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Date : 20180502

Dossier : T-353-17

Référence : 2018 CF 473

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

TONIE POUCHET

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse sollicite un contrôle judiciaire de la décision du ministre datée du 9 février 2017, dans laquelle il a refusé d’effectuer un troisième examen de sa demande d’annuler les impôts exigibles en raison de sa cotisation excédentaire à son régime enregistré d’épargne-retraite [REER] pour les années d’imposition 2007 à 2015.

II.  Résumé des faits

[2]  Le 15 février 2007, la demanderesse a transféré son REER, ainsi que 17 000 $, de son compte bancaire à la Banque de Montréal [BMO] à son compte bancaire Tangerine (anciennement appelée ING).

[3]  Le montant de 17 000 $ a été transféré dans un REER chez Tangerine, mais ce montant excédait le maximum déductible au titre des REER de 15 486 $ puisque ses droits inutilisés s’élevaient à 1 514 $ au moment du transfert.

[4]  Le 2 septembre 2014, un représentant de l’Agence du revenu du Canada [ARC], F. Tousignant, a écrit à la demanderesse pour l’aviser de ce qui suit :

[traduction]

a.  il était possible qu’elle ait versé des cotisations excédentaires à son REER au cours de l’année d’imposition 2007 et des années subséquentes, et ces cotisations excédentaires étaient assujetties à un impôt de 1 % par mois;

b.  elle n’avait pas produit de déclaration T1-OVP (Déclaration des particuliers – Cotisations excédentaires versées à un REER, RPAC et RPD) pour déclarer et payer cet impôt;

c.  dans le cas où elle aurait versé des cotisations excédentaires à son REER, l’ARC imposerait des pénalités et des intérêts pour production tardive sur les déclarations produites tardivement.

[5]  La demanderesse n’a jamais répondu à la lettre de l’ARC datée du 2 septembre 2014 et a omis de produire sa déclaration T1-OVP (Déclaration des particuliers – Cotisations excédentaires versées à un REER, RPAC et RPD) pour l’année d’imposition 2007 et les années subséquentes, comme demandé.

[6]  Le 2 avril 2015, l’ARC a établi des avis de cotisation pour les années d’imposition 2007 à 2013 (déclarations T1-OVP) concernant les cotisations excédentaires de la demanderesse à son REER.

[7]  Le 22 avril 2015, la demanderesse a effectué un retrait de son REER pour éliminer sa cotisation excédentaire.

[8]  Le 14 mai 2015, l’ARC a reçu une demande d’allègement pour les contribuables (demande de premier examen) concernant les années d’imposition 2007 à 2015, ainsi que les documents appuyant cette demande avec sa déclaration T1-OVP non signée pour 2014 comportant la mention [traduction] « ÉBAUCHE » en travers.

[9]  Le 16 mars 2016, l’ARC a établi un avis de cotisation pour l’année d’imposition 2014 (déclaration T1-OVP) concernant les cotisations excédentaires de la demanderesse à son REER.

[10]  Le 19 août 2016, une représentante de l’ARC, Mme V. Massicotte, a écrit à la demanderesse pour l’aviser de ce qui suit :

[traduction]

a.  il était possible qu’elle ait versé des cotisations excédentaires à son REER au cours de l’année d’imposition 2015, et ces cotisations excédentaires étaient assujetties à un impôt de 1 % par mois;

b.  elle n’a pas produit de déclaration T1-OVP (Déclaration des particuliers – Cotisations excédentaires versées à un REER, RPAC et RPD) pour l’année d’imposition 2015 pour déclarer et payer cet impôt;

c.  dans le cas où elle aurait versé des cotisations excédentaires à son REER, l’ARC imposerait des pénalités et des intérêts pour production tardive sur les déclarations produites tardivement.

[11]  Le 26 septembre 2016, la demanderesse a envoyé une déclaration T1-OVP à l’ARC pour l’année d’imposition 2015. Contrairement à la première déclaration mentionnée ci-dessus au paragraphe 8, celle-ci était signée. La demanderesse a déclaré « 0 » à l’égard de tous les montants.

[12]  Le 24 novembre 2016, l’ARC a établi un avis de cotisation pour l’année d’imposition 2015 (déclaration T1-OVP) concernant les cotisations excédentaires de la demanderesse à son REER.

