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Date : 20180502


Dossier : IMM-3408-17

Référence : 2018 CF 471

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2018

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

IRSHAD MOHAMED AHMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’un avis de danger daté du 14 juin 2017 délivré par une déléguée du ministre, en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La déléguée du ministre en est arrivée à deux conclusions : (1) que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité, parce qu’il représente un danger pour le public canadien (analyse du danger); (2) que son renvoi en Somalie respecterait les modalités de la Charte des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, ch. 11 (la Charte), conformément à ce qu’exige l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1 (Suresh) (analyse du danger).

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie pour manquement à l’équité procédurale.

II.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur est un citoyen de la Somalie qui est arrivé au Canada en 1990 depuis la Somalie, alors qu’il était âgé de 7 ans. En 1995, il a obtenu le statut de résident permanent.

[4]  Le demandeur a un long dossier criminel lié au trafic d’armes et de drogues : depuis l’âge de 16 ans (il en a maintenant 30), il a accumulé 36 condamnations au criminel, notamment, sans s’y limiter, pour extorsion, séquestration, trafic de drogues et d’armes à feu (un juge chargé de déterminer sa peine a parlé de lui comme d’un [traduction] « marchant de la mort »), voie de fait, non-respect des ordonnances du tribunal et des conditions de probation, entrave à un agent de la paix, méfait public, possession d’une arme à feu (multiples condamnations) et complot en vue de commettre un acte criminel (trois condamnations). Il semble vivre de la criminalité depuis qu’il a 16 ans. Au moment où la déléguée du ministre a rendu sa décision, le demandeur était en prison pour purger ses plus récentes peines, soit une peine de sept ans et cinq mois, une peine concurrente de cinq ans, une peine concurrente de quatre ans et une peine de dix-huit mois pour deux accusations, également concurrente.

[5]  En 2003, le demandeur a fait l’objet d’un rapport pour grande criminalité en vertu de l’article 44 de la LIPR, parce qu’il a été reconnu coupable d’extorsion, de séquestration et d’avoir pointé une arme à feu. Une ordonnance d’expulsion a été émise contre lui. En 2006, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a avisé le demandeur relativement au processus d’avis de danger, en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la Loi. L’article 115 de la LIPR est ainsi libellé :

Principe du non-refoulement

Principe

115(1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

Principle of Non-refoulement

Protection

115(1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

Exclusion

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire:

Exceptions

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

[6]  Toutefois, en 2010, au lieu de délivrer un avis de danger, un délégué du ministre a remis au demandeur une lettre d’avertissement.

[7]  Cet avertissement est resté lettre morte.

[8]  En 2014, le demandeur a de nouveau fait l’objet d’un rapport pour grande criminalité en vertu de l’article 44 de la LIPR, et un nouveau processus d’avis de danger a débuté en 2015.

[9]  Le demandeur a été informé du fait qu’un avis de danger était en cour et qu’il pourrait être renvoyé en Somalie, malgré son statut de réfugié. Par l’entremise de son avocat, il a déposé des observations détaillées expliquant pourquoi il ne fallait pas faire cela, le 25 septembre 2015.

[10]  Un rapport recommandant son renvoi en Somalie a ensuite été préparé par un analyste (le rapport de l’analyste) en date du 20 septembre 2016. Ce rapport recommandait le renvoi du demandeur.

[11]  Une copie du rapport de l’analyste a été remise au demandeur, avec une invitation à y répondre, ce qu’il a fait par l’entremise de son avocat dans une lettre datée du 2 novembre 2016.

[12]  Le 14 juin 2017, la déléguée du ministre a produit le rapport qui fait actuellement l’objet d’un examen. Comme il est souligné, l’analyse du danger faite par la déléguée a permis de conclure que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité, parce qu’il constitue un danger pour le public canadien.

[13]  La partie du rapport contenant l’analyse du danger n’a pas été contestée par le demandeur, ni dans son mémoire écrit, ni à l’audience du présent contrôle judiciaire. Par conséquent, c’est la partie du rapport portant sur l’analyse du risque concernant le renvoi du demandeur en Somalie qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[14]  Un des documents examinés par la déléguée du ministre dans son analyse du risque, conformément à l’arrêt Suresh, a été trouvé grâce à une recherche sur le site Web refworld du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), à http://www.refworld.org/.

[15]  La déléguée du ministre n’a pas donné de copie de ce rapport au demandeur, et ne lui a pas fourni non plus d’occasion d’y répondre. Cela constitue un manquement à l’obligation de divulgation; le contrôle judiciaire doit par conséquent être accueilli. Comme le demandeur n’a pas contesté la conclusion de l’analyse du danger prononcée en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR, cette conclusion lie le demandeur; le nouvel examen ordonné portera sur l’analyse du risque.

