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Date : 20180424


Dossier : T-608-17

Référence : 2018 CF 443

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

SEEDLINGS LIFE SCIENCE
VENTURES, LLC

demanderesse

Et

PFIZER CANADA INC.

défenderesse

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA PROTONOTAIRE TABIB

[1]  Le 3 avril 2018, j’ai rejeté par voie d’ordonnance la requête de Pfizer en vue d’obtenir une ordonnance conservatoire, avec motifs à suivre. Voici les motifs en question.

[2]  Dans la présente action en contrefaçon de brevet, les parties sont sur le point d’entreprendre le processus de communication préalable de documents et d’interrogatoire préalable oral. Comme dans la plupart des affaires de propriété intellectuelle, elles reconnaissent toutes deux que les informations qu’elles sont sur le point de s’échanger contiennent des renseignements confidentiels ou sensibles sur le plan commercial qui, par ailleurs, ne seraient pas mis à la disposition d’un concurrent et qui, s’ils étaient employés à mauvais escient ou diffusés, pourraient causer à chacune d’elles un préjudice considérable.

[3]  Les parties ont négocié et se sont entendues sur les points suivants : les conditions régissant la manière dont elles désigneraient ces renseignements, à qui, parmi les membres de la Cour et les organismes, les équipes juridiques, les consultants externes et les fournisseurs de services respectifs des parties, ils pourraient être communiqués, à quelles conditions la communication doit être faite et avec quelles restrictions, la forme d’engagement à signer, les exceptions qui peuvent s’appliquer, la manière de contester les désignations, que faire en cas d’omission, par inadvertance, d’une désignation, la manière et le moment où les copies doivent être remises à la fin de l’instance, etc., le tout dans le but de protéger la confidentialité des renseignements. Ces conditions s’appliqueraient aux renseignements que les parties considèreraient comme particulièrement sensibles, en sus de l’application de la règle de l’engagement implicite ou présumé. La règle de l’engagement implicite est aujourd’hui un principe de common law bien établi, aux termes duquel une partie à laquelle des documents ou des renseignements sont transmis au stade de la communication ou de l’interrogatoire préalable est réputée s’être engagée auprès de la Cour qu’elle ne communiquera ou n’utilisera pas ces documents ou ces renseignements à une fin autre que l’instance dans le cadre de laquelle ils sont produits. Tout usage accessoire ou ultérieur constitue un outrage au tribunal.

[4]  Conformément à la décision récente intitulée Live Face on Web, LLC c Soldan Fence and Metals (2009) Ltd, 2017 CF 858, selon laquelle, en raison de l’existence de la règle de l’engagement implicite, la Cour n’a plus à rendre automatiquement des ordonnances conservatoires avec le consentement des parties, Seedlings se contente de se fonder sur l’engagement implicite, clarifié et renforcé par une entente entre les parties, qui intégrerait les conditions dont celles-ci ont convenu. Pfizer estime toutefois que cette mesure ne serait pas suffisante pour protéger ses droits et qu’il est nécessaire de rendre une ordonnance conservatoire. C’est la raison pour laquelle elle a déposé la présente requête. Seedlings n’a pas pris position sur la question.

[5]  Pfizer n’a pas présenté d’éléments de preuve qui donnent à penser que les faits de la présente espèce sont différents de ceux de l’affaire Live Face on Web ou de toute autre affaire de propriété intellectuelle. Elle ne laisse pas entendre qu’il y a des raisons de croire que les parties, leurs administrateurs ou leurs dirigeants, leurs employés, leurs avocats, leurs experts ou les fournisseurs de services qu’elles emploient pourraient ne pas comprendre la règle de l’engagement implicite ou la respecter, ou se conformer aux conditions dont les parties ont convenu si elles étaient intégrées dans une entente officielle. Aucune preuve ne dénote que l’une ou l’autre des parties serait même sujette à traiter de façon négligente des documents désignés comme confidentiels, avec le résultat que de tels documents pourraient tomber entre les mains de personnes qui ne sont pas parties à l’instance ou à l’entente conservatoire et qui n’ont pas signé l’engagement explicite qu’envisagent les conditions dont les parties ont convenu. En bref, Pfizer n’allègue pas qu’il est question ici de l’une de ces affaires hautement inusitées auxquelles il est fait allusion dans la décision Live Face on Web, et dans lesquelles il pourrait être nécessaire de rendre une ordonnance intégrant des mesures de protection précises, convenues entre les parties.

[6]  Pfizer m’exhorte plutôt à ne pas suivre la décision Live Face on Web parce qu’il s’agit d’un écart injustifié par rapport à la pratique antérieurement établie de la Cour et par rapport à la jurisprudence. Elle soutient qu’elle a respecté tous les critères antérieurement établis par la jurisprudence en lien avec la délivrance d’une ordonnance conservatoire et qu’il ne devrait pas y avoir d’autres exigences pour montrer l’existence de circonstances inusitées. Elle conteste également la conclusion que la Cour a tirée dans l’affaire Live Face on Web, à savoir que le fait de se fonder sur l’engagement implicite ainsi que sur des ententes privées procure une protection suffisante dans le cas de renseignements hautement sensibles du genre de ceux que l’on s’échange habituellement dans le cadre d’une instance en matière de propriété intellectuelle.

I.  La jurisprudence sur les ordonnances conservatoires

[7]  Pfizer soutient que le critère relatif à l’octroi d’une ordonnance conservatoire est bien établi et qu’il a été reconnu dans l’arrêt de la Cour suprême Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, au paragraphe 60 :

Le juge Pelletier souligne que l’ordonnance sollicitée en l’espèce s’apparente à une ordonnance conservatoire en matière de brevets. Pour l’obtenir, le requérant doit démontrer que les renseignements en question ont toujours été traités comme des renseignements confidentiels et que, selon la prépondérance des probabilités, il est raisonnable de penser que leur divulgation risquerait de compromettre ses droits exclusifs, commerciaux et scientifiques : AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] A.C.F. no 1850 (QL) (C.F. 1re inst.), par. 29‑30. J’ajouterais à cela l’exigence proposée par le juge Robertson que les renseignements soient « de nature confidentielle » en ce qu’ils ont été « recueillis dans l’expectative raisonnable qu’ils resteront confidentiels », par opposition à « des faits qu’une partie à un litige voudrait garder confidentiels en obtenant le huis clos » (par. 14).

[Non souligné dans l’original.]

[8]  Ceci étant dit avec égards, un tour d’horizon de la jurisprudence relative aux ordonnances conservatoires doit commencer par une compréhension de ce que l’on entend par une « ordonnance conservatoire ». Il ne s’agit pas d’une expression que l’on retrouve dans les Règles des Cours fédérales. Il y a quelques années à peine, les expressions « ordonnance conservatoire » et « ordonnance de confidentialité » étaient utilisées de manière interchangeable pour désigner des ordonnances rendues dans des affaires de propriété intellectuelle en vue de limiter l’utilisation ou la communication de renseignements techniques, commerciaux, financiers ou scientifiques sensibles. Ceux qui connaissent bien les affaires de propriété intellectuelle qui sont soumises à la Cour fédérale sauront que ce n’est que récemment que cette dernière a commencé à faire une distinction entre les ordonnances conservatoires et les ordonnances de confidentialité.

[9]  L’expression « ordonnance conservatoire », que l’on retrouve dans la décision Live Face on Web ainsi que dans le contexte de la présente requête, désigne une ordonnance qui ne régit que la façon dont les parties peuvent désigner comme confidentiels, et doivent traiter par la suite, les renseignements qu’ils s’échangent au stade préalable d’une action. Une ordonnance conservatoire, au sens où on l’entend dans la décision Live Face on Web et dans la présente requête, ne permet pas aux parties de verser dans le dossier de la Cour des documents sous scellés, même s’ils ont été désignés et cotés comme confidentiels aux termes de l’ordonnance conservatoire. Pour pouvoir être autorisées à déposer sous scellés des renseignements désignés, les parties sont tenues de demander et d’obtenir une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 151 des Règles des Cours fédérales, dont le texte est le suivant :

151 (1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

151 (1) On motion, the Court may order that material to be filed shall be treated as confidential.

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

 

(2) Before making an order under subsection (1), the Court must be satisfied that the material should be treated as confidential, notwithstanding the public interest in open and accessible court proceedings.

[Non souligné dans l’original.]

[10]  L’article 151 des Règles ne s’applique qu’aux renseignements qui doivent être déposés, et non à ceux que s’échangent simplement les parties (Levis Strauss & Co c Era Clothing Inc., (1999) 172 FTR 248, 1 CPR (4th) 513). Une ordonnance rendue en vertu de cet article permet de verser des renseignements sous scellés dans le dossier de la Cour, qui est par ailleurs public. L’article 152 des Règles limite les personnes auxquelles le greffe peut donner accès à ces éléments matériels sous scellés et énonce les conditions à remplir pour pouvoir déposer et obtenir des copies. Il est utile de signaler que, à moins d’une ordonnance contraire de la Cour, le greffe ne peut même pas permettre aux parties elles-mêmes d’avoir accès à des éléments matériels sous scellés. Seuls les avocats des parties peuvent obtenir des copies du greffe, et ce, uniquement après s’être engagés par écrit qu’ils ne les communiqueront à nul autre qu’un avocat participant à l’instance.

[11]  L’article 151 n’a pas toujours fait partie des Règles de la Cour. Il y a été intégré lors de leur refonte et de leur révision complètes, par suite des Règles des Cours fédérales (1998), DORS/98-106.

[12]  L’article 151 des Règles a, pour la première fois, expressément exigé que la Cour tienne compte de l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires et soit convaincue que le besoin de confidentialité l’emporte sur ce principe avant de soustraire au public des éléments de son dossier. Cette mesure a marqué un changement par rapport aux pratiques antérieures de la Cour en matière de propriété intellectuelle, ainsi que par rapport au critère qui était autrefois appliqué en ce domaine pour sceller des renseignements dans le dossier de la Cour.

[13]  Une revue des affaires de propriété intellectuelle publiées qui ont été tranchées avant 1998, et même jusqu’à l’arrêt Sierra Club que la Cour suprême a rendu en 2002, révèle que la plupart des ordonnances « conservatoires » ou « de confidentialité » examinées, sinon toutes, contenaient des dispositions qui autorisaient les parties à déposer sous scellés tout document que l’une ou l’autre des parties avait désigné comme confidentiel, sans examen préalable de la Cour :

  • Foseco International Ltd c Bimac Canada, (1990) 51 CPR (2d) 51 (CF 1re inst.), paragraphe 23, sous-paragraphes 2(1) et (4);

  • Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd, (1993) 51 CPR (3d) 305, aux pages 312 et 313, paragraphe 1a), et à la page 315, paragraphe 6 de l’ordonnance, à l’annexe A;

  • AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être), (1998) 83 CPR (3d) 428, aux paragraphes 3 et 4 de l’ordonnance, à l’annexe K (cette ordonnance a été rendue par (1998) 81 CPR (3d) 121 et a donné lieu aux décisions rendues dans (1998) 87 CPR (3d) 191 et (2000) 5 CPR (4th) 149).

  • Levi Strauss & Co c Era Clothing, précitée, au paragraphe 5, qui fait également référence, au paragraphe 7, à une ordonnance semblable rendue dans Levi Strauss & Co c Roadrunner Apparel Inc., (1998) 81 CPR (3d) 286.

[14]  Ces ordonnances comportaient également des dispositions détaillées qui régissaient la façon dont les parties devaient traiter les renseignements, et qui feraient partie de ce que j’ai défini plus tôt comme une « ordonnance conservatoire ». Le critère, si critère il y avait, qu’appliquerait la Cour pour régler toute contestation portant sur le bien-fondé de la désignation d’une partie était la croyance subjective et en toute bonne foi de la partie ayant désigné les renseignements que ces derniers étaient confidentiels et que leur communication pouvait porter préjudice à ses intérêts commerciaux. Si l’on recourt à la terminologie susmentionnée, les ordonnances examinées et rendues par la Cour dans ces premières affaires étaient en fait des ordonnances conservatoires et de confidentialité hybrides, mais on les qualifiait indifféremment d’ordonnances préventives, d’ordonnances de protection, d’ordonnances de confidentialité, voire d’ordonnances de conservation.

[15]  C’est donc dire que dans le passage de l’arrêt Sierra Club mentionné plus tôt, où la Cour suprême cite les propos du juge Pelletier selon lesquels l’ordonnance de confidentialité demandée « s’apparente à une ordonnance conservatoire en matière de brevets », il faut comprendre que la Cour faisait référence à l’aspect de ces ordonnances qui autorisait les parties à déposer des documents devant le tribunal sous scellés. Le « critère » ou la « condition » qui s’applique à la délivrance de ces ordonnances, comme il est décrit dans les décisions AB Hassle et Apotex c Wellcome, précitées, n’est donc pas, comme le laisse entendre Pfizer, un critère applicable à la délivrance d’une ordonnance conservatoire « pure », mais le critère que l’on appliquait autrefois à la délivrance d’une ordonnance de confidentialité. Par ailleurs, ce critère a été écarté par l’exigence que comporte l’article 151 des Règles et par l’arrêt Sierra Club de la Cour suprême.

[16]  Cela soulève la question de savoir s’il y a – ou s’il y a jamais eu – un critère jurisprudentiel reconnu, ou une série de critères à prendre en considération, pour que la Cour rende la partie « conservatoire » de ces ordonnances.

[17]  Dans la décision de 1980 intitulée Foseco c Bimac, précitée, une affaire de contrefaçon de brevet, la demanderesse sollicitait, d’une part, une ordonnance de production de la transcription des dépositions recueillies dans une instance américaine en cours à propos du brevet américain correspondant et, d’autre part, une ordonnance de protection et de confidentialité hybride, modelée sur l’ordonnance rendue dans le cadre de l’instance américaine. Les paragraphes 4 et 5 des motifs résument l’essentiel des questions en litige et de la décision de la Cour :

Presque dès le début de l’action intentée aux États-Unis a été rendue une ordonnance portant protection du caractère confidentiel des documents et des témoignages provenant des deux parties à l’action. Ainsi que l’affidavit de David Watson daté du 1er août 1979, une copie de l’ordonnance a été versée au dossier dans les présentes procédures. C’est une ordonnance très stricte qui sort du cadre du droit commun et qui ne comporte pas certains paragraphes que les demandeurs cherchent maintenant à faire inclure dans l’ordonnance de protection sollicitée en l’espèce. Avant le prononcé de cette ordonnance, il y a eu une importante controverse entre les parties et cette controverse continue toujours: l’avocat des défendeurs fait valoir que tout ce qui est nécessaire au Canada, c’est la protection donnée par le droit commun. Je ne saurais accueillir cet argument. J’estime que, si les documents et les témoignages recueillis dans l’action américaine doivent être produits pour examen par les avocats canadiens des parties, une forme d’ordonnance de protection, non différente de celle émise aux États-Unis, sauf peut-être pour certains détails, devrait être rendue. La règle 455 autorise le prononcé d’une telle ordonnance. De telles ordonnances ont du reste déjà été rendues, notamment dans l’arrêt Xerox of Canada Limited et Xerox Corporations c. IBM Canada Limited – IBM Canada Limitée, No de greffe : T‑363‑76.

[Non souligné dans l’original.]

[18]  Il est intéressant de noter que, en faisant référence à la protection qu’accorde le « droit commun » et en la comparant aux conditions de l’ordonnance proposée, l’affaire Foseco est peut-être l’une des premières à reconnaître l’existence et l’application de la règle de l’engagement implicite au Canada. Dans Foseco, la Cour a conclu que cette protection de common law n’offrait pas une « protection assez précise » mais, hélas, sans autre explication. On pourrait toutefois expliquer d’une certaine façon la conclusion de la Cour en faisant remarquer que la question de savoir si l’engagement implicite s’étend aux éléments de preuve fournis au stade de la communication préalable, plutôt qu’uniquement aux documents produits à ce stade, est restée non tranchée jusqu’au prononcé de la décision ontarienne Reichmann c Toronto Life Publishing Co. (1988) 28 CPC (2d) 11 (HCJ Ont.).

[19]  Au-delà des lacunes perçues de la protection qu’accorde la common law, il est parfaitement clair que les faits particuliers de l’affaire Foseco, qui comprenaient des dépositions recueillies aux États-Unis et protégées par une ordonnance de protection américaine sortant du cadre de la common law, constituaient la justification principale de la délivrance de l’ordonnance. Ces mêmes circonstances, de même que la décision rendue dans l’affaire Foseco, ont une fois de plus été citées pour justifier la délivrance d’une ordonnance de protection reprenant les dispositions d’une ordonnance de protection américaine rendue dans une instance américaine correspondante dans la décision Proctor & Gamble Co. c Kimberly-Clark of Canada Ltd, (1987) 16 CPR (3d) 114. Par ailleurs, la décision Apotex Inc. c Wellcome Foundation, précitée, a cité à la fois les décisions Foseco et Proctor & Gamble pour justifier la délivrance d’une ordonnance de protection ou de confidentialité dont la forme était essentiellement identique à celle de l’ordonnance qui avait été rendue dans une action américaine parallèle.

[20]  La décision Deprenyl Research Ltd c Canguard Health Technologies Inc., (1992) 41 CPR (3d) 228, est une autre affaire de contrefaçon de brevet dans laquelle la Cour fédérale avait à examiner les aspects purement protecteurs d’une ordonnance proposée. Dans cette affaire, les parties semblaient convenir qu’il était approprié que la Cour rende au moins une ordonnance « sous une forme plus conventionnelle, à savoir qu’une partie [pouvait] qualifier un renseignement de “confidentiel” sous réserve d’un éventuel contrôle judiciaire, et qu’une fois ainsi qualifié, le renseignement ne [pouvait] être divulgué qu’à certaines personnes, dont [faisaient] cependant partie les dirigeants ou les employés des parties ». La véritable question soumise à la Cour consistait à savoir s’il fallait rendre une forme d’ordonnance plus inusitée, qui limitait la divulgation aux avocats des demanderesses ainsi qu’à des experts indépendants de l’extérieur, en excluant les dirigeants ou les employés des sociétés demanderesses. La Cour a refusé de rendre l’ordonnance restrictive qui limitait la divulgation « aux seuls avocats », mais elle a rendu une ordonnance qui modifiait la forme conventionnelle que souhaitaient obtenir les demanderesses de façon à limiter le nombre de dirigeants ou de préposés des sociétés demanderesses à qui pourraient être divulgués certains renseignements précis. La Cour a donné les motifs suivants, au paragraphe 4 :

Je suis convaincu qu’il s’agirait d’une garantie suffisante pour renforcer l’exigence générale (et l’engagement implicite) voulant que des renseignements confidentiels ne soient utilisés par la partie adverse que pour les fins du litige en question. Si je comprends bien, les parties demanderesses font des opérations multinationales et une trop grande diffusion des renseignements au sein de ces sociétés pourrait déboucher sur la communication de ces renseignements à des tiers sur lesquels la Cour n’exerce aucun contrôle.

[21]  C’est donc dire que dans des affaires où les parties ne s’entendaient pas sur le fait de savoir si, et dans quelle mesure, il y avait lieu d’imposer des limites supplémentaires à la manière dont elles pouvaient se servir de renseignements obtenus au stade de la communication préalable, la Cour fédérale, dans les décisions Deprenyl et Foseco, a commencé par examiner si l’engagement implicite offrait une protection suffisante dans les circonstances de l’affaire qui lui était soumise.

[22]  L’interdépendance de la reconnaissance et des limites de l’engagement implicite, d’une part et, d’autre part, la nécessité d’obtenir un engagement explicite de l’autre partie ou, alors, de solliciter la protection d’une ordonnance de la Cour, est une caractéristique de plusieurs autres décisions.

[23]  L’applicabilité de la règle de l’engagement implicite au Canada n’a pas toujours été tenue pour acquise. Elle semble avoir été officiellement reconnue pour la première fois au pays dans une affaire ontarienne : Lac Minerals Ltd c New Cinch Uranium Ltd, (1985) 17 DLR (4th) 745, 50 OR (2d) 260 (HCJ), mais, dès l’année suivante, la majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué qu’il n’existait aucun engagement implicite sous le régime des lois de la Colombie-Britannique : Kyuquot Logging Ltd c British Colombia Forest Products Ltd, (1986) 30 DLR (4th) 65, 5 BCLR (2d) 1 (CA).

[24]  S’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Kyuquot, la juge McLachlan conclut sa revue de la jurisprudence anglaise concernant la question de la règle de l’engagement implicite en faisant remarquer que [traduction« l’idée de prendre, envers la Cour, un engagement implicite exécutoire par des procédures d’outrage au tribunal n’a pas surgi avant Alterskye et n’a pas été généralement admise avant Harman. Avant cela, l’obligation imposée à la partie ayant en sa possession des documents communiqués au préalable était exécutée au moyen d’injonctions ou d’engagements explicites » (par. 53). Ensuite, après avoir passé en revue les règles de droit et les pratiques en Colombie-Britannique, elle conclut qu’il n’existe aucune règle ou pratique qui dénote l’existence d’un engagement de confidentialité implicite, signalant qu’en Colombie‑Britannique il n’existe même pas une pratique générale qui permette aux parties d’obtenir un engagement de confidentialité explicite à l’égard de documents communiqués au préalable (par. 58 à 60). Elle examine ensuite la situation aux États-Unis et reconnaît que même si les tribunaux américains ont rejeté l’idée d’un engagement implicite à ne pas divulguer des documents ou des éléments de preuve produits au préalable, les règles de pratique américaines envisagent la délivrance d’une ordonnance judiciaire qui impose des limites à l’utilisation du processus de communication préalable (par. 62). À l’étape suivante de son analyse, la juge McLachlan examine si des questions de principe font pencher la balance en faveur de la reconnaissance d’une règle d’engagement implicite dans les cas où il n’en existe aucune à ce moment-là, comme suit, au paragraphe 65 :

[traduction]

La question est la suivante. Répond-on à la difficile question de trouver un juste équilibre entre ces objectifs contradictoires dans des affaires particulières par un engagement général à ne recourir à la communication préalable que dans l’affaire où il est pris, à moins que la Cour n’ordonne le contraire? Ou y répond-on mieux en n’imposant pas de restrictions générales à l’utilisation de la communication préalable, hormis celles qui sont déjà intégrées dans les règles, mais qui permettent aux parties de demander, dans des affaires particulières, une protection supplémentaire?

[Non souligné dans l’original.]

[25]  Comme il a été mentionné plus tôt, la juge McLachlan conclut que la règle de l’engagement implicite ne devrait pas faire partie des règles de droit de la Colombie-Britannique et, ajoute-t-elle, [traduction« il incombe à la personne qui cherche à limiter l’utilisation du processus de communication préalable de demander au tribunal de rendre une ordonnance à cet effet ou d’obtenir un engagement allant dans le même sens auprès de la personne à qui les documents ou les éléments de preuve sont communiqués » (par. 75).

[26]  S’exprimant en dissidence, le juge Esson est arrivé à la conclusion contraire. Il a exprimé l’avis que les règles de droit de la Colombie-Britannique obligeaient déjà les parties qui consultaient des documents au stade de la communication à ne pas en rendre la teneur publique, à ne pas les communiquer à toute personne étrangère à la poursuite ou à ne pas s’en servir à une autre fin, et que cette obligation pouvait être exécutée par voie d’injonction. Pour ce qui était de la disponibilité d’une protection supplémentaire au moyen d’un engagement explicite ou d’une ordonnance du tribunal, le juge Esson a déclaré ce qui suit, au paragraphe 21 :

[traduction]

Bien sûr, il est encore loisible à une partie tenue de communiquer des documents, si elle s’inquiète particulièrement du risque que la partie adverse abuse de son droit d’accès, de solliciter une ordonnance spéciale de la nature d’une injonction ou d’exiger un engagement explicite. Cependant, dans la très grande majorité des cas il semble raisonnable de présumer que, comme dans le passé, il n’y aura aucune raison pour la partie qui obtient communication de solliciter une dispense de l’obligation de confidentialité, ni aucune raison de rendre des ordonnances spéciales.

[27]  La question de savoir si la décision Kyoquot s’appliquait au sein de la Cour fédérale a été carrément soumise à la Cour dans l’affaire R. c. ICHI, [1992] 1 CF 571 (CF 1re inst.). La demanderesse avait présenté un fonctionnaire en vue d’un interrogatoire préalable, mais elle avait demandé à l’avocat de la défenderesse de s’engager à ne pas se servir des informations obtenues à une fin étrangère à l’instance. L’avocat de la défenderesse avait refusé de prendre cet engagement et il y avait d’autres instances en cours pour lesquelles ces informations pourraient se révéler pertinentes. La demanderesse avait refusé de procéder à l’interrogatoire préalable, et la défenderesse avait présenté une requête en vue d’obliger la demanderesse à présenter un fonctionnaire pour qu’il soit interrogé au préalable. Dans son analyse, la juge Reed a pris en compte la position exprimée dans la décision Kyoquot, de même que la position adoptée au Royaume-Uni, dans les autres provinces, au sein de la Cour fédérale ainsi qu’aux États-Unis, avant de conclure que la règle de l’engagement implicite s’appliquait au processus de communication de la Cour fédérale. Il est utile de signaler que, au paragraphe 23 des motifs, la Cour a conclu qu’elle rendrait une ordonnance exigeant que la demanderesse convoque un représentant aux fins de l’interrogatoire préalable, mais qu’elle n’inclurait pas une disposition explicite interdisant à la défenderesse d’utiliser les informations obtenues lors de l’interrogatoire à des fins ultérieures ou exigeant un engagement explicite. La Cour a plutôt signalé ce qui suit : « [l]a défenderesse apprendra, à la lecture des présents motifs, l’existence d’un engagement implicite automatique, de telle sorte que l’information obtenue, lors de l’interrogatoire, ne pourra être utilisée qu’aux seules fins du litige pour lequel elle a été obtenue ».

[28]  Dans la décision Reichmann, précitée, il avait été demandé à la Haute Cour de justice de l’Ontario de délivrer, dans le cadre d’une ordonnance obligeant à produire certains documents au stade de la communication préalable, une ordonnance obligeant les défendeurs à s’engager explicitement à s’abstenir de communiquer les éléments de preuve obtenus à l’interrogatoire préalable de la demanderesse, sauf avec l’autorisation de la Cour. Après avoir examiné la jurisprudence relative à la règle de l’engagement implicite et conclu qu’un engagement implicite s’appliquait bel et bien aux instances ontariennes, indépendamment de la décision que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait rendue dans l’affaire Kyuquot, le juge Anderson a refusé de rendre une ordonnance exigeant explicitement que la défenderesse donne l’engagement requis (au par. 28) :

[traduction]

C’est sur le fondement de la portée et de la profondeur des informations qu’il faudra communiquer, ainsi que de l’intérêt constant des défenderesses à l’égard de la rédaction et de la publication de documents concernant les demanderesses, que ces dernières souhaitent obtenir un engagement explicite ou une ordonnance de la Cour au sujet de l’utilisation des informations obtenues au stade de la communication préalable. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que, dans une affaire appropriée, la Cour pourrait renforcer l’engagement implicite, soit en rendant une ordonnance directe soit en exigeant que la partie qui obtient communication des informations s’engage à ne pas s’en servir à des fins accessoires ou ultérieures. La juge Boland, dans Anderson, a rendu une telle ordonnance. Toutefois, elle l’a fait au vu de preuves assez explicites et détaillées qui établissaient l’existence d’un risque potentiel d’utilisation irrégulière. Je ne suis pas convaincu que les éléments matériels qui m’ont été soumis établissent l’existence de circonstances spéciales qui justifieraient que l’on exige un engagement explicite ou que l’on rende une ordonnance. Je suis disposé à accepter qu’il y a une réelle possibilité d’usage irrégulier mais, à mon avis, cela ne suffit pas. Je suis persuadé que l’engagement implicite constitue, pour les demanderesses, une protection suffisante contre tout risque que l’on pourrait raisonnablement anticiper à l’égard des éléments matériels. Les défenderesses utiliseront les informations ou les documents en étant conscientes de l’engagement implicite, ce qui obligera à n’en pas douter à agir avec prudence. Si les défenderesses ont des doutes au sujet de l’usage prospectif quelconque de tout élément matériel, il leur est toujours loisible de recourir à une requête visant à soustraire ces éléments matériels à l’engagement implicite. S’il survient un usage répréhensible, les demanderesses disposent toujours du recours que constitue une injonction. Selon moi, dans les circonstances actuelles, et pour le moment, l’ordonnance demandée n’est pas nécessaire.

[Non souligné dans l’original.]

[29]  Le juge Sutherland, dans la décision National Gypsum Co. c Dorrell, (1989), 68 OR (2d) 689, 25 CPR (3d) 15 (HCJ), au paragraphe 36, a cité le même passage en y souscrivant et a ajouté ce qui suit :

[traduction]

Je suis convaincu de la sagesse de limiter les ordonnances explicites ou l’obligation de prendre un engagement explicite à des circonstances réellement très spéciales. Agir autrement minerait le statut et l’efficacité de l’engagement implicite. Les circonstances dont il est question en l’espèce sont, à mon avis, nettement moins spéciales qu’elles l’étaient dans Reichmann. Il faudrait considérer la question sous un angle objectif et non sous celui du degré d’inquiétude que peut manifester une partie d’un naturel inquiet. L’engagement implicite n’a pas à être déprécié, ou la Cour troublée, par le fait d’encourager à présenter des requêtes en vue d’obtenir une ordonnance ou un engagement explicite dans des circonstances semblables à celles de l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[30]  Il a été considéré au Manitoba que les mêmes principes s’appliquaient, comme il a été résumé aux paragraphes 17 à 20 de la décision Apotex Fermentation Inc. c Novopharm Ltd, 2001 MBQB 316 :

[traduction]

17  Dans une décision antérieure, Hanson c. Keystone Ford Sales Ltd. (1996), 111 Man. R. (2d) 6 (B.R. Man.), j’ai eu affaire à une question concernant l’engagement implicite et j’ai eu l’occasion de faire remarquer, au par. 29, que « […] [l’]engagement implicite devrait suffire dans chaque cas, sans qu’il soit nécessaire de prendre un engagement explicite quelconque ».

18  La Cour d’appel du Manitoba a confirmé la décision dans l’arrêt Hanson, précité, à (1996), 113 Man. R. (2d) 163 (C.A. Man.). Des préoccupations semblables au sujet de l’utilisation abusive de renseignements confidentiels avaient été exprimées dans cet arrêt. Le juge en chef Scott, s’exprimant au nom d’une cour unanime, a répondu à ces préoccupations en ces termes, aux par. 2 et 3 :

Nous sommes tous d’avis que l’appel doit être rejeté. Selon nous, la règle de l’engagement implicite répond entièrement aux préoccupations que les défenderesses ont exposées, à savoir que le demandeur pourrait utiliser les documents requis à mauvais escient; voir Blake c. Governor & Co. of Adventurers of England Trading into Hudson’s Bay, [1988] 1 W.W.R. 176 (B.R. Man.) et Home Office v. Harman, [1983] A.C. 280 (U.K. H.L.), à la p. 304. En conséquence, comme l’a signalé le protonotaire Cantlie dans la décision Blake (à la p. 181) :

[…] un engagement explicite n’est d’aucune utilité. Il ne peut rien ajouter à l’engagement implicite qui est donné dans chaque cas. Il est donc contre-productif d’en exiger un, car cela implique qu’il ajoute effectivement quelque chose et cela dénote donc qu’un avocat ou une partie qui n’a pas pris d’engagement jouit d’une certaine latitude pour ce qui est de la manière dont il utilise les documents, ce qui n’est pas le cas.

Par conséquent, à défaut de circonstances hautement inusitées, aucune ordonnance officielle n’est nécessaire ou souhaitable. L’appel est donc rejeté avec dépens.

19  Le juge en chef Scott a ensuite fait remarquer, au paragraphe 4 de l’arrêt Hanson, précité, qu’il aurait été préférable qu’aucune ordonnance ne soit rendue à la suite de l’appel infructueux devant la Cour du Banc de la Reine car l’engagement implicite ne requiert aucune expression officielle de cette nature pour être efficace et exécutoire.

20  L’arrêt Operation Dismantle Inc. c. La Reine., [1985] 1 R.C.S. 441 (C.S.C.), permet d’affirmer qu’un jugement déclaratoire n’est généralement pas rendu si une controverse n’existe pas, mais n’est qu’éventuelle ou éloignée, et que des questions conjecturales ou hypothétiques ne sauraient faire l’objet d’un jugement déclaratoire. Voir les par. 31, 32 et 33. Voir aussi Gould c. Barristers’ Society (Nova Scotia), [2001] N.S.J. No 299 (C.S.N.-É. [en cabinet]).

[Non souligné dans l’original.]

[31]  Pfizer n’a porté à l’attention de la Cour aucune affaire ou règle de pratique, de la présente Cour ou d’une province quelconque, qui pourrait justifier la délivrance d’une ordonnance conservatoire en l’absence de circonstances qui feraient en sorte que l’engagement implicite ou les ententes explicites des parties seraient insuffisants. En définitive, Pfizer se fonde uniquement sur la reconnaissance jurisprudentielle de la tradition qu’a notre Cour de rendre de telles ordonnances dans des affaires de propriété intellectuelle : AB Hassle c Canada, [2000] 5 CPR 4th 149, au paragraphe 3, Apotex c Wellcome, précitée à la page 311, Novopharm Ltd c Canada (Ministre de la Santé), 2010 CF 566, au paragraphe 12 et Juman c Doucette, 2008 CSC 8, au paragraphe 14. Comme il a été mentionné plus tôt, une bonne part de cette pratique avait principalement pour but d’éviter de divulguer des renseignements confidentiels au grand public plutôt que de réglementer la façon dont les parties devaient traiter les renseignements qu’elles s’échangeaient. Dans la mesure où la pratique consistant à rendre systématiquement des ordonnances conservatoires concerne spécifiquement des dispositions de nature purement conservatoire, l’analyse présentée plus tôt montre que cette pratique a pris naissance à une époque où l’applicabilité de la règle de l’engagement implicite et ses contours étaient encore mal définis. La certitude au sujet de l’applicabilité et de la portée de l’engagement implicite a rendu cette pratique peu pertinente.

[32]  Quoi qu’il en soit, même l’existence d’une pratique bien ancrée et de longue date ne constitue pas, en l’absence de précédents ayant force obligatoire sur la question, une règle de droit que la Cour est tenue de suivre. En définitive, la question de savoir s’il y a lieu de rendre une ordonnance conservatoire dans les circonstances particulières d’une affaire donnée relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Il est parfaitement cohérent avec les décisions et les précédents analysés plus tôt que la Cour, au moment d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, examine s’il est nécessaire de rendre une telle ordonnance en raison de l’engagement implicite et de l’accord des parties à l’égard de conditions qui, dans la mesure où on pourrait l’estimer nécessaire, renforceraient cette règle et la clarifieraient.

II.  Est-il nécessaire de rendre une ordonnance conservatoire?

[33]  Comme je l’ai déjà conclu dans la décision Live Face on Web, la majorité des dispositions de fond des ordonnances conservatoires caractéristiques, comme celles que Pfizer propose en l’espèce, n’ont pas besoin d’être énoncées dans une ordonnance parce qu’elles tombent déjà sous le coup de l’engagement implicite. Plus particulièrement :

  • l’engagement implicite a pour effet d’éviter de communiquer à des tierces parties ou d’utiliser des renseignements obtenus au stade de la communication prélable à une fin extérieure ou collatérale à l’instance pour laquelle la communication a été faite, et ce, sans le consentement de la partie qui les produit ou l’autorisation du tribunal (clauses 10, 11, 15, 17, 23 et 24 de l’ordonnance conservatoire proposée; Juman c Doucette, par. 4);

  • l’engagement implicite s’applique à la fois aux documents et aux renseignements communiqués au stade de l’interrogatoire préalable, mais non aux renseignements qui émanent d’autres sources (clauses 1f), 2 et 20; R. c. ICHI; Juman c Doucette, par. 5 et 6);

  • l’engagement implicite survient automatiquement sans qu’une ordonnance, une désignation ou un engagement explicite soit nécessaire (clauses 3 à 6) et il peut être exécuté par divers moyens, dont les pouvoirs en matière d’outrage de la Cour (Goodman c Rossi [1995] OJ no 1906, 125 DLR (4th) 613, p. 363 et 364, Juman c Doucette, par. 29);

  • l’engagement s’applique jusqu’à ce que les renseignements soient révélés en audience publique ou soient déposés et fassent partie du dossier public et, de ce fait, il continue de s’appliquer même après la conclusion de l’instance si les renseignements ne sont pas révélés publiquement ou déposés (clause 18; Juman c Doucette, par. 51);

  • l’engagement implicite comporte une obligation, pour la partie qui reçoit les documents, de retourner ou de détruire ceux qui n’ont pas fait partie du dossier public à l’issue de l’instance (clause 19; Andersen Consulting c R, [2001] 2 CF 324, au par. 6);

  • l’engagement implicite s’applique aux parties, à leurs avocats ainsi qu’aux experts ou aux consultants tiers dont elles ont retenu les services, et il peut être exécuté par la Cour à l’encontre de ces tiers (clause 13; Winkler c Lehndorff Management Ltd, [1998] OJ no 4462, 28 CPC (4th) 323);

  • il est même possible d’ordonner un recours à l’égard des tiers qui se sont vus communiquer des renseignements à tort (Canadian National Railway c Holmes, 2014 ONSC 593).

[34]  Dans la mesure où l’ordonnance conservatoire proposée contient bel et bien des dispositions qui excèdent la portée de l’engagement implicite, comme des limites au nombre d’employés ou de dirigeants de chacune des parties à qui des documents ou des renseignements peuvent être communiqués (clauses 11c) à b)) et exige qu’une partie donne avis à l’avance de son intention de déposer des renseignements ou des documents désignés auprès de la Cour ou de les communiquer parce que la loi le prescrit (clauses 7 et 14), les parties ont déjà souscrit à ces conditions. Comme je l’ai décrété dans la décision Live Face on Web, une entente explicite entre les parties par laquelle celles-ci reconnaissent que de telles mesures constituent des engagements donnés à la Cour en tant que moyen supplémentaire de protéger leurs intérêts en matière de protection de leurs renseignements personnels pour les besoins de l’instance, est susceptible d’être exécutée par la Cour, y compris au moyen d’une procédure d’outrage au tribunal, sans qu’il faille tout d’abord que la Cour la reconnaisse ou qu’elle soit entérinée dans une ordonnance :

[21] Je n’arrive pas à comprendre pourquoi des engagements supplémentaires donnés à la Cour, sans toutefois que cette dernière les accepte expressément, qui visent les mêmes buts que la règle de l’engagement implicite, devraient être moins contraignants pour les parties ou moins susceptibles d’exécution par le pouvoir de sanction pour outrage au tribunal de la Cour que la règle générale, du moment que les parties et leurs procureurs les donnent volontairement, en croyant tous deux qu’ils sont légaux et appropriés, dans les circonstances, pour protéger les intérêts légitimes des parties en matière de protection des renseignements personnels pendant l’instance.

[22] La compétence de la Cour fédérale de faire observer la règle de l’engagement implicite découle du pouvoir inhérent de la Cour de contrôler son propre processus. La règle de l’engagement implicite en soi est née de la reconnaissance du fait qu’elle favorisera le respect du processus de communication de la Cour et qu’elle contribuerait à empêcher les abus ou les utilisations erronées de ce processus en accordant une protection aux intérêts des parties en matière de protection des renseignements personnels. L’engagement implicite survient automatiquement et on peut le faire observer dès qu’une personne se voit communiquer de l’information, même en l’absence de la Cour et à son insu. À cet égard, il est différent des engagements donnés par les parties par rapport à leurs droits fondamentaux, comme les accords de règlement qui prévoient un engagement à ne pas utiliser une marquer de commerce ou une autre propriété intellectuelle. On ne peut faire observer ces engagements fondamentaux en vertu d’une sanction pour outrage au tribunal, sauf s’ils ont été communiqués à la Cour et reconnus par cette dernière dans une ordonnance (Williams Information Services Corp. c Williams Telecommunications Corp. [1998] A.C.F. no 594, 142 FTR 76).

[23] Les engagements qui portent exclusivement sur les aspects procéduraux d’une instance et qui visent à contribuer à régir le processus de la Cour (comme ceux qui limitent le nombre de personnes pouvant faire l’objet d’une communication de renseignements désignés ou qui exigent de présenter un avis préalable de l’intention de produire) sont du même genre que la règle de l’engagement implicite. La Cour n’a donc pas à les reconnaître expressément pour les faire observer dans le cadre de sa compétence inhérente de contrôler son processus, y compris en recourant aux procédures d’outrage, dans les cas appropriés.

[Non souligné dans l’original.]

[35]  Contrairement aux observations de Pfizer, la décision Live Face on Web n’indique pas qu’il faut d’abord que la Cour reconnaisse une entente de protection par la voie d’une requête en conformité avant qu’elle puisse faire l’objet d’une procédure d’outrage au tribunal. Cette possibilité n’a été évoquée qu’au cas où la conclusion première, relativement au caractère exécutoire d’un engagement explicite pris dans le cadre d’une entente privée, était entachée d’une erreur.

[36]  L’avocat de Pfizer n’a pas laissé entendre que les conclusions et les principes susmentionnés étaient fondés sur une erreur de droit ou sur une mauvaise interprétation de la jurisprudence applicable.

[37]  L’argument qu’invoque Pfizer est plutôt le suivant : indépendamment de la décision Live Face on Web, il reste encore beaucoup d’incertitude quant à la portée, à l’application et au caractère exécutoire de la règle de l’engagement implicite, et la clarté et la certitude que procure  une ordonnance conservatoire explicite sont nécessaires, vu la nature sensible des renseignements qui sont en jeu. J’énumère et j’analyse ci-dessous chacune des préoccupations précises de Pfizer.

1)  Une ordonnance conservatoire indique clairement qu’elle s’applique à des tiers.

[38]  Pfizer est d’avis que la jurisprudence n’indique pas de manière très claire ou certaine que des tiers, comme des experts, des consultants et des fournisseurs de services, sont liés par la règle de l’engagement implicite. Une ordonnance conservatoire est donc utile et nécessaire pour offrir une certaine certitude.

[39]  Il est vrai qu’il ne semble pas y avoir plus d’une décision publiée dans laquelle il est expressément mentionné que la règle s’applique aux experts et aux consultants (Winkler c Lehndorff Management, précitée). Mais cela ne rend pas la justesse de la thèse incertaine ou douteuse. Il est possible que le manque de jurisprudence reflète peut-être tout simplement le caractère évident de ce principe.

[40]  Les renseignements communiqués au préalable sont principalement divulgués et contrôlés par les parties et leurs avocats. Conformément à l’engagement implicite, ceux-ci ne peuvent divulguer ces renseignements à quiconque, y compris à des experts, des consultants ou des fournisseurs de services tiers, à moins qu’il soit nécessaire de le faire pour le déroulement de l’instance. En cette qualité, ces tiers agissent comme des mandataires ou des sous-traitants des parties. Il serait impensable que ces mandataires ne soient pas liés par la même obligation que leur mandant. Soutenir le contraire reviendrait à admettre que la protection importante que l’engagement implicite est censé accorder pourrait être contrecarrée et rendue inopérante par le simple fait d’autoriser une partie à agir par l’entremise d’un mandataire.

[41]  Dans la mesure où l’inquiétude de Pfizer au sujet de l’applicabilité de l’engagement implicite aux mandataires ou aux sous-traitants des parties demeure vive, il faut se souvenir que l’entente que les parties ont conclue offre une certitude supplémentaire; il s’agit d’une entente par laquelle celles-ci conviennent de s’assurer que toute personne à qui des renseignements ou des documents seront communiqués signera une entente explicite qui la liera aux mêmes conditions et qui la soumettra à la compétence de la Cour. Une ordonnance de la Cour n’ajouterait rien d’utile à cette mesure.

[42]  Pfizer s’inquiète également de l’applicabilité de la règle à des personnes autres que des experts ou des consultants. Elle invoque à cet effet une opinion incidente que la Cour suprême a formulée dans l’arrêt MacMillan Bloedel Ltd c Simpson, [1996] 2 RCS 1048, à la page 1064, en paraphrasant un passage extrait de la décision que la Cour d’appel d’Angleterre a rendue dans l’arrêt Attorney General v Newspaper Publishing Plc, [1987] 3 All ER 276, comme suit : « dans un cas qui s’y prête, il peut être [TRADUCTION] “préférable” que le tribunal rédige son ordonnance protectrice initiale dans des termes qui précisent bien aux membres du public qui peuvent être visés par celle‑ci qu’ils sont tenus de s’y conformer ».

[43]  Il n’est pas justifié d’invoquer ce passage. Ni l’arrêt Newspaper Publishing ni l’arrêt MacMillan Bloedel n’avaient trait à une ordonnance conservatoire semblable à celle dont il est question en l’espèce. Dans l’arrêt Newspaper Publishing, une injonction avait été prononcée contre deux journaux, leur interdisant de publier des renseignements confidentiels et sensibles tirés des mémoires d’un ancien membre du Service de sécurité britannique. Trois autres journaux, qui n’étaient pas parties à l’instance antérieure, avaient publié par la suite des informations tirées textuellement des mémoires en question. La question en litige dans cette affaire consistait à savoir s’il était possible d’engager une procédure d’outrage au tribunal contre une personne qui n’était pas partie à l’instance dans le cadre de laquelle l’injonction avait été prononcée, mais qui était au courant de cette dernière. L’arrêt MacMillan Bloedel, pour sa part, portait sur la question de savoir si un tribunal est compétent pour prononcer une injonction censée lier des personnes qui ne sont pas parties à l’action soit, en l’occurrence, une ordonnance interdisant à des manifestants d’entraver des activités d’exploitation forestière.

[44]  Dans ces deux affaires, les tribunaux ont conclu qu’une personne qui se comporte sciemment d’une manière susceptible de contrevenir à l’intention et à l’objet d’une ordonnance judiciaire peut être déclarée coupable d’outrage au tribunal pour avoir fait fi de la justice, même si cette personne n’est pas directement partie à l’instance. Dans ces deux affaires, les ordonnances en question envisageaient une conduite dont pouvaient faire preuve n’importe quel nombre de personnes qui n’étaient pas directement parties à l’instance ou qui n’étaient pas précisément mentionnées dans l’ordonnance. La préoccupation des tribunaux reposait sur le fait que, dans de telles affaires, il convenait de formuler les ordonnances judiciaires de manière à ce qu’il soit évident aux yeux de ces tiers qu’ils étaient néanmoins tenus de se conformer aux ordonnances.

[45]  Ces deux affaires ne s’appliquent pas à la question dont la Cour est saisie en l’espèce.

[46]  Premièrement, la jurisprudence analysée dans la première partie des présents motifs indique de manière à la fois pertinente et claire qu’il n’est ni nécessaire ni souhaitable de rendre une ordonnance explicite dans les cas où la règle de l’engagement implicite s’applique. Deuxièmement, le contexte dans lequel l’engagement implicite s’applique ne donne habituellement pas lieu à une situation où de purs étrangers à l’instance seraient en mesure d’enfreindre l’engagement implicite et de s’exposer involontairement à une procédure d’outrage au tribunal. Comme il a été mentionné, les renseignements communiqués au préalable sont contrôlés par les parties et leurs avocats, lesquels peuvent et doivent s’assurer que les tiers auxquels ils communiquent ces renseignements pour les besoins de l’instance savent qu’eux aussi sont tenus de se conformer à la règle. C’est donc dire que, à moins que les parties ou leurs mandataires aient enfreint la règle, à dessein ou par inadvertance, les renseignements que l’on communique au préalable ne devraient pas tomber involontairement entre les mains d’étrangers à l’instance. Sauf s’il existe des circonstances qui établissent un risque réel d’emploi non autorisé, il n’est nul besoin de rendre une ordonnance conservatoire explicite pour mettre en garde les parties étrangères à l’instance contre tout manquement à la règle de l’engagement implicite.

2)  Il peut être difficile de faire appliquer la règle de l’engagement implicite à des personnes situées à l’extérieur de la juridiction de la Cour.

[47]  La règle de l’engagement implicite s’applique à toute personne qui reçoit des renseignements au stade de la communication préalable, où qu’elle soit située (Canadian National Railway c Holmes, précitée). Une ordonnance officielle n’étendrait pas cette portée. L’avantage que perçoit Pfizer dans une ordonnance conservatoire est la disposition qui oblige les destinataires des renseignements désignés à reconnaître l’existence de l’ordonnance et à se soumettre à la compétence de la Cour, ce qui, présume-t-elle, en faciliterait l’exécution.

[48]  Avant d’examiner le bien-fondé de cette thèse, il convient de signaler que, une fois de plus, l’argument de Pfizer fait abstraction de la capacité qu’ont les parties d’intégrer dans une entente explicite l’une quelconque ou la totalité des dispositions auxquelles elles auraient par ailleurs consenti, dont l’obligation que les destinataires prennent acte de la règle de l’engagement implicite et se soumettent à la compétence de la Cour. Il serait donc préférable d’examiner les préoccupations de Pfizer sous l’angle de la question de savoir si une ordonnance conservatoire officielle est plus susceptible d’être appliquée à des personnes situées en dehors de la juridiction de la Cour qu’une entente préventive, et non sous l’angle de la question de savoir si une ordonnance conservatoire est plus susceptible d’être appliquée contre de telles personnes que la règle de l’engagement implicite à elle seule. Quoi qu’il en soit, la réponse à ces deux questions est peut-être la même.

[49]  Une personne qui est au courant de l’application de la règle de l’engagement implicite ou de toute ordonnance que la Cour a rendue, que cette personne se soit engagée explicitement ou non à se soumettre à la compétence de la Cour, est tenue envers celle-ci de ne pas faire obstacle à la justice en agissant de façon à contrevenir à l’intention et à l’objet de cette règle ou de cette ordonnance (décision Canadian Pacific Railway c Holmes et arrêt MacMillan Bloedel, précités). Le problème que présente l’exécution, dans le cas d’une personne située à l’extérieur du Canada, est le suivant : que cette personne ait convenu ou non de se soumettre à la compétence de la Cour, celle-ci n’a pas le pouvoir de faire exécuter ses propres jugements à l’extérieur de son territoire. C’est donc dire que même si la Cour en venait à engager une procédure d’outrage au tribunal contre une personne se trouvant à l’étranger et à rendre jugement contre elle, ce jugement n’accorderait aucune réparation, sauf s’il était possible de le faire exécuter là où se trouverait cette personne. Pour ce faire, il serait nécessaire d’obtenir le concours des autorités judiciaires du pays dans lequel se trouve la personne.

[50]  Les tribunaux canadiens ne reconnaîtront ou n’appliqueront pas une ordonnance d’outrage rendue par un tribunal étranger car cette ordonnance est de nature pénale (Pro Swing Inc. c Elta Golf Inc., 2006 CSC 52). Il est donc loin d’être sûr qu’un jugement d’outrage au tribunal que rendrait notre Cour serait reconnu et exécuté dans un autre pays. Pour cette raison, une partie aurait probablement plus de chances d’obtenir une réparation efficace en cas de manquement à des mesures de protection en demandant au tribunal étranger de reconnaître et de faire appliquer l’obligation sous-jacente (qu’il s’agisse de la règle de l’engagement présumé en common law, d’une ordonnance conservatoire officielle ou d’une entente préventive privée) que de lui demander de reconnaître et d’exécuter une ordonnance d’outrage au tribunal de notre Cour.

[51]  Je ne suis donc pas persuadée que la délivrance d’une ordonnance conservatoire offre un avantage supérieur quelconque pour ce qui est de garantir son exécution à l’encontre de personnes situées en dehors de la juridiction de la Cour, et je conclus que cette mesure n’est pas nécessaire à cette fin.

3)  La règle de l’engagement implicite n’est pas codifiée dans les Règles des Cours fédérales, sa portée est incertaine et la jurisprudence n’est pas cohérente.

[52]  Il est vrai que, contrairement à d’autres provinces telles que l’Ontario, le Manitoba ou l’Île-du-Prince-Édouard, la règle de l’engagement implicite n’est pas codifiée dans nos Règles. Mais ce fait n’en rend pas la portée incertaine. À l’exception de l’obligation qu’ont les parties de retourner les documents et les renseignements qui n’ont pas été divulgués publiquement, ainsi que de l’applicabilité de la règle aux tierces parties, toutes les caractéristiques de la règle de l’engagement implicite qui sont énumérées au paragraphe 33 des présents motifs ont été reconnus et confirmés par nulle autre qu’une autorité aussi compétente que la Cour suprême, dans l’arrêt Juman c Doucette. Même si l’existence et la portée de la règle ont pu, dans le passé, être incertaines et que la jurisprudence est incohérente, la règle est maintenant bien établie et constante. J’ajoute, là encore, que la plainte de Pfizer ne tient pas compte de la possibilité de clarifier tout aspect de la règle qu’elle juge incertaine ou ambigüe au moyen d’une entente explicite entre les parties.

[53]  Pfizer a souligné un aspect particulier dans lequel, soutient-elle, le fait de se fonder sur l’engagement implicite pourrait susciter une certaine incertitude. Il s’agit des situations dans lesquelles des parties pourraient avoir le droit d’utiliser des renseignements ayant fait l’objet d’une communication préalable dans une autre instance sans qu’il soit nécessaire que l’on rende une ordonnance judiciaire. Pfizer fait état des Règles de procédure civile de l’Ontario, RRO 1990, Règl. 194, règle 30.1.01, qui codifient la présomption d’engagement et prévoient, au paragraphe 6, que cet engagement « n’a pas pour effet d’interdire l’utilisation d’éléments de preuve obtenus au cours d’une instance, ou de renseignements tirés de ceux-ci, pour attaquer la crédibilité d’un témoin dans une autre instance ». D’après Pfizer, cette disposition permet à une partie de se servir de renseignements obtenus au stade de la communication préalable dans le but d’attaquer la crédibilité d’un témoin dans une autre instance, sans avoir à obtenir au préalable l’autorisation du tribunal. Pfizer craint qu’un avocat, grâce à l’application de la règle dite des lacunes, puisse se servir de renseignements sensibles obtenus au stade de la communication préalable dans une instance engagée devant la Cour fédérale pour attaquer la crédibilité d’un témoin dans une autre affaire sans l’autorisation préalable de la Cour.

[54]  En présumant, mais sans toutefois en décider, qu’il s’agit là de l’interprétation correcte de la règle ontarienne, les préoccupations de Pfizer sont sans fondement, car elle se méprend sur la portée et l’effet de la règle des lacunes. L’article 4 des Règles des Cours fédérales, aussi appelé « règle des lacunes », prévoit ceci :

4. En cas de silence des présentes règles ou des lois fédérales, la Cour peut, sur requête, déterminer la procédure applicable par analogie avec les présentes règles ou par renvoi à la pratique de la cour supérieure de la province qui est la plus pertinente en l’espèce.

4. On motion, the Court may provide for any procedural matter not provided for in these Rules or in an Act of Parliament by analogy to these Rules or by reference to the practice of the superior court of the province to which the subject-matter of the proceeding most closely relates.

[Non souligné dans l’original.]

[55]  Cet article n’autorise pas les parties à suppléer aux Règles des Cours fédérales en invoquant, en suivant ou en mentionnant les règles de pratique d’une province. Dans tous les cas, se fonder sur les règles explicites d’une province en cas de silence de nos propres Règles oblige à obtenir une ordonnance de la Cour.

[56]  Pfizer souligne ensuite la décision que la Cour suprême a rendue dans l’affaire Juman c Doucette, au paragraphe 41, où la Cour traite de l’utilisation d’éléments de preuve obtenus lors de l’enquête préalable pour attaquer la crédibilité d’un témoin dans une autre instance, et elle fait précisément référence à la règle 30.1.01(6) de l’Ontario, en disant : « [à] mon avis, cette disposition législative reflète aussi les principes généraux de common law au Canada ». D’après Pfizer, ce passage dénote que la Cour suprême a admis que cette exception automatique fait partie de la common law générale. Le fait que Pfizer extraie une phrase unique de l’arrêt de la Cour suprême l’induit en erreur. Cette phrase figure dans une analyse de l’une des nombreuses situations dans lesquelles la Cour suprême a conclu que des tribunaux peuvent conclure, à la suite d’une demande de modification de l’engagement implicite, que l’intérêt de la justice l’emporte sur le préjudice qui pourrait être causé à la partie qui a communiqué les renseignements ou les documents, et que cela justifie que l’on rende une ordonnance portant que l’engagement présumé ne s’applique pas (voir l’arrêt Juman c Doucette, à la sous‑rubrique « E. Critères à appliquer pour les demandes de modification de l’engagement implicite », aux paragraphes 32 et suivants).

[57]  La préoccupation de Pfizer est sans fondement et il n’y a pas lieu de rendre une ordonnance conservatoire officielle pour y répondre.

4)  L’engagement implicite ne s’applique qu’aux éléments de preuve fournis au stade de la communication préalable, ce qui met en doute son application aux instances autres qu’une action.

[58]  La présente instance étant une action, cette préoccupation n’entre clairement pas en jeu et elle est peu pertinente à l’égard de l’affaire qui m’est soumise. Il serait préférable d’analyser le fait de savoir s’il convient de rendre une ordonnance conservatoire dans le cadre d’une instance autre qu’une action au moment où cette question se présentera dans ces autres instances.

5)  L’engagement implicite s’applique également aux éléments de preuve confidentiels et non confidentiels qui sont fournis au stade de la communication préalable, ce qui crée une obligation prima facie de non-divulgation, même s’il aurait été possible d’obtenir les renseignements d’une autre manière.

[59]  Cette proposition est sans fondement. Comme il a été mentionné plus tôt, la jurisprudence reconnaît clairement que l’engagement implicite n’empêche pas d’utiliser des renseignements qui émanent d’autres sources.

6)  La règle de l’engagement implicite ne donne pas lieu à des sanctions claires et immédiates en cas de non-conformité

[60]  Cette thèse est inexacte en droit, comme il a été confirmé dans l’arrêt Juman c Doucette, au paragraphe 29. De plus, elle donne à penser qu’un manquement à une ordonnance conservatoire ne donne pas lieu à une sanction plus claire ou plus immédiate qu’un manquement à l’engagement implicite. Je ne relève aucune justification de cette thèse dans le texte de l’ordonnance conservatoire proposée, dans la jurisprudence ou en droit.

7)  La règle de l’engagement implicite ne restreint pas le nombre ou le genre de personnes qui peuvent recevoir des éléments de preuve obtenus au stade de la communication préalable, à condition que ce soit aux fins de l’instance.

[61]  Pfizer soutient que la règle de l’engagement implicite autorise les parties à communiquer des renseignements confidentiels à [traduction« un nombre potentiellement illimité d’employés, de mandataires et de tiers, à condition que ce soit aux fins de l’action ». Cela, soutient-elle, peut faire en sorte qu’il est très difficile de savoir qui est responsable de violations ultérieures, de rectifier un préjudice quelconque ou d’imposer les sanctions qui conviennent.

[62]  Là encore, cet argument fait abstraction du fait que les parties qui jugent important d’imposer des limites au nombre ou aux catégories de personnes qui peuvent avoir accès à des renseignements désignés sont libres de le faire en recourant à des engagements supplémentaires consignés dans une entente qu’elles concluent entre elles.

[63]  Quoi qu’il en soit, laisser entendre qu’un nombre « potentiellement illimité » de personnes pourraient avoir besoin de recevoir des renseignements fournis au stade de la communication préalable aux fins de l’action revient, selon moi, à dénaturer l’utilisation appropriée de ces renseignements. Ainsi qu’il a été mentionné dans la décision Live Face on Web : « [u]ne partie qui divulgue à l’interne des renseignements sans distinction et sans fin visible liée au litige n’utilise pas à bon escient les renseignements obtenus au cours de la communication préalable » (par. 29). De plus, le spectre des « violations ultérieures » et de la difficulté à déterminer qui en est responsable, la manière de rectifier le préjudice et les sanctions à imposer sont des questions purement hypothétiques. Je ne suis pas convaincue qu’il est nécessaire de rendre une ordonnance conservatoire en l’espèce pour répondre à cette préoccupation.

III.  Conclusion

[64]  Depuis sa première reconnaissance timide au Canada, au début des années 1980 et 1990, la règle de l’engagement implicite a évolué au fil des ans, et jusqu’à l’arrêt Juman c Doucette que la Cour suprême a rendu en 2008, au point de devenir un code jurisprudentiel clairement reconnu, bien établi et exhaustif qui limite la manière dont on peut utiliser les renseignements que l’on obtient au stade de la communication préalable.

[65]  On ne m’a pas convaincue que ces limites ne permettent pas de protéger de manière suffisante et efficace le droit à la protection des renseignements personnels des parties et même leur besoin de protéger la confidentialité de renseignements commerciaux, techniques ou scientifiques particulièrement sensibles.

[66]  Je remercie l’avocat de Pfizer pour les observations réfléchies et utiles qu’il a présentées de vive voix dans le cadre de la présente requête. Ces observations ont mis en lumière les secteurs particuliers dans lesquels les praticiens du domaine de la propriété intellectuelle avaient peut-être des préoccupations au sujet de la portée et de la certitude de l’application de la règle de l’engagement implicite. J’ai examiné avec soin ces préoccupations et je suis arrivée à la conclusion qu’elles découlent autant d’une mauvaise compréhension de la portée et de l’effet véritables de cette règle que de conceptions erronées quant à l’avantage perçu des ordonnances conservatoires.

[67]  Ces conceptions erronées tirent peut-être leur origine du climat d’incertitude entourant l’application et la portée de l’engagement implicite qui existait dans les années 1980 et 1990, époque où a vu le jour la pratique qui consistait à rendre des ordonnances de protection ou de confidentialité inspirées de précédents aux États-Unis. Cependant, les circonstances qui faisaient en sorte qu’il était utile ou nécessaire de rendre systématiquement des ordonnances conservatoires n’existent plus, et les règles de droit concernant la délivrance des éléments de ces ordonnances hybrides qui avaient trait à la confidentialité ont radicalement changé. Le fait que les parties continuent de préférer les ordonnances de « type américain » et les conceptions erronées qui éclairent la perception qu’elles ont de la nécessité de ces ordonnances peuvent être influencés par la connaissance et l’habitude comparativement meilleures des parties à l’égard des pratiques et des procédures qui ont cours dans les instances engagées aux États-Unis, où le concept de l’engagement implicite n’existe pas et où, de ce fait, on rend systématiquement des ordonnances conservatoires au sujet de renseignements particulièrement sensibles.

[68]  Cela est troublant, car le défaut des parties de comprendre la distinction qu’il y a entre les façons de faire au Canada et aux États-Unis ainsi que la nature et la portée véritables de l’engagement implicite peut les amener à ne pas comprendre et respecter les obligations auxquelles elles sont tenues envers la Cour dans le cadre de l’engagement implicite. Plus particulièrement, les parties ne se rendent peut-être pas compte que ces obligations visent tous les renseignements fournis au stade de la communication préalable, en plus de ceux qui sont expressément désignés comme confidentiels en vertu d’une ordonnance ou d’une entente préventive. Une compréhension incomplète des différences entre les pratiques qui ont cours dans les instances canadiennes et américaines aide peut-être aussi à expliquer que les avocats ne saisissent pas la différence entre une ordonnance conservatoire et une ordonnance de confidentialité, de même que les abus des ordonnances conservatoires qui en découlent, comme il a été signalé dans la décision Live Face on Web (au par. 8).

[69]  La solution à ces préoccupations n’est pas que la Cour continue simplement de suivre l’ancienne pratique consistant à rendre des ordonnances conservatoires sur demande et sur consentement. Cela ne ferait que perpétuer le problème. La solution est que les avocats prennent le temps, comme ils devraient le faire de toute façon, de faire part à leurs clients de l’existence de la règle de l’engagement implicite, de son application à tout renseignement, même banal, obtenu au stade de la communication préalable, des restrictions imposées à l’utilisation de ces renseignements ainsi que des sanctions auxquelles ils s’exposent en cas de manquement aux restrictions, même à défaut d’une ordonnance ou d’une entente officielle. Il sera alors, espère‑t‑on, plus facile pour les avocats et les parties d’examiner quelles mesures supplémentaires, s’il y en a, pourraient se révéler nécessaires, si ces mesures devraient s’appliquer à l’ensemble des renseignements fournis au stade de la communication préalable ou uniquement à certains renseignements désignés, et s’il serait possible de les appliquer d’un commun accord, sans avoir à obtenir une ordonnance officielle. Il est à espérer que les présents motifs seront utiles à cet égard.

[70]  Je résume donc mes conclusions comme suit.

[71]  Il y a lieu de faire preuve de prudence en invoquant des affaires qui ont été tranchées avant l’arrêt Sierra Club de la Cour suprême, parce que ces affaires avaient tendance à confondre les ordonnances de confidentialité et les ordonnances conservatoires et que les exigences qui s’appliquaient à la délivrance d’ordonnances de confidentialité ont nettement changé après l’introduction de l’article 151 des Règles des Cours fédérales et l’arrêt Sierra Club de la Cour suprême.

[72]  La Cour a le pouvoir discrétionnaire de rendre des ordonnances qui comportent des mesures explicites visant à protéger la confidentialité des renseignements fournis au stade de la communication préalable.

[73]  Cependant, le poids de la jurisprudence indique que la Cour, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, devrait prendre en compte la mesure dans laquelle la protection qu’accorde l’engagement implicite suffit pour protéger le droit des parties à la confidentialité et à la protection de leurs renseignements personnels contre tout risque raisonnablement prévisible dans les circonstances de l’espèce.

[74]  À moins que l’on démontre la nécessité de rendre une ordonnance explicite ou qu’il existe d’autres circonstances inusitées, il est peu souhaitable de rendre une ordonnance conservatoire car celle-ci tend à déprécier l’engagement implicite, risque de mener à une utilisation abusive ou à une mauvaise compréhension des obligations auxquelles les parties sont assujetties en vertu de l’engagement implicite, et utilise inutilement le temps et les ressources de la Cour.

[75]  Si les parties sont d’avis que les circonstances requièrent d’autres mesures conservatoires, ou si elles préfèrent que la portée ou le mode d’application de l’engagement soit exprimé par écrit, il est effectivement possible d’intégrer dans une entente privée des conditions légitimes sur lesquelles les parties s’entendent. De telles ententes sont susceptibles d’exécution par la Cour, de la même manière et dans la même mesure que l’engagement implicite, sans qu’il soit nécessaire que la Cour les ait reconnues au préalable ou qu’elles aient été intégrées dans une ordonnance explicite.

[76]  L’application de ces principes aux circonstances de l’espèce ne me convainc pas qu’il est nécessaire de rendre une ordonnance conservatoire, et j’ai refusé de faire droit à la requête de Pfizer et de rendre l’ordonnance conservatoire dont les parties avaient convenu.

« Mireille Tabib »

Protonotaire

Ottawa (Ontario)

Le 24 avril 2018


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER 

T-608-17

 

INTITULÉ 

SEEDLINGS LIFE SCIENCE, VENTURES, LLC c PFIZER CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 mars 2018

 

MOTIFS DE L’ordonnance :

LA protonotaire MIREILLE tABIB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Will Boyer

 

pour la demanderesse

 

Jason Markwell

 

pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

BELMORE NEIDRAUER s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

 

 

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