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Date : 20180424


Dossier : T-1465-17

Référence : 2018 CF 440

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

DIEU DONNE DAMEAUX HACK-POLAY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire est déposée par Dieu Donne Dameaux Hack‑Polay en lien avec une décision de considérer sa demande de citoyenneté canadienne comme étant abandonnée. Le fondement factuel de la décision contestée était lié au défaut de M. Hack-Polay de se présenter à deux reprises à un rendez-vous prévu afin de passer un examen de citoyenneté.

[2]  M. Hack-Polay prétend que le décideur – un agent de citoyenneté à Fredericton – a commis deux erreurs susceptibles de révision en rejetant sa demande de citoyenneté. Il maintient que la décision est juridiquement indéfendable parce qu’elle n’indiquait pas avec certitude que sa demande de citoyenneté avait été jugée abandonnée. Le décideur a plutôt utilisé le futur et uniquement affirmé que sa [traduction] « demande sera traitée comme abandonnée » [non souligné dans l’original] sans lui accorder la possibilité d’expliquer son défaut de se présenter à l’examen.

[3]  M. Hack-Polay allègue également que la décision a été rendue de manière injuste et déraisonnable parce qu’on a écarté [traduction] « des faits d’une importance fondamentale » et, en particulier, omis de tenir compte de ses efforts pour demeurer en contact avec Citoyenneté et Immigration Canada [CIC]. Cet argument est présenté dans son mémoire en réponse de la façon suivante :

[traduction]

Le dossier du ministre repose entièrement sur une seule allégation (selon laquelle j’ai omis de me présenter à un examen de citoyenneté sans fournir de raison). Cette allégation est rejetée avec véhémence par moi, le demandeur. Les éléments de preuve fournis par le défendeur et par moi-même appuient le fait que j’ai fourni tous les renseignements pertinents et communiqué avec CIC à de nombreuses occasions pour demander une date d’examen différente, demande à laquelle CIC n’a pas répondu.

[4]  Il n’y a pas de fondement juridique aux critiques de M. Hack-Polay concernant le langage utilisé dans la lettre de décision. Bien que la lettre soit rédigée au futur, aucune personne raisonnable ne saurait ne pas en comprendre la portée.

[5]  Lorsqu’elle est lue dans son plein contexte, la décision est sans ambiguïté. L’énoncé selon lequel la demande [traduction] « sera traitée comme abandonnée » est explicité par la phrase suivante : [traduction] « Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) n’a reçu aucune réponse de votre part; par conséquent, un fonctionnaire de la citoyenneté a déclaré que vous n’avez pas fourni d’explication raisonnable et votre demande sera traitée comme abandonnée ».

[6]  La lettre confirme également qu’aucune autre mesure ne serait prise relativement à la demande, que les droits seraient remboursés, et que les demandes des enfants [traduction« ont été rejetées ». Compte tenu de ces déclarations, M. Hack-Polay ne saurait raisonnablement prétendre n’avoir pas bien compris la finalité de la décision. En fait, lorsqu’il a plus tard écrit à CIC pour demander que l’affaire soit réexaminée, il a reconnu que sa demande avait été [traduction] « jugée abandonnée ».

[7]  L’argument de M. Hack-Polay semble également reposer sur l’idée qu’il a été trompé, d’une certaine manière, et par conséquent lésé, par le manque de clarté de la lettre de décision. Son argument tient essentiellement au fait que la lettre de décision a créé une attente raisonnable selon laquelle la décision n’était pas définitive et pouvait, par conséquent, être réexaminée. Le problème fondamental de cet argument est que M. Hack-Polay a omis d’indiquer quel préjudice découlait d’une telle attente. En fait, il a demandé le réexamen de la décision et cette demande a été, elle aussi, rejetée.

