Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20180502


Dossier : T-1000-15

Référence : 2018 CF 436

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2018

En présence de madame la juge Mactavish

AFFAIRE INTÉRESSANT LES ARTICLES 5 ET 6 DE

LA LOI SUR L’ARBITRAGE COMMERCIAL,

L.R.C. (1985), c 17 (2e suppl.),

ET L’ARTICLE PREMIER AINSI QUE LES ARTICLES 6 ET 34

DU CODE D’ARBITRAGE COMMERCIAL

FIGURANT À L’ANNEXE DE LA

LOI SUR L’ARBITRAGE COMMERCIAL,

ET UN ARBITRAGE

FONDÉ SUR LE CHAPITRE 11 DE

L’ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE NORD-AMÉRICAIN

(ALÉNA)

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

WILLIAM RALPH CLAYTON, WILLIAM RICHARD CLAYTON, DOUGLAS CLAYTON, DANIEL CLAYTON et BILCON OF DELAWARE, INC.

défendeurs

et

LA FONDATION SIERRA CLUB CANADA ET LA EAST COAST ENVIRONMENTAL LAW ASSOCIATION (2007)

intervenantes

JUGEMENT ET MOTIFS

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphe

I. Introduction

1

II. Les investisseurs

7

III. Le projet

8

IV. La commission d’examen conjoint fédérale-provinciale

12

V. Le recours à l’arbitrage

23

VI. Les dispositions pertinentes de l’ALÉNA

27

VII. La décision du Tribunal de l’ALÉNA

34

A. La décision du Tribunal (à la majorité)

37

43

B. L’opinion dissidente

52

VIII. La question en litige

62

IX. La norme de contrôle applicable

64

X. Le Tribunal a-t-il commis une erreur de compétence en l’espèce?

84

A. Les observations des parties

84

B. Remarques à propos de la décision du Tribunal (à la majorité)

91

C. Quelle était la question que devait trancher le Tribunal?

100

D. La sentence du Tribunal (à la majorité) portait-elle sur une question non visée par le différend soumis à l’arbitrage aux termes du chapitre onze de l’ALÉNA?

106

i) Le différend que les investisseurs ont soumis à l’arbitrage

108

ii) La thèse du Canada concernant la prise en compte du droit interne par le Tribunal

113

iii) La thèse du Canada concernant les articles pertinents de l’ALÉNA et les notes interprétatives

125

iv) Discussion

130

E. Y a-t-il une disposition dans l’ALÉNA qui empêchait la majorité du Tribunal de rendre la sentence qu’elle a rendue?

148

i) Le Tribunal avait-il compétence pour entreprendre l’enquête?

159

ii) L’arrêt Metalclad se distingue de l’espèce

164

iii) L’application par le tribunal de la norme énoncée dans la décision Waste Management

170

XI. Les observations des intervenantes

184

XII. Conclusion

198

XIII. Dépens

201

Appendice I

 

Appendice II

 

I. Introduction

[1] Le gouvernement du Canada demande à la Cour de rendre une ordonnance annulant une sentence arbitrale rendue à la majorité en faveur des défendeurs par un Tribunal constitué aux termes du chapitre onze de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). La majorité du Tribunal a conclu que le Canada avait manqué à certaines de ses obligations au titre de l’ALÉNA après qu’un comité d’évaluation environnementale fédéral-provincial eut recommandé que le projet de carrière et de terminal maritime proposé par les défendeurs en Nouvelle-Écosse n’aille pas de l’avant. S’appuyant sur les conclusions de cette évaluation, les gouvernements du Canada et de la Nouvelle-Écosse ont par la suite refusé d’approuver le projet.

[2] Le Canada soutient que la majorité du Tribunal a commis une erreur en tirant la conclusion que le Canada avait manqué à ses obligations au titre de l’ALÉNA et en fondant sa décision relative à la responsabilité sur sa conclusion selon laquelle l’évaluation environnementale n’avait pas été effectuée conformément aux lois fédérales et provinciales applicables. La décision relative à la responsabilité rendue par le Tribunal (à la majorité) était également fondée sur sa conclusion selon laquelle l’évaluation avait été effectuée d’une manière qui ne respectait pas le degré d’équité procédurale exigé par le droit administratif canadien.

[3] Le Canada souligne que les tribunaux de l’ALÉNA n’ont pas pour mandat d’examiner les décisions judiciaires ou administratives rendues par les États parties, et qu’ils sont seulement habilités à trancher des questions de droit international. Alors que la majorité du Tribunal était censée fonder sa décision sur des principes de droit international, le Canada soutient qu’il a plutôt tranché des questions de droit canadien qui sont du seul ressort de notre Cour. Selon le Canada, cette usurpation de compétence commande l’annulation de la sentence arbitrale.

