesse  53

Observations de la défenderesse  62

Il n’est ni évident ni manifeste que la cause d’action en négligence n’a aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause  65

La déclaration de la demanderesse pour déclarations inexactes par négligence n’a aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause  75

Faute dans l’exercice d’une charge publique  78

Observations de la demanderesse  78

Observations de la défenderesse  80

Il est évident et manifeste que la cause d’action pour faute dans l’exercice d’une charge publique n’a aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause  82

Enrichissement sans cause  87

Observations de la demanderesse  87

Observations de la défenderesse  89

Il est évident et manifeste que la cause d’action pour enrichissement sans cause n’a aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause  90

Les dommages réclamés  93

Observations de la demanderesse  93

Observations de la défenderesse  94

La déclaration quant aux dommages et à la portée de ceux-ci devrait être examinée à l’audience  95

La demande satisfait-elle aux autres critères d’autorisation? Alinéas 334.16(1)b) à e) des Règles  97

Existe-t-il un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes? Alinéas 334.16(1)b) des Règles  97

Observations de la demanderesse  97

Observations de la défenderesse  102

Il existe un groupe identifiable pour le Groupe 1  106

Les déclarations soulèvent-elles des questions communes de droit ou de fait? Alinéas 334.16(1)c) des Règles  110

Observations de la demanderesse  110

Observations de la défenderesse  113

La demanderesse a établi l’existence de questions communes  116

Les questions communes à certifier  121

Le recours collectif constitue-t-il la procédure préférable en vue du règlement juste et efficace des questions communes? Alinéa 334.16(1)d) des Règles  126

Observations de la demanderesse  127

Observations de la défenderesse  132

Le recours collectif est la procédure préférable  135

Mme McCrea est-elle une représentante demanderesse appropriée? Alinéa 334.16(1)e) des Règles  141

Observations de la demanderesse  141

Observations de la défenderesse  143

Mme McCrea est une représentante demanderesse appropriée en regard des membres du groupe 1  144

Conclusion  147

 

Contexte

[2]  Le contexte de cette action a déjà été décrit dans McCrea c Canada (Procureur général), 2013 CF 1278 [McCrea 2013]; je le répéterai et l’élaborerai dans les suivantes.

[3]  La demanderesse, Mme McCrea propose de représenter d’autres personnes qui, comme elle, ont contribué au programme d’AE, ont donné naissance à un enfant, et ont reçu des prestations parentales. Certains prestataires de l’AE sont devenus malades, puis ont demandé à convertir leurs prestations parentales ou prestations de maladie pendant la période de leur maladie, or ceci leur a été refusé. D’autres prestataires de l’AE, tombés malades, ont été informés par des représentants de la Commission ou de Service Canada qu’ils étaient inadmissibles aux prestations. Conséquemment, ils n’ont pas demandé à ce que leurs prestations parentales soient converties en prestations de maladie. La demanderesse soutient que les demandeurs se sont fait refuser des prestations de maladie ne raison d’une interprétation trop stricte de l’alinéa 18b) de la Loi, tel qu’il était libellé au moment pertinent. En outre, à cette époque, il exigeait que le demandeur soit autrement disponible au travail. Les demandeurs étant déjà en congé parental ou de maternité, assurant les soins d’un enfant et étant prestataires, ont été considérés non disponibles au travail. Toutefois, la demanderesse soutient que le libellé de l’alinéa 18b) rendait ces demandeurs inadmissibles aux prestations de maladie auxquelles ils avaient droit et qu’entrevoyaient les modifications de 2002. La demanderesse soutient que si la maladie était survenue avant la naissance de leur enfant, les demandeurs auraient eu droit à jusqu’à concurrence de 15 semaines de prestation, car ils auraient été autrement disponibles au travail (c.-à-d. hormis leur maladie). Par la suite, ils auraient reçu des prestations parentales ou de maternité après la naissance de leur enfant.

[4]  La demanderesse a souligné que la Loi a été modifiée en 2002 dans le cadre de la partie 3 de la Loi d’exécution du budget de 2001, L.C. 2002, ch. 9 [anciennement le projet de loi C-49] en vue de, entre autres, répondre à la décision du Tribunal canadien des droits de la personne [TCDP] dans McAllister-Windsor c Canada (Développement des ressources humaines), [2001] DCDP No 4 [McAllister-Windsor]. Le TCDP a conclu que la législation fédérale relative à l’assurance-emploi, limitant à 30 le nombre de semaines pendant lesquelles un prestataire peut recevoir des prestations de maternité, de maladie ou parentales (limite fixée à l’époque), connue sous le nom de règle anticumul, était discriminatoire envers les femmes qui étaient malades ou le devenait au cours de la période de prestations parentales ou de maternité.

[5]  La demanderesse soutient que les modifications adoptées en 2002 visaient à faire en sorte que les prestataires en congé parental qui tombaient malades avant, pendant ou après leur congé parental soient admissibles aux prestations de maladies, allongeant leur période de prestation jusqu’à 15 semaines supplémentaires. Conséquemment, elle soutient que la Loi n’a pas été mise en œuvre comme l’entendait le législateur.

[6]  En outre, de nombreux demandeurs s’étant fait refuser leurs prestations de maladie ont interjeté appel de ces décisions devant un conseil arbitral. D’autres se sont adressés à un juge-arbitre de l’AE. Bien que la majorité des demandeurs furent déboutés, deux (mesdames Rougas et Kittmer) ont eu gain de cause devant un juge-arbitre de l’AE.

[7]  Les modifications à la Loi figurant dans l’ancien projet de loi C-44 (Loi visant à aider les familles dans le besoin, L.C. 2012, ch. 27) sont entrées en vigueur le 24 mars 2013. Depuis cette date, les demandeurs (c.-à-d. les prestataires de l’AE tombant malades et demandant la conversion de leurs prestations en prestations de maladie) sont admissibles au prolongement de leurs prestations jusqu’à concurrence de 15 semaines supplémentaires, à condition de répondre aux autres critères d’admissibilité. Cette modification vise à s’assurer qu’à compter du 24 mars 2013, les demandeurs se trouvant dans des circonstances semblables à la demanderesse et aux autres membres du groupe proposé ne se voient pas refuser des prestations de maladie en raison de leur indisponibilité au travail.

[8]  La demanderesse cherche à faire autoriser le recours collectif et à obtenir 450 millions de dollars en dommages pour négligence, déclaration inexacte par négligence, faute dans l’exercice d’une charge publique et enrichissement sans cause. L’action se limite à la période débutant le 3 mars 2002, soit la date d’entrée ne vigueur des modifications à la Loi figurant dans l’ancien projet de loi C-49 (la Loi d’exécution du budget de 2001, L.C. 2002, ch. 9) [ci-après dits les modifications de 2002] et se terminant le 24 mars 2013, soit la date d’entrée en vigueur des modifications apportées à la Loi par l’ancien projet de loi C-44 (Loi visant à aider les familles dans le besoin, L.C. 2012, ch. 27). Entre autres modifications à la Loi, la Loi visant à aider les familles dans le besoin modifiait une disposition des principales dispositions en cause dans le recours collectif proposé, soit l’article 18, disposant que les prestataires de prestations parentales en vertu de l’article 23 n’étaient pas inadmissibles aux prestations de maladie en raison de leur indisponibilité au travail.

[9]  La défenderesse s’oppose farouchement à ce recours collectif. Ils soutiennent qu’il est évident et manifeste que la cause d’action avancée n’a aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause. De plus, ils contestent tous les autres éléments du critère visant à déterminer si l’instance devrait être autorisée comme recours collectif.

[10]  La demanderesse et la défenderesse ont avancé des arguments quant à chaque élément du critère à l’autorisation d’un recours collectif. En outre, bon nombre des mêmes arguments sont avancés quant à plus d’un élément du critère. Conséquemment, les présents motifs comportent beaucoup de répétitions dans le cadre de l’analyse de chacun des arguments.

[11]  Pour les motifs qui suivent, et conformément aux conclusions, j’accueillerai la requête et autoriserai, en partie, le recours collectif. La cause d’action en négligence ainsi que certains points soulevés en lien avec la cause d’action sont certifiés. Mme McCrea est une représentante demanderesse appropriée en regard des membres du groupe 1 du groupe. Le plan de poursuite de l’instance est approuvé à titre intérimaire. Il sera nécessaire de produire un plan de poursuite de l’instance révisé tenant compte de la cause d’action et des points certifiés ainsi que de la gestion de l’instance.

[12]  Je vais également accueillir, en partie, la requête de la défenderesse en radiation de la déclaration amendée de la demanderesse. Les causes d’action pour déclaration inexacte par négligence, enrichissement sans cause et faute dans l’exercice d’une charge publique seront radiées pour défaut de chance raisonnable d’avoir gain de cause.

La position générale de la demanderesse

[13]  La demanderesse soutient que la cause d’action proposée pour le recours collectif satisfait au critère de l’autorisation. Dans sa déclaration amendée (la modification étant de retirer Mme Kasbohm à titre de demanderesse et d’apporter les modifications grammaticales conséquentes) [la déclaration], la demanderesse soutient que le Parlement a modifié la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1992, ch. 23 en 2002 en vue de permettre aux personnes recevant des prestations parentales de l’AE de réclamer également des prestations de maladie. La demanderesse soutient qu’en dépit du fait que les défendeurs eurent adopté plusieurs mesures positives pour mettre en œuvre ces modifications, celles-ci sont déficientes. En outre, certaines de ces modifications n’ont pas été bien interprétées, mises en œuvre ou administrées en raison de leur négligence et de leur conduite délictueuse. Conséquemment, des demandes de prestations de maladies de l’AE ont été refusées et des représentants de la Commission ont informé certains demandeurs que leurs demandes ne seraient pas acceptées. Ils se sont ainsi abstenus de présenter une demande. Tous ces refus et ces représentations sont avancés en raison de la même erreur en lien avec le droit des demandeurs à recevoir des prestations de maladie de l’AE au cours de leur congé parental.

[14]  La demanderesse soutient que la déclaration divulgue des causes d’action raisonnables.

[15]  Elle avance la négligence, la déclaration inexacte par négligence, la faute dans l’exercice d’une charge publique et l’enrichissement sans cause en guise de causes d’action. La demanderesse réclame des dommages compensatoires et des dommages-intérêts généraux pour inconvénients, temps perdu, frustration, anxiété, détresse mentale et troubles émotifs découlant de la demande de prestation de maladie de l’AE.

[16]  En ce qui a trait au critère d’autorisation, la demanderesse soutient que le seuil est faible. La demanderesse soutient que la déclaration énonce un critère clair et objectif permettant d’identifier les membres du groupe. La déclaration soulève plusieurs questions communes, laissant seulement quelques questions, la majorité étant simple, à régler de façon individuelle. Le recours collectif est la procédure préférable, car il n’existe aucune alternative qui pourrait donner un accès réel à la justice et Mme McCrea est une représentante appropriée du recours.

[17]  La demanderesse propose un critère objectif pour définir les membres du recours collectif. En outre, il s’agit de particuliers qui, au moment de la période visée (soit du 3 mars 2002 au 24 mars 2013), recevaient des prestations parentales de l’AE et sont devenus malades ou blessés ou ont été mis en quarantaine durant leur congé parental. Ils ont soit demandé des prestations de maladies, lesquelles ont été refusées [membres du groupe 1] ou se sont renseignés sur les prestations de maladie et ont été informés par les défendeurs qu’ils ne seraient pas admissibles, et conséquemment n’ont pas demandé de prestations de maladies de l’AE [membres du groupe 2]. La demanderesse fait remarquer que la majorité des membres des groupes sont des femmes, quoique les prestations parentales étaient également offertes aux hommes.

[18]  La déclaration décrit la situation de Mme McCrea ainsi que celle de Mme Kasbohm comme étant typique ou semblable à celles de nombreuses autres personnes. Les femmes étaient enceintes, ont donné naissance, ont reçu des prestations parentales de l’AE, sont tombées malades durant leur congé parental, et ont demandé à convertir leurs prestations en prestations de maladie de l’AE. Leurs expériences avec le processus de réclamation sont presque identiques, à l’instar de l’issue de celui-ci.

[19]  La demanderesse présente l’historique de la LAE dans sa déclaration, y compris les répercussions de la décision McAllister-Windsor, les modifications de 2002 et diverses déclarations au sujet de la raison d’être des modifications de 2002. Elle décrit également la façon dont le ministère, la Commission et Service Canada, au nom d’EDSC (anciennement RHDSC) et le gouvernement administraient la Loi et statuaient sur les demandes.

[20]  La demanderesse avance que la défenderesse, à la suite des modifications de 2002, a pris des mesures positives pour les mettre en œuvre. Toutefois, ils n’ont pas bien mis en œuvre les modifications en lien avec les prestations de maladie pour les prestataires en congé parental. L’intimé décrit les actions de la défenderesse comme étant de nature descendante et estime qu’une faille systémique a privé les demandeurs des prestations prévues par les modifications de 2002.

[21]  La demanderesse avance que le défaut de la défenderesse s’est manifesté par les suivantes : formation inadéquate du personnel; documents de références désuets et inexacts; site internet public périmé ou inexact; et omission de mettre à jour le principal document d’orientation « Guide de la détermination de l’admissibilité ».

[22]  Elle fait remarquer que les renseignements sur le site internet disponible au public étaient inexacts et présentaient une mauvaise interprétation des modifications. Par exemple, il y était indiqué que les prestations de maladie seraient disponibles après le congé parental, ce qui serait impossible ou très peu probable, car les prestataires n’auraient pas le nombre d’heures d’emploi assurables requis. La demanderesse soutient également que les modifications de 2002 ont été présentées (par les députés et par le ministre McCallum, alors responsable de la Loi d’exécution de budget) comme ayant pour objectif d’offrir des prestations de maladies de l’AE aux demandeurs [traduction] « durant » leur congé parental.

[23]  Elle avance qu’il y a plutôt eu une tendance constante à refuser les demandes de prestations de maladie aux prestataires étant dans une situation semblable à Mme McCrea et, plus particulièrement, à mesdames Kasbohm et Rougas. Comme mentionné précédemment, les demandeurs étaient en congé parental, avaient la charge d’un nourrisson et sont tombés malades, certains très gravement. Les demandeurs ont communiqué avec Service Canada, l’organisme responsable de l’administration de la Loi, afin d’obtenir des renseignements au sujet des prestations de maladie. Dans les cas de mesdames McCrea, Rougas et Kasbohm, au moins un employé leur a d’abord répondu qu’elles pourraient convertir leurs prestations parentales en prestations de maladie ultérieurement. Toutefois, lorsqu’elles ont présenté leurs demandes, la conversion leur a été refusée au motif qu’elles n’étaient pas autrement disponibles à travailler en raison de leur congé parental.

[24]  La demanderesse soutient que ce processus fut le même pour ces trois demandeurs, ainsi que pour tous ceux qui ont demandé la conversion. Il a commencé au moment de la demande initiale de prestations parentales ou de maternité. Les formulaires à remplir comprennent une page intitulée « [D]roits et responsabilités », laquelle mentionne que « le droit aux prestations d’assurance-emploi implique une responsabilité partagée entre vous et Service Canada ». Les responsabilités énoncées de Service Canada comprennent les suivantes : « vous informer des programmes et des services offerts »; « établir une période de prestations, si vous respectez les critères d’admissibilité »; et « vous fournir les renseignements exacts au sujet de votre demande ». En contrepartie, les demandeurs s’engagent à déclarer avec exactitude toutes les périodes d’incapacité, à fournir les renseignements et les documents requis et à déclarer toute rémunération d’un emploi. Les demandeurs signent ou reconnaissent autrement sur le formulaire en ligne qu’ils ont lu et compris les droits et les responsabilités.

[25]  La demanderesse soutient que ni la Commission ni Service Canada ne sont acquittés de leurs responsabilités.

[26]  Quant au processus menant au refus des prestations, la demanderesse décrit comment Service Canada a procédé à l’ouverture d’un formulaire de conversion en prestations de maladie rassemblant les renseignements sur le demandeur. Le formulaire comportait la question suivante [traduction] : « hormis votre maladie, seriez-vous disponible et apte à travailler »? Le formulaire mentionne également la nécessité que le demandeur présente une preuve de son « incapacité de travailler ».

[27]  La demanderesse ajoute que la Commission orchestrait le processus d’appel en remettant seulement l’alinéa 18b) au juge-arbitre, plutôt que l’ensemble du contexte de l’adoption des modifications de 2002 à la Loi. La plupart des demandeurs se représentant seuls et ne s’efforçant pas, comme Mme Rougas, de souligner les incohérences dans la Loi, les appels entraînaient continuellement un refus des prestations de maladies aux membres du groupe.

[28]  Le dossier de la demanderesse démontre, ce qui n’est pas contesté, que seuls quatre des 124 appels interjetés par les demandeurs auprès d’un conseil arbitral ou d’un juge arbitre ont eu gain de cause. Mme Rougas, ayant eu gain de cause dans le dossier Loi sur l’assurance‑emploi et Natalya Rougas, CUB 77039, le 30 juin 2011 [Rougas], était représentée par un avocat, contrairement à la très grande majorité des autres demandeurs. Elle a pleinement débattu son appel, produit des documents obtenus à la suite de demandes d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels [AIPRP], et a soulevé la question de l’interprétation de l’alinéa 18b) dans le contexte de l’ensemble de la Loi.

[29]  La demanderesse soutient que le dossier appuie ses prétentions; que la défenderesse a omis de bien mettre en application les modifications; et que les documents et les formulaires requis mettaient l’accent sur l’exigence d’être disponible au travail, ce qui a mené au refus répété des demandes pour cause d’indisponibilité au travail.

[30]  La demanderesse conteste l’argument de la défenderesse voulant qu’il n’y ait aucun élément commun entre les membres du groupe, car il y avait des interactions indépendantes entre les demandeurs et la Commission de l’AE, que différentes personnes ont pu se faire dire différentes choses, et que les agents de Service Canada et de la Commission ne se sont pas appuyés sur les mêmes documents. Elle soutient que cette position ignore la demande; en outre, tous les agents et les représentants ont été formés de la même façon et ont utilisé les mêmes guides et formulaires. Les membres du groupe avaient des circonstances semblables, suivaient le même processus et, au final, ont vécu les mêmes expériences et obtenus les mêmes résultats.

[31]  La demanderesse estime que le nombre possible de demandeurs s’étant vu refuser des prestations de maladie en faisant référence à l’affidavit de l’un des témoins des demandeurs, M. Michael Duffy, cadre supérieur, récemment retraité, d’EDSC. Selon M. Duffy, de 2002 à 2011, 3 177 demandeurs de prestations de maladie ont vu leur demande refuser pour cause d’indisponibilité à travailler. Ce nombre ne comprend pas les demandeurs prestataires du congé parental québécois pour la période allant de 2006 à 2011.

[32]  Il n’y a aucun renseignement fiable concernant le nombre de demandeurs ayant été dissuadés de formuler une demande de prestations de maladie en raison des conseils promulgués par la Commission. Toutefois, la demanderesse souligne qu’au moment des modifications de 2013, le gouvernement a publiquement affirmé qu’environ 6 000 personnes par année en bénéficieraient. Le dossier démontre que ce nombre a été estimé à partir des plusieurs sources de données et en fonction de plusieurs hypothèses. La demanderesse soutient que la différence entre les 6 000 futurs prestataires par année et les 3 177 demandeurs ayant vu leur demande refusée de 2002 à 2011 permet d’évaluer le nombre de demandeurs qui auraient été découragés de demander la conversion de leurs prestations.

[33]  Elle fait également remarquer que la défenderesse n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision Rougas dans la foulée de celle-ci et qu’ils ont versé les prestations de maladie à Mme Rougas.

[34]  Les autres demandeurs ayant interjeté appel des décisions de la Commission refusant leurs prestations de maladies auprès du conseil arbitral ou du juge-arbitre ont également reçu les prestations auxquelles ils avaient droit. Le témoin de la défenderesse, M. Michael Duffy, a expliqué en contre-interrogatoire que le gouvernement ne contestait pas les appels. Par conséquent, il avait le pouvoir de verser les prestations qu’il n’aurait pas été autorisé à verser autrement.

[35]  M. Duffy a reconnu que les données sur la période s’échelonnant de 2003 à 2011, démontrent qu’en moyenne, 330 lettres « D 33 » étaient envoyées tous les ans. Il s’agit de lettre de refus de prestations de maladie aux prestataires en congé parental. Toutefois, en 2012, ce nombre a chuté à 52, puis à zéro en 2013. La demanderesse avance que ceci indique le nombre de demandeurs qui ont reçu leurs prestations de maladies.

[36]  M. Duffy a admis qu’une politique avait été instaurée après la décision Rougas afin de permettre aux appels interjetés devant le conseil arbitral ou le juge-arbitre de procéder sans opposition. Toutefois, cette démarche n’a permis ni à Mme McCrea ni aux autres membres du groupe d’obtenir leurs prestations. Mme McCrea a vu sa demande refusée en septembre 2011, après la décision Rougas, et que la défenderesse eut décidé de ne pas demander le contrôle judiciaire de celle-ci. Mme McCrea a interjeté appel, mais a ensuite demandé l’ajournement de celui-ci en décembre 2011.

[37]  En résumé, la demanderesse soutient qu’en raison des actions de la défenderesse et de leur négligence, elle a indûment été privée de ses prestations de maladie, à l’instar des autres membres du groupe, ou a été dissuadée de présenter une demande. Conséquemment, les membres du groupe ont subi des dommages.

La position générale de la défenderesse

[38]  La défenderesse soutient qu’aucun des éléments du critère d’autorisation n’est réuni. Avant toute chose, elle soutient qu’il est évident et manifeste que la déclaration de la demanderesse ne divulgue aucune cause d’action.

[39]  La défenderesse caractérise la déclaration de la demanderesse comme une thèse conspirationniste de la part du ministère et de la Commission visant à refuser des prestations à des demandeurs en interprétant et en appliquant mal les dispositions de la Loi de 2002 à 2013.

[40]  La défenderesse estime que la réclamation de 450 millions de dollars en dommages compensatoires et dommages-intérêts généraux est grossièrement exagérée et que les dommages-intérêts généraux sont le fruit d’une réflexion après coup. La défenderesse soutient que la demanderesse a maquillé son action en délit et en equity, mais que le cœur de la demande porte simplement sur des prestations d’assurance-emploi. La demanderesse et les autres membres du groupe devraient entreprendre des appels administratifs, si ces recours ne sont pas rendus impossibles pour cause de chose jugée ou de prescription.

[41]  La défenderesse ajoute que la cause d’action avancée par la demanderesse, soit [traduction] « administration négligente et omission de mettre en œuvre la LAE », n’est pas une cause d’action reconnue.

[42]  Elle soutient que la Loi était sans ambiguïtés et que la Commission et Service Canada ont bien interprété et appliqué la Loi. En outre, cette interprétation a été confirmée par une majorité de décisions du juge-arbitre de l’AE.

[43]  La défenderesse avance que la demanderesse s’appuie sur une seule décision du juge-arbitre (Rougas) pour soutenir son point de vue voulant que, plutôt que de suivre la loi telle qu’édictée, la défenderesse aurait dû ignorer le libellé pourtant clair de l’alinéa 18b). Or, les décisions du juge-arbitre ne sont pas contraignantes et ne peuvent pas appuyer la théorie de la demanderesse.

[44]  La défenderesse estime que la décision Rougas est particulière à ce dossier, car le juge-arbitre n’a pas été d’accord avec la décision d’appliquer la Loi de façon stricte et a voulu accorder des prestations malgré le libellé clair de celle-ci et un défaut de compétence à ce chapitre. Le juge-arbitre a utilisé les mots « malgré l’article 18 » de l’article 23 afin de justifier une réparation. Subsidiairement, le juge-arbitre a statué que le Parlement devrait modifier la loi. La défenderesse fait remarquer que la décision Rougas s’inscrit à contresens des décisions de la Commission, du conseil arbitral et des juges-arbitres survenues de 2002 à 2011.

[45]  Elle reconnaît que Rougas a été le déclencheur à l’origine des modifications de 2013 de la Loi, lesquelles exonèrent les prestataires de prestations parentales de satisfaire à l’exigence de disponibilité au travail énoncée à l’alinéa 18b). La défenderesse estime également que la décision Rougas a été à l’origine de l’action de la demanderesse. Elle admet ne pas avoir interjeté appel de la décision Rougas, mais soutient, néanmoins, que le juge-arbitre n’avait pas la compétence d’interpréter la Loi.

[46]  Or, remarquons qu’après la décision Rougas, la Commission a versé des prestations de maladie à d’autres demandeurs en congé parental ayant vu leur demande refusée par le passé. Ces prestations ont été versées avant les modifications de 2013.

[47]  Mme McCrea et les autres membres du recours collectif proposé ne faisaient pas partie du groupe de demandeurs ayant reçu des prestations de maladie après Rougas. La demanderesse s’est fait refuser ses prestations en septembre 2011. Elle a cherché à interjeter appel de cette décision, mais a ensuite demandé à ce que son appel soit ajourné.

[48]  La défenderesse soutient que les principes d’interprétation des lois, particulièrement la règle du sens ordinaire, soutiennent l’interprétation qu’a faite la Commission de l’alinéa 18b). En résumé, la Commission n’avait pas d’autre choix que d’appliquer l’alinéa 18b) et de refuser les prestations aux demandeurs qui n’étaient autrement pas disponibles pour travailler.

[49]  Selon elle, les modifications de 2002 avaient seulement pour objectif de réagir à McAllister-Windsor, laquelle concluait que les dispositions anticumul étaient discriminatoires. Cette décision ne portait pas sur des prestations en regard d’une maladie survenant après la naissance d’un enfant ou pendant que le demandeur était en congé parental ou de maternité. Les modifications de 2002 ne modifient pas l’alinéa 18b) et l’exigence voulant que le demandeur soit autrement disponible pour travailler demeure dans la Loi. La Commission et Service Canada ont bien appliqué cette disposition.

[50]  La défenderesse estime que la présente action est plutôt une demande de prestations [traduction] « maquillée » en action en responsabilité délictuelle. À ce titre, elle soutient que l’action actuelle ne peut pas procéder pour plusieurs raisons, y compris au motif qu’elle est chose jugée. Elle soutient que la réparation appropriée serait d’interjeter appel en vertu de la Loi, voire un contrôle judiciaire, bien que le délai écoulé puisse prescrire celle-ci. En ce qui a trait aux autres membres du groupe qui n’ont pas déposé de demande de prestation de maladies, la démarche à suivre consiste à formuler une demande tardive, antidatée, attendre une décision, et, en cas de refus, interjeter appel de celle-ci devant le nouveau Tribunal de la sécurité sociale du Canada. La défenderesse avance le même point de vue en regard des autres éléments du critère d’autorisation : il ne s’agit que d’une demande de prestations.

[51]  La défenderesse soutient également que la demande de la demanderesse elle-même n’a aucun fond. Par conséquent, elle ne peut pas constituer la base du recours collectif proposé puisqu’il n’y a aucun fait matériel pour étayer les causes d’action et que la demanderesse n’a subi aucun dommage. En outre, si la demande individuelle ne peut pas avoir gain de cause, elle ne peut pas être reconvertie en recours collectif.

[52]  La défenderesse affirme que la demanderesse ne satisfait pas aux quatre autres éléments du critère d’autorisation d’un recours collectif. Elle conteste la définition proposée pour le groupe et avance de plus que les questions communes proposées sont peu nombreuses, de portée excessive et qu’elles nécessiteraient une recherche de faits individuels exhaustive.

[53]  La défenderesse ajoute que Mme McCrea n’est pas une représentante appropriée pour le groupe, car elle n’a subi aucune perte, car elle est retournée au travail à la suite de la chirurgie prévue lorsque ses prestations de maladie lui ont été refusées.

[54]  Elle soutient qu’un recours collectif n’est pas la procédure préférable à suivre en raison du nombre d’éléments personnels, lesquels dépasseraient toute question commune éventuelle, s’il y en avait même une, pouvant être certifiée. Le recours collectif ne permettra pas d’économiser des frais, d’augmenter l’accès à la justice ou l’efficacité.

[55]  Par conséquent, la défenderesse soutient que la requête en autorisation devrait être rejetée et que la déclaration devrait être radiée. Elle fait remarquer que si la requête en autorisation n’est pas accueillie, les causes d’actions ne pourront pas aller de l’avant.

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’assurance-emploi

10 (13) Si, au cours de la période de prestations d’un prestataire, aucune prestation régulière ne lui a été versée, que des prestations pour plus d’une des raisons prévues aux alinéas 12(3)a) à e) lui ont été versées pour un nombre de semaines inférieur au nombre maximal applicable pour au moins une de ces raisons et que le nombre maximal total de semaines de prestations prévues pour celles-ci est supérieur à cinquante, la période de prestations est prolongée du nombre de semaines nécessaire pour que ce nombre maximal total soit atteint.

