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Date : 20180508


Dossier : T-307-17

Référence : 2018 CF 487

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2018

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

demanderesse

et

MANINDERPAL RANDHAWA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’un arbitre confirmant le bien-fondé de la plainte pour congédiement injuste déposée par Maninderpal Randhawa contre la Banque de Nouvelle-Écosse, en vertu de la partie III du Code canadien du travail [le Code]. L’arbitre a ordonné que la défenderesse soit réintégrée à un autre poste dans l’une des succursales de la demanderesse, suivant une suspension disciplinaire sans solde d’une semaine; il a aussi condamné la demanderesse à payer les frais judiciaires de l’employée sur une base d’indemnisation substantielle.

[2]  L’arbitre a estimé que même si la demanderesse avait des raisons d’imposer des mesures disciplinaires à la défenderesse, rien ne justifiait un licenciement immédiat sans préavis, et que ses actions étaient entachées d’un élément de représailles pour sa participation aux plaintes internes de dénonciation déposées contre la directrice de la succursale. La demanderesse affirme que la décision de l’arbitre était déraisonnable, et qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale en ce qui a trait aux mesures de réparation accordées.

I.  Résumé des faits

[3]  La défenderesse a occupé un emploi de représentante du service à la clientèle (« RSC », ou autrefois « caissière ») de 2003 à 2011, année où elle a été promue au poste de superviseure du service à la clientèle. À titre de superviseure, la défenderesse devait veiller à ce que les RSC travaillant dans son secteur respectent les politiques et procédures de la demanderesse. Elle n’avait pas d’antécédents en matière d’infractions disciplinaires, et ses évaluations de rendement au fil des ans indiquaient qu’elle était une employée [traduction] « de qualité », ce qui constitue une cote généralement positive.

[4]  En juillet 2014, alors que la défenderesse était en congé de maladie, la Banque a effectué une vérification périodique du risque opérationnel à la succursale où travaillait la défenderesse. La vérification a permis de relever un certain nombre de lacunes, y compris dans les secteurs relevant de la défenderesse, notamment en ce qui a trait au respect des limites quant aux montants d’argent dans les tiroirs-caisses des RSC, au respect des procédures adéquates pour l’enregistrement des transactions, et au respect des règles de sécurité lorsque de l’argent est déplacé ou compté dans la succursale. Le rapport de vérification a été transmis à la direction de la succursale, accompagné d’un plan d’action exigeant que des mesures de correction soient prises et chargeant les directeurs et directrices de continuer à veiller à ce que les employés se conforment aux politiques. La directrice de la succursale devait fournir un rapport d’étape dans un délai de 60 jours.

[5]  La défenderesse est retournée au travail au début d’août 2014. Au premier jour de son retour, elle a rencontré sa superviseure immédiate de même que la directrice de la succursale afin de passer en revue les conclusions de la vérification et le plan d’action mis en œuvre. Les détails des événements cruciaux ayant mené au congédiement sont examinés plus en détail ci-dessous. En résumé, l’arbitre a conclu que le suivi lié à la vérification et effectué par les directrices au cours des semaines suivantes avait permis de relever un certain nombre de fautes commises par la défenderesse, et qu’elle avait en outre tendance à nier ces erreurs, jusqu’à ce qu’on lui soumette des éléments de preuve. Durant la même période, une série de plaintes ont été faites sur la ligne de dénonciation interne, alléguant que la directrice de la succursale contrevenait aux politiques de la banque, et la défenderesse a participé à au moins quelques-unes de ces plaintes.

[6]  L’arbitre a estimé que les directrices de la succursale avaient été mises au courant de ces plaintes, et avaient rapidement augmenté les mesures disciplinaires jusqu’au congédiement, sans respecter les politiques de la demanderesse sur les mesures disciplinaires progressives, en partie en guise de représailles contre la défenderesse pour sa participation aux plaintes de dénonciation. L’arbitre a conclu que les affirmations de la demanderesse, selon lesquelles elle avait uniquement renvoyé la défenderesse en raison de son manquement à veiller au respect des politiques de la banque, et de son entêtement à nier ses erreurs lorsque la direction les lui a mentionnées, n’étaient pas étayées par les éléments de preuve, et que le défaut de la demanderesse de respecter les politiques internes de la banque en matière de discipline minait ses prétentions.

[7]  L’arbitre a aussi conclu que même si le congédiement sommaire était une punition excessive, la demanderesse avait de bonnes raisons d’imposer des mesures disciplinaires. L’arbitre a décidé qu’il convenait d’imposer à la défenderesse une suspension disciplinaire d’une semaine sans solde, après quoi il faudrait la muter à un poste de RSC de niveau inférieur (sans responsabilité de supervision), soit dans la succursale où elle travaillait précédemment, soit dans une autre succursale proche de celle-ci. L’arbitre a aussi ordonné que ses frais judiciaires soient remboursés sur une base d’indemnisation substantielle. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[8]  Deux questions sont soulevées :

  1. La décision de l’arbitre selon laquelle le congédiement était injuste était-elle déraisonnable, parce qu’elle ne tenait pas compte des normes plus élevées en matière d’honnêteté auxquelles sont tenus les employés des banques?
  2. Est-ce que les mesures de réparation accordées, soit la réintégration à un poste différent et le remboursement des frais judiciaires sur une base d’indemnisation substantielle, étaient déraisonnables, dépassaient la compétence de l’arbitre, ou constituaient un manquement à l’équité procédurale?

[9]  La norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre concernant le caractère injuste du congédiement, et les mesures de réparations accordées, est celle de la décision raisonnable : Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, au paragraphe 15 [Wilson]; Yue v. Bank of Montreal, 2016 FCA 107, au paragraphe 5; Payne c. Banque de Montréal, 2013 CAF 33, aux paragraphes 32 à 34 [Payne]. La norme de contrôle applicable à la question de l’équité procédurale est celle de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; Canadian Pacific Railway Company v. Canada (Attorney General), 2018 FCA 69, aux paragraphes 36 et 37.

[10]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[11]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses].