A.  Le premier refus du ministre de la demande d’allègement de la demanderesse

[13]  Le 8 février 2016, M. Jonathan Pilon a rendu la première décision du ministre concernant la demande d’allègement de la demanderesse datée du 14 mai 2015 et a refusé d’annuler l’impôt découlant des cotisations excédentaires de la demanderesse à son REER en 2007.

[14]  Les motifs de la décision du ministre de ne pas accorder d’allègement comprennent ceux qui suivent :

[traduction]

a)  Le paragraphe 204.1 (4) de la LIR permet au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler l’impôt de la partie X.1 dans le cas où la cotisation excédentaire versée à un REER ou à un RPAC découle d’une erreur acceptable et où des mesures indiquées pour éliminer l’excédent ont été prises ou le seront.

b)  L’expression « erreur acceptable » signifie une erreur qui s’est produite en raison de circonstances extraordinaires indépendantes de votre volonté et l’expression « mesures indiquées prises » signifie qu’un contribuable a pris des mesures pour éliminer l’excédent après avoir reçu un avis de l’ARC mentionnant cette cotisation excédentaire en retirant les cotisations excédentaires de votre REER le plus rapidement possible.

c)  Chaque année, l’ARC a fourni un avis de cotisation à la demanderesse qui mentionnait, notamment, que dans le cas où le montant B (cotisations inutilisées) la concernant était supérieur au montant A (maximum pour l’année d’imposition suivante), elle pouvait être assujettie à une obligation fiscale relative à ses cotisations excédentaires.

d)  Il incombe au particulier de veiller à ce que son comptable prépare correctement ses déclarations fiscales.

e)  Des mesures peuvent être prises pour tenter de régler l’affaire avec une institution financière puisque les institutions financières ont la responsabilité de fournir des services adéquats à leurs clients, mais il incombe également à un particulier de veiller (mémoire des faits et du droit, par. 117, exposé des faits) à ce que son institution financière traite les investissements de façon appropriée.

f)  La demanderesse n’a pas présenté de renseignements pertinents appuyant son incapacité de produire les déclarations T1-OVP et de payer le solde exigible à la date où il l’était.

B.  Le deuxième examen du ministre de la demande d’allègement de la demanderesse

[15]  Dans deux lettres distinctes datées du 25 mars 2016, la demanderesse voulait que son dossier soit examiné une deuxième fois, demandant cette fois non seulement la renonciation à l’impôt de la partie X.1 découlant des cotisations excédentaires à son REER en 2007, mais aussi aux pénalités et aux intérêts débiteurs pour production tardive qui ont été imposés pour les années d’imposition 2007 à 2014.

[16]  Le 9 novembre 2016, M. Gino Poulin a rendu la deuxième décision du ministre concernant la demande d’allègement de la demanderesse et a refusé d’annuler l’impôt découlant des cotisations excédentaires de la demanderesse à son REER en 2007.

[17]  Les motifs de la décision du ministre de ne pas accorder d’allègement comprennent ceux qui suivent :

[traduction]

a)  Le paragraphe 204.1 (4) de la LIR permet au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler l’impôt de la partie X.1 dans le cas où la cotisation excédentaire versée à un REER ou à un RPAC découle d’une erreur acceptable et où des mesures indiquées pour éliminer l’excédent ont été prises ou le seront.

b)  L’expression « erreur acceptable » signifie une erreur qui s’est produite en raison de circonstances extraordinaires indépendantes de votre volonté et l’expression « mesures indiquées prises » signifie qu’un contribuable a pris des mesures pour éliminer l’excédent après avoir reçu un avis de l’ARC mentionnant cette cotisation excédentaire en retirant les cotisations excédentaires de votre REER le plus rapidement possible.

c)  Compte tenu du fait que la demanderesse n’a pas porté de nouveaux éléments à l’attention du ministre, aucune circonstance ne justifiait l’annulation de l’impôt sur les cotisations excédentaires versées à ses REER.

d)  De plus amples explications sont fournies dans la lettre faisant part de la première décision négative du ministre datée du 8 février 2016.