[4] Les défendeurs soulignent que le pouvoir de notre Cour de modifier des décisions arbitrales internationales est strictement limité par les dispositions de la Loi sur l’arbitrage commercial, laquelle empêche notre Cour d’examiner le bien-fondé d’une décision d’un tribunal d’arbitrage. La Cour ne peut intervenir que lorsqu’un tribunal d’arbitrage tranche une question qui dépasse la portée du différend soumis à l’arbitrage par les parties, ou lorsque l’un des cinq autres motifs d’annulation d’une sentence arbitrale énumérés est présent. Les défendeurs soutiennent que la majorité du Tribunal n’a commis aucune erreur de compétence de ce type en l’espèce, et que sa conclusion relative à la responsabilité n’était pas fondée sur les lois internes du Canada, mais sur les principes du droit international enchâssés dans les dispositions pertinentes de l’ALÉNA.

[5] Selon les défendeurs, le Canada tente de fabriquer une question de compétence là où il n’y en a pas, ce qui, selon eux, constitue une tentative évidente pour débattre de nouveau du bien-fondé de l’affaire. Les défendeurs affirment qu’en l’absence d’une réelle question portant sur la compétence du Tribunal, la demande devrait être rejetée.

[6] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la demande présentée par le Canada en vue d’obtenir l’annulation de la sentence arbitrale du Tribunal ne peut être accueillie, puisque les erreurs attribuées à la majorité du Tribunal ne soulèvent pas de véritables questions de compétence. Ce que le Canada conteste, ce sont les conclusions de fait auxquelles est parvenue la majorité du Tribunal, ou son application du droit aux faits constatés. En l’absence d’une réelle erreur de compétence de la part du Tribunal, notre Cour n’a pas le pouvoir d’intervenir. En conséquence, la demande sera rejetée.

II. Les investisseurs

[7] La défenderesse Bilcon of Delaware, Inc. est une société américaine. Les défendeurs William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton et Daniel Clayton sont citoyens américains. Bilcon of Delaware, Inc. et certains membres de la famille Clayton possèdent ou contrôlent une filiale constituée en société en Nouvelle-Écosse, connue sous le nom de Bilcon of Nova Scotia (Bilcon). Aux fins des présents motifs, les défendeurs sont désignés collectivement comme « les investisseurs ».

III. Le projet

[8] Les investisseurs ont constitué en société Bilcon en 2002, dans le but de développer une carrière de basalte, une usine de traitement, une installation de chargement des navires et un terminal maritime à Whites Point, en Nouvelle-Écosse (le projet). Whites Point est une communauté adjacente à la baie de Fundy.

[9] La baie de Fundy est une importante aire d’alimentation et de reproduction pour de nombreux animaux marins, y compris un certain nombre d’espèces protégées par la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29. En 2001, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture a désigné l’aire comme une « réserve de biosphère », c’est-à-dire un écosystème qui favorise la biodiversité, la conservation et les ressources durables.

[10] Le projet proposé par les investisseurs comportait deux volets principaux. Le premier volet consistait en une carrière de 152 hectares devant être située à un kilomètre à l’ouest du village de Little River, où la roche serait dynamitée, pilée, nettoyée et stockée. Le deuxième volet du projet consistait en un terminal maritime de 170 mètres de long, où des vraquiers d’une longueur maximale de 230 mètres pourraient accoster pour être chargés de granulats traités. Il était prévu que Bilcon expédierait 40 000 tonnes de pierres de qualité supérieure de la Nouvelle-Écosse depuis Whites Point jusqu’aux États-Unis chaque semaine (ou 2 000 000 de tonnes par année) sur une période de 50 ans.

[11] S’appuyant sur les encouragements qu’ils disent avoir reçus des « plus hauts paliers de gouvernement », les investisseurs ont consacré de nombreuses années à la poursuite du projet et investi des millions de dollars, pour finalement voir les gouvernements fédéral et provincial refuser d’approuver le projet.

IV. La commission d’examen conjoint fédérale-provinciale

[12] Le projet était assujetti à deux régimes d’évaluation environnementale, la Environment Act de la Nouvelle-Écosse, S.N.S. 1994-95, c 1 (la NSEA) et la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 1992, c 37 (la LCEE), ainsi qu’aux règlements pris en vertu de chaque loi. La réalisation d’une évaluation environnementale fédérale constituait une condition préalable pour que les investisseurs obtiennent les permis nécessaires de diverses agences des gouvernements fédéral et provincial afin que le projet puisse aller de l’avant.