III.  Question en litige

[16]  La question déterminante a trait au fait que la déléguée du ministre s’est appuyée sur un document trouvé sur Internet, et n’a pas divulgué au demandeur ce document, lequel l’a amenée à conclure que le demandeur était un membre d’un sous-clan de l’un des [traduction] « clans nobles » de la Somalie. Compte tenu de cette information, la déléguée du ministre a conclu que le demandeur serait exposé à un risque réduit, en particulier à Mogadiscio – où il serait renvoyé – et où son sous-clan dominait. Ce point soulève un problème lié à l’équité procédurale.

IV.  Norme de contrôle

[17]  Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[18]  Dans l’arrêt Suresh, la Cour suprême du Canada a affirmé que la Charte exigeait que les décideurs pertinents se conforment à certaines étapes procédurales dans leur analyse du risque relatif au renvoi d’un réfugié comme le demandeur :

122  Nous concluons qu’une personne susceptible, par application de l’al. 53(1)b), d’être expulsée vers un pays où elle risque la torture doit être informée des éléments invoqués contre elle. Par conséquent, sous réserve du caractère privilégié de certains documents ou de l’existence d’autres motifs valables d’en restreindre la communication, comme la nécessité de préserver la confidentialité de documents relatifs à la sécurité publique, tous les éléments sur lesquels la ministre fonde sa décision doivent être communiqués à l’intéressé, y compris les notes de service, telle la recommandation de M. Gautier à la ministre. En outre, la justice fondamentale exige que l’intéressé ait l’occasion de réfuter la preuve présentée à la ministre. Bien que celle-ci ait accepté, en l’espèce, que l’appelant lui soumette des observations par écrit, M. Suresh et son avocate n’ont pas eu accès aux documents que la ministre a reçus de ses fonctionnaires et sur lesquels elle a en grande partie fondé sa décision, de sorte qu’ils ne savaient pas sur quels facteurs axer leurs arguments et qu’ils n’ont pas eu l’occasion de corriger les inexactitudes ou erreurs de qualification que pouvaient comporter les faits. La justice fondamentale exige que la personne visée par l’ordonnance soit autorisée à présenter des observations par écrit, après avoir eu la possibilité d’examiner les éléments invoqués contre elle. La ministre doit alors examiner tant ces observations que celles présentées par ses fonctionnaires.

123  Le réfugié doit non seulement être informé des éléments invoqués contre lui, mais aussi avoir la possibilité de contester l’information recueillie par la ministre lorsque sa validité peut être mise en doute. Ainsi, le réfugié doit pouvoir présenter des éléments de preuve conformément à l’art. 19 de la Loi pour établir que sa présence au Canada ne sera pas préjudiciable au Canada, malgré la preuve établissant qu’il est associé à une organisation terroriste. Cela vaut aussi en ce qui concerne le risque qu’il soit soumis à la torture à la suite de son renvoi. Lorsque la ministre s’appuie sur l’assurance, donnée par écrit par un gouvernement étranger, qu’une personne ne sera pas soumise à la torture, le réfugié doit avoir la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations sur la valeur de l’assurance ainsi donnée.

V.  Analyse

[19]  Comme je l’ai souligné, la question déterminante concerne la non-divulgation d’un rapport sur la relative sécurité du demandeur à titre de membre de son sous-clan, rapport que la déléguée de la ministre a trouvé après une recherche sur Internet. Voici le contexte.

[20]  Le rapport de l’analyste faisait d’abord état de l’appartenance du demandeur à un clan. L’analyste a écrit ce qui suit :

[traduction] M. Ahmed est membre du clan Sheikhal qui est considéré comme un clan minoritaire […]. Toutefois, les éléments de preuve documentaires montrent que la protection du clan pose beaucoup moins problème, et que les personnes qui reviennent de l’étranger ne sont pas exposées à des risques particuliers concernant leur affiliation au clan. L’ASFC a transmis le rapport de l’analyste à l’avocat du demandeur pour réponse.

[21]  En réponse, l’avocat du demandeur a affirmé ce qui suit concernant la question de l’appartenance au clan :

[traduction] En ce qui concerne le document produit par le ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni intitulé Country Information and Guidance, Somalia: Security and Humanitarian situation in South and Central Somalia (Information sur le pays et orientation : Somalie : sécurité et situation humanitaire au Sud et au Centre de la Somalie), il est souligné à la section 3.1.3 du rapport, qui porte sur les civils ordinaires qui retournent en Somalie, que [traduction] « la situation pourrait être différente pour une personne d’un clan minoritaire qui n’aurait pas le soutien de son clan ou de sa famille, qui ne recevrait pas de sommes de l’étranger et qui n’aurait aucune possibilité réelle d’accéder à un moyen de subsistance à Mogadiscio. Pour ces personnes, il y aura un véritable risque de ne pas avoir d’autre choix que de vivre dans des logements improvisés dans un camp pour personnes déplacées à l’intérieur du territoire [PDIT] dans lequel il y a une véritable possibilité de devoir vivre dans des conditions inférieures aux normes humanitaires acceptables ». C’est exactement la situation de M. Ahmed. Il appartient à un clan minoritaire, n’a pas le soutien d’un clan ou de sa famille, et comme il a quitté Mogadiscio à un jeune âge et ne parle pas bien le langage somalien, il n’aurait aucune véritable possibilité d’accéder à un moyen de subsistance à Mogadiscio et serait placé dans une situation où il aurait à vivre dans des conditions inférieures aux normes acceptables.

[Non souligné dans l’original.]

[22]  Le demandeur a affirmé qu’il vient d’un clan minoritaire et [traduction] « n’appartient à aucun clan ». Cette réponse nécessitait que son appartenance à un clan soit portée à l’attention de la déléguée du ministre. À mon avis, il s’agissait d’un élément important de ses observations.

[23]  La déléguée du ministre a bien fait enquête concernant son affirmation. Je ne vois là aucun problème, compte tenu des affirmations du demandeur.

[24]  À la suite d’une recherche sur Internet, la déléguée du ministre a trouvé un document sur le site refworld de l’UNHCR (http://www.refworld.org/), qui affirmait que les membres du sous-clan du demandeur dominaient Mogadiscio et étaient exposés à un risque réduit. Elle a déclaré ce qui suit : [traduction]

Je remarque que M. Ahmed appartient au clan Sheikhal. L’avocat souligne qu’il s’agit d’un clan minoritaire, mais il s’agit également d’un sous-clan de l’un des cinq clans nobles, le clan Hawiye [...]. Comme M. Ahmed est de Mogadiscio et choisira vraisemblablement de retourner à cet endroit, je souligne ce qui suit à propos du clan Hawiye à Mogadiscio :

[traduction] Les ONG internationales qui travaillent dans le centre et le sud de la Somalie (B) ont ajouté que la situation des minorités est toujours précaire, en ce sens qu’elles auraient besoin de protection contre par exemple les criminels. Si la personne est riche, le problème est facile à résoudre; par contre, si la personne est pauvre, c’est différent. Il est également important de souligner que même si la personne appartient à un clan somalien majeur, mais que les membres de ce clan sont en surnombre dans une région donnée (comme c’est le cas aujourd’hui des membres du clan Majerteen à Mogadiscio), elle aura besoin d’un certain type de protection ou d’arrangement pour faire des affaires ou s’engager dans une activité publique. D’un autre côté, la personne qui appartient au clan Hawiye est en sécurité, puisque Mogadiscio est devenue une ville dominée par le clan Hawiye [...].

[…]

Une mission conjointe d’enquête du Danemark et de la Norvège (DIS/Landinfo FFM) menée en avril et en mai 2013 a permis de recueillir auprès d’une ONG internationale l’information selon laquelle à Mogadiscio, les personnes revenant de l’étranger n’étaient exposées à aucun risque en particulier en raison de leur affiliation à un clan. Interrogée à savoir si cela incluait également les membres de petits clans minoritaires et de groupes ethniques minoritaires, l’ONG a répondu par l’affirmative... Interrogée à savoir si les personnes ayant des problèmes avec d’autres personnes, ou craignant quelque chose, seraient en mesure d’obtenir une assistance, l’ONG internationale a indiqué que les personnes peuvent aller voir la police, communiquer avec leurs aînés ou communiquer avec un député représentant leur propre clan. L’UNHCR en Somalie, Mogadiscio, a confirmé au FFM que pour bénéficier de la protection du clan, la personne concernée devait être connue des aînés du clan ou d’autres membres du clan connus de ces aînés. Il est certain qu’un nouvel arrivant, en particulier s’il n’appartient pas aux clans existants ou aux familles nucléaires, ou s’il est originaire d’une région anciennement ou actuellement contrôlée par un groupe d’insurgés, pourrait faire l’objet d’une attention défavorable. Même ceux qui sont originaires de Mogadiscio pourraient être perçus comme des nouveaux arrivants, s’ils ont été partis longtemps et ont perdu tous les liens avec leur communauté clanique [...].

En bout de ligne, la question de savoir si M. Ahmed est en mesure ou non d’établir des liens suffisants pour convaincre les aînés Sheikhal ou Hawiye de son identité clanique ne semble pas déterminante quant à sa sécurité à Mogadiscio, même si cela pourrait aider.

[Non souligné dans l’original.]

[25]  L’avocat du ministre a souligné que la déléguée du ministre a estimé que la question de l’appartenance du demandeur à son sous-clan [traduction] « ne semble pas déterminante quant à sa sécurité à Mogadiscio ». Toutefois, comme le souligne l’avocat du demandeur, la déléguée du ministre n’a pas dit qu’elle ne s’appuierait pas sur ce rapport.

[26]  Concernant ces faits, j’estime que la déléguée du ministre a tenu compte de ce rapport trouvé sur Internet et s’est appuyée dessus. Je suis également d’avis que la documentation trouvée sur le site Web de l’UNHCR constituait un élément important dans l’analyse du risque de la déléguée.

[27]  En 1999, la Cour d’appel fédérale a jugé que de tels documents constituaient une « ”preuve extrinsèque” et que l’agent n’était tenu de les divulguer que s’ils étaient inédits et importants et faisaient état de changements survenus dans la situation du pays qui risquaient d’avoir une incidence sur sa décision » : Nadarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999), 237 NR 15 (CAF). À cet égard, la règle générale est que les agents doivent divulguer la preuve extrinsèque invoquée et accorder au demandeur la possibilité de répondre si deux conditions sont remplies : premièrement, lorsque la preuve est vraiment extrinsèque, à savoir « nouvelle et importante » et d’autre part, lorsqu’il s’agit d’une information que le demandeur ne pouvait raisonnablement pas avoir connaissance : Joseph c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 904; Toma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 780, au paragraphe 14, citant le juge Rothstein dans l’arrêt Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 CF 720 (1re inst.), aux pages 730 et 731, qui a conclu que la preuve extrinsèque en est une dont le demandeur « ne peut raisonnablement avoir connaissance ».

[28]  En l’espèce, les renseignements sur l’appartenance à un clan/sous-clan trouvés sur le site www.refworld.org et sur lesquels la déléguée s’est appuyée, dataient de 2017. Le demandeur avait jusqu’au 31 octobre 2016 pour déposer sa réponse au rapport de l’analyste. Il ne fait aucun doute que le demandeur ne pouvait raisonnablement avoir connaissance de ces renseignements.

[29]  Le défaut de divulguer la preuve et de fournir une occasion de répondre violait les exigences procédurales établies par le paragraphe 122 de l’arrêt Suresh, en ce sens que les renseignements constituaient, à mon avis, des éléments sur lesquels le ministre « a en grande partie fondé sa décision ». Par conséquent, ils « doivent être communiqués à l’intéressé ». Ils ne l’ont pas été. Par conséquent, la déléguée du ministre a manqué à l’obligation d’équité procédurale.

[30]  Durant l’audience, la Cour a entendu certains commentaires à propos du site www.refworld.org. Il s’agit d’un site de l’UNHCR, comme je l’ai souligné précédemment. La Cour fédérale s’appuie sur des documents trouvés sur www.refworld.org depuis au moins 2008, soit depuis une décennie et plus : Cekaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1531, par le juge Rennie (tel était alors son titre), au paragraphe 26; Appu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 780, par le juge Shore, au paragraphe 43; Muhammad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1483, par le juge Boivin (tel était alors son titre), au paragraphe 45; Lai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 646, par la juge Strickland, au paragraphe 51; Osorio Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 366, par le juge Barnes, aux paragraphes 11 et 12; Mfoutou Nsika c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1026, par la juge Gleason (tel était alors son titre), au paragraphe 26; Es-Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1489, par le juge Shore, au paragraphe 49.

[31]  Compte tenu de ce qui précède, je n’ai aucun doute que le site www.refworld.org est utilisé correctement comme outil de recherche par les décideurs canadiens dans le contexte de demandes d’asile. Comme je l’ai souligné, il n’est pas possible que cela ait été le cas en l’espèce.

[32]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[33]  Étant donné que l’analyse du danger effectuée par la déléguée du ministre en vertu de l’alinéa 115(2)a) n’a pas été contestée, je ne vois aucune raison d’en débattre à nouveau. Les conclusions de la déléguée du ministre à cet égard lient le demandeur à propos du réexamen. Le nouveau décideur devra se demander si le demandeur sera personnellement exposé à un risque de persécution, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il est renvoyé en Somalie.

VI.  Question à certifier

[34]  Il n’y a aucune question sérieuse d’importance générale à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3408-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.

  2. La décision de la déléguée du ministre relativement à l’analyse du danger en vertu de l’alinéa 115(2)a) est maintenue.

  3. La décision de la déléguée du ministre relativement à l’analyse du risque, à savoir si le demandeur sera personnellement exposé à un risque de persécution, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il est renvoyé en Somalie, est annulée et renvoyée pour une nouvelle détermination par un décideur différent.

  4. Aucune question n’est certifiée.

  5. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3408-17

 

INTITULÉ :

IRSHAD MOHAMED AHMED c. MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

Talia Joundi

 

Pour le demandeur

 

Bradley Gotkin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald Poulton

Avocat

Poulton Law Office, Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada, Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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