[18]  La lettre de décision datée du 9 novembre 2016 indique également que l’ARC tient compte du fait qu’un retrait de 17 000 $ a été fait en avril 2015, éliminant par conséquent les cotisations excédentaires, mais qu’aucun changement ne sera apporté aux années d’imposition antérieures (2007 à 2014).

C.  Le refus du ministre d’effectuer un troisième examen de la demande d’allègement de la demanderesse

[19]  Le 9 décembre 2016, l’ARC a reçu une lettre non datée de la demanderesse dans laquelle cette dernière déclarait qu’elle n’était pas en mesure d’obtenir des renseignements de BMO concernant la demande faite par l’ARC dans une lettre datée du 28 novembre 2016. Dans la même lettre, la demanderesse déclare qu’elle a produit une [traduction] « demande d’allègement pour les contribuables qui est en attente ».

[20]  Après cette lettre, M. Pascal Grenier a examiné les documents au dossier de la demanderesse, ainsi que tous les faits pertinents portés à l’attention de l’ARC, notamment, mais pas exclusivement, tous les documents relatifs aux deux premières demandes d’examen de la décision du ministre de la demanderesse afin d’établir si le ministre pouvait exceptionnellement effectuer un troisième examen de l’affaire.

[21]  Le 9 février 2017, M. Grenier a signé une lettre de décision informant la demanderesse de sa décision de ne pas effectuer de troisième examen de la décision du ministre dans son cas.

[22]  Les motifs de la décision du ministre de ne pas effectuer de troisième examen comprennent ceux qui suivent :

[traduction]

a)  La décision du ministre d’effectuer un troisième examen dans un tel cas est discrétionnaire.

b)  Un troisième examen est seulement effectué dans le cas où un contribuable fournit de nouveaux renseignements pertinents à l’ARC.

c)  Dans le cas de la demanderesse, aucun nouveau renseignement pertinent n’a été présenté.

d)  La Déclaration des particuliers pour 2015 Cotisations excédentaires versées à un REER, RPAC et PRD (la « déclaration T1-OVP ») produite par la demanderesse le 26 septembre 2016 aurait été identique, après corrections, à celle que l’ARC a déjà examinée, ne modifiant aucunement l’évaluation du montant de l’impôt de la partie X.1 (la demanderesse a mal rempli sa déclaration T1-OVP de 2015 en mettant un zéro (0) sur toutes les lignes et en ne tenant pas compte de ses cotisations inutilisées et du retrait de 17 000 $ en 2015).

e)  Le ministre a déjà accepté la demande d’allègement de la demanderesse à l’égard des pénalités et des intérêts débiteurs pour production tardive pour les années d’imposition 2007 à 2015 dans une lettre datée du 13 janvier 2017. Une copie de la lettre de l’ARC datée du 13 janvier 2017 est jointe et cotée comme pièce « 2 » de l’affidavit.

D.  Suites de la demande d’allègement de la demanderesse

[23]  Le 13 janvier 2017, le ministre a accepté de renoncer aux pénalités et aux intérêts débiteurs pour production tardive imposés pour les années d’imposition 2007 à 2015, jusqu’au 13 janvier 2017, découlant de la cotisation excédentaire de la demanderesse à son REER, en application du paragraphe 220 (3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (la « Loi de l’impôt sur le revenu » ou la « Loi »).

[24]  À la suite de la renonciation, l’ARC a établi des avis de cotisation le 26 mai 2017, ramenant le solde dû par la demanderesse pour ses cotisations excédentaires à son REER de 17 406,86 $ à 10 798,71 $.

[25]  Les avis de cotisation susmentionnés ont été postés à la demanderesse par l’ARC au moment où ils ont été établis et ils lui ont été envoyés par courriel le 6 juin 2017.

[26]  Le montant de 10 798,71 $ représente la portion impôt de la partie X.1 due à l’égard de la cotisation excédentaire de la demanderesse à son REER, ainsi que les intérêts débiteurs accumulés depuis la lettre de décision du 13 janvier 2017.

[27]  Comme l’indique son affidavit modifié, la demanderesse a intégralement payé ce montant, le 15 juin 2017.

