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Date : 20180525


Dossier : T-2097-17

Référence : 2018 CF 546

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2018

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

ONUR YILDIRIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, Onur Yildirim, qui conteste une décision d’une juge de la citoyenneté rendue le 11 octobre 2017 [la décision]. M. Yildirim est un citoyen de la Turquie qui a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 11 janvier 2015. Il prétend avoir été présent au Canada pendant 1 110 jours durant la période pertinente allant du 11 janvier 2011 au 11 janvier 2015.

[2]  La juge de la citoyenneté a refusé sa demande de citoyenneté parce qu’elle a conclu que M. Yildirim ne pouvait pas démontrer qu’il avait résidé au Canada pendant trois des quatre années (1 095 jours) précédant immédiatement le dépôt de sa demande, comme l’exige l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 [la Loi].

[3]  La juge de la citoyenneté a examiné un modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers [MPAD] et souligné le dossier préparé par un agent de la citoyenneté indiquant que les éléments de preuve au dossier ne lui permettaient pas de conclure que M. Yildirim était effectivement présent au Canada ou qu’il avait une intention ferme de faire du Canada son pays de domicile, et que sa crédibilité était en cause. Elle a également mené une entrevue de 45 minutes avec M. Yildirim.

[4]  Pour en arriver à la décision, la juge de la citoyenneté a choisi d’adopter l’approche analytique utilisée par monsieur le juge Francis Muldoon dans Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (QL) (1re inst.) [Pourghasemi]. Le critère quantitatif de résidence établi dans la décision Pourghasemi exige qu’un demandeur ait effectivement résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours durant la période pertinente de quatre ans.

[5]  La juge de la citoyenneté a conclu qu’il n’était pas possible de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, le nombre de jours durant lesquels M. Yildirim était effectivement présent au Canada parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles de sa présence effective continue au cours des périodes pendant lesquelles il prétendait avoir été au Canada.

[6]  L’issue de la cause reposait sur la crédibilité. La juge de la citoyenneté a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité de M. Yildirim, en raison d’incohérences ou d’un manque d’explications concernant trois transactions bancaires ou par cartes de crédit durant les périodes où il prétendait avoir été présent au Canada ou absent du Canada. Elle a ensuite conclu que M. Yildirim n’était pas honnête au sujet d’autres renseignements contenus dans sa demande de citoyenneté, comme ses revenus, son emploi, l’importance de son rôle dans une entreprise en Turquie et sa propriété en Turquie. Comme elle n’a pas jugé que M. Yildirim était crédible, elle a conclu qu’il n’avait pas prouvé qu’il satisfaisait aux exigences de résidence établies dans la Loi.

[7]  À l’audience de la demande, l’avocat du défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), a concédé que la juge de la citoyenneté avait commis une erreur en tirant des conclusions défavorables au sujet de trois transactions financières. L’avocat a affirmé que, nonobstant l’erreur de la juge de la citoyenneté et sa mauvaise appréciation des éléments de preuve, la décision est raisonnable et étayée par les éléments de preuve. Je ne suis pas d’accord.

[8]  Il est clair d’après la décision que la juge de la citoyenneté s’est appuyée sur des faits non étayés dans son évaluation globale de la crédibilité de M. Yildirim et de la fiabilité des éléments de preuve qu’il a déposés.

[9]  Dans sa demande de citoyenneté et son questionnaire sur la résidence, M. Yildirim a déclaré des absences du Canada pour un total de 350 jours. L’agent de la citoyenneté a calculé les mêmes jours d’absence et les mêmes totaux que ceux indiqués par M. Yildirim dans le questionnaire sur la résidence, pour en arriver à 1 110 jours de présence effective durant la période pertinente. M. Yildirim a soumis de nouveaux éléments de preuve corroborants pour appuyer sa demande. La juge de la citoyenneté a souligné au paragraphe 26 de sa décision qu’il y a certaines [traduction] « absences non déclarées », mais elle n’a fait aucune autre mention des absences alléguées ni fait une analyse à ce propos.

[10]  Dans les circonstances, on ne sait pas avec certitude si la demande de citoyenneté de M. Yildirim aurait été rejetée si ce n’avait été des conclusions défavorables concernant les transactions financières, qui ont été au cœur du critère quantitatif de résidence appliqué par la juge de la citoyenneté.

[11]  Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique lors du contrôle d’une décision d’un juge de la citoyenneté visant à décider si les exigences en matière de résidence ont été satisfaites. Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Les conclusions de fait et de droit ne devraient pas être modifiées si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

[12]  Les erreurs de fait commises par la juge de la citoyenneté ont entaché ses conclusions sur la crédibilité. Il s’ensuit que les conclusions sur la crédibilité ont entaché la décision, la rendant déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir. Par conséquent, la décision ne peut être maintenue.

[13]  Je propose donc d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et de renvoyer l’affaire aux fins d’un nouvel examen par un autre juge de la citoyenneté. L’avocat du ministre a accepté de communiquer avec son client dans l’éventualité où la demande serait accueillie afin de demander que le nouvel examen soit effectué dès que possible.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2097-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande est accueillie.

  2. La décision de la juge de la citoyenneté datée du 11 octobre 2017 est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté afin qu’il rende une nouvelle décision.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2097-17

INTITULÉ :

ONUR YILDIRIM c. LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MAI 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MAI 2018

COMPARUTIONS :

Harry Blank

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harry Blank, c.r.

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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