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Date : 20180507


Dossier : T‑796‑17

Référence : 2018 CF 476

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

BALRAJ SHOAN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie, sous le régime de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du gouverneur en conseil [le GEC] en date du 4 mai 2017 [la décision attaquée], promulguée par le décret CP 2017‑456 et portant révocation motivée du demandeur en tant que membre du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes [le CRTC].

II.  RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

[2]  Le GEC a nommé le demandeur au poste de conseiller du CRTC pour la région de l’Ontario en juin 2013. Sa nomination a pris effet le 3 juillet 2013 et son mandat devait durer cinq ans; voir le décret CP 2013‑809, modifié par le décret CP 2013‑838. Aux termes du paragraphe 3(2) de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, LRC 1985, c C‑22 [la Loi sur le CRTC], il devait occuper ce poste « à titre inamovible ».

[3]  C’est la deuxième fois que le demandeur conteste sa révocation devant notre Cour. La juge Strickland a contrôlé, dans la décision Shoan c. Canada (Procureur général), 2017 CF 426 [Shoan no 1], la première révocation motivée du demandeur, prononcée le 23 juin 2016. Elle a conclu, au paragraphe 135 de cette décision, qu’il lui était impossible d’établir, sur le fondement du dossier produit devant elle, si le GEC avait fait preuve d’une équité procédurale suffisante envers le demandeur avant de le révoquer. Elle a donc accueilli la demande de contrôle judiciaire et annulé la décision du GEC. La décision Shoan no 1, rendue le 28 avril 2017, a eu pour effet le rétablissement du demandeur dans ses fonctions.

[4]  Les motifs de la décision Shoan no 1 faisaient partie du dossier sur lequel le GEC a fondé la décision faisant l’objet du présent contrôle. La juge Strickland a exposé dans les termes suivants le contexte de sa décision :

[3]  La relation entre le demandeur et le CRTC était difficile, comme en témoigne le dossier qui m’a été présenté. En septembre 2014, la directrice exécutive, Communications et Relations externes du CRTC, a déposé une plainte de harcèlement à l’égard du demandeur. Conformément aux Lignes directrices du CRTC relatives aux méthodes de règlement des conflits en cas de plainte officielle de harcèlement, il incombait au secrétaire général du CRTC de gérer la plainte. Il a finalement renvoyé la plainte à un tiers, Laurin & Associates (l’« enquêteur sur la plainte de harcèlement ») aux fins d’enquête. L’enquêteur sur la plainte de harcèlement a rédigé un rapport où il concluait au bien‑fondé de la plainte (le « rapport sur la plainte de harcèlement »). Le secrétaire général a recommandé au président du CRTC d’accepter le rapport sur la plainte de harcèlement et de mettre en œuvre les mesures qu’il recommandait. C’est ce que le président a fait dans une lettre en date du 7 avril 2015. Le 28 avril 2015, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision devant la Cour.

[4]  Le 22 octobre 2015, le demandeur a aussi présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale afin de contester trois décisions prises par le président du CRTC, en alléguant que ce dernier n’avait pas le pouvoir de mettre en place des comités d’audition formés de conseillers du CRTC afin de trancher des cas qui leur sont présentés.

[5]  D’autres préoccupations diverses ont été soulevées, notamment les déclarations du demandeur dans les médias sociaux, que la ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles (la « ministre ») jugeait très critique à l’égard du CRTC, comme elle en a informé le demandeur dans une lettre en date du 1er mai 2015.

[6]  Ces préoccupations ont abouti à une lettre de la ministre en date du 26 février 2016 (la « lettre de la ministre »). Dans cette lettre, elle indiquait au demandeur qu’elle s’inquiétait de sa capacité à agir en tant que conseiller du CRTC, puisqu’on l’avait mise au fait de situations survenues qui donnaient à croire que le demandeur ne s’était pas acquitté de ses fonctions de manière éthique et responsable. Elle ajoutait que sa conduite avait nui à la capacité du CRTC de s’acquitter de ses fonctions, en plus d’effriter la confiance du public et des intervenants en sa capacité de le faire. La ministre a indiqué qu’elle écrivait au demandeur afin de lui faire part de ses préoccupations, de l’informer des renseignements sur lesquels ses préoccupations se fondaient et de lui permettre de lui présenter toute observation qu’elle devrait prendre en considération, selon lui, avant qu’elle ne prenne d’autres mesures. La ministre a précisé que le demandeur devait savoir qu’elle se demandait si elle devait recommander au gouverneur en conseil de mettre fin à sa nomination. La lettre précisait ensuite quatre catégories de préoccupations et elle était accompagnée d’un document de sept pages intitulé [traduction] « Norme de conduite attendue et sommaire des préoccupations » (le « sommaire ») qui s’accompagnait d’environ 1 200 pages de documentation sous forme d’annexes ou de renvois. La ministre a demandé au demandeur de lui présenter, au plus tard le 14 mars 2016, toute observation écrite qu’elle devait prendre en considération, à son avis, avant de déterminer s’il pouvait continuer de jouer son rôle de conseiller au CRTC; elle étudierait attentivement chacune de ces observations avant de déterminer si elle allait formuler une recommandation au gouverneur en conseil ou pas.

[7]  Le 14 mars 2016, le demandeur, par l’intermédiaire de son avocat, a présenté sa réponse, dans laquelle il répondait aux préoccupations soulevées par la ministre (la « réponse du demandeur » ou la « réponse »).

[8]  La ministre a finalement recommandé de mettre fin à la nomination du demandeur et, comme il est indiqué ci‑dessus, c’est ce que le gouverneur en conseil a fait dans le cadre d’un décret en date du 23 juin 2016.

[9]  Par la suite, le 2 septembre 2016, le juge Zinn de la Cour a conclu que l’enquête menée par l’enquêteur sur la plainte de harcèlement avait dépassé la portée de son mandat et qu’elle avait été menée avec un esprit fermé (Shoan c Canada (procureur général), 2016 CF 1003). Ainsi, étant donné que le processus menant à la décision du président avait été exécuté d’une façon qui privait le demandeur de l’équité procédurale et de la justice naturelle, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie et la décision du président d’accepter le rapport sur la plainte de harcèlement et de mettre en œuvre les mesures qu’il recommandait a été annulée. Le juge Zinn a toutefois refusé d’ordonner que l’affaire soit renvoyée aux fins d’examen par une autre personne; en effet, cette ordonnance n’aurait aucune valeur puisque le gouverneur en conseil avait résilié la nomination du demandeur. Les dépens ont été adjugés au demandeur.

[10]  Le 9 septembre 2016, la juge Mactavish a refusé d’accueillir une requête déposée par le demandeur en vue d’ordonner la suspension de la décision du gouverneur en conseil et de le réintégrer dans ses fonctions de conseiller du CRTC, en attendant la décision à l’égard de sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du gouverneur en conseil de révoquer sa nomination (Shoan c Canada (procureur général), 2016 CF 1031).

[11]  Le 24 octobre 2016, la Cour d’appel fédérale, dans un jugement oral, a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’égard des trois décisions contestées rendues par le président du CRTC. La Cour d’appel fédérale a conclu que le président était pleinement autorisé à mettre sur pied les comités d’audition en litige. Le paragraphe 6(2) de la Loi sur le CRTC prévoyait que le président était le premier dirigeant du CRTC et qu’à ce titre, il en assurait la direction, présidait ses réunions et contrôlait la gestion de son personnel. Le règlement interne du CRTC reconnaissait expressément l’autorisation d’attribuer des dossiers et des conseillers à des dossiers, implicite à ce pouvoir. La Cour d’appel fédérale a conclu que la demande était non fondée au point de justifier une adjudication supplémentaire des dépens à l’égard du demandeur (Shoan c Canada (Procureur général), 2016 CAF 261 (« Shoan CAF »)).

[5]  Comme le rappelle la décision Shoan no 1, la première révocation motivée du demandeur se fondait sur quatre sujets de préoccupation que la ministre du Patrimoine canadien [la ministre] lui avait exposés dans une lettre [la lettre de la ministre] et le sommaire qui l’accompagnait, datés du 26 février 2016 : ses déclarations publiques négatives sur le CRTC; la divulgation par lui de renseignements confidentiels; des échanges inappropriés qu’il avait eus avec des parties intéressées aux décisions du CRTC; et enfin, l’effet de ses actes sur le fonctionnement interne du CRTC. La juge Strickland s’est trouvée incapable de conclure si le GEC s’était basé, et dans l’affirmative à quel point, sur un rapport qui constatait le bien-fondé d’une plainte de harcèlement portée contre le demandeur [le rapport sur la plainte de harcèlement] et sur des préoccupations connexes. Le juge Zinn, dans une décision postérieure à la première révocation du demandeur, intitulée Shoan c. Canada (Procureur général) et référencée 2016 CF 1003, avait conclu que ce rapport était profondément vicié et que les préoccupations de confidentialité y afférentes ne justifiaient pas la reddition par la Cour d’une ordonnance de confidentialité. La juge Strickland s’est en outre déclarée incapable d’établir dans quelle mesure la ministre et le GEC avaient pris en considération l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’était pas le seul responsable du manque d’esprit d’équipe au CRTC. En conséquence, elle a conclu que le demandeur s’était « possiblement » vu dénier son droit à l’équité procédurale et elle a accueilli la demande de contrôle judiciaire. Voir la décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 142.

[6]  Le 4 mai 2017, soit six jours après la décision Shoan no 1, et sans que la ministre eût communiqué dans l’intervalle avec le demandeur, le GEC a prononcé pour la deuxième fois la révocation motivée de celui‑ci. Le GEC invoque dans la décision attaquée deux motifs distincts pour justifier cette révocation : des échanges inappropriés avec des parties intéressées aux décisions du CRTC, ainsi que la méconnaissance et la négligence de l’effet de ces échanges sur la réputation et l’intégrité de ce dernier; et le refus du demandeur de respecter les processus et les pratiques internes établis par le CRTC pour remplir les obligations que lui fixe la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la Loi sur l’accès à l’information], ainsi que ses déclarations publiques négatives concernant cet organisme. Ces motifs avaient auparavant été communiqués au demandeur dans la lettre de la ministre et le sommaire y joint.

[7]  Concernant le premier motif, la lettre de la ministre reprochait au demandeur d’avoir eu en juillet et août 2015 des échanges inappropriés avec des parties intéressées aux décisions du CRTC. Le demandeur, expliquait la ministre, avait alors eu des entretiens individuels avec des représentants d’entités parties à des demandes en cours d’examen devant le CRTC, et ce, sans se conformer aux pratiques applicables de celui-ci. Un gazouillis publié par le demandeur au sujet de l’un de ces entretiens avait induit une partie à une demande dont le CRTC était alors saisi à le soupçonner d’avoir irrégulièrement rencontré ex parte une autre partie à la même demande. L’autre entretien avait suscité des inquiétudes semblables touchant l’équité et la neutralité telles que perçues.

[8]  Pour ce qui concerne la conclusion voulant que le demandeur eût fait des déclarations publiques négatives sur le CRTC, la lettre de la ministre rappelait qu’il avait publié sur Twitter en avril 2015 une déclaration personnelle touchant une demande de contrôle judiciaire qu’il avait formée contre ledit CRTC. Selon la ministre, cette déclaration critiquait le CRTC et son président, et avait suscité de la part des médias une attention défavorable à cet organisme. M. Shoan avait publié sur Twitter, en octobre 2015, une autre déclaration personnelle, relative cette fois à un nouveau recours juridictionnel qu’il avait introduit contre le CRTC. La ministre estimait que cette déclaration, comme la première, critiquait le CRTC et avait suscité de la part des médias une attention défavorable à ce dernier. Elle ajoutait que le demandeur n’avait pas respecté les processus et procédures internes conçus pour permettre au CRTC de remplir les obligations que lui fixe la Loi sur l’accès à l’information.

III.  LA DÉCISION CONTRÔLÉE

[9]  Voici le texte intégral de la décision attaquée :

Attendu que, par le décret C.P. 2013‑809 du 13 juin 2013, modifié par le décret C.P. 2013‑838 du 21 juin 2013, Raj Shoan a été nommé conseiller à temps plein du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour la région de l’Ontario à titre inamovible pour un mandat de cinq ans, à compter du 3 juillet 2013;

Attendu que le 26 février 2016, la ministre du Patrimoine canadien a écrit à Raj Shoan pour l’informer que certaines des actions de ce dernier qui ont été rapportées à la ministre remettent en question sa capacité d’agir en tant que commissaire du CRTC, qu’elle lui a fourni également les renseignements relatifs à ces préoccupations, y compris la documentation sur laquelle ces dernières sont fondées, et qu’elle l’a invité à faire toute observation qu’il voulait qu’elle prenne en considération avant qu’une décision soit prise en ce qui a trait à la révocation de sa nomination pour un motif valable;

Attendu que le gouverneur en conseil a examiné attentivement la correspondance envoyée le 26 février 2016 par la ministre, les documents communiqués à Raj Shoan dans cette correspondance, les représentations faites par Raj Shoan le14 mars 2016 et les documents accompagnant ces représentations;

Attendu qu’à la lumière de la décision du 2 septembre 2016 de M. le juge Zinn de la Cour fédérale dans l’affaire Shoan c. Canada (Procureur général), numéro de dossier T‑668‑15, le gouverneur en conseil a exclu de son examen le rapport concernant la plainte de harcèlement déposée le 17 mars 2015 contre Raj Shoan et que les seuls motifs sur lesquels s’appuie le gouverneur en conseil sont énoncés ci‑après;

Attendu que le gouverneur en conseil a conclu que les échanges inappropriés entre Raj Shoan et des intervenants auprès du CRTC ainsi que sa dénégation de l’effet de ces échanges sur la réputation et l’intégrité du CRTC (motif des échanges inappropriés) sont fondamentalement incompatibles avec ses fonctions et qu’il n’a plus la confiance du gouverneur en conseil pour agir à titre de commissaire du CRTC;

Attendu que le gouverneur en conseil a conclu que, abstraction faite du motif des échanges inappropriés, les réponses de Raj Shoan quant à son refus de respecter les processus et les pratiques internes du CRTC pour remplir ses obligations aux termes de la Loi sur l’accès à l’information et quant à ses déclarations publiques négatives concernant le CRTC sont fondamentalement incompatibles avec ses fonctions et qu’il n’a plus la confiance du gouverneur en conseil pour agir à titre de commissaire du CRTC,

À ces causes, sur recommandation de la ministre aux fins de l’application de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et en vertu du paragraphe 3(2) de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Son Excellence le Gouverneur général en conseil met fin, pour un motif valable, à la nomination de Raj Shoan à titre de membre à temps plein du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour la région de l’Ontario, à compter du 5 mai 2017.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]  Le demandeur soutient que la présente demande soulève les questions suivantes :

  1. Le processus adopté par le GEC pour le révoquer une deuxième fois était‑il contraire à l’obligation d’équité de ce dernier envers lui?

  2. La décision du GEC portant sa révocation est-elle déraisonnable?

  3. Quelle est la sanction appropriée?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[11]  La Cour suprême du Canada explique dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer dans chaque cas une analyse complète en vue de déterminer la norme de contrôle applicable. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle‑ci peut l’adopter. C’est seulement lorsque cette recherche se révèle infructueuse, ou si la jurisprudence pertinente paraît être devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs que couvre l’analyse complète susdite. Voir Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[12]  Le demandeur soutient que les questions d’équité procédurale ne relèvent pas de l’analyse visant à déterminer la norme de contrôle applicable. La cour de révision, explique‑t‑il, doit plutôt établir le degré d’équité requis et si la procédure suivie était équitable. Voir l’arrêt Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au paragraphe 74 [Moreau‑Bérubé]. Le défendeur avance quant à lui que le contrôle applicable aux questions d’équité procédurale relève de la norme de la décision correcte ou norme du bien-fondé. La nature et le degré de l’obligation d’équité procédurale sont variables, observe‑t‑il, et son contenu doit être déterminé selon le contexte particulier de l’espèce. Voir les arrêts Wsanec School Board v British Columbia, 2017 FCA 210, aux paragraphes 22 et 23, et Gupta c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 211, aux paragraphes 29 et 30.

[13]  S’il est vrai que cette distinction peut se révéler pertinente dans des cas particuliers, je ne vois pas très bien en quoi le mode de contrôle proposé par le demandeur diffère du contrôle suivant la norme classique du bien-fondé. Depuis l’arrêt Moreau‑Bérubé, « l’évolution [...] du droit en matière de contrôle judiciaire » a établi que le contrôle applicable aux questions procédurales relève de la norme du bien-fondé; voir les arrêts Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa], et Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79. Certes, la Cour d’appel fédérale a observé que « le droit n’est pas encore fixé » concernant la norme de contrôle applicable aux questions procédurales et elle a énuméré des cas où les décideurs administratifs avaient bénéficié d’une certaine retenue judiciaire sur des points de procédure; voir Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, aux paragraphes 67 à 71. Dans la présente instance, cependant, les points de savoir si le demandeur a reçu une notification suffisante et joui d’une possibilité effective de se faire entendre sont des questions d’équité procédurale qui ne paraissent commander aucun degré de retenue judiciaire, de sorte que la Cour leur appliquera la norme du bien-fondé. Lorsqu’elle applique cette norme, la cour de révision n’a aucune obligation de retenue envers le décideur administratif : elle effectue sa propre analyse et, en cas de désaccord avec le décideur, elle substitue à la conclusion de ce dernier ce qu’elle estime être la solution correcte; voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50.

[14]  Au paragraphe 35 de la décision Shoan no 1, précitée, la juge Strickland a conclu que la décision du GEC portant révocation motivée du demandeur devait être contrôlée suivant la norme de la décision raisonnable. Les parties sont elles-mêmes d’accord pour dire qu’il convient d’appliquer cette norme dans la présente instance; voir la décision Wedge c. Canada (Procureur général), [1997] ACF no 872 (CFPI), (1997), 4 Admin LR (3d) 153, au paragraphe 29 [Wedge] et le paragraphe 53 de l’arrêt Dunsmuir, précité. Je ne vois aucun motif de mettre cette solution en question. En conséquence, la Cour contrôlera suivant ladite norme la décision du GEC portant révocation motivée du demandeur.

[15]  La cour qui contrôle une décision suivant la norme de la raisonnabilité doit se rappeler que le caractère raisonnable tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »; voir les arrêts Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Khosa, également précité, au paragraphe 59. Autrement dit, notre Cour ne doit intervenir que si la décision attaquée s’avère déraisonnable, au sens où elle n’appartiendrait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[16]  Les dispositions suivantes de la Loi sur le CRTC sont applicables à la présente instance :

Établissement

Commission established

3 (1) Est constitué le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, composé d’au plus treize membres, nommés par le gouverneur en conseil.

3 (1) There is established a commission, to be known as the Canadian Radio-television and Telecommunications Commission, consisting of not more than 13 members, to be appointed by the Governor in Council.

Mandat

Tenure

(2) La durée maximale du mandat est de cinq ans pour tous les conseillers. Ceux-ci occupent leur poste à titre inamovible, sous réserve de révocation motivée de la part du gouverneur en conseil.

(2) A member shall be appointed to hold office during good behaviour for a term not exceeding five years but may be removed at any time by the Governor in Council for cause.

VII.  LES THÈSES DES PARTIES

A.  Le demandeur

(1)  L’équité procédurale

[17]  Le demandeur soutient que le processus ayant abouti à la recommandation adressée par la ministre au GEC et à la décision attaquée se situe en deçà du degré d’équité auquel il avait droit en tant que membre, nommé « à titre inamovible », d’un tribunal administratif quasi judiciaire. Il fait valoir que ni la ministre ni le GEC n’ont effectué l’examen individualisé qui s’imposait, n’ont formulé de manière équitable et transparente les motifs de la décision attaquée, ne lui ont accordé d’entretien pour discuter des allégations pesant contre lui, ni ne lui ont expliqué pourquoi un tel entretien n’était pas nécessaire.

[18]  Le demandeur invoque la jurisprudence essentielle sur l’équité procédurale pour établir que le GEC avait envers lui une obligation d’équité relativement à la décision de le révoquer. « [U]ne obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne », rappelle‑t‑il en citant l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, à la page 653. Cette obligation « est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas », comme le note l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 21 [Baker], où l’on cite Knight c. Indian Head School Division No 19, [1990] 1 RCS 653, à la page 682.

[19]  Le demandeur relève que la Cour suprême du Canada a inclus l’importance de la décision pour la ou les personnes touchées parmi les facteurs à prendre en considération aux fins d’établir le degré et le contenu de l’obligation d’équité; voir l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 25. Le cas où la profession ou l’emploi de l’intéressé est en jeu commande un degré élevé d’équité; voir l’arrêt Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie‑Britannique, [1980] 1 RCS 1105, à la page 1113. Ces considérations, selon le demandeur, se révèlent particulièrement importantes étant donné son appartenance à un tribunal quasi judiciaire, ainsi que le caractère exceptionnel du fait qu’il ait été révoqué une deuxième fois, porteur pour lui de graves conséquences personnelles et professionnelles.