III.  Analyse

A.  La décision de l’arbitre concernant le congédiement injuste est-elle déraisonnable?

[12]  La demanderesse allègue que la décision devrait être annulée parce que l’arbitre a omis de tenir compte du principe de longue date selon lequel une norme plus élevée d’honnêteté s’applique aux employés des banques, ou a omis d’expliquer pourquoi il s’écartait de cette règle. Ainsi, on ne sait pas avec certitude si le bon critère juridique a été appliqué.

[13]  En vertu du Code, le rôle de l’arbitre dans une plainte de congédiement injuste est d’appliquer aux faits le critère établi dans l’arrêt McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38 [McKinley]. Il doit décider : a) si la preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, que l’inconduite justifiant le congédiement a réellement eu lieu; b) dans l’affirmative, si la nature et la gravité de l’inconduite justifiaient un congédiement. Comme l’a expliqué le juge dans l’arrêt McKinley, les deux volets de ce critère nécessitent un examen des faits. Dans sa décision, la Cour suprême du Canada a expressément rejeté le recours à une approche « fondée sur des catégories » dans les causes de congédiement lié à des allégations de malhonnêteté, et a plutôt estimé que tous les cas d’inconduite devraient être examinés dans leur contexte.

[14]  Ce principe a été appliqué au secteur bancaire dans la décision Payne. Dans cette affaire, la Cour a cité l’arrêt McKinley, et expressément approuvé l’approche contextuelle :

[46]  L’arrêt McKinley est important en ce qu’on y rejette l’approche fondée sur des catégories pour établir si l’inconduite d’un employé justifie son congédiement. À de rares exceptions près, la catégorie en cause d’inconduite, y compris la malhonnêteté, n’a pas un caractère déterminant. Il faut plutôt examiner avec soin l’ensemble des circonstances de l’affaire afin que la sanction infligée à l’employé soit proportionnelle à la gravité de l’inconduite. Ce principe est fondé sur l’importance du travail dans la vie des personnes et l’inégalité typique du rapport de force en matière de rapports employeur-employé (aux paragraphes 53 et 54).

...

[48]  Il ressort clairement de la jurisprudence McKinley et de la jurisprudence subséquente à laquelle les avocats nous ont renvoyés qu’il n’est pas aisé de satisfaire à ce critère. Le congédiement pour motif valable est rarement jugé être juste en l’absence d’avertissements préalables et de sanctions moins lourdes infligées pour des écarts de conduite semblables.

[15]  La demanderesse allègue que l’arrêt McKinley ne supplante pas la norme plus élevée d’honnêteté s’appliquant aux employés des banques approuvée par la tendance jurisprudentielle provenant de l’affaire Ivanore v. Canadian Imperial Bank of Commerce, 1983 CLB 9357, [1983] CLAD No 68 (QL) [Ivanore], et appliquée dans Evans v. Royal Bank of Canada, [1996] CLAD No 1125 (QL), et Teti v. Canadian Imperial Bank of Commerce (2010), 86 CCEL (3d) 98, [2010] CLAD No 392 (QL). Elle affirme que l’exposé suivant du droit tiré de l’affaire Ivanore fait autorité :

[traduction]

[60]  En général, je considère que les normes d’honnêteté et d’intégrité auxquelles s’attend la communauté dans ses échanges avec une banque doivent transparaître dans le comportement des employés de la banque à l’égard des clients et du traitement des fonds des clients et de ceux que la banque utilise pour faire des profits. Il s’agit d’une norme rigoureuse. Tout écart grave par rapport à cette norme entraînant une perte de confiance pourrait être traité à juste titre comme une cause de congédiement.

[16]  Sur ce point, la demanderesse affirme que le défaut de l’arbitre d’appliquer cette norme plus élevée, ou d’expliquer pourquoi il s’en éloignait, signifie que la décision est déraisonnable. Je ne suis pas d’accord.

[17]  La décision de l’arbitre est volumineuse et minutieuse, et se penche sur les faits et le droit avec une certaine profondeur. Le point de départ de l’analyse de l’arbitre est le paragraphe suivant, qui fait référence à la défenderesse et à ses deux superviseures à la succursale (paragraphe 85) :

[traduction]

Comme le montre le résumé des éléments de preuve qui précède, d’importantes questions de crédibilité sont en cause en l’espèce. Après un examen soigné des témoignages de Mme Randhawa, de Mme Ewan et de Mme Mong, je conclus qu’aucun de ces trois témoins n’a été honnête dans son témoignage.

[18]  Il s’agit ici de l’évaluation globale faite par l’arbitre de la crédibilité des principaux témoins, et elle découle du sommaire détaillé des éléments de preuve fourni plus tôt dans le cadre de la décision. Il n’est pas nécessaire d’examiner tous les détails des éléments de preuve à l’appui de cette conclusion, étant donné l’analyse détaillée faite par l’arbitre; un résumé des éléments essentiels suffira.

[19]  La demanderesse affirme que c’est ce qui l’a amenée à congédier la défenderesse. Comme je l’ai souligné précédemment, le contexte des principaux événements tenait au fait que la directrice de la succursale (qui venait d’être nommée à la direction de la succursale, mais qui présentait aussi de longs états de service avec la banque) avait été chargée de mettre en œuvre des améliorations afin de s’assurer que les employés de la banque appliquent correctement les politiques et procédures de la banque concernant le traitement des sommes d’argent ainsi que les procédures de sécurité nécessaires pour transférer ou compter les sommes d’argent, dans le but de s’attaquer aux lacunes répertoriées lors de la vérification du risque opérationnel. Cette vérification a eu lieu pendant que la défenderesse était en congé. Le premier jour de son retour au travail, la défenderesse a rencontré sa superviseure immédiate de même que la directrice de la succursale afin de passer en revue les conclusions de la vérification et de souligner les mesures de correction qui relevaient de sa responsabilité. La rencontre a été suivie d’une confirmation par écrit quelques jours plus tard.