III.  Questions en litige

  1. La décision du ministre de ne pas effectuer de troisième examen de la demande d’annulation de l’impôt de la Partie X.1 de la demanderesse était-elle raisonnable?

  2. La décision définitive contient-elle une erreur susceptible de révision qui justifierait l’intervention de la Cour?

IV.  La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable

[28]  Le pouvoir d’effectuer un troisième examen et de renoncer à l’impôt relatif à une cotisation excédentaire à un REER en application du paragraphe 204.1 (4) de la Loi de l’impôt sur le revenu est discrétionnaire. La norme de contrôle applicable aux deux décisions en cause est celle de la décision raisonnable. La Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision prise par le ministre dans de tels cas. Le contrôle judiciaire doit s’appuyer sur les faits présentés au décideur : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir], Gagné c. Canada (Procureur général, 2010 CF 778, Kapil c. Canada Agence du revenu, 2011 CF 1373 [Kapil].

[29]  Les pouvoirs de la Cour en l’espèce sont limités, tel qu’il est décrit au paragraphe 20 de la décision Kapil :

[20]  En droit, la Cour n’a pas compétence pour ordonner au ministre de renoncer aux taxes, aux pénalités et aux intérêts débiteurs. La compétence de la Cour se limite à ordonner au ministre de réexaminer en détail ses décisions de renoncer aux taxes et aux pénalités et intérêts afférents. Le demandeur doit donc comprendre que, même si la Cour se prononçait en sa faveur, il n’aurait pas automatiquement droit à une renonciation et à un remboursement. La Cour doit s’en tenir à la question de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre lorsqu’il a rejeté les demandes de renonciation était légitime, et non substituer sa décision à celle du ministre : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339.

V.  Discussion

A.  Le refus du ministre d’effectuer un troisième examen de la demande de la demanderesse était justifié

[30]  Dans sa lettre reçue par l’ARC le 9 décembre 2017, la demanderesse ne fournit aucun nouveau renseignement.

[31]  Dans ce contexte, le refus du délégué du ministre d’effectuer un troisième examen de la demande était justifié.

B.  La décision du ministre de ne pas renoncer aux impôts relatifs aux cotisations excédentaires de la demanderesse à son REER était raisonnable

(1)  Les règles applicables à la renonciation aux impôts exigibles

[32]  En application du paragraphe 204.1 (2.1) de la Loi, un contribuable doit payer un impôt spécial de 1 % par mois pour chaque mois qui suivra sur un excédent au titre de son REER (« l’impôt spécial »).

[33]  Deuxièmement, pour cet impôt spécial, le contribuable doit produire une déclaration T1-OVP déclarant le paiement en trop dans un délai de trois mois après le début de l’année suivant l’année d’imposition au cours de laquelle le contribuable avait des cotisations excédentaires à son REER.

[34]  Troisièmement, il incombe au contribuable de payer des intérêts et des pénalités pour production tardive des déclarations annuelles des cotisations excédentaires à son REER exigés dans de tels cas. Contrairement aux observations de la demanderesse, il convient toutefois de mentionner que le ministre a accepté de renoncer aux pénalités et aux intérêts débiteurs pour production tardive imposés pour les années d’imposition 2007 à 2015, jusqu’au 13 janvier 2017, découlant de la cotisation excédentaire de la demanderesse à son REER.

(2)  Allègement de l’impôt spécial

[35]  Un allègement fiscal peut être accordé par le ministre en vertu du paragraphe 204.1 (4) de la Loi à l’égard de l’impôt spécial. Cet allègement exige que le contribuable satisfasse un critère à deux volets, et il incombe à la demanderesse de convaincre le ministre que le montant excédentaire est une conséquence des deux volets :

  1. l’erreur est acceptable;

et

  1. les mesures indiquées pour éliminer les cotisations excédentaires ont été prises.

a)  Erreur acceptable

[36]  La demanderesse fait valoir qu’elle n’avait pas l’intention de verser de cotisation excédentaire, qu’elle n’en a pas tiré profit et qu’elle a été induite en erreur par des tiers comme l’institution bancaire au moment du transfert.