[8]  Les préoccupations de M. Hack-Polay quant aux termes employés dans la décision semblent cadrer avec la mise en garde suivante donnée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lesanu v Canada, [1993] FCJ no 962 (FCA), ACWS (3d) 305 :

[traduction

2   La Cour a répété à maintes occasions que les motifs donnés par la Section du statut pour appuyer sa conclusion dans une affaire en particulier ne devraient pas être examinés à la loupe ni simplement soumis à une analyse rigoureuse. Des gaucheries de langage ou d’expression sont souvent compréhensibles, et elles doivent rester sans conséquence, pourvu qu’à la lecture d’ensemble de la décision, on puisse voir que les membres du tribunal ne se sont pas fourvoyés sur leur rôle ou sur la façon de le remplir. C’est cette réserve qui, à notre avis, doit être appliquée en l’espèce.

[9]  Je ne suis pas convaincu que le langage de la lettre de décision était ambigu ou trompeur. Et même si c’était le cas, M. Hack-Polay n’a subi aucun préjudice en conséquence.

[10]  M. Hack-Polay prétend également que le décideur a agi de manière injuste et déraisonnable en déclarant sa demande de citoyenneté abandonnée, compte tenu de ses nombreuses demandes de renseignements subséquentes auprès de CIC. Il affirme que son défaut de se présenter à son deuxième rendez-vous pour l’examen prévu aurait dû être évalué dans le contexte de toutes ses tentatives de communiquer avec le ministère. Ces nombreuses demandes de renseignements reconnues exigeaient, dit-il, des réponses raisonnables – réponses qu’il prétend n’avoir jamais reçues. Pour comprendre cet argument, il est nécessaire de prendre en considération ce qui a mené au prononcé de la décision d’abandon.

[11]  M. Hack-Polay est entré au Canada comme résident permanent le 10 août 2010. Le 3 septembre 2016, il a présenté une demande de citoyenneté canadienne et le 4 novembre 2016, on lui a fait parvenir un « avis de convocation ». Cet avis lui indiquait de se présenter au bureau de CIC à Fredericton le 23 novembre 2016 pour passer un examen de citoyenneté. Il a également été informé que s’il ne se présentait pas à l’examen ou s’il ne communiquait pas avec CIC dans les 30 jours suivant la date du rendez-vous, il recevrait un dernier avis de convocation, et que sa demande pourrait être considérée comme abandonnée. On a conseillé à M. Hack-Polay d’écrire à CIC en cas d’impossibilité de se présenter.

[12]  M. Hack-Polay a omis de se présenter au rendez-vous pour l’examen prévu le 23 novembre 2016. Ce n’est que le 17 février 2016 qu’il a communiqué avec CIC pour demander une nouvelle date d’examen. Pour expliquer pourquoi il ne s’était pas présenté au rendez-vous, il a dit qu’il était [traduction] « absent pour des raisons professionnelles ».

[13]  Le 18 mai 2017, un dernier avis de convocation à un rendez-vous pour un examen a été envoyé à M. Hack-Polay le 8 juin 2017. L’avis contenait la mise en garde suivante :

[traduction]

Nos dossiers indiquent que nous vous avons précédemment invité à passer un examen de citoyenneté portant sur votre connaissance du Canada et des droits et responsabilités liés à la citoyenneté auquel vous ne vous êtes pas présenté, ou nos dossiers indiquent que vous n’avez pas communiqué avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) pour expliquer pourquoi vous ne vous êtes pas présenté pour passer votre examen de citoyenneté, conformément à ce qui vous avait été demandé dans l’invitation précédente. Ceci est un avis final comportant une nouvelle date et une nouvelle heure auxquelles vous présenter pour passer un examen.

Tous les demandeurs qui avaient entre 14 et 64 ans au moment de signer leur demande doivent démontrer une connaissance suffisante du Canada et une connaissance de l’anglais ou du français.

Si vous ne pouvez pas vous présenter à cet examen, ou si les renseignements qui précèdent concernant votre dossier sont inexacts, veuillez communiquer avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) dans les trente (30) jours suivant la date de ce rendez-vous. Nos coordonnées apparaissent au bas de la présente lettre. Il est important de savoir que la Loi sur la citoyenneté contient des dispositions en vertu desquelles votre demande est considérée comme abandonnée si vous ne communiquez pas avec IRCC pour fournir une explication raisonnable justifiant votre absence à l’examen. Ces dispositions sont expliquées plus en détail au bas du présent avis. Il est par conséquent très important de communiquer avec le Ministère si vous ne pouvez pas vous présenter.

[…]

REMARQUE IMPORTANTE :

En vertu du sous-alinéa 13.2(1 )a)(ii) de la Loi sur la citoyenneté, vous devez, si vous ne vous présentez pas à votre examen à la date, à l’heure et à l’endroit prévus, communiquer avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) dans les trente (30) jours à compter de la date de votre rendez-vous et fournir une explication raisonnable justifiant votre absence à l’examen. Vous pouvez communiquer avec IRCC par écrit à l’adresse apparaissant au bas du présent avis. Si vous ne communiquez pas avec IRCC, ou si votre raison n’est pas valable, votre demande sera déclarée abandonnée, et votre dossier sera fermé, sans qu’aucune autre mesure ne soit prise à l’égard de votre cas. Les droits de 100 $ exigés pour la citoyenneté vous seront remboursés. Une fois votre dossier fermé, si vous êtes toujours désireux de devenir citoyen canadien, vous devrez présenter une nouvelle demande avec de nouveaux documents et verser de nouveaux droits.

[14]  Une fois encore, M. Hack-Polay a omis de se présenter au rendez-vous pour l’examen prévu et de fournir une explication pour son absence dans le délai stipulé de 30 jours. Le 24 juillet 2017, il a été informé par écrit que sa demande de citoyenneté [traduction] « sera traitée comme abandonnée ».

[15]  Un mois plus tard, M. Hack-Polay a écrit à CIC pour demander un réexamen de sa décision d’abandon. Cette requête se fondait sur ses communications antérieures avec CIC, qui, a-t-il dit, indiquaient qu’il avait toujours l’intention de poursuivre sa demande de citoyenneté. Il a également souligné ses fréquentes absences pour se rendre à l’étranger pour le travail qui, a-t-il dit, [traduction] « avaient coïncidé avec la date initiale d’examen fixée ». Aucune explication n’a été fournie relativement à son absence à l’examen à la suite du dernier avis de convocation. Sa demande de réexamen a été rejetée le 14 septembre 2017.

[16]  Malgré les nombreux efforts de M. Hack-Polay pour communiquer avec CIC, le problème qui subsiste le concernant est qu’il n’a pas communiqué avec le ministère après avoir reçu un dernier avis de convocation le 18 mai 2017. Cet avis l’informait qu’il devait se présenter pour passer un examen le 8 juin 2017 et que s’il ne se présentait pas ou s’il ne fournissait pas une explication raisonnable pour son absence, sa demande de citoyenneté serait déclarée abandonnée. Comme M. Hack-Polay ne s’est pas présenté à l’examen prévu et n’a pas communiqué avec CIC pour fournir une explication, une décision d’abandon a été prononcée le 24 juillet 2017.

[17]  Ce n’est que le 24 août 2017 que M. Hack-Polay a écrit à CIC pour demander une réouverture de sa demande. Dans sa lettre, il faisait référence à ses nombreux efforts pour communiquer avec le ministère par téléphone et par le Web; il a notamment demandé une nouvelle date d’examen après ne pas avoir été en mesure de se présenter au premier rendez-vous pour l’examen prévu. Il affirmait aussi dans sa lettre, à tort, qu’il n’avait [traduction] « reçu aucune communication de CIC lui indiquant une autre date d’examen de citoyenneté ». En fait, on lui a bien indiqué une autre date d’examen, et donné une mise en garde claire sur les conséquences d’un défaut de se présenter à l’examen. M. Hack-Polay ne mentionne nulle part dans sa lettre du 24 août 2017 que son défaut de répondre au dernier avis de convocation s’expliquait par un conflit de déplacement – bien que ce soit la raison qu’il ait donnée pour justifier son défaut de se présenter au premier rendez-vous.

[18]  M. Hack-Polay a affirmé dans sa plaidoirie qu’il n’avait pas vu le dernier avis de convocation avant que son rendez-vous du 8 juin 2017 ne soit passé. Toutefois, je n’ai aucun élément de preuve prouvant ce fait et les éléments de preuve dont je dispose indiquent le contraire. Si M. Hack-Polay n’a eu que tardivement connaissance du dernier avis de convocation, on s’attendrait à ce qu’il le dise à la première occasion. Il a plutôt informé la CIC qu’on ne lui avait jamais proposé d’autre date d’examen. Même ses observations écrites présentées à la Cour n’indiquent pas avec certitude qu’il n’a pas vu le dernier avis de convocation avant le 8 juin 2017.

[19]  En l’absence d’un témoignage sous serment et d’une confirmation que M. Hack-Polay était hors du Canada et n’a pas vu le dernier avis de convocation avant la date d’examen prévue, je ne dispose d’aucun fondement factuel pour retenir son explication comme étant valable et fondée. Même si M. Hack-Polay était à l’extérieur du Canada et n’a pu prendre connaissance du dernier avis de convocation, les conséquences juridiques de ce manquement ne sont plus du ressort de CIC. Lorsqu’une partie à une affaire aussi importante omet de prendre les dispositions nécessaires pour examiner ou acheminer la correspondance prévue, le destinataire doit en assumer les conséquences et non l’expéditeur.

[20]  Malgré la complexité de l’argumentation de M. Hack-Polay, il s’agit d’une question très simple. Elle se résume à son défaut de répondre en temps opportun au dernier avis de convocation de CIC. Il a simplement omis de se présenter à l’examen, tel que cela avait été demandé, puis a ensuite négligé de fournir une explication avant que sa demande ne soit déclarée abandonnée.

[21]  Il ne fait pas de doute que M. Hack-Polay était en contact avec CIC de temps en temps, notamment quand il a fourni une explication après le fait pour justifier son défaut de se présenter au premier rendez-vous pour l’examen prévu. Sa demande à ce moment-là pour obtenir une nouvelle date d’examen a été reçue favorablement et on lui a donné un deuxième rendez-vous pour l’examen, soit le 8 juin 2017. Il importe peu qu’on ne lui ait pas offert divers choix de date, parce qu’il lui a été clairement communiqué qu’il pouvait s’opposer par écrit si la seconde date présentée ne lui convenait pas. Quoi qu’il en soit, il ne s’est ni opposé ni présenté à l’examen, et n’a pas offert d’explication plausible et fondée pour ces manquements.

[22]  La responsabilité de ce qui s’est passé en l’espèce incombe uniquement à M. Hack-Polay. Compte tenu des mises en garde claires qui lui ont été données, il n’était pas injuste ou déraisonnable que CIC traite sa demande comme abandonnée, vu son défaut de se présenter à l’examen ou de fournir une explication en temps opportun justifiant son absence, conformément à ce qu’indiquait le dernier avis de convocation.

[23]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[24]  J’ajouterais que j’ai beaucoup de sympathie pour M. Hack-Polay. Il semble avoir fait une contribution importante à la communauté et à l’économie locale. Malheureusement, son niveau d’études impressionnant ne lui a pas permis d’obtenir un emploi convenable au Canada. Par conséquent, il a été forcé d’aller travailler à l’étranger pour subvenir aux besoins de sa famille au Nouveau-Brunswick. Il semble être pleinement décidé à obtenir sa citoyenneté canadienne et on ne peut qu’espérer qu’il trouve un emploi convenable dans sa région pour satisfaire aux exigences de résidence qui suivront.

[25]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune question grave de portée générale n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1465-17

LA COUR rejette la présente demande.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1465-17

 

INTITULÉ :

DIEU DONNE DAMEAUX HACK-POLAY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 mars 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Dieu Donne Hack-Polay

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Heidi Collicutt

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S.O.

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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