[20]  Dans les semaines qui ont suivi, les directrices ont observé une série de manquements de la part des RSC, et des rencontres ont eu lieu avec la défenderesse afin de passer en revue ces manquements et de chercher des solutions. Comme l’arbitre l’a souligné, une tendance s’est dégagée, par laquelle la défenderesse a initialement nié avoir commis toute erreur, avant d’admettre, une fois mise en présence d’éléments de preuve, qu’elle n’avait pas veillé à ce que les procédures nécessaires soient respectées, et de promettre de s’améliorer. Cela a soulevé chez ses directrices certaines préoccupations liées au fait que : a) la défenderesse était soit incapable d’effectuer la supervision nécessaire des RSC, soit peu disposée à le faire; b) elle avait à plusieurs reprises nié ses manquements à mettre en œuvre les procédures adéquates ou à assumer la responsabilité de ses erreurs.

[21]  L’arbitre a conclu que le témoignage de la défenderesse manquait de crédibilité à plusieurs égards. Par exemple, l’arbitre a souligné que la défenderesse avait témoigné qu’elle n’avait jamais reçu, de la part de sa superviseure immédiate, de note informelle soulignant ces préoccupations en détail et signalant à la défenderesse qu’il s’agissait d’une question très sérieuse qu’elle devait tenter de régler. Son démenti pose un problème : la copie de la note déposée en preuve contenait la signature de la défenderesse à côté d’une déclaration selon laquelle elle avait lu le document. De plus, la défenderesse a nié avoir eu une rencontre avec sa superviseure et la directrice de la succursale afin de discuter des lacunes dans son rendement peu de temps avant son congédiement, mais l’arbitre a estimé que cette rencontre avait eu lieu, en se fondant sur les notes détaillées de la discussion déposées en preuve par la superviseure. Ces constatations appuient les conclusions de l’arbitre concernant la crédibilité de la défenderesse.

[22]  L’arbitre a estimé que ces préoccupations donnaient lieu à des mesures disciplinaires légitimes contre la défenderesse, mais ne justifiaient pas son congédiement immédiat. Sa conclusion tenait en partie au fait qu’il avait jugé que la défenderesse n’avait pas de dossier antérieur d’infractions disciplinaires, et que ses lacunes ne justifiaient pas un congédiement immédiat sans préavis.

[23]  En outre, l’arbitre a estimé que la demanderesse n’avait pas respecté sa propre politique, qui exige que l’employée soit invitée à répondre aux allégations concernant un potentiel problème de discipline en lien avec les incidents ultimes ayant donné lieu au congédiement. La séquence des événements parle d’elle-même : la directrice de la succursale a exprimé certaines préoccupations au sujet du rendement de la défenderesse auprès du service des ressources humaines de la banque le 30 septembre 2014, soulignant qu’elle croyait qu’un plan d’amélioration du rendement était justifié. On lui a conseillé d’obtenir les commentaires de la défenderesse sur ces questions. La défenderesse a fait parvenir sa réponse à ces préoccupations le 4 octobre, et la réponse a été transmise au service des ressources humaines le 6 octobre. Dans sa réponse, la défenderesse admettait ses manquements, en assumait la responsabilité et promettait d’améliorer son rendement. Le 7 octobre, la directrice de la succursale a fait part au service des ressources humaines d’autres préoccupations au sujet du rendement de la défenderesse qui étaient fondées sur des incidents observés les 2 et 7 octobre. Elles ont mené à la recommandation de mettre fin à l’emploi de la défenderesse, mais cette dernière n’a jamais eu la possibilité de répondre à ces préoccupations, et on ne lui a pas non plus donné la chance de prouver qu’elle s’en tiendrait à sa promesse de s’améliorer avant la rencontre de fin d’emploi le 15 octobre. L’arbitre s’est demandé pourquoi les choses avaient progressé si rapidement.

[24]  L’arbitre a également estimé que la superviseure et la directrice de la succursale n’avaient pas été entièrement honnêtes dans leur témoignage, et cela a miné les prétentions de la demanderesse concernant son motif valable de congédiement. Cela a trait à deux éléments clés de leur compte rendu : a) la date de l’évaluation du rendement négative de la défenderesse; b) la question de savoir si elles étaient au courant des plaintes de dénonciation au moment où les mesures disciplinaires ont été prises.

[25]  Concernant la date de l’évaluation du rendement négative du troisième trimestre (couvrant une période de trois mois se terminant le 31 juillet 2014), l’arbitre a estimé que les explications sur la date à laquelle elle a été transmise à la défenderesse ne résistaient pas à un examen approfondi. La superviseure et la directrice de la succursale ont toutes deux témoigné qu’elles avaient discuté de l’évaluation avec la défenderesse à son retour au travail au début août, après son congé, mais à l’évidence, il est clair que c’était impossible compte tenu du temps habituellement nécessaire pour effectuer une évaluation du rendement après la fin de chaque trimestre. L’arbitre a conclu que la superviseure et la directrice de la succursale avaient inventé cette histoire afin d’établir que la défenderesse avait reçu l’évaluation du rendement négative avant l’adoption des mesures disciplinaires.

[26]  Les éléments de preuve portant sur la date de la transmission des évaluations du rendement étaient contradictoires et portaient à confusion; ce n’est pas mon rôle, toutefois, d’éclaircir cette confusion. La question est de savoir si la conclusion de l’arbitre appartient aux alternatives raisonnables dont il disposait compte tenu des éléments de preuve. J’estime que certains éléments de preuve appuient la conclusion de l’arbitre, selon laquelle les directrices ont concocté leur histoire concernant la date à laquelle elles ont discuté de l’évaluation du rendement négative avec la défenderesse. J’estime que la conclusion de l’arbitre sur ce point est raisonnable, particulièrement compte tenu des éléments de preuve selon lesquels la préparation des évaluations du rendement demande un peu de temps suivant la fin de chaque trimestre, et du défaut de la demanderesse de fournir un élément de preuve appuyant une autre explication concernant le délai nécessaire dans ce cas en particulier.