[13] Les gouvernements fédéral et provincial ont décidé d’harmoniser leurs évaluations et, en 2004, ils ont mis sur pied une commission d’examen conjoint (CEC) fédérale-provinciale chargée d’effectuer une évaluation environnementale du projet. Les investisseurs ne nient pas qu’une évaluation environnementale était obligatoire en l’espèce. Toutefois, ils contestent la façon dont l’évaluation a été réalisée.

[14] Devant le Tribunal de l’ALÉNA, les investisseurs se sont opposés à la décision de renvoyer le projet à une commission d’examen conjoint pour une évaluation, plutôt que de le soumettre à une évaluation environnementale moins rigoureuse. Ils ont également contesté la composition de la CEC elle-même. Le Tribunal a refusé d’examiner ces allégations au motif qu’elles avaient été présentées après le délai de prescription de trois ans prévu à l’article 1116 de l’ALÉNA, et ces arguments ne sont pas en cause dans la présente procédure.

[15] Aux termes de la NSEA, la CEC devait déterminer si le projet occasionnerait des effets négatifs ou des effets sur l’environnement qui ne pourraient être atténués. À cette fin, la NSEA exigeait une vaste enquête sur les effets potentiels du projet sur les environnements biophysique et humain. La NSEA définit le terme [traduction] « environnement » de manière large comme englobant [traduction] « l’air, la terre et l’eau », ainsi que [traduction] « les conditions socioéconomiques, […] la santé environnementale [et] le patrimoine physique et culturel ». Elle définit les [traduction] » effets environnementaux » comme englobant [traduction] « tout changement, négatif ou positif, que l’entreprise peut causer dans l’environnement, y compris tout effet sur les conditions socio-économiques, sur la santé environnementale, [ou] sur le patrimoine physique et culturel [...] ». Le Règlement de la NSEA prévoyait que la CEC devait faire des recommandations sur ces facteurs au ministre de l’Environnement et du Travail de la Nouvelle-Écosse, qui était chargé d’approuver le projet (avec ou sans conditions) ou de le rejeter.

[16] Aux termes de la LCEE, la CEC était tenue de prendre en considération les effets environnementaux du projet et leur importance. Comme la NSEA, la LCEE exigeait que les effets biophysiques et socio-économiques soient pris en considération. La LCEE définit les « effets environnementaux » en partie comme « les changements que la réalisation d’un projet risque de causer à l’environnement » et « les répercussions de ces changements [dans l’environnement] soit en matière sanitaire et socioéconomique, soit sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles par les autochtones [...] ». La LCEE exigeait également qu’il soit tenu compte des « mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet ».

[17] Après presque trois ans de travail, la CEC a présenté son rapport aux gouvernements du Canada et de la Nouvelle-Écosse le 22 octobre 2007. La CEC a recommandé que le projet ne soit pas autorisé à aller de l’avant parce qu’il risquait de causer des effets environnementaux négatifs importants qui ne pourraient être justifiés dans les circonstances.

[18] Même si la CEC a exprimé de nombreuses réserves concernant les effets biophysiques et socioéconomiques potentiels du projet, la principale conclusion sur laquelle reposait sa recommandation de rejeter le projet était « que le projet aurait un effet négatif important sur une composante valorisée de l’écosystème représentée par les “valeurs essentielles” des communautés touchées ». Comme l’a expliqué la CEC, « [l]’implantation proposée d’un projet industriel dans la région minerait et mettrait en danger les visions et attentes des communautés et entraînerait des changements irrévocables et malvenus de leur qualité de vie ».

[19] Un élément essentiel qui a influencé la décision de la CEC de recommander le rejet du projet est l’impact négatif sur les gens, les communautés et l’économie de la péninsule et des îles de Digby. Elle a souligné que cette région de la Nouvelle-Écosse « est unique de par son histoire, ses activités de développement communautaire et son évolution » et que « [d]éfinies par sa population et ses administrations publiques, ses valeurs essentielles soutiennent les principes de développement durable fondés sur la qualité de l’environnement ».