 

10 (13) If, during a claimant's benefit period, (a) regular benefits were not paid to the claimant,(b) benefits were paid to the claimant for more than one of the reasons mentioned in paragraphs 12(3)(a) to (e) and at least one of those benefits was paid for fewer than the applicable maximum number of weeks established for those reasons, and (c) the maximum total number of weeks established for those reasons is greater than 50, the benefit period is extended so that those benefits may be paid up to that maximum total number of weeks.

[...]

 

[...]

12 (3) Le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées au cours d’une période de prestations est :

 

12 (3) The maximum number of weeks for which benefits may be paid in a benefit period

 

a) dans le cas d’une grossesse, quinze semaines;

 

(a) because of pregnancy is 15;

 

b) dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés du prestataire ou à un ou plusieurs enfants placés chez le prestataire en vue de leur adoption, 35 semaines;

 

(b) because the claimant is caring for one or more new-born children of the claimant or one or more children placed with the claimant for the purpose of adoption is 35;

 

c) dans le cas d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine prévue par règlement, quinze semaines;

 

(c) because of a prescribed illness, injury or quarantine is 15;

 

d) dans le cas de soins ou de soutien à donner à un ou plusieurs membres de la famille visés au paragraphe 23.1(2), six semaines;

 

(d) because the claimant is providing care or support to one or more family members described in subsection 23.1(2), is six; and

e) dans le cas de soins ou de soutien à donner à un ou plusieurs enfants gravement malades visés au paragraphe 23.2(1), trente-cinq semaines.

 

(e) because the claimant is providing care or support to one or more critically ill children described in subsection 23.2(1), is 35

 

L’article 18, et disposition en cause dans l’espèce, se lisait comme suit jusqu’au 23 mars 2013 :

18. Le prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel il ne peut prouver qu’il était, ce jour-là :

18. A claimant is not entitled to be paid benefits for a working day in a benefit period for which the claimant fails to prove that on that day the claimant was

 

a) soit capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenable;

 

(a) capable of and available for work and unable to obtain suitable employment;

 

b) soit incapable de travailler par suite d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine prévue par règlement et aurait été sans cela disponible pour travailler;

 

(b) unable to work because of a prescribed illness, injury or quarantine, and that the claimant would otherwise be available for work; or

 

c) soit en train d’exercer les fonctions de juré.

(c) engaged in jury service.

 

L’article 18 a été modifié en 2013; depuis l’entrée en vigueur de celle-ci le 24 mars 2013, il se lit comme suit :

18. (1) Le prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel il ne peut prouver qu’il était, ce jour-là :

18. (1) A claimant is not entitled to be paid benefits for a working day in a benefit period for which the claimant fails to prove that on that day the claimant was

 

a) soit capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenable;

 

(a) capable of and available for work and unable to obtain suitable employment;

 

b) soit incapable de travailler par suite d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine prévue par règlement et aurait été sans cela disponible pour travailler;

 

(b) unable to work because of a prescribed illness, injury or quarantine, and that the claimant would otherwise be available for work; or

 

c) soit en train d’exercer les fonctions de juré.

(c) engaged in jury service.

 

(2) Le prestataire à qui des prestations doivent être payées en vertu de l’article 23 n’est pas inadmissible au titre de l’alinéa (1)b) parce qu’il ne peut prouver qu’il aurait été disponible pour travailler, n’eût été la maladie, la blessure ou la mise en quarantaine.

 

(2) A claimant to whom benefits are payable under section 23 is not disentitled under paragraph (1)(b) for failing to prove that he or she would have been available for work were it not for the illness, injury or quarantine.

 

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

 

L’article 21 porte sur les prestations de maladie (mais se limite seulement à la disponibilité de celles-ci)

21. (1) Si la cessation d’emploi d’un prestataire de la deuxième catégorie résulte du fait qu’il est devenu incapable de travailler par suite d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine, il n’est pas admissible au bénéfice des prestations tant qu’il est incapable de travailler pour cette raison.

 

21. (1) A minor attachment claimant who ceases work because of illness, injury or quarantine is not entitled to receive benefits while unable to work for that reason.

 

(2) Lorsque des prestations doivent être payées au prestataire par suite d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine et que des allocations, prestations ou autres sommes doivent être payées pour cette maladie, blessure ou mise en quarantaine en vertu d’une loi provinciale, les prestations qui doivent lui être payées en application de la présente loi sont réduites ou supprimées de la manière prévue par règlement.

 

(2) If benefits are payable to a claimant as a result of illness, injury or quarantine and any allowances, money or other benefits are payable to the claimant for that illness, injury or quarantine under a provincial law, the benefits payable to the claimant under this Act shall be reduced or eliminated as prescribed.

 

(3) Si le prestataire reçoit une rémunération pour une partie d’une semaine de chômage durant laquelle il est incapable de travailler par suite d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine, le paragraphe 19(2) ne s’applique pas et, sous réserve du paragraphe 19(3), cette rémunération est déduite des prestations afférentes à cette semaine.

 

(3) If earnings are received by a claimant for a period in a week of unemployment during which the claimant is incapable of work because of illness, injury or quarantine, subsection 19(2) does not apply and, subject to subsection 19(3), all those earnings shall be deducted from the benefits payable for that week.

 

Le paragraphe 22(1) porte sur les prestations de grossesse (c.-à-d. les prestations de maternité)

22(1) Grossesse – Malgré l’article 18 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à la prestataire de la première catégorie qui fait la preuve de sa grossesse.

22(1) Pregnancy - Notwithstanding section 18, but subject to this section, benefits are payable to a major attachment claimant who proves her pregnancy.

 

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

 

Le paragraphe 23(1) prévoit les prestations parentales :

23. (1) Malgré l’article 18 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à un prestataire de la première catégorie qui veut prendre soin de son ou de ses nouveau-nés ou d’un ou plusieurs enfants placés chez lui en vue de leur adoption en conformité avec les lois régissant l’adoption dans la province où il réside.

 

23. (1) Notwithstanding section 18, but subject to this section, benefits are payable to a major attachment claimant to care for one or more new-born children of the claimant or one or more children placed with the claimant for the purpose of adoption under the laws governing adoption in the province in which the claimant resides.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

 

[56]  La défenderesse soutient que la Loi prévoit désormais des prestations de compassion depuis les ses dernières modifications. Les prestations de compassion de l’assurance-emploi sont versées aux personnes qui doivent s’absenter temporairement de leur travail pour prendre soin d’un membre de leur famille souffrant d’une maladie grave qui risque de causer son décès, et ce, sans égard à la disponibilité ou non du demandeur à travailler en vertu de l’article 18. En 2013, une prestation spéciale supplémentaire a été ajoutée pour accorder des prestations à un demandeur qui cesse de travailler pour s’occuper d’un enfant gravement malade. Ces dispositions ne sont pas visées dans l’espèce.

Les questions en litige

[57]  La question générale dans l’espèce est à savoir si l’action devrait être autorisée à titre de recours collectif en vertu de l’article 334.16 des Règles. Comme mentionné précédemment, la défenderesse conteste chaque élément du critère d’autorisation.

[58]  Le paragraphe 334.16(1) des Règles régit les requêtes en autorisations de recours collectifs et dispose des suivantes :

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

 

334.16 (1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

 

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

 

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

 

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

 

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

 

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

 

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

 

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

 

e) il existe un représentant demandeur qui :

 

(e) there is a representative plaintiff or applicant who

 

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

 

(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,

 

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

 

(ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,

 

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

 

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

 

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

 

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.

 

Les actes de procédures divulguent-ils des causes d’action raisonnables? Alinéa 334.16(1)a) des Règles

Principales questions en litige

[59]  La défenderesse soulève plusieurs questions principales ou à grande portée quant à la demande de la demanderesse n’ayant pas été examinée tant à l’origine et une fois encore dans le contexte particulier des causes d’action avancées, soit la négligence (y compris les déclarations inexactes par négligence), la faute dans l’exercice d’une charge publique, et l’enrichissement sans cause.

Observations de la demanderesse

[60]  La demanderesse fait remarquer que le premier élément du critère d’autorisation porte principalement sur la déclaration, à savoir s’il est évident et manifeste que les causes d’action invoquées n’ont aucune chance d’avoir gain de cause. Les quatre autres éléments du critère exigent « un certain fondement factuel », ce qui nécessite un examen du dossier (Pro-Sys Consultants Ltd c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, au paragraphe 99, [2013] 3 RCS 477 [Pro-Sys]; Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68, au paragraphe 16, [2001] 3 RCS 158 [Hollick]).

[61]  La demanderesse avance trois causes d’action : la négligence (y compris la déclaration inexacte par négligence eu égard aux membres proposés du groupe 2); la faute dans l’exercice d’une charge publique; et l’enrichissement sans faute.

[62]  La demanderesse soutient qu’il n’est ni évident ni manifeste que les déclarations ne divulguent aucune cause d’action raisonnable; de plus, il y a une cause d’action raisonnable dès qu’il y a la moindre chance d’avoir gain de cause. Le critère du caractère « évident et manifeste » repose sur la déclaration et repose sur la présomption que les actes de procédures sont véridiques (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 à la page 975, [1990] 6 WWR 385 [Hunt]; R c Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42 [2011] 3 RCS 45, au paragraphe 22 [Imperial Tobacco]).

[63]  La demanderesse conteste la prétention de la défenderesse voulant qu’il s’agisse plutôt d’une demande de prestations ou de contrôle judiciaire maquillée en action en responsabilité délictuelle. La demanderesse fait remarquer que les appels au conseil arbitral ou devant un juge-arbitre (désormais appelé le Tribunal de la sécurité sociale ou SST) ne comprennent aucun mécanisme permettant de régler les questions de négligence, car ces instances n’ont pas compétence à ce chapitre.

[64]  En réponse à l’argument du défendeur voulant que la présomption que les faits plaidés sont véridiques ne s’applique pas aux actes de procédures portant sur des points de droit, la demanderesse fait valoir qu’il n’est pas opportun de résoudre cette question ainsi que toute autre question de droit à l’étape de l’autorisation. La signification de la Loi et celle de ses dispositions principales sont des questions litigieuses qui devraient être tranchées à un procès.

[65]  La demanderesse fait remarquer qu’il n’y a que des décisions contradictoires des juges-arbitres, auxquelles la Cour n’est pas contrainte, quant à l’application de la Loi. Il n’y a rien d’autre qui puisse soutenir l’affirmation de la défenderesse voulant que la Loi eût été bien appliquée et interprétée.

[66]  La demanderesse réfute également l’argument de la défenderesse voulant que la loi était sans ambiguïté et avait été bien interprétée. La demanderesse souligne que la Cour n’a pas adopté cet argument de la défenderesse dans McCrea 2013, au paragraphe 55, et a rejeté sa requête en vertu de l’article 220 des Règles, laquelle portait sur cette question.

[67]  En outre, dans sa requête en vertu de l’article 220 des Règles, la défenderesse a également soutenu qu’il était nécessaire de produire un dossier plus complet quant à la signification de la Loi. La demanderesse estime que cette prétention vient étayer son point de vue voulant qu’on ne puisse pas garantir que son interprétation de la Loi n’aura pas gain de cause.

[68]  La demanderesse reconnaît que la Cour ne peut pas interpréter les lois autrement que selon leur libellé, lorsque celui ne fait aucun doute. Or, ce n’est pas le cas, étant donné la présence des paragraphes 23(3) et 12 (3) (concernant les prestations parentales et la prolongation de période qui contredisent l’article 18. Cette ambiguïté permet d’examiner la preuve extrinsèque quant à la signification de la Loi.

[69]  La demanderesse soutient que l’historique législatif des modifications de 2002 et les déclarations publiques formulées à l’époque démontrent que ces modifications visaient à bénéficier aux demandeurs de prestations qui étaient malades durant leur grossesse et aux demandeurs malades durant leur congé parental. La demanderesse décrit les plus récentes modifications de 2013 comme une clarification de la loi de 2002 et non d’un réel changement.

[70]  Elle fait remarquer que le gouvernement a versé des prestations de maladies à Mme Rougas dans la foulée de la décision du juge-arbitre, ainsi qu’à plus de 330 autres demandeurs. Or, il refuse toujours de verser des prestations aux autres demandeurs, y compris la demanderesse. La demanderesse se questionne ainsi à savoir pourquoi modifierait-il la Loi si celle-ci était véritablement sans ambiguïté.

[71]  Elle conteste également la prétention selon laquelle sa demande porte sur un manquement à une obligation légale; elle estime qu’il s’agit plutôt d’une mise en œuvre négligente de la législation. Dans l’espèce, la Commission a pris des mesures positives pour mettre en œuvre certains éléments des modifications de 2002, mais elle s’est montrée négligente dans l’exécution d’autres volets, plus particulièrement, quant aux prestations de maladie durant un congé parental.

[72]  La demanderesse soutient également que les demandes ne sont pas choses jugées. Le conseil arbitral et le juge-arbitre ne pouvaient pas statuer sur les questions soulevées par la présente. La Cour a conclu par le passé que les décisions du conseil arbitral et du juge-arbitre n’avaient aucune valeur jurisprudentielle, par conséquent, le principe de la chose jugée ne s’y appliquait pas (McCrea 2013, aux paragraphes 67, 73 et 79). Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a rejeté l’argument selon lequel une demande ne pouvait procéder, car les membres du groupe devaient épuiser leurs recours en appel et en contrôle judiciaire avant d’invoquer la négligence (Canada (Procureur général) c Telezone Inc, 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585 [Telezone]). Trois dossiers connexes ont statué que ces principes devraient également s’appliquer aux actions de la Cour fédérale (Manuge c R, 2010 CSC 67, aux paragraphes 17 à 24, [2010] 3 RCS 672 [Manuge 2010]; Parrish & Heimbecker Ltd c Canada (Agriculture et agroalimentaire), 2010 CSC 64 à l’alinéa 18, [2010] 3 RCS 639 [Parrish]; et Nu-Pharm Inc c Canada (Procureur général), 2010 CSC 65, au paragraphe 17, [2010] 3 RCS 648 [Nu-Pharm]).

Observations de la défenderesse

[73]  La défenderesse soutient qu’il est évident et manifeste qu’aucune des réclamations n’aura gain de cause.

[74]  La défenderesse ajoute que les faits matériels avancés quant à la demanderesse, Mme McCrea, soit ses propres circonstances, n’appuient pas les causes de l’action.

[75]  La défenderesse soutient que la demanderesse ne peut pas utiliser une action en négligence, en faute dans l’exercice d’une charge publique et en enrichissement sans cause pour « maquiller » un contrôle judiciaire de ce qui, en somme, une demande de prestations d’AE étant donné que la loi prévoit des moyens d’appel et des réparations. La Loi prévoit que les décisions quant à l’admissibilité doivent être prises par la Commission, puis examinées par le conseil arbitral et le juge-arbitre (et aujourd’hui, le TSS) et, finalement, la Cour d’appel fédérale. La Cour devrait utiliser son pouvoir discrétionnaire résiduel et ordonner la suspension des procédures (Telezone, au paragraphe 78).

[76]  La défenderesse soutient que les propres actions de Mme McCrea révèlent qu’il s’agit seulement d’une demande de prestations. Mme McCrea a ajourné son appel devant le juge-arbitre (en décembre 2011) en vue d’intenter le présent recours collectif, bien qu’elle aurait pu obtenir le règlement de sa demande devant le juge-arbitre depuis, ou à la suite d’un contrôle judiciaire, le cas échéant.

[77]  La défenderesse soutient que la réclamation, se chiffrant aujourd’hui à 450 millions de $, comprend d’autres dommages ajoutés après coup dans le but de convertir la demande de prestations en action en responsabilité délictuelle. Toutefois, une fois ces dommages retirés, il ne reste qu’une simple demande de prestations.

[78]  La défenderesse fait remarquer l’importance des principes de la finalité; le fait de contourner les recours appropriés cause un tort au système juridique. En outre, le libellé clair de la LAE et le principe de la chose jugée empêchent la demanderesse d’intenter un recours collectif en vue d’obtenir des prestations ayant déjà été refusée conformément à la législation (Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, au paragraphe 20, [2001] 2 RCS 460 [Danyluk]; Toronto (Ville) c CUPE, Local 79, 2003 CSC 63, au paragraphe 33, [2003] 3 RCS 77; British Columbia (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, aux paragraphes 28 à 30 et 34, [2011] 3 RCS 422 [Figliola]).

Les conclusions de droit ne peuvent pas être plaidées

[79]  Le critère du caractère [traduction] « évident et manifeste » porte principalement à savoir si, considérant le contexte du droit et du processus juridique, on peut conclure à l’existence d’une perspective raisonnable d’avoir gain de cause.

[80]  La défenderesse fait remarquer que les actes de procédures de la demanderesse sont toutes fondés sur des allégations d’interprétation inadéquate ou illégale de la Loi, ce qui constitue des conclusions de droit. La défenderesse soutient d’abord que la Loi a été bien interprétée, comme l’ont confirmé les décisions du conseil arbitral et des juges-arbitres. Ensuite, elle soutient que la présomption quant à la véracité des faits plaidés ne s’applique pas lorsqu’on avance des conclusions de droit.

[81]  La défenderesse reconnaît que les conclusions de droit peuvent être plaidées, mais leur véracité doit être démontrée (Imperial Tobacco, au paragraphe 21).

La législation a été bien interprétée

[82]  La défenderesse soutient que la Commission a bien interprété la Loi; que le libellé de celle-ci est clair et que les dispositions pertinentes ont été bien appliquées. La Commission était tenue d’appliquer le critère « aurait été sans cela disponible » figurant à l’alinéa 18b) aux demandeurs qui demandaient des prestations de maladie tout en recevant des prestations parentales.

[83]  La défenderesse estime que les causes d’action devraient être radiées, et ce, même s’il s’agit seulement d’une interprétation raisonnable.

[84]  La règle moderne quant à l’interprétation des lois exige de « lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». (Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, aux paragraphes 26 à 29, [2002] 2 RCS 559 [Bell Expressvu]).

[85]  Le libellé de l’alinéa 18b) est clair : les demandeurs doivent démontrer que, n’eût été leur maladie, ils seraient disponibles au travail. La défenderesse fait remarquer que les autres prestations spéciales, soit les prestations parentales, de grossesse et de compassion, portent la mention « [m]algré l’article 18 ». Toutefois, on ne retrouve pas ce libellé dans l’article 21 portant sur les prestations de maladie. Ainsi, la maxime expressio unius est exclusio alterius s’applique à l’espèce.

[86]  La défenderesse soutient que la Cour a pour rôle de s’assurer que l’interprétation est cohérente à l’intention du Parlement. Cette intention est claire dans l’espèce.

[87]  Étant donné que les dispositions de la Loi sont sans ambiguïté, la preuve extrinsèque, comme l’historique législatif, ne devra pas être utilisée pour guider l’interprétation (Bell Expressvu, aux paragraphes 26 à 29). La défenderesse rappelle que le Hansard et d’autres documents gouvernementaux pourraient s’avérer inutiles pour cerner l’intention du législateur.

[88]  Elle fait remarquer que bien le Parlement eut changé la loi, ce fut seulement dans une optique prospective. Les dispositions transitoires de la Loi visant à aider les familles dans le besoin de 2012, lesquelles modifiaient la LAE afin de permettre la conversation des prestations parentales en prestations de maladies, sans égard à la disponibilité à travailler, indiquent clairement que la modification de l’article 18 est uniquement à des fins prospectives, devant entrer en vigueur le 24 mars 2013, et ainsi, ne s’appliquant pas aux membres d’un éventuel recours collectif avant cette date.

[89]  La défenderesse explique que le Parlement était conscient de la portée des modifications de 2002 ainsi que de la décision du juge-arbitre dans Rougas, mais qu’il a néanmoins opté pour un changement prospectif.

[90]  Elle souligne également que la décision du juge-arbitre dans Rougas n’est pas contraignante et contraire au principe voulant que la Cour n’introduise pas des mots dans une loi autrement limpide. La défenderesse reconnaît qu’elle n’a pas cherché à obtenir le contrôle judiciaire de la décision Rougas, laissant ainsi la décision du juge-arbitre prendre un caractère définitif, conférant à la Commission le pouvoir de verser à Mme Rougas ses prestations de maladies, bien que le libellé clair de la Loi ne le permette pas.

[91]  À l’époque, dans les années suivant la décision de ne pas demander le contrôle judiciaire de Rougas (soit 2011-2012), d’autres prestataires du congé parental dont les prestations de maladie avaient initialement été rejetées ont reçu leurs prestations de maladie. Comme mentionné précédemment, lorsque les demandeurs ont cherché à interjeter appel du refus de leurs demandes, la défenderesse n’a offert aucune opposition. De plus, si le conseil arbitral accueillait un appel, la défenderesse n’interjetait pas appel auprès du juge-arbitre.

[92]  La demanderesse soutient que les députés ont fait des déclarations publiques quant à l’intention sous-jacente aux modifications de 2002, toutefois, selon la défenderesse, celles-ci sont sans importance. C’est plutôt le libellé clair de la Loi qui a enjoint la Commission à l’interpréter et à l’appliquer comme elle l’a fait.

[93]  La défenderesse rajoute que le ministre responsable des modifications de 2012 (lesquelles sont entrées en vigueur en 2013) était conscient de la portée limitée des modifications de 2002 ainsi que de Rougas, et de la nécessité de combler la lacune mise en lumière dans cette décision. Que le ministre ait fait référence à la modification de l’article 18 comme une « clarification » et à une « codification » ne signifie pas que les modifications démontraient ou clarifiaient le statu quo.

[94]  La défenderesse avance également que les modifications de 2002 visaient uniquement à réagir à la décision dans McAllister-Windsor, et rien de plus. Ce dossier portait sur la règle anticumul des prestations. Mme McAllister-Windsor avait reçu des prestations de maladies en étant enceinte, puis des prestations de maternité après la naissance de son enfant, mais s’était fait refuser ses prestations parentales au motif qu’elle avait déjà reçu 30 semaines de prestations (le maximum autorisé à l’époque). Il était dit que ses prestations étaient « plafonnées ».

[95]  Les modifications de 2002 visaient seulement à élargir la période maximale afin de permettre le versement de prestations de maladies avant les prestations parentales ou de maternité. Le cas échéant, le demandeur était disponible au travail, n’eut été de sa maladie.

[96]  La défenderesse suppose également qu’il était possible de recevoir des prestations de maladies après le congé parental ou de maternité à condition que la demande fût déposée à l’intérieur de la période de prestations; que le demandeur était autrement disponible à travailler; et qu’il disposait de suffisamment d’heures assurables.

[97]  De plus, la défenderesse estime qu’il aurait été possible de recevoir des prestations de maladies durant le congé parental lorsque ces prestations étaient réparties entre les deux parents et que celui-ci les demandant était autrement disponible à travailler.

[98]  La défenderesse fait également regarder que la Cour d’appel fédérale a conclu que les dispositions plafonnant les prestations de la Loi n’étaient pas discriminatoires dans Sollbach c R, [1999] FCJ No 1912, 94 ACWS (3d) 202 [Sollbach] ainsi que dans plusieurs autres dossiers suivant Sollbach, tant avant qu’après McAllister-Windsor.

Le dossier ne comprend aucune cause d’action pour violation d’une loi

[99]  La défenderesse fait valoir qu’il n’y aucune cause d’action pour violation d’une loi et que le droit ne reconnaît pas qu’une autorité publique puisse être poursuivie pour manquement par négligence à une obligation légale, soit pour avoir agi hors du cadre de la loi ou en violation de celle‑ci (Holland c Saskatchewan, 2008 CSC 42, aux paragraphes 7 à 9, [2008] 2 RCS 551 [Holland]. La défenderesse soutient que le fond de la déclaration de la demanderesse est qu’elle aurait adopté une interprétation erronée de la loi et aurait ensuite systématiquement administrée régime conformément à cette interprétation. En d’autres termes, la demanderesse fait valoir un défaut de mise en œuvre d’une loi ou une violation de celle-ci en regard duquel l’autorité publique ne peut être tenue responsable.

[100]  La défenderesse soutient à nouveau que le principe voulant que la Cour doive présumer les faits plaidés comme étant avérés ne s’applique pas lorsque l’énoncé porte sur un point de droit ou des conclusions de droit qui ne peuvent être démontrés (Operation Dismantle Inc c R, [1985] 1 RCS 441, au paragraphe 108, [1985] A.C.S. No 22).

Conclusion quant aux questions principales portant sur la cause d’action

[101]  Les parties sont d’accord que le critère à suivre pour déterminer l’existence d’une cause d’action raisonnable est le même qu’en regard d’une requête en radiation : c’est-à-dire à savoir s’il est « évident et manifeste » que la déclaration de la demanderesse ne divulgue aucune cause d’action (Le Corre c Canada (Procureur général), 2005 CAF 127, au paragraphe 9, [2005] FCJ No 590).

[102]  J’ai attentivement examiné les questions de portée plus générale ou principales soulevées par la défenderesse étayant que la déclaration de la demanderesse n’a aucune chance d’avoir gain de cause. Les mêmes questions ont été soulevées en regard de chaque cause d’action.

[103]  La Cour doit présumer que les faits allégués dans la déclaration, lue dans son ensemble et interprétée généreusement, sont avérés. Même si les déclarations sont nouvelles, ou que le droit est incertain, le critère demeure le même. La jurisprudence établit que le fardeau reposant sur la partie demandant la radiation de la déclaration est imposant et que la Cour devrait se montrer très réticente à radier une déclaration à moins d’être résolument convaincue qu’elle n’aurait pas gain de cause au procès. Les questions graves de droit, ou mixtes de fait et de droit, lesquelles devraient plutôt être laissées au juge au procès; ainsi, la requête en radiation devrait être rejetée (Hunt).

[104]  Dans Hunt, au paragraphe 36, la Cour suprême du Canada a statué que la Cour doit présumer que tous les faits allégués dans la déclaration de la demanderesse peuvent être démontrés lorsqu’elle cherche à savoir s’il est évident et manifeste que la déclaration ne divulgue aucune cause d’action raisonnable. La Cour doit également chercher à savoir s’il y a une chance d’avoir gain de cause, quelle qu’elle soit, ou, en d’autres mots, si elle est vouée à un échec assuré.

[105]  Plus récemment, dans Imperial Tobacco, la Cour suprême du Canada a décrit le critère comme suit :

[17] [...] une demande ne sera radiée que s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable. Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69, [2003] 3 R.C.S. 263, par. 15; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980. Autrement dit, la demande doit n’avoir aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Sinon, il faut lui laisser suivre son cours : voir généralement Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D., 2007 CSC 38, [2007] 3 R.C.S. 83; Succession Odhavji; HuntProcureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735.

[106]  La Cour a ajouté que la requête en radiation devrait être utilisée avec prudente, soulignant au paragraphe 21 : « [p]ar conséquent, le fait qu’une action en particulier n’a pas encore été reconnue en droit n’est pas déterminant pour la requête en radiation. Le tribunal doit plutôt se demander si, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, il est raisonnablement possible que l’action soit accueillie. L’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable ».

[107]  La Cour a souligné au paragraphe 22 que : « [i]l incombe au demandeur de plaider clairement les faits sur lesquels il fonde sa demande ». L’évaluation de la probabilité de réussite repose sur les faits allégués.

[108]  Ces principes bien connus sont le point de départ d’un examen des enjeux plus larges soulevés par la défenderesse en vue d’écarter l’action.

[109]  La demanderesse a l’obligation de plaider les faits donnant naissance aux déclarations. En l’occurrence, la demanderesse a établi les faits reposant sur ses expériences, lesquelles sont communes à au moins trois personnes (ainsi qu’à d’autres membres éventuels du groupe), ainsi que sur les processus suivis par la Commission en regard aux demandes d’AE La demanderesse a également défendu une interprétation des dispositions pertinentes de la Loi différente de celle de la défenderesse.

[110]  La défenderesse estime que la déclaration devrait être entièrement radiée pour plusieurs raisons : il s’agit essentiellement d’une demande de prestations; la demanderesse plaide uniquement une conclusion de droit, laquelle ne peut être présumée véridique; la Commission a bien interprété la loi; et la cause d’action porte sur une violation d’une loi.

[111]  La défenderesse a demandé à la Cour d’utiliser son pouvoir discrétionnaire et de suspendre la procédure, s’appuyant sur les commentaires de la Cour suprême au paragraphe 78 sur Telezone voulant que les cours disposent du pouvoir discrétionnaire résiduel de suspension d’une procédure « au motif qu’il s’agit essentiellement d’une demande de contrôle judiciaire qui n’a que superficiellement l’apparence d’un recours délictuel de droit privé ».

Il ne s’agit pas simplement d’une demande de prestations

[112]  La prétention de la défenderesse voulant que la déclaration soit essentiellement une demande de prestations déguisée vient ignorer les actes de procédures exhaustifs de la demanderesse quant à la négligence et aux déclarations inexactes par négligence, à la faute dans l’exercice d’une charge public et à l’enrichissement sans cause.