[27]  La deuxième contradiction dans le témoignage a trait à la date à laquelle la directrice de la succursale a eu connaissance que des plaintes de dénonciation avaient été déposées contre elle, et que la défenderesse aurait pu avoir quelque chose à voir dans ces plaintes. Une fois encore, il n’est pas nécessaire que je récite en détail tous les éléments de preuve sur ce point, puisque l’arbitre les a analysés à fond. Des éléments de preuve déposés par la défenderesse montraient qu’elle avait parlé à plusieurs occasions avec sa superviseure immédiate au sujet de ses préoccupations quant aux faits et gestes de la directrice de la succursale, et la défenderesse a témoigné que sa superviseure lui avait indiqué que la réponse appropriée était de déposer une plainte en utilisant la ligne de dénonciation interne. Des éléments de preuve montraient que la superviseure avait parlé avec la directrice de la succursale au sujet de ces plaintes, et de la participation de la défenderesse à celles-ci. Il y avait aussi des éléments de preuve dans les dossiers de la demanderesse qui confirmaient que des plaintes au sujet de la directrice de la succursale avaient été faites au moyen de la ligne de dénonciation durant la période pertinente, et qu’on allait parler à la directrice de la succursale afin qu’elle s’assure du respect des politiques de la banque.

[28]  L’arbitre a conclu que le témoignage de la directrice de la succursale, selon lequel elle n’était pas au courant de ces plaintes au moment où elle a entrepris des mesures disciplinaires contre la défenderesse, n’était pas crédible, compte tenu de la totalité de la preuve. Même si j’estime que les éléments de preuve sur ce point portent quelque peu à confusion, je ne vois aucune erreur dans la conclusion de l’arbitre, selon laquelle les directrices étaient au courant des plaintes de dénonciation et savaient ou soupçonnaient que la défenderesse avait quelque chose à voir dans ces plaintes. Cette conclusion appartient bien « aux alternatives raisonnables » compte tenu du droit et des éléments de preuve. Une fois encore, la demanderesse n’a pas déposé d’élément de preuve qui aurait peut-être fourni plus d’éclaircissement sur les mesures exactes prises pour informer la directrice de la succursale de ces plaintes, et de la date à laquelle elles ont été enregistrées. Les conclusions tirées par l’arbitre étaient entièrement cohérentes avec les éléments de preuve.

[29]  L’analyse des éléments de preuve effectuée par l’arbitre l’a mené à la conclusion que la demanderesse avait de bonnes raisons de prendre des mesures disciplinaires contre la défenderesse, puisqu’elle avait omis de veiller à ce que les employés qu’elle supervisait respectent les procédures adéquates, qu’elle continuait de nier ces manquements et refusait d’en assumer la responsabilité. Comme je l’ai souligné plus haut, cette conclusion est étayée par les éléments de preuve. Toutefois, l’arbitre a également conclu que la demanderesse n’avait pas de motifs justifiant un congédiement immédiat, et que cette rapide escalade des mesures disciplinaires était entachée d’un élément de représailles à l’endroit de la défenderesse pour sa participation aux plaintes de dénonciation. Cette conclusion est également étayée par les éléments de preuve dont disposait l’arbitre.

[30]  L’analyse du droit qu’a faite l’arbitre reposait sur les principales causes de congédiement injuste aux termes du Code, ainsi que sur les décisions Wilson, Payne et McKinley. Il a estimé que le fait que la demanderesse n’ait pas envisagé de mesures disciplinaires progressives n’était pas justifié par les faits en l’espèce. En ce qui concerne la question de savoir si la malhonnêteté de la défenderesse constituait un motif de congédiement, l’arbitre a conclu, au paragraphe 101 :

[traduction]

Le congédiement en l’absence de mesures disciplinaires antérieures, particulièrement pour une employée ayant de longs états de service comme Mme Randhawa, doit être réservé aux situations flagrantes où un seul incident a rompu le lien d’emploi au point où il ne peut être rétabli. Dans la mesure où la conduite de Mme Randhawa peut être qualifiée de malhonnête – un élément clé du dossier de la banque – cette « malhonnêteté » n’était pas liée à des fraudes à l’égard des clients (contrairement aux décisions citées par la banque), mais plutôt au défaut d’assumer l’entière responsabilité des manquements aux procédures commis par les employés qu’elle était chargée de superviser, au démenti de certains de ces manquements malgré la preuve manifeste à cet égard, et à une tendance à affirmer quelque peu exagérément que les procédures avaient toujours été respectées. Même si l’importance des politiques de la banque n’a pas été contestée, il n’est également pas contesté que les manquements commis par Mme Randhawa et ses caissières n’ont entraîné aucun préjudice réel. De plus, une bonne partie de la résistance initiale de Mme Randhawa à reconnaître les problèmes a fondu, quand on lui a demandé de fournir une réponse écrite; pour ce qui est du reste, Mme Randhawa n’a jamais eu la possibilité de s’expliquer – ou de montrer qu’elle pourrait améliorer son rendement – avant que la banque ne décide de mettre fin à son emploi.

[31]  Après avoir examiné les éléments de preuve, et les arguments présentés sur cette question, je ne puis trouver d’erreur dans cette analyse. En particulier, j’estime que le fait que l’arbitre n’ait pas traité expressément de la décision Ivanore ne constitue pas, dans les circonstances, une erreur donnant lieu à révision. Premièrement, l’arbitre a reconnu l’importance des politiques de la banque et étant donné les éléments de preuve et les arguments dont il disposait, il faut inclure ici les politiques relatives au traitement des sommes d’argent, de même que la politique concernant la conduite éthique. Deuxièmement, l’arbitre a souligné que la défenderesse avait été congédiée au motif qu’elle avait omis de faire appliquer ces politiques et qu’elle avait fait preuve de malhonnêteté une fois mise en présence de ses lacunes en matière de rendement à titre de superviseure; il s’agit là de motifs qui diffèrent de ceux invoqués dans les affaires citées par la demanderesse, où les cas de malhonnêteté étaient plus directement liés au traitement de sommes d’argent. À certains égards, la présente affaire se rapproche de la situation factuelle dans la décision Payne, où la banque a congédié l’employé pour des manquements aux politiques internes concernant le personnel, et pour n’avoir pas été honnête au moment où ces manquements ont été portés à son attention.