[20] La CEC a ajouté que « [l]es résidants locaux sont profondément enracinés dans les écosystèmes terrestre et maritime de cette région et en dépendent fortement » et que « la santé et le bien-être de la population sont intrinsèquement liés à la viabilité de l’écosystème ». La CEC était d’avis que le projet « porterait gravement atteinte à la planification du développement économique porté par la communauté et mettrait en péril une région reconnue et glorifiée comme modèle de viabilité par les instances locales, régionales, nationales et internationales ». Elle a de plus conclu que « [l]e projet ne concorde pas avec de nombreux principes et politiques d’administration publique aux niveaux local, provincial et national », et qu’il n’apporterait pas de contribution nette à la durabilité et risquait d’avoir un effet environnemental négatif important sur les gens et les communautés vivant sur la péninsule et dans les îles de Digby.

[21] La CEC a choisi de ne fournir aucune recommandation concernant les mesures qui pourraient être prises pour atténuer les effets environnementaux du projet, dans l’éventualité où les autorités gouvernementales décideraient de l’approuver. Cela tient au fait qu’elle a conclu que l’incidence du projet sur les « valeurs essentielles de la collectivité » constituait un effet environnemental négatif important qui ne pourrait être atténué.

[22] Après la présentation par la CEC de son rapport, les autorités devaient décider s’il fallait prendre des mesures aux termes des lois fédérales et provinciales pour permettre au projet d’aller de l’avant. En novembre 2007, la Nouvelle-Écosse a rendu une décision par laquelle elle refusait d’autoriser la poursuite du projet. Le Canada en a fait autant le mois suivant, en rendant une décision distincte refusant aux investisseurs la permission de poursuivre le projet.

V. Le recours à l’arbitrage

[23] Bien qu’ils aient cerné ce qu’ils affirment être de nombreuses erreurs de procédure et de fond dans le processus et le rapport de la CEC, les investisseurs n’ont pas demandé le contrôle judiciaire du rapport de la CEC, ni devant notre Cour, ni devant les tribunaux de la Nouvelle-Écosse. Ils n’ont pas non plus contesté les décisions des gouvernements leur refusant la permission de poursuivre le projet devant l’un ou l’autre des paliers de gouvernement.

[24] Les investisseurs ont plutôt déposé, le 5 février 2008, un avis d’intention de soumettre à l’arbitrage une demande de dommages-intérêts, aux termes des dispositions sur le règlement des différends entre un État et un investisseur du chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T. Can. 1994 n° 2, 32 I.L.M. 289 (ALÉNA).

[25] Le 26 mai 2008, les investisseurs ont émis un avis d’arbitrage aux termes de l’ALÉNA, réclamant des dommages-intérêts pour les manquements du Canada aux articles 1102 (traitement national), 1103 (traitement de la nation la plus favorisée) et 1105 (norme minimale de traitement) de l’ALÉNA.

[26] À l’appui de leur demande de dommages-intérêts, les investisseurs ont affirmé que le régime de réglementation environnementale du Canada avait été appliqué à eux de façon arbitraire, injuste et discriminatoire. Entre autres choses, les investisseurs ont soutenu que la norme d’évaluation utilisée par la CEC pour évaluer l’effet environnemental du projet de Whites Point ne relevait pas de son mandat aux termes de la loi canadienne. Les investisseurs ont en outre affirmé qu’en se fondant sur une évaluation environnementale viciée pour refuser d’approuver le projet, les gouvernements fédéral et provincial ont rendu des décisions fondamentalement arbitraires et injustes et ont enfreint les articles susmentionnés de l’ALÉNA.

VI. Les dispositions pertinentes de l’ALÉNA

[27] Le chapitre onze de l’ALÉNA porte sur les investissements effectués par des investisseurs d’une Partie à l’ALÉNA sur le territoire d’une autre Partie à l’ALÉNA. Il avait pour but de favoriser l’objectif de l’ALÉNA d’accroître les possibilités d’investissement dans les territoires des trois pays signataires du Traité.

[28] La section A du chapitre onze de l’ALÉNA énonce les obligations de chaque Partie à l’égard des investisseurs d’autres pays signataires de l’ALÉNA. Entre autres obligations, les États parties sont tenus de traiter les investisseurs d’un autre pays de l’ALÉNA conformément à la norme minimale de traitement prévue par le droit international coutumier, et de leur accorder un traitement non moins favorable que celui accordé à leurs propres investisseurs. La section B du chapitre onze permet à un investisseur d’un pays de l’ALÉNA de soumettre à l’arbitrage une plainte contre un État hôte selon laquelle les clauses de fond du chapitre onze n’ont pas été respectées : William S. Dodge, National Courts and International Arbitration: Exhaustion of Remedies and Res Judicata Under Chapter Eleven of NAFTA, 23 Hastings Int’l & Comp. L. Rev., p. 358.