[20]  Le demandeur soutient que, s’il y a obligation d’équité envers les personnes nommées aussi bien « à titre amovible » qu’« à titre inamovible », la portée de cette obligation n’est pas la même dans l’un et l’autre cas; voir l’arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 115 et 116. En outre, la Cour suprême a reconnu, aux paragraphes 86 à 98 de son arrêt Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau‑Brunswick, 2015 CSC 10, que les personnes nommées par le GEC ont droit à un examen de bonne foi avant d’être sanctionnées. Selon le demandeur, les personnes nommées à titre inamovible ont droit à de plus fortes garanties procédurales que celles qui occupent leur poste à titre amovible; voir la décision Vennat c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1008, au paragraphe 105 [Vennat]. S’agissant des juges nommés « à titre inamovible », cette protection procédurale supérieure découle de la nécessité d’assurer l’indépendance judiciaire; voir la décision Keen c. Canada (Procureur général), 2009 CF 353, aux paragraphes 46 et 47 [Keen]. Par contre, la situation des personnes nommées à titre amovibles a été qualifiée d’« intrinsèquement précaire »; voir le paragraphe 33 de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Pelletier, 2008 CAF 1, cité au paragraphe 58 de la décision Keen, précitée.

[21]  Comme la Loi sur le CRTC ne comporte pas de dispositif réglant la révocation des conseillers, le GEC peut déterminer à son gré la manière de remplir son obligation d’équité. Il est toutefois tenu de « donner à l’intéressé une occasion réelle de répondre aux motifs d’insatisfaction » (décision Vennat, précitée, au paragraphe 80). L’obligation d’offrir un degré suffisant d’équité procédurale incombe au GEC : ce n’est pas au demandeur de solliciter des garanties procédurales; voir la décision Vennat, précitée, au paragraphe 186. Or, malgré cette exigence, explique le demandeur, on n’a pas tenu compte de ses demandes de garanties, même après que la juge Strickland eut rendu la décision Shoan no 1.

(a)  Une enquête personnalisée

[22]  Le demandeur affirme s’être vu dénier l’enquête personnalisée à laquelle il avait droit, au motif qu’on ne lui a rien notifié avant sa deuxième révocation, de sorte qu’il ne pouvait savoir à quelles allégations précises il devait répondre.

[23]  La ministre n’a pas mené d’enquête indépendante sur les faits présentés au GEC, poursuit le demandeur. Il avance que, du point de vue théorique, le droit à une enquête personnalisée fait jouer plus exactement son droit de se faire entendre, étant donné qu’il comporte des éléments d’investigation et d’analyse qui exigent la consultation de l’intéressé à la décision. Quoi qu’il en soit, cette enquête doit être menée avec un degré d’autonomie qui en fasse plus qu’un simple examen et « doit, en somme, permettre de faire la lumière sur le comportement spécifique de l’intéressé » (décision Vennat, précitée, au paragraphe 178). L’obligation de mener une enquête personnalisée subsiste, fait valoir le demandeur, « même si [les faits] apparaissent avoir été établis de façon générale dans un rapport d’enquête, et [si] l’employé dispose d’un droit de réponse » (décision Vennat, précitée, au paragraphe 166). Il ajoute que la complexité des questions afférentes à sa révocation et le manque de fiabilité des renseignements communiqués à la ministre commandaient la tenue d’une enquête personnalisée de la nature qu’illustrent les décisions Wedge, précitée, et Weatherill c. Canada (Procureur général), [1999] 4 RCF 107.

[24]  Le demandeur avance de plus que l’enquête personnalisée à laquelle il avait droit exigeait qu’on examine sa position sur ses droits de participation et qu’on lui explique pourquoi on l’avait rejetée, ce qu’on n’a pas fait. Le juge Hughes a conclu dans la décision Keen que la demanderesse avait été nommée à titre amovible; cependant, si elle avait été nommée à titre inamovible comme elle le soutenait, l’omission par le ministre des Ressources naturelles « de discuter plus à fond de la situation ou de tenir une certaine forme d’enquête indépendante [aurait établi] clairement la méconnaissance du principe d’équité procédurale »; voir la décision Keen, précitée, au paragraphe 57. Le demandeur fait observer que, après qu’il eut répondu à la lettre de la ministre, cette dernière n’a plus communiqué avec lui, ni avant sa première révocation ni avant la deuxième.

[25]  Toujours selon le demandeur, le dossier démontre que, concernant à tout le moins l’allégation que sa conduite avait entraîné la divulgation irrégulière de renseignements confidentiels, la ministre n’a pas mené d’enquête indépendante sur les faits. La lettre de la ministre citait trois faits ayant donné lieu à cette allégation : la communication de renseignements personnels sur une collègue dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire formée par M. Shoan contre le rapport sur la plainte de harcèlement; la production devant la Cour d’appel fédérale de documents protégés, selon le procureur général, par le secret professionnel de l’avocat, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire que le demandeur avait introduite contre la constitution de comités d’audition par le président du CRTC; et la divulgation de renseignements personnels par le demandeur qui avait donné lieu au dépôt d’une plainte contre le CRTC sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21 [la Loi sur la protection des renseignements personnels]. Le demandeur rappelle que ces allégations faisaient partie des éléments produits devant le GEC pour ses deux révocations. La moindre enquête, fait-il valoir, aurait révélé à la ministre l’absence de fondement desdites allégations. Le juge Zinn a conclu au paragraphe 149 de la décision Shoan c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1003, qu’aucun aspect de l’affaire ne justifiait la reddition d’une ordonnance de confidentialité. Le demandeur ajoute qu’il a communiqué à la ministre l’ordonnance par laquelle la Cour d’appel fédérale avait rejeté la thèse du procureur général selon laquelle il aurait violé le secret professionnel de l’avocat. En outre, dans le cadre de la propre enquête du demandeur sur la plainte formée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qu’il avait menée après que la juge Strickland eut rendu la décision Shoan no 1, l’avocat général principal du CRTC lui avait confirmé que le Commissariat à la protection de la vie privée avait conclu à [traduction] « l’absence de bien-fondé » de la plainte. Ce dernier fait est particulièrement apte à montrer, suivant le demandeur, que la ministre n’a pas mené d’enquête personnalisée afin d’établir indépendamment la validité de la plainte avant qu’il n’en soit fait état devant le GEC, et qu’elle avait préjugé de sa culpabilité.

[26]  Le demandeur observe de plus que le décret formulant la décision attaquée cite trois motifs pour justifier sa révocation, mais ne précise pas les éléments d’information sur lesquels on a fondé cette décision. Il n’y est fait mention que de l’exclusion du rapport sur la plainte de harcèlement. Par conséquent, poursuit le demandeur, il se voit obligé de deviner sur quelles allégations le GEC s’est basé pour rendre sa décision.

[27]  Le demandeur soutient que la hâte avec laquelle on l’a révoqué de son poste pour la deuxième fois indique que la ministre et le GEC avaient déjà arrêté leur opinion et qu’il n’aurait pas pu infléchir la décision attaquée. Les facteurs suivants témoignent selon lui du jugement prématuré de la ministre : le fait qu’elle ne se soit pas entretenue avec lui avant sa première révocation; l’absence complète de possibilité d’influencer le cours des événements ayant mené à sa deuxième révocation; l’indifférence de la ministre aux préoccupations qu’il a exprimées touchant l’équité procédurale, la discrimination et le facteur possible d’intolérance; et l’absence de supplément d’enquête sur un dossier issu d’un processus inéquitable et défectueux. Ce processus, ajoute le demandeur, ne lui a pas assuré le degré d’équité qu’il fallait appliquer pour le révoquer du poste qu’il occupait à titre inamovible.

(b)  Des motifs clairs et transparents

[28]  Le demandeur fait valoir que la ministre et le GEC ont manqué à leur obligation de lui communiquer des motifs clairs et transparents. On lui a bien fourni un résumé des allégations transmises à la ministre, mais on ne lui a rien dit sur le point de savoir si ses réponses étaient prises en considération ou dans quelle mesure elles l’étaient. On n’a tenu aucun compte de ses demandes de garanties procédurales, poursuit‑il, notamment lorsqu’il a sollicité un entretien avec la ministre et lorsqu’il a exprimé des préoccupations relatives à la conduite de membres du CRTC qui avait nui à sa capacité de remplir ses tâches.

[29]  Le demandeur ajoute que, après la décision Shoan no 1, on ne lui a pas fait savoir si le GEC poursuivrait le processus décisionnel ou comment il le ferait : on l’a laissé dans l’ignorance du processus qui devait mener à sa deuxième révocation.

(c)  La possibilité de se faire entendre

[30]  Le demandeur affirme avoir été privé de la possibilité de se faire entendre, aux motifs qu’on ne lui a pas offert d’entretien avec la ministre ou son personnel avant la décision attaquée et qu’on ne lui a pas dit pourquoi la ministre ou le GEC estimaient un tel entretien inutile. Selon le demandeur, la Cour a bien précisé qu’il avait droit à un entretien de cette nature au titre de l’équité procédurale ou que, à tout le moins, il avait le droit de savoir pourquoi on ne jugeait pas nécessaire de le rencontrer. Il invoque à ce propos les observations suivantes formulées par la juge Strickland au paragraphe 123 de la décision Shoan no 1, précitée :

[...] si la ministre jugeait que les questions soulevées par le demandeur dans sa réponse ne justifiaient pas d’organiser une réunion avec elle ou ses représentants ou de mener une enquête plus poussée sur les éléments allégués (y compris l’affirmation du demandeur selon laquelle le manque d’esprit d’équipe n’était pas entièrement attribuable à ses gestes, le fait que le président affichait une animosité hostile et négative à son endroit et le fait qu’il serait prématuré pour le gouverneur en conseil de passer à l’acte avant que la Cour ne rende sa décision sur le contrôle judiciaire du rapport sur la plainte de harcèlement), elle était tenue, selon l’équité procédurale, d’en informer le demandeur et de lui expliquer, sommairement du moins, pourquoi elle était parvenue à cette conclusion.

Le demandeur affirme donc avoir été privé de la possibilité de se faire entendre, ce qui rend la décision du GEC inéquitable du point de vue procédural.

[31]  Le demandeur fait valoir qu’un entretien avec la ministre lui aurait permis de discuter avec elle de points importants et pertinents quant à la décision du GEC, notamment le fait affirmé par lui que le manque d’esprit d’équipe constaté au sein du CRTC n’était pas attribuable à ses actes. Ces points, soutient‑il, s’ajoutaient aux questions soulevées pendant l’enquête administrative, ainsi que dans ses lettres des 14 mars [la réponse] et 14 juin 2016.

(2)  Le caractère raisonnable

[32]  Le demandeur affirme que la décision attaquée est déraisonnable aux motifs qu’elle se fonde sur un principe erroné pour ce qui concerne la nomination « à titre inamovible » et la norme minimale à remplir pour une révocation « motivée », et que le GEC l’a rendue de manière abusive, sans tenir compte de la preuve produite devant lui. Il convient d’appliquer ici une approche contextuelle, avance‑t‑il, invoquant à ce propos les observations suivantes formulées par notre Cour au paragraphe 30 de la décision Wedge :

Pour déterminer si le titulaire d’une charge publique satisfait à la norme de bonne conduite qui est requise pour continuer d’exercer ses fonctions, le Cabinet, c’est‑à‑dire, le gouverneur en conseil, doit examiner le comportement de cette personne afin d’évaluer s’il est compatible avec le degré d’intégrité que le gouverneur en conseil juge nécessaire pour préserver la confiance du public dans les institutions fédérales et le processus fédéral de nominations.

Voir aussi le paragraphe 32 de la même décision.

[33]  La Cour suprême du Canada a décidé que, dans le contexte de l’emploi, il faut appliquer une « approche contextuelle » pour établir si l’inconduite reprochée à un employé justifie son congédiement sommaire, en tenant compte notamment des circonstances, de la nature et de la gravité du comportement en cause. Cette approche doit en outre reposer sur le principe de la proportionnalité. Voir les paragraphes 34 et 53 de l’arrêt McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38. Le demandeur soutient que, compte tenu de la nature de son emploi et des fonctions quasi judiciaires qu’il exerçait, le GEC était tenu d’effectuer une analyse contextuelle; de même, fait‑il valoir, toute décision doit être proportionnée à l’inconduite reprochée.

[34]  Suivant le demandeur, il ne convient pas de se fonder ici sur les observations formulées par la juge Strickland dans la décision Shoan no 1 relativement au caractère raisonnable de la décision du GEC portant sa première révocation, aux motifs qu’elles relèvent de l’opinion incidente, qu’elles ne lient donc pas la Cour, et qu’elles contiennent des erreurs de fait. Il soutient que les conclusions suivantes constituent de telles erreurs de fait : le demandeur n’aurait pas suivi les pratiques du CRTC ni consulté les avocats de celui‑ci; Shomi aurait été partie à une demande dont le CRTC était saisi; et l’activité de Shomi était en cours d’examen devant cet organisme.

[35]  Le demandeur fait valoir que le dossier sur lequel le GEC s’est fondé était sujet à caution parce qu’issu d’un processus que la juge Strickland a déclaré inéquitable dans la décision Shoan no 1. De plus, le GEC n’a rien fait, entre le 28 avril 2017, date de cette dernière décision, et le 4 mai 2017, date de la décision attaquée, pour réexaminer le contexte ou corriger les vices de procédure. Toute décision basée sur ce dossier, conclut le demandeur, est donc déraisonnable.

[36]  Le demandeur ajoute qu’on a rendu la décision attaquée sans tenir compte des éléments qu’il avait présentés. Il rappelle avoir fait remarquer, dans sa réponse du 14 mars 2016, l’inexactitude de faits cités dans la lettre de la ministre, mais celle-ci ne lui a pas répondu ni n’a demandé de renseignements à ce sujet. Il soutient que les préoccupations de la ministre concernant les déclarations qu’il avait publiées, ses échanges avec des parties intéressées et le fonctionnement interne du CRTC découlent de faits inexacts, sont de nature conjecturale et ne peuvent en l’espèce fonder rationnellement la révocation. Il est selon lui déraisonnable de conclure que l’un quelconque de ces motifs justifie celle-ci.

[37]  Concernant les déclarations publiques, le demandeur invoque l’absence devant le GEC d’éléments prouvant que les deux déclarations qu’on lui reprochait aient influé sur la confiance du public ou des parties intéressées. Il fait valoir qu’ [traduction] « aucun » des articles de presse accompagnant la lettre de la ministre ne met en question l’aptitude du CRTC à remplir son mandat. Les déclarations en cause, explique‑t‑il, concernaient des recours juridictionnels et ne critiquaient pas le CRTC; il y parlait de changements perçus dans le processus décisionnel qui, selon lui, risquaient de compromettre l’indépendance des conseillers de cet organisme.

[38]  En ce qui a trait aux entretiens avec des parties intéressées aux décisions du CRTC, le demandeur fait valoir qu’il a agi au grand jour, et qu’il a suivi aussi bien les protocoles du CRTC que les lignes directrices du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique. Dans le cas de M. Byrne, cadre de Byrnes Communications, le demandeur s’est fait confirmer par écrit qu’il ne serait question au cours de l’entretien d’aucun dossier actif devant le CRTC; M. Byrne l’avait rencontré à titre de consultant d’autres entreprises radio, et l’entretien n’avait [traduction] « pas de rapport » avec ses intérêts propres de radiodiffuseur. Quant à l’entretien qu’il a eu avec un représentant de Shomi, le demandeur fait valoir que, au moment où il a eu lieu, il n’y avait devant le CRTC aucune demande active à laquelle Shomi aurait été partie, de sorte que n’en découlait la possibilité d’aucun conflit d’intérêts. En outre, ajoute le demandeur, comme Shomi était une entreprise non réglementée et bénéficiait d’une ordonnance d’exemption sous le régime de la Loi sur la radiodiffusion, LC 1991, c 11, elle constituait une personne morale distincte des entreprises parties à la demande relevée par la ministre. Il fait valoir que les décisions du CRTC faisaient partie du dossier produit devant le GEC, et que les conseillers n’ont examiné aucune des demandes en question sous aucun rapport; ces demandes ont en effet été renvoyées à leurs auteurs sans qu’on les ait instruites, en raison de changements dans les circonstances et les faits.

[39]  Pour ce qui concerne le fonctionnement interne du CRTC, le demandeur affirme n’avoir jamais refusé de répondre à une demande de communication présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Le 10 août 2015, le CRTC a reçu une telle demande de communication portant sur [traduction] « [t]ous les courriels, notes de service et pièces jointes échangés entre le président, le secrétaire général et les conseillers, entre le 1er juin 2014 et le 30 juin 2015, concernant les allocations desdits conseillers pour frais de déplacement, de représentation et de congrès afférents à l’année budgétaire 2015‑2016 ». Le demandeur avait déclaré son intention de répondre à cette demande lorsqu’il aurait dissipé certaines inquiétudes juridiques. Il affirme la légitimité des préoccupations qu’il entretenait touchant la divulgation loyale des renseignements demandés et le processus décisionnel lié à la demande. 

[40]  Si la ministre et le GEC nourrissaient des inquiétudes légitimes à ce propos, soutient le demandeur, ces sujets d’inquiétude doivent être examinés en fonction de l’ensemble de son comportement, ainsi que de l’importance pour lui de son emploi de conseiller. Aucun des sujets de préoccupation exprimés ne touche au cœur même de la relation employeur-employé. La décision de l’employeur doit être proportionnée au comportement reproché et ne pas dépasser les limites d’une conséquence rationnelle ou logique.

(3)  Les mesures demandées

[41]  Le demandeur sollicite une ordonnance infirmant et annulant la décision attaquée du GEC et déclarant que restent pleinement en vigueur les décrets CP 2013‑809 et CP 2013‑838, respectivement datés des 13 et 21 juin 2013. Il prie aussi la Cour de rendre une ordonnance déclarant qu’il a droit à un décret du GEC tenant compte de son temps de service perdu en tant que conseiller régional pour l’Ontario et le maintenant à ce poste pour la durée correspondante, aux mêmes conditions que celles de sa nomination. Enfin, il demande les dépens sur une base procureur-client et toutes autres mesures que la Cour estimera justifiées.

B.  Le défendeur

(1)  L’équité procédurale

[42]  Le défendeur reconnaît le droit à l’équité procédurale d’une personne nommée par le GEC à titre inamovible et qui se trouve menacée de révocation pour inconduite. Il affirme le caractère équitable de la procédure qui a mené à la révocation du demandeur prononcée le 4 mai 2017. Les allégations pesant sur le demandeur lui ont été suffisamment notifiées, on lui a offert une possibilité effective d’y répondre, et on a rendu à son égard une décision équitable et impartiale, dont le texte lui permet de comprendre la justification. Le défendeur ajoute que le GEC a tenu compte des préoccupations procédurales exprimées par la juge Strickland dans la décision Shoan no 1 en excluant de son examen les motifs qui les avaient suscitées.

[43]  Afin de délimiter le contexte de l’obligation d’équité envers le demandeur, le défendeur attire l’attention sur des affaires où notre Cour a examiné la révocation d’autres personnes nommées par le GEC. La Cour a ainsi pris acte que le GEC « dispose d’une marge de manœuvre importante pour déterminer quel moyen peut permettre d’atteindre l’objectif d’équité procédurale » (décision Vennat, précitée, au paragraphe 148). Le GEC n’est pas tenu de suivre « des procédures lourdes, coûteuses et incompatibles avec sa nature », comme l’explique la décision Pelletier c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1545, au paragraphe 86. Les cas de révocation ou de congédiement ne sont pas des processus juridictionnels auxquels s’appliqueraient intégralement et formellement des règles de procédure de type judiciaire; voir la décision Wedge, précitée, au paragraphe 24. Le contenu de l’obligation d’équité se situe dans la présente espèce à « un niveau peu élevé » et comprend les éléments suivants : « un avis, dans la mesure où il a été informé du fondement des préoccupations de la ministre et du fait que sa nomination était possiblement en péril; une occasion réelle de répondre et de présenter ses arguments complètement et équitablement; et le fait d’obtenir une décision équitable et impartiale afin de lui permettre de comprendre son fondement » (décision Shoan no 1, précitée, aux paragraphes 59 et 91).

(a)  La notification

[44]  Le défendeur reconnaît que le demandeur avait un droit de notification, notamment le droit d’être informé de la sanction envisagée contre lui – c’est‑à‑dire de la possibilité de sa révocation – et, dans une mesure suffisante, des motifs qu’on avait de penser qu’il avait enfreint la déontologie. Or, soutient le défendeur, le processus suivi par le GEC remplissait ces conditions procédurales.

[45]  Le défendeur invoque les conclusions tirées par la juge Strickland dans la décision Shoan no 1 au soutien de la thèse que, comme elle l’a conclu, le demandeur avait reçu une notification plus que suffisante des allégations pesant contre lui; voir les paragraphes 92 et 99 de la décision Shoan no 1, précitée. Pour autant qu’il était tenu de suivre un processus personnalisé, le GEC avait rempli cette obligation, puisque « la ministre avait mené une enquête (ou un examen) indépendante des faits et personnalisée, en plus de permettre au demandeur de connaître en détail le fond de ses préoccupations » (décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 111).