[113]  À ce stade-ci, de façon générale, je ne suis pas prête à conclure qu’il s’agit simplement d’une demande de prestations. Comme le mentionne la Cour suprême dans Telezone, cité par la défenderesse : « [r]ègle générale, la question fondamentale consiste toujours à savoir si le demandeur a plaidé une cause d’action valable donnant ouverture à des dommages-intérêts de droit privé. Dans l’affirmative, il devrait généralement être admis à exercer son recours ».

[114]  Dans Manuge 2010, au paragraphe 19, le juge Abella, citant Telezone, a fait remarquer que c’est le caractère essentiel de la déclaration qui doit être le point focal :

La décision du tribunal d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire de suspendre une action dans ce contexte dépend de l’essence du recours selon qu’il s’agit de la revendication de droits relevant du droit privé ou du droit public. Je suis d’accord avec la Couronne que certaines des prétentions de M. Manuge soulèvent des questions qui se prêtent au contrôle judiciaire. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’établir si certains éléments plaidés par M. Manuge peuvent être examinés sous le régime des art. 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, mais de déterminer quelle est l’essence de ses demandes.

[115]  En l’occurrence, certains éléments de la déclaration de Mme McCrea, voire de quelques autres demandeurs, pourraient être réglés dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Or, comme je l’aborderai dans les suivantes, le contrôle judiciaire ne serait pas une démarche valable pour régler les autres questions manifestement plus importantes de l’avis de la demanderesse. En somme, il ne s’agit pas d’une simple demande de prestations, bien que le refus de prestations soit un élément des dommages réclamés.

[116]  Comme mentionné dans Imperial Tobacco, la démarche à suivre doit être généreuse et s’inscrire dans l’optique de permettre « l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable ».

La conclusion de droit invoquée par la demanderesse n’est pas impossible à démontrer

[117]  La défenderesse soutient que les conclusions doivent être démontrées. Selon elle, la conclusion invoquée par la demanderesse voulant que la Loi fût mal interprétée et appliquée à titre de fondement de ses déclarations ne peut pas être démontrée. Conséquemment, toutes les causes d’action doivent être radiées.

[118]  Il s’agit d’une prétention générale visant à écarter la présente action, toutefois, je ne suis pas d’accord que la demanderesse a seulement plaidé une conclusion de droit. Par ailleurs, je ne suis également pas du même avis que les faits avancés, voulant que la Loi ait été mal interprétée et mal exécutée par négligence, ne peuvent pas être démontrés. La preuve est peut-être difficile à faire (et peut s’avérer impossible), mais elle n’est pas manifestement impossible. Les actes de procédures de la demanderesse quant à l’interprétation de la Loi ne sont pas purement spéculatifs ou fondés sur des hypothèses; certains éléments de preuve existent et peuvent étayer soit son interprétation ou celle de la défenderesse.

[119]  Dans Operation Dismantle, le juge Dickson a décrit le principe selon lequel les faits plaidés devraient être présumés véridiques au paragraphe 27 :

À mon avis, nous ne sommes pas tenus par le principe énoncé dans l’arrêt Inuit Tapirisat, précité, de considérer comme vraies les allégations des appelants concernant les conséquences éventuelles des essais du missile de croisière. La règle selon laquelle les faits matériels d’une déclaration doivent être considérés comme vrais, lorsqu’il s’agit de déterminer si elle révèle une cause raisonnable d’action, n’oblige pas à considérer comme vraies les allégations fondées sur des suppositions et des conjectures. La nature même d’une telle allégation, c’est qu’on ne peut en démontrer la véracité par la présentation de preuves. Il serait donc inapproprié d’accepter une telle allégation comme vraie. On ne fait pas violence à la règle lorsque des allégations, non susceptibles de preuve, ne sont pas considérées comme prouvées.

[120]  Dans Imperial Tobacco, précité, le juge en chef a cité le paragraphe 22 d’Operation Dismantle lorsqu’il a résumé que « les faits allégués sont vrais, sauf s’ils ne peuvent manifestement pas être prouvés ».

[121]  Contrairement à la prétention de la défenderesse voulant que le talon d’Achille des actes de procédures de la demanderesse soit qu’ils soient fondés sur une conclusion de droit ne pouvant être ni présumée véridique ni démontrée, je suis d’avis que, dans la mesure où les actes de procédures sont fondés sur une conclusion de droit, celle-ci pourrait être démontrée, exacte ou non. La conclusion d’un tel examen n’est pas certaine et ne peut pas être établie à ce stade de la procédure.

[122]  À mon sens, il n’est pas impossible de démontrer si la Loi visait à offrir des prestations de maladie avant, pendant ou après les prestations parentales ou de maternité, mais, à long terme, ce peut le devenir. Il pourrait y avoir des éléments de preuve étayant l’intention véritable du législateur dans la rédaction de la loi. Toutefois, certains de ceux-ci peuvent être des renseignements confidentiels du Cabinet.

[123]  Ainsi, une conclusion à ce stade-ci à ce chapitre reviendrait à conclure que la Loi n’était pas ambiguë et reflétait l’intention véritable du Parlement, comme le soutient la défenderesse, sans bénéficier d’un examen de la preuve à ce sujet. Bien entendu, celle-ci ne serait pas examinée à ce stade-ci. En effet, aucun élément de preuve n’est admissible dans le cadre de la présente requête.

[124]  L’arrêt Imperial Tobacco mentionne ce qui suit, au paragraphe 22 : « [i]l peut arriver que le demandeur ne soit pas en mesure de prouver les faits plaidés au moment de la requête. Il peut seulement espérer qu’il sera en mesure de les prouver. Il doit cependant les plaider. Les faits allégués sont le fondement solide en fonction duquel doit être évaluée la possibilité que la demande soit accueillie. S’ils ne sont pas allégués, l’exercice ne peut pas être exécuté adéquatement. »

[125]  Puis, au paragraphe 23 :

La question de savoir si la preuve corrobore ou corroborera les faits allégués n’a aucune pertinence quant à la requête en radiation. Le juge saisi de la requête en radiation ne peut pas anticiper ce que la preuve qui sera produite permettra d’établir. Si l’on exigeait cela du juge, la requête en radiation perdrait sa logique et deviendrait en fin de compte inutile.

[126]  Dans l’espèce, la demanderesse a plaidé des faits de façon suffisamment détaillée, y compris des faits découlant de son point de vue quant à l’interprétation voulue de la loi. La demanderesse est peut-être ne mesure de démontrer ces affirmations de faits et de droit au procès.

[127]  L’argument de la défenderesse voulant que l’interprétation de la Loi adoptée par la Commission soit exacte, car elle a été confirmée par le conseil arbitral et le juge-arbitre dans 99 % des décisions refusant les prestations de maladies n’est pas convaincant. La défenderesse reconnaît que les décisions du conseil arbitral et du juge-arbitre ne sont pas contraignantes, ce qu’elle fait particulièrement valoir en regard de la décision du juge-arbitre dans Rougas, laquelle concluait à son admissibilité aux prestations de maladies et par conséquent, infirmait le refus des prestations de maladie décidé par la Commission.

La loi n’est pas sans ambiguïté

[128]  La défenderesse avance que la prémisse des revendications de la demanderesse est que la Loi a été mal interprétée, ou de façon « illégale », n’a aucun fondement, car la loi ne comporte aucune ambiguïté et que la règle moderne d’interprétation des lois exige une exécution du libellé clair de la Loi, sans prévoir aucune place à la preuve extrinsèque en vue d’aider à interpréter la Loi ou la disposition en cause.

[129]  Toutefois, la défenderesse reconnaît que la règle moderne d’interprétation des lois exige de « lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Bell Expressvu, aux paragraphes 26 à 29; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, aux paragraphes 21 et 22, [1998] A.C.S. No 2).

[130]  Ainsi, le fait d’isoler l’alinéa 18b) plutôt que de le situer et de le rapprocher des dispositions régissant la période de prestation et l’admissibilité aux prestations revient à donner préséance à la règle du sens ordinaire au détriment d’une lecture harmonieuse et contextualisée de la loi.

[131]  L’alinéa 18b) peut sembler clair lorsqu’il est lu seul, toutefois, il devrait être lu en conjonction avec les dispositions connexes, soit les articles 10, 12 et 23 afin de déterminer si ces dispositions peuvent coexister.

[132]  Comme l’a mentionné la défenderesse, dans McCrea 2013, au paragraphe 55, j’ai conclu que les dispositions connexes de la Loi n’étaient pas sans ambiguïté :

[traduction]

Je ne suis pas de l’avis que la loi est sans ambiguïté. La Loi est longue et difficile à comprendre. Les dispositions sont interreliées et ne peuvent être lues isolément. Certaines semblent comporter des incohérences internes et il serait utile d’obtenir davantage d’explications quant au fonctionnement de celles-ci, que les dossiers portant sur l’intention du législateur soient admissibles ou non.

[133]  Bien que la défenderesse soutienne que les dispositions devraient être lues à travers la lunette de l’intention du législateur, laquelle est claire elle, elle avance de plus que le Hansard et les déclarations des parlementaires ne sont pas déterminantes pour l’intention législative.

[134]  À défaut d’avoir des éléments de preuve extrinsèques, il pourrait être impossible de cerner l’intention du législateur (c.-à-d. s’il était intentionnel ou non que les modifications de 2002 ne règlent pas la situation des prestataires tombant malades durant leur congé parental ou de maternité).

[135]  Comme je l’ai fait remarquer dans la décision en regard de la requête fondée sur l’article 220 dans McCrea 2013, aux paragraphes 56 et 57, le dossier de la demanderesse comprend une vaste gamme de documents, lesquels ont été préparés avant l’adoption des modifications de 2002, puis d’autres l’ont été ultérieurement, et dont certains sont rédigés à l’intention du grand public en langage simple, sans avoir pour objectif de guider l’interprétation de la loi. En somme, l’admissibilité de ceux-ci ainsi que de tout autre document, ainsi que la pondération à leur accorder, devrait être tranchée par le juge à l’audience sur le fond.

[136]  Les observations de la défenderesse voulant que les modifications de 2002 se limitent à aborder les conclusions dans McAllister-Windsor laissent entrevoir qu’elle aurait omis de tenir compte des autres combinaisons de prestations qui pourraient constituer la période de prestation prolongée.

[137]  La défenderesse a indiqué que les dispositions avaient été rédigées de façon claire et délibérée en réponse à la question de la Cour voulant que les modifications de 2002 semblent prolonger la période de prestations pour permettre la réclamation des trois prestations spéciales, tout en retirant la possibilité de prestations de maladie pour les prestataires du congé parental par l’application de l’article 18. En outre, la mention « [m]algré l’article 18 » a été ajoutée à toutes les autres prestations spéciales, sauf aux prestations de maladie durant le congé parental.

[138]  Par contre, je remarque que l’article 21, lequel fait référence aux prestations de maladies, est rédigé d’une tout autre façon que les autres dispositions accordant des prestations spéciales. L’article 21 n’accorde pas de prestations de maladie, il les limite. La seule référence aux prestations de maladie semble se trouver dans le paragraphe 12(3) lequel porte sur le nombre de semaines de prestations qu’un demandeur peut obtenir pour chaque prestation spéciale. L’argument de la défenderesse repose sur la maxime expressio unius est exclusio alterius, or il ne vient pas l’appuyer étant donné les différences considérables remarquées dans la façon dont les dispositions sont rédigées.

[139]  La défenderesse rejette simplement la possibilité que la nécessité de modifier l’alinéa 18b) ou d’ajouter l’expression « [m]algré l’article 18 » aux dispositions sur les prestations parentales permettant l’obtention de prestations de maladie eût été ignorée. Elle soutient que le maintien de l’alinéa 18b) tel quel en 2002 témoigne de l’intention du législateur de traiter les prestataires en congé parental tombant malades de façon différente à ceux qui serait placé dans les mêmes circonstances avant leur congé parental ou de maternité, ce qui n’est pas convaincant. Il ne fait nul doute que l’alinéa 18b) est nécessaire et doit s’appliquer de façon plus générale aux autres prestations; en outre, les prestataires de l’AE doivent être disponibles pour travailler. Ainsi, il s’agit de déterminer si d’autres précisions à cette disposition ont été ignorées lorsque les autres dispositions prolongeant les prestations ont été modifiées.

[140]  Je demeure de l’avis que les dispositions connexes régissant les prestations spéciales ainsi que le prolongement de la période de prestation doivent être lus ensemble. On ne peut pas affirmer que les dispositions de la Loi ne sont pas ambiguës. L’interprétation de la Loi sera déterminée par le juge à l’audience.

[141]  Je ne suis pas d’accord avec la défenderesse que les éléments de preuve extrinsèque ou les déclarations des parlementaires quant à la raison d’être des modifications de 2002 devraient être écartés comme étant dépourvu de valeur. Advenant que la preuve extrinsèque soit admise pour élargir la signification des dispositions pertinentes, de telles déclarations pourraient nous éclairer quant à l’intention du législateur. Une fois encore, l’admissibilité et la pondération de tout élément de preuve extrinsèque reviennent au juge à l’audience. Dans l’espèce, je ne suis pas convaincue par les arguments de la défenderesse voulant que la Loi soit claire et sans ambiguïté au point d’être déterminants pour l’action de la demanderesse.

[142]  J’ajouterai qu’à mon sens, la suite de dossiers Sollbach, cités par la défenderesse, n’appuie pas sa position voulant qu’il n’y ait ni iniquité ni discrimination dans le plafonnement des prestations dans les circonstances actuelles (c.-à-d. d’interdire le prolongement de la période de prestation à 65 semaines en vue de permettre 15 semaines de prestations de maladie). Sollbach, ainsi que les dossiers qui ont suivi, ont été tranchés avant ou peu après McAllister-Windsor et ne sont pas assimilables aux circonstances de la demanderesse ou des membres proposés du groupe. Dans Sollbach, la Cour d’appel a conclu, à l’époque, que le plafond fixé à 30 semaines n’était pas discriminatoire, indiquant au paragraphe 9 :

Nous concluons que la demanderesse n’a pas démontré que la législation en cause crée une discrimination à l’égard du groupe des femmes enceintes. Les femmes enceintes sont traitées exactement de la même façon que les hommes et les femmes en congé parental, et que les hommes et les femmes qui son atteints d’une incapacité. Tous sont soumis à la limite de 30 semaines de prestations.

[143]  Il n’est pas question de discrimination fondée sur le sexe ou la capacité dans l’espèce. Il est question de savoir si les demandeurs ont été traités différents selon le moment du dépôt de la demande de prestations de maladie; en outre, les demandeurs de prestations de maladie avant leur congé parental ou de maternité n’étaient pas soumis au plafond, tandis qu’il en était autrement pour les demandeurs en congé parental.

La demanderesse n’a pas plaidé la violation d’une loi

[144]  La défenderesse invoque Holland pour soutenir sa position voulant que les causes d’action équivaillent essentiellement à la violation d’une loi et doivent être radiées pour cette raison.

[145]  La Cour, dans Holland, devait trancher si la Cour d’appel de la Saskatchewan avait commis une erreur en radiant la cause d’action de la demanderesse au motif qu’il n’y avait aucune action possible contre une autorité publique pour conduite négligence outrepassant son mandat légal. La Cour suprême du Canada a caractérisé la déclaration de manquement à une obligation légale, et s’est dite d’accord qu’elle ne divulguait aucune cause d’action reconnue en droit. La Cour suprême du Canada a fait remarquer que la question de savoir si la naissance d’une nouvelle obligation de diligence nécessitait le recours au critère Anns et a approuvé la démarche suivie par la Cour d’appel menant à la conclusion que même si la proximité était établie, les considérations politiques résiduelles (dites l’effet paralysant et le risque d’une responsabilité indéterminée) allaient à l’encontre de la reconnaissance d’une nouvelle cause d’action.

[146]  Toutefois, la Cour a reconnu l’autre cause d’action de l’intimé, laquelle était l’omission par négligence d’exécuter une décision judiciaire. La Cour a souligné qu’une décision politique portant sur les actes à exécuter en vertu d’une loi ne donnerait pas naissance à cause d’action en négligence. Toutefois, une fois la décision d’agir prise, le gouvernement peut être tenu responsable s’il se montre négligent dans l’exécution de celle-ci. La Cour a conclu que l’exécution d’une décision judiciaire est un « acte opérationnel ». Ainsi, la Cour a conclu « [qu’il] n’est donc pas certain en l’espèce qu’une action pour négligence dans l’exécution d’une décision judiciaire soit vouée à l’échec » (Holland, paragraphe 16).

[147]  Dans l’espèce, la demanderesse estime qu’il y a eu négligence dans l’exécution de la Loi. Elle reconnaît que certains volets des modifications de 2002 ont été mis en œuvre, toutefois, elle soutient que sa situation ainsi que celles des autres personnes touchées de façon semblable démontrent que d’autres volets de celles-ci, nommément la disponibilité de prestations de maladies durant un congé parental, ne l’ont pas été. Si tel est le cas, alors la cause d’action n’est pas une violation de la Loi.

[148]  Ainsi, ayant conclu que la conclusion de droit n’est pas impossible à prouver, la théorie ou la prémisse de l’action de la demanderesse peut être décrite comme une exécution négligente de la Loi plutôt que comme une omission d’exécution ou une violation de celle-ci.

Négligence et déclarations inexactes par négligence

Observations de la demanderesse

[149]  La demanderesse soutient dans sa déclaration que la défenderesse avait une obligation de diligence et qu’elle a fait preuve de négligence en administrant le régime de l’AE, et plus particulièrement des modifications de 2002. La déclaration avance de plus qu’il était prévisible que ceci causerait des dommages aux membres du groupe; que les membres du groupe entretenaient un lien étroit avec la défenderesse en raison de leurs interactions antérieures quant à leurs prestations parentales et de maternité; que les défendeurs communiquaient directement avec les membres du groupe; et que les membres du groupe s’appuyaient sur la Commission.

[150]  Quant à la question de la négligence, la demanderesse soutient que la défenderesse a manqué à son obligation de diligence en omettant de [traduction] « s’assurer avec diligence raisonnable de la portée de son pouvoir législatif et de la mise en œuvre de son régime d’assurance-emploi ». La déclaration comprend des détails de la négligence, par exemple, que la défenderesse a encouragé une description de la Loi après mars 2002 qui [traduction] « omet sciemment et imprudemment sa propre connaissance de l’intention des modifications de 2002 »; que la formation des employés comprenait des observations inexactes quant aux modifications de 2002; que le site public avait été négligé et non tenu à jour et comprenait des énoncés inexacts et trompeurs; que la défenderesse a omis de mettre à jour le Guide de la détermination de l’admissibilité; et qu’elle a adopté une démarche agressive en refusant les demandes, puis en s’opposant aux appels interjetés à l’égard de celles-ci.

[151]  La déclaration mentionne que la demanderesse a subi des dommages.

[152]  Quant aux déclarations inexactes par négligence, la demanderesse soutient qu’elle, ainsi que les membres du groupe se sont appuyés, à leur détriment, sur les déclarations inexactes et négligentes des défendeurs.

[153]  La déclaration décrit le type de communications survenues avec chaque membre du groupe, y compris des observations verbales formulées lors de rencontres en personne (aux bureaux de Service Canada), par téléphone, dans des correspondances écrites, ainsi que dans les conseils écrits figurant dans les documents publics, dont le site d’information et le Guide.

[154]  La déclaration fait valoir que les déclarations inexactes des défendeurs étaient incohérentes et communiquaient un ou plusieurs messages : les membres du groupe n’étaient pas admissibles aux prestations de maladie, car ils n’avaient pas démontré qu’ils étaient disponibles au travail; les prestations prévues au paragraphe 10(13) pouvaient seulement être versées aux demandeurs de prestations de maladie avant ou après le congé de maternité; les prestations prévues au paragraphe 10(13) pouvaient seulement être versées avant ou après le congé parental ou de maternité; et les prestations de maladies pouvaient être obtenues en formulant une demande après le congé parental.

[155]  La demanderesse soutient que les défendeurs, en effectuant de telles déclarations incohérentes et inexactes, auraient dû raisonnablement prévoir que les membres du groupe s’appuieraient sur eux; par conséquent, ils avaient une obligation de diligence envers ceux-ci. Ils ont manqué à cette obligation en donnant ces conseils de façon [traduction] « négligente, imprudente ou volontaire et téméraire » étant donné leur expertise, leur connaissance et leur mandat.

[156]  La déclaration ajoute que les membres du groupe se sont appuyés sur ces déclarations à leur détriment, y compris en abandonnant leurs demandes et en présentant des demandes après leur congé parental, lesquelles ont été refusées légalement (par exemple, pour cause de manque d’heures assurables à ce stade), et ont ainsi subi des dommages.

[157]  La demanderesse souligne que les éléments du critère de négligence sont les mêmes qu’en regard des déclarations inexactes par négligence, sauf qu’on y ajoute l’exigence de la confiance raisonnable (Cooper c Hobart, 2001 CSC 79, au paragraphe 36, [2001] 3 RCS 537 [Cooper]; Manufacturers Life Insurance Co c Pitblado & Hoskin, 2009 MBCA 83, aux paragraphes 74 à 81, 2009 MJ No 304 (CA)).

[158]  La demanderesse soutient que ses actes de procédures décrivent en détail l’obligation de diligence due par les défendeurs envers les membres du groupe quant à l’administration de la LAE; qu’ils ne sont pas acquittés de leur obligation; et que leur manquement a causé des pertes indemnisables considérables aux membres du groupe (Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129.

[159]  La demanderesse soutient qu’il y a eu un défaut systématique de mettre en œuvre pleinement les modifications de 2002, à commencer par la formation du personnel et la rédaction des documents à l’intention du public, y compris des sites internet et des guides, lesquels orientaient les représentants de la défenderesse et avaient une incidence sur les renseignements qu’ils transmettaient aux demandeurs ainsi que sur le traitement des demandes.

[160]  La demanderesse présente la question de façon plus générale comme étant [traduction] « à savoir si les défendeurs avaient l’obligation de suivre des normes de diligence non négligente dans la façon dont ils ont exécuté les modifications de 2002, y compris dans la façon dont ils ont présenté celles-ci directement aux membres du groupe, dont ils s’adressaient aux membres du groupe lorsqu’ils leur demandaient s’ils avaient songé à demander une conversion; et dont ils mettaient autrement en œuvre les modifications de 2002 par la voie des processus de demande et d’appel qu’ils administraient ».

[161]  La demanderesse soutient que l’obligation de diligence de la défenderesse a déjà été reconnue et, conséquemment, qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle déclaration, et qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse de cette obligation (Granger c Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), 1986 3 CF 70, au paragraphe 36 (FCA), confirmée dans 1989 1 RCS 141 [Granger]; Yaholnitsky c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration), 1993 FCJ No 639, au paragraphe 15, 65 FTR 83; Goddard c Canada, 2001 FCJ No 1708, aux paragraphes 9 et 10, 2001 FCT 1248; Luo c Procureur général (Canada) (1997), 33 OR (3d) 300 (Div Ct) at p 17-19, [1997] OJ No 1581 [Luo]).

[162]  Subsidiairement, advenant que la Cour détermine qu’il s’agit d’une nouvelle déclaration, la demanderesse estime que l’analyse de l’obligation de diligence mènera au même résultat; les éléments portant sur le caractère prévisible et la proximité du critère étant établis. Le caractère prévisible du préjudice serait évident; si la défenderesse transmet des renseignements inexacts ou refuse des demandes de façon négligente, les demandeurs subiraient le préjudice découlant de l’absence des prestations qu’ils auraient dû recevoir. La défenderesse aurait dû prévoir raisonnablement que les membres du groupe subiraient des préjudices des suites de ses actions. La relation entre la demanderesse et la défenderesse était étroite et directe.

[163]  Il y a eu de nombreuses interactions et communications personnelles entre les membres du groupe et les défendeurs. Les demandeurs étaient déjà dans le système d’AE, car ils avaient dit admissibles à des prestations parentales ou de maternité. La Commission avait des obligations envers les demandeurs, lesquelles sont décrites sur les formulaires qu’ils ont soumis, y compris le droit de recevoir des renseignements exacts et un service rapide. Le propre Guide sur l’AE de la défenderesse indiquait que la Commission était l’autorité de référence quant à la signification de la Loi; or, il n’était pas à jour. La demanderesse fait également valoir que le site internet de la défenderesse, malgré qu’il soit présenté comme la source faisant autorité, n’était ni à jour ni exacte sur de nombreux points.

[164]  Les membres du groupe interagissaient avec la Commission soit en personne, soit par téléphone. Selon les renseignements fournis par la Commission, les membres du groupe décidaient de soumettre une demande de conversation de leurs prestations parentales en prestations de maladie, ou non, ou étaient dissuadés de le faire.

[165]  La demanderesse fait remarquer que d’autres éléments viennent également étayer la proximité, y compris la raison d’être générale de la Loi et la vulnérabilité des demandeurs qui sont sans emploi et malades. Certains demandeurs ne pouvaient simplement pas interjeter appel, car ils devaient assurer les soins d’un enfant tout en étant malades. La demanderesse soutient qu’il était raisonnable qu’ils s’appuient ainsi sur la source indiquée comme faisant autorité, soit la Commission.

[166]  La demanderesse soutient que la législation elle-même appuie sa prétention selon laquelle il y avait une obligation de diligence. En outre, le programme d’AE est assimilable à une assurance. Les travailleurs paient des primes et le fonds est financé exclusivement par ces primes, sans aucune contribution du gouvernement. De plus, le régime législatif (comprenant la LAE et la loi créant le ministère et la Commission) ne nie pas l’existence de l’obligation découlant de ces interactions, voire confirme plutôt l’obligation d’administrer adéquatement la LAE au bénéfice des demandeurs. La demanderesse souligne les dispositions législatives imposant des obligations strictes à la Commission de verser des prestations aux demandeurs admissibles. De nombreuses lois protègent les autorités publiques contre les poursuites en négligence avec des dispositions précisant qu’aucune obligation de diligence n’est due (Edwards c Law Society of Upper Canada, 2001 CSC 80, aux paragraphes 16 et 17, [2001] 3 RCS 562, ce n’est pas le cas dans l’espèce, car aucune des lois protègent les défendeurs avec de telles dispositions. La demanderesse fait remarquer que le Tribunal sur la sécurité sociale, en contrepartie, est protégé par une telle disposition (Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34, art. 50).

[167]  La demanderesse soutient que la défenderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer qu’il est évident et manifeste que l’obligation de diligence est contrebalancée par des raisons politiques convaincantes et non spéculatives. Il n’y a aucune possibilité valable de conséquences négatives.

[168]  La demanderesse conteste la prétention de la défenderesse voulant que toute obligation de diligence entre en conflit avec son mandat législatif. La Loi a pour objectif de verser des prestations aux demandeurs admissibles. Tous les travailleurs qui paient des primes devraient avoir le même intérêt à recevoir des renseignements exacts et un service non négligent de la part de la défenderesse, à l’instar de tous les membres du public (Hill, aux paragraphes 36 à 41).

[169]  Contrairement à la prétention de la défenderesse voulant qu’une conclusion quant à l’existence d’une obligation de diligence ait un effet paralysant sur les agents et le personnel de la Commission, ceux-ci sont incités à suivre la Loi ainsi que la politique établie. Ils ont pour rôle de bien trancher les demandes. La demanderesse ajoute qu’il s’agirait d’un changement positif si, à l’instar de Hill, l’imposition d’une obligation rendait la défenderesse plus prudente.

[170]  La demanderesse conteste également l’argument de la défenderesse voulant que l’autorisation ouvre la vanne et mènerait à une responsabilité indéterminée. En l’occurrence, le groupe proposé comprend seulement les gens qui figuraient dans le système d’AE et à qui on a refusé des prestations de maladie alors qu’ils étaient en congé parental ainsi que ceux qui ont reçu de mauvais renseignements et agis en conséquence alors que les agents et les représentants de la Commission de l’AE savaient qu’ils leur feraient confiance. Les allégations de négligence et de déclarations inexactes par négligence découlent de ces interactions directes avec des gens connus.

[171]  La demanderesse ajoute que l’existence d’un mécanisme d’appel prévu dans la loi ne vient pas endiguer l’obligation de diligence. En outre, un appel ainsi prévu par la loi ne constituerait pas un recours approprié, car le conseil arbitral et les juges-arbitres ne peuvent pas trancher les questions de droit (Tétreault-Gadoury c Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 RCS 22, [1991] A.C.S. No 41 [Tétreault-Gadoury]). De plus, l’expérience des demandeurs démontre que ce processus d’appel était futile. La défenderesse s’opposait vigoureusement aux appels, les demandeurs se représentaient seuls, la Commission contrôlait tous les documents remis au conseil arbitral ou au juge-arbitre et ses représentants n’ont jamais mentionné les modifications de 2002. La demanderesse fait valoir qu’il n’y avait aucun processus d’appel pour ceux qui ont été dissuadés de déposer une demande.

