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Date : 20180516


Dossier : IMM-4563-17

Référence : 2018 CF 516

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

JARNAIL SINGH BHINDER

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Jarnail Singh Bhinder, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’immigration [l’agent] datée du 6 octobre 2017, refusant sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [demande CH] selon le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  Le demandeur est citoyen de l’Inde. Il quitte son pays d’origine en 1997 pour se rendre aux États-Unis où il présente une demande d’asile. Sa demande est rejetée en 2002 tout comme son appel en 2003.

[3]  Le 1er juin 2008, le demandeur entre au Canada et présente une demande d’asile le 9 juillet 2008. Il allègue avoir été détenu et avoir subi de la torture aux mains de la police et de l’armée en raison de ses opinions politiques. Le 24 novembre 2010, la Section de la protection des réfugiés [SPR] lui refuse le statut de réfugié en raison de son manque de crédibilité et de la possibilité d’un refuge interne. Le demandeur présente une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, laquelle est rejetée par cette Cour le 21 décembre 2010.

[4]  Le 13 avril 2011, le demandeur présente une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Sa demande est rejetée le 30 mai 2011; sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire l’est également le 26 octobre 2011.

[5]  Le demandeur dépose une demande CH le 12 avril 2017. Le 6 octobre 2017, l’agent rejette la demande au motif que les éléments de preuve présentés par le demandeur ne sont pas suffisants pour établir l’existence de considérations d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une dispense des exigences de la loi.

[6]  Le demandeur reproche à l’agent d’avoir : (1) appliqué le mauvais critère pour interpréter le paragraphe 25(1) de la LIPR en faisant double emploi des articles 96 et 97 de la LIPR sur la notion de refuge interne; (2) interprété de façon déraisonnable les dispositions de la LIPR en exigeant que le demandeur fournisse, en plus des rapports psychologiques, médicaux et psychiatriques, une preuve supplémentaire démontrant qu’il ne serait pas en mesure de continuer toute forme de médication ou de traitement advenant son renvoi en Inde; (3) fait abstraction des rapports médicaux en passant sous silence les répercussions que son renvoi du Canada vers l’Inde aurait sur sa santé; et (4) limité son pouvoir discrétionnaire en ne s’attardant pas aux circonstances particulières de son cas et adopté une analyse morcelée des facteurs invoqués.

[7]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la Cour est d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

II.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[8]  Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’accorder une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable. La décision est hautement discrétionnaire et elle soulève des questions mixtes de faits et de droit commandant la déférence de cette Cour (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 10, 44 [Kanthasamy]; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 au para 18).

[9]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59 [Khosa]).

[10]  Il est également acquis que le fardeau de présenter et de prouver les faits sur lesquels la demande CH repose incombe au demandeur (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 aux para 5, 8 [Owusu]).

[11]  Le demandeur soumet que la détermination du critère juridique applicable pour examiner le contexte factuel d’une demande CH est révisable selon la norme de la décision correcte. Pour les fins du présent dossier, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la norme de contrôle applicable puisqu’elle est d’avis que l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de révision dans son évaluation des conditions défavorables que le demandeur pourrait rencontrer s’il est renvoyé en Inde.

B.  Application du mauvais critère juridique

[12]  Le demandeur reproche à l’agent d’avoir appliqué le mauvais critère juridique pour l’évaluation des conditions défavorables aux fins de l’application du paragraphe 25(1) de la LIPR en important les facteurs pris en compte pour l’application des articles 96 et 97 de la LIPR. À cet égard, le demandeur s’appuie sur deux (2) paragraphes de la décision dans lesquelles l’agent fait référence à la notion de refuge interne. Dans le premier, l’agent note que la SPR n’a pas trouvé le demandeur crédible, n’a pas cru son histoire et a conclu qu’il y avait une possibilité de refuge interne ailleurs en Inde. Dans le deuxième, l’agent constate que le demandeur n’a pas présenté de preuve qu’il ne pouvait se réinstaller dans les villes de refuge interne. Le demandeur soutient que ces références démontrent que l’agent a « occulté la vrai [sic] question qui consistait à évaluer si le demandeur ferait face à des difficultés au retour dans son pays d’origine propre à justifier ou non une dispense ».

[13]  La Cour est d’avis que les propos de l’agent doivent être considérés dans leur contexte. Dans le cadre de son évaluation des conditions défavorables alléguées par le demandeur, l’agent examine d’abord l’affirmation du demandeur qu’il craint toujours pour sa vie étant donné que les militants et terroristes seraient toujours actifs en Inde. En résumant les recours dont s’est prévalu le demandeur depuis son arrivée au Canada, l’agent mentionne que le demandeur a présenté une demande d’asile à son arrivée au Canada. Il indique également que celle-ci a été rejetée pour absence de crédibilité et pour possibilité de refuge interne. Il poursuit ensuite en indiquant que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur présentée à l’encontre de celle-ci ainsi que sa demande d’ERAR ont été rejetées.

[14]  Conscient des limites de son analyse, l’agent rappelle qu’une demande CH n’est pas un palier d’appel des décisions de la SPR. Il examine ensuite la preuve présentée par le demandeur et constate que le demandeur n’a pas fourni de preuve pour appuyer ses allégations de crainte ou pour établir qu’il ne pouvait s’installer dans les villes qui pouvaient constituer un refuge interne. L’agent conclut alors que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir comment les conditions défavorables qu’il allègue en Inde pourraient avoir un impact sur lui, justifiant une dispense. L’agent poursuit ensuite son analyse en examinant les autres éléments de difficultés allégués par le demandeur, lesquels découlent de ses liens d’attaches au Canada et en Inde ainsi que de sa condition médicale.

[15]  La Cour estime que lorsque la décision de l’agent est lue dans son ensemble, la référence au refuge interne ne mène pas à la conclusion qu’il a appliqué le mauvais critère pour évaluer la demande CH.

C.  La condition médicale du demandeur

[16]  Le demandeur reproche notamment à l’agent d’avoir exigé qu’il fournisse une preuve supplémentaire pour démontrer qu’il ne serait pas en mesure de continuer toute forme de médication ou de traitement advenant son renvoi en Inde, malgré les diagnostics psychologiques établis par les professionnels de la santé. Ce faisant, l’agent aurait minimisé les difficultés qu’il pourrait éprouver à la seule anxiété qu’entraînerait son retour en Inde, contrairement aux enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy.

[17]  Le demandeur fait valoir également que l’agent a indûment limité son pouvoir discrétionnaire en ne s’attardant pas aux circonstances particulières de son cas, mais en restreignant plutôt son approche à une analyse morcelée des facteurs invoqués. Il soumet que le fait qu’aucun des facteurs pris isolément ne semble avoir mérité un poids significatif fait montre d’une démarche d’analyse allant à l’encontre des critères de souplesse, de compassion et d’équité requis dans l’arrêt Kanthasamy (aux para 29-32). Selon le demandeur, l’agent n’a tenu compte ni de sa condition de santé en évaluant son parcours d’emploi ni du temps passé au Canada pour évaluer les répercussions sur sa condition de santé s’il devait être renvoyé en Inde.

[18]  La Cour ne peut souscrire aux arguments du demandeur.

[19]  Contrairement à ce que prétend le demandeur, l’agent ne s’attarde pas uniquement au fait qu’il n’a pas fourni de preuve démontrant l’empêchement de poursuivre ses traitements et sa médication advenant son renvoi. Au contraire, il appert de la décision que la preuve médicale soumise par le demandeur a été longuement considérée par l’agent.

[20]  L’agent examine d’abord la preuve médicale présentée par le demandeur dans le cadre de son évaluation du facteur de l’établissement du demandeur. Le demandeur fait valoir que sa condition médicale l’a empêché de travailler une grande partie du temps depuis son arrivée au Canada. L’agent note après examen des différents rapports que ceux-ci n’établissent pas avec satisfaction que la condition médicale du demandeur faisait en sorte qu’il n’a pu intégrer de façon significative le marché du travail durant les neuf (9) ans qu’il a passés au Canada.

[21]  L’agent considère également la condition médicale du demandeur dans le cadre de son analyse du facteur des conditions défavorables alléguées. L’agent examine en ordre chronologique les quatre (4) rapports produits par les professionnels de la santé qui font état des divers problèmes de santé du demandeur et note qu’ils indiquent que le demandeur souffre de troubles anxieux avec attaques de panique, d’un état de stress post-traumatique et d’un état anxio-dépressif moyen. L’agent reconnait également que l’obligation de quitter le Canada entraînera de l’anxiété chez le demandeur.

[22]  L’agent constate cependant que les plus récents rapports indiquent que la condition du demandeur est en rémission partielle et qu’elle s’améliore avec la médication et les suivis actuels. C’est dans ce contexte que l’agent mentionne qu’il y a absence de preuve et d’information au dossier qui démontre que le demandeur ne serait pas en mesure de continuer toute forme de médication ou de traitement advenant son retour en Inde.

[23]  L’analyse de l’agent ne s’arrête pas là. Il observe que les rapports des professionnels de la santé remontent à 2015 alors que la demande CH du demandeur a été présentée en avril 2017. Sur cette base, l’agent évalue qu’il ne peut accorder un poids significatif à l’état de santé du demandeur.

[24]  Il est vrai que le dernier rapport médical mentionne que le demandeur est vulnérable et très à risque de voir les « symptômes reliés au PTSD [stress post-traumatique] exacerbés devant certaines situations ». Cependant, la Cour note qu’il ne précise pas quelles sont ces situations.

[25]  Compte tenu du fait que les rapports plus récents mentionnent que l’état de santé du demandeur s’améliore sous médication et qu’il n’y a aucune preuve au dossier sur l’évolution de l’état de santé depuis 2015, la décision de l’agent d’accorder moins de poids à l’état de santé du demandeur est raisonnable. Il importe de rappeler que le demandeur a le fardeau de prouver les faits qui sous-tendent sa demande CH (Owusu aux para 5, 8).

[26]  Par ailleurs, la Cour ne peut retenir l’argument du demandeur voulant que l’agent se soit écarté de l’approche énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy. Il appert d’une revue du dossier que l’agent a examiné tous les faits allégués par le demandeur et qu’il a considéré tous les facteurs pertinents proposés par le demandeur. De plus, l’agent a raisonnablement soupesé les circonstances particulières du demandeur pour conclure, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, qu’il n’y avait pas lieu d’accorder une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[27]  Le demandeur aurait préféré que l’agent accorde plus de poids à sa condition médicale dans l’évaluation de sa demande CH. Toutefois, il n’appartient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui lui serait favorable (Khosa au para 59). De plus, le demandeur n’a pas démontré que la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle n’est pas justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[28]  Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-4563-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4563-17

INTITULÉ :

JARNAIL SINGH BHINDER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MAI 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 16 MAI 2018

COMPARUTIONS :

Francine V. Marion

Pour LE DEMANDEUR

Anick Pelletier

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellemare & Vinet

Avocats

Montréal (Québec)

Pour LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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