[37]  Les erreurs de bonne foi et l’innocence ont été jugées non pertinentes par la Cour fédérale du Canada dans la décision Lepiarczyk c. Canada (Agence du revenu du Canada), 2008 CF 1022. L’ignorance de la loi ne constitue pas une erreur ou une faute raisonnable. Comme l’écrit le juge Brown dans la décision Levenson c. Canada (Procureur général), 2016 CF 10, aux paragraphes 16 et 17 :

[16]  Toutefois, le caractère raisonnable ne dépend pas de l’innocence et de l’absence d’intention. Bien que ces facteurs subjectifs fassent partie des considérations dont le ministre peut tenir compte, c’est le caractère raisonnable de l’erreur – évaluée objectivement – qui est en cause, et la preuve de la demanderesse est faible à cet égard.

[17]  Le régime fiscal canadien est fondé sur le principe de l’auto-cotisation, ce qui signifie qu’il appartient à tous les contribuables de mener leurs affaires financières d’une manière conforme à la Loi de l’impôt sur le revenu : R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627. Il appartenait à la demanderesse de s’assurer qu’elle ne faisait pas de contributions excédentaires à son REER et son incompréhension de la loi ne constitue pas une erreur raisonnable. Le système d’imposition est certes complexe et pour s’y retrouver, les contribuables doivent s’attendre à demander conseil.

[38]  De même, la Cour a toujours refusé de reconnaître le concept de la renonciation à l’impôt, aux pénalités ou aux intérêts s’appuyant sur la conduite de tiers : Fleet c. Canada (Procureur général), 2010 CF 609 (CanLII), au paragraphe 29, qui énonce ce qui suit :

[29]  Il me semble que la raison pour laquelle M. Fleet n’a pas pris ces mesures est du moins en partie attribuable au fait qu’il s’est fié à ses conseillers et qu’il a malheureusement été victime de leurs erreurs ou de leurs omissions. Toutefois, le droit est bien établi : le contribuable est « directement responsable des agissements de la personne qu’il a désignée pour administrer ses affaires financières » (Babin c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CF 972, paragraphe 19; Northview Apartments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 74, paragraphes 8 et 11; PPSC Enterprises Ltd. c. Ministre du Revenu national, 2007 CF 784, paragraphe 23; et Succession Jones c. Canada (Procureur général), 2009 CF 646, paragraphe 59), et qu’il « leur appartient de s’informer des règles applicables à la production des déclarations » (Sandler c. Procureur général du Canada, 2010 CF 459, paragraphe 12).

b)  Mesures indiquées pour éliminer les cotisations excédentaires

[39]  La demanderesse doit aussi établir qu’elle a pris les mesures appropriées pour éliminer les cotisations excédentaires à son REER. Ce critère est à nouveau examiné en fonction de la norme du caractère raisonnable. Le même principe que celui voulant qu’un contribuable soit responsable des actions des personnes nommées pour s’occuper de ses affaires financières s’applique à cet égard. Par conséquent, la demanderesse ne peut pas se fonder sur le défaut allégué de son comptable pour expliquer qu’elle a cru que ses déclarations fiscales avaient été adéquatement produites. De même, la prétendue déclaration d’un agent de l’ARC l’avisant qu’elle obtiendrait un allègement si la question était examinée n’a pas de répercussions sur l’obligation légale de la demanderesse de respecter les lois fiscales du pays.

[40]  La demanderesse fait aussi valoir que l’ARC a contribué au retard dans le retrait de ses cotisations excédentaires. Elle prétend que les références à une [traduction] « possibilité » de cotisations excédentaires auraient dû ressortir clairement de ses déclarations, malgré leur approbation annuelle. Elle soutient que le fait que l’examen fiscal de son REER ait seulement été mené en 2014 pour une cotisation ayant été faite en 2006 l’a rendue redevable d’arriérés d’impôt pour les déclarations des années 2007 à 2015.

[41]  Comme l’a admis la demanderesse au paragraphe 3 de son affidavit, chaque avis de cotisation établi par l’ARC pour les années d’imposition 2007 à 2014 comportait une mention quant au fait que la demanderesse contrevenait peut-être aux règles de cotisation à un REER, mention qui était accompagnée d’une formule pour l’évaluation de sa situation, comme suit :

[traduction]

Votre état du maximum déductible au titre des REER/RPAC de   

1)  Vous avez 15 486 $ (B) en cotisations inutilisées au titre des REER/RPAC disponibles pour   . Si ce montant dépasse le montant (A) ci-dessus, vous pourriez avoir à payer de l’impôt sur les cotisations excédentaires.

Explication des changements et autres renseignements importants

2)  Vous pourriez avoir à payer un impôt de 1 % par mois sur vos cotisations excédentaires au titre des REER/RPAC, car vos cotisations inutilisées au titre des REER/RPAC (montant B) dépassent votre maximum déductible au titre des REER/RPAC de   (montant A), comme l’indique votre État du maximum déductible au titre des REER/RPAC. Pour obtenir de plus amples renseignements, consulter le Guide T4040, REER et autres régimes enregistrés pour la retraite.

[42]  Toutefois, la demanderesse n’a jamais communiqué avec l’ARC pour vérifier si les montants de ses cotisations étaient raisonnables.

[43]  De plus, relativement à la clarté du libellé des avis de cotisation quant aux cotisations excédentaires à des REER, la Cour a reconnu, dans la décision Gagné c. Canada (Procureur général), 2010 CF 778, aux paragraphes 23 à 25, que même si les avis de cotisation utilisent le mot « inutilisées » plutôt qu’« excédentaires », cela ne change rien au fait que le demandeur a déjà été avisé par l’ARC qu’un impôt spécial est exigible lorsque le montant des « cotisations inutilisées » dépasse le « maximum déductible ».

[44]  En outre, le 2 septembre 2014, l’ARC a avisé la demanderesse qu’il était possible qu’elle ait fait des cotisations excédentaires à son REER au cours de l’année d’imposition 2007, qu’elle n’avait pas produit de déclaration T1-OVP pour déclarer et payer cet impôt et que dans le cas où elle aurait versé des cotisations excédentaires à son REER, l’ARC imposerait des pénalités et des intérêts pour production tardive sur les déclarations produites tardivement. Malgré ceci, la demanderesse n’a pas répondu à la lettre de l’ARC datée du 2 septembre 2014 et a omis de produire ses déclarations T1-OVP pour l’année d’imposition 2007 et les années subséquentes, comme demandé. Le 2 avril 2015, l’ARC a établi des avis de cotisation pour les années d’imposition 2007 à 2013 (déclarations T1-OVP) concernant les cotisations excédentaires de la demanderesse à son REER.

[45]  La Cour est d’accord avec l’intimée sur le fait que ces actions de la demanderesse ne constituent pas des mesures indiquées et dépassent un délai raisonnable dans les circonstances.

[46]  Ceci dit, la Cour est d’avis que les conséquences subies par la demanderesse sont sévères et démesurées par rapport à une erreur de contribution excédentaire à son REER. La demanderesse souligne que même avec l’approbation de sa demande d’allègement fiscal et la renonciation à la majeure partie des intérêts et des frais de production tardive, elle a tout de même payé un montant total de 18 618,71 $ pour une cotisation dont elle n’a tiré aucun avantage, en sachant que son revenu annuel n’a jamais dépassé 6 242 $ pour les années 2007 à 2014.

[47]  Dans ces circonstances, la Cour fait à nouveau état des préoccupations qu’elle a énoncées dans la décision Connolly c. Canada (Revenu national), 2017 CF 1006, en concluant que les cotisations à un REER peuvent représenter un piège caché pour bon nombre de contribuables comme la demanderesse qui ne se doutent de rien. Elle invite le ministre à prendre des mesures pour trouver un moyen approprié de prévenir les contribuables de façon évidente de ne pas effectuer de cotisations à leur REER à moins de connaître leurs plafonds de cotisations, en raison des pénalités sévères pouvant découler de cotisations excédentaires.

[48]  Cette suggestion ne profitera malheureusement pas à la demanderesse dont la demande doit regrettablement être rejetée pour les motifs énoncés, sans dépens.

VI.  Conclusion

[49]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-353-17

LA COUR rejette la demande, sans dépens.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-353-17

INTITULÉ :

TONIE POUCHET c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 MARS 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 2 MAI 2018

COMPARUTIONS :

Toni C. Pouchet

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Mathieu Tanguay

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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