[172]  De plus, les membres du groupe n’ont pas à épuiser leurs droits d’appel et de contrôle judiciaire avant d’invoquer la négligence. La seule présence d’une cause d’action raisonnable suffit pour permettre à la demande en dommages de procéder, et ce, qu’importe la présence d’une question législative pouvant être traitée par des mécanismes administratifs et de contrôle judiciaire (Telezone, aux paragraphes 63, 64, et 76)

[173]  La demanderesse fait remarquer que ce principe s’applique également aux actions de la Cour fédérale (Manuge 2010, aux paragraphes 17 à 24; Parrish; Nu-Pharm). La demanderesse souligne que la Cour suprême du Canada, dans Manuge 2010, a maintenu l’autorisation, car l’intimé a plaidé des causes d’action raisonnables, et ce, malgré la présence de plusieurs questions d’interprétation des lois qui auraient pu être abordées en contrôle judiciaire.

[174]  La demanderesse soutient également que les déclarations ne sont pas précluses au motif qu’elles sont chose jugée. Les déclarations sont fondées sur une mise en œuvre négligente de la Loi. Comme mentionné, la demanderesse souligne que le processus d’appel de l’AE, soit les conseils arbitraux et le juge-arbitre, n’ont pas la compétence pour trancher les questions de droit soulevées dans la déclaration (Tétreault-Gadoury).

[175]   La demanderesse que toute question quant à l’application de délais de prescription devrait être abordée après l’autorisation, particulièrement car aucune défense n’a été produite. La demanderesse ajoute que la seule prescription applicable serait celle de six ans entre deux lois fédérales (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, art. 39; Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, art. 32).

Observations de la défenderesse

[176]  La défenderesse soutient qu’il est évident et manifeste qu’il n’y a aucune cause d’action pour négligence ou déclarations inexactes par négligence.

[177]  Elle souligne que toutes les causes d’action de la demanderesse reposent sur l’illégalité des actions de la Commission. Par exemple, la demanderesse mentionne [traduction] : « des efforts délibérés »;

« une mauvaise application de la loi », des « déclarations inexactes par négligence » et « le refus inapproprié de prestations ». La demanderesse ne peut pas prouver cette illégalité et ne peut pas s’appuyer sur la présomption voulant que les faits plaidés soient véridiques; par conséquent, toutes les causes d’action doivent échouer.

[178]  La défenderesse conteste qu’il existe une relation établie comprenant une obligation de diligence. L’application du critère en deux étapes démontre qu’il n’y a aucune proximité et que des raisons politiques empêcheraient l’imposition d’une obligation de diligence dans cette situation.

[179]  Il faut d’abord analyser la loi (Syl Apps Secure Treatment Centre c BD, 2007 CSC 38, aux paragraphes 27 et 32, [2007] 3 RCS 8, [Syl Apps]). Ni la LAE ni la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social ne créent une relation de proximité entre la demanderesse et la Commission.

[180]  La Commission a pour obligation légale de déterminer l’admissibilité à des prestations. Il s’agit d’une obligation en regard du public. La Loi décrit les trois rôles de la Commission, soit celui de fournisseur de renseignements, de décideur et d’adversaire (advenant un appel). Il existe ainsi un conflit inhérent, la Commission ne peut pas avoir une obligation envers la demanderesse étant donné qu’elle devra également déterminer son admissibilité à des prestations et s’opposer à tout appel qu’interjettera la demanderesse. La défenderesse soutient, s’appuyant sur Syl Apps et Khalil c Canada, 2007 CF 923, [2007] FCJ No 1221 [Khalil], qu’aucune obligation de droit privé ne peut exister lorsqu’un tel conflit pourrait survenir.

[181]  Les contacts allégués par la demanderesse ne sont pas suffisants pour établir une relation étroite et directe entre elle et la Commission pour établir la proximité requise.

[182]  Quant aux considérations politiques résiduelles, la défenderesse argumente en premier lieu que l’imposition d’une obligation de diligence envers les demandeurs de l’AE serait incompatible aux régimes établis par la LAE et la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Syl Apps et Khali,l aux paragraphes 193 à 208).

[183]  En deuxième lieu, il y a un risque de créer une responsabilité illimitée en regard d’un groupe indéterminé. En outre, les préoccupations de la demanderesse reposant sur l’interprétation et l’exécution par la Commission de certaines dispositions de la Loi, on pourrait extrapoler que la Commission a une obligation de diligence envers chaque demandeur dont la demande a d’abord été refusée, même si les demandeurs ont accès à des recours administratifs pour contester la décision.

[184]  En troisième lieu, la défenderesse soutient que l’imposition d’une obligation de diligence aurait un effet paralysant sur les employés de première ligne de la Commission, car ils seraenit réticents à aider les demandeurs au téléphone, en personne ou par l’entremise de leur site web de crainte d’être tenus responsables des renseignements donnés.

[185]  La défenderesse remarque que le témoignage du témoin de la demanderesse, M. Gordon McPhee, indique que le personnel de première ligne fait toujours de son mieux et encourage, plus souvent que le contraire, les demandeurs à déposer leur demande. L’imposition d’une obligation viendrait mettre fin à ces efforts.

[186]  La défenderesse avance de plus que la demanderesse n’a pas plaidé les autres éléments nécessaires à son action pour déclarations inexactes par négligence : c.-à-d. une déclaration fausse, inexacte ou trompeuse; que la Commission aurait agi avec négligence en effectuant ladite déclaration; que la demanderesse s’est raisonnablement appuyée sur celle-ci à son détriment; et qu’elle a subi une certaine perte financière.

[187]  La défenderesse ajoute que la demanderesse n’a pas établi l’existence d’un « lien spécial » entre elle et la Commission, ce qui exige une confiance raisonnablement prévisible et raisonnable dans les circonstances (Queen c Cognos Inc, [1993] 1 RCS 87, au paragraphe 33, [1993] A.C.S. No 3 [Cognos]).

[188]  La défenderesse soutient que la déclaration ne comprend pas de faits matériels permettant de démontrer que toutes les personnes ayant sollicité des renseignements se soient appuyées sur les déclarations dites inexactes; aient été dissuadées de demander la conversion de leurs prestations; et aient subi une perte. La défenderesse prétend que les circonstances de Mme McCrea la place dans le groupe 2 et soutient que de toute façon, Mme McCrea n’a subi aucun préjudice.

Il n’est ni évident ni manifeste que la cause d’action en négligence n’a aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause

[189]  La question principale porte à savoir s’il est évident et manifeste que les actes de procédures ne divulguent aucune cause d’action en négligence raisonnable, c.-à-d. que la déclaration n’a aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause ou est assurée d’échouer.

[190]  Comme mentionné dans Imperial Tobacco, au paragraphe 21, le recours à la requête ne radiation doit se faire avec prudence, et « [l’]approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable ». L’essentiel de l’évaluation porte sur les actes de procédures (paragraphe 23).

[191]  Je suis d’accord avec la défenderesse qu’une partie de la jurisprudence avancée par la demanderesse n’est pas convaincante pour établir qu’une obligation de diligence a déjà été reconnue de la part de la défenderesse. Par exemple, dans Granger, au paragraphe 10, la Cour a conclu que les juges-arbitres devaient appliquer la loi et n’avaient aucunement le pouvoir discrétionnaire d’agir autrement. La Cour n’a pas entrepris une analyse de l’obligation de diligence. De plus, l’énoncé cité par la demanderesse semble être en obiter.

[192]  Toutefois, la demanderesse s’appuie également sur Luo, décision dans laquelle la Cour divisionnaire de l’Ontario a conclu que la Commission de l’AE avait une obligation de diligence envers le demandeur et que les faits plaidés divulguaient des déclarations inexactes par négligence de la part de la Commission envers la demanderesse. La Cour a établi plusieurs facteurs étayant l’existence d’une obligation de diligence, y compris l’importance des prestations, la vulnérabilité de l’intimé ainsi que ses interactions directes avec la Commission.

[193]  Bien que la défenderesse soutienne que Luo ne peut pas être utilisé pour établir l’existence d’une obligation de diligence et devrait être distingué de l’espèce, car les règles de plaidoirie à la Cour des petites créances (la cour de première instance) sont plus détendues, cet élément n’a aucune incidence sur l’analyse par la Cour divisionnaire des facteurs appuyant l’existence de cette obligation; bon nombre de ceux-ci étant d’ailleurs réunis dans l’espèce. La Cour divisionnaire a fait remarquer que bien que la demanderesse ait plaidé la négligence et non les déclarations inexactes par négligence, les faits évoqués appuyaient une demande en déclaration inexacte par négligence. La Cour a soupesé différents facteurs dans sa conclusion quant à l’existence d’une obligation de diligence, y compris le fait que le demandeur était sans emploi, donc que l’aide financière était d’une très grande importance. En somme, il ne s’agissait pas d’une [traduction] « simple demande de renseignements de routine auprès d’un fonctionnaire du gouvernement », il était vulnérable et avait formulé de nombreuses demandes.

[194]  L’analyse du « lien spécial » est assimilable à celle du critère de la proximité. Par conséquent, même si Luo n’aurait pas dû être utilisé pour conclure que l’obligation de diligence avait déjà été reconnue, les facteurs relevés par la Cour sont pertinents à l’application du critère en deux volets aux circonstances de l’espèce.

[195]  La Cour doit déterminer s’il existe une obligation de diligence relevant du droit privé en appliquant le critère énoncé dans Anns c Merton, puis adopté dans Cooper (souvent dit le critère Anns/Cooper), lequel a été constamment appliqué par la Cour suprême, y compris le plus récemment dans Imperial Tobacco. (Anns c Merton London Borough Council, 1978 CanLII 745 (AB QB), [1978] AC 728; Cooper)

[196]  Les deux étapes du critère sont décrites dans Imperial Tobacco au paragraphe 39 :

À la première étape de ce critère, il faut se demander si les faits révèlent l’existence d’un lien de proximité dans le cadre duquel l’omission de faire preuve de diligence raisonnable peut, de façon prévisible, causer une perte ou un préjudice au plaignant. Si cette condition est remplie, il y a obligation de diligence prima facie et l’analyse passe à l’étape suivante dans laquelle on se demande si des considérations de politique générale empêcheraient de reconnaître cette obligation de diligence prima facie : Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129.

[197]  La première étape du critère consiste à déterminer s’il existe un degré suffisant de proximité et de prévisibilité pour établir une obligation de diligence prima facie. La deuxième étape porte sur la question de savoir si ladite obligation est écartée par des considérations de politique générale. Dans Syl Apps, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que les considérations de politique entrent en jeu aux deux étapes. À l’étape de la proximité, les considérations de politique portent sur la relation particulière qui existe entre la demanderesse et la défenderesse. À la deuxième étape, les considérations de politique comprennent un examen de l’effet de la reconnaissance d’une obligation de diligence sur les autres obligations légales, le système juridique et la société de façon plus générale.

[198]  Dans Hill, la Cour suprême a formulé des observations sur la proximité, remarquant au paragraphe 24 que les facteurs portant sur la proximité sont variés; « [e]n général, la détermination d’un rapport de proximité suppose l’examen de la relation en cause au regard, par exemple, des attentes, des déclarations, de la confiance, des biens en cause et des autres intérêts en jeu : Cooper, paragraphe 34. À relations différentes, considérations différentes ».

[199]  Quant au conflit éventuel écartant l’obligation de diligence à l’étape de la proximité, la Cour a tenu les propos suivants au paragraphe 40 :

[...] Deuxièmement, suivant le critère énoncé dans l’arrêt Cooper et les décisions qui ont suivi, l’existence d’un conflit réel ou possible n’écarte pas en soi l’obligation de diligence prima facie. Le conflit doit opposer la nouvelle obligation proposée à celle existant à l’égard « des intérêts supérieurs du public » et présenter un risque réel de conséquences négatives sur le plan des politiques.

[200]  La Cour a réitéré, au paragraphe 43 : « [...] L’obligation de diligence prima facie n’est écartée que lorsque le conflit, ainsi que les autres considérations de politique générale applicables, présente un risque réel de conséquences négatives sur le plan des politiques ».

[201]  Je suis d’accord, à la lumière de ces principes, que la demanderesse et les membres du groupe avaient un lien avec la Commission. Ils étaient tous « dans le système d’AE » étant donné qu’ils avaient formulé des demandes et reçu des prestations parentales et de maternité. La demanderesse et les membres du groupe avaient des échanges continus avec la Commission dans le cadre de leur demande ainsi que des interactions précises avec le personnel de la Commission afin de s’enquérir sur la conversion de leurs prestations en prestations de maladie et de formuler une demande, le cas échéant. Tout en gardant à l’esprit les considérations relevées dans Hill, les demandeurs s’attendaient à recevoir des renseignements exacts et de recevoir toutes les prestations auxquelles ils pourraient avoir droit.

[202]  Comme l’a souligné la demanderesse, à l’étape de la proximité et des attentes, lorsque la déclaration porte sur les interactions d’une autorité publique avec un groupe, bien que celles-ci reposent sur une loi, « il peut être difficile de rejeter une action à ce stade », comme mentionné au paragraphe 47 d’Imperial Tobacco :

[...] dans les cas où on affirme que le lien étroit repose sur un acte et des rapports précis, il peut être difficile de rejeter une action à ce stade. Tant qu’il est raisonnablement possible que les rapports allégués, s’ils sont vrais, amènent à conclure à l’existence d’un lien suffisamment étroit, et que la loi n’exclue pas clairement cette possibilité, il faut permettre que l’affaire soit instruite, sous réserve de l’existence de quelque considération de politique générale susceptible d’écarter l’obligation de diligence prima facie à la deuxième étape de l’analyse.

[203]  Les actes de plaidoiries divulguent des interactions et des contacts entre la demanderesse et la défenderesse qui, s’ils sont présumés véridiques, divulgue l’existence d’un lien étroit. Il était prévisible que la demanderesse subirait un préjudice si la défenderesse omettait de faire preuve de diligence raisonnable en interprétation et en administration la Loi et en traitant les demandes, et agissait de façon négligente, comme alléguée.

[204]  J’ai examiné les considérations de politique générale soulevées par la défenderesse afin de déterminer si c’est considérations ou des répercussions éventuelles pouvaient écarter la relation de proximité particulière existant entre la demanderesse et la défenderesse, ainsi qu’à savoir si des considérations politiques résiduelles devraient écarter toute obligation de diligence. J’ai conclu que la défenderesse n’a pas établi qu’il était évident et manifeste que l’obligation de diligence était écartée.

[205]  La défenderesse soutient qu’il existe un conflit inhérent écartant la proximité; en outre, la Commission ne peut pas avoir d’obligation envers la demanderesse tout en agissant en arbitre de première instance en regard de son admissibilité aux prestations et en adversaire lors de procédures d’appel ultérieures. La défenderesse avance que si on devait conclure à l’existence d’une obligation de diligence, la Commission n’aurait pas d’autre choix que d’approuver toutes les demandes pour éviter le conflit. Or, cette théorie ignore l’obligation de donner des prestations aux demandeurs admissibles. La question sous-jacente à cette action porte sur l’interprétation de la Loi ainsi qu’à savoir si la demanderesse et les membres du groupe avaient droit à des prestations. La demanderesse ne soutient pas que tous les demandeurs devraient recevoir des prestations.

[206]  Je ne partage pas le point de vue voulant qu’il existe un conflit, car la Commission pourrait, en refusant des prestations, être forcée de se défendre contre l’obligation de diligence. On retrouve cette situation dans de nombreux autres contextes; la partie ayant présumément manqué à son obligation de diligence doit se défendre contre de telles allégations. Toutefois, il n’y aurait aucun recours contre un tel manquement. La défenderesse fait référence à la démarche actuelle des mécanismes d’appel prévus par la LAE, situation dans laquelle Commission défend ses propres décisions, un processus qui pourrait s’avérer uniquement. Toutefois, ce processus ne peut pas aborder les causes d’action invoquées par la demanderesse, y compris la négligence.

[207]  La défenderesse soutient également que les considérations politiques résiduelles écartent l’obligation de diligence, notamment l’incompatibilité au régime législatif; le potentiel de responsabilité illimitée; et l’effet paralysant éventuel sur la Commission dans l’offre de renseignements et de services.

[208]  Quant au régime législatif, contrairement à d’autres lois, la LAE ne comprend aucun énoncé d’intention ou de principes permettant de conclure à l’existence d’obligations conflictuelles. La demanderesse avance que la Loi a pour objectif de verser des prestations aux demandeurs admissibles. C’est peut-être l’une de ses raisons d’être, mais la portée de la Loi laisse entendre qu’il pourrait y en avoir d’autres. Toutefois, rien dans la Loi ne suggère l’existence d’un conflit clair avec l’existence d’une obligation de diligence. De plus, la Loi ne prévoit aucune disposition pour protéger la Commission contre les poursuites en négligence.

[209]  Quant aux mécanismes d’appel prévus dans la Loi, la demanderesse fait valoir toute leur futilité dans le règlement des demandes de l’espèce en raison de son manque de compétence et de ses antécédents lamentables en regard des demandeurs devant le conseil arbitral ou le juge-arbitre, étant donné le manque de présentation d’un dossier complet quant à la Loi et aux liens entre ses dispositions.

[210]  Quant à la perspective d’une responsabilité illimitée, je suis d’accord avec la demanderesse que la responsabilité n’est pas sans fin en regard à tous les demandeurs de prestations. Les demandeurs de l’espèce se limitent à ceux qui figuraient déjà dans le système d’AE, qui sont tombés malades, et qui ont demandé des renseignements quant aux prestations de maladies et ont, soit abandonné leur demande, ou demandé des prestations de maladies, sans succès.

[211]  L’observation de la défenderesse quant à un éventuel effet paralysant, signifiant que l’imposition d’une obligation de diligence mènerait à la fin de l’offre de renseignements publics et de communications avec les demandeurs de la Commission et de Service Canada en vue d’éviter une responsabilité éventuelle pour manquement à cette obligation, est particulièrement troublante. La Commission et Service Canada sont guidés par des normes de service. Les devises indiquées sur leurs sites internet et leurs documents sont « Au service des Canadiens » et « Au service des gens »; le nom même de l’organisation sur laquelle s’appuient de nombreux Canadiens pour un vaste éventail de programmes est « Service Canada ». Ceci laisse entendre qu’il s’agit davantage que de la « propagande » ou d’une publicité, quoi qu’en dise la défenderesse. Tout effet paralysant, le cas échéant, n’irait pas jusqu’à empêcher la Commission de s’acquitter de ses obligations ou d’être à la hauteur de son nom. Le témoin la demanderesse, M. McPhee a indiqué que le personnel de la Commission et de Service Canada est dévoué et travaillant.

[212]  La défenderesse cite Syl Apps et Khalil en guise d’exemples où la Cour a conclu que les considérations politiques écartaient l’obligation de diligence, particulièrement la possibilité d’un conflit. J’ai examiné ces décisions attentivement, et bien que les principes puissent servir de guide, les circonstances ne sont pas semblables.

[213]  Dans Syl Apps, la Cour a tenu les propos suivants au paragraphe 28 : « [u]n conflit entre l’obligation de diligence revendiquée et une obligation primordiale de nature publique ou imposée par la loi peut constituer une raison de principe impérieuse pour refuser de conclure à la proximité (Cooper, paragraphe 44; Edwards, paragraphe 6). Un tel conflit existe lorsque l’obligation de diligence proposée empêcherait le défendeur de bien s’acquitter de ses obligations légales ».

[214]  Dans Syl Apps, il avait été établi que l’enfant avait besoin d’être protégé, puis il avait été placé en centre de traitement, puis éventuellement fait pupille de la Couronne. La famille a intenté un recours en négligence contre l’établissement de traitement et le travailleur social. La Cour suprême du Canada a accueilli l’appel renversant la requête en radiation de la cause d’action. La Cour a examiné l’obligation de diligence et a conclu à l’existence d’un conflit entre l’obligation due à l’enfant, laquelle était fermement établie dans la loi pertinente et plaçait résolument son intérêt supérieur avant tout, et celle due aux parents qui espéraient le retour de leur enfant.

[215]  Ainsi, bien que les principes appliqués dans Syl Apps soient pertinents, les faits et les circonstances sont différents. Dans Syl Apps, le conflit plutôt manifeste : l’intérêt supérieur de l’enfant était prépondérant. L’enfant ne serait pas gardé à l’établissement de soins si les parents pouvaient assurer son intérêt supérieur et répondre à ses besoins particuliers. Dans l’espèce, la Loi n’avance aucun énoncé d’intention permettant d’aider à cerner les priorités de la Commission. Il semblerait que l’un des objectifs de la Loi est de verser des prestations aux demandeurs admissibles, et non de refuser des prestations lorsque le demandeur est admissible ou y a droit. Dans l’espèce, les demandeurs sont les membres du même public que la Loi vise à servir. Il n’y a aucun conflit évident.

[216]  J’ai également examiné Khalil dans laquelle la Cour a analysé la question du caractère prévisible du préjudice dans le contexte d’allégations de retard dans le traitement d’une demande de statut de résident permanent conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27. La Cour s’est penchée sur l’intention de la Loi et a conclu à l’absence de la proximité. La Cour a également conclu que des considérations publiques résiduelles écarteraient toute obligation, car, entre autres, l’intimé n’avait pas épuisé les recours prévus par la loi qui auraient pu être efficaces pour s’assurer que les demandes soient traitées en temps opportun. De plus, l’obligation d’éviter tout retard créait un risque de responsabilité illimitée. La Cour a appliqué les principes de la jurisprudence, y compris Syl Apps.

[217]  Comme le fait remarquer la défenderesse, la loi applicable est le point de départ et chaque cas dépend de ses faits et de la loi applicable. Les principes suivis dans Syl Apps et dans Kahlil ne me portent pas à conclure, dans l’espèce, qu’il est évident et manifeste que des considérations politiques écartent la conclusion de proximité ou que des considérations politiques résiduelles empêcheraient la Commission à s’acquitter de ses obligations légales. Comme mentionné, on ne retrouve pas, dans l’espèce, le même type de conflit clair qu’on observe dans Syl Apps; le recours prévu par la loi qui aurait pu être efficace dans Khalil ne s’est pas avéré utile dans le cas de la demanderesse et des membres du groupe proposé.

La déclaration de la demanderesse pour déclarations inexactes par négligence n’a aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause

[218]  Afin d’établir le fond d’une action pour déclarations inexactes par négligence, la demanderesse doit démontrer l’existence d’un lien spécial entre elle et la Commission comprenant une confiance raisonnablement prévisible et raisonnable (Cognos). Il faut ainsi satisfaire à la première étape du critère Anns/Cooper. Comme mentionné précédemment, j’ai conclu à l’existence de la proximité et j’ai déterminé qu’il n’était ni évident ni manifeste qu’il n’y avait aucune obligation de diligence.

[219]  Les allégations de déclarations inexactes par négligence portent seulement sur les membres du groupe 2 du groupe ayant eu des interactions et des échanges directs avec la Commission en vue d’obtenir des renseignements ou ayant pu consulter le site internet et les documents publics et s’étant appuyés sur ceux-ci pour ne pas formuler de demande. Les actes de procédures avancent également que certaines demandes ayant été présentées après la fin du congé parental, en raison de renseignements inexacts, ont également été refusées. Toutefois, la demanderesse, Mme McCrea, et les autres qui ont formulé ces demandes, sans succès, ne sont pas appuyés sur des déclarations inexactes par négligence.

[220]  La défenderesse soutient que la demanderesse n’a pas plaidé tous les éléments nécessaires à l’allégation de déclaration inexacte par négligence et qu’elle n’a pas souligné de faits matériels permettant de démontrer que quiconque s’était renseigné, s’était appuyé sur les déclarations inexactes, avait été dissuadé de présenter une demande et avait subi un préjudice. La défenderesse continue de s’appuyer sur l’argument quelque peu circulaire voulant qu’il n’y ait eu aucune déclaration inexacte, car la Commission a bien interprété la Loi et appliqué l’alinéa 18b). Or, ceci reste contesté et forme le nœud de la présente action. Comme mentionné précédemment, je ne peux pas me prononcer à savoir si la Loi a été bien interprétée et appliquée; cette question devra être tranchée par le juge à l’audience si le recours collectif est autorisé.

[221]  La demanderesse a plaidé la plupart des éléments nécessaires à une action pour déclaration inexacte par négligence, lesquels sont, de façon générale, assimilables aux éléments de la négligence. La demanderesse avance que tant les déclarations verbales de personnes identifiables ou précises et les déclarations écrites provenant, entre autres, des documents publics, du site internet et du Guide, étaient inexactes. Toutefois, les actes de procédures font seulement référence de façon générale à la façon dont les membres du groupe se sont appuyés sur ces déclarations, sans relater l’expérience personnelle de quiconque.

[222]  En outre, que Mme McCrea ait reçu des renseignements inexacts, nommément qu’elle pouvait convertir ses prestations en prestations de maladie, ce qui s’est avéré inexact, n’est pas suffisant pour fonder l’action pour déclarations inexactes par négligence. Ceci vient plutôt étayer sa position voulant que les agents de la Commission ou de Service Canada communiquaient des renseignements différents aux demandeurs éventuels malgré des questions et des circonstances semblables. La demanderesse soutient le contraire, c’est-à-dire que les membres du groupe 2 ont été informés qu’ils ne pouvaient pas convertir leurs prestations en prestations de maladie, conséquemment, ils ne l’auraient pas fait. Aucune personne n’a été identifiée comme ayant reçu de tels conseils et ayant agi à son détriment.

[223]  La demanderesse elle-même n’a pas été dissuadée de présenter une demande; elle et Mme Kasbohm ont toutes deux été informées qu’elles pourraient convertir leurs prestations, puis elles ont présenté des demandes qui ont été refusées par la suite.

[224]  Il peut sembler logique que si les demandes ont été refusées en raison d’une interprétation et d’une application négligence de la Loi, certains ont probablement été dissuadés de présenter leur demande en raison de ce même défaut d’application. Toutefois, la faille dans les actes de procédures porte sur le fait qu’aucune personne n’a été identifiée comme figurant dans cette catégorie.

[225]  Je suis d’accord avec la défenderesse que les actes de procédures ne comprennent pas de faits matériels démontrant que la moindre personne précise eu entendu des déclarations inexactes par négligence (c.-à-d. des conseils indiquant qu’elle ne peut pas demander la conversation de ses prestations), se soit appuyé sur ces renseignements, n’ait pas formulé de demande et ait subi une perte.

[226]  Par contre, je ne suis pas d’accord avec la défenderesse que la demanderesse, Mme McCrea, n’a subi aucune perte. Elle a subi un préjudice du fait du refus de sa demande de prestations de maladie (si elle y était admissible) et non pour défaut de présentation d’une demande fondée sur les déclarations inexactes alléguées.

[227]  À la lumière des actes de procédures, je conclus qu’il est évident et manifeste que l’action pour déclaration inexacte par négligence n’a aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause. Tandis que les éléments de la négligence ont été plaidés en détails suffisants, les actes de procédure ne nomment aucune personne précise ayant reçu une déclaration inexacte et s’étant appuyée sur celle-ci à son détriment.

Faute dans l’exercice d’une charge publique

Observations de la demanderesse

[228]  La demanderesse reconnaît que la faute dans l’exercice d’une charge publique est un domaine en évolution du droit, mais à la lumière des faits avancés, lesquels sont présumés véridiques, elle soutient qu’il n’est ni évident ni manifeste que cette déclaration va échouer.

[229]  La demanderesse soutient que la défenderesse a entrepris des démarches délibérées afin de mettre en œuvre les modifications de 2002 d’une façon qui contrevient l’intention, l’effet et le libellé de la Loi. La déclaration avance que les agents de la défenderesse ont pris des mesures pour intégrer les modifications de 2002 dans leurs rôles d’agents publics et d’employés. Les défendeurs et leurs [traduction] « agents ayant des responsabilités en regard de la politique législative » auraient eu une connaissance intime de l’intention sous-jacente aux modifications de 2002 en raison de leur rôle dans leur élaboration et leur rédaction. Après l’entrée en vigueur des modifications de 2002, ces agents ont mis en œuvre un programme d’exécution [traduction] « qu’ils savaient illégal et n’englobant pas adéquatement la portée des modifications de 2002 ».

[230]  La déclaration cite les défendeurs responsables de la faute comme étant des personnes, un ministère ou une direction générale assurant la politique, la formation et la rédaction législative, la mise en œuvre et la surveillance du site internet et élaborant la réaction de la Commission de l’AE aux demandes des membres du groupe et à leurs appels [traduction] « que les défendeurs savaient autorisés en vertu des modifications de 2002 ».

[231]  La déclaration soutient de plus que les défendeurs savaient ou auraient dû savoir que leur mauvaise application de la Loi aurait causé des préjudices aux membres du groupe.

[232]  La demanderesse soutient que les trois éléments de la déclaration établis dans Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 CSC 69, aux paragraphes 22 à 24, [2003] 3 RCS 263 [Succession Odhavji] sont réunis; soit la conduite délibérée et illégale d’un agent public, la conscience de l’illégalité de celle-ci et du fait qu’elle causerait préjudice. La demanderesse soutient que l’élément de la connaissance peut être établi par la voie d’une preuve de conduite insouciante ou d’aveuglement volontaire.