[29] Sont en cause en l’espèce les articles 1102 et 1105 de l’ALÉNA, dont les passages pertinents sont ainsi libellés :

Article 1102 : Traitement national

Article 1102: National Treatment

1. Chacune des Parties accordera aux investisseurs d’une autre Partie un traitement non moins favorable que celui qu’elle accorde, dans des circonstances analogues, à ses propres investisseurs, en ce qui concerne l’établissement, l’acquisition, l’expansion, la gestion, la direction, l’exploitation et la vente ou autre aliénation d’investissements. [. . .]

1. Each Party shall accord to investors of another Party treatment no less favorable than that it accords, in like circumstances, to its own investors with respect to the establishment, acquisition, expansion, management, conduct, operation, and sale or other disposition of investments. [. . .]

Article 1105 : Norme minimale de traitement

Article 1105: Minimum Standard of Treatment

1. Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre Partie un traitement conforme au droit international, notamment un traitement juste et équitable ainsi qu’une protection et une sécurité intégrales. [. . .]

1. Each Party shall accord to investments of investors of another Party treatment in accordance with international law, including fair and equitable treatment and full protection and security. [. . .]

Le texte intégral de chacune de ces dispositions figure à l’Appendice I des présents motifs.

[30] L’objet de l’article 1105 de l’ALÉNA a été ainsi défini : [traduction] « éviter ce qui pourrait autrement constituer un écart » dans les mesures de protection offertes aux investisseurs et aux États. Autrement dit, un [traduction] « gouvernement pourrait traiter un investisseur de façon sévère, injurieuse et injuste, mais le faire d’une manière qui n’est pas différente du traitement infligé à ses propres citoyens. La “norme minimale” est le seuil en dessous duquel le traitement des investisseurs étrangers ne doit pas descendre, même si un gouvernement n’a pas agi de manière discriminatoire » : les deux extraits sont tirés de la décision S.D. Myers, Inc. v Government of Canada, (CNUDCI), sentence partielle, 13 novembre 2000, au paragraphe 259, citée dans l’arrêt United Mexican States v Metalclad Corporation, 2001 BCSC 664, au paragraphe 61, 89 B.C.L.R. (3d) 359.

[31] Les « notes d’interprétation » de la Commission du libre-échange de l’ALÉNA sont également pertinentes à l’article 1105 : voir les « Notes d’interprétation de certaines dispositions du chapitre 11, 31 juillet 2001 », en ligne : Affaires mondiales Canada <https://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/topics-domaines/disp-diff/NAFTA-Interpr.aspx?lang=fra> (Notes de la CLE). En ce qui concerne la norme minimale de traitement, les notes de la CLE indiquent ce qui suit :

  1. le paragraphe 1105(1) prescrit la norme minimale de traitement conforme au droit international coutumier à l’égard des étrangers comme norme minimale de traitement à accorder aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre Partie.

  2. Les concepts de « traitement juste et équitable » et de « protection et sécurité intégrales » ne prévoient pas de traitement supplémentaire ou supérieur à celui exigé par la norme minimale de traitement conforme au droit international coutumier à l’égard des étrangers.

  3. Une conclusion selon laquelle il y a eu violation d’une autre disposition de l’ALÉNA, ou d’un accord international distinct, ne démontre pas qu’il y ait eu violation du paragraphe 1105(1).

[32] Conformément au paragraphe 1131(2) de l’ALÉNA et à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, 1155 R.T.N.U. 331, 8 I.L.M. 679 (Convention de Vienne), de telles interprétations de la part de la Commission du libre-échange de l’ALÉNA lient les tribunaux de l’ALÉNA.

[33] En autant que l’article 1102 de l’ALÉNA est concerné, les obligations relatives au traitement national incluses dans les accords entre les investisseurs et les États visaient traditionnellement à uniformiser les règles du jeu économique entre les participants étrangers et nationaux. L’article 1102 impose aux parties à l’ALÉNA l’obligation [traduction] « de ne pas faire de discrimination entre les investisseurs ou investissements étrangers et nationaux en raison de la nationalité, dans des circonstances analogues » : Sergio Puig & Meg Kinnear, NAFTA Chapter Eleven at Fifteen: Contributions to a Systemic Approach in Investment Arbitration », (2010) ICSID Rev/F.I.L.J. 225, page 241.

VII. La décision du Tribunal de l’ALÉNA

[34] Le Tribunal était composé de trois membres. Le professeur Bryan Schwartz a été nommé par les investisseurs et le professeur Donald McRae, par le Canada. Le juge Bruno Simma a été nommé président du Tribunal avec l’accord des parties.