[46]  Le défendeur fait valoir que la signification que le demandeur attribue au terme « personnalisée » n’est pas celle que le juge Noël lui donnait dans la décision Vennat, précitée. Dans cette affaire, la Cour a jugé inéquitable le processus suivi par le GEC au motif qu’il s’était fondé sur les conclusions d’une procédure parallèle à laquelle le demandeur « n’était pas personnellement partie »; voir la décision Vennat, précitée, aux paragraphes 13, 29, 136, 143 et 168. Mais dans la présente espèce, affirme le défendeur, le processus suivi par le GEC était adapté au cas individuel du demandeur. Les préoccupations exprimées dans la lettre de la ministre et les pièces présentées à leur soutien étaient bel et bien personnalisées. Le processus adopté par le GEC était conçu pour jeter de la lumière sur la conduite du demandeur et avait pour objet de permettre de décider s’il y avait lieu de le révoquer.

(b)  La possibilité de se faire entendre

[47]  Le défendeur admet également que le demandeur avait droit à une audition équitable, notamment à la possibilité effective de répondre aux allégations pesant sur lui et d’influencer le décideur. Ce dernier avait l’obligation d’examiner les éléments de preuve et les observations présentés par le demandeur avant de rendre sa décision. Or la ministre et le GEC, affirme le défendeur, ont rempli cette obligation.

[48]  Le défendeur rappelle que le demandeur était représenté par un avocat, qui a déposé un mémoire détaillé en réponse aux allégations pesant sur son client. Le demandeur a présenté sa version des faits en cause ainsi que des observations sur la manière dont le décideur devrait interpréter sa conduite. L’affaire n’était pas si complexe, fait valoir le défendeur, que le décideur ne pût comprendre entièrement les faits ou les observations en réponse du demandeur sans se voir communiquer en plus des observations orales. Le demandeur a accepté le processus défini dans la lettre de la ministre, il ne s’est pas plaint d’être privé d’une possibilité effective de se faire entendre et il n’a pas informé la ministre que sa réponse écrite en date du 14 mars 2016 fût incomplète.

[49]  Selon le défendeur, l’équité procédurale n’exigeait pas en l’espèce la tenue d’une audience ou d’un entretien en personne. Il attire l’attention sur le paragraphe 121 de la décision Shoan no 1, où la juge Strickland observe que le demandeur n’a pas sollicité d’audience formelle ni n’a exprimé explicitement l’opinion qu’une rencontre avec la ministre formait une condition nécessaire de l’équité procédurale dans la présente espèce. Le défendeur soutient que la tenue d’une audience n’était pas nécessaire pour assurer au demandeur une possibilité effective de se faire entendre. 

[50]  Le défendeur fait valoir la non-pertinence quant à la présente espèce de la décision Keen, invoquée par le demandeur. En effet, explique le défendeur, s’il est vrai que le juge Hughes a observé dans cette décision qu’il aurait conclu que l’omission de « discuter plus à fond de la situation » avec la demanderesse constituait un manquement à l’équité procédurale s’il avait constaté qu’elle occupait son poste « à titre inamovible » plutôt qu’« à titre amovible », il l’a fait dans un contexte où il estimait avéré que « ni le ministre ni la gouverneure en conseil ne lui [avaient] fourni des précisions justifiant leur conclusion que Mme Keen avait commis un manquement à la bonne conduite » (décision Keen, précitée, au paragraphe 57).

(c)  Une décision équitable et impartiale

[51]  Le défendeur convient également que le demandeur avait droit à une décision équitable et impartiale dont le texte lui permît de comprendre le fondement. Il invoque encore une fois la décision Shoan no 1, où la juge Strickland a conclu que le contexte du processus décisionnel du GEC n’exige pas la production de motifs détaillés aux fins de la révocation motivée d’un titulaire de poste; voir la décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 14. Selon le défendeur, la décision attaquée confirme que le GEC, avant de la rendre, « a examiné attentivement » les éléments de preuve et observations présentés en réponse par le demandeur. La validité de tels attendus d’un décret ne saurait être mise en question; voir la décision Keen, précitée, au paragraphe 55.

[52]  Le défendeur rappelle que, pour donner suite aux préoccupations relatives à l’équité procédurale formulées par la juge Strickland dans la décision Shoan no 1, ainsi qu’aux éléments de preuve et observations en réponse du demandeur, le GEC a décidé de ne pas prendre en considération trois motifs de révocation antérieurement retenus. Ce dernier, en effet, n’a pas tenu compte du rapport concluant au bien-fondé de la plainte de harcèlement formée contre le demandeur, ni des préoccupations exprimées touchant la responsabilité de ce dernier dans le déclin de l’esprit d’équipe au CRTC, ni non plus de la divulgation irrégulière de renseignements confidentiels reprochée à M. Shoan.

[53]  Le défendeur soutient qu’on n’a pas manqué à l’équité procédurale en n’offrant pas un entretien en personne au demandeur. Il était en effet loisible au GEC de donner suite aux questions soulevées par le demandeur dans sa réponse écrite en présentant des motifs écrits plus complets et en excluant du fondement de la décision attaquée les éléments auxquels M. Shoan avait trouvé à redire. Contrairement à l’affirmation du demandeur, ajoute le défendeur, la juge Strickland n’a pas conclu à la nécessité d’un entretien en personne; elle a plutôt fait observer qu’un tel entretien était l’une des manières dont le décideur pouvait informer le demandeur des raisons du rejet de certaines de ses observations, c’est‑à‑dire qu’elle parlait en fait, selon le défendeur, d’une exposition orale des motifs; voir la décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 124.

[54]  Le défendeur avance que si notre Cour peut conclure que la décision attaquée découle d’un processus équitable et se révèle raisonnable relativement à l’issue, aux motifs écrits et au dossier, le fait que le décideur n’ait pas exposé oralement ses motifs dans le cadre d’un entretien en personne ne constitue pas une erreur de procédure.

[55]  Le défendeur conteste en outre le bien-fondé de l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait droit à une audience pour y présenter des éléments de preuve ou observations supplémentaires. La juge Strickland, en effet, n’a pas conclu que le demandeur eût droit à un entretien lui permettant de produire de tels éléments ou observations supplémentaires.

(2)  Le caractère raisonnable

[56]  La décision du GEC, selon le défendeur, commande un degré élevé de retenue judiciaire. Pour établir s’il existe un « motif », le GEC « a le droit d’évaluer si le comportement du requérant était compatible avec les conditions de sa nomination, y compris si, selon lui, ledit comportement était susceptible de miner la confiance du public dans l’institution fédérale à laquelle le requérant avait été nommé » (décision Wedge, précitée, au paragraphe 32). S’agissant d’établir ce qui constitue un « motif » justifiant la révocation du titulaire d’une charge publique, il faut évaluer la conduite de l’intéressé en fonction de la nature de cette charge. Or la charge du demandeur comportait des prérogatives et le mettait « dans une situation de confiance vis-à-vis du public ». Voir la décision Wedge, précitée, au paragraphe 33.

[57]  Le défendeur soutient que l’affidavit signé par le demandeur le 3 juillet 2017 et l’affidavit d’Andrea Mullin en date du 30 juin 2017 de la même année se fondent à tort sur des éléments dont le GEC ne disposait pas lorsqu’il a rendu sa décision. Le défendeur a formé, à l’audience de la présente demande, une requête en radiation de ces affidavits.

[58]  D’après le défendeur, l’un ou l’autre des deux motifs sur lesquels repose la décision attaquée suffirait à lui à seul à justifier la révocation. Le GEC a conclu, pour ce qui concerne le premier motif, que le demandeur avait eu des échanges inappropriés avec des personnes intéressées aux décisions du CRTC, et qu’il avait méconnu et négligé l’effet de ces échanges sur la réputation et l’intégrité du CRTC. Le défendeur attire l’attention sur le passage de la décision Shoan no 1 où la juge Strickland a fait observer en opinion incidente que cette conduite reprochée au demandeur était « très troublante » et constituait un motif de révocation; voir la décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 144.

[59]  À deux reprises, le demandeur s’est entretenu seul à seul avec des parties intéressées à des affaires pendantes devant le CRTC. Le 29 juillet 2015, il a rencontré un cadre supérieur de Shomi, entreprise dont les services faisaient l’objet d’une demande alors en cours d’examen devant le CRTC. Qui plus est, le demandeur a publié ensuite sur cet entretien un gazouillis qui a amené une autre partie à la demande à exprimer sa crainte d’une partialité apparente ou réelle. De même, le 17 août 2015, le demandeur s’est entretenu avec le propriétaire de Byrnes Communications. À l’époque, le CRTC menait une consultation publique sur la capacité du marché de la radio à Burlington et sur le point de savoir s’il y avait lieu de lancer un appel de demandes pour servir ce marché. Le CRTC avait entrepris ce processus de consultation parce que Byrnes Communications avait formé une demande de licence de station radio pour servir ce même marché et avait présenté des observations au soutien d’un appel de demandes.

[60]  Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part du GEC de conclure que ces deux entretiens du demandeur étaient contraires aux règles et risquaient de compromettre la réputation et l’intégrité du CRTC. Toujours selon le demandeur, il était également raisonnable de la part du GEC de conclure que l’inobservation par le demandeur des pratiques et procédures concernant les rencontres ex parte avec des parties intéressées à des demandes pendantes devant le CRTC risquait de saper la confiance du public en cet organisme.

[61]  Concernant le second motif de la révocation de M. Shoan, le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part du GEC de conclure que la conduite du demandeur relative aux obligations que lui fixait la Loi sur l’accès à l’information, ainsi que ses déclarations publiques négatives sur le CRTC, justifiaient aussi sa révocation motivée. Le défendeur invoque de nouveau à ce propos la décision Shoan no 1, où la juge Strickland a exprimé l’avis que la réaction de M. Shoan à la demande en cause d’accès à l’information et son inobservation des processus internes y afférents du CRTC constituaient un motif valable de révocation; voir la décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 158. Suivant le défendeur, les affirmations sans fondement du demandeur comme quoi le personnel et le président du CRTC auraient manqué à la déontologie et se seraient trouvés en conflit d’intérêts, affirmations par lesquelles il essayait de justifier son refus de se conformer aux processus et procédures internes destinés à permettre à cet organisme de remplir les obligations que lui prescrit la Loi sur l’accès à l’information, exposaient celui‑ci au risque de poursuites.

[62]  Le défendeur fait valoir que les déclarations publiques de M. Shoan sur les demandes de contrôle judiciaire qu’il avait introduites contre le CRTC critiquaient ce dernier et son président, et que ces critiques avaient suscité une attention défavorable de la part des médias et risquaient de nuire à la confiance du public en cet organisme. Le demandeur a publié deux fois des déclarations négatives contre le CRTC. Premièrement, il a émis sur Twitter, en avril 2015, une déclaration de quatre paragraphes où il se présentait comme un conseiller du CRTC, afin de rendre publique une demande de contrôle judiciaire qu’il avait formée contre celui‑ci. Il y disait espérer [traduction] « que cette demande de contrôle judiciaire entraînera[it] un examen objectif des questions en litige et la ferme condamnation d’une culture de contrainte et de répression de la dissidence au sein du CRTC ». Deuxièmement, il a publié en octobre 2015, relativement à la demande de contrôle judiciaire qu’il avait formée devant la Cour d’appel fédérale, une déclaration où il contestait trois décisions du président du CRTC et soutenait que ledit président n’était pas investi du pouvoir de constituer des comités de conseillers du CRTC pour instruire les affaires portées devant celui‑ci. Le demandeur s’y disait préoccupé par [traduction] « ces décisions unilatérales [...] prises en violation du règlement intérieur du CRTC ».

[63]  Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part du GEC de conclure que le fait pour le demandeur d’accuser publiquement le président du CRTC d’enfreindre la loi et sa déclaration laissant supposer un manque d’équité dans la gouvernance du CRTC nuisaient ou risquaient de nuire à la confiance du public en cet organisme, comme en témoignent selon ledit défendeur les articles de presse qu’il a cités à ce propos.

(3)  Les mesures demandées

[64]  Le défendeur prie la Cour de rendre une ordonnance portant rejet de la présente demande, avec dépens en sa faveur.

[65]  Pour le cas où la Cour accueillerait la demande, la sanction qui s’imposerait, selon le défendeur, serait d’infirmer la décision attaquée sans prononcer la réintégration du demandeur. La Cour, en effet, n’a pas compétence pour modifier les dispositions du décret en date du 13 juin 2013, qui porte nomination du demandeur pour un mandat de cinq ans, en prolongeant le mandat ainsi fixé, ni pour ordonner au GEC de prendre un autre décret le nommant pour un nouveau mandat.

VIII.  DISCUSSION

A.  Le nouvel examen et la décision de la juge Strickland

[66]  Le demandeur a été une première fois révoqué en tant que conseiller du CRTC par décision du GEC en date du 23 juin 2016. Cette décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire qui a donné lieu à la décision Shoan no 1, par laquelle la juge Strickland a accueilli la demande, concluant son analyse dans les termes suivants :

[165]  Vu ma conclusion selon laquelle le dossier ne me permet pas d’établir que le droit à l’équité procédurale du demandeur avait été respecté, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je suis consciente qu’il est possible que le gouverneur en conseil rende la même décision à la suite du nouvel examen; toutefois, le dossier dont je suis saisie ne me permet pas de déterminer que cela est inévitable.

[67]  La décision attaquée, c’est-à‑dire la décision du 4 mai 2017 que je suis ici appelé à contrôler, est celle que le GEC a rendue pour exécuter la décision de la juge Strickland, en date du 28 avril 2017, qui ordonnait un nouvel examen. S’il est vrai que la juge Strickland n’a pas donné d’instructions précises au GEC sur la manière de s’y prendre, il me paraît ressortir clairement de ses motifs et conclusions que son ordonnance n’obligeait pas ce dernier à mettre de côté l’intégralité du processus qui avait mené à la première révocation, ni ne permettait ou exigeait nécessairement la présentation d’observations supplémentaires, écrites ou orales.

[68]  En effet, lorsqu’elle constate dans sa conclusion que « le dossier ne [lui] permet pas d’établir que le droit à l’équité procédurale du demandeur avait été respecté », la juge Strickland fait référence à un ensemble particulier de questions qu’elle a clairement délimitées dans le corps de ses motifs :

[122]  Dans sa réponse, le demandeur n’indique pas clairement non plus les renseignements supplémentaires qu’il juge nécessaires pour lui permettre de répondre valablement, à une exception près. À titre d’exemple, il a demandé à obtenir des détails supplémentaires afin de pouvoir répondre à l’allégation de divulgation de renseignements confidentiels. Pourtant, la lettre de la ministre et le sommaire étaient très précis et le demandeur n’indique pas les renseignements supplémentaires qu’il doit obtenir pour répondre à cette préoccupation. Et, même si la plainte réelle déposée à l’endroit du CRTC au Commissariat à la protection de la vie privée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels n’apparaît pas dans le dossier, il semble ressortir clairement du dossier que cette plainte est liée aux renseignements personnels de la plaignante produits par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision sur la plainte de harcèlement.

[123]  Cela étant dit, je suis d’avis que, si la ministre jugeait que les questions soulevées par le demandeur dans sa réponse ne justifiaient pas d’organiser une réunion avec elle ou ses représentants ou de mener une enquête plus poussée sur les éléments allégués (y compris l’affirmation du demandeur selon laquelle le manque d’esprit d’équipe n’était pas entièrement attribuable à ses gestes, le fait que le président affichait une animosité hostile et négative à son endroit et le fait qu’il serait prématuré pour le gouverneur en conseil de passer à l’acte avant que la Cour ne rende sa décision sur le contrôle judiciaire du rapport sur la plainte de harcèlement), elle était tenue, selon l’équité procédurale, d’en informer le demandeur et de lui expliquer, sommairement du moins, pourquoi elle était parvenue à cette conclusion. Dans Vennat, Wedge et Weatherill 1999, même si les faits et les circonstances diffèrent, les demandeurs ont eu la possibilité de participer à une réunion. Dans Vennat, une réunion a eu lieu en présence de la ministre de l’Industrie, du greffier du Conseil privé et de l’avocat général interne du ministère de l’Industrie. Dans Weatherill 1999, une réunion a eu lieu en présence de la sous‑greffière. Et, dans Wedge, une réunion a eu lieu en présence d’un représentant du Bureau du Conseil privé et du président du TAAC.

[124]  Pour les motifs qui suivent, le défaut d’offrir au demandeur une telle réunion ou de répondre autrement aux questions soulevées dans sa réponse a mené à un manquement possible de l’équité procédurale, puisqu’il est impossible d’établir, selon le dossier, qu’il a fait l’objet d’une décision équitable et impartiale.

c)  La décision équitable et impartiale

[125]  À cet égard, la Cour a entendu la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision sur la plainte de harcèlement le 21 juin 2016. Il est bien établi que le juge Zinn a informé les parties qu’il devrait rendre sa décision en septembre 2016. Le défendeur soutient que l’on ne peut interdire au gouverneur en conseil de révoquer la nomination d’une personne nommée pour un motif valable simplement parce qu’une demande de contrôle judiciaire a été présentée. En fait, la Cour a conclu, dans Weatherill 1999, que le gouverneur en conseil n’avait pas agi de façon inéquitable en refusant de retarder de nouveau sa décision après le rejet d’une demande d’injonction et pendant qu’un appel était en cours (au paragraphe 96). J’ajouterais que, quand une demande de révocation de nomination d’une personne nommée est présentée, la personne visée peut demander à obtenir un sursis de cette décision pendant que la demande de contrôle judiciaire est en cours. C’est ce que le demandeur a fait en l’espèce; le sursis a cependant été rejeté pour les motifs exposés par la juge Mactavish.

[126]  Par conséquent, je ne suis pas convaincue que le gouverneur en conseil a agi de manière inéquitable en poursuivant le processus décisionnel alors que la décision du juge Zinn était sous réserve. Toutefois, même s’il était loisible pour le gouverneur en conseil de passer à l’acte, cette décision a des conséquences importantes. Cela s’explique ainsi : à la suite de la décision du gouverneur en conseil de révoquer la nomination du demandeur, la Cour a annulé la décision du président relative au harcèlement allégué au motif que le rapport sur la plainte de harcèlement était vicié. Cette situation pose problème dans le contexte de la décision du gouverneur en conseil, puisque la lettre de la ministre et le sommaire renvoient à la conclusion de l’enquêteur sur la plainte de harcèlement, qui sous‑tend la décision du gouverneur en conseil et en constitue le fondement.

[127]  Le juge Zinn a annulé la décision du président relative à la plainte de harcèlement parce qu’il a conclu, selon les éléments de preuve dont il était saisi, que le tiers chargé de faire enquête sur la plainte de harcèlement avait un esprit fermé, avait outrepassé son mandat et, dans une certaine mesure, avait diabolisé le demandeur. On trouvait dans le rapport sur la plainte de harcèlement des déclarations du président sur le comportement du demandeur, y compris le fait qu’il avait tenté de l’intimider, qu’il avait nui à ses relations avec des employés clés du CRTC et qu’il avait rendu l’environnement de travail toxique. Le juge Zinn a conclu que les opinions exprimées par le président, même si elles pouvaient être exactes, dépassaient largement ce que l’enquêteur sur la plainte de harcèlement devait déterminer. Et, vu les opinions à l’égard du demandeur que le président a exprimées à l’enquêteur sur la plainte de harcèlement en tant que témoin à l’enquête, sa participation à la décision finale n’était pas équitable sur le plan procédural. En effet, il était impossible de voir comment, dans ces circonstances, il pouvait prendre une décision équitable, consciemment ou inconsciemment, sur le rapport sur la plainte de harcèlement. Le juge Zinn a conclu que le rapport et les mesures correctives dans leur ensemble étaient inacceptables et peu fiables. Il a toutefois conclu qu’il n’avait pas à jouer ce rôle et qu’il n’avait pas déterminé si la plainte avait donné lieu à du harcèlement.

[128]  La difficulté avec laquelle je suis donc aux prises en l’espèce réside dans le fait qu’il est difficile de déceler, selon le dossier, dans quelle mesure le gouverneur en conseil s’est appuyé sur le rapport sur la plainte de harcèlement vicié pour rendre sa décision. La ministre exposait dans sa lettre quatre catégories de préoccupations et ajoutait qu’elles « se fondaient » sur des préoccupations antérieures ayant eu des répercussions négatives sur le bien‑être interne du CRTC. Elle a ensuite fait référence au rapport sur la plainte de harcèlement. Elle a aussi renvoyé à la lettre du 17 juillet 2015 envoyée par sa prédécesseure, qui indiquait que le demandeur n’avait présenté aucune nouvelle preuve contraire aux conclusions du rapport sur la plainte du harcèlement et qu’il était particulièrement inquiétant de constater que sa conduite continuait de témoigner un manque de respect à l’égard des principes de l’esprit d’équipe. Elle a conclu que [traduction] « ensemble, ces incidents remettent en question sa [le demandeur] capacité d’agir à titre de conseiller du CRTC ».