[233]  Elle ajoute que la notion d’agent public a une définition large et comprendrait toute personne s’acquittant d’une obligation ou d’un pouvoir prévu par la loi, y compris quiconque détermine l’admissibilité en regard d’une loi (O'Dwyer c Ontario Racing Commission, [2008] OJ No 2219, 2008 ONCA 446). La demanderesse reconnaît également que le juge Gleason a émis un doute à savoir si un agent de première ligne de l’Agence du revenu du Canada constituait un agent public dans Collins c Canada, 2014 CF 307, 240 ACWS (3d) 846. Toutefois, ce cas a été réglé sur fond d’absence de preuve de faute délibérée. La demanderesse fait valoir qu’elle n’invoque pas la faute causée par les agents de première ligne, mais plutôt par ceux qui les ont dirigés.

Observations de la défenderesse

[234]  La défenderesse fait valoir que le délit de la faute dans l’exercice d’une charge publique devrait être utilisé avec prudence afin d’éviter de s’ingérer dans le domaine de la prise de décisions politiques, entre autres préoccupations (Powder Mountain Resorts Ltd c British Columbia, [2001] BCJ No 2172, 2001 BCCA 619). Ce délit vise à s’attaquer à la conduite illégale d’un agent public causant un préjudice délibéré à un intimé d’une façon contraire au rôle du gouvernement. La défenderesse soutient que les éléments du délit identifiés dans Succession Odhavji, aux paragraphes 22 et 23 ne sont pas présents dans l’espèce et qu’il est évident et manifeste que la déclaration n’aura pas gain de cause.

[235]  La demanderesse soutient que les actes étaient [traduction] « illégaux » et « contraires à la LAE »; or la défenderesse avance encore qu’il s’agit de conclusions de droit non démontrées. De plus, dans certaines circonstances appropriées, les agents publics sont autorisés à prendre des décisions contraires à l’intérêt de certaines personnes.

[236]  La défenderesse fait valoir de plus que la demanderesse n’a plaidé aucun fait matériel à l’appui de sa prétention voulant que la conduite fût délibérée. La seule allégation voulant que les agents aient interprété la Loi différemment ne suffit pas à la demanderesse pour soutenir que leur conduite était illégale ou délibérée.

[237]  La défenderesse fait référence à une application pratique de Succession Odhavji dans Cadnet Productions Inc c Canada, 2004 CAF 79, [2004] FCJ No 361, où la Cour d’appel a conclu que le délit n’avait pas été établi dans les circonstances où les agents de RHDSC avaient commis une erreur en émettant des demandes de paiement à des tiers à l’institution financière de l’intimé pour recouvrir des paiements effectués en trop. La Cour a reconnu au paragraphe 4 « [qu’il] n’existe dans le dossier rien qui montre que DRHC ou ses agents se soient délibérément livrés à une conduite illégale en leur qualité de fonctionnaires publics ou qu’ils doivent avoir su que leur conduite était illégale et qu’elle risquait de nuire aux appelants ».

[238]  La défenderesse fait remarquer que le seul fait d’avoir tort ne constitue pas une faute dans l’exercice d’une charge publique (Canus Fisheries Ltd c Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] NSJ No 413, 2005 NSSC 283, au paragraphe 50). Le délit exige la présence de l’élément de mauvaise foi ou de malhonnêteté se manifestant par un acte illégal et intentionnel ainsi que par une intention de porter préjudice au défendeur. La demanderesse n’a pas identifié un agent public ayant l’état d’esprit subjectif nécessaire à la commission de l’acte préjudiciable. Il ne suffit pas de formuler des affirmations générales.

Il est évident et manifeste que la cause d’action pour faute dans l’exercice d’une charge publique n’a aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause

[239]  À la lumière des actes de procédures, je conclus qu’il est évident et manifeste que l’action pour faute dans l’exercice d’une charge publique n’a aucune chance raisonnable d’avoir gain de cause.

[240]  La faute dans l’exercice d’une charge publique est un délit intentionnel nécessitant la présence de tous les éléments.

[241]  À ce chapitre, le juge Iacobucci a résumé les éléments du délit au paragraphe 32 de Succession Odhavji :

Pour résumer, j’estime que la faute commise dans l’exercice d’une charge publique constitue un délit intentionnel comportant les deux éléments distinctifs suivants : (i) une conduite illégitime et délibérée dans l’exercice de fonctions publiques; et (ii) la connaissance du caractère illégitime de la conduite et de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur. À cela s’ajoute l’exigence pour le demandeur d’établir l’existence des autres conditions communes à tous les délits. Plus précisément, le demandeur doit démontrer que les préjudices qu’il a subis ont pour cause juridique la conduite délictuelle, et que ces préjudices sont indemnisables suivant les règles de droit en matière délictuelle.

[242]  Le juge Iacobucci a également examiné la portée du délit aux paragraphes 26 à 29, remarquant que la faute commise dans l’exercice d’une charge publique ne concerne ni le fonctionnaire public qui, par négligence ou inadvertance, omet de s’acquitter convenablement des obligations propres à ses fonctions ni le fonctionnaire public qui est incapable de s’acquitter de ses obligations en raison de facteurs hors de sa volonté. En outre, elle porte plutôt sur « celui qui pouvait s’en acquitter, mais qui a délibérément choisi d’agir autrement » (at para 26).

[243]  Le juge Iacobucci a analysé les exigences de la conduite délibérée et de la mauvaise foi ou de la malhonnêteté aux paragraphes 28 et 29 :

L’exigence selon laquelle le défendeur doit avoir eu connaissance du caractère illégitime de sa conduite reflète le principe bien établi voulant que la faute dans l’exercice d’une charge publique nécessite un élément de « mauvaise foi » ou de « malhonnêteté ». En démocratie, les fonctionnaires publics doivent conserver le pouvoir de prendre des décisions qui, le cas échéant, vont à l’encontre des intérêts de certains citoyens. La connaissance du préjudice ne permet donc pas de conclure que le défendeur a agi de mauvaise foi ou de façon malhonnête. Un fonctionnaire public peut de bonne foi rendre une décision qu’il sait être préjudiciable aux intérêts de certains membres du public. Pour qu’une conduite soit visée par le délit, le fonctionnaire doit agir délibérément d’une manière qu’il sait incompatible avec les obligations propres à ses fonctions. [Non souligné dans l’original.]

L’exigence portant que le défendeur doit avoir su que sa conduite illégitime causerait un préjudice au demandeur restreint davantage la portée du délit. L’insouciance flagrante à l’égard d’une fonction officielle n’emporte pas responsabilité; seul le fonctionnaire public qui, en plus, fait sciemment preuve d’insouciance devant les intérêts de ceux qui seront touchés par l’inconduite en question verra sa responsabilité retenue. Cette exigence établit le lien requis entre les parties. Toute conduite illégitime s’inscrivant dans l’exercice des fonctions publiques constitue un méfait public, mais en l’absence d’une quelconque connaissance du préjudice, rien ne permet de conclure que le défendeur a manqué à une obligation à laquelle il est tenu envers le demandeur individuellement. Et sans manquement par le défendeur à une obligation qui lui incombe à l’endroit du demandeur, il ne peut y avoir de responsabilité délictuelle. [Souligné dans l’original.]

[244]  Même si les actes de procédures étaient présumés comme évoquant la pleine connaissance des agents, énoncée seulement en termes généraux, c’est-à-dire que la Loi prévoyait des prestations de maladies pour les demandeurs en congé parental, ils n’invoquent pas d’ignorance flagrante des obligations officielles, de mauvaise foi ou d’insouciance consciente des intérêts des personnes touchées, soit les demandeurs. La déclaration soutient que certains agents avaient une connaissance approfondie de la portée voulue des modifications ou savaient ou auraient dû savoir qu’une mauvaise application de la Loi causerait des préjudices. Toutefois, la demanderesse n’a pas suffisamment identifié lesdits agents ayant cette connaissance approfondie. Tous les autres agents, ou la majorité de ceux-ci, identifiés de façon générale, auraient agi en fonction de facteurs hors de leur contrôle et sans qu’il y ait eu une conduite d’évitement volontaire ou délibérée en regard de leurs obligations. Bien que la déclaration soutienne que les agents ont agi de façon délibérée, elle n’avance aucune mauvaise foi ou malhonnêteté. On ne peut déduire la mauvaise foi des autres actes de procédure.

[245]  De plus, les actes de procédure n’identifient d’aucune façon précise les agents responsables de la faute alléguée. Les actes de plaidoirie font seulement état de catégories d’agents responsables de la faute alléguée, et ce, façon très générale. La déclaration ne nomme aucun agent de première ligne ayant eu des interactions directes avec les intimés nommés. Elle fait plutôt référence aux catégories d’agents responsables de la politique, de la formation des agents de première ligne et des renseignements du public. Elle comprend également la catégorie composée de [traduction] « personnes, ministère ou direction générale responsables de l’élaboration des réactions de la Commission en réponse aux demandes de renseignements et aux appels des demandeurs que les défendeurs savaient admissibles en vertu des modifications de 2002 ». Il s’agit d’une catégorie au potentiel de taille énorme qui soulève la question de l’état d’esprit subjectif et de la mauvaise foi, qui sont des éléments exigés pour l’offense (quoiqu’ils ne soient pas plaidés) et qui seraient impossibles à prouver.

[246]  Bien que les membres éventuels du groupe avaient des échanges directs avec différents agents à divers bureaux de Service Canada, trop nombreux pourraient nommés ou identifiés autrement, et que l’autre catégorie d’agents responsables proposée, au sein d’une organisation aussi grande qu’EDSC, puisse s’avérer difficile pour repérer et identifier des responsables par titre de poste ou par direction générale, la démarche proposée par la demanderesse est simplement trop vaste et vague.

[247]  Comme l’en mentionné le juge Mosley dans Swareth c Canada, 2014 CF 75, 237 ACWS (3d) 71, qui n’était pas un recours collectif :

[11] En outre, au paragraphe 31 de la déclaration, les allégations de faute dans l’exercice d’une charge publique ne font aucunement mention des noms des fonctionnaires responsables. L’article 174 des Règles oblige les demandeurs à plaider des faits substantiels. Les noms des personnes ayant prétendument commis la faute sont des faits substantiels qui doivent être plaidés. La déclaration fait référence à six années de correspondance avec Santé Canada dans le but d’obtenir l’annulation de la directive. On suppose que cela mettait les demandeurs en possession des renseignements sur les noms des personnes ou sur les groupes de personnes qui traitaient l’affaire, ou du moins des renseignements quant à leurs postes, quant à leurs sections ou leurs bureaux. Dans ce genre d’affaires, on peut généralement se contenter de fournir ce degré de précision pour l’identification : Merchant Law Group c Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184. Toutefois, des précisions de cette nature ne figurent pas dans la déclaration.

[248]  Dans Merchant Law Group c Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184, 192 ACWS (3d) 663, le juge Stratas a examiné les exigences visant à identifier les personnes s’adonnant à la faute alléguée dans l’exercice d’une charge publique dans le cadre du recours collectif proposé. Le juge Stratas a souligné la nécessité de plaider les détails du délit incluant les acteurs raisonnables, étant donné que l’état d’esprit de ceux-ci est un élément clé. Il a fait remarquer au paragraphe 36 que la déclaration visait des ministères entiers et d’autres agents au gouvernement du Canada, mais elle « n’identifie pas les fonctionnaires fautifs et ne donne aucun renseignement à cet effet ».

[249]  En ce qui a trait à la nécessité de plaider des faits matériels, y compris l’identité des fautifs allégués, le juge Stratas a décrit la forme que doit prendre cette identification, remarquant au paragraphe 38 :

[...] Dans un grand nombre de cas, il peut être impossible pour le demandeur d’identifier un responsable en particulier. Cependant, dans les affaires de ce genre, un demandeur devrait être en mesure d’identifier un groupe de personnes en particulier chargées de l’affaire, l’un ou plusieurs d’entre eux étant présumément responsables. Cela peut nécessiter d’avoir à identifier les postes, un secteur organisationnel, un bureau ou un édifice où travaillaient les personnes ayant traité l’affaire. Souvent, ces informations peuvent être tirées directement des communications écrites ou orales et des échanges entre les parties qui ont donné lieu à la réclamation. Dans ce genre d’affaires, on peut généralement se contenter de fournir ce degré de précision pour l’identification. Les objectifs des actes de procédure seront ainsi remplis : les questions soulevées dans l’action seront définies avec suffisamment de précision, les défendeurs disposeront de suffisamment de renseignements pour examiner l’affaire et ils seront en mesure de présenter une réponse adéquate dans les délais prescrits par les Règles.

[250]  Dans l’espèce, je reconnais qu’il ne puisse pas être possible de nommer les personnes responsables de la faute alléguée dans l’exercice d’une charge publique. Par contre, il demeure essentiel de plaider l’allégation avec davantage de précision. La demanderesse et d’autres demandeurs avaient échanges et des interactions directs avec plusieurs agents, comme le décrit les actes de procédures, or, aucun d’entre eux n’a et identifié comme faisant partie d’une direction générale, d’une section ou d’un bureau donné ou par son nom. Bien que les agents de première ligne ne soient pas la cible de la déclaration, et comme l’avance la demanderesse, et que soit plutôt les responsables des politiques à des paliers plus élevés, il n’en demeure pas moins que la demanderesse n’a identifié ni des agents ni des groupes avec précision. Quant à l’état d’esprit, à la conduite délibérée et à l’insouciance consciente dont il est question, il est important que les actes de procédure comprennent suffisamment de renseignements pour permettre à la défenderesse de répondre.

[251]  De plus, la demanderesse souhaite à inclure les responsables de la politique législative; or, c’est le Parlement qui en a la responsabilité ultime.

Enrichissement sans cause

Observations de la demanderesse

[252]  La demanderesse soutient que bien que la jurisprudence sur l’enrichissement sans cause évolue, il n’est ni évident ni manifeste que sa déclaration pour enrichissement sans cause ne peut pas obtenir gain de cause.

[253]  La demanderesse avance que la conduite des défendeurs a mené à leur enrichissement sans cause et à l’appauvrissement correspondant des membres du groupe. De plus, il n’y aurait aucun motif juridique justifiant l’enrichissement. (Garland c Consumers’ Gas Co, 2004 CSC 25, au paragraphe 30, [2004] 1 RCS 629 [Garland]).

[254]  La demanderesse observe que les membres du groupe ont été privés de leurs prestations de maladie et que la défenderesse a économisé le montant de ces prestations en ne versant pas celles-ci, a déposé ce revenu dans le Trésor public et s’est ainsi enrichie.

[255]  La demanderesse fait remarquer que les primes d’AE payées par les cotisants, comme les membres du groupe, sont portées à la caisse de l’assurance-emploi (et depuis 2009 au « Compte des opérations de l’assurance-emploi ») lequel fait partie du Trésor public. La demanderesse soutient que le défaut de verser les prestations aux membres du groupe aurait généré un surplus dans le Trésor public (Confédération des syndicats nationaux c Canada (Procureur général), 2008 CSC 68 aux pages 540 et 544, [2008] 3 RCS 511 [Confédération]. Les défendeurs se seraient ainsi enrichis.

[256]  L’appauvrissement des intimés inclut le montant des prestations de maladie indûment refusées ou le montant des prestations de maladie qu’ils se sont abstenus de demander en raison de mauvais conseils de la défenderesse.

[257]  La demanderesse soutient qu’aucun motif juridique ne justifie le fait que la défenderesse conserve ces montants en surplus.

[258]  La demanderesse conteste la prétention de la défenderesse voulant qu’elle n’eût subi aucune perte, car elle est retournée au travail. Elle a subi une perte; n’eût été le refus de sa demande, elle aurait reçu des prestations. De plus, elle a subi un préjudice du fait qu’elle est retournée au travail plutôt que de prendre le temps nécessaire de récupérer.

Observations de la défenderesse

[259]  La défenderesse soutient que la demanderesse n’a pas plaidé de faits matériels lui permettant d’établir les éléments de l’enrichissement sans cause. Toutes les prestations de maladie qui auraient pu être versées à la demanderesse, si elle y était admissible, sont toujours dans le Trésor public. Ainsi, la demanderesse n’est pas privée des fonds auxquels elle a droit et les défendeurs ne se sont pas enrichis.

[260]  De plus, la demanderesse, Mme McCrea, est retournée au travail en octobre 2011, comme prévu à l’origine; ainsi, elle n’a subi aucune perte de revenu d’emploi. Elle avait la responsabilité d’atténuer ses pertes, ce qu’elle a fait.

[261]  La défenderesse fait remarquer que les allégations d’enrichissement sans cause sont à nouveau fondées sur le point de vue de la demanderesse voulant que le refus des prestations fût inapproprié, illégal ou contraire à la Loi. La défenderesse réitère que cette conclusion de droit ne peut pas être acceptée comme étant véridique lorsqu’il s’agit d’évaluer la viabilité de la cause d’action.

[262]  Elle soutient de plus que la demanderesse a omis d’établir l’absence d’un motif juridique justifiant le refus des prestations et la conservation de tout montant qui aurait pu être versé; en outre, elle soutient simplement qu’il n’y a aucun motif juridique. La défenderesse soutient que les catégories établies de motifs juridiques, comme une disposition légale ou une obligation prévue par une loi, devraient s’appliquer à l’espèce (Garland).

[263]  L’obligation publique de la Commission consistait à faire de son mieux pour mettre en œuvre et appliquer la Loi. La Commission croyait qu’elle avait agi à l’intérieur des limites de la Loi, ce qui constitue le motif juridique pour conserver les montants, lesquels demeurent dans le Trésor et en mesure d’être versés advenant que la décision de la Commission soit infirmée en appel. La défenderesse soutient que les prestations ont été refusées de bonne foi à la lumière d’une interprétation légitime de l’alinéa 18b); conséquemment, ces refus ne peuvent pas servir d’assise à une action en enrichissement sans cause.

Il est évident et manifeste que la cause d’action pour enrichissement sans cause n’a aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause

[264]  Je suis d’accord avec la défenderesse qu’il est évident et manifeste que la cause d’action pour enrichissement sans cause n’a aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause.

[265]  La Cour suprême du Canada a dressé la liste des éléments constitutifs de l’enrichissement sans cause dans Garland, au paragraphe 30 :

En général, le critère applicable en matière d’enrichissement sans cause est bien établi au Canada. La cause d’action comporte trois éléments : (1) l’enrichissement du défendeur, (2) l’appauvrissement correspondant du demandeur et (3) l’absence de motif juridique justifiant l’enrichissement (Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, p. 848; Peel (Municipalité régionale) c. Canada, [1992] 3 R.C.S. 762, p. 784).

[266]  La demanderesse fait valoir que la défenderesse s’est enrichie en conservant les primes des membres du groupe en ne versant pas les prestations de maladies aux membres, une situation semblable à celle dont il était question dans Garland. Toutefois, la Cour a indiqué au paragraphe 36 :

[...] Lorsqu’une somme d’argent passe du demandeur au défendeur, il y a enrichissement. Il est si évident que le transfert d’une somme d’argent confère un avantage que les tribunaux et les commentateurs s’en servent comme exemple typique d’opération où un avantage est conféré (voir Peel, précité, p. 790; Sharwood & Co. c. Municipal Financial Corp. (2001), 53 O.R. (3d) 470 (C.A.), p. 478; P. D. Maddaugh et J. D. McCamus, The Law of Restitution (1990), p. 38; lord Goff et G. Jones, The Law of Restitution (6e éd. 2002), p. 18).

[267]  Citant Garland, la demanderesse soutient que le paiement des primes détenues dans le compte de l’AE entraîne davantage de revenus ou un surplus à celui-ci. À première vue, ceci pourrait indiquer un enrichissement de la défenderesse. Toutefois, le Trésor public regroupe les revenus de différentes sources. Le compte de l’AE est décrit comme étant un compte distinct à même le Trésor. Les primes sont versées par de nombreuses personnes qui ne recevront peut-être jamais de prestations d’AE Pouvons-nous conclure que le versement de ces primes constitue l’enrichissement sans cause de la défenderesse ou qu’il s’agit plutôt d’un mécanisme permettant de s’assurer qu’il y aura suffisamment de fonds pour verser des prestations aux demandeurs admissibles? En contrepartie, au fil du temps, certains cotisants recevront bien plus de prestations que le montant qu’ils ont contribué. Une telle situation ne viendrait pourtant pas créer un déficit dans le compte. Les primes sont mises en commun pour permettre le versement prestations aux demandeurs admissibles, lorsque nécessaire, le cas échéant. Les montants à être versés aux demandeurs admissibles seraient déduits de ce compte et puisés à même le Trésor. Les montants devraient être versés aux demandeurs admissibles, et ce, peu importe le solde du compte. La notion d’un surplus dans le compte d’AE laisse entendre qu’il comprend un solde supérieur à la somme des prestations à verser. Or, le montant du compte varie selon la demande (c.-à-d. le nombre de demandes admissibles) et la réception de primes. La Commission serait tenue de verser des prestations aux demandeurs admissibles, même si le compte d’AE était en déficit. Peut-on ainsi conclure que le gouvernement s’est enrichi des montants prélevés auprès de demandeurs dans l’attente d’une décision en regard de leur admissibilité lorsque ceux-ci sont conservés dans le compte afin de verser des prestations aux demandeurs admissibles et y ayant droit?

[268]  Je suis d’accord avec les défendeurs qu’ils ne sont pas enrichis en ne versant pas les prestations demandées par les membres du groupe, car celles-ci leur seraient versées advenant le renversement du refus de leurs prestations.

[269]  Quant au motif juridique, la défenderesse maintient que la Loi a bien été interprétée, ce qui constitue un motif juridique subsidiaire advenant que les autres éléments de l’enrichissement sans cause soient réunis. Une fois encore, il s’agit du même argument circulaire qui sous-tend la déclaration de la demanderesse. En outre, s’il est déterminé en fin de compte que la Loi a bien été interprétée et que la défenderesse n’a pas été négligente dans son administration de celle-ci, alors le motif juridique sera clairement établi. Toutefois, on ne peut pas parvenir à cette conclusion pour le moment. De plus, il n’est pas nécessaire de l’aborder, car il a été établi que les défendeurs ne sont pas enrichis.

[270]  Je conclus qu’il est évident et manifeste que la cause d’action pour enrichissement sans cause n’a aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause, car la défenderesse ne s’est pas enrichie en s’abstenant de verser les prestations qui auraient dû être versées, selon la demanderesse. Les montants restants dans le compte demeurent disponibles aux demandeurs advenant que leurs demandes soient acceptées.

Les dommages réclamés

Observations de la demanderesse

[271]  La demanderesse réclame des dommages-intérêts compensatoires pour les montants perdus en raison du refus inapproprié de demandes de prestations ou du fait que certaines demandes de prestations ont été abandonnées ou non entreprises en raison de la confiance des demandeurs dans les déclarations inexactes alléguées.

[272]  La demanderesse réclame des dommages-intérêts généraux pour [traduction] « inconvénients, temps perdu, frustration, anxiété, détresse mentale et troubles émotifs » découlant des efforts infructueux visant à obtenir des prestations de maladie. Les actes de procédure décrivent la situation des membres du groupe, certains étant gravement malades, et cherchant à obtenir des prestations de maladie alors qu’ils avaient la charge de nourrissons alors qu’ils étaient souvent en panne d’énergie et de capacité à faire valoir leurs droits. La demanderesse fait remarquer que Mme Kasbohm a dû personnellement déclarer faillite en partie en raison du refus de ses prestations de maladie.

[273]  La demanderesse souligne que l’attribution de tels dommages n’est pas inédite. Par exemple, le Tribunal canadien des droits de la personne dans McAllister-Windsor a accordé 2 500 $ à la demanderesse à la suite de son témoignage voulant que « le refus de lui accorder des prestations parentales l’a à la fois blessée et mise en colère » (McAllister-Windsor, au paragraphe 82).

[274]  La demanderesse soutient qu’à ce stade-ci, on ne peut pas déterminer le nombre de membres du groupe ayant subi plus que des inconvénients ordinaires. Toutefois, les dommages-intérêts généraux ne sont pas spéculatifs et le groupe devrait être autorisé à les démontrer à l’audience.

Observations de la défenderesse

[275]  La défenderesse réitère que la représentante demanderesse, Mme McCrea, n’a subi aucun préjudice, car elle est retournée au travail comme prévu et, conséquemment, qu’il est évident et manifeste que toutes les causes d’action vont échouer.

[276]  La position de la défenderesse, comme mentionnée précédemment, est que la déclaration est essentiellement une demande de prestations d’AE; ce que démontrent clairement les actes de procédures décrivant les dommages compensatoires comme étant les prestations de maladies refusées. Le montant total réclamé est grossièrement exagéré, ce qui soutient davantage l’argument de la défenderesse voulant qu’il s’agisse d’une demande de prestation maquillée en action en responsabilité délictuelle.

[277]  La défenderesse soutient également que les dommages-intérêts généraux réclamés portent sur des inconvénients et des dérangements ordinaires, qui ne sont pas indemnisables.

La déclaration quant aux dommages et à la portée de ceux-ci devrait être examinée à l’audience

[278]  Les dommages réclamés comprennent les prestations de l’AE refusées ainsi que des dommages-intérêts généraux.

[279]  Comme mentionné précédemment, je n’estime pas qu’il s’agit d’une simple demande de prestations maquillée en action en responsabilité délictuelle. Toutefois, la demande de prestations représente probablement une part considérable de la somme des dommages.

[280]  Au paragraphe 40 de Succession Odhavji, la Cour suprême du Canada a fait remarquer qu’il était toutefois bien établi que le demandeur qui souffre d’une « maladie visible et prouvable » ou de « dommages physiques ou psychopathologiques perceptibles » peut réclamer une indemnité pour problèmes psychiatriques. La Cour ajoute : « [l]es questions relatives à la causalité et à l’importance des problèmes psychiatriques devront toutefois être tranchées au procès. Au stade des actes de procédure, il suffit que les demandeurs allèguent dans leur déclaration que l’inconduite alléguée leur a causé des souffrances morales, de la colère, de la dépression et de l’anxiété ».

[281]  La Cour suprême du Canada, dans Mustapha c Culligan of Canada Ltd, 2008 CSC 27, [2008] 2 RCS 114, a analysé le type d’effets psychologiques donnant naissance à un préjudice personnel indemnisable, notamment au paragraphe 9 :

Cela dit, les troubles psychologiques constituant un préjudice personnel doivent être distingués d’une simple contrariété. En droit, un préjudice personnel suppose l’existence d’un traumatisme sérieux ou d’une maladie grave : voir Hinz c. Berry, [1970] 2 Q.B. 40 (C.A.), p. 42; Page c. Smith, p. 189; Linden et Feldthusen, p. 425-427. Le droit ne reconnaît pas les contrariétés, la répulsion, l’anxiété, l’agitation ou les autres états psychologiques qui restent en deçà d’un préjudice. Je n’entends pas donner ici une définition exhaustive de ce qu’est un préjudice indemnisable, mais seulement dire que le préjudice doit être grave et de longue durée, et qu’il ne doit pas s’agir simplement des désagréments, angoisses et craintes ordinaires que toute personne vivant en société doit régulièrement accepter, fût-ce à contrecœur. À mon sens, c’est cette nécessité d’accepter de telles contrariétés, au lieu de prendre action en responsabilité délictuelle pour obtenir réparation, qu’évoquait la Cour d’appel lorsqu’elle a cité Vanek c. Great Atlantic & Pacific Co. of Canada (1999), 48 O.R. (3d) 228 (C.A.) : [TRADUCTION] « [E]t la vie continue » (par. 60). Tout bonnement, les contrariétés mineures et passagères n’équivalent pas à un préjudice personnel et, de ce fait, ne constituent pas un dommage.

[282]  Étant donné les répercussions sur certains membres du groupe, certains étant très malades et subissant des chirurgies ou des traitements et qui ont pu être inquiets en regard de leur pronostic ou de leur récupération à long terme tout en étant en congé parental et ayant la charge d’un nourrisson, certains ayant également la charge d’enfants plus vieux, la frustration ajoutée d’avoir à défendre son droit à des prestations et d’avoir reçu des renseignements incohérents pour finalement ne pas obtenir de prestations ne peut pas être écartée à ce stade au motif qu’elle équivaille à de simples inconvénients ou dérangements ordinaires.

[283]  Comme mentionné dans Succession Odhavji, à l’étape des actes de procédures, la question porte sur ce qu’allègue l’intimé. En l’espèce, la demanderesse fait état d’inconvénients, de temps perdu, de frustration, d’anxiété, de détresse mentale et de troubles émotifs. Si l’on exclut l’inconvénient et la perte de temps, les autres volets des dommages réclamés pourraient être indemnisables. Les questions à savoir si les dommages réclamés sont sérieux et prolongés, outrepassant un certain seul d’anxiété quotidienne qu’on doit tolérer, ainsi que leur ampleur et leur source devraient être tranchées à l’audience.