[35] Le Tribunal a rendu sa décision le 17 mars 2015 : Bilcon of Delaware Inc. et al. v Government of Canada (UNCITRAL), P.C.A. Case No. 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015. Comme les parties avaient convenu de scinder la procédure, la sentence arbitrale initiale ne portait que sur les questions de compétence et de responsabilité. Bien que le Tribunal ait conclu à l’unanimité qu’il avait compétence pour statuer sur la plainte des investisseurs, il y avait désaccord sur la question de savoir si le Canada a manqué à l’une ou l’autre de ses obligations aux termes de l’ALÉNA.

[36] Le président Simma et le professeur Schwartz ont conclu dans une décision rendue à la majorité que le Canada était responsable de manquements aux articles 1102 et 1105 de l’ALÉNA, alors que le professeur McRae a conclu à l’absence de responsabilité de la part du Canada. Les audiences du Tribunal sur le montant des dommages-intérêts devaient commencer en février 2018. Les investisseurs demandent plus d’un demi-milliard de dollars canadiens en dommages-intérêts pour les manquements du Canada aux obligations que lui impose l’ALÉNA.

A. La décision du Tribunal (à la majorité)

[37] Bien que les investisseurs aient contesté un large éventail de mesures et de décisions prises au cours du processus de la CEC, le Tribunal (à la majorité) a conclu à la responsabilité du Canada aux termes des articles 1105 et 1102 de l’ALÉNA, principalement en raison de deux actes de la CEC : son recours au concept de « valeurs essentielles de la collectivité » pour en arriver à recommander que le projet ne soit pas autorisé à aller de l’avant, et son approche quant à la question des mesures d’atténuation. Le Tribunal (à la majorité) a également tenu compte des attentes qui avaient été créées dans l’esprit des investisseurs par les représentants gouvernementaux.

[38] Le Tribunal (à la majorité) a reconnu à plusieurs reprises dans sa décision qu’il était tenu d’appliquer le droit international coutumier pour déterminer si les actes de la CEC contrevenaient à l’article 1105 de l’ALÉNA. Quant à la norme minimale de traitement requise par le droit international coutumier, le Tribunal (à la majorité) a affirmé que la décision LFH Neer and Pauline Neer (USA) v United Mexican States (1926), 4 RIAA 60, avait servi de [traduction] « point de départ » à son analyse. Dans la décision Neer, on a conclu que pour établir un manquement à la norme minimale de traitement des étrangers selon le droit international coutumier, il fallait démontrer que le traitement en question équivalait [traduction] « à de la mauvaise foi, à un manquement délibéré au devoir, ou à une intervention gouvernementale insuffisante ne respectant pas les normes internationales, au point où un homme raisonnable et impartial en reconnaîtrait facilement l’insuffisance » : pages 61 et 62.

[39] Le Tribunal (à la majorité) a souligné que, plus récemment, dans la décision Glamis Gold Ltd. v United States of America, CNUDCI, sentence, 8 juin 2009, le Tribunal a conclu qu’il fallait [traduction] « un déni de justice évident, un caractère manifestement arbitraire, une iniquité frappante, une absence totale d’application régulière de la loi, une discrimination patente ou une absence manifeste de motifs » pour établir un manquement à la norme minimale de traitement en droit international coutumier : au paragraphe 762. Cela dit, le Tribunal (à la majorité) a conclu que [traduction] « les tribunaux de l’ALÉNA ont eu tendance à s’éloigner de la doctrine exprimée plus récemment dans la décision Glamis, et à plutôt considérer que la norme minimale internationale a évolué au fil des ans et offre maintenant une plus grande protection aux investisseurs » : au paragraphe 435.

[40] Tout en soulignant que [traduction] « aucune sentence arbitrale unique ne peut permettre de saisir de manière définitive et exhaustive le sens de l’article 1105 », le Tribunal (à la majorité) a affirmé qu’il retenait la norme énoncée par le Tribunal de l’ALÉNA dans la décision Waste Management, Inc. v United Mexican States, (ICSID), Case No. Arb(AF)/00/3, sentence, 30 avril 2004 (Waste Management), qui interdit toute conduite [traduction] « arbitraire, manifestement injuste, partiale ou idiosyncratique [...] » : aux paragraphes 442 et 443. Le Tribunal (à la majorité) a toutefois ajouté que [traduction] « la liste laisse entendre que le critère permettant de déterminer que la conduite d’un État hôte équivaut à un manquement à l’article 1105 de l’ALÉNA est rigoureux, mais que rien n’exige, dans tous les cas, que la conduite contestée atteigne le niveau d’un comportement choquant ou scandaleux [...] » : au paragraphe 444.

