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Date : 20180420


Dossier : IMM-4421-17

Référence : 2018 CF 426

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 20 avril 2018

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

SALLY SABAH MARROGI

MARTIN KARIM

RIVEL KARIM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Rendus oralement à l’audience le 18 avril 2018)

[1]  Les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire d’une décision [la décision] de la Section de la protection des réfugiés [SPR], dans laquelle elle a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes ayant besoin de protection, parce que leur identité n’avait pu être établie. La décision est datée du 28 septembre 2017. La présente demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR].

I.  Résumé des faits

[2]  La demanderesse, une veuve âgée de 47 ans, et ses deux fils, âgés de 15 et 13 ans [les demandeurs mineurs], sont citoyens de l’Iraq. Ils sont entrés au Canada le 7 juillet 2012 et ont présenté une demande d’asile. Ils craignent d’être persécutés en Iraq en raison de leur foi chrétienne. En avril 2007, la demanderesse, son mari et leurs enfants ont reçu des menaces de groupes musulmans en Iraq; on leur a dit de quitter leur maison et de se convertir à la foi musulmane. Plus tard durant le même mois, trois hommes masqués s’en sont pris physiquement aux membres de la famille dans leur maison et ont ordonné au mari de la demanderesse de fermer son magasin, où il vendait des boissons alcoolisées. Le 5 mai 2007, trois hommes masqués sont de nouveau venus à leur domicile et ont enlevé le mari de la demanderesse. Ils ont également menacé de violer et de tuer la demanderesse. La mère de la demanderesse était présente. La demanderesse et les demandeurs mineurs sont partis pour le nord de l’Iraq afin de demeurer chez des parents. Ils ont par la suite entendu dire que le mari de la demanderesse avait été tué.

[3]  Le 2 juin 2007, la demanderesse, les demandeurs mineurs et la mère de la demanderesse sont arrivés en Turquie avec l’aide d’un passeur. La mère de la demanderesse a quitté la Turquie le 25 janvier 2008 et n’a plus eu de contacts avec les demandeurs durant les quatre années et demie suivantes. Le 10 mai 2010, elle a été admise comme réfugiée au Canada, sans audience. Les demandeurs sont demeurés en Turquie, sans statut, jusqu’à ce qu’ils partent pour le Canada en 2012.

II.  Décision

[4]  La question déterminante dont était saisie la SPR concernait l’identité des demandeurs. La SPR a conclu qu’ils n’avaient pas prouvé leur identité personnelle ni leur nationalité, conformément à l’article 106 de la LIPR. L’article 106 est libellé comme suit :

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106 The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

[5]  Les demandeurs ont fourni les documents suivants pour établir leur identité :

  1. des cartes nationales d’identité iraquienne datant de 2008 [les cartes d’identité de 2008], lesquelles comportaient une photographie recouverte d’éléments holographes;

  2. des certificats de naissance et de baptême délivrés par leur église en Iraq [les certificats de naissance];

  3. des documents d’identité déposés avec la demande d’asile de la mère de la demanderesse, son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et une pièce d’identité de réfugié portant le numéro IMM-5500.

III.  Les cartes d’identité

[6]  Quand elle a quitté l’Iraq en 2007, les cartes d’identité des demandeurs pour 2007 étaient valides. Elles n’avaient pas encore été renouvelées pour 2008. Ma lecture de la transcription montre que le témoignage de la demanderesse était douteux et incohérent concernant l’emplacement des cartes d’identité de 2007 quand elle a quitté l’Iraq. La demanderesse a d’abord témoigné qu’elles étaient en sa possession. Puis elle a corrigé son témoignage et affirmé qu’elles étaient en la possession son beau-père dans le nord. Finalement, elle a dit qu’elles étaient au bureau de renouvellement à Basra parce qu’elles avaient été retournées au moment de présenter une demande pour les cartes d’identité de 2008.

[7]  Le témoignage de la demanderesse était également incohérent en ce qui concerne la façon dont elle est entrée en possession des cartes d’identité de 2008. Elle a d’abord affirmé que sa propriétaire en Turquie s’est déplacée en Iraq et les a récupérées auprès de la tante de sa mère à son domicile de Telkif. Elle a plus tard affirmé que son beau-père les a récupérées en novembre 2008 et même si elle ne l’a pas dit comme tel, il les aurait amenées à Ankara en Turquie, où il vivait à l’époque, et où elle les a récupérées.

[8]  La SPR a compris le témoignage quelque peu différemment, mais rien ne découle de cet écart. Ce qui est clair, c’est que le témoignage était confus et incohérent. Par conséquent, même s’il n’y avait apparemment aucun problème avec les cartes d’identité de 2008, la SPR a conclu qu’il était [traduction] « fort probable que la demanderesse ne peut pas dire au tribunal comment les documents ont été obtenus, parce qu’ils n’ont pas été obtenus de manière habituelle ou légale et ne sont pas fiables ». Autrement dit, les cartes d’identité de 2008 ont été jugées frauduleuses parce que la demanderesse ne pouvait pas expliquer comment elles les avaient obtenues.

IV.  Les certificats de naissance

[9]  La demanderesse a fourni à la SPR des certificats de naissance pour elle-même et les demandeurs mineurs. La SPR a indiqué que ces documents ne sont pas fiables en soi parce qu’ils ne comportent aucune caractéristique de sécurité, n’ont pas été délivrés par une autorité gouvernementale, et n’incluent pas de photographies. La SPR a conclu que les certificats de naissance des demandeurs mineurs étaient frauduleux parce qu’ils ne comportaient pas de numéro de registre et portaient des signatures identiques.

[10]  La demanderesse a également fourni son propre certificat de naissance. Il est signé par le même prêtre qui a signé les certificats des demandeurs mineurs; toutefois, la signature est différente. Son certificat contient le numéro de registre qui ne figurait pas sur les certificats des demandeurs mineurs. Concernant ce document, la SPR a conclu ce qui suit :

[traduction] Toutefois, ce formulaire souffre du même manque inhérent de fiabilité noté, et comme la demanderesse a fourni exactement le même document pour les deux demandeurs mineurs, lequel est vraisemblablement frauduleux selon le tribunal, il s’ensuit que le tribunal ne peut se fier au document miroir fourni par la demanderesse principale.

V.  Les documents de la mère

[11]  La SPR a examiné les documents d’identité présentés avec la demande d’asile de la mère de la demanderesse : une carte d’identité iraquienne et un certificat de naissance/baptême. La SPR a souligné que ces documents n’établissent pas l’identité des demandeurs et ne fournissent aucun élément de preuve fiable permettant d’établir leur relation familiale. La SPR a conclu que ces documents étaient insuffisants pour établir l’identité des demandeurs.

[12]  Toutefois, la SPR disposait également du FRP de la mère de la demanderesse datant de 2008, sur lequel la demanderesse était nommée comme sa fille et était une citoyenne de l’Iraq vivant en Turquie. La décision de la SPR ne mentionnait pas que ce document établit que la demanderesse est citoyenne de l’Iraq et ne faisait pas référence à la pièce d’identité de réfugié portant le numéro IMM-5500, qui décrit également la demanderesse comme étant citoyenne iraquienne.

VI.  Absence de preuve de résidence en Turquie

[13]  Les demandeurs ont affirmé avoir vécu en Turquie entre 2007 et 2012, mais n’ont fourni aucun élément de preuve documentaire pour corroborer cette affirmation. La demanderesse a témoigné que les membres de la famille ne s’étaient pas inscrits comme réfugiés en Turquie auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU). La demanderesse a expliqué qu’elle avait peur de s’inscrire, parce qu’elle était entrée au pays illégalement. La SPR a souligné qu’il n’y avait aucun élément de preuve pour appuyer son affirmation selon laquelle elle aurait pu être déportée de Turquie si elle s’était inscrite auprès de l’ONU. La SPR a également rejeté ses explications concernant les raisons pour lesquelles les demandeurs n’avaient pas de preuve de leur séjour en Turquie. La SPR a jugé qu’il était illogique que la demanderesse n’ait pas de documents, étant donné qu’elle avait une propriétaire, qu’elle a interagi avec deux Canadiens en Turquie, et qu’elle a élevé deux jeunes enfants. En raison de l’absence d’éléments de preuve concernant leur séjour en Turquie, la SPR a conclu que [traduction] « la demanderesse est manifestement peu loquace sur ses déplacements; le tribunal se serait attendu à ce que quelqu’un ayant vécu dans un pays avec deux enfants pendant de nombreuses années ait en sa possession des documents attestant de leurs conditions de vie ».

[14]  La SPR a reconnu que la mère de la demanderesse avait affirmé dans son FRP que les demandeurs étaient en Turquie en 2008, mais la SPR a estimé que cet élément de preuve n’était pas suffisant pour compenser l’absence complète d’éléments de preuve montrant que les demandeurs avaient vécu en Turquie pendant 5 ans.

[15]  Enfin, la demanderesse a témoigné qu’un passeur avait organisé l’ensemble de leur voyage et avait accompagné les demandeurs jusqu’au Canada. La demanderesse a été incapable d’indiquer quels documents de voyage avaient été utilisés, ce qui avait été dit aux autorités, ou par quels pays elle avait transité avant d’arriver au Canada. La demanderesse a témoigné que lorsqu’elle est arrivée aux États-Unis, elle croyait être au Canada. La SPR a conclu qu’elle [traduction] « cherchait délibérément à cacher le trajet emprunté pour arriver aux États-Unis, afin de cacher sa réelle identité et celle de ses enfants ».

VII.  Questions en litige

  1. La SPR a-t-elle fait une évaluation adéquate du certificat de naissance de la demanderesse?

  2. La SPR a-t-elle de manière déraisonnable omis de s’appuyer sur le FRP de la mère de la demanderesse et sur la pièce d’identité de réfugié, qui indiquent que la demanderesse est citoyenne de l’Iraq?

VIII.  Analyse

[16]  À mon avis, ces questions doivent être examinées dans leur contexte. Ce contexte inclut les éléments suivants :

  1. La demanderesse n’a pas pu établir qu’elle avait vécu en Turquie durant cinq années.

  2. La demanderesse n’a pas pu raconter son voyage vers le Canada.

  3. La demanderesse a fourni des certificats de naissance frauduleux pour les demandeurs mineurs.

  4. La demanderesse n’a pas pu raconter comment elle avait obtenu les cartes d’identité de 2008.

  5. La demanderesse n’a pas pu dire où se trouvaient les cartes d’identité de 2007 quand elle a quitté l’Iraq.

  6. Le FRP de la mère de la demanderesse et les pièces d’identité de réfugié n’ont jamais été vérifiés.

  7. Le certificat de naissance de la demanderesse n’est pas un document fiable en soi.

IX.  Conclusion

[17]  À mon avis, il était raisonnable dans ce contexte que la SPR rejette le certificat de naissance de la demanderesse et il était également raisonnable que la SPR ne mentionne pas la déclaration de la mère de la demanderesse sur son FRP et la pièce d’identité de réfugié, où il est indiqué que la demanderesse détient la citoyenneté iraquienne.

X.  Question à certifier

[18]  Aucune question n’a été posée aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT : La demande est rejetée et l’intitulé de la cause est modifié sur consentement afin de nommer le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme unique défendeur.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4421-17

 

INTITULÉ :

SALLY SABAH MARROGI, MARTIN KARIM, RIVEL KARIM c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 avril 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

Le 20 avril 2018

COMPARUTIONS :

John Rokakis

Pour les demandeurs

Sally Thomas

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Rokakis

Avocat

Windsor (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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