La demande satisfait-elle aux autres critères d’autorisation? Alinéas 334.16(1)b) à e) des Règles

[284]  Comme mentionné précédemment, il n’est ni évident ni manifeste que la cause d’action en négligence n’a aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause. De plus, la portée des dommages découlant de toute négligence éventuelle devrait être déterminée par le juge sur le fond.

[285]  Il faut désormais analyser les autres éléments du critère d’autorisation.

[286]  La défenderesse soutient que la demanderesse ne s’est pas déchargée du fardeau d’établir un certainement fondement factuel en regard de chacune des autres exigences d’autorisation. La défenderesse prévient qu’il faudra effectuer une analyse plus approfondie que simplement superficielle; en outre, il doit y avoir suffisamment de faits pour étayer la satisfaction de chacun des éléments du critère (Pro-Sys, aux paragraphes 103 et 104).

Existe-t-il un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes? Alinéas 334.16(1)b) des Règles

Observations de la demanderesse

[287]  La demanderesse soutient qu’elle a établi qu’il y avait un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes; le groupe n’est pas sans limites; et il peut être défini en fonction du critère objectif proposé (Hollick, au paragraphe 21; Sander Holdings Ltd c Canada (Ministre de l’Agriculture), 2006 CF 327, au paragraphe 41, [2006] FCJ No 451).

[288]  La demanderesse estime qu’il n’est pas nécessaire d’identifier chacun, voire le moindre membre du groupe. En outre, elle fait remarquer que le critère a pour objectif d’identifier des personnes ayant une réclamation éventuelle, de définir les parties qui seront liées par les résultats, et de décrire la personne qui aura droit à l’avis (Sun Rype Products Ltd c Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58, au paragraphe 57, [2013] 3 RCS 545).

[289]  La demanderesse propose de définir les membres du groupe à l’aide de trois critères objectifs. Le membre admissible au recours doit d’abord avoir reçu des prestations parentales, et ensuite s’être blessé, être tombé malade ou avoir été placé en quarantaine durant son congé parental. Troisièmement, le membre admissible doit avoir soit demandé des prestations d’AE, avoir essuyé un refus pour cause d’indisponibilité au travail, ou n’avoir pas soumis de demande, car il s’était appuyé sur une déclaration des défendeurs voulant qu’ils ne soient pas admissibles à ces prestations pour cause d’indisponibilité au travail.

[290]  La demanderesse soutient qu’il n’est pas difficile d’identifier les personnes ayant demandé et reçu des prestations parentales. En outre, l’obtention de ces prestations peut être établie par la vérification des dossiers de la défenderesse (p. ex. relevés de prestations). La défenderesse est tenue d’obtenir ces dossiers conformément à sa propre politique de conservation des dossiers pendant 12 ans, en plus de l’exigence de conserver tout dossier concernant la période en litige. Il n’est également pas difficile de démontrer la survenance d’une maladie ou d’une blessure; la maladie se démontre par la présence de dossiers médicaux ou d’une note de médecin, preuves généralement acceptées par la défenderesse en regard d’autres types de demandes.

[291]  De plus, les demandeurs du groupe 1 ont présenté une demande, laquelle a été refusée par l’envoi d’une lettre portant le code D 33, ce qui indique une lettre de refus de prestations de maladie durant un congé parental pour cause d’indisponibilité au travail.

[292]  Les demanderesses, Mme Kasbohm et Mme Rougas, étaient en congé parental, sont tombées malades, ont communiqué avec la défenderesse, ont demandé à obtenir la conversion de leurs prestations parentales en prestations de maladie, et ont essuyé un refus pour cause d’indisponibilité au travail. Le dossier démontre qu’elles répondent au critère objectif. Par conséquent, il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes.

[293]  Quant au groupe 2, la demanderesse avance que si elle et les autres n’avaient pas présenté une demande, car elles en avaient été dissuadées, la défenderesse aurait des notes dans ses dossiers sur ces appels téléphoniques ou d’autres échanges avec ceux-ci. La demanderesse remarque que la défenderesse avait des notes de telles demandes de renseignement de sa part et de Mme Kasbohm. Le dossier comprend également le témoignage de M. Duffy indiquant que les agents prennent généralement des notes et les entrent dans le système approprié.

[294]  La demanderesse fait remarquer que la Commission a accepté des affirmations verbales et des déclarations prévues par la loi ou des attestations de demandeurs dans le contexte de demandes formulées tardivement (dit antidatées). Elle estime que la défenderesse devrait accepter de telles déclarations de la part de membres du groupe 2 à titre d’indicateur qu’ils n’ont pas formulé de demande raison, car ils en ont été dissuadés par la Commission. Le cas échéant, un demandeur éventuel pourrait jurer que c’était sa situation : il recevait des prestations parentales, est tombé malade, puis s’est fait informer par la Commission qu’il ne pouvait pas convertir ses prestations. La demanderesse réitère que le seuil permettant d’établir le groupe identifiable est faible.

[295]  La demanderesse conteste la prétention selon laquelle est doit identifier les trois personnes qui ont communiqué avec le cabinet qui la représente et qui se situent dans le groupe 2; en outre, rien ne l’oblige à les nommer. Elle doit uniquement présenter un groupe identifiable (Singer c Shering Plough Canada Inc, 2010 ONSC 42, aux paragraphes 107 et 131, [2010] OJ No 113 [Singer]).

[296]  La demanderesse critique l’absence d’efforts mis par la défenderesse pour identifier des membres éventuels du groupe 2 et suggère qu’une recherche pourrait être effectuée à même les bases de données, peu importe la difficulté. Elle soutient également que la défenderesse a une certaine obligation de chercher à déterminer la taille du groupe, mais qu’elle n’a rien fait en ce sens.

[297]  La demanderesse explique que son avocat et son cabinet ont été joints par 25 personnes, ils ont été en communication avec environ 40 personnes. Quant au groupe 1, elle fait valoir que 3 229 demandeurs ont reçu des lettres « D 33 » entre 2002 et 2011, refusant la conversion des prestations, soit 330 personnes en moyenne par année, excluant les demandeurs du Québec et les travailleurs autonomes. Toutefois, la défenderesse a soutenu que 6 000 personnes bénéficieraient des modifications de 2013. La demanderesse soutient que cet écart entre les deux chiffres représente les gens qui n’ont pas présenté de demande, car ils se sont fait expliquer qu’ils n’étaient pas admissibles.

[298]  Elle réitère qu’environ 3 229 membres du groupe éventuel ont été identifiés dans le groupe 1. Au moins trois personnes semblent se situer dans le groupe 2, or, bien que le nombre de membres ne soit pas connu, ils sont beaucoup plus nombreux. La demanderesse fait remarquer que l’alinéa 334.15(5)c) des Règles exige seulement que les parties présentent le nombre de membres du groupe selon leur meilleure connaissance.

[299]  Le critère proposé satisfait au critère du « groupe identifiable » : il permet aux parties de communiquer avec les membres éventuels du groupe et de les aviser de leur admissibilité possible au recours; le groupe est formé de deux personnes ou plus; et le critère fait en sorte que le groupe n’est pas illimité.

[300]  La demanderesse conteste la prétention selon laquelle n’a subi aucune perte financière. Elle reconnaît être retournée au travail en octobre 2011, contrairement aux conseils de son médecin voulant qu’elle devait prendre six semaines pour se remettre de sa chirurgie; cependant, eut-elle reçu des prestations, elle serait demeurée en congé parental et retournée au travail six semaines plus, explique-t-elle. La demanderesse estime ses dommages à 1 534,60, mais elle reconnaît que ce montant pourrait être surestimé de 109 $.

[301]  La défenderesse fait valoir que les délais de prescription provinciaux s’appliqueraient à certains demandeurs et réduiraient la taille du groupe, mais la demanderesse indique que dans la plupart des requêtes en autorisation, la question des délais de prescription est traitée ultérieurement, particulièrement dans l’espèce, car aucune défense n’a été produite. La demanderesse admet que le délai de prescription de six ans prévu à l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales et à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif s’appliquerait au recours. Par contre, elle soutient que l’application concrète de celle-ci peut seulement être réglée après l’autorisation, car elle exige des conclusions de fait (Markevich c Canada, 2003 CSC 9, au paragraphe 11, [2003] 1 RCS 94; Hislop c Canada (Procureur général), 2008 OJ No 793 (SCJ), au paragraphe 14; Doig c Canada, 2011 CF 371, au paragraphe 31, 199 ACWS (3d) 1359).

[302]  La demanderesse conteste l’argument de la défenderesse voulant que les demandeurs qui ont interjeté appel devant le juge-arbitre, ou qui n’ont pas interjeté appel à l’intérieur du délai de prescription prévu par la loi, soient préclus pour cause de chose jugée et devraient être exclus du groupe. La doctrine de la chose jugée ne s’applique pas, car ni le conseil arbitral ni le juge-arbitre n’ont la compétence pour statuer sur les questions de droit soulevées dans la déclaration de la demanderesse.

Observations de la défenderesse

[303]  La défenderesse soutient qu’il n’y aucun fondement factuel à l’existence d’un groupe identifiable formé de deux personnes ou plus. Elle estime que les groupes ne peuvent pas être autorisés comme tels.

[304]  Elle reconnaît que le critère proposé pour identifier les membres du groupe 1 est objectif (bien que certaines précisions seront peut-être nécessaires), mais elle maintient qu’il doit être rejeté, car le groupe comprend des demandeurs dont les réclamations sont prescrites pour cause de chose jugée. Hormis mesdames McCrea et Kasbohm et la troisième personne non identifiée, toutes les autres demandes sont fiables et précluses pour cause de chose jugée. La défenderesse avance également que Mme McCrea n’a aucune déclaration viable.

[305]  Elle remarque que la période d’admissibilité au groupe se termine à la date d’entrée en vigueur des modifications à la Loi le 24 mars 2013. Par conséquent, la date limite pour interjeter appel d’une demande formulée avant le 24 mars 2013 est échue. Les membres du groupe 1 ont soit interjeté appel et obtenu une décision définitive ou ils n’ont pas interjeté appel.

[306]  La défenderesse soutient qu’il s’agit de la même question, soit l’admissibilité aux prestations, soulevée entre les mêmes parties, et que des décisions définitives ont été rendues dans les dossiers. Il ajoute qu’aucune circonstance exceptionnelle ne permet d’exercer un pouvoir discrétionnaire pour soustraire une question à la préclusion de la chose jugée (Danyluk; Figliola). Le principe de la finalité devrait être respecté.

[307]  Conséquemment, il ne reste que les trois membres possibles du groupe 1. Toutefois, il n’y a aucun fondement factuel quant à la viabilité des déclarations de ceux-ci.

[308]  La défenderesse soutient que Mme McCrea n’a aucune réclamation eu égard aux faits de son propre dossier. Mme McCrea a travaillé pendant deux semaines durant son congé parental en juin 2011 afin d’aider son employeur. Selon la défenderesse, si la Commission avait su qu’elle avait travaillé et était disponible à le faire, sa demande de prestations de maladie n’aurait peut-être pas été refusée pour cause d’indisponibilité lorsqu’elle a demandé la conversion de ses prestations en août.

[309]  De plus, il n’y a aucun fond factuel à l’allégation voulant que Mme McCrea eût subi une perte financière. Elle est retournée au travail comme prévu lorsque ses prestations de maladie ont été refusées. Ainsi, les dommages réclamés pour perte de prestations confirment qu’il s’agit seulement d’une demande de prestations. De plus, le préjudice général subi n’outrepasse pas les dérangements ordinaires, ils sont autrement seulement spéculatifs et non indemnisables.

[310]  La défenderesse soutient également que la demanderesse n’a pas établi que quiconque avait reçu la déclaration inexacte alléguée et s’était appuyée sur celle-ci. Il n’y a aucune preuve au dossier démontrant l’existence de toute personne ayant une déclaration pour cause de déclaration inexacte pour négligence (groupe 2); il ne suffit pas de spéculer. La preuve non contredite de messieurs McPhee et Duffy indique que les agents de première ligne de Service Canada et de la Commission offrent seulement des conseils généraux; ils ont pour consigne d’inviter les gens à présenter une demande plutôt qu’à s’abstenir de le faire. De plus, ces agents de première ligne ne rendent pas de décision quant à l’admissibilité. La défenderesse fait également remarquer la preuve de Mme McCrea indiquant qu’elle ne connaît personne se situant dans le groupe 2.

[311]  La défenderesse fait remarquer que l’affidavit de M. Wright (un partenaire du cabinet représentant la demanderesse) ne constitue pas une preuve; celui-ci mentionne que trois personnes ont reçu des conseils de la défenderesse et qu’elles se sont ainsi abstenues de demander des prestations. La défenderesse souligne qu’il n’y a aucune façon de vérifier si ces trois personnes se situent dans le groupe 2.

[312]  Elle soutient que si ledit groupe 2 existe, elle devrait, dans la plupart des cas, constituer un sous-groupe, conformément au paragraphe 334.16(3). Néanmoins, selon elle, qu’importe qu’il s’agisse de deux catégories ou d’une catégorie et d’un sous-groupe, ni l’un ni l’autre ne satisfait aux exigences portant sur la définition d’un groupe.

[313]  La défenderesse soutient également que la définition proposée pour le groupe a une portée excessive et manque de critères objectifs, soulignant certaines inexactitudes dans la déclaration, notamment l’omission de définir la fin de la période d’admissibilité au groupe, et la référence au congé de maladie plutôt qu’aux prestations de maladie.

[314]  Bien que les délais de prescription constituent une question individuelle, le groupe devrait être limité aux demandeurs qui ont demandé la conversion, puis ont vu leur demande refusée à l’intérieur de la période de six ans antérieure à la présente action, advenant qu’elle soit autorisée (article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif).

[315]  La défenderesse soutient que les membres du recours collectif dont les déclarations sont prescrites par les délais ou pour cause de chose jugée ne devraient pas être admis au groupe. Le groupe devrait être seulement constitué de membres en mesure de défendre leurs déclarations.

[316]  La défenderesse affirme également que la possibilité de découverte n’est pas non plus un facteur. Mme Rougas a eu la possibilité d’accéder au Hansard et d’obtenir des documents par la voie d’une demande d’AIPRP, ce qu’elle a fait. Tous les membres du groupe auraient pu soulever les mêmes questions et présenter la même preuve au conseil arbitral ou au juge-arbitre, à l’instar de Mme Rougas. Cette preuve aurait été disponible en 2002. Toutefois, le délai de prescription court à compter de la date du refus de la demande. Les Règles des Cours fédérales ne permettent pas la suspension des délais des prescriptions (Tihomirovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 197, [2006] FCJ No 235). Toutefois, le groupe ne comprend pas les personnes ayant appris l’existence d’une possibilité de réclamation seulement après la décision Rougas ou à tout autre moment.

Il existe un groupe identifiable pour le Groupe 1

[317]  La demanderesse avait le fardeau d’établir un certain fondement factuel établissant l’existence d’un groupe identifiable et définissable selon des critères objectifs, et qui ne soit pas illimité.

[318]  La norme quant au fondement factuel a été décrite dans Pro-Sys, au paragraphe 101 et dans AIC Limited c Fischer, 2013 CSC 69, aux paragraphes 40 et 43 [2013] 3 RCS 949 [AIC]).

[319]  Comme l’a remarqué la Cour suprême du Canada dans AIC, au paragraphe 41 :

Les motifs du juge en chef Winkler à propos de cette norme dans McCracken c. Canadian National Railway Co., 2012 ONCA 445, 111 O.R. (3d) 745, apportent des précisions utiles :

[traduction]

Le principe posant qu’il faut établir un « certain fondement factuel » répond à deux préoccupations. Premièrement, tous les critères, hormis celui de la cause d’action, étayant l’ordonnance de certification doivent reposer sur une preuve.

Deuxièmement, dans l’esprit du régime procédural établi par la LRC, l’emploi du mot « certain » indique que la preuve n’a pas à être exhaustive et qu’il ne s’agit certainement pas d’une preuve propre à présider au débat sur le fond. Cette intention du législateur est exprimée à l’al. 2(3)a) de la LRC — qu’on honore le plus souvent en l’enfreignant — lequel exige du représentant des demandeurs qu’il présente la motion en vue de la certification dans les 90 jours suivant le dépôt de la défense ou de l’avis d’intention d’en présenter une ou de l’expiration du délai prescrit pour ce faire. Passé ce délai, il faut obtenir l’autorisation du tribunal (voir l’al. 2(3)b)). [Non souligné dans l’original, paragraphes 75 et 76.]

[320]  La Cour a ajouté au paragraphe 42 que l’exigence d’établir un « certain fondement factuel » ne devrait pas « mener à une appréciation poussée des faits litigieux qui toucherait au bien-fondé du recours ».

[321]  Quant au Groupe 1, le dossier de preuve de la demanderesse établit certainement qu’il existe un « certain fondement factuel » voulant qu’il y ait un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes; qui ne soit pas illimité; et dont les membres peuvent être identifiés en fonction des critères objectifs proposés. (Hollick, paragraphe 21).

[322]  Je conclus également qu’il existe un lien rationnel entre les questions communes proposées et la définition du groupe; les demandeurs du groupe 1 sont ceux dont les déclarations seront avancées par le règlement des questions communes (Hollick, au paragraphe 21).

[323]  La défenderesse soutient qu’il y a seulement trois membres possibles dans le groupe 1 et que la représentante demanderesse n’a aucune déclaration viable, or, cette prétention repose sur son point de vue voulant que la déclaration soit seulement une demande de prestations; que Mme McCrea aurait pu être disponible au travail; et qu’elle n’a pas subi de perte. Je ne suis pas d’accord.

[324]  La demanderesse a établi les critères objectifs pour l’admissibilité des membres aux groupes 1 et 2, bien qu’il existe d’autres difficultés quant au groupe 2. Dans Western Canadian Shopping Centres Inc c Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 RCS 534 [Dutton], la Cour suprême a fait remarquer au paragraphe 3 que la définition du groupe est « est essentielle parce qu’elle précise qui a droit aux avis, qui a droit à la réparation (si une réparation est accordée), et qui est lié par le jugement ».

[325]  Les critères proposés permettent d’identifier les membres du groupe (c.-à-d. qu’ils sont identifiables) et la définition n’est pas trop vaste au point de le rendre illimité. Le groupe se limite aux personnes recevant des prestations d’AE, plus particulièrement de prestations parentales ou de maternité, lesquelles sont documentées, et ayant demandé, sans succès, la conversion de celles-ci en prestations de maladie. Les lettres D 33 constituent un bon point de départ tant pour déterminer le point de départ du groupe et s’assurer qu’il soit délimité. La demanderesse a également identifié trois membres du groupe, l’un d’eux étant Mme McCrea.

[326]  Le dossier démontre que 330 lettres « D 33 » étaient envoyées par année, en moyenne, au cours de la période proposée. De plus, le gouvernement affirme qu’environ 6 000 demandeurs allaient bénéficier des modifications de 2013. Le gouvernement doit avoir en sa possession certaines données sur les demandes refusées par le passé lui permettant d’avancer ce chiffre.

[327]  Je rejette la proposition de la défenderesse voulant que Mme McCrea n’ait aucune déclaration viable, car elle aurait pu recevoir des prestations de maladie. Bien qu’elle ait travaillé pendant deux semaines au cours de son congé parental, elle n’était pas disponible au travail lorsqu’elle a reçu son diagnostic et a subi sa chirurgie; puis qu’elle a demandé des prestations de maladie et qu’elles lui ont été refusées. Cette spéculation de la défenderesse ne correspond pas à la réalité des faits. De plus, la position de la défenderesse voulant que la demanderesse n’ait subi aucune perte, car, une fois ses prestations refusées, elle est retournée au travail comme prévu, ignore complètement le fait qu’elle serait autrement restée en congé pendant sa convalescence. De plus, elle a établi, selon ses dossiers, une certaine perte de revenus.

[328]  Quant aux membres du groupe 1, je suis d’accord que l’application du délai de prescription pertinent limitera la taille du groupe à ceux dont la déclaration se situe à l’intérieur de ce délai. Toutefois, cet élément devra être établi au cas par cas et il n’empêche pas l’autorisation du recours collectif.

[329]  Je ne suis pas d’accord que la préclusion de chose jugée viendra écarter la majorité des déclarations. Les décisions du conseil arbitral ou du juge-arbitre portent seulement sur des demandes de prestations et non sur les questions de droit et les causes d’action soulevées dans la présente action.

[330]  Personne n’a été identifié comme faisant partie du groupe 2, toutefois, le critère permet l’identification de membres. Comme l’a soulevé la défenderesse, Mme McCrea n’avait connaissance d’aucun membre dans ce groupe. Bien que trois personnes aient communiqué avec l’avocat de la demanderesse, leur identité n’a pas été révélée. Personne n’a été identifié eu égard aux déclarations inexactes ayant causé préjudice. Par conséquent, cette cause d’action ne peut pas procéder.

Les déclarations soulèvent-elles des questions communes de droit ou de fait? Alinéas 334.16(1)c) des Règles

Observations de la demanderesse

[331]  La demanderesse fait remarquer que la présence de questions communes s’apprécie en fonction d’un seuil peu élevé; de plus, la présence d’une seule question commune peut être suffisante (Carom c Bre-X Minerals Ltd (2000), 51 OR (3d) 236, aux paragraphes 39 à 42, [2000] OJ No 4014 (CA) Bre-X; Cloud c Canada (Procureur général), 2004 CanLII 45444, aux paragraphes 52 et 53, 73 OR (3d) 401 (Ont CA) [Cloud]; Hollick, au paragraphe 30).

[332]  Une question commune est une question qui sera déterminante au règlement de la déclaration de chaque membre (Buffalo c Samson First Nation, 2008 CF 1308, aux paragraphes 84 et 85, [2009] 4 RCF 3; confirmée dans 2010 CAF 165 [Buffalo]). La demanderesse soutient que l’espèce comprend de nombreuses questions communes aux dossiers de tous les membres. La demanderesse propose 23 questions communes et avance que seules quelques questions devront être tranchées au cas par cas. L’autorisation évitera la duplication des étapes d’établissement des faits et d’analyse juridique.

[333]  La demanderesse regroupe les questions communes proposées sous six rubriques : A, Interprétation et administration de l’AE; B, Négligence générale; C, Déclarations inexactes par négligence; D, Faute dans l’exercice d’une charge publique; E, Enrichissement sans cause; et F, Dommages-intérêts globaux, responsabilité du fait d’autrui et frais administratifs.

[334]  La demanderesse soutient que les deux premières questions communes du groupe A, portant sur l’interprétation de la LAE et à savoir si les défendeurs ont dûment exécuté les modifications conformément aux modalités de la Loi, sont communes à tous les membres du groupe. À l’instar des membres dans Manuge c Canada, 2008 CF 624, [2008] FCJ No 787 [Manuge 2008], il s’agit de questions d’interprétation qui devraient être autorisées.

[335]  La demanderesse soutient que la défenderesse ne pas contester le caractère commun de la question portant sur l’interprétation de la LAE étant donné qu’elle a elle-même cherché à faire trancher cette même question dans le cadre de sa requête fondée sur l’article 220. En outre, elle avait soutenu que le règlement de cette question pourrait permettre de régler l’action.

[336]  Les questions des groupes B, C et D, portant sur la négligence, les déclarations inexactes et l’enrichissement sans cause, portent sur la conduite de la défenderesse et à savoir si elle avait une obligation envers les membres et, le cas échéant, si elle s’est acquittée de celle-ci.

[337]  De façon plus générale, la demanderesse soutient que le dossier démontre beaucoup de points communs; tous les membres du groupe étaient en congé parental; ils ont tous utilisé les mêmes formulaires pour obtenir leurs prestations d’origine ainsi que pour effectuer la conversion; ils attestent tous avoir des droits et des responsabilités; la défenderesse détient des dossiers démontrant le nombre de semaines versées pour chaque type de prestations; et, tous les demandeurs ont demandé des renseignements en regard d’une demande de prestations de maladie par téléphone ou en personne.

[338]  La demanderesse souligne la preuve de M. McPhee indiquant que tous les employés de Service Canada et de la Commission ont été formés à l’aide des mêmes documents de formation afin de s’assurer d’une démarche uniforme en regard des demandes de prestations. De plus, la défenderesse a utilisé les mêmes formulaires eu égard aux demandes de prestations et a assuré une tenue de dossier uniforme. Un formulaire de demande de conversion a été envoyé à chaque demandeur de prestations de maladie du groupe; le même formulaire a été utilisé pour chacun d’eux. Le formulaire mettait l’accent sur la disponibilité et l’incapacité à travailler. Toutes les demandes de conversion des prestations ont été refusées et tous les demandeurs ont reçu des lettres affichant le code « D 33 ». La demanderesse soutient qu’étant donné l’envoi de 3 229 lettres D 33, il est clair qu’au moins 3 229 demandeurs se sont fait refuser leurs prestations. L’existence de ce groupe constitue la preuve de questions communes et le juge sur le fond devrait remarquer la suite de questions systémiques. La jurisprudence conclut que des questions semblables, y compris systémiques, constituent des questions communes, soutient la demanderesse (Cloud; Rumeur c British Columbia, [2001] 3 RCS 184, 2001 CSC 69 [Rumley]; Gay c Regional Health Authority 7, 2014 NBCA 10, [2014] NBJ No 117; Fulawka c Bank of Nova Scotia, 2012 ONCA 443, [2012] OJ No 2885 [Fulawka]).

[339]  Quant au groupe C, portant sur les déclarations inexactes, la demanderesse soutient que les mêmes déclarations ont été faites aux membres du groupe, ce qui constitue un fondement factuel à l’autorisation de celles-ci à titre de questions communes.

Observations de la défenderesse

[340]  La défenderesse soutient qu’aucune des 17 questions communes proposées à l’origine ou des 23 questions de la liste révisée ne constitue des questions communes appropriées.

[341]  S’appuyant sur les principes résumés dans Fulawka, la défenderesse estime que la demanderesse n’a pas présenté la preuve permettent de soutenir l’existence de questions communes; il faut faire davantage que de formuler des allégations.

[342]  La défenderesse soutient que les questions du groupe A, portant sur l’interprétation de la Loi, l’admissibilité à recevoir des prestations de maladie et aux droits devraient être réglées par la voie des processus d’appel prévus par la Loi. Il faut examiner les circonstances individuelles de chaque membre du groupe pour déterminer la responsabilité. Le règlement de cette question ne fera avancer la déclaration d’aucun membre.

[343]  La défenderesse avance qu’aucune preuve n’indique que la Loi a été appliquée de la même façon dans chaque dossier. Il faudra consacrer des semaines à l’examen de la preuve afin de circonscrire les agents responsables ainsi que les documents qu’ils ont utilisés pour fournir une réponse; en outre, certains peuvent avoir consulté le Guide et d’autres, la Loi.

[344]  Quant aux questions du groupe B portant sur la négligence générale, la défenderesse maintient qu’il sera nécessaire d’effectuer une recherche de faits individuels pour répondre à chacune d’elles. La question de savoir s’il existait une obligation, la portée de celle-ci, s’il y a eu un manquement, et à savoir si les membres du groupe ont subi des dommages nécessitera l’examen des interactions entre les différents membres du groupe et les agents ou les employés pertinents. La défenderesse fait remarquer, par exemple, que Mme McCrea s’est adressée à au moins six personnes différentes à la Commission; Mme Kasbohm a parlé a au moins trois autres personnes. De façon plus générale, la défenderesse conteste les observations de la demanderesse quant au caractère commun du traitement des demandes de conversion par la défenderesse.

[345]  De façon similaire, les questions du groupe C, quant aux déclarations inexactes par négligence, il sera nécessaire d’effectuer un examen de chaque dossier individuellement afin de déterminer les personnes ayant présumément effectuée les déclarations inexactes fondées sur les documents de formation et d’autres sources dits erronés ou préparés de façon négligente par la demanderesse. La défenderesse fait remarquer que la demanderesse a relevé trois déclarations inexactes. Il serait nécessaire d’effectuer des examens individuels afin de déterminer qui a dit quoi et à qui; il faudra produire les éléments de preuve nécessaires à l’établissement du caractère digne de foi de ces déclarations ainsi que des dommages encourus.

[346]  Plus important encore, la cause d’action ne peut pas obtenir gain de cause, car la demanderesse n’a démontré aucun fondement factuel à la présentation selon laquelle les déclarations étaient fausses, inexactes ou trompeuses ou qu’elles ont été adressées à une personne identifiable, qu’elle s’est appuyée sur ceux-ci et qu’elle a subi un préjudice indemnisable.

[347]  Quant au groupe D, faute dans l’exercice d’une charge publique, la défenderesse fait de nouveau remarquer que la demanderesse n’a pas établi le fondement factuel nécessaire aux éléments essentiels de ce délit. De plus, ces questions sont trop vastes; il y a des milliers d’employés : bon nombre de ceux-ci auraient pu répondre à des demandes de renseignements ou de conversion des prestations. Il serait nécessaire d’effectuer un examen individuel afin de déterminer si la personne ayant commis la déclaration inexacte alléguée l’a faite en sachant sciemment qu’elle était illégale ou formulée de mauvaise foi ou avec l’intention de causer un préjudice.

[348]  La défenderesse soutient également qu’il n’y a aucune cause d’action raisonnable en regard des questions du groupe E portant sur l’enrichissement sans cause. Subsidiairement, une évaluation individuelle serait nécessaire pour déterminer l’admissibilité et le droit aux prestations; le motif du refus, au-delà de la seule réception d’une lettre portant le code « D 33 ».

[349]  Les questions communes du groupe F, sur les dommages-intérêts globaux, la responsabilité du fait d’autrui et le paiement des frais d’administration et d’intérêts exigent un examen individuel. La défenderesse estime que la demanderesse n’a proposé aucune démarche pour évaluer les dommages-intérêts globaux. Les dommages découlent de la responsabilité, et celle-ci ne peut être déterminée à titre de question commune. De plus, les dommages réclamés ne sont pas indemnisables. Si la question des dommages-intérêts globaux n’est pas commune, alors les autres questions connexes ne sont pas non plus.

La demanderesse a établi l’existence de questions communes

[350]  Les principes énoncés dans la jurisprudence quant à l’établissement de l’existence de questions communes ne sont pas contestés, c’est plutôt l’application qui pose problème.

[351]  Dans Fulawka, au paragraphe 81, la Cour d’appel de l’Ontario a établi les principes, faisant remarquer le résumé énoncé dans Singer, lequel repose sur un examen de la jurisprudence pertinente, y compris Hollick, Dutton, Rumley et Cloud. Ces principes sont énoncés dans les suivantes, hormis les citations :

  • Le fondement d’une question commune est à savoir si son règlement permettra d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique;

  • La question peut être dite commune, même si elle porte seulement sur un volet limité de la question de la responsabilité et même s’il reste de nombreuses autres questions individuelles à trancher après son règlement;

  • Il doit y exister un lien rationnel entre le groupe identifié par la demanderesse et les questions communes proposées;

  • La question commune proposée doit porter sur un élément important de la déclaration de chaque membre du groupe et elle doit être déterminante à celle-ci;

  • La question commune n’a pas à être déterminante au litige. Il suffit qu’elle soit une question de fait ou de droit commune à toutes les déclarations et dont le règlement fera avancer l’instance (favorablement ou non) du groupe;

  • Le succès d’un membre du groupe emporte nécessairement celui de tous. La réponse à la question soulevée par une question commune pour la demanderesse doit pouvoir être extrapolée, de la même façon, à chaque membre du groupe;

  • La question commune ne peut pas reposer sur des conclusions de fait individuelles en regard de chaque demandeur individuel;

  • La demanderesse doit démontrer, par des éléments de preuve, qu’il existe une démarche utilisable pour déterminer les questions de causalité et de dommages, le cas échéant, à l’échelle du groupe;

  • Les questions communes ne doivent pas être formulées en termes trop vagues.

[352]  Dans Fulawka, la Cour d’appel a également ajouté au paragraphe 82, faisant de nouveau référence à Singer, que ces principes ne sont pas exhaustifs et que le juge des requêtes devra décider lesquels sont pertinents en fonction de la preuve produite avec la requête, puis décider s’il y a un fondement factuel permettant d’établir la question commune.

[353]  Dans Pro-Sys, une décision de 2013, la Cour suprême du Canada a réitéré les principes pertinents sur l’autorisation de recours collectifs et, quant à la communauté, a rappelé les principes énoncés dans Dutton : c’est-à-dire à savoir si le fait d’autoriser le recours collectif permettra d’éviter la répétition dans l’appréciation des faits ou l’analyse juridique; indiquant qu’il faut aborder le sujet de la communauté en fonction de l’objet; qu’une question est seulement commune lorsque son règlement est nécessaire au règlement des demandes de chacun des membres du groupe; qu’il n’est pas essentiel que les membres du groupe soient tous dans la même situation par rapport à la partie adverse; qu’il n’est pas nécessaire que les questions communes l’emportent sur les questions non communes, mais les demandes des membres doivent « partager un élément commun important afin de justifier le recours collectif »; et, tous les membres du groupe doivent profiter du dénouement favorable de l’action, mais pas nécessairement dans la même proportion.

[354]  La demanderesse soutient que la résolution des questions communes évitera la répétition dans l’appréciation des faits ou l’analyse juridique et que le résultat s’appliquera aux demandes de chaque membre du groupe. La demanderesse remarque que les questions communes n’ont pas à déterminer la responsabilité eu égard à tous les membres du groupe, mais elles doivent véritablement permettre l’avancement du litige (Dutton, aux paragraphes 39 et 40; Buffalo, aux paragraphes 84 et 85; Pro-Sys, au paragraphe 108).

[355]  La demanderesse soutient que les questions systémiques avancées dans le présent dossier sont, à plusieurs égards, analogues à celles avancées dans Cloud, laquelle a mené à l’autorisation du recours collectif par la Cour d’appel de l’Ontario.

[356]  Dans Cloud, les membres d’une Première nation ont présenté une demande de recours collectif au nom d’environ 1 400 élèves d’un pensionnat et de leurs familles et ont réclamé des dommages-intérêts pour agression, négligence et manquement à une obligation fiduciaire, entre autres, et ce, sur une période s’étalant sur 45 ans.

[357]  La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le juge des requêtes et la majorité de la Cour divisionnaire n’avaient pas été guidés par les principes énoncés dans les arrêts de principe, y compris Hollick, Bre-X et Rumley, car ils s’étaient concentrés sur les volets de la demande nécessitant une évaluation ou une décision individuelle, toutefois, le juge dissident de la Cour division avait suivi la bonne démarche. La Cour d’appel a fait remarquer aux paragraphes 55 et 56 :

[traduction]

En contrepartie, je crois que le juge Cullity a abordé la question de la communauté adéquatement a obtenu le bon résultat. Comme je l’a décrit, plutôt que de se concentrer sur le nombre de questions individuelles pouvant y avoir et de conclure à partir de celles-ci qu’il n’y a aucune question commune, le juge Cullity a cherché à savoir s’il y avait une question commune déterminante au règlement des demandes de chaque membre du groupe et qui pourrait être dite un élément important de celles-ci.

S’appuyant sur Rumley, il a conclu qu’une part substantielle de chaque demande portait sur le manquement allégué aux différentes obligations légales dues à l’ensemble des membres du groupe. Ces obligations se résument à la négligence, à l’obligation fiduciaire et aux droits autochtones en ce qui a trait au groupe d’élèves. La demande des deux autres groupes porte sur l’obligation fiduciaire. La nécessité de statuer sur l’existence de ces obligations et à savoir s’il y a eu un manquement eu égard à tous les membres [page 416] est une composante importante de la demande de chacun des membres. Il a ensuite conclu que la demande portant sur une évaluation des dommages-intérêts globaux découlant des défauts établis ainsi que la réclamation de dommages-intérêts punitifs en lien avec la conduite des défendeurs répondait également à l’exigence de la communauté. Par conséquent, il a statué que l’action répondait aux critères énoncés à l’alinéa 5(1)c).

[358]  La défenderesse soutient que la demanderesse n’a pas produit une preuve suffisante permettant de démontrer l’existence de questions communes. En outre, elle estime qu’elle s’est simplement adonnée à de la spéculation et a présenté des affirmations dans ses actes de procédures, contrairement aux principes énoncés dans Fulawka.

[359]  Je conclus que la demanderesse a fait davantage que de simples affirmations et qu’elle a établi que l’autorisation du recours collectif éviterait la répétition dans l’appréciation des faits ou l’analyse juridique. Ainsi, l’espèce satisfait à cet élément du critère d’autorisation s’il est également établi que le règlement d’une question commune (favorablement ou non pour les membres du groupe) permettra de faire progresser le litige et le résultat de celle-ci pourra être appliquée à tous les membres du groupe.

[360]  Le seuil applicable à ce critère est également peu élevé. Dans Cloud, au paragraphe 52, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le critère peut être satisfait si [traduction] « malgré l’audition sur les questions communes, de nombreux éléments de la responsabilité et la question des dommages restent à être tranchés individuellement ».

[361]  Dans l’espèce, une part considérable de la déclaration de chaque membre du groupe 1 porte sur la façon dont la défenderesse a interprété et exécuté la Loi et formé ses agents, publicisé le programme d’AE et a traité les demandes. La demanderesse a établi que le processus était le même eu égard à tous les éléments, et ce, pour tous les demandeurs recevant des prestations parentales ou de maternité et ayant ensuite demandé des prestations de maladie.

[362]  La demanderesse a démontré l’existence d’un fondement factuel permettant d’étayer sa description de l’administration du processus de traitement des demandes. Le dossier établit qu’il y avait communauté quant aux formulaires de demandes, aux lettres de refus et aux expériences des membres du groupe.

[363]  La question de savoir si les défendeurs ont bien interprété la Loi et administré le programme de prestations est un élément essentiel de la demande de chaque membre du groupe 1. Le règlement de celle-ci ferait avancer le dossier de chaque membre.

[364]  Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’établir les dommages en regard de chaque membre du groupe, la détermination des prestations perdues des dommages ne devrait pas être compliquée étant donné que le montant de prestations hebdomadaires versées pour une période donnée est connu et que le nombre de semaines de maladie peut être établi, si l’on présume qu’il existe des dossiers médicaux ou des notes de médecin dignes de foi.

[365]  L’alinéa 334.16(1)c) reconnaît que la question est à savoir si le groupe soulève des questions communes de droit ou de fait, qu’elles soient prépondérantes ou non.

Les questions communes à certifier

[366]  La demanderesse a regroupé les questions communes en catégories.

[367]  État donné mes conclusions précédentes en regard des causes d’action pour déclaration inexacte par négligence, pour enrichissement sans cause et pour faute dans l’exercice d’une charge publique, voulant qu’elles n’eussent aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause, les questions communes des groupes C, D et E ne seront pas certifiées.

[368]  Quant au groupe A, portant sur la LAE et son administration, la résolution des deux questions évitera la répétition dans l’appréciation des faits ou l’analyse juridique et le résultat s’appliquera à tous les membres du groupe. Cette question représente le fondement ou l’ingrédient substantiel des déclarations de tous les membres du groupe. Aucune des actions n’aura gain de cause s’il est établi que la Loi a bien été interprétée et appliquée, les questions communes restantes n’auront pas à être abordées. En contrepartie, si la Loi n’a pas été bien interprétée ou appliquée, alors il sera possible de statuer sur la négligence et les autres questions. Cette question peut être tranchée en l’absence de conclusions de fait individuelles à chaque membre du groupe. Le règlement des questions du groupe A permettra de faire avancer le litige, d’une façon ou d’une autre.

[369]  Comme l’a fait remarquer la demanderesse, la requête fondée sur l’article 220 des Règles de la défenderesse portait sur une question concernant l’interprétation de la Loi au motif que le règlement de cette question de droit permettrait de régler l’action. Par conséquent, je ne suis pas convaincue par les arguments avancés aujourd’hui par la défenderesse à l’encontre du caractère commun de cette question.

[370]  Toutes les questions communes proposées découlent de la prétention de l’intime voulant que la Loi a été mal interprétée et appliquée, ou de façon négligente, en raison d’une interprétation erronée.

[371]  Certaines questions du groupe B portant sur la négligence globale sont communes, d’autres nécessiteront une évaluation plus individuelle. Les questions de négligence globale dépendent du règlement des questions du groupe A.

[372]  La question de savoir si la défenderesse avait une obligation de diligence envers les membres du groupe dans l’administration de la Loi ne nécessite pas, à mon sens, une évaluation individuelle des interactions entre personnes précises, comme le soutient la défenderesse. Le point de départ de la question de la négligence porte à savoir s’il y avait une obligation de diligence. Le règlement de cette question fera avancer le litige et, advenant qu’une telle obligation soit établie, le résultat s’appliquera à tous les membres du groupe.

[373]  De façon similaire, le contenu ou la portée de l’obligation, ainsi que l’identité des défendeurs à qui elle incombe, sont également des questions communes et des éléments substantiels de chaque demande; la résolution de celles-ci fera avancer le litige. La portée ou le contenu de toute obligation due devrait être constant entre la défenderesse, qu’il s’agisse de la Commission ou de Service Canada, ou des deux, et les membres du groupe.

[374]  Les autres questions du groupe B, à savoir si et quand la défenderesse a manqué à son obligation de diligence, à savoir si le manquement a causé des pertes, et à savoir l’ampleur desdites pertes, nécessiteront une analyse individuelle des faits eu égard à chaque membre du groupe. La question de savoir si et comment la défenderesse a manqué à l’obligation de diligence peut comporter des volets communs, car celle-ci pourrait découler d’une conclusion concernant de l’interprétation de la Loi ainsi que d’un examen des concepts du caractère prévisible et de la proximité. Les autres éléments nécessiteront un examen plus individuel.

[375]  Bien qu’il soit nécessaire de déterminer individuellement qui avait une obligation de diligence et qui y a manqué, l’établissement de l’obligation de diligence, le cas échéant, fera avancer le litige.

[376]  La définition appropriée des dommages comportera également des éléments communs. Si des prestations avaient dû être versées, le calcul de ces montants devrait être plutôt simple. En outre, la défenderesse a versé des prestations de maladie à des prestataires de prestations parentales ou de maternité après la décision Rougas et avant la modification de la loi; il existe manifestement une méthode permettant de déterminer le montant dû. Les autres éléments de la question des dommages nécessiteront un examen individuel.

[377]  Je partage l’avis de la défenderesse quant au groupe F; la question de savoir si le montant réclamé à titre de dommages-intérêts globaux peut être déterminé de façon générale, et le montant lui-même, nécessitera un examen individuel. La demanderesse n’a proposé aucune méthode pour l’établissement des dommages-intérêts globaux.

[378]  Or, contrairement à ce que prétend la défenderesse, l’étape de l’autorisation n’est pas moment pour commenter sur le caractère indemnisable ou non des dommages-intérêts réclamés, c.-à-d. à savoir si les membres du groupe ont subi des dommages dépassant les dérangements et les inconvénients ordinaires. Cet élément nécessitera la production d’une preuve au procès.

[379]  Les questions proposées concernant les frais d’administration et la distribution des sommes obtenues aux membres du groupe réunissent plusieurs éléments du critère définissant une question commune, particulièrement en ce qui a trait à éviter la répétition de l’appréciation des faits suivant toute évaluation individuelle des dommages.

[380]  La question de savoir si des intérêts sont dus au groupe dépendra de plusieurs facteurs; elle devrait ainsi être examinée individuellement.

[381]  La question de savoir si la défenderesse est responsable du fait d’autrui en regard des actions de ses agents ne sera pas soulevée étant donné que les causes d’action pour déclarations inexactes par négligence, pour enrichissement sans cause et pour faute dans l’exercice d’une charge publique ne sont pas autorisées.

[382]  Les questions communes qui seront certifiées figurent dans les suivantes, suivant la numérotation proposée à l’origine par la demanderesse, ainsi qu’à la conclusion du présent du jugement pour référence.

A Questions portant sur l’interprétation et l’administration de la LAE

  1. Les personnes qui, durant la période visée par le recours collectif, étaient en congé parental et ont contracté une maladie, se sont blessées ou ont été invalides avant ou pendant leur congé parental sont-elles admissibles à l’obtention de prestations de maladie, selon la définition prévue à la LAE?

  2. Si la réponse à la question A.1 est « oui », les défendeurs ont-ils administré la LAE, durant la période visée, conformément à ses dispositions lorsqu’ils ont omis d’accorder des prestations de maladie aux membres du groupe?

B Questions portant sur la négligence globale

  1. Si la réponse à la question A.2 est « non », alors les défendeurs avaient-ils une obligation de diligence envers les membres du groupe quant à l’administration de la LAE?

  2. Si la réponse à la question B.1 est « oui », alors quelle était la nature de cette obligation et à quels défendeurs incombait-elle?

  3. Si la réponse à la question B.1 est « oui », les défendeurs à qui incombait cette obligation ont-ils manqué à l’obligation de diligence?

F Questions sur les dommages-intérêts globaux, la responsabilité du fait d’autrui et les frais administratifs

  1. Les défendeurs devraient-ils payer les frais administratifs et de distribution du montant recouvré aux membres du groupe?

Le recours collectif constitue-t-il la procédure préférable en vue du règlement juste et efficace des questions communes? Alinéa 334.16(1)d) des Règles

[383]  L’alinéa 334.16(2) prévoit des directives supplémentaires quant au règlement de la question de savoir si le recours collectif est la procédure préférable, conformément à l’alinéa 334.16(1)d) :

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

 

(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether

 

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

 

(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;

 

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

 

(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;

 

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

 

(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;

 

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

 

(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and

 

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

 

(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.

 

Observations de la demanderesse

[384]  La demanderesse soutient qu’il existe un fondement factuel étayant sa prétention voulant que le recours collectif soit la procédure préférable.

[385]  La demanderesse avance que le recours collectif est un mécanisme permettant de régler de nombreuses questions communes, laissant seulement quelques questions individuelles à trancher. Les seules alternatives possibles seraient les actions en Cour des petites créances ou le dépôt de demandes très tardives pour les membres du groupe 2. Or, ces solutions sont généralement inadéquates étant donné les frais qu’elles comportent et d’autres obstacles.

[386]  Le paragraphe 334.16(2) enjoint à la Cour de tenir compte de plusieurs facteurs. Toutefois, il n’est pas nécessaire que tous les facteurs appuient le recours collectif. Les questions communes ne doivent pas avoir préséance sur les questions individuelles. L’existence de questions individuelles n’empêche pas l’autorisation du recours.

[387]  La demanderesse fait valoir que la Cour doit examiner le caractère pratique des solutions alternatives de façon comparative : l’économie des ressources judiciaires, l’accès à la justice et la modification des comportements (Markson c MBNA Canada Bank, 2007 ONCA 334, au paragraphe 69, 282 DLR (4th) 385 [Markson]; Cloud, au paragraphe 76; Condon c R, 2014 CF 250, aux paragraphes 110 et 113, 239 ACWS (3d) 28 [Condon]).

[388]  L’accès à la justice est le facteur le plus important. Lorsque le coût d’une procédure alternative dépasse la valeur de la réclamation, alors celle-ci n’est pas préférable (Keatley Surveying Ltd c Teranet Inc, 2014 ONSC 1677, au paragraphe 104, 119 OR (3d) 497; Barwin c IKO, 2012 ONSC 3969, au paragraphe 85, 218 ACWS (3d) 255).

[389]  Dans l’espèce, les réclamations en dommages-intérêts sont toutes inférieures à 7 515 $ (soit un maximum de 15 semaines de prestations de maladie calculé selon le maximum hebdomadaire fixé à 501 $ durant la période visée par le groupe). La réclamation d’AE de Mme Rougas équivalait à 5 940 $. En contrepartie, les honoraires de Mme Rougas auraient été supérieurs à 30 000 $, n’eût été le fait que le cabinet d’avocat l’a représenté pro bono. La réclamation de Mme McCrea se chiffre à environ 1 500 $, tandis que celle de Mme Kasbohm représenterait 4 140 $. Le coût lié à l’entreprise de procédures individuelles est un obstacle insurmontable.

[390]  La demanderesse fait remarquer que les membres du groupe ne disposent d’aucun autre recours que le recours collectif. Même si les coûts liés à la transmission des avis aux membres du groupe, à l’administration des demandes et à la résolution des questions individuelles sont élevés, ils demeurent inférieurs à l’entreprise d’une infinité de réclamations aux petites créances, de demandes d’AE, d’appels d’AE et de demandes d’AE antidatées.

[391]  De plus, le délai pour interjeter appel devant le conseil arbitral ou le juge-arbitre est échu; ces moyens d’appels ne permettraient pas de régler les demandes actuelles. Le processus devant la Cour des petites créances demeure la seule autre option possible, mais les frais juridiques liés à celui-ci seraient de loin supérieurs au montant demandé. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que les avocats entreprennent ces dossiers pro bono.

[392]  La demanderesse soutient que les moyens d’appels administratifs ou prévus par la loi ont été des obstacles à l’obtention d’un règlement des demandes, car les défendeurs contrôlaient le processus d’appel et le dossier remis au conseil arbitral et au juge-arbitre et qu’ils ne faisaient pas référence aux modifications de 2002 dans le dossier. Les délais de prescription des appels ainsi que les exigences d’antidations d’une demande qui, même si elle était autorisée, mèneraient à un contrôle judiciaire en cas de refus, constituent d’autres obstacles à poursuite de demandes individuelles.

[393]  La demanderesse soutient également que les questions communes ont préséance sur les questions individuelles. Les questions individuelles restantes qui seraient faciles à prouver sont l’identité, la maladie survenue durant le congé parental, le montant hebdomadaire des prestations ainsi que tout revenu reçu au cours de la période de prestations devant être compensé. Une fois encore, la demanderesse soutient que cette preuve sera facile à établir, particulière en raison de la présence des demandeurs dans le système d’AE et de l’existence de leurs dossiers. À défaut de détenir un dossier médical ou une note d’un médecin pour démontrer la maladie, un affidavit pourrait suffire.

[394]  La demanderesse conteste la liste de questions individuelles avancées par la défenderesse et fait remarquer que bon nombre d’entre elles sont répétitives. Toutefois, la défenderesse reconnaît que les questions individuelles les plus compliquées porteront sur la preuve des dommages-intérêts généraux. Le juge à l’audience pourra établir le seuil relatif aux préjudices psychologiques. Si les dommages-intérêts généraux ne sont pas autorisés à titre de questions communes, alors les membres du groupe pourraient fournir des déclarations et des descriptions des répercussions des actions des défendeurs. Le recours collectif comportera tout de même des avantages, même s’il est nécessaire de produire une preuve plus étoffée en regard des dommages-intérêts.

[395]  Comme mentionné précédemment, l’application de délais de prescription sera une question individuelle, mais elle ne sera pas abordée à l’heure actuelle, car la défenderesse n’a pas produit une défense.

[396]  La demanderesse fait remarquer les cours ont autorisés des recours collectifs comportant des questions individuelles beaucoup plus complexes (Cloud, au paragraphe 90; Chace c Crane Canada Ltd, 1996 BCJ No 1606, au paragraphe 23, [1996] BCWLD 2137(SC); Fulawka, aux paragraphes 142 à 167).

[397]  La demanderesse conteste l’argument de la défenderesse voulant qu’il y ait un manque de preuve démontrant que les demandeurs souhaitent déposer leurs réclamations. La question est à savoir s’il y a un nombre considérable de particuliers qui souhaitent mener leur propre procédure. Il n’y a aucune preuve de la présence de telles personnes.

[398]  Répondant à la prétention de la défenderesse voulant que le Tribunal de la sécurité sociale [TSS] constitue le processus préférable, la demanderesse fait remarquer que seuls les membres du groupe 2 pourraient se prévaloir du TSS, et ce, seulement après le règlement de leurs demandes de dépôt d’une demande de prestations antidatée. Il ne s’agit pas simplement d’une demande de prestations; le TSS et ses prédécesseurs ne peuvent pas résoudre les questions de droit.

[399]  La demanderesse indique que la défenderesse n’a pas offert de détails quant au résultat visé par sa référence vague au recours à une cause type en guise d’alternative. La défenderesse semble suggérer le recours à une cause type pour seulement un ou quelques demandeurs ou de s’en remettre au TSS après le règlement des demandes d’antidations. Il s’agit d’une proposition spéculative qui ne permettrait aucune réparation. De plus, il ne serait pas possible de trancher des questions de droit. Si la défenderesse propose une procédure alternative, elle doit démontrer de quoi il s’agit (AIC, au paragraphe 49).

Observations de la défenderesse

[400]  La défenderesse soutient que la résolution des questions communes ne ferait pas avancer le litige; selon elle, le recours ne devrait pas être autorisé.

[401]  La somme de questions individuelles est écrasante; il serait nécessaire d’effectuer une analyse individuelle en regard de presque toutes les questions. Les causes d’action plaidées doivent être démontrées pour chaque membre du groupe, l’application des délais de prescription limitera le nombre de membres au groupe et il sera nécessaire d’effectuer une analyse individuelle des faits en regard de chaque membre avant de conclure à la responsabilité, ou non. La situation de chaque demandeur est différente et a une incidence son droit à l’AE.

[402]  La défenderesse soutient qu’il serait nécessaire en premier lieu de produire une preuve de la perte réelle quant aux dommages-intérêts. La défenderesse avance de nouveau que Mme McCrea est retournée au travail à la fin de sa période de prestation et, conséquemment, qu’elle n’a aucune responsabilité à son égard et que celle-ci n’a droit à aucun dommage. D’autres ont pu faire de même.

[403]  Il sera nécessaire de produire une preuve médicale pour établir que les demandeurs du groupe 1 étaient malades et de tenir de longs procès individuels pour produire ladite preuve. De plus, le refus des prestations peut reposer sur différents motifs autres que l’indisponibilité au travail.

[404]  La défenderesse soutient que le facteur prévu à l’alinéa 334.16(2)b) des Règles porte à savoir si les membres du groupe seraient mieux servis s’ils intentaient ou contrôlaient des actions individuelles distinctes ainsi que sur la viabilité et la capacité financière des particuliers intentant leurs propres actions (Condon, au paragraphe 101, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hinton, 2008 CAF 215, au paragraphe 9, [2008] FCJ No 1004). La défenderesse estime que dans l’espèce, les membres du groupe ont accès à un mécanisme d’appel spécialisé et abordable qu’ils auraient pu ou auraient dû utiliser. Elle maintient qu’ils auraient été mieux servis par celui-ci. Le recours collectif ne constitue pas un mécanisme de deuxième chance (Lauzon c Canada (Procureur général), 2014 ONSC 2811, aux paragraphes 59 et 60, 241 ACWS (3d) 31 (SCJ)).

[405]  La défenderesse fait de nouveau valoir que les principes de finalité et de certitudes doivent être soupesés dans la détermination de la procédure préférable. Elle réitère que les décisions du conseil arbitral et du juge-arbitre étaient légales et définitives. Dans AIC, au paragraphe 19, la Cour a indiqué que la possibilité de régler les demandes des membres du groupe par la voie d’un autre mécanisme devrait être envisagée, même si le mécanisme alternatif n’est pas idéal.

[406]  Quant à la comparaison de l’aspect pratique (alinéas 334.16(2)d) et e) des Règles), la défenderesse soutient que le recours à l’appel administratif (c.-à-d. au conseil arbitral et au juge-arbitre, et aujourd’hui au TSS) constitue la procédure préférable pour ceux dont le dossier n’est pas préclus pour cause de chose jugée. Toutefois, la défenderesse soutient que les dossiers de la plupart des membres du groupe sont préclus pour cause de chose jugée, tandis que le délai de prescription est échu pour d’autres.

[407]  Par ailleurs, même si le conseil arbitral et le juge-arbitre et le TSS ne peuvent pas statuer en regard des causes d’action avancées aujourd’hui par la demanderesse, ils peuvent déterminer le droit aux prestations, ce qui est le fond de la demande.

[408]  Cependant, la défenderesse souligne également que bien que les appels administratifs au conseil arbitral et au TSS soient préférables pour le règlement des demandes du groupe, seuls les demandeurs figurant toujours dans le système d’AE pourront se prévaloir de cette option.

[409]  À l’audience en personne, la défenderesse a mentionné pour la première fois qu’il est toujours possible d’entreprendre des causes types, et que la Cour pourrait examiner cette option. La défenderesse indique que la Cour pourrait suspendre la présente action afin de permettre au TSS de statuer en regard de la demande de prestations d’un des membres du recours collectif.

[410]  La défenderesse semble laisser entendre que les appels de mesdames McCrea et Kasbohm, ajournés devant le juge-arbitre, pourraient toujours être entrepris devant le TSS et, selon la décision, pourrait ensuite faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Par contre, la défenderesse annonce également qu’elle invoquerait la préclusion de la chose jugée, le cas échéant.

[411]  La défenderesse que chacun de ces processus comprend des obstacles en comparaison au recours. La voie administrative ne sera pas disponible pour les membres dont les dossiers sont préclus pour cause de chose jugée et de dépassement du délai de prescription. En contrepartie, les frais liés à un recours collectif sont très élevés, en plus des coûts liés aux audiences pour régler les questions individuelles.

[412]  La demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau et de démontrer que le recours collectif constitue l’action préférable. La véritable question porte sur l’admissibilité à des prestations, il n’y a aucune valeur ajoutée à recourir à une audience à cette fin. En somme, une fois les deux options comparées, la défenderesse estime qu’il serait préférable de recourir au processus devant le TSS.

Le recours collectif est la procédure préférable

[413]  À mon sens, ni le recours collectif ni les recours administratifs ne sont les procédures idéales pour la résolution des demandes dont il est question. Toutefois, le recours collectif est la procédure préférable.

[414]  Le recours collectif sera long, compliqué et coûteux. Par contre, il n’y a aucune alternative acceptable ou faisable. Les recours et les mécanismes administratifs ne peuvent pas trancher les questions de droit et les causes d’action en négligence. La défenderesse a clairement indiqué qu’elle invoquerait la préclusion de la chose jugée ainsi que les délais de prescription en cas de recours administratif. Ainsi, il n’y aurait que peu, voire aucun demandeur en mesure de réclamer les prestations auxquelles il aurait pu avoir droit. De plus, cette solution ne permettrait aucunement de résoudre les questions soulevées par la demanderesse au sujet de l’interprétation et de la Loi et de son administration. En comparaison, le recours collectif est non seulement la meilleure option, mais également la seule pour les membres du groupe qui cherchent à obtenir un règlement en regard de la cause d’action ayant une chance d’obtenir gain de cause.

[415]  La jurisprudence met l’accent sur la comparaison de l’aspect pratique des alternatives, tout en gardant à l’esprit les trois objectifs : l’économie des ressources judiciaires, l’accès à la justice, et la modification des comportements (Markson, au paragraphe 69; Cloud, au paragraphe 76; Hollick; AIC).

[416]  Dans l’espèce, les objectifs d’accès à la justice et de l’économie des ressources judiciaires sont pertinents. La modification des comportements ne semble pas être un facteur étant donné que la loi a été modifiée en 2013 pour permettre l’octroi de prestations de maladies aux prestataires en congé parental étant malades, peu importe leur disponibilité au travail. Toutefois, ces modifications n’ont pas profité aux membres du groupe proposé.

[417]  Dans AIC, la Cour suprême s’est concentrée sur l’objectif de l’accès à la justice de l’élément de la procédure préférable du critère d’autorisation des recours collectifs. La Cour a fait remarquer au paragraphe 22 qu’il n’était nullement nécessaire que le recours collectif envisagé atteigne ces trois objectifs et que l’intimé n’avait pas le fardeau de démontrer qu’il atteindrait ceux-ci. Au paragraphe 23, la Cour a ajouté qu’elle devait tenir compte de la mesure dans laquelle le recours collectif proposé pourrait atteindre ces objectifs, mais qu’il n’était pas nécessaire qu’ils soient atteints tous les trois : la question reste à déterminer la procédure alternative préférable pour régler la demande. Les avantages relatifs de chaque option doivent être aminés.

[418]  La Cour a tenu les propos suivants quant à l’accès à la justice :

[26] Le recours collectif permet de réaliser l’objectif d’accès à la justice si (1) il existe des préoccupations à ce sujet auxquelles ce type d’action peut répondre et (2) ces préoccupations subsistent lorsque d’autres voies de droit sont envisagées (Hollick, par. 33). Pour établir si ces deux conditions sont remplies, il peut être utile de se poser une série de questions. Elles ne sauraient être examinées isolément, ni dans un certain ordre, mais elles devraient éclairer une analyse comparative globale. Un bref commentaire accompagne l’énoncé de chacune d’elles.

[419]  La Cour a ensuite cherché à répondre à quatre questions : quels sont les obstacles à l’accès à la justice; dans quelle mesure le recours collectif permet-il d’éliminer ces obstacles; quels autres moyens y a-t-il; et dans quelle mesure les autres moyens permettent-ils d’aplanir les obstacles?

[420]  Au paragraphe 38, la Cour a conclu que : « [e]n fin de compte, le tribunal saisi de la motion doit déterminer, au vu de la preuve, s’il a été démontré que le recours collectif est le meilleur moyen de régler les préoccupations relatives à l’accès à la justice, sur le plan de la procédure et sur le plan du fond. Comme la Cour le mentionne dans Hollick, il doit aussi, sans outrepasser le cadre de l’audience sur la certification, comparer les coûts et les avantages du recours collectif projeté à ceux des autres moyens proposés ».

[421]  Dans l’espèce, lorsqu’on examine ces questions, il est apparent que la voie de l’appel administratif ne permettrait pas d’obtenir justice pour de nombreux, voire le moindre, demandeurs. Même si on écarte la réclamation financière, la voie administrative ne permettrait pas de résoudre des questions de droit ou portant sur les principes sous-jacents en cause, ce qui semble être une préoccupation importante du point de vue de l’accès à la justice pour les membres du groupe proposé. De plus, les considérations coûts-bénéfices favorisent le recours collectif.

[422]  Dans Manuge 2008, le juge Barnes a souligné l’importance du facteur de l’accès à la justice, indiquant au paragraphe 28 : « [l]orsqu’il n’est pas économique pour un seul justiciable de déposer un recours et que la Couronne n’a pas montré sa volonté d’indemniser M. Manuge ou quiconque des frais à engager pour soumettre aux tribunaux une cause type qui aura force obligatoire, alors l’idée d’un recours collectif a d’autant plus de force [...] »

[423]  De façon similaire, dans l’espèce, le coût d’actions individuelles est disproportionnellement élevé.

[424]   La suggestion de dernière minute de la défenderesse d’intenter une cause type manque de détails ou de clarté. Elle ne semble pas être une alternative utile pour trancher les causes d’actions, voire même pour régler les demandes de prestations des membres du groupe. La défenderesse reconnaît qu’elle invoquera la préclusion de chose jugée et en regard des délais de prescription et que tout recours au TSS sera limité aux demandes de prestations. Il reste une incertitude quant à la perspective d’antidater des demandes. De plus, la voie administrative ne permettrait probablement pas de régler la question de l’interprétation de la loi ainsi et ne trancherait pas la réclamation pour négligence.

[425]  Si la défenderesse avait une proposition sérieuse à formuler, il aurait été préférable qu’elle l’énonce plus tôt et en de plus amples détails, plutôt que de suggérer une démarche alternative de dernière minute. La Cour ne peut pas considérer cette proposition et suspendre l’action cours pour permettre le traitement d’une cause type par le TSS : la proposition est trop vague. On ne sait pas combien de demandes pourraient être présentées ainsi ou si la défenderesse a l’intention d’indemniser l’intimé dans la cause type pour ses frais. Étant donné que la défenderesse admet qu’elle invoquerait la préclusion de la chose jugée ainsi que l’application des délais de prescription, et que ce moyen pourrait seulement régler les questions d’admissibilité aux prestations, probablement sans la conduite de l’examen nécessaire des questions de droit sous-jacent, il ne s’agit pas d’une proposition favorable à l’accès à la justice.

[426]  Je remarque que, par rapport aux demandes de prestations, la défenderesse n’a pas suggéré aux membres du groupe proposé de convenir d’une entente semblable pour le paiement des prestations de maladie, comme ce fut le cas pour les demandeurs après Rougas et avant l’entrée en vigueur des modifications de 2013. Bien qu’elle soutienne que Rougas lui donnait le pouvoir de verser les prestations aux demandeurs en dépit de la loi, la défenderesse n’a pas suggéré d’autres démarches innovatrices aux membres du groupe, et ce, malgré le fait qu’une telle démarche permettrait de régler seulement la question des pertes de prestations, mais d’aucun dommage, et n’aborderait pas la question d’interprétation de la Loi, laquelle a été modifiée par la suite conformément au point de vue de la demanderesse.

[427]  Bien qu’il reste des questions individuelles, elles ne sont ni écrasantes ni fatales au recours collectif. Le recours collectif permettra de régler plusieurs questions communes qui devraient autrement être réglées dans le cadre d’actions individuelles, entraînant probablement des coûts beaucoup plus élevés, lesquels seraient disproportionnés eu égard au résultat. L’économie des ressources judiciaires et l’accès à la justice favorisent tous deux le recours collectif.

[428]  Le recours collectif constituera un forum permettant de régler de nombreuses demandes dont la valeur monétaire, en soi, est relativement faible, mais dont la valeur non monétaire est considérablement plus élevée. Il serait disproportionné et probablement futile pour les demandeurs individuels d’intenter un recours à la Cour des petites créances pour obtenir le règlement de leur cause d’action, y compris des prestations perdues auxquelles ils auraient pu avoir droit, lesquelles se chiffreraient à, au plus, 15 semaines de prestations à environ 500 $ par semaine, voire peut-être beaucoup moins selon le nombre de semaines de congé de maladie. Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’y être représenté par avocat, ce serait bénéfique, particulièrement pour faire valoir des arguments sur l’interprétation de la Loi. Comme l’a indiqué la demanderesse, les honoraires de Mme Rougas, ayant eu gain de cause devant le juge-arbitre, auraient été de près de 30 000 $ n’eussent-ils été offerts pro bono. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que les avocats entreprennent ces dossiers pro bono.

[429]  Il n’y a aucune preuve démontrant que la moindre personne cherche à contrôler sa réclamation individuelle. Finalement, les alternatives suggérées par la défenderesse sont vagues et ne permettraient pas l’accès à la justice.

[430]  Considérant tous les facteurs applicables à cette évaluation, la demanderesse a établi qu’il serait préférable d’intenter un recours collectif. À ce stade-ci, le seuil est peu élevé, malgré les nombreux facteurs entrant en compte.

Mme McCrea est-elle une représentante demanderesse appropriée? Alinéa 334.16(1)e) des Règles

Observations de la demanderesse

[431]  La demanderesse Mme McCrea soutient qu’elle une demanderesse appropriée au recours et qu’elle satisfait à tous les critères énoncés à l’alinéa 334.16(1)e) : elle est motivée; elle est accompagnée d’un avocat compétent; elle a la capacité d’assumer les frais; elle représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe; elle n’a pas de conflit d’intérêts et a communiqué un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre elle et l’avocat inscrit au dossier. La demanderesse ajoute que Mme McCrea rassemble toutes les caractéristiques du membre du groupe 1 et presque toutes les caractéristiques du membre du groupe 2, sauf qu’elle n’a pas été dissuadée de présenter une demande.

[432]  La demanderesse conteste l’argument de la défenderesse voulant qu’elle ait pu être admissible à recevoir des prestations. Qu’elle soit retournée au travail pendant plusieurs jours durant son congé parental ne l’aurait pas rendue admissible aux prestations. Elle a présenté une demande de prestations après un diagnostic de cancer en vue de convertir ses prestations parentales en prestations de maladie : sa demande a été refusée, car elle était en congé parental et indisponible au travail. Elle a subi les mêmes conséquences que les autres membres du groupe. Bien qu’elle soit retournée au travail en octobre 2011, car on lui a refusé ses prestations, elle aurait eu droit à certaines prestations de l’AE, tenant compte des déductions nécessaires eu égard à son retour au travail.

[433]  La demanderesse fait valoir qu’elle a choisi de faire ajourner son appel afin de tenter d’obtenir des réparations pour le groupe. Elle a mis ses intérêts personnels de côté afin d’entreprendre le recours collectif proposé.

[434]  La demanderesse réfute la critique que formule la défenderesse à l’égard du caractère adéquat de son plan de déroulement de l’instance; elle rappelle qu’il s’agit d’un document en constante évolution. Le plan proposé, appuyé par le dossier, est suffisamment détaillé et comprend la forme que prendra l’avis d’autorisation du recours, la façon dont il sera communiqué, ainsi que le droit de retrait; l’échéancier pour la production de documents et la tenue d’interrogatoires préalables; et la façon dont les rapports d’experts, le cas échéant, seront traités. Le plan, appuyé par le dossier, fait également référence aux preuves de maladie, de confiance et de dommages-intérêts globaux. La demanderesse soutient que son plan proposé comprend les éléments essentiels (Cloud, au paragraphe 95; Buffalo, au paragraphe 151). Le plan de déroulement de l’instance sera modifié en fonction des questions certifiées et d’autres détails, lesquels peuvent être réglés en gestion de l’instance.

[435]  La demanderesse indique que son avocat a consulté un cabinet expérimenté en droit administratif et a proposé qu’on s’y remette. En temps opportun, une proposition détaille sera rédigée, comprenant l’avis aux membres et la preuve.

Observations de la défenderesse

[436]  La défenderesse soutient que Mme McCrea ne peut pas être la représentante demanderesse, car son dossier n’est pas commun à ceux des membres du groupe qu’elle propose de représenter en regard des questions essentielles et qu’elle ne détient pas une déclaration viable (Bre-X). Une fois encore, la défenderesse soutient que Mme McCrea aurait pu être admissible à recevoir des prestations puisqu’elle a travaillé pendant deux semaines en juin 2011 et qu’elle n’a, en somme, subi aucune perte, car elle est retournée au travail à la date prévue lorsque sa demande prestations a été refusée.

[437]  La défenderesse soutient également que le plan de déroulement de l’instance est inadéquat, car il n’aide pas la Cour à déterminer si le recours collectif est la procédure préférable et si l’instance est gérable (Buffalo, aux paragraphes 149 et 151). La défenderesse avance que les cours ne devraient pas autoriser de recours collectifs et remettre à plus tard la question du plan de déroulement de l’instance, particulièrement lorsque la question du caractère approprié de l’intimé représentatif est en cause (Pearson c Inco Ltd, [2002] OJ No 2764, aux paragraphes 148 et 149, 115 ACWS (3d) 564).

[438]  Bien que les plans de déroulement de l’instance puissent être modifiés ultérieurement, la défenderesse maintient que ce ne devrait pas être le cas dans l’espèce. La demanderesse a seulement dressé la liste des étapes de base nécessaires à tous les types de litiges civils. Il n’est ni bien songé ni suffisamment détaillé pour la gestion d’un litige si complexe; de plus, il ne comprend aucune méthode utilisable pour le règlement des questions individuelles.

Mme McCrea est une représentante demanderesse appropriée en regard des membres du groupe 1

[439]  Mme McCrea satisfait au critère pour agir en guise de représentante demanderesse. Elle a démontré qu’elle était motivée à entreprendre cette action, elle n’a aucun conflit d’intérêts avec le groupe, elle a présenté les conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre elle et l’avocat inscrit au dossier; et elle a établi qu’elle se situait dans le groupe 1.

[440]  L’argument de la défenderesse voulant que Mme McCrea n’ait pas une déclaration viable, car elle aurait pu avoir droit à des prestations de maladie au motif qu’elle a travaillé pendant deux semaines durant son congé est purement spéculatif et ignore la réalité. Elle n’était pas malade en juin 2011, lorsqu’elle a travaillé lesdites semaines. Or, lorsqu’elle demandé des prestations de maladie à la suite de son diagnostic et de sa chirurgie en août et en septembre 2011, elle n’était pas disponible au travail pour cause de maladie et de congé parental. On lui a refusé ses prestations. Cette spéculation de la défenderesse ne correspond pas à la preuve. La situation de Mme McCrea est typique de celle des autres membres du groupe, lesquels sont tombés malades alors qu’ils recevaient des prestations parentales et n’étaient pas disponibles au travail. Par conséquent, leurs demandes ont été refusées.

[441]  Le plan de déroulement de l’instance satisfait seulement aux critères de base. Il sera nécessaire d’y apporter des modifications pour tenir compte des questions communes certifiées et d’autres détails.

[442]  Comme l’a mentionné la juge Anne Mactavish dans Buffalo, au paragraphe 148, bien que le plan de déroulement de l’instance ne doive pas faire d’un examen rigoureux à ce stade-ci, il doit démontrer que le demandeur et son avocat « ont réfléchi au déroulement de l’instance et qu’ils en saisissent les complexités ». La juge Mactavish a indiqué qu’il n’y avait aucune exigence fixe quant au plan, car tout dépendra de la nature, de la portée et de la complexité du litige. Elle a dressé la liste suivante, non exhaustive, des éléments qui devraient habituellement y figurer, au paragraphe 151 :

Cependant, il appert de la jurisprudence que le plan de litige doit couvrir les éléments suivants, laquelle liste n’est pas exhaustive :

(i) les mesures qui seront prises pour déterminer l’identité des témoins nécessaires, les trouver et recueillir leur preuve;

(ii) la collecte des documents pertinents auprès des membres du groupe et d’autres personnes;

(iii) l’échange et la gestion des documents produits par toutes les parties;

(iv) la remise d’un rapport régulier aux membres du groupe;

(v) les mécanismes permettant de répondre aux questions des membres du groupe;

(vi) la probabilité qu’un interrogatoire préalable soit tenu auprès de certains membres du groupe et, dans l’affirmative, la procédure envisagée à cette fin;

(vii) la nécessité de recourir à des experts et, dans l’affirmative, les mesures à prendre pour les trouver et retenir leurs services;

(viii) les mesures envisagées pour résoudre les questions individuelles qui demeureront encore en litige après le règlement des questions communes, le cas échéant;

(ix) la façon dont les indemnités et autres formes de réparation seront évaluées ou déterminées une fois que les questions communes auront été tranchées.

[443]  Voir Sorotski, au paragraphe 78. Voir également Paron c. Alberta (Minister of Environmental Protection), 2006 ABQB 375, au paragraphe 130, Bellaire c. Independent Order of Foresters (2004), 5 C.P.C. (6th) 68 (C. sup. Ont.), au paragraphe 53, et Boucher c. P.S.A.C. (2005), 18 C.P.C. (6th) 391 (C. sup. Ont.), au paragraphe 29.

[444]  En résumé, le plan doit permettre au juge des requêtes de déterminer si l’intimé représentatif devrait se voir accorder cette responsabilité (Buffalo, au paragraphe 152).

[445]  Le plan de déroulement de l’instance proposé par la demanderesse comprend certains éléments nommés dans Buffalo, mais seulement de façon superficielle. Il mentionne l’avis, mais pas la façon dont les membres éventuels du groupe seront localisés, les échéanciers pour la production des documents, des interrogatoires préalables et l’échange de rapports d’experts, ainsi que des échéanciers pour d’éventuelles requêtes interlocutoires, ainsi que les étapes générales quant à la résolution des questions après l’audience sur le fond. Elle s’en remet au mécanisme de gestion de l’instance pour régler un large éventail de questions. La demanderesse a souligné que le plan est complété par le dossier. Le dossier mentionne la façon dont les membres éventuels pourraient être identifiés et localisés, les preuves de maladies pourraient être établies et le fait qu’un cabinet spécialisé en droit administratif eu été consulté et qu’une proposition sera élaborée pour régler les questions d’avis et de preuve. Idéalement, ces éléments devraient figurer dans le plan de déroulement de l’instance proposé. Toutefois, l’absence d’un plan de déroulement de l’instance solide n’est pas fatale. Comme mentionné dans Buffalo, au paragraphe 153 :

Il est loisible à la Cour de permettre à l’avocat de déposer un plan révisé lorsque les autres exigences relatives à l’autorisation ont été satisfaites; voir, par exemple, Sorotski, au paragraphe 82. Voir également Carom c. Bre-X Minerals Ltd. (1998), 20 C.P.C. (4th) 163 (Div. gén. Ont.) et Tom’s Grain & Cattle Co. c. Arcola Livestock Sales Ltd., 2004 SKQB 338.

[446]  Dans l’espèce, les autres exigences liées à l’autorisation d’un recours collectif, quoique plus limité, sont réunies. Il sera nécessaire de produire un plan de déroulement de l’instance faisant état de la portée plus limitée des causes d’action et des questions communes, ainsi que pour décrier la gestion de l’instance en regard des membres du groupe 1, ainsi que des éléments applicables et définis précédemment dans Buffalo. La demanderesse devrait fournir un plan de déroulement de l’instance révisé et tenter de parvenir à une entente avec la défenderesse avant de s’en remettre au mécanisme de gestion de l’instance.

Conclusion

[447]  La requête en autorisation de l’action en recours collectif de la demanderesse quant aux questions communes portant sur la mise en œuvre négligente alléguée de la Loi par la défenderesse est accueillie. La demanderesse, Mme McCrea sera désignée à titre de représentante du groupe, groupe 1, et le plan de déroulement de l’instance sera approuvé de façon intérimaire, sous réserve des commentaires susmentionnés.

[448]  La requête de la défenderesse en radiation de la déclaration de la demanderesse pour défaut de divulguer des causes d’actions raisonnables est accueillie en partie; les causes d’action pour déclarations inexactes par négligence, pour faute dans l’exercice d’une charge publique et pour enrichissement sans cause n’ont aucune perspective raisonnable d’obtenir gain de cause et sont radiées.

[449]  Conformément au paragraphe 334.39 des Règles, aucuns dépens ne seront adjugés relativement à la présente requête.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

  1. La présente action est autorisée comme recours collectif;

  2. La demanderesse, Mme McCrea soit nommée à titre de représentante du groupe;

  3. Le groupe ou les membres du groupe sont définis ainsi :

Toutes les personnes qui, durant la période du recours (soit du 3 mars 2002 au 24 mars 2013)

  • Ont demandé et obtenu des prestations parentales;

  • Sont tombées malades, ont été blessées ou mises en quarantaine durant leur congé parental;

  • Ont demandé des prestations de maladies, et ont vu leurs demandes refusées au motif qu’ils étaient en congé parental et autrement indisponible au travail au moment de leur demande de prestations de maladie.

La nature des réclamations présentées au nom du groupe et des mesures de réparation demandées par le groupe est la suivante :

Quant à la déclaration pour négligence et administration négligente de la Loi;

  Une déclaration voulant que la défenderesse ait appliqué la Loi de façon négligence ou ait omis de l’exécuter d’une façon qui a causé préjudice à la demanderesse et aux membres du groupe, lesquels sont définis dans la demande

  Des dommages-intérêts spéciaux et des dommages-intérêts globaux pour négligence se chiffrant à 450 millions de dollars ou toute autre somme que la Cour jugera appropriée à l’audience sur le fond des questions communes ou conformément aux Règles;

  Des intérêts avant et après jugement;

  Une ordonnance guidant ou orientant autrement le règlement, au besoin, des questions non tranchées à l’audience sur le fond des questions communes;

  Les dépens liés à cette action, plus les frais de distribution de toute somme attribuée en vertu des Règles, y compris les frais d’avis associés à la distribution et aux frais encourus par la personne gérant la distribution conformément à l’article 334.28 des Règles;

  Toute autre mesure de réparation jugée appropriée par la Cour.

5.  Les questions communes sont les suivantes :

A Questions portant sur l’interprétation et l’administration de la LAE

  i)  Les personnes qui, durant la période visée par le recours collectif, étaient en congé parental et ont contracté une maladie, se sont blessées ou ont été invalides avant ou pendant leur congé parental sont-elles admissibles à l’obtention de prestations de maladie, selon la définition prévue à la LAE?

  ii)  Si la réponse à la question A.1 est « oui », les défendeurs (soit la Commission ou Service Canada) ont-ils administré la LAE, durant la période visée, conformément à ses dispositions lorsqu’ils ont omis d’accorder des prestations de maladie aux membres du groupe?

Questions portant sur la négligence globale

  iii)  Si la réponse à la question A.2 est « non », alors les défendeurs (soit la Commission ou Service Canada) avaient-ils une obligation de diligence envers les membres du groupe quant à l’administration de la LAE?

  iv)  Si la réponse à la question B.1 est « oui », alors quelle était la nature de cette obligation et à quels défendeurs incombait-elle?

  v)  Si la réponse à la question B.1 est « oui », les défendeurs à qui incombait cette obligation ont-ils manqué à l’obligation de diligence?

Questions sur les dommages-intérêts globaux, la responsabilité du fait d’autrui et les frais administratifs

  vi)  Les défendeurs devraient-ils payer les frais administratifs et de distribution du montant recouvré aux membres du groupe?

6.  Le plan de déroulement de l’instance est approuvé de façon intérimaire; il sera nécessaire de la modifier conformément aux causes d’action et aux questions communes certifiées et à la gestion de l’instance.

7.  Aucuns dépens ne sont accordés.

« Catherine M. Kane »

Juge


ANNEXE A :

PLAN DE DÉROULEMENT DE L’INSTANCE

La demanderesse propose le plan de déroulement de l’instance si le recours collectif est autorisé :

Avis

1.  Une audience se tiendra dans les trente (30) jours suivant l’émission de l’ordonnance d’autorisation afin de régler les modalités et le moyen d’avis.

2.  La Cour devrait établir la forme et le contenu de l’avis d’autorisation de l’action en recours collectif, ainsi que la date limite pour s’exclure du recours collectif suivant la date de l’ordonnance autorisant le recours.

3.  La demanderesse propose de plus que les défendeurs l’avis à tous les membres du groupe par la poste.

4.  La demanderesse propose que cet avis soit envoyé conformément au paragraphe 3 au plus tard soixante (60) jours suivant la décision de la Cour quant à l’avis.

5.  La demanderesse propose de plus que la date d’exclusion soit fixée à quarante‑cinq (45) jours suivant la fin de la période d’envoi postal des avis aux membres du groupe.

Assemblage et production des documents

6.  Il est proposé que les listes de documents soient échangées au plus tard soixante (60) jours à compter du prononcé de l’ordonnance d’autorisation.

Interrogatoires préalables

7.  Il est proposé que les interrogatoires préalables devront avoir eu à l’intérieur de soixante (60) jours de toute date de production.

8.  La demanderesse prévoit que les interrogatoires préalables des défendeurs nécessiteront environ deux (2) jours, sous réserve des refus et des engagements.

9.  La demanderesse propose que tous les engagements soient réalisés à l’intérieur de soixante (60) jours suivant la conclusion des interrogatoires préalables.

Échanges de rapports d’experts

10.  L’échange de rapports d’experts, le cas échéant, devra se tenir dans les soixante (60) jours de la conclusion des interrogatoires préalables, y compris la réalisation des engagements. Suivant les interrogatoires préalables, et l’échange d’opinions d’experts, si nécessaire, les parties peuvent se présenter à la Cour afin de clarifier ou de redéfinir les questions communes. La demanderesse n’anticipe pas le besoin de présenter des rapports d’experts pour le moment.

Gestion de l’instance et demandes interlocutoires

11.  Il y aura des conférences de gestion de l’instance devant le juge nommé tous les deux (2) mois, sauf si les parties et la Cour que ladite audience n’est pas nécessaire.

12.  Toutes les demandes interlocutoires seront entendues lors de ces conférences de gestion de l’instance, sauf si la demande porte sur une question urgente.

13.  Toute partie déposant une demande interlocutoire devra produire les documents de soutien à celle-ci au moins quatorze (14) jours avant la conférence de gestion de l’instance. Les défendeurs devront produire tout affidavit réponse sept (7) jours avant la conférence. La partie requérante déposera son mémoire cinq (5) jours avant l’audience. La partie en défense déposera son mémoire cinq (3) jours avant l’audience. La cour déterminera s’il y a lieu d’entendre une plaidoirie orale, et en avisera les parties en conséquence.

Audience sur les questions communes

14.  L’audience sur les questions communes permettra de déterminer si les défendeurs pourraient être responsables envers la demanderesse en regard des différentes questions communes. L’audience sur les questions communes se déroulera selon les Règles des Cours fédérales. On prévoit que l’audience sur les questions communes durera moins de deux (2) semaines.

15.  La demanderesse anticipe que la Cour statuera sur les différentes questions communes émanant de l’espèce lors de l’audience sur les questions communes.

Étapes de l’instance suivant l’audience sur les questions communes

16.  Si la demanderesse a gain de cause, entièrement ou en partie, il sera nécessaire de prévoir un processus ordonné pour la résolution de toute question demeurée en suspens.

17.  Les parties se rencontreront en vue de déterminer le moyen approprié de régler toute question en suspens dans les trente (30) jours suivant le prononcé d’un jugement à l’égard de la demanderesse en regard de n’importe laquelle des questions communes.

18.  La demanderesse prévoit soutenir que le règlement des questions communes seules permettra à la Cour d’ordonner un remboursement des membres du groupe, comme si les demandes avaient déjà été formulées et que les prestations avaient été dûment accordées. Si la demanderesse n’a pas gain de cause à ce chapitre et qu’il reste des questions individuelles, elle propose le processus suivant :

a)  Les formulaires de réclamations seront préparés en vue de traiter avec ces questions, puis les membres du groupe devront les remplir à l’intérieur d’un délai établi;

b)  Toute contestation d’une preuve ou d’un montant réclamé par un membre du groupe par les défendeurs devra se faire par écrit;

c)  Le protonotaire ou la personne appropriée fera le rapport de telles mésententes;

d)  La cour pourra confirmer le rapport en vue de décider s’il serait nécessaire d’entreprendre d’autres étapes quasi juridiques avant de parvenir à un règlement final.

Examen du plan de déroulement de l’instance

19.  Le plan de déroulement de l’instance devrait être réexaminé et révisé au besoin sous l’égide du pouvoir permanent de gestion de l’instance de la Cour.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-210-12

 

INTITULÉ :

JENNIFER MCCREA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSION DE L’ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 16 décembre 2014,

Le 17 décembre 2014,

Le 18 décembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Stephen Moreau

Me Amanda Darrach

Me Mariam Moktar

 

POUR L’INTIMÉE

 

Me Paul Evraire

Me Christine Mohr

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cavalluzo Shilton McIntyre Cornish, s.r.l.

Barrister and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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