[41] Le Tribunal (à la majorité) a également souligné qu’il fallait généralement plus qu’un simple manquement au droit interne ou à l’équité procédurale, plus qu’un exercice imprudent de son pouvoir discrétionnaire ou même qu’une erreur pure et simple pour établir un manquement à la norme minimale internationale aux fins de l’article 1105 de l’ALÉNA : aux paragraphes 436 et 437, 594 et 738.

[42] Enfin, le Tribunal (à la majorité) a admis que les attentes raisonnables des investisseurs constituent un facteur à prendre en compte pour déterminer si un État hôte a manqué à la norme internationale minimale de traitement juste prévue à l’article 1105 de l’ALÉNA : aux paragraphes 444, 445 et 455.

i) L’application par le Tribunal (à la majorité) de la norme énoncée dans la décision Waste Management

[43] Le Tribunal (à la majorité) a conclu qu’en l’espèce, les autorités gouvernementales de la Nouvelle-Écosse avaient créé des attentes légitimes chez les investisseurs en indiquant clairement et à plusieurs reprises que Bilcon était la bienvenue avec son projet de carrière côtière et de terminal maritime à Whites Point. Le Tribunal (à la majorité) a toutefois reconnu que tous ces encouragements avaient été donnés à condition que Bilcon présente un projet conforme aux lois fédérales et provinciales sur l’environnement : au paragraphe 589.

[44] Le Tribunal (à la majorité) a également conclu que les investisseurs s’étaient fiés à ces encouragements à leur détriment, en consacrant des ressources importantes au processus d’évaluation environnementale et en tentant de concevoir un projet qui respecterait toutes les exigences légales pertinentes en matière de protection de l’environnement.

[45] Selon la majorité, la CEC a ensuite agi de façon arbitraire en créant effectivement une nouvelle norme d’évaluation, à savoir celle des « valeurs essentielles de la collectivité », sans en aviser Bilcon, et en donnant à cette norme un rôle important pour la conclusion du rapport, selon laquelle le projet ne devrait pas être mené à bien. Le Tribunal (à la majorité) a également conclu que la CEC avait en substance jugé que la région de Whites Point était une zone « interdite » pour les projets de ce genre, sans prendre en considération les mesures qui pourraient atténuer les effets négatifs du projet sur l’environnement : au paragraphe 505.

[46] Selon la majorité, l’approche des « valeurs essentielles de la collectivité » retenue par la CEC ne constituait pas une [traduction] « politique gouvernementale rationnelle » et ne correspondait pas au libellé et à la politique de la LCEE. L’approche retenue par la CEC était, en outre, incompatible avec les objectifs de libéralisation des investissements de l’ALÉNA et n’était pas conforme à l’article 1105 de l’Accord : au paragraphe 724.

[47] Le Tribunal (à la majorité) a de plus conclu que les investisseurs ont été traités injustement durant le processus de la CEC, puisqu’ils n’avaient aucun moyen de savoir que l’incidence du projet sur les « valeurs essentielles de la collectivité » était en cause, et qu’ils ne pouvaient par conséquent demander des éclaircissements et répondre aux préoccupations de la CEC à cet égard : aux paragraphes 534 et 543.

[48] La conclusion du Tribunal (à la majorité) concernant la légalité des actes de la CEC en vertu du droit interne canadien a également été capitale dans sa conclusion selon laquelle le Canada avait manqué à l’article 1102 de l’ALÉNA. Il convient de rappeler que cette disposition exigeait que les investisseurs et leurs investissements soient traités de la même manière que les investisseurs et les investissements canadiens, dans des circonstances analogues.

[49] Citant la décision Pope & Talbot Inc. c le Gouvernement du Canada (CNUDCI), Règlement d’arbitrage, sentence sur le fond de la Phase II, 10 avril 2001, au paragraphe 78, le Tribunal (à la majorité) a souligné que les différences de traitement [traduction] « violeront de prime abord le paragraphe 1102(2) de l’ALÉNA, à moins d’avoir un lien raisonnable avec des politiques gouvernementales rationnelles qui 1) ne font aucune distinction, à première vue, entre les entreprises étrangères et nationales et 2) ne perturbent pas indûment les objectifs de libéralisation des investissements poursuivis par l’ALÉNA » : au paragraphe 722.