[32]  En l’espèce, j’estime que l’arbitre a tenu compte de manière adéquate du manque de progression des mesures disciplinaires imposées par la demanderesse. Il est maintenant confirmé que le principe des mesures disciplinaires progressives fait partie de la loi en vertu de la partie III du Code, et que ce principe s’applique au secteur bancaire : voir les arrêts Wilson et Payne. Ce principe oblige généralement les employeurs à donner un avis à l’employé concernant ses lacunes, et la possibilité de corriger son comportement, avant de passer au congédiement. Le fait que la directrice de la succursale ait fait référence, comme je l’ai mentionné plus tôt, à un [traduction] « plan d’amélioration du rendement », constitue un indice que la demanderesse respecte cette approche. Un tel plan informera l’employé que s’il n’améliore pas son rendement, il y aura des conséquences disciplinaires; il peut faire référence à la possibilité d’un congédiement, mais il énonce aussi les mesures que doit prendre l’employé pour répondre aux attentes en matière de rendement pour son poste, et un échéancier pour la mise en œuvre de chacune de ces mesures. Il peut aussi inclure des mesures (comme de la formation, du mentorat, etc.) pour aider l’employé dans son cheminement.

[33]  La demanderesse a affirmé que les mesures disciplinaires progressives ne pouvaient s’appliquer à des [traduction] « traits de caractère immuables » comme la malhonnêteté. Je ne suis pas d’accord. Il s’agit exactement du type d’approche « par catégories » que la Cour suprême du Canada a rejeté dans l’arrêt McKinley. Une approche contextuelle doit plutôt être utilisée, et même si la malhonnêteté est manifestement un problème important dans le secteur bancaire, chaque cas doit être examiné sur le fond. J’estime que c’est ce qu’a fait l’arbitre en l’espèce.

[34]  Troisièmement, l’arbitre expérimenté est censé connaître les décisions de principe et les principes généraux dans le domaine, et il n’a pas « à traiter de la jurisprudence qui réitère simplement les principes généraux applicables en l’espèce » : Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291, aux paragraphes 21 et 22 [Patanguli]. Dans l’arrêt Patanguli, la Cour a fait référence à un passage souvent cité de l’arrêt Newfoundland Nurses de la Cour suprême, où la juge Abella, s’exprimant au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit :

[16]  Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, Local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et al., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[35]  Le décideur est censé connaître les principales décisions faisant autorité, et si les motifs invoqués permettent à une cour de révision, comme c’est le cas en l’espèce, de comprendre pourquoi l’arbitre en est arrivé à cette conclusion, la Cour est en mesure d’effectuer une analyse adéquate et de décider si une décision appartient aux issues possibles acceptables. Sur ce point, je mentionnerais que l’arbitre a cité les principales décisions dans son résumé des positions défendues par les parties, puis repris les éléments clés des décisions dans son analyse. J’ai déjà fait référence à l’analyse faite par l’arbitre, relativement à la question de savoir si la malhonnêteté de la défenderesse justifiait un congédiement, et son raisonnement dans cette partie de la décision tient compte à la fois des normes plus élevées attendues des employés des banques, comme on l’a souligné dans la jurisprudence Ivanore, ainsi que de l’approche contextuelle et des mesures disciplinaires progressives énoncées dans les arrêts McKinley et Payne. Je ne relève aucune erreur dans cette analyse.

[36]  J’estime que les motifs de l’arbitre sur cette question sont raisonnables et intelligibles; je peux suivre son analyse et elle est bien étayée par les faits et le droit. Les conclusions de l’arbitre concernant le critère énoncé dans l’arrêt McKinley sont raisonnables. Je soulignerais également que les décisions des arbitres appellent une grande déférence, puisque les conclusions visant à déterminer si un congédiement est « injuste » ou non relèvent de l’expertise de base du décideur qui a entendu la preuve et observé le témoignage du témoin : voir le paragraphe 243(1) du Code.

B.  L’arbitre a-t-il commis une erreur en accordant une réintégration et des dépens?

(1)  L’arbitre a-t-il commis une erreur en ordonnant la réintégration de l’employée?

[37]  La demanderesse affirme que l’arbitre a commis une erreur en ordonnant la réintégration de la défenderesse, pour trois raisons : a) la mesure de réparation est déraisonnable compte tenu des faits et du droit; b) la réintégration de l’employée à un autre poste, de niveau inférieur, dépasse la portée de la compétence de l’arbitre en vertu du paragraphe 242(4) du Code; c) elle a été privée de son droit à l’équité procédurale, en ce sens qu’elle n’a pas eu la possibilité de déposer des éléments de preuve ou des observations en lien avec cette mesure de réparation. Compte tenu de mes conclusions relatives aux arguments touchant l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire que j’aborde la première question soulevée quant au caractère raisonnable de la décision.

(a)  Est-ce que la réintégration de l’employée à un autre poste dépasse la compétence de l’arbitre?

[38]  La demanderesse affirme que la réintégration accordée à un autre poste, de niveau inférieur, dépasse la compétence de l’arbitre en vertu du paragraphe 242(4) du Code. La demanderesse invoque la décision de la Cour d’appel fédérale dans la décision Banque Royale du Canada c Cliche, [1985] ACF no 424 (QL) [Cliche], à l’appui de cette affirmation. Les faits dans Cliche sont assez similaires aux faits en l’espèce : un arbitre a conclu que la banque avait raison d’être préoccupée par le fait que la défenderesse n’avait pas respecté certains règlements concernant les opérations bancaires et, plus généralement, avait manqué à son devoir [traduction] « à titre de comptable ou d’administratrice en chef ». Toutefois, l’arbitre a conclu que la banque n’avait pas de motif suffisant pour un congédiement, et a ordonné une suspension de six mois, après quoi la défenderesse devrait être réintégrée à un poste de [traduction« simple caissière », en plus de recevoir une indemnité pour perte de salaire. La banque a affirmé qu’en ordonnant sa réintégration à un poste différent, l’arbitre avait outrepassé la portée de ses pouvoirs en vertu des dispositions du Code relatives aux mesures de réparation. La Cour d’appel fédérale a fait droit à l’appel, au motif que l’ordonnance de réintégration à un poste différent, de niveau inférieur, dépassait la compétence de l’arbitre en vertu du paragraphe 65.1(9) (aujourd’hui le paragraphe 242(4)) du Code.

[39]  Toutefois, à la suite de cette décision, de nombreuses décisions ont été rendues par des arbitres du travail et des tribunaux relativement à la réintégration d’employés à un autre poste, souvent comparable. Dans bon nombre de ces décisions, on a reconnu qu’un arbitre avait compétence pour réintégrer le plaignant à un poste différent; on y soulevait la question de savoir s’il existait une conclusion factuelle qu’un poste était disponible, ou si l’exécution de l’ordonnance évincerait un titulaire occupant l’autre poste : voir, par exemple, Banque de Montréal c. Sherman, 2012 CF 1513 [Sherman]; Sprint Canada c. Lancaster, 2005 CF 55; Winchester v Bank of Nova Scotia, [1997] CLAD No 174 (QL). En outre, dans l’affaire Magas v Westcom Radio Group Ltd, [1993] CLAD No 333 (QL), le tribunal avait ordonné la réintégration de la plaignante, mais celle-ci a été rétrogradée étant donné ses lacunes à titre de gestionnaire. Dans certaines de ces affaires, il semble que la décision Cliche n’ait pas été évoquée, et dans la décision Sherman, au paragraphe 24, le juge Michael Manson a cité Cliche uniquement en se demandant si c’était une erreur d’ordonner la réintégration « en raison de l’incidence négative de l’ordonnance sur un tiers innocent [...] ».

[40]  Compte tenu de ma conclusion sur la question de l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire que je statue sur la question de compétence en l’espèce. Toutefois, je soulignerais que la décision Cliche ne semble pas représenter l’approche consensuelle utilisée par les arbitres experts en vertu de la partie III du Code, ou par les cours de révision judiciaire chargées d’examiner ces décisions. J’estime qu’il est difficile de faire le lien entre l’approche de Cliche concernant les dispositions du Code relatives aux mesures de réparation et les décisions subséquentes dans les décisions Banca Nazionale Del Lavoro of Canada Ltd v Lee-Shanok (1988), 87 NR 178, [1988] FCJ No 594 (CA) (QL) [Lee-Shanok]; Murphy c. Canada (arbitre désigné en vertu du Code du travail), [1994] 1 CF 710 (CAF); et Wilson.

(b)  Y a-t-il eu manquement au principe d’équité procédurale?

[41]  L’argument final de la demanderesse sur la question de la réintégration est qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale parce qu’elle n’a pas eu la possibilité de déposer des éléments de preuve ou des observations sur la question de la réintégration de l’employée à un autre poste. Elle affirme que cette mesure de réparation n’était pas demandée par la défenderesse, et que le fait que l’arbitre ait omis d’indiquer qu’il envisageait une telle mesure, et ait omis de permettre à la demanderesse de déposer les éléments de preuve appropriés ou de faire des observations sur la question, équivalait à un manquement à l’équité procédurale.

[42]  La défenderesse affirme que la question de sa réintégration a été abordée par les deux parties dans leurs observations finales, comme il est indiqué dans la décision de l’arbitre, et que si la demanderesse souhaitait déposer des éléments de preuve ou faire des observations sur la question, elle a eu toutes les chances de le faire. En particulier, la défenderesse souligne que la demanderesse a produit en preuve le fait qu’elle avait éliminé les postes de superviseur des RSC dans la banque, y compris celui anciennement occupé par la défenderesse, et qu’elle ne peut donc pas prétendre être surprise que l’arbitre en ait tenu compte pour décider de la mesure de réparation appropriée.

[43]  Les exigences en matière d’équité procédurale ne sont pas contestées : le cadre établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] fait toujours autorité. En l’espèce, les principales considérations ont trait à la nature du processus décisionnel, à son importance pour les parties, et au régime législatif. Même si les arbitres jouissent d’un important pouvoir discrétionnaire à l’égard de la procédure à suivre pour la gestion des audiences, ils doivent s’assurer qu’elle est juste pour les deux parties : voir Jennings c. Shaw Cablesystems Ltd., 2003 CF 1206, au paragraphe 21; Curtis v Bank of Nova Scotia, 2017 FC 380, aux paragraphes 168 à 174.

[44]  Il est manifeste d’après l’arrêt Baker (au paragraphe 23) qu’un processus qui se rapproche davantage d’un procès civil ou criminel nécessitera un degré plus élevé d’équité procédurale : voir aussi Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 RCS 249, au paragraphe 75; Canada (Procureur général) c. Timson, 2012 CF 719, au paragraphe 14. Une décision arbitrale relative à une plainte de congédiement injuste déposée en vertu de la partie III du Code sous-entend un conflit entre deux parties au sujet d’événements survenus dans le passé; il convient alors de se demander si les faits et gestes de l’employeur ont violé les droits du plaignant en vertu de la loi, et dans l’affirmative, quelle est la mesure de réparation qui devrait être accordée à la personne. Ce processus offre un moyen de réparation différent, moins officiel qu’un procès civil : Wilson, aux paragraphes 46 et 50. Il peut être avantageux pour les deux parties et, avec les années, la pratique a renforcé l’attente que ces audiences soient relativement officielles et respectent un processus fondé sur le principe du débat contradictoire très similaire à un procès, où les parties sont généralement invitées à présenter à un arbitre leurs éléments de preuve et leurs observations.

[45]  Les exigences énoncées au paragraphe 242(2) du Code le confirment :

Pouvoirs de l’arbitre

Powers of adjudicator

242(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

242(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

...

...

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

...

...

[46]  L’équité procédurale ne doit pas être examinée de manière abstraite; chaque cas dépendra de ses faits particuliers. J’estime qu’en l’espèce, la demanderesse a été privée de son droit à l’équité procédurale, parce que l’arbitre a accordé une mesure de réparation que n’avait pas demandée la défenderesse, et à l’égard de laquelle elle n’a pu présenter aucun élément de preuve ni argument, au-delà du fait général que le poste qu’elle occupait anciennement avait été éliminé.

[47]  La situation est ici différente d’une autre où l’arbitre est en désaccord avec les deux parties et accorde une indemnité pour salaire perdu ou autres dommages-intérêts supérieurs ou inférieurs à l’échelle suggérée par l’une ou l’autre des parties. Dans de telles circonstances, aucune des parties ne peut prétendre avoir été prise par surprise.

[48]  Dans la décision Sherman (au paragraphe 20), la Cour a adopté les « sept circonstances généralement reconnues qui justifieraient la décision de ne pas réintégrer un employé », lesquelles incluent l’abolition du poste occupé par le plaignant au moment de son congédiement, de même que d’autres événements comme des mises à pied par l’employeur (acceptant les facteurs résumés dans la décision Yesno v Eabametoong First Nation Education Authority, [2006] CLAD No 352 (QL)). Cette décision a précisément été citée avec approbation par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Payne, au paragraphe 88. Ces facteurs ont été acceptés comme principes directeurs sur la question.

[49]  L’absence des conclusions de fait nécessaires pour confirmer que ces facteurs ont bien été évalués a été considérée comme une erreur, entraînant l’annulation de la décision lors d’un contrôle judiciaire : Lee-Shanok. Ces facteurs exigent l’apport de certains éléments de preuve, et le fait de ne pas offrir l’occasion de déposer de tels éléments de preuve peut équivaloir à un manquement à l’équité procédurale.

[50]  Dans la décision Lam c. Canada (Procureur général), 2009 CF 913, la Cour a renversé la décision d’un arbitre, qui avait jugé qu’un renvoi était injustifié, mais avait refusé d’ordonner la réintégration de l’employé. La conclusion de la Cour s’applique en l’espèce :

[4]  [...] [S]i l’arbitre de grief peut légalement refuser d’ordonner la réintégration, encore faut-il qu’il ou elle ait donné à chaque partie au grief l’occasion de se faire entendre à ce sujet. En l’espèce, les parties ont appris en lisant la décision contestée que la réintégration de la demanderesse « n’est pas une option raisonnable ou viable dans les circonstances », sans que cette question cruciale n’ait été soulevée ou débattue au cours de l’audition. Il s’agit d’un accroc très important à la justice naturelle.

[51]  La Cour a renvoyé l’affaire au même arbitre, avec ses directives. La décision a été infirmée par la Cour d’appel fédérale, mais uniquement en lien avec les directives données à l’arbitre; l’essentiel de la décision sur l’équité procédurale n’a pas été modifié : Lam c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 222. Voir également la décision Lahnalampi c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1136.

[52]  En l’espèce, j’estime que la demanderesse a été privée de son droit à l’équité procédurale en lien avec la mesure de réparation ordonnée par l’arbitre parce que cette mesure de réparation n’avait pas été demandée par la défenderesse et n’a pas été abordée comme une possibilité par les parties ou l’arbitre durant l’audience. Avant d’accorder la réintégration de l’employé, l’arbitre avait l’obligation de tirer plusieurs conclusions de fait, mais les éléments de preuve étayant de telles conclusions étaient absents, parce que la demanderesse n’a jamais eu la possibilité de connaître cet aspect de la « preuve à réfuter ».

(2)  L’arbitre a-t-il commis une erreur en prononçant des dépens?

[53]  La demanderesse présente un argument en deux volets en ce qui a trait à l’adjudication de dépens; elle avance : a) que l’arbitre n’avait pas compétence pour faire une telle adjudication; b) qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce qu’elle a été privée de la possibilité des présenter ses observations à ce sujet.

(a)  L’arbitre avait-il compétence pour prononcer des dépens?

[54]  Il est bien établi en droit qu’un arbitre a le pouvoir, en vertu du Code, d’ordonner des dépens dans les circonstances appropriées. La décision qui fait autorité est l’arrêt Lee-Shanok, où la Cour d’appel fédérale a jugé que des dépens pourraient être accordés en vertu de l’alinéa 61.5(9)c) du Code (maintenant l’alinéa 242(1)c)). La demanderesse affirme que cette jurisprudence ne correspond plus à l’état actuel du droit, à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 [Mowat], où la Cour suprême a affirmé que les tribunaux des droits de la personne n’avaient pas autorité pour adjuger des dépens en vertu des mesures de réparation prévues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch. H-6 (la LCDP). Les dispositions pertinentes de la LCDP prévoient qu’un tribunal peut « indemniser la victime » pour les pertes de salaire ou les dépenses additionnelles entraînées par l’acte discriminatoire. La Cour suprême du Canada a jugé que cela ne donnait pas aux tribunaux le droit d’accorder des frais judiciaires aux victimes de discrimination, en s’appuyant sur le libellé de la loi et son contexte particulier, y compris sur l’historique législatif de la LCDP, de même que sur l’opinion de la Commission canadienne des droits de la personne, l’organisme expert chargé d’administrer la Loi.

[55]  La demanderesse affirme que cette décision s’applique aux arbitres conformément au Code, surtout parce que les pouvoirs accordés aux arbitres en vertu du paragraphe 242(4) sont encore plus limités que ceux envisagés dans la disposition équivalente de la LCDP. Elle affirme qu’il est fondamentalement injuste que les arbitres puissent uniquement condamner l’employeur aux dépens.

[56]  La défenderesse affirme que la jurisprudence de longue date, selon laquelle les arbitres du travail ont compétence pour accorder des dépens dans les cas appropriés, correspond toujours à l’état actuel du droit, et qu’il n’y a pas eu d’injustice en l’espèce parce que la demanderesse était au courant des demandes de dépens et autres mesures de réparation présentées à l’audience, et n’a pas demandé un ajournement ou la possibilité de présenter des observations complémentaires.

[57]  La défenderesse affirme qu’à la suite de l’arrêt Mowat, il a été établi que les arbitres du travail ont toujours compétence pour adjuger des dépens : Munsee-Delaware First Nation v Flewelling, [2012] CLAD No 33 (QL) (Munsee-Delaware); Pare v Corus Entertainment Inc, [2015] CLAD No 118 (QL). Elle souligne la plus récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wilson, qui a précisément souligné la nature extensible du pouvoir des arbitres d’accorder un redressement en vertu du Code.

[58]  Sur cet aspect, je suis d’accord avec la défenderesse. L’arrêt Mowat ne constitue pas une jurisprudence impérative remplaçant la jurisprudence reconnue depuis des années, selon laquelle les arbitres peuvent adjuger des dépens, dans les cas appropriés. L’arrêt Mowat est fondé sur un régime législatif différent, administré par un organisme administratif expert différent, et avec un historique législatif entièrement différent. Je suis d’accord avec le raisonnement avancé par l’arbitre sur ce point dans la décision Munsee-Delaware.

(b)  Y a-t-il eu manquement au principe d’équité procédurale?

[59]  La demanderesse affirme, subsidiairement, qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale parce que l’arbitre ne lui a pas donné la possibilité de présenter ses observations concernant l’adjudication de dépens sur une base d’indemnisation substantielle (ou procureur-client).

[60]  Il existe deux principes directeurs concernant l’adjudication de dépens sur une base procureur-client. D’abord, comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Young c. Young, [1993] 4 RCS 3, à la page 134 : « Les dépens comme entre procureur et client ne sont généralement accordés que s’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties. » La Cour d’appel fédérale l’a confirmé dans l’arrêt Lee-Shanok concernant les arbitres du travail : « Une telle adjudication extraordinaire ne doit avoir lieu que dans des circonstances clairement exceptionnelles, comme ce serait le cas lorsqu’un arbitre désire indiquer de ce fait qu’il désapprouve la conduite d’une partie à l’instance. »

[61]  Le deuxième principe directeur veut que lorsque de telles adjudications extraordinaires ont lieu, le décideur doit expliquer le fondement de sa décision en vertu des principes établis dans l’arrêt Lee-Shanok; le fait de ne pas offrir une telle explication peut constituer une erreur susceptible de révision : Alberta Wheat Pool v Konevsky, [1990] FCJ No 877 (CA); Première nation Sipekne’katik c. Paul, 2016 CF 769, aux paragraphes 97 à 101. Voir également Banque de Nouvelle-écosse c. Fraser (2000), 186 FTR 225, conf. par 2001 CAF 267, où la Cour a conclu que les principes avaient été correctement énoncés et appliqués.

[62]  J’estime que même si l’arbitre avait compétence pour adjuger des dépens, y compris des dépens procureur-client, le fait qu’il n’ait pas expliqué ses motifs pour ordonner une adjudication aussi extraordinaire rend cet aspect de l’adjudication déraisonnable. C’est précisément le type de situation où l’absence de motifs est fatale, parce que je ne puis que spéculer sur les raisons ayant amené l’arbitre à ordonner une telle adjudication (Newfoundland Nurses; Edw. Leahy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227, au paragraphe 121).

[63]  L’absence de motifs laisse encore plus perplexe, compte tenu de la décision de l’arbitre de rejeter la demande de la défenderesse en vue d’obtenir des dommages-intérêts majorés et punitifs, comme il l’explique au paragraphe 113 de sa décision :

[traduction]
Même si je conviens que cette adjudication justifie une condamnation au paiement des frais de justice, j’ai conclu que l’affaire ne justifiait pas des dommages-intérêts majorés ou punitifs. Malgré le langage parfois surchauffé utilisé par la plaignante dans son argumentation écrite ([traduction] « preuve délibérément fabriquée », « tentative machiavélique de concocter des éléments de preuve », « mensonges répétés », etc.), j’ai estimé que la banque avait des motifs suffisants pour imposer des mesures disciplinaires à Mme Randhawa, et j’ai jugé que le témoignage de Mme Randhawa manquait parfois de vérité sur certaines questions. Même si le congédiement ne peut être maintenu, j’estime que la « preuve d’une mauvaise foi manifeste » (Honda Canada Inc. c. Keays, paragraphe 34) nécessaire à une adjudication de dommages-intérêts majorés n’a pas été établie en l’espèce.

[64]  Les motifs de l’arbitre pour justifier de ne pas accorder de dommages-intérêts majorés ou punitifs sont en l’espèce concis, fondés sur les principes juridiques appropriés, et sur les faits dont il disposait. Cela contraste fortement avec l’absence de toute explication justifiant une adjudication de frais judiciaires sur une base d’indemnisation substantielle, surtout compte tenu des conclusions de l’arbitre concernant la crédibilité de la défenderesse, et celle des deux témoins clés de la demanderesse, et de l’absence de tout argument de retard ou d’inconduite procédurale de la part de la demanderesse durant l’audience.

[65]  J’estime que cet aspect de la décision est déraisonnable parce que les explications sont insuffisantes concernant le raisonnement qui doit être appliqué, compte tenu de l’arrêt Lee-Shanok.

IV.  Dépens

[66]  Chaque partie a réclamé des dépens relativement à la présente demande. Vu le résultat partagé, et en vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est donné en application de l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, les parties assumeront leurs propres dépens en lien avec le présent contrôle judiciaire.

V.  Conclusion

[67]  En résumé, je tire les conclusions suivantes :

  • Les conclusions de l’arbitre concernant les éléments de preuve et, en particulier, ses conclusions portant sur la crédibilité des témoins clés, sont raisonnables.
  • La conclusion selon laquelle le congédiement était injuste est raisonnable, parce qu’elle est fondée sur les faits et le droit, et tient compte de la norme de conduite attendue des employés des banques.
  • La demanderesse a été privée de son droit à l’équité procédurale en lien avec l’adjudication d’une mesure de redressement, sous la forme d’une réintégration de l’employée à un poste différent, de niveau inférieur, parce qu’elle n’a jamais été informée qu’une telle mesure de réparation était envisageable, et n’a pas eu la possibilité de déposer des éléments de preuve ou des observations sur ce point. Je souligne ici que cette conclusion concerne uniquement l’ordonnance de réintégration de l’employée à un poste de RSC différent, de niveau inférieur, à l’ancienne succursale de la défenderesse ou dans une autre succursale proche.
  • L’adjudication des dépens sur une base d’indemnisation substantielle est déraisonnable, parce qu’elle n’est pas expliquée; par conséquent, on ne sait pas avec certitude si ces dépens ont été accordés conformément aux principes établis dans l’arrêt Lee-Shanok.

JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-307-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie;

  2. L’affaire est renvoyée au même arbitre, seulement en ce qui a trait à l’adjudication des dépens et à l’octroi d’une mesure de réparation, aspects qui devront être décidés conformément aux présents motifs.

  3. Les parties assumeront leurs propres dépens relativement à la présente demande.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-307-17

INTITULÉ :

LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE c. MANINDERPAL RANDHAWA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE :

Le 8 mai 2018

COMPARUTIONS :

Richard Charney

Rebecca Liu

Pour la demanderesse

Kenneth A. Krupat

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Kenneth A. Krupat

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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