[129]  Il est possible que le rapport sur la plainte pour harcèlement n’ait pas joué un rôle déterminant dans la décision du gouverneur en conseil. Il convient toutefois de relever l’absence de réunion, même sommaire, avec la ministre, au cours de laquelle il aurait été possible d’aborder ce point, ou de réplique à la réponse du demandeur afin d’expliquer que ni la ministre, pour formuler sa recommandation, ni le gouverneur en conseil, pour rendre sa décision, n’avaient eu besoin de s’appuyer sur la décision, favorable ou défavorable, rendue par le juge Zinn relativement au rapport sur la plainte de harcèlement, étant donné les autres éléments de preuve ou motifs sur ce point dans la décision du gouverneur en conseil. Ainsi, l’exercice que je mènerais en vue de déterminer si le demandeur a fait l’objet d’une décision équitable et impartiale à la suite de la décision du gouverneur en conseil de révoquer sa nomination avant que le juge Zinn ne rende sa décision ne serait que pure spéculation. Il en irait de même pour le poids accordé au rapport sur la plainte de harcèlement et, par conséquent, pour le caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil.

[130]  Qui plus est, la ministre a également indiqué dans sa lettre qu’elle s’inquiétait de la divulgation de renseignements personnels par le demandeur au moment de présenter sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour sans prendre de mesures pour protéger la confidentialité de ces renseignements. Il s’agissait particulièrement des renseignements personnels sur l’auteure de la plainte de harcèlement. La ministre a indiqué que le demandeur n’avait pas demandé à ce que les renseignements produits soient traités comme des renseignements confidentiels et qu’il n’avait pas informé la personne ou le défendeur de son intention de divulguer ces renseignements.  

[131]  Pendant le contrôle judiciaire de la décision relative à la plainte de harcèlement, le juge Zinn a résilié l’ordonnance de confidentialité au motif que si l’affaire était demeurée à l’interne au CRTC, ce dernier était maître de son propre processus. Toutefois, lorsque la décision est devenue visée par un contrôle judiciaire, la Cour contrôle son propre processus et doit avoir l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires comme considération principale. Le juge Zinn était d’avis que rien dans l’affaire dont il était saisi ne lui permettait de croire que l’identité de la plaignante, du prétendu harceleur ou des témoins justifiait la délivrance d’une ordonnance de confidentialité.

[132]  Étant donné que le gouverneur en conseil a pris sa décision de révoquer la nomination du demandeur avant que le juge Zinn ne rende sa décision à cet égard, sa conclusion ne faisait pas partie des considérations du gouverneur en conseil. Encore une fois, il est impossible de connaître le poids accordé par le gouverneur en conseil sur cette préoccupation relative à la confidentialité, puisqu’il n’en fait aucunement mention dans ses motifs ou ailleurs. Cela s’explique peut‑être par le fait que la décision du gouverneur en conseil aurait été la même, puisqu’il demeure la question du bon jugement du demandeur, étant donné qu’il n’a pris aucune mesure de précaution afin de protéger les renseignements personnels. Notons par exemple que les lignes directrices du CRTC sur les mécanismes officiels de résolution des cas de harcèlement indiquent qu’il incombe à tous ceux qui participent à une résolution de conflit informelle ou à un processus d’enquête sur une plainte de harcèlement de veiller à respecter le principe de la confidentialité. Il était toutefois impossible de le confirmer.

[133]  Cela étant dit, je suis d’avis que le dossier ne soutient pas l’observation du demandeur selon laquelle la décision du gouverneur en conseil se voulait une attaque collatérale sur la procédure de contrôle judiciaire dont le juge Zinn était saisi, puisque la lettre de la ministre fait aussi état de préoccupations qui ne sont pas liées au rapport sur la plainte de harcèlement. Le demandeur ne présente non plus aucune preuve à l’appui de cette affirmation.

[134]  Il y a enfin la question, elle aussi liée au rapport sur la plainte de harcèlement, de déterminer l’importance accordée par le gouverneur en conseil aux affirmations du demandeur selon lesquelles il n’était pas l’unique responsable de l’environnement de travail toxique au CRTC. L’enquêteur sur la plainte de harcèlement renvoie au commentaire du président selon lequel l’environnement de travail toxique était attribuable au demandeur. Dans sa réponse, le demandeur affirmait qu’il ne pouvait être l’unique responsable de la détérioration du milieu de travail et il conseillait vivement à la ministre de tenir compte de l’ensemble des circonstances susceptibles de contribuer à l’effritement de l’esprit d’équipe au CRTC. Notons aussi que la suggestion faite par l’ancienne ministre dans sa lettre du 17 juillet 2015 de mener une évaluation du milieu de travail afin d’aborder les enjeux pouvant contribuer à ce qui semblait être un environnement de travail toxique n’avait jamais été suivie. Il est toutefois impossible de déterminer, à la lecture du dossier ou des motifs, à quel point les observations formulées par le demandeur dans sa réponse à cette préoccupation ont été prises en considération. C’est‑à‑dire, quelle est l’importance accordée à la préoccupation de la ministre relative à l’esprit d’équipe issue du rapport sur la plainte de harcèlement, en ce qui concerne ce rapport en soi et en tenant compte de cette préoccupation avec d’autres indiquées dans la lettre de la ministre, et à dans quelle mesure s’est‑on appuyé sur elle?

[135]  Pour les motifs exposés ci‑dessus, le fait que le gouverneur en conseil a rendu sa décision avant que le juge Zinn ne rende la sienne sur le contrôle judiciaire (dans laquelle il a finalement annulé la décision du président du CRTC d’accepter la recommandation de l’enquêteur sur la plainte de harcèlement) rend impossible de déterminer, selon le dossier dont je suis saisi, si le demandeur a eu droit à une audience équitable et si on a agi de manière équitable à son égard.

[...]

[141]  Ainsi, dans la mesure où le demandeur suggère que l’absence de motifs supplémentaires dans le décret constituait un manquement à l’équité procédurale, je ne suis pas d’accord. Comme il est indiqué dans Newfoundland Nurses, l’« insuffisance » des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision et la décision fait partie des issues possibles indiquées dans Dunsmuir (paragraphes 14 et 15). Je ne suis pas plus convaincue que le gouverneur en conseil, lorsqu’il présente un décret visant à destituer une personne nommée pour un motif valable est nécessairement tenu de présenter des motifs détaillés. Le contexte entourant le processus décisionnel du gouverneur en conseil ne soutient tout simplement pas une telle exigence.

[142]  Cela étant dit, et comme il en est question ci‑dessus, la concision des motifs en l’espèce empêche la Cour de comprendre à quel point le gouverneur en conseil s’est fondé sur le rapport sur la plainte de harcèlement, si tel est le cas (rapport qui, selon la conclusion tirée par le juge Zinn, était profondément vicié) et sur la préoccupation connexe relative à la confidentialité, ainsi que de déterminer si la décision rendue par le juge Zinn aurait eu une incidence sur la décision du gouverneur en conseil ou pas. Même cela ne constituerait pas à lui seul une erreur susceptible de révision, il faut le voir en combinaison avec le fait que le demandeur ne s’est pas vu offrir de participer à une réunion avec la ministre au cours de laquelle il aurait pu aborder la mesure dans laquelle la ministre s’était appuyée sur le rapport sur la plainte de harcèlement contesté. Cela ne ressort pas clairement du dossier dont je suis saisie. Je ne peux établir, après examen du dossier ou des motifs invoqués par le gouverneur en conseil, à quel point ce dernier s’est fondé sur le rapport sur la plainte de harcèlement et sur la décision connexe du président. Je ne peux non plus établir si la préoccupation relative à la confidentialité et la résiliation de l’ordonnance de confidentialité par le juge Zinn auraient pu avoir une incidence sur la décision du gouverneur en conseil ou sur l’étude que la ministre et le gouverneur en conseil ont faite sur l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’était pas l’unique responsable du manque d’esprit d’équipe au CRTC. Je conclus donc que le demandeur s’est possiblement vu refuser son droit à l’équité procédurale. Qui plus est, si la dépendance du gouverneur en conseil à l’égard du rapport sur la plainte de harcèlement et les préoccupations connexes liées à la confidentialité et à l’esprit d’équipe ont joué un rôle déterminant, la décision du gouverneur en conseil n’était pas raisonnable. C’est pour ce motif que je juge nécessaire de renvoyer cette affaire au gouverneur en conseil aux fins de nouvel examen.

[Non souligné dans l’original.]

[69]  Selon le demandeur, la juge Strickland aurait annulé intégralement la décision du 23 juin 2016, de sorte que le GEC était tenu de réexaminer la totalité de son dossier et de lui permettre de présenter des observations supplémentaires. Cependant, la juge Strickland écrit seulement dans la décision Shoan no 1 que « la [...] demande de contrôle judiciaire est accueillie ». Il est vrai que, dans le passage de ses motifs concernant la sanction appropriée, elle semble rejeter la proposition du défendeur selon laquelle la décision du GEC ne devrait pas être annulée : « Je ne vois donc aucun avantage à suspendre ma décision d’annuler la décision rendue par le gouverneur en conseil, comme le propose le défendeur » (décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 164).

[70]  Toutefois, même si la Cour admet qu’elle avait pour intention d’« annuler » le décision du 23 juin 2016, la juge Strickland n’a pas déclaré que, si le GEC souhaitait révoquer le demandeur pour des motifs entièrement distincts et séparés de ceux dont elle avait constaté le caractère inacceptable dans sa décision, il dût recommencer le processus sur de nouveaux frais, ou accorder à M. Shoan un entretien en personne ou la possibilité de présenter des observations supplémentaires sur tous les points qu’il avait déjà traités dans sa réponse du 14 mars 2016. En fait, on peut affirmer à mon sens que la juge Strickland s’en remettait au GEC de déterminer la meilleure manière d’effectuer le nouvel examen, tout en lui offrant des conclusions et des observations qu’il pourrait valablement prendre en considération pour décider comment procéder de manière raisonnable et conforme à l’équité procédurale. En fait, le GEC a décidé que, étant donné les conclusions et motifs de la juge Strickland, il n’était pas tenu de se fonder sur des discussions ou observations supplémentaires pour effectuer un nouvel examen du cas du demandeur et le révoquer une seconde fois. La juge Strickland n’avait pas conclu à des violations de l’équité procédurale à propos des motifs cités dans la décision du 4 mai 2017, et ceux‑ci n’avaient rien de déraisonnable à la lumière de la décision de la juge lue dans son ensemble. Du point de vue de la présente demande, la question fondamentale qu’il m’incombe de trancher est celle de savoir si la démarche adoptée par le GEC dans son nouvel examen était conforme à l’équité procédurale et/ou raisonnable. À mon avis, elle l’était, pour les motifs dont l’exposé suit. Le demandeur a fait valoir lors des débats de la présente instance que les conclusions et observations de la juge Strickland se fondaient sur des processus et un dossier dont elle avait constaté le caractère inéquitable; selon lui, ces conclusions mettent en question l’intégralité du processus ayant mené à la décision du 23 juin 2016. Or il ressort selon moi à l’évidence de la décision de la juge Strickland que tel n’était pas en fait le cas.

[71]  Après avoir rappelé les points particuliers qui l’empêchaient de conclure au caractère équitable et raisonnable de la décision du 23 juin 2016, la juge Strickland précise ce qu’elle entend par un manquement « potentiel » à l’équité procédurale. « [I]l se dégage aussi clairement du dossier, écrit-elle, que le gouverneur en conseil aurait pu obtenir le même résultat, même si le rapport sur la plainte de harcèlement et les préoccupations connexes n’ont pas joué un rôle déterminant dans son processus décisionnel » (décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 143). Elle s’en explique de manière plus détaillée au moment d’examiner le caractère raisonnable de la décision du GEC en date du 23 juin 2016 :

[158]  Vu son vaste pouvoir discrétionnaire (Wedge, aux paragraphes 32 et 33), il était raisonnable pour le gouverneur en conseil de conclure que l’absence de reconnaissance du demandeur ou son mépris à l’égard de l’inquiétude entourant les communications ex parte et leur incidence sur l’intégrité du CRTC constituait un motif valable de congédiement. J’en conclurais de même en ce qui concerne la réponse du demandeur à la demande d’AIPRP et aux processus internes conçus pour répondre à ces demandes. Il est toutefois impossible d’examiner ces incidents isolément. Étant donné que le demandeur s’est potentiellement vu refuser son droit à l’équité procédurale et parce qu’il est impossible de déterminer, en fonction du dossier ou des motifs invoqués par le gouverneur en conseil, l’importance accordée au rapport sur la plainte de harcèlement et les préoccupations connexes, il m’est impossible de trancher que le gouverneur en conseil a pris une décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[72]  Bref, la juge Strickland précise bien, à mon sens, qu’il n’y avait rien de déraisonnable ou de contraire à l’équité procédurale dans la décision du GEC en date du 23 juin 2016, à condition qu’on puisse dire qu’il serait arrivé aux mêmes conclusions à propos de la révocation sans faire intervenir ce qu’elle désigne collectivement comme « le rapport sur la plainte de harcèlement et les préoccupations connexes ». C’est pourquoi elle écrit au paragraphe 165 de ses motifs : « Je suis consciente qu’il est possible que le gouverneur en conseil rende la même décision à la suite du nouvel examen. »

[73]  La décision du 4 mai 2017, qu’il m’est ici demandé de contrôler, constitue la réponse du GEC à la décision de la juge Strickland et aux questions qu’elle y a soulevées. Cette réponse est en fait que la décision de révoquer le demandeur reste la même si les motifs inacceptables relevés par la juge Strickland ne sont pas pris en considération, et que le GEC se fonde seulement sur les motifs invoqués dans la décision du 23 juin 2016 que la juge Strickland n’a pas estimés « potentiellement » contraires à l’équité procédurale ou déraisonnables.

[74]  En instruisant ou décidant la présente demande, je ne contrôle ni ne réexamine la décision de la juge Strickland, ni n’instruis un appel à son encontre. Le demandeur, quant à lui, invoque cette décision quand elle joue en faveur de sa thèse, mais prie la Cour de ne pas en tenir compte dans le cas contraire, au motif que les conclusions de la juge Strickland relèvent entièrement de l’opinion incidente et/ou sont déraisonnables. Il souhaite me voir contrôler l’intégralité du processus ayant mené à sa révocation, prendre en considération de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été produits devant le GEC, et arriver à des conclusions différentes de celles de la juge Strickland concernant les motifs qui, selon elles, ont été utilisés de manière raisonnable et conforme à l’équité procédurale.

[75]  Il n’est pas rare qu’une décision de contrôle judiciaire renvoie l’affaire au décideur administratif pour réexamen en fonction d’instructions et de lignes directrices de la Cour. L’une des façons d’envisager la décision de la juge Strickland est qu’elle a conclu que la décision du GEC en date du 13 juin 2016 était à la fois raisonnable et équitable du point de vue procédural, à condition qu’on puisse dire qu’il serait arrivé aux mêmes conclusions concernant la révocation sans faire entrer en ligne de compte « le rapport sur la plainte de harcèlement et les préoccupations connexes ». Cette conclusion obligeait le GEC à examiner cette question, à laquelle la décision attaquée en date du 4 mai 2017 répond en retranchant les motifs que la Cour avait déclarés inacceptables. Le demandeur avait déjà reçu la notification requise, et bénéficié d’une possibilité équitable de réponse, à propos des motifs acceptables sur lesquels se fonde ladite décision du 4 mai 2017. La juge Strickland définit la tâche assignée au GEC comme un « nouvel examen » : « Je suis consciente, écrit-elle, qu’il est possible que le gouverneur en conseil rende la même décision à la suite du nouvel examen [...] ».

[76]  La juge Strickland n’a pas conclu que la décision du GEC en date du 23 juin 2016 fût déraisonnable ou contraire à l’équité procédurale; elle a seulement dit qu’elle l’était « potentiellement », selon les motifs qui la fondaient. Or les éléments qui déterminaient « potentiellement » un défaut d’équité procédurale ou de caractère raisonnable ont été retranchés par le GEC dans sa décision du 4 mai 2017, pour laquelle, après réexamen, il a écarté les motifs inacceptables et retenu seulement les motifs acceptables.

[77]  On ne peut dire à mon avis que le GEC, s’agissant d’établir les modalités de son nouvel examen, se soit comporté de manière contraire à l’équité procédurale ou déraisonnable en tenant compte des constatations et conclusions de la Cour aux fins de ce nouvel examen, même si, à proprement parler, certaines de ces constatations et conclusions relèvent de l’opinion incidente. Un nouvel examen n’était nécessaire qu’en raison du caractère « potentiellement » inéquitable et déraisonnable de la décision du 23 juin 2016. Il suffisait, pour supprimer ce caractère, de savoir avec certitude si le GEC révoquerait le demandeur même sans se fonder sur les motifs inacceptables. Mais ma décision ne dépend pas du point de savoir si les conclusions et lignes directrices de la juge Strickland relevaient ou non, à proprement parler, de l’opinion incidente. La décision de la juge Strickland est extrêmement approfondie et attentive concernant ses propres préoccupations, ainsi que les éléments de preuve, la jurisprudence et les moyens avancés par le demandeur. Le GEC n’était pas obligé d’écarter les conclusions et observations de la Cour pour la simple raison que, d’un point de vue strictement juridique, elles pourraient être assimilées à des opinions incidentes. Le GEC est tenu d’agir de manière équitable et raisonnable. Vu les faits de l’espèce, et étant donné la façon approfondie et minutieuse dont la juge Strickland a examiné les questions d’équité procédurale et de raisonnabilité à propos des motifs acceptables de révocation, le GEC me semble avoir agi équitablement et raisonnablement en faisant comprendre sans ambiguïté qu’il décidait de révoquer le demandeur après réexamen des motifs acceptables. Il n’y avait rien là de contraire à l’équité procédurale puisque, comme la juge Strickland l’a constaté et comme le confirme mon propre examen, le demandeur a reçu notification complète de ces motifs acceptables et y a donné une réponse également complète dans ses observations écrites, où l’on ne trouve pas trace de certaines des objections qu’il élève maintenant devant moi.

B.  Les moyens de la présente demande

(1)  La nécessité d’un entretien

[78]  Le demandeur soutient que le GEC n’avait pas le droit de se fonder sur le dossier antérieur pour le réexamen de son cas, mais devait au contraire reprendre l’examen depuis le début, et que, dans le cadre de ce nouveau processus, il avait lui-même droit à une possibilité de répondre et de se faire entendre.

[79]  Le demandeur fait valoir au soutien de cette affirmation que la juge Strickland a conclu qu’il avait droit à un entretien en personne avec la ministre pour discuter des questions qu’il avait soulevées, donnant ainsi à entendre qu’il considère les conclusions et lignes directrices de la juge Strickland comme pertinentes quant au point de savoir si le processus de réexamen était équitable et raisonnable. Cependant, il se méprend ainsi sur le sens à donner aux observations de la juge Strickland concernant la nécessité d’un entretien.

[80]  Voici ce que la juge Strickland a écrit à ce sujet :

[121]  Vu ce qui précède, il est évident que le demandeur n’a pas demandé la tenue d’une audience officielle et qu’il n’en a pas exprimé le besoin dans sa réponse à la lettre de la ministre. Il n’a pas non plus exprimé de façon explicite qu’une réunion avec la ministre constituait une exigence nécessaire de l’équité procédurale dans cette affaire. Il n’indique toutefois pas clairement dans sa demande qu’une telle réunion serait souhaitable.

[122]  Dans sa réponse, le demandeur n’indique pas clairement non plus les renseignements supplémentaires qu’il juge nécessaires pour lui permettre de répondre valablement, à une exception près. À titre d’exemple, il a demandé à obtenir des détails supplémentaires afin de pouvoir répondre à l’allégation de divulgation de renseignements confidentiels. Pourtant, la lettre de la ministre et le sommaire étaient très précis et le demandeur n’indique pas les renseignements supplémentaires qu’il doit obtenir pour répondre à cette préoccupation. Et, même si la plainte réelle déposée à l’endroit du CRTC au Commissariat à la protection de la vie privée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels n’apparaît pas dans le dossier, il semble ressortir clairement du dossier que cette plainte est liée aux renseignements personnels de la plaignante produits par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision sur la plainte de harcèlement.

[123]  Cela étant dit, je suis d’avis que, si la ministre jugeait que les questions soulevées par le demandeur dans sa réponse ne justifiaient pas d’organiser une réunion avec elle ou ses représentants ou de mener une enquête plus poussée sur les éléments allégués (y compris l’affirmation du demandeur selon laquelle le manque d’esprit d’équipe n’était pas entièrement attribuable à ses gestes, le fait que le président affichait une animosité hostile et négative à son endroit et le fait qu’il serait prématuré pour le gouverneur en conseil de passer à l’acte avant que la Cour ne rende sa décision sur le contrôle judiciaire du rapport sur la plainte de harcèlement), elle était tenue, selon l’équité procédurale, d’en informer le demandeur et de lui expliquer, sommairement du moins, pourquoi elle était parvenue à cette conclusion. Dans Vennat, Wedge et Weatherill 1999, même si les faits et les circonstances diffèrent, les demandeurs ont eu la possibilité de participer à une réunion. Dans Vennat, une réunion a eu lieu en présence de la ministre de l’Industrie, du greffier du Conseil privé et de l’avocat général interne du ministère de l’Industrie. Dans Weatherill 1999, une réunion a eu lieu en présence de la sous‑greffière. Et, dans Wedge, une réunion a eu lieu en présence d’un représentant du Bureau du Conseil privé et du président du TAAC.

[124]  Pour les motifs qui suivent, le défaut d’offrir au demandeur une telle réunion ou de répondre autrement aux questions soulevées dans sa réponse a mené à un manquement possible de l’équité procédurale, puisqu’il est impossible d’établir, selon le dossier, qu’il a fait l’objet d’une décision équitable et impartiale.

[Non souligné dans l’original.]

[81]  Comme il ressort à l’évidence de ces paragraphes, la nécessité d’un entretien du point de vue de l’équité procédurale dépend selon la juge Strickland des motifs sur lesquels se fonde le GEC. Encore une fois, le fait de ne pas accorder d’entretien en personne n’est qu’un manquement « possible » à l’équité procédurale : il deviendrait réel seulement si le GEC invoquait les motifs que, en fait, il n’invoque pas au soutien de la révocation prononcée par la décision du 4 mai 2017. La juge Strickland ne dit pas qu’une procédure équitable exigeait la tenue d’un entretien en personne si la décision de révoquer le demandeur se fondait sur les motifs acceptables. Or la décision du 4 mai 2017 soumise à mon contrôle se fondait effectivement sur les motifs dont la juge Strickland a constaté le caractère acceptable. Il est vrai que cette dernière n’examine pas explicitement le problème des « déclarations publiques négatives », qui fait partie du deuxième motif de révocation cité dans la décision attaquée, mais, selon mon propre examen, ce motif est lui aussi inattaquable, parce qu’il se révèle entièrement distinct et séparé du « rapport sur la plainte de harcèlement et [des] préoccupations connexes », dont, selon la juge Strickland, découlait un manquement « possible » à l’équité procédurale et à l’obligation de raisonnabilité.

[82]  Dans la présente instance, je m’interroge sur le point de savoir si l’équité et la raisonnabilité exigeaient un nouveau processus – et en particulier un entretien – seulement au regard des deux motifs distincts et séparés que cite la décision du 4 mai 2017. Vu le dossier dont je dispose, je conclus que le demandeur a bénéficié d’une notification amplement suffisante de ces motifs, ainsi que d’une possibilité équitable et adéquate d’y répondre intégralement par écrit, et que ses observations ont été prises en considération aux fins de la décision attaquée.

(2)  Le défaut d’équité procédurale – généralités

[83]  Le demandeur a pour l’essentiel avancé et fait valoir devant moi, à propos du défaut d’équité procédurale, les mêmes moyens et la même jurisprudence que devant la juge Strickland. Il a par ailleurs soutenu devant moi que constituait aussi un manquement à l’équité procédurale le fait pour la ministre d’aller de l’avant avec la seconde révocation sans le bénéfice d’observations supplémentaires de sa part.

[84]  Il ne faut pas oublier que la décision du 4 mai 2017 faisant l’objet du présent contrôle ne cite que deux motifs de révocation :

  • (a) Les échanges inappropriés entre le demandeur et des parties intéressées aux décisions du CRTC, ainsi que sa méconnaissance et sa négligence de l’effet de ces échanges sur la réputation et l’intégrité de cet organisme, se révèlent fondamentalement incompatibles avec ses fonctions, de sorte qu’il n’a plus la confiance du GEC en tant que conseiller.

  • (b) Abstraction faite du motif des échanges inappropriés, le GEC a conclu que la réaction du demandeur touchant son refus de respecter les processus et les pratiques internes du CRTC pour remplir les obligations prescrites par la Loi sur l’accès à l’information, ainsi que ses déclarations publiques négatives concernant cet organisme, sont fondamentalement incompatibles avec ses fonctions, de sorte qu’il n’a plus la confiance du GEC en tant que conseiller dudit CRTC.

[85]  Il ressort à l’évidence de la décision attaquée que le demandeur a été révoqué pour ces deux motifs indépendants, que l’un ou l’autre aurait suffi, et que le GEC ne se fonde sur aucun autre motif. Je ne vois pas que le demandeur ait contesté dans la présente instance cette interprétation de la décision attaquée. Pourtant il soulève une série de questions et avance divers arguments qui, à mon sens, ne sont pas pertinents quant à ces motifs effectivement cités, et où il fait valoir le défaut d’équité et de caractère raisonnable à propos de motifs que n’invoque pas la décision attaquée. Or je ne peux examiner les facteurs d’équité procédurale et de raisonnabilité qu’au regard des deux motifs sur lesquels le GEC a fondé la décision attaquée en date du 4 mai 2017.

[86]  Le motif des « échanges inappropriés » était également cité au soutien de la révocation que portait la décision du 23 juin 2016, mais celle‑ci ne répondait pas avec certitude à la question de savoir si le GEC aurait révoqué le demandeur à ce seul motif. Je ne vois pas que le demandeur ait affirmé dans la présente instance que les motifs invoqués dans la décision attaquée du 4 mai 2017 ne sont pas indépendants, ou qu’ils ne peuvent servir à justifier la révocation si on les isole des motifs que la juge Strickland a estimés inacceptables, encore qu’il avance qu’ils doivent être examinés dans le contexte de sa conduite générale et mis en balance, notamment, avec l’importance de son poste au CRTC pour sa vie, sa réputation et sa subsistance.

[87]  Pour ce qui concerne la notification des motifs acceptables, la juge Strickland a conclu que le demandeur avait « reçu plus qu’un avis adéquat des allégations formulées à son égard » (décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 92), et elle a justifié cette conclusion par une longue et soigneuse analyse, qui comprenait une comparaison détaillée avec la jurisprudence citée par le demandeur.

[88]  Il est à mon sens évident que les inquiétudes de la juge Strickland touchant l’équité procédurale ou la possibilité de se faire entendre ne se rapportaient pas aux motifs indépendants sur lesquels se fonde la décision du 4 mai 2017, ici contrôlée.

[89]  Autrement dit, le demandeur, dans le cadre du processus ayant mené à la décision du 23 juin 2016, avait reçu une notification satisfaisante et bénéficié de la possibilité de se faire entendre à l’égard de ces deux motifs, qui sont devenus le fondement de la décision attaquée en date du 4 mai 2017. À mon avis et selon les conclusions de la juge Strickland, le demandeur a accepté le processus défini dans la lettre de la ministre et, pour ce qui concerne les motifs qui sont devenus le fondement de la décision attaquée du 4 mai 2017, je ne vois pas pourquoi des observations orales auraient également été nécessaires pour étayer la réponse complète que le demandeur avait présentée par écrit le 14 mars 2016, ni pourquoi il n’aurait pas pu formuler dans cette même réponse écrite toutes les observations supplémentaires qu’il souhaite maintenant avancer à propos de ces motifs.

(3)  Le caractère raisonnable de la décision attaquée

[90]  La même argumentation vaut pour la conclusion de la juge Strickland sur le caractère raisonnable :

[158]  Vu son vaste pouvoir discrétionnaire (Wedge, aux paragraphes 32 et 33), il était raisonnable pour le gouverneur en conseil de conclure que l’absence de reconnaissance du demandeur ou son mépris à l’égard de l’inquiétude entourant les communications ex parte et leur incidence sur l’intégrité du CRTC constituait un motif valable de congédiement. J’en conclurais de même en ce qui concerne la réponse du demandeur à la demande d’AIPRP et aux processus internes conçus pour répondre à ces demandes. Il est toutefois impossible d’examiner ces incidents isolément. Étant donné que le demandeur s’est potentiellement vu refuser son droit à l’équité procédurale et parce qu’il est impossible de déterminer, en fonction du dossier ou des motifs invoqués par le gouverneur en conseil, l’importance accordée au rapport sur la plainte de harcèlement et les préoccupations connexes, il m’est impossible de trancher que le gouverneur en conseil a pris une décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[91]  Il est maintenant clair que, dans la décision attaquée du 4 mai 2017, les « échanges inappropriés » et le « refus de respecter les processus et les pratiques internes du CRTC pour remplir [les] obligations [du GEC] aux termes de la Loi sur l’accès à l’information » étaient considérés comme des motifs indépendants de révocation, de sorte que, étant donné le large pouvoir discrétionnaire du GEC et le niveau élevé de retenue judiciaire qu’il commande, je ne peux dire que la décision attaquée soit déraisonnable. J’examinerai ci‑dessous les éléments de preuve produits sur ces points, mais comme je le notais plus haut, la juge Strickland n’a pas mentionné explicitement le motif des « déclarations publiques négatives »; j’estime cependant que le GEC a eu raison de prendre pour acquis qu’elle n’avait rien trouvé à redire à ce motif; de même, il me paraît que le demandeur avait reçu une notification suffisante de celui‑ci et avait bénéficié d’une possibilité équitable de le contester par la voie de sa réponse écrite en date du14 mars 2016.

(4)  La présente demande

[92]  Il ne m’appartient pas, dans la présente instance, de contrôler ou de réévaluer l’analyse et les conclusions de la juge Strickland concernant les motifs de révocation cités dans la décision du 23 juin 2016. À mon avis, la question en litige devant la Cour dans la présente demande est celle de savoir si le GEC a agi de manière raisonnable et/ou conforme à l’équité procédurale en prononçant la révocation du 4 mai 2017 après avoir pris acte de l’analyse et des conclusions de la juge Strickland, retranché les motifs inacceptables, et retenu les motifs acceptables au soutien de la décision attaquée, sans recommencer tout le processus depuis le début, ou sans offrir au demandeur la possibilité de présenter des observations supplémentaires et/ou lui accorder un entretien en personne pour exposer oralement sa position.

[93]  À mon sens, il n’était ni contraire à l’équité procédurale ni déraisonnable de la part du GEC d’adopter cette manière de procéder. La juge Strickland avait effectué de la situation une longue et minutieuse analyse, dont le GEC a raisonnablement pris acte. Elle n’avait pas posé, aux fins du nouvel examen, l’obligation pour le GEC de reprendre le processus depuis le début ou de permettre au demandeur de lui présenter de nouvelles observations, oralement ou par écrit. Elle avait confirmé l’équité procédurale et le caractère raisonnable de la décision du 23 juin 2016, sous réserve d’objections « potentielles » concernant les motifs retranchés de la décision du 4 mai 2017. Le GEC avait donc à réexaminer la décision du 23 juin 2016 à partir du principe qu’elle posait « potentiellement » problème seulement si les motifs inacceptables étaient utilisés pour justifier la révocation du demandeur. Or le GEC a bien précisé dans la décision attaquée du 4 mai 2007 que cette révocation ne se fondait pas sur lesdits motifs inacceptables.

[94]  Dans la présente instance, le demandeur a fait valoir le défaut d’équité procédurale et le caractère déraisonnable à propos de motifs de révocation que n’invoque pas la décision attaquée du 4 mai 2017. Le dossier prouve, avance‑t‑il par exemple, que la ministre n’a pas mené d’enquête indépendante sur les faits au moins pour ce qui concerne l’allégation que sa conduite avait donné lieu à la divulgation irrégulière de renseignements confidentiels. La lettre de la ministre citait trois faits à l’origine de ce sujet de préoccupation : la communication de renseignements personnels sur une collègue dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire que M. Shoan avait formée contre la décision sur la plainte de harcèlement; la production devant la Cour d’appel fédérale, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire introduite par M. Shoan contre la constitution de comités d’audition par le président du CRTC, de documents protégés selon le procureur général par le secret professionnel de l’avocat; et la divulgation par le demandeur de renseignements personnels qui avait donné lieu au dépôt d’une plainte contre le CRTC sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le demandeur rappelle que ces allégations faisaient partie des dossiers produits devant le GEC pour ses deux révocations. Or le GEC a cité ces motifs au soutien de la première révocation du demandeur, mais il ne les a pas invoqués dans la décision attaquée. À mon avis, ces reproches de divulgation ne peuvent ni ne doivent être assimilés aux sujets de préoccupation concernant les « échanges inappropriés », le « refus [du demandeur] de respecter les processus et les pratiques internes du CRTC pour remplir ses obligations aux termes de la Loi sur l’accès à l’information », ou les « déclarations publiques négatives ». Le demandeur fait aussi valoir qu’il a communiqué à la ministre l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale portant rejet du moyen du procureur général selon lequel il aurait violé le secret professionnel de l’avocat. En outre, dans le cadre de la propre enquête du demandeur sur la plainte formée sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qu’il avait menée après la décision de la juge Strickland, l’avocat général principal du CRTC lui avait confirmé que le Commissariat à la protection de la vie privée avait conclu à [traduction] « l’absence de fondement » de la plainte. Selon le demandeur, ce cas en particulier montre que la ministre n’a pas mené d’enquête personnalisée pour établir indépendamment la validité de la plainte avant d’en faire état devant le GEC, et qu’elle avait préjugé de sa culpabilité. Encore une fois, cependant, je ne vois pas en quoi ces arguments démontreraient le défaut d’équité procédurale ou le caractère déraisonnable, ou seraient même pertinents à leur sujet, s’agissant des motifs indépendants de révocation cités dans la décision du 4 mai 2017, qui fait l’objet du présent contrôle.

[95]  En outre, le demandeur fait valoir qu’un entretien avec la ministre lui aurait permis de discuter avec elle de faits importants et pertinents quant à la décision attaquée, notamment son affirmation selon laquelle le déclin de l’esprit d’équipe au CRTC n’était pas attribuable à ses actes. Il soutient que ces éléments viennent s’ajouter aux questions soulevées dans le cadre de l’enquête administrative, ainsi que dans sa réponse du 14 mars 2016 et sa lettre du 14 juin de la même année. Encore une fois, cependant, la détérioration de l’esprit d’équipe ne me paraît pas avoir figuré parmi les motifs de révocation fondant la décision attaquée du 4 mai 2017, pas plus qu’elle n’est indissociablement liée aux motifs indépendants cités dans cette décision.

(5)  Les motifs retenus dans la décision attaquée du 4 mai 2017

(a)  Les déclarations publiques

[96]  Ce sont les conclusions écrites du demandeur qui expriment le mieux sa position sur les motifs de révocation cités dans la décision du 4 mai 2017 :

[traduction]

Les déclarations publiques

102.  Le GEC ne disposait d’absolument aucun élément tendant à établir que les déclarations attaquées eussent eu un quelconque effet sur la confiance, réelle ou potentielle, du public ou des parties concernées dans le travail du CRTC. Les deux déclarations de M. Shoan ne visaient pas à « susciter les critiques » et ne mettaient pas en doute l’aptitude du CRTC à remplir son mandat. En fait, aucun des articles de presse accompagnant la lettre de la ministre en date du 26 février 2016 ne met cette aptitude en question.

103.  Il convient de noter que la ministre n’a pas reproché à M. Shoan d’avoir introduit les recours juridictionnels auxquels se rapportaient ces déclarations. Il en avait bien sûr le droit. Quoi qu’il en soit, les problèmes supposés qui préoccupaient la ministre ne concernent que les deux déclarations, dont chacune ne contenait que des éléments faisant partie par ailleurs des dossiers d’instances judiciaires publiques.

104.  Les déclarations publiées par M. Shoan en avril et en octobre 2015 touchant les instances judiciaires qu’il avait introduites ne critiquaient pas le CRTC; il y parlait plutôt de changements perçus dans le processus décisionnel qui, à son avis, menaçaient l’indépendance des conseillers. Ces déclarations exposaient aussi les motifs qui l’avaient amené à introduire ces instances, de manière que le public ou les acteurs du secteur d’activité n’en soient pas réduits aux conjectures à ce sujet. Lesdites déclarations étaient discrètes et ne sollicitaient pas du tout l’attention des médias. M. Shoan n’a pas accordé d’interviews sur ses déclarations ni ne les a commentées dans les médias, bien qu’il y ait été invité. De même, dans les observations qu’il a présentées à la ministre, M. Shoan expliquait qu’il avait formé les demandes de contrôle judiciaire, comme la loi lui en donnait le droit, seulement en dernier recours, le président du CRTC ayant refusé de discuter avec lui de la question.

105.  Contrairement à ce qu’écrit la ministre dans sa lettre, il n’y avait absolument aucun élément tendant à établir que M. Shoan manquât d’esprit d’équipe ou qu’il eût « délibérément incité à la critique publique du CRTC ». On ne trouve aucune conclusion en ce sens dans la décision Shoan no 1; en effet, la juge Strickland n’a formulé aucune conclusion sur les déclarations publiques de M. Shoan. Inversement, l’examen du flux Twitter de M. Shoan, soit de l’ensemble des 789 gazouillis qu’il avait publiés à l’époque, montre à l’évidence le respect et l’intérêt qu’il témoigne au CRTC en tant qu’institution. M. Shoan n’a pas émis de critiques personnelles contre le président dans ses déclarations; il n’y parle au contraire que des préoccupations exprimées dans ses actes de procédure au sujet de l’étendue des pouvoirs exercés par ledit président. Qui plus est, il appert du dossier que M. Shoan a parlé en termes favorables du rôle du CRTC dans la promotion de l’intérêt public, et de la possibilité pour le secteur d’activité et l’organisme de réglementation de coopérer dans ce but.

[Souligné dans l’original.]

[97]  Ni les paraphrases et interprétations tendancieuses données par le demandeur de ses propres déclarations publiques ni sa contestation des conclusions du GEC ne sauraient justifier que l’on conclue au défaut d’équité procédurale ou au caractère déraisonnable, et le demandeur a avancé, ou aurait pu avancer, tous ces arguments dans sa réponse du 14 juin 2016.

[98]  Me fondant sur le dossier produit devant moi, j’estime qu’il existe des motifs raisonnables de conclure que les déclarations publiques de M. Shoan sur les demandes de contrôle judiciaire qu’il avait introduites contre le CRTC contestaient en fait l’intégrité de celui‑ci et de son président, contestation qu’il essaie maintenant de faire passer pour une critique légitime visant à protéger la réputation de cet organisme. Le fait est que, en avril 2015, par l’intermédiaire de son compte Twitter, il a essayé d’attirer l’attention sur ses demandes de contrôle judiciaire et déclaré explicitement que son but était d’obtenir [traduction] « la ferme condamnation d’une culture de contrainte et de répression de la dissidence au sein du CRTC ». Voir le dossier du défendeur, volume 2, onglet 28, page 757.

[99]  Le demandeur a publié en octobre 2015 une autre déclaration, où il accusait le président du CRTC de prendre [traduction] « des décisions unilatérales [...] en violation du règlement intérieur du CRTC ». Il avait de toute évidence pour dessein de faire comprendre que la structure de gouvernance du CRTC n’était pas [traduction] « équitable, équilibrée et indépendante » de la manière dont elle aurait dû l’être selon ses critères. Voir le dossier du défendeur, volume 1, onglet 5, page 237. C’est une chose de formuler de telles observations à l’interne, devant des collègues, mais en les rendant publiques, on leur donne une tout autre dimension et un tout autre but.

[100]  II était à mon avis tout à fait raisonnable de la part du GEC d’interpréter ces déclarations publiques comme des contestations de l’intégrité du CRTC et de son président, et il existe des articles de presse, versés au dossier dont disposait le GEC, qui confirment que les médias les ont ainsi interprétées. On lit par exemple ce qui suit dans le Globe and Mail du 23 octobre 2015 :

[traduction]

Un désaccord au sein de l’organisme canadien de réglementation de la radiodiffusion et des télécommunications s’est encore une fois transporté devant les tribunaux, ce qui incite à s’interroger sur sa capacité à prendre efficacement des décisions d’ordre public équitables.

M. Raj Shoan, conseiller régional pour l’Ontario au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), a introduit une instance judiciaire où il soutient que le président du CRTC, M. Jean‑Pierre Blais, a outrepassé sa compétence en constituant des comités de conseillers pour examiner et trancher les affaires de télécommunications.

[...]

Dans l’avis de demande et l’affidavit accompagné de pièces qu’il a déposés mardi devant la Cour d’appel fédérale à Ottawa, M. Shoan soutient que le président du CRTC n’était pas habilité à constituer, comme il l’a fait en septembre, des comités de trois conseillers pour trancher trois questions portées devant le CRTC, plutôt que de les faire examiner chacune par l’assemblée plénière des neuf conseillers.

[...]

Selon l’affidavit de M. Shoan, M. Blais, en constituant ces comités, a empêché unilatéralement certains conseillers de voter sur diverses questions. M. Shoan écrivait dans un courriel adressé en septembre à ses collègues afin d’obtenir leur appui : « le président déclare en fait à chacun de nous qu’il se croit permis de l’empêcher de voter n’importe quand ». Aucun des autres conseillers n’appuie publiquement M. Shoan dans sa demande en justice.

[...]

Dans une déclaration publiée vendredi, M. Shoan explique avoir introduit l’instance en question parce qu’il croit que « le processus décisionnel par défaut [du CRTC] est celui d’une assemblée d’égaux » et que le président met en péril l’indépendance des conseillers pris un à un.

[101]  De toute évidence, la presse a interprété les actes du demandeur comme une attaque contre la culture du CRTC, et en particulier contre son président, qu’il accusait de dépouiller en fait de leurs pouvoirs les conseillers pris un à un, attaque elle-même interprétée comme une raison de [traduction] « s’interroger sur [la] capacité [du CRTC] à prendre efficacement des décisions d’ordre public équitables ». On voit que l’intégrité et la réputation du CRTC se trouvaient ainsi directement touchées.

[102]  Un article du Financial Post daté du 23 octobre 2016 vient confirmer cette impression :

[traduction]

Un conseiller régional du CRTC qui ne mâche pas ses mots affirme, selon des documents judiciaires portés à notre connaissance, que le président de l’organisme canadien de surveillance des télécommunications, M. Jean‑Pierre Blais, a enfreint certains articles du règlement interne de celui‑ci.

[...]

M. Blais « a commis une erreur de droit et/ou outrepassé sa compétence en constituant et convoquant unilatéralement trois comités d’audition », lit‑on dans ces documents judiciaires, où il est soutenu que la loi ne confère pas au président le pouvoir de lancer une procédure sans d’abord consulter l’effectif intégral du Conseil. M. Shoan demande à la Cour d’invalider la constitution de ces comités.

Il s’agit là de la dernière bataille en date de la guerre opposant MM. Blais et Shoan; ce dernier a en effet mis en question à plusieurs reprises le style de direction de M. Blais, affirmant que la concentration des pouvoirs entre les mains du président met en péril l’intégrité du CRTC.

[103]  Ici encore, l’intention du demandeur de discréditer le président en l’accusant d’agir illégalement est claire et bien comprise des médias, tout comme le doute implicite jeté en conséquence sur l’intégrité du CRTC.

[104]  Il convient de noter que le demandeur, dans un courriel en date du 28 août 2015 adressé au président, lui a déclaré carrément : [traduction] « J’ai introduit à l’encontre de vos décisions une demande de contrôle judiciaire qui a fait l’objet d’une considérable couverture médiatique. » Donc les propres mots du demandeur montrent que les médias avaient pleinement prêté attention à ses attaques contre le CRTC et son président. M. Shoan savait à quel jeu il jouait et, étant donné sa formation et son expérience professionnelles ainsi que ses notables talents, il ne pouvait pas ne pas être conscient qu’il communiquait au public un message dont ressortait clairement l’existence d’un manque d’intégrité et de professionnalisme au CRTC.

[105]  Il est également à noter que la Cour d’appel fédérale a rejeté par décision rendue de vive voix les demandes de contrôle judiciaire formées sur ces questions, qu’elle a estimées « suffisamment dénuée[s] de fondement pour justifier une adjudication de dépens plus élevés » contre le demandeur. Donc, le demandeur a accusé publiquement le CRTC d’avoir violé la loi, accusations que la Cour d’appel fédérale a fermement rejetées et désapprouvées. Il n’était par conséquent nullement déraisonnable de la part du GEC de conclure que le demandeur avait fait des « déclarations publiques négatives concernant le CRTC [qui étaient] fondamentalement incompatibles avec ses fonctions ». En affirmant maintenant devant moi que ses déclarations [traduction] « ne critiquaient pas le CRTC », qu’elles [traduction] « étaient discrètes et ne sollicitaient pas du tout l’attention des médias », le demandeur ne me paraît guère convaincant.

(b)  Le fonctionnement interne du CRTC

[106]  Sur cette question, le demandeur soutient maintenant ce qui suit :

[traduction]

Le fonctionnement interne du CRTC

110.  M. Shoan n’a jamais refusé de répondre à la demande d’AIPRP dont la ministre fait état. Il a déclaré son intention de répondre à cette demande une fois qu’il aurait dissipé certaines inquiétudes juridiques. Étant donné ces inquiétudes, il a décidé de demander au commissaire compétent les conseils que les dispositions applicables lui permettaient de solliciter. En outre, cette demande adressée au commissaire à l’information venait immédiatement après une enquête sur le milieu de travail que le juge Zinn a ultérieurement qualifiée de « chasse aux sorcières » et faisait suite à une autre demande d’AIPRP mettant en jeu une divulgation d’origine interne inconnue qui avait donné lieu à la publication dans la presse d’articles diffamatoires sur M. Shoan. Les inquiétudes de ce dernier touchant le processus d’AIPRP étaient donc justifiées.

111.  Pour autant qu’il se posât des problèmes dans le milieu de travail du CRTC, le GEC n’avait absolument aucun motif raisonnable de conclure que M. Shoan en fût responsable. En effet, étant donné la décision du juge Zinn, une telle conclusion ne peut être dite raisonnable. S’il est vrai que la décision du 5 mai 2017 exclut de l’examen le rapport sur la plainte de harcèlement formée contre M. Shoan, il semble qu’on ait retenu au soutien de cette décision l’allégation qu’il serait responsable d’un climat de travail défavorable au CRTC.

112.  En outre, M. Shoan a demandé, dans sa réponse à la ministre Joly, qu’on lui communiquât, le cas échéant, toutes autres préoccupations relatives à sa conduite et au fonctionnement interne du CRTC. Or il n’a reçu aucune communication supplémentaire de cette nature.

113.  Même en admettant que la ministre et le GEC eussent des inquiétudes justifiées, il faut examiner ces inquiétudes dans le contexte intégral de la conduite de M. Shoan et en fonction de l’importance de cet emploi pour lui. Or aucune des inquiétudes exprimées, même examinées comme il se doit, ne touche au cœur de la relation employeur-employé. De plus, la décision doit être conforme au principe de la proportionnalité et ne pas dépasser les limites d’une conséquence rationnelle ou logique. La nature disproportionnée, eu égard aux circonstances, de la conclusion du GEC portant révocation « motivée » se trouve mise en lumière par le refus de la ministre de donner une quelconque suite aux préoccupations exprimées par M. Shoan à propos du harcèlement et de l’inconduite qu’il reprochait à un autre conseiller.

[Souligné dans l’original.]

[107]  Le dossier produit devant moi révèle que le demandeur a formulé des accusations sans fondement d’atteinte à la déontologie et de conflit d’intérêts à l’encontre du CRTC et de son président. Il paraît l’avoir fait pour justifier son inobservation des processus et procédures internes nécessaires pour que le CRTC pût remplir les obligations que lui fixe la Loi sur l’accès à l’information. En fait, il a mis en doute le pouvoir discrétionnaire du président de décider quels documents devaient être divulgués, alors même que les dispositions applicables l’investissent explicitement de ce pouvoir et que le président le lui a rappelé dans un courriel du 27 août 2015, dont voici le texte :

[traduction]

Je constate que vous n’avez pas encore communiqué les documents faisant l’objet de la demande d’accès à l’information A‑2015‑00021, alors que vous deviez le faire au plus tard le 24 courant. Ces documents vous ont été demandés dans le cours normal des activités de l’organisme, conformément à ses pratiques et procédures ordinaires concernant les demandes présentées sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information (AIPRP).

Je vous rappelle que, selon la Loi sur l’accès à l’information [...], c’est le bureau de l’AIPRP qui est chargé d’examiner tous les documents reçus en réponse à une demande de communication, d’établir la pertinence de ces documents, et de décider auxquels s’appliquent les exceptions et exclusions prévues par la Loi. Lorsqu’un pouvoir discrétionnaire doit être exercé sous le régime de la Loi, celle‑ci porte qu’il doit l’être conformément à ses dispositions par le responsable désigné sous ledit régime. Dans ce cas, le bureau de l’AIPRP communique son avis au décideur.

De plus, comme l’indique l’article 6.2 de la Politique sur l’accès à l’information (voir la pièce jointe) [...], c’est moi qui, en qualité d’administrateur général, suis chargé de l’application des dispositions relatives à l’AIPRP. Il m’incombe à ce titre de contrôler l’observation de la Politique susdite sous le rapport de l’application de la Loi sur l’accès à l’information. Veuillez noter en outre que, selon l’alinéa 67.1(1)c) de cette loi, quiconque cache un document se rend coupable d’une infraction.

J’espère que vous communiquerez les documents demandés avant la fermeture des bureaux demain, ce qui constitue une prorogation du délai qui vous a été fixé, et dont vous avez été informé, le 26 courant.

[108]  Le demandeur a réagi en formulant des accusations qu’il répète dans son courriel du 28 août 2015, ainsi rédigé :

[traduction]

L’obligation d’éviter les conflits d’intérêts et toute apparence ou crainte de partialité relève de la sphère générale du droit procédural et des principes de justice naturelle. J’ai déclaré ce qui suit dans un courriel adressé au personnel du bureau de l’AIPRP le 24 courant :

Je crains que les personnes suivantes ne se trouvent en situation de conflit d’intérêts direct s’agissant d’examiner l’opportunité de divulguer des renseignements qui me concernent personnellement : le président (M. Jean‑Pierre Blais), le secrétaire général (M. John Traversy), le directeur des services financiers (M. Jim Stefaik), l’avocate générale principale (Mme Christianne Laizner) et l’avocat général aux télécommunications (M. Daniel Roussy). Dans ces conditions, qui prendra la décision de divulguer ou non? Comment puis‑je être certain qu’elle sera juste et équitable? [Les caractères gras sont de moi.]

[109]  Il est donc évident que « les réponses de Raj Shoan quant à son refus de respecter les processus et les pratiques internes du CRTC pour remplir [les] obligations [de celui‑ci] aux termes de la Loi sur l’accès à l’information [...] sont fondamentalement incompatibles avec ses fonctions ». Qui plus est, ce refus risquait de créer des ennuis juridiques au CRTC et mettait en péril sa capacité d’action. Pourtant, le demandeur soutient maintenant devant moi que le GEC a rendu la décision attaquée [traduction] « sans du tout prendre en compte ou en considération [les pièces et écritures produites devant lui], du moins les éléments produits par M. Shoan ». « Il s’ensuit, ajoute‑t‑il, que la décision du GEC ne s’explique pas rationnellement. »

[110]  Comme on pouvait s’y attendre, le demandeur adopte un point de vue différent du GEC sur la nature et l’effet de ses actes. Cependant, étant donné le large pouvoir discrétionnaire qu’il faut reconnaître au GEC, cela ne me semble pas suffisant pour estimer déraisonnable la décision de ce dernier sur ces questions.

(c)  Les rencontres avec des parties intéressées

[111]  Le demandeur propose maintenant l’argumentation suivante à propos de ce motif de révocation :

[traduction]

Les rencontres avec des parties intéressées

106.  Il est important de bien se rendre compte que les rencontres en cause ne se rapportaient à aucune décision du CRTC et qu’aucune des demandes en question n’a été le moindrement examinée par les conseillers. Ces demandes ont été renvoyées à leurs auteurs sans qu’on les ait instruites, en raison de changements dans les circonstances et les faits. Par conséquent, le GEC ne peut citer aucune décision à caractère juridique du CRTC qui serait viciée par les actes du demandeur.

107.  Seulement deux des nombreux entretiens qu’a eus M. Shoan avec des parties intéressées au cours de son mandat, avant sa révocation par la ministre, ont été mis en cause dans la révocation la plus récente. La consultation des parties intéressées était un élément de première importance du rôle de conseiller régional pour l’Ontario que jouait M. Shoan. Il a fait preuve de franchise et de transparence à propos de ces entretiens, pour lesquels il s’est conformé aussi bien aux protocoles applicables du CRTC qu’aux lignes directrices établies à ce sujet par le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique. Il s’est également appuyé sur sa formation juridique pour éclairer son discernement.

108.  Dans le cas de M. Byrne, M. Shoan, conformément au protocole du CRTC, a obtenu confirmation écrite qu’il ne serait question au cours de l’entretien d’aucun dossier en cours d’instruction par le Conseil. Malgré les affirmations contraires, tous renseignements demandés par M. Shoan en interne sur l’avancement du dossier dont la ministre fait état se rapportaient aux délibérations auxquelles il devait participer plus tard dans la semaine, et non à son entretien avec M. Byrne. En outre, comme M. Shoan l’a précisé dans un courriel adressé à M. Blais, M. Byrne s’est entretenu avec lui en qualité de consultant pour d’autres entreprises de radio, et leur rencontre n’avait aucun rapport avec les intérêts de M. Byrne en tant que radiodiffuseur.

109.  Pour ce qui concerne Shomi, cette personne morale n’était partie à aucune demande active devant le Conseil, de sorte que l’entretien n’entraînait aucune possibilité de conflit d’intérêts. De plus, Shomi était une entreprise non réglementée, exploitée sous le couvert d’une ordonnance d’exemption de la nature prévue par la Loi sur la radiodiffusion. Shomi était une personne morale distincte des entreprises de télécommunications engagées dans la demande relevée par la ministre. En outre, il n’était pas rare pour les conseillers d’avoir de telles entrevues, comme en témoignaient les comptes rendus d’entretiens d’autres conseillers qu’avait produits M. Shoan.

[Souligné dans l’original.]

[112]  Après un examen complet du dossier sur la question susdite, je ne trouve guère d’éléments à ajouter à l’analyse approfondie de la juge Strickland, qui a estimé « très troublante » la conduite du demandeur à cet égard. Je reproduis ici ses conclusions :

[155]  Comme il est indiqué dans le sommaire, le droit du demandeur d’être en désaccord et les motifs de ce désaccord n’étaient pas en litige. La préoccupation résidait plutôt dans le défaut du demandeur de reconnaître qu’il faut gérer avec soin les contacts ex parte avec les intervenants, puisqu’ils exposent potentiellement le CRTC à des contestations juridiques, en plus de soulever des doutes considérables sur son intégrité et sa réputation, comme en témoignait la réponse du CDIP au déjeuner du demandeur avec le représentant de Shomi. Ces réunions soulevaient l’inquiétude d’une crainte raisonnable de partialité. Le sommaire indiquait ce qui suit :

[traduction] Comme M. Shoan le sait bien, la perception d’équité et de neutralité, le concept qui sous‑tend la confiance à l’égard des institutions publiques, s’impose dans le processus décisionnel administratif du CRTC. Le défaut de M. Shoan de respecter les processus et procédures internes, établis en vue de réduire au minimum de tels risques institutionnels, constitue un boulet pour l’organisation, en plus de miner l’intégrité et la réputation du CRTC, comme en témoigne la réaction des intervenants.

[156]  Le demandeur fait valoir dans les observations écrites qu’il a présentées dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, que seules deux des nombreuses réunions avec des intervenants ont été attaquées et qu’il a respecté les protocoles du CRTC et les lignes directrices du Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique dans les deux cas. En ce qui concerne la rencontre avec M. Byrne, conformément au protocole, il a confirmé par écrit qu’un dossier actif ne ferait pas l’objet de discussion; quant à l’affaire Shomi, aucune demande visant cette entité n’était étudiée par le CRTC et, par conséquent, aucun conflit d’intérêts n’existait. Il a aussi fait valoir que, même dans le cas contraire, ces deux seules réunions en litige, vu leur nature, ne constituaient pas un « motif valable » de congédiement. Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a aussi soutenu que le protocole relatif aux réunions décrit ci‑haut ne correspondait qu’à de simples suggestions ou à une recommandation, et qu’il ne s’agissait ni d’une exigence de conformité réglementaire ni d’une règle ou d’une politique contraignante.

[157]  Je suis d’avis que le demandeur ne reconnaît pas, dans ses observations, que la préoccupation réside dans la crainte réelle ou perçue de partialité auxquelles ses réunions ex parte ont donné lieu. Cette préoccupation a été largement démontrée dans la réponse du CDIP à la réunion du demandeur avec Shomi. Peu importe si Shomi n’était pas la demanderesse; le fait est que l’activité qu’elle proposait faisait l’objet d’une étude par le CRTC dans le cadre d’une demande dont il était saisi. Qui plus est, dans la demande du CDIP, le fait que demandeur a refusé de se récuser du comité saisi de la demande visée constitue une autre preuve qu’il ne comprend pas cette préoccupation. En fait, la radiation de ce comité constituait le fondement de l’une de ses contestations de l’autorité du président dans la demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour d’appel fédérale. En ce qui concerne la réunion avec M. Byrne, le demandeur n’a pas respecté les processus internes du CRTC, contrairement à ce qu’il indique dans ses observations. Il est vrai qu’il avait établi, selon ce que le personnel lui avait dit, que le CRTC était saisi d’une demande visant Byrnes Communications. Cela aurait dû pousser le demandeur à refuser de participer à la rencontre ou, à tout le moins, à consulter l’avocat interne afin de décider si la réunion devrait avoir lieu et, le cas échéant, qu’elle se déroule à l’interne, en prenant toutes les mesures d’atténuation du risque requises. Encore une fois, le problème ne résidait pas dans le fait que ce n’était pas la véritable demande présentée par Byrnes Communications qui était en jeu à cette étape, mais plutôt une simple étude de marché. Le problème résidait dans la perception d’équité et de neutralité.

[Non souligné dans l’original.]

[113]  Encore une fois, on peut comprendre que le demandeur essaie maintenant de faire valoir sa propre interprétation du sens de ses actes, mais, sans affirmer que son point de vue soit négligeable, je ne puis dire que, étant donné le large pouvoir discrétionnaire qu’il faut concéder au GEC sur ces questions, ce dernier se soit montré déraisonnable en concluant que les entretiens du demandeur revêtaient un caractère irrégulier et, vu les faits de l’espèce, mettaient en péril l’intégrité et la réputation du CRTC.

(d)  Conclusions

[114]  La juge Strickland a conclu dans les termes suivants son examen de ces motifs particuliers de révocation :

[158]  Vu son vaste pouvoir discrétionnaire (Wedge, aux paragraphes 32 et 33), il était raisonnable pour le gouverneur en conseil de conclure que l’absence de reconnaissance du demandeur ou son mépris à l’égard de l’inquiétude entourant les communications ex parte et leur incidence sur l’intégrité du CRTC constituait un motif valable de congédiement.

[115]  J’arrive à une conclusion semblable concernant ce même motif et les autres cités dans la décision du 4 mai 2017, où ils ne sont pas « potentiellement » contaminés par les motifs inacceptables qu’invoquait la décision du 23 juin 2016.

(6)  Les arguments supplémentaires du demandeur

[116]  Par souci d’exhaustivité et me résignant aux répétitions qui s’ensuivront, je souhaite préciser autant que possible mon évaluation de certaines des affirmations les plus importantes du demandeur.

(a)  L’équité procédurale

[117]  Le demandeur fait valoir que, avant d’être révoqué pour la deuxième fois, il avait le droit de se faire entendre et aurait dû bénéficier d’une possibilité effective de répondre aux motifs d’insatisfaction du GEC.

[118]  Le demandeur avance les arguments suivants, qu’il avait déjà fait valoir devant la juge Strickland à propos de sa première révocation :

[traduction] Notamment, la ministre et le GEC ont omis d’effectuer un examen personnalisé, d’agir de manière équitable et transparente, de formuler les motifs de leur décision, et [de lui] accorder un entretien pour discuter des allégations pesant sur lui ainsi que des questions qu’il avait soulevées (ou de lui expliquer le moindrement pourquoi on ne jugeait pas un tel entretien nécessaire).

[119]  La juge Strickland a examiné intégralement dans son analyse les moyens et la jurisprudence avancés par le demandeur ainsi que les droits découlant pour lui de l’obligation générale d’équité, analyse dont il ressort à l’évidence qu’il n’a pas subi de déni d’équité procédurale sous le rapport des motifs acceptables qui fondent la décision du 4 mai 2017, ici contrôlée.

[120]  Comme l’explique la juge Strickland au paragraphe 142 de la décision Shoan no 1, précitée, le manquement « possible » à l’équité procédurale s’applique aux points suivants :

Je ne peux établir [...] à quel point [le gouverneur en conseil] s’est fondé sur le rapport sur la plainte de harcèlement et sur la décision connexe du président. Je ne peux non plus établir si la préoccupation relative à la confidentialité et la résiliation de l’ordonnance de confidentialité par le juge Zinn auraient pu avoir une incidence sur la décision du gouverneur en conseil ou sur l’étude que la ministre et le gouverneur en conseil ont faite sur l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’était pas l’unique responsable du manque d’esprit d’équipe au CRTC [...]

[121]  Il est évident que la décision attaquée du 4 mai 2017 ne se fonde sur aucun des facteurs inacceptables que la juge Strickland estimait « potentiellement » susceptibles d’entraîner un manquement à l’équité si un entretien n’était pas accordé au demandeur.

[122]  De mon examen de l’ensemble du dossier, y compris des conclusions de la juge Strickland, il ressort que le demandeur n’a pas établi devant moi avoir été victime d’un déni d’équité procédurale du fait qu’on ne lui eût pas accordé d’entretien en personne avant de rendre la décision attaquée. Il avait déjà bénéficié d’une possibilité suffisante de dire tout ce qu’il avait à dire sur les motifs de sa révocation du 4 mai 2017 dans sa réponse écrite du 14 mars 2016.

[123]  Le demandeur se plaint en outre de [traduction] « ne pas avoir reçu de notification avant sa deuxième révocation », de sorte qu’il [traduction] « n’était pas informé des faits précis qu’on lui reprochait et se trouvait donc incapable de répondre directement à ces motifs d’insatisfaction ».

[124]  Comme dans le cas du droit de se faire entendre, il ressort à l’évidence de l’ensemble du dossier, y compris l’analyse de la juge Strickland, que, concernant les motifs de révocation cités dans la décision du 4 mai 2017, le demandeur avait déjà reçu une notification et un préavis suffisants dans le cadre du processus qui avait mené à sa première révocation et qu’il n’avait alors élevé aucune objection de cette nature. La décision attaquée du 4 mai 2017 dit expressément que le GEC « a examiné attentivement » les observations du demandeur sur les motifs de révocation, et il n’y a aucune raison de mettre cette affirmation en doute.

[125]  Le demandeur fait valoir qu’ [traduction] « on ne lui a jamais donné de renseignements suffisants sur les raisons précises qu’on avait de le croire en faute, et [qu’] il s’est vu priver de toute possibilité de discuter de ces raisons et de recevoir des éclaircissements à leur sujet ».

[126]  Comme la juge Strickland l’a constaté et comme l’a confirmé mon propre examen, les motifs de révocation cités dans la décision du 4 mai 2017 avaient été intégralement exposés au demandeur au cours du processus ayant mené à la décision du 23 juin 2016. La juge Strickland a reconnu la possibilité que, une fois retranchés les motifs inacceptables, « le gouverneur en conseil rende la même décision à la suite du nouvel examen » (décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 165). Comme il ressort à l’évidence de la demande portée devant la juge Strickland et de la présente demande, M. Shoan comprend très bien sur quoi se fondent les motifs cités dans la décision du 4 mai 2017, qu’il a contestés de manière extrêmement détaillée.

[127]  Le demandeur se fonde sur le refus du GEC de le rencontrer et de s’entretenir avec lui avant de rendre la décision attaquée du 4 mai 2017 pour soutenir que ledit GEC et la ministre avaient préjugé du résultat :

[traduction]

70.  En termes simples, le GEC s’est empressé de révoquer M. Shoan quelques jours à peine après sa réintégration à son poste. Il l’a fait sans tenir compte de l’obligation d’équité procédurale qu’il avait envers M. Shoan dans les circonstances, du préjudice qui pouvait en résulter pour lui personnellement, ni du processus défini par la Cour fédérale dans la décision Shoan no 1.

71.  M. Shoan soutient que la ministre et/ou le GEC ont agi de la sorte précisément parce qu’ils avaient déjà arrêté leur opinion : ils ont porté sur son cas un jugement prématuré. Ils ont opéré rapidement, dans le cadre d’un « processus » nettement insuffisant, à seule fin de révoquer M. Shoan de son poste. Les actes parlent d’eux-mêmes : M. Shoan n’avait aucune chance d’infléchir la décision du GEC.

72.  Dans l’examen du point de savoir s’il y a eu jugement prématuré, c’est habituellement l’état d’esprit du ministre intéressé qui constitue le facteur le plus important. En l’espèce, la ministre, entre autres :

a)  a omis et/ou refusé de rencontrer M. Shoan ou de s’entretenir avec lui avant sa première révocation;

b)  n’a fait aucun effort pour fournir à M. Shoan la possibilité de modifier ou d’infléchir, avant qu’elle ne soit prononcée, la décision du 4 mai 2017 portant sa révocation, en dépit des exigences de procédure fixées par la Cour fédérale;

c)  n’a tenu aucun compte ou n’a fait aucun cas des renseignements et préoccupations communiqués par M. Shoan dans ses lettres, notamment de ses craintes relatives au défaut d’équité procédurale, à la discrimination et à un facteur possible d’intolérance;

d)  a plutôt décidé, presque immédiatement, de révoquer M. Shoan sans aucun supplément d’enquête ou d’examen, et en se reposant entièrement sur un dossier issu d’un processus inéquitable et insuffisant.

73.  Par conséquent, les mesures prises par la ministre avant la révocation de M. Shoan « n’ont pas suffi à remplir » son obligation d’équité procédurale envers un fonctionnaire nommé « à titre inamovible ». Une « justice de haute qualité » exigeait plus.

[Notes de bas de page omises; souligné dans l’original.]

[128]  Le demandeur invoque encore une fois les [traduction] « exigences de procédure fixées par la Cour fédérale » au soutien de son moyen relatif à l’équité procédurale. Or la juge Strickland a conclu, pour ce qui concerne les motifs acceptables de la décision du 23 juin 2016 – qui ont aussi servi de fondement à la décision attaquée du 4 mai 2017 –, que le demandeur avait bénéficié d’une équité procédurale suffisante et que les motifs en question constituaient une justification raisonnable de la révocation. Mon propre examen me mène à la même conclusion. Si l’on suppose que le GEC avait l’intention de révoquer le demandeur pour les motifs acceptables, il n’était pas nécessaire de lui accorder un entretien en personne. La rapidité avec laquelle on a rendu la décision attaquée n’a rien non plus de surprenant. Tout le travail nécessaire pour décider si le demandeur devait être révoqué pour les motifs acceptables était déjà fait, et la Cour avait informé le GEC en termes clairs qu’il pourrait légitimement invoquer ces motifs à condition de ne pas les mélanger avec des motifs inacceptables. La plupart des éléments de preuve et des arguments présentés par le demandeur au soutien de sa thèse du « jugement prématuré » se rapportent à des motifs cités dans la décision du 23 juin 2016, mais non dans celle, ici contrôlée, du 4 mai 2017. Par exemple, le demandeur avait bien précisé son désaccord touchant le motif des « échanges inappropriés », mais il ne me paraît pas avoir produit d’éléments suffisants pour étayer la conclusion que la ministre ou le GEC eussent préjugé du résultat pour ce qui concerne ce motif. Il en va de même pour les motifs du « refus de respecter » et des « déclarations publiques négatives ».

[129]  Le demandeur n’a pas établi que la ministre ou le GEC eussent porté un jugement prématuré. Le GEC s’est inspiré de la décision de la juge Strickland pour établir quelles obligations il devait remplir afin que son nouvel examen fût équitable et raisonnable. Étant donné l’évidente rupture de la relation employeur-employé ainsi que la perte de confiance de la ministre et du GEC dans le demandeur, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on voulût effectuer le nouvel examen le plus vite possible. Cela ne prouve pas qu’on ait préjugé du résultat. Cela prouve que le GEC devait agir vite pour en finir avec des luttes intestines qui nuisaient à l’intégrité du CRTC et à sa réputation auprès du public. Le GEC était certes tenu de régler ce problème de manière équitable et raisonnable, mais aussi avec la plus grande promptitude.

[130]  Je pense comme le demandeur que sa propre réputation personnelle et professionnelle ainsi que le contexte intégral de ses actes devaient entrer en ligne de compte dans la décision de le révoquer ou non, mais si le GEC avait le sentiment raisonnable que la manière dont le demandeur gérait ses désaccords au CRTC nuisait à ce dernier aux yeux des parties intéressées et/ou du public en général, il me paraît que ce sont alors l’intégrité et la réputation du CRTC qui devaient l’emporter sur les autres considérations et que des mesures devaient être prises pour promptement rétablir l’ordre. Comme je le disais plus haut, j’estime que la ministre et le GEC avaient des motifs raisonnables de croire que la conduite du demandeur avait ébranlé, et continuerait d’ébranler, l’intégrité et la réputation du CRTC. Par conséquent, des mesures rapides se révélaient inévitables, et elles se justifiaient à condition d’être conformes à l’équité procédurale et de se fonder sur des motifs raisonnables. Or mon examen du dossier me mène à la conclusion que les mesures prises en l’espèce remplissaient ces critères.

[131]  Enfin, concernant l’obligation d’équité, le demandeur propose l’argumentation suivante :

[traduction]

78.  De même, on n’a pris aucune mesure pour que M. Shoan pût s’entretenir avec la ministre ou son personnel avant la décision du GEC en date du 4 mai 2017, et il n’a jamais été avisé par la ministre ou qui que ce soit d’autre que le GEC estimait un tel entretien inutile pour une raison quelconque. En fait, la seule lettre qu’on lui ait adressée touchant son poste est l’avis de sa révocation.

79.  La Cour fédérale a bien précisé que M. Shoan avait droit à un tel entretien aux fins d’équité procédurale. À tout le moins, il avait le droit de savoir pourquoi on n’estimait pas un tel entretien nécessaire en l’espèce. Rappelons en effet le passage suivant de la décision Shoan no 1 :

[...] si la ministre jugeait que les questions soulevées par le demandeur dans sa réponse [du 14 mars 2016] ne justifiaient pas d’organiser une réunion avec elle ou ses représentants ou de mener une enquête plus poussée sur les éléments allégués, [...] elle était tenue, selon l’équité procédurale, d’en informer le demandeur et de lui expliquer, sommairement du moins, pourquoi elle était parvenue à cette conclusion.

80.  Cette façon de faire est conforme au processus défini dans les décisions Vennat, Wedge et Weatherhill. Il s’agit là d’une caractéristique essentielle distinguant les degrés d’équité procédurale auxquels ont droit respectivement les personnes nommées « à titre inamovible » et celles qui le sont « à titre amovible ». Sous les autres rapports, l’obligation d’équité procédurale est à peu près la même dans les deux cas.

81.  En outre, comme on l’a vu plus haut, il y avait des faits importants, pertinents quant à la décision du GEC, dont M. Shoan aurait pu discuter dans un entretien de cette nature. Ces faits s’ajoutaient aux questions soulevées au cours de l’enquête administrative ainsi que dans ses lettres des 14 mars et 14 juin 2016; il aurait ainsi notamment pu étayer son affirmation selon laquelle il n’était pour rien dans le déclin de l’esprit d’équipe au CRTC.

82.  Plutôt que d’accorder à M. Shoan un entretien pour discuter des allégations pesant sur lui, de sa réponse écrite du 14 mars 2016 ou des graves questions qu’il avait soulevées concernant des irrégularités commises au CRTC (ou plutôt que de lui expliquer pourquoi on n’estimait pas un tel entretien nécessaire), le GEC a choisi de ne tenir aucun compte du processus requis, que la Cour fédérale avait défini quelques jours à peine avant la décision attaquée. Ce faisant, le GEC a privé M. Shoan de la possibilité de se faire entendre et violé de manière flagrante son droit à l’équité procédurale.

[132]  J’ai examiné ces points plus haut, mais j’estime utile de noter que, même s’il cite hors contexte l’observation de la juge Strickland, il indique clairement encore une fois qu’il lui paraît légitime de se guider sur les conclusions de cette dernière pour établir les conditions d’équité procédurale que devait remplir la décision attaquée.

[133]  Or, comme je l’ai expliqué plus haut, les préoccupations de la juge Strickland ne me paraissent se rapporter qu’à des questions déterminées dont sont exclus le motif des « échanges inappropriés » et, à mon sens, celui du « refus de respecter » et des « déclarations publiques négatives », sur lesquels se fonde la décision attaquée du 4 mai 2017.

[134]  Comme je l’ai déjà fait observer, la juge Strickland ne dit pas que le GEC soit tenu de reprendre le processus à partir du début pour que son réexamen soit conforme à l’équité procédurale, pas plus qu’elle ne définit un quelconque processus qu’il doive suivre pour que son réexamen soit considéré comme raisonnable et conforme à l’équité procédurale. En fait, elle précise bien, à mon avis, que si les motifs inacceptables sont retranchés, de telle sorte qu’ils n’entrent pas en ligne de compte dans la décision de révocation, « il est possible que le gouverneur en conseil rende la même décision à la suite du nouvel examen » (décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 165).

[135]  Redisons-le : la juge Strickland n’a pas conclu que la décision du 23 juin 2016 fût déraisonnable ou contraire à l’équité procédurale; elle a plutôt exprimé l’avis que cette décision n’était que « potentiellement » déraisonnable et/ou contraire à l’équité procédurale, selon que le GEC se fondait ou non sur les motifs inacceptables pour révoquer le demandeur. Elle se trouvait dans l’impossibilité de répondre à cette question à partir du dossier produit devant elle. C’est pourquoi elle a fait observer que la décision de révocation pourrait bien être « la même » à la suite du nouvel examen (décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 165).

[136]   Le demandeur avance maintenant qu’ [traduction] « il y avait des faits importants, pertinents quant à la décision du GEC, dont [il] aurait pu discuter dans un entretien de cette nature ». Cependant, il ne précise pas quels éléments nouveaux il aurait bien pu apporter sur les motifs cités dans la décision du 4 mai 2017 qu’il n’aurait pas déjà eu toute possibilité de présenter dans le cadre du processus ayant conduit à la décision du 23 juin 2016.

[137]  On ne peut donc dire à mon avis que le processus qui a amené le GEC à prononcer la révocation du 4 mai 2017 soit contraire à l’équité procédurale sous ce rapport.

(b)  Le caractère raisonnable

[138]  Le demandeur soutient que, pour diverses raisons, le GEC a commis une erreur en concluant à l’existence de motifs justifiant sa révocation.

(i)  La nomination à titre inamovible

[139]  Je reproduis ici le passage des conclusions écrites du demandeur concernant cette question :

[traduction]

83.  De plus, la décision de révocation de M. Shoan est fondée sur un principe erroné pour ce qui concerne la nomination « à titre inamovible » et la norme minimale à remplir pour une révocation « motivée », et le GEC l’a rendue de manière abusive, sans tenir compte de la preuve produite devant lui.

84.  M. Shoan a été nommé conseiller « à titre inamovible », aux termes du paragraphe 3(2) de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (la Loi sur le CRTC), ainsi libellé :

3(2) La durée maximale du mandat est de cinq ans pour tous les conseillers. Ceux‑ci occupent leur poste à titre inamovible, sous réserve de révocation motivée de la part du gouverneur en conseil.

85.  Pour établir s’il y a lieu de prononcer une révocation « motivée », le GEC doit examiner la conduite de l’intéressé pour voir si elle est conforme aux conditions de sa nomination, notamment si les actes qu’on lui reproche mettent en péril la confiance du public dans l’organisme fédéral.

86.  Le GEC doit remplir un critère minimal rigoureux pour établir l’existence des conditions justifiant une révocation « motivée ». Cette décision ne peut être arbitraire.

87.  La jurisprudence ne comporte que peu de décisions concernant la révocation « motivée » de personnes nommées « à titre inamovible », et la Loi sur le CRTC ne définit ni le terme « motivée » ni l’expression « à titre inamovible ». La juge Strickland examine aux paragraphes 143 à 158 de la décision Shoan no 1 le décret du GEC en date du 23 juin 2016 portant révocation de M. Shoan; cependant, ce passage n’est d’aucune utilité à la Cour dans la présente instance pour les raisons suivantes :

a)  il ne contient que des opinions incidentes, de sorte qu’il ne lie pas la Cour;

b)  ces opinions incidentes comportent des erreurs de fait manifestes au vu du dossier de la Cour, notamment les suivantes :

a.  M. Shoan ne s’est pas conformé aux pratiques du CRTC;

b.  il n’a pas consulté les avocats du CRTC;

c.  Shomi était partie à une demande en cours d’instruction devant le CRTC;

d.  l’activité de Shomi était en cours d’examen devant le CRTC;

e.  toute conclusion concernant le caractère raisonnable en l’espèce se serait nécessairement fondée sur des renseignements et des conclusions découlant d’un processus non conforme à l’équité procédurale et sur un dossier défectueux.

[Renvois omis.]

[140]  Je me trouve d’accord avec le demandeur pour penser que le GEC était tenu d’examiner sa conduite afin d’établir si elle était conforme aux conditions de sa nomination, notamment si les actes qu’on lui reprochait mettaient en péril la confiance du public dans le CRTC.

[141]  Comme il ressort à l’évidence de la décision attaquée, le GEC estimait que, relativement aux deux motifs cités, la conduite du demandeur était incompatible avec son poste de conseiller, et l’ensemble du dossier me paraît établir que, sous le rapport de ces deux motifs, le GEC voyait dans cette conduite un danger notable pour la réputation et l’intégrité du CRTC.

[142]  Même si le demandeur pense le contraire, le législateur a conféré au CRTC un large pouvoir discrétionnaire concernant la révocation motivée de ses conseillers. Le juge MacKay formule à ce propos les observations suivantes dans la décision Wedge, précitée :

32  L’argument soulevé par l’avocat du requérant, à savoir que le Cabinet a appliqué à tort une [traduction] « norme judiciaire [de] bonne conduite » au comportement du requérant, n’est tout simplement pas défendable, selon moi. La question que devait trancher le gouverneur en conseil était de savoir si la conduite du requérant était compatible avec l’obligation de faire preuve d’une bonne conduite (« good behaviour »), aux termes de l’article 4 de la Loi. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la Loi elle-même ne comporte aucune norme ou définition relative à une bonne conduite (« good behaviour ») ou à un motif (« cause »). Au lieu de cela, le libellé du paragraphe 4(4) confère au gouverneur en conseil le vaste pouvoir discrétionnaire de révoquer un membre du TAAC à quelque moment que ce soit pour motif valable. En conséquence, selon moi, pour déterminer s’il existe un « motif », le gouverneur en conseil a le droit d’évaluer si le comportement du requérant était compatible avec les conditions de sa nomination, y compris si, selon lui, ledit comportement était susceptible de miner la confiance du public dans l’institution fédérale à laquelle le requérant avait été nommé.

[143]  Le GEC a droit à une considérable retenue judiciaire sur ces questions, étant donné que, comme le juge Joyal l’a fait observer dans la décision Weatherill c. Canada (Procureur général), [1998] ACF no 58, il s’agit ici de la prérogative de l’État, et que « [d]ans ce domaine de la prérogative ultime, [auquel il attribue] des racines constitutionnelles légitimes, la branche judiciaire doit agir avec précaution et avec timidité » (au paragraphe 28).

[144]  J’ai déjà fait référence plus haut à la preuve au dossier relative aux inquiétudes du GEC concernant l’effet de la conduite du demandeur sur la réputation et l’intégrité du CRTC, et je ne vois pas comment la Cour pourrait dire que, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, il n’était pas raisonnablement permis au GEC de conclure que cette conduite justifiait la révocation.

(ii)  Le caractère déraisonnable de la motivation

[145]  Le demandeur formule en outre les arguments suivants dans ses conclusions écrites :

[traduction]

93.  Le dossier sur lequel le GEC a fondé sa décision du 4 mai 2017 était issu d’un processus que la Cour fédérale a qualifié de potentiellement contraire à l’équité procédurale. Or le GEC n’a rien fait entre le 28 avril et le 4 mai 2017 pour réévaluer le contexte ou corriger les vices de procédure.

94.  Par conséquent, le dossier sur lequel le GEC s’est fondé n’est pas fiable, et toute décision basée sur ce dossier est nécessairement déraisonnable.

[146]  Comme je l’ai expliqué plus haut, la décision attaquée du 4 mai 2017 donnait directement effet aux conclusions de la juge Strickland concernant le défaut d’équité et le caractère déraisonnable « potentiels », que je reproduis ici :

[158]  Vu son vaste pouvoir discrétionnaire (Wedge, aux paragraphes 32 et 33), il était raisonnable pour le gouverneur en conseil de conclure que l’absence de reconnaissance du demandeur ou son mépris à l’égard de l’inquiétude entourant les communications ex parte et leur incidence sur l’intégrité du CRTC constituait un motif valable de congédiement. J’en conclurais de même en ce qui concerne la réponse du demandeur à la demande d’AIPRP et aux processus internes conçus pour répondre à ces demandes. Il est toutefois impossible d’examiner ces incidents isolément. Étant donné que le demandeur s’est potentiellement vu refuser son droit à l’équité procédurale et parce qu’il est impossible de déterminer, en fonction du dossier ou des motifs invoqués par le gouverneur en conseil, l’importance accordée au rapport sur la plainte de harcèlement et les préoccupations connexes, il m’est impossible de trancher que le gouverneur en conseil a pris une décision raisonnable.

[147]  Le GEC a décidé de régler ce problème du défaut d’équité et du caractère déraisonnable « potentiels » en excluant les motifs inacceptables de sa décision du 4 mai 2017. Par conséquent, il a supprimé les vices de procédure et de fond en montrant sans équivoque que les deux motifs de révocation cités dans la décision du 4 mai 2017 étaient distincts et indépendants.

[148]  Manifestement, le GEC estimait que chacun de ces motifs pris isolément rendait le maintien en poste du demandeur impraticable, et nuisible à l’intégrité et à la réputation (perçues ou réelles) du CRTC. Vu les éléments de preuve sur ces deux motifs, que j’ai récapitulés plus haut, et étant donné le large pouvoir discrétionnaire dont dispose le GEC sur ces questions, il ne conviendrait pas au regard des faits de l’espèce que notre Cour intervienne et accorde au demandeur la sanction qu’il sollicite.

(7)  Les questions de preuve

[149]  Le défendeur demande à la Cour de rendre :

[traduction]

a)  une ordonnance radiant les éléments suivants de l’affidavit signé par M. Balraj Shoan le 3 juillet 2017 (le premier affidavit de M. Shoan) :

la première phrase du paragraphe 2, les paragraphes 7 à 15, la première moitié du paragraphe 16 jusqu’aux termes [traduction] « un dialogue ouvert » inclusivement, les paragraphes 18 et 19, la partie du paragraphe 20 qui suit sa deuxième phrase, les paragraphes 21 à 23, le paragraphe 25 sauf sa première phrase, les paragraphes 26 à 30, les paragraphes 32 et 33, le paragraphe 35, les paragraphes 37 à 99, et le paragraphe 100 sauf sa première phrase, ainsi que les pièces cotées B, E, G, I, J, K, L, M et N;

b)  une ordonnance radiant entièrement l’affidavit signé par Mme Andrea Mullin le 30 juin 2017 (l’affidavit de Mme Mullin);

c)  une ordonnance radiant entièrement l’affidavit signé par M. Balraj Shoan le 9 février 2018 (le deuxième affidavit de M. Shoan);

d)  une ordonnance radiant les éléments suivants du mémoire du demandeur en date du 12 février 2018 :

la première phrase du paragraphe 12, les paragraphes 19, 23, 24, 64, 65, 66, 67, 68 et 81, la dernière phrase du paragraphe 100, ainsi que les paragraphes 106, 108 et 109;

[...]

[150]  Selon le défendeur,

[traduction]

2.  [...] les éléments relevés du premier affidavit de M. Shoan et de son mémoire, ainsi que l’intégralité de l’affidavit de Mme Mullin et du deuxième affidavit de M. Shoan, sont inadmissibles aux motifs qu’ils contiennent des opinions et des arguments; des éléments dénués de pertinence; des paraphrases, interprétations ou explications d’écritures dont disposait le GEC pour rendre la décision attaquée; et/ou des éléments de preuve dont ce dernier ne disposait pas pour rendre ladite décision.

[151]  Le demandeur conteste la requête du défendeur aux motifs suivants :

[traduction]

4.  La demande au principal se rapporte à la décision injustifiée du GEC, en date du 4 mai 2017, portant révocation, prétendument motivée, du demandeur en tant que conseiller régional du CRTC. Le GEC a rendu cette décision quelques jours à peine après que la Cour fédérale eut prononcé la décision en date du 28 avril 2017 qui annulait une décision antérieure du GEC, en date du 23 juin 2016, portant elle aussi révocation prétendument motivée du demandeur. Dans sa décision du 28 avril 2017, la Cour fédérale s’est dite préoccupée par le fait que le gouvernement avait refusé d’accorder un entretien au conseiller Shoan avant de rendre sa décision, et elle a déclaré que le demandeur avait droit à un tel entretien afin de donner des éclaircissements sur les préoccupations exprimées par le GEC et/ou de se faire expliquer pourquoi ce dernier n’estimait pas nécessaire de répondre à ses propres préoccupations.

5.  Un tel entretien aurait permis au demandeur de comprendre les motifs d’insatisfaction de la ministre et dans quelle mesure les éléments qu’il avait déjà produits permettaient ou non d’y répondre, et de présenter des éléments supplémentaires pour régler les questions particulières restantes. Il aurait aussi permis au GEC d’expliquer pourquoi il ne jugeait pas nécessaire de répondre aux préoccupations du demandeur.

6.  Par conséquent, les affidavits et le mémoire produits par le demandeur sont admissibles aux motifs suivants :

i)  Les éléments attaqués du premier affidavit de M. Shoan et de son mémoire, ainsi que l’affidavit de Mme Mullin et le deuxième affidavit de M. Shoan dans leur intégralité, contiennent des renseignements contextuels importants sur les principales questions en litige dans la demande de contrôle judiciaire. L’examen du point de savoir si la décision du GEC portant révocation du demandeur une deuxième fois était déraisonnable est un examen contextuel, pour lequel il faut comprendre comment le CRTC fonctionnait, les échanges du demandeur avec la ministre du Patrimoine, Mme Joly (la « ministre »), et comment le GEC a répondu aux allégations de conduite irrégulière formulées contre des conseillers du CRTC.

ii)  Les parties contestées du premier affidavit de M. Shoan et de son mémoire, ainsi que l’affidavit de Mme Mullin et le deuxième affidavit de M. Shoan dans leur intégralité, sont bel et bien pertinents. Plus précisément, les paragraphes attaqués concernent des questions en litige relatives à l’équité procédurale et au caractère raisonnable de la décision du GEC, telles qu’elles sont formulées dans l’avis de demande. Ces éléments contestés exposent notamment des faits que M. Shoan aurait communiqués si on lui avait accordé un entretien avec la ministre, comme on y était tenu, et si on lui avait fait savoir en quoi les éléments d’information qu’il avait produits antérieurement ne répondaient pas entièrement aux motifs d’insatisfaction allégués par ladite ministre.

iii)  Le demandeur soutient de plus que ses échanges avec la ministre témoignent d’un « jugement prématuré » de la part de celle‑ci, de telle sorte que le critère préliminaire de l’équité procédurale n’a pas été rempli. Les parties attaquées de la preuve par affidavit et du mémoire sont pertinentes quant à cette allégation, puisqu’elles font état de renseignements et d’éléments de preuve, souvent accessibles au public, dont la ministre n’a pas tenu compte ou qu’elle n’a pas recherchés dans le cadre de son enquête. Ce « jugement prématuré » est entièrement pertinent aux fins de l’examen des questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire. 

iv)  Les parties contestées du premier affidavit de M. Shoan et de son mémoire, ainsi que l’affidavit de Mme Mullin et le deuxième affidavit de M. Shoan dans leur intégralité, mettent en lumière le fait que le GEC ne disposait pas d’éléments probants lorsqu’il a décidé de révoquer le demandeur une deuxième fois, moins de six jours après que la Cour fédérale eut annulé sa première décision de révocation. Le GEC était tenu d’accorder au demandeur une audition impartiale et de se conformer à l’équité procédurale en lui offrant la possibilité de se faire entendre. L’obligation à remplir envers le demandeur après qu’il eut communiqué sa première réponse écrite faisait partie de l’équité procédurale à laquelle il avait droit. Si l’on avait offert une telle possibilité au demandeur, il aurait communiqué les renseignements supplémentaires en question, notamment une importante mise en contexte nécessaire pour comprendre et évaluer sa conduite, la conduite de ses collègues conseillers et les problèmes opérationnels du CRTC.

7.  En outre, le défendeur a eu la possibilité de contre-interroger le demandeur sur sa preuve par affidavits ou de produire des éléments de preuve contradictoires (s’il en avait), mais il a décidé de ne pas le faire.

[152]  Une grande partie de la preuve du demandeur est liée à son affirmation selon laquelle le juge Strickland aurait déclaré qu’il avait droit à un entretien en personne avant que sa révocation pût être décidée et que l’équité procédurale exigeait qu’on lui permît de présenter des observations supplémentaires. Le demandeur essaie aussi, dans la présente instance, de se fonder en partie sur les motifs inacceptables de la décision du 23 juin 2016 où la juge Strickland voyait un manquement « potentiel » à l’équité procédurale pour justifier, au moins partiellement, l’annulation de la décision attaquée du 4 mai 2017, qui ne cite pas ces motifs.

[153]  Pour commencer, j’ai déjà constaté que, concernant les motifs de révocation du 4 mai 2017, la juge Strickland n’a pas décidé que [traduction] « le demandeur [eût] droit à un [...] entretien afin de donner des éclaircissements sur les préoccupations exprimées par le GEC et/ou de se faire expliquer pourquoi ce dernier n’estimait pas nécessaire de répondre à ses propres préoccupations ».

[154]  Autrement dit, il n’y avait déni d’équité procédurale – et nécessité d’un entretien – que si le GEC avait révoqué le demandeur en se fondant «  sur le rapport sur la plainte de harcèlement et sur la décision connexe du président, [la juge Strickland ne pouvant] non plus établir si la préoccupation relative à la confidentialité et la résiliation de l’ordonnance de confidentialité par le juge Zinn auraient pu avoir une incidence sur la décision du gouverneur en conseil ou sur l’étude que la ministre et le gouverneur en conseil ont faite sur l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’était pas l’unique responsable du manque d’esprit d’équipe au CRTC » (décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 142). La juge Strickland me paraît déclarer sans ambiguïté que le demandeur ne s’était que « possiblement vu refuser son droit à l’équité procédurale » parce qu’on ne lui avait pas accordé d’entretien, la réalité du déni d’équité dépendant de la réponse qu’on donnerait à ces questions. Or la décision attaquée du 4 mai 2017 ne se fonde sur aucun des motifs « possiblement » inéquitables. La juge Strickland n’a pas non plus [traduction] « décidé » qu’un entretien serait nécessaire dans le cadre de tout nouvel examen. Elle a plutôt admis et pris en compte la possibilité « que le gouverneur en conseil rende la même décision à la suite du nouvel examen » (décision Shoan no 1, précitée, au paragraphe 165), et laissé au GEC le soin de fixer les modalités de ce nouvel examen.

[155]  Par conséquent, les seuls éléments de preuve qui me paraissent pertinents quant à la décision attaquée du 4 mai 2017 sont ceux qui se rapportent aux motifs utilisés pour révoquer le demandeur à ce moment, qui sont tous deux séparés et distincts. Or ces motifs, à mon sens, ne nécessitaient pas la tenue d’un entretien aux fins d’équité procédurale et de raisonnabilité, puisque le demandeur avait déjà bénéficié d’une possibilité entière et équitable de s’expliquer sur eux dans le cadre du processus ayant mené à la révocation du 23 juin 2016, ce qu’il avait fait dans une réponse écrite dont disposait dûment le GEC au moment de rendre la décision attaquée du 4 mai 2017.

[156]  Comme je l’ai déjà fait observer, les points en litige devant moi dans la présente demande se ramènent en fait à la question de savoir s’il était équitable et raisonnable de la part du GEC de décider la deuxième révocation (prononcée le 4 mai 2017) de la manière dont il l’a fait. Il ne me paraît pas nécessaire, pour y répondre, d’analyser et de trancher toutes les questions soulevées par le demandeur comme si j’examinais tout le processus de révocation de novo, ni d’étudier des éléments de preuve dont le GEC ne disposait pas quand il a rendu la décision attaquée du 4 mai 2017.

[157]  Dans ce contexte, et après examen des conclusions écrites et orales des avocats des parties, j’examinerai une à une les objections du défendeur à l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve produits par le demandeur.

(a)  L’affidavit du demandeur en date du 3 juillet 2017

  • (a) La troisième phrase du paragraphe 2 – Je pense comme le défendeur que ce passage relatif à la race et à l’âge est dénué de pertinence quant aux questions en litige devant la Cour. Le demandeur n’a pas démontré en quoi une quelconque allégation relative à la race ou à l’âge pourrait se rapporter aux motifs qui fondaient la décision du 4 mai 2017, ici contrôlée, ou étayer la thèse d’un manquement à l’équité procédurale. Ce passage ne peut non plus être admis au titre de la description du contexte, puisqu’il n’aide pas la Cour à mieux comprendre les questions à l’examen. Cette phrase est donc inadmissible.

  • (b) Les paragraphes 7 à 15 et la pièce B. – Toutes observations que le demandeur souhaitait présenter concernant la situation juridique du CRTC, le comportement qu’on doit attendre des conseillers de celui‑ci, les rapports entre le président et les autres conseillers, les qualités du candidat idéal et les résultats des procédures contentieuses antérieures sont assimilables à des opinions et à des arguments, ou, quand elles ne le sont pas, soit se révèlent dénuées de pertinence quant aux motifs de la décision attaquée du 4 mai 2017, soit auraient pu être incluses par le demandeur dans sa réponse écrite du 14 mars 2016. Ces éléments sont donc inadmissibles dans la présente instance.

  • (c) La première moitié du paragraphe 16, jusqu’aux termes [traduction] « un dialogue ouvert » inclusivement). – Je pense comme le défendeur que ces éléments relèvent de la paraphrase et de l’interprétation tendancieuse, et sont donc inadmissibles.

  • (d) Les paragraphes 18 et 19, et la pièce E. – Je constate comme le défendeur que les paragraphes 18 et 19 contiennent pour l’essentiel des interprétations, opinions et arguments, et que la pièce E n’a pas été produite devant le GEC. Pour ce qui concerne l’équité procédurale (la question du jugement prématuré), le demandeur n’a proposé aucun fondement à la thèse que le GEC aurait prématurément arrêté son opinion relativement aux motifs cités dans la décision du 4 mai 2017, qui fait l’objet du présent contrôle. En effet, ses arguments relatifs au jugement prématuré et à la nécessité d’un entretien se rapportent à des motifs qui ne sont pas entrés en ligne de compte dans ladite décision du 4 mai 2017. Ces éléments sont donc inadmissibles.

  • (e) La partie du paragraphe 20 qui suit la deuxième phrase, et les paragraphes 21 à 23. – Ces paragraphes essaient de résumer, de paraphraser et de présenter tendancieusement la réponse du demandeur à la ministre en date du 14 mars 2016. Or cette lettre était devant le GEC et est maintenant devant la Cour. Ces éléments sont donc inadmissibles et/ou inutiles. La Cour peut lire elle-même la réponse du 14 mars 2016. En outre, encore une fois, le demandeur n’a pas montré en quoi, étant donné les conclusions de la juge Strickland, ses allégations de « jugement prématuré » seraient liées aux motifs de révocation cités dans la décision du 4 mai 2017 ou pertinentes à leur égard. Ces éléments sont donc inadmissibles.

  • (f) Le paragraphe 25 sauf sa première phrase, et la pièce G. – Comme le fait observer le défendeur, la pièce G a été adressée à la ministre après le 4 mai 2017, date de la décision contrôlée. Cette pièce ne se rapporte pas aux points en litige devant moi ni ne répond à la question de savoir en quoi, étant donné les conclusions de la juge Strickland, elle permettrait d’établir si le GEC avait arrêté prématurément son opinion sur les motifs déterminés qui fondent la décision attaquée du 4 mai 2017. Le paragraphe 25, sauf sa première phrase, et la pièce G sont donc inadmissibles.

  • (g) Les paragraphes 26 à 30. – Ces paragraphes, eux aussi, essaient de résumer et de paraphraser la réponse du demandeur en date du 14 mars 2016; ils sont à ce titre inadmissibles et/ou inutiles.

  • (h) Les paragraphes 32 et 33. – Leur contenu n’étant pas pertinent quant aux questions en litige devant moi dans la présente demande, ces paragraphes sont inadmissibles.

  • (i) Le paragraphe 35. – Ce paragraphe résume inutilement la décision attaquée devant moi, qui est tout ce qu’il y a de plus clair et n’a pas besoin qu’on la résume. Toute contestation relative au contenu de la décision attaquée relève des débats. Ce paragraphe est donc inadmissible.

  • (j) Les paragraphes 37 à 98, et les pièces I, J, K, L, M et N. – En produisant ces écritures et pièces, le demandeur joue le rôle d’un avocat plutôt que d’un témoin. Il y propose ses propres résumés subjectifs de parties du dossier, ajoutant notamment des observations à celles qu’il a présentées à la ministre dans sa réponse du 14 mars 2016, sans essayer le moindrement d’expliquer pourquoi il n’aurait pas pu produire ces observations à l’époque en cause. Le demandeur ne peut, à ce stade avancé de la procédure contentieuse, essayer d’étayer sa thèse de cette façon devant la cour de révision. Selon le demandeur, ces éléments se rapporteraient à [traduction] « la conclusion de la Cour selon laquelle l’équité procédurale exigeait la tenue d’un entretien avec [lui] ». J’ai déjà constaté que telle n’était pas la conclusion de la Cour concernant les motifs cités dans la décision du 4 mai 2017, à propos desquels la juge Strickland n’a relevé aucun manquement à l’équité procédurale. Les paragraphes 37 à 98, ainsi que les pièces I, J, K, L, M et N, sont donc inadmissibles.

  • (k) Le paragraphe 99. – Les sentiments et attentes subjectives du demandeur ne sont pas pertinents quant aux questions en litige devant la Cour. Ce paragraphe est donc inadmissible.

  • (l) Le paragraphe 100, sauf sa première phrase. – Ce passage exprime des opinions et avance des arguments. À ce titre, il n’est pas admissible.

(b)  L’affidavit de Mme Andrea Mullin en date du 30 juin 2017

[158]  Cet affidavit doit être radié dans son intégralité, au motif qu’il constitue une tentative de plus d’étayer la présente demande par des éléments de preuve qui soit n’ont pas été produits devant le GEC, soit auraient dû lui être présentés dans la réponse du demandeur à la ministre en date du 14 mars 2016.

[159]  Le demandeur fait valoir, encore une fois, que ces éléments de preuve se rapportent à [traduction] « la conclusion de la Cour selon laquelle l’équité procédurale exigeait la tenue d’un entretien avec [lui] », alors que telle n’était pas la conclusion de la Cour concernant les motifs cités dans la décision du 4 mai 2017. Il a déjà bénéficié d’une possibilité, conforme à l’équité procédurale, de répondre à ces motifs, et il essaie maintenant d’étayer ses observations après sa révocation.

(c)  L’affidavit du demandeur en date du 19 février 2018

[160]  Cet affidavit et les pièces y annexées concernent la plainte formée sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Or cette question n’a pas de rapport avec les motifs de la révocation prononcée par la décision du 4 mai 2017 et n’est donc pas pertinente quant à la présente demande. L’affidavit et les pièces sont par conséquent inadmissibles.

[161]  Exception faite des éléments que je viens d’énumérer, j’ai admis, et pris en considération aux fins de ma décision, la totalité de la preuve produite par le demandeur.

C.  Les mentions d’éléments de preuve inadmissibles dans le mémoire du demandeur

[162]  Comme le défendeur le fait observer, l’inadmissibilité des éléments de preuve énumérés ci‑dessus se rapporte aux efforts déployés par le demandeur dans ses conclusions écrites et orales pour produire devant la Cour des faits et arguments supplémentaires qu’il aurait communiqués à la ministre si elle lui avait accordé un entretien en personne. Or, comme je l’ai bien précisé plus haut, étant donné les motifs qui fondent la décision de révocation rendue le 4 mai 2017, la tenue d’un entretien avec la ministre n’était pas nécessaire pour assurer l’équité de la procédure et le caractère raisonnable de cette décision. Par conséquent, les arguments formulés aux paragraphes 23, 24 et 81 du mémoire, ainsi que dans les dernières phrases de son paragraphe 100, sont basés sur des éléments de preuve inadmissibles, et la Cour ne peut leur accorder aucune valeur probante.

[163]  Pour les mêmes raisons, le demandeur ne peut invoquer ces éléments de preuve au soutien de sa thèse que la décision attaquée du 4 mai 2017 était déraisonnable. Il n’a pas établi devant moi qu’il n’aurait pas pu intégrer ces éléments dans sa réponse du 14 mars 2016. Il s’ensuit que les affirmations et arguments formulés par le demandeur aux paragraphes 106, 108 et 109 de son mémoire sont dénués de fondement probatoire et ne sont pas valablement produits devant la Cour.

[164]  Comme je l’ai fait observer plus haut, le demandeur essaie de se fonder sur des motifs de révocation étrangers à la décision attaquée du 4 mai 2017 et de produire des éléments de preuve relatifs à ces motifs afin de mettre en question l’ensemble du processus de nouvel examen. Par conséquent, ni les moyens et arguments avancés par le demandeur aux paragraphes 64, 65, 66, 67 et 68 de son mémoire, ni les éléments de preuve invoqués à leur soutien, ne me paraissent valablement produits devant la Cour.

D.  Conclusions

[165]  À mon avis, le demandeur a mal interprété la décision de la juge Strickland et s’est mépris sur les conditions que le GEC devait remplir dans le nouvel examen de son cas. Il n’a pas établi que les motifs de révocation cités dans la décision du 4 mai 2017 découlent d’un processus déraisonnable ou non conforme à l’équité procédurale, ni que la ministre ou le GEC fussent tenus de prendre en considération des observations supplémentaires, orales ou écrites.

[166]  En outre, le demandeur a essayé dans la présente instance d’établir le caractère inéquitable et déraisonnable du processus de nouvel examen au moyen d’arguments qui ne sont pas, à mon avis, pertinents quant à ce processus, étant donné qu’ils s’appliquent à des motifs sur lesquels le GEC ne s’est pas fondé pour rendre la décision du 4 mai 2017 portant sa révocation motivée.

[167]  Je tiens pour établi que, étant donné les conclusions et lignes directrices de la juge Strickland ainsi que le processus déjà suivi pour aboutir à la première décision de révocation, il n’était pas nécessaire de faire intervenir dans le nouvel examen tous les motifs contestés par le demandeur, et que le GEC s’est fondé sur des motifs à propos desquels le demandeur avait déjà eu une possibilité équitable de s’expliquer. En outre, ces derniers motifs constituaient un fondement raisonnable de la révocation du demandeur.

[168]  Pour des raisons bien compréhensibles, le demandeur n’est pas d’accord avec la décision attaquée, mais, étant donné le dossier de la preuve et le large pouvoir discrétionnaire dont jouit le GEC sur ces questions, son désaccord ne me convainc pas que le décideur ait commis dans la présente espèce une erreur ouvrant droit à l’intervention judiciaire.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑796‑17

LA COUR STATUE comme suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑796‑17

 

INTITULÉ :

BALRAJ SHOAN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 AVRIL 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MAI 2018

 

COMPARUTIONS :

Craig J. Stehr

POUR LE DEMANDEUR

 

Sean Gaudet

Roy Lee

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (CANADA) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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