[50] Après avoir examiné les nombreux éléments de preuve présentés par les parties concernant le traitement accordé à des projets « similaires », le Tribunal (à la majorité) a conclu qu’en raison de l’approche imparfaite adoptée par la CEC pour le processus d’évaluation environnementale, les investisseurs, contrairement à des promoteurs canadiens [traduction] « n’ont pas bénéficié de l’application prévue et légalement imposée, aux fins de l’évaluation environnementale fédérale canadienne, de la norme d’évaluation essentielle prévue aux termes de la LCEE » : au paragraphe 697. La majorité du Tribunal a par conséquent conclu que le Canada avait privé les investisseurs d’un traitement national relativement au projet, en violation de l’article 1102 de l’ALÉNA : au paragraphe 725.

[51] Les plaintes des investisseurs aux termes de l’article 1103 ont été rejetées et ne sont pas en cause dans la présente instance.

B. L’opinion dissidente

[52] Le professeur McRae n’était pas d’accord avec la conclusion de la majorité concernant la responsabilité. Il a conclu que si l’on examinait le rapport de la CEC dans son intégralité, il était manifeste que l’expression « valeurs essentielles de la collectivité » était utilisée en guise de raccourci pour décrire les effets du projet sur « l’environnement humain ». L’effet du projet sur « l’environnement humain » dans la région de Whites Point était l’un des principaux facteurs que la CEC était tenue d’examiner aux termes de son mandat, et des lois fédérale et provinciale sur l’évaluation environnementale. Par conséquent, le professeur McRae a conclu que les investisseurs savaient qu’ils devaient traiter de ce type d’effets, de sorte qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale à cet égard.

[53] Le professeur McRae s’est dit d’accord avec la conclusion de la majorité portant que la norme énoncée dans la décision Waste Management était la norme appropriée à appliquer pour déterminer s’il y avait eu manquement à l’article 1105 de l’ALÉNA. Cependant, il était d’avis que même si le Tribunal (à la majorité) prétendait appliquer le [traduction] « critère rigoureux » énoncé dans la décision Waste Management, il avait appliqué la norme de manière à ce qu’elle puisse être satisfaite [traduction] « simplement par une allégation de manquement à la loi canadienne » : au paragraphe 2.

[54] Le Tribunal (à la majorité) avait conclu que les faits et gestes de la CEC étaient arbitraires, puisqu’elle avait [traduction] « en effet créé, sans autorisation légale ni avis à Bilcon, une nouvelle norme d’évaluation », au lieu d’appliquer la loi canadienne. Ainsi, le Tribunal (à la majorité) a conclu que la CEC avait agi de façon arbitraire, en s’écartant du droit canadien. Selon le professeur McRae, [traduction] « il ressort de ce raisonnement que tout écart par rapport à la loi canadienne est arbitraire et que toute dérogation à la loi canadienne répond au critère du caractère arbitraire selon la norme énoncée dans la décision Waste Management. Un manquement à l’article 1105 de l’ALÉNA équivaut donc à un manquement à la loi canadienne » : au paragraphe 37. Il a conclu que le critère énoncé dans la décision Waste Management n’avait pas été satisfait en l’espèce : au paragraphe 40.

[55] Le professeur McRae a en outre ajouté que, compte tenu des préoccupations de la CEC concernant l’incidence du projet sur l’environnement humain et de ses réserves quant à la pertinence des renseignements et des données fournis par les investisseurs, la commission était d’avis que [traduction] : « souligner de possibles mesures d’atténuation individuelles ne servait à rien étant donné que ses préoccupations étaient beaucoup plus vastes ». Selon lui, c’était cette [traduction] « accumulation de réserves » qui a finalement amené la commission à recommander le rejet du projet : au paragraphe 29.

[56] Le professeur McRae a reconnu que, au regard du droit canadien, l’on pouvait se demander s’il était approprié que la CEC retienne une telle approche concernant la question des mesures d’atténuation et utilise une expression comme les « valeurs essentielles de la collectivité » pour englober la variété des effets sur l’environnement humain que les investisseurs n’avaient pas réussi à traiter aux termes des exigences de la loi canadienne. Il a également reconnu que la question de savoir si le droit canadien avait été respecté dans le processus ayant abouti au refus d’autoriser la poursuite du projet constituait un point pertinent à considérer pour déterminer s’il y avait eu manquement à l’article 1105 de l’ALÉNA. Toutefois, un manquement à la loi canadienne n’était pas, en soi, suffisant pour établir un tel manquement : au paragraphe 31.

[57] Le professeur McRae était en outre d’avis que le Tribunal ne pouvait conclure que la CEC avait enfreint la loi canadienne sans que notre Cour ne se soit prononcée sur cette question. Il a souligné qu’étant donné que les témoins experts appelés par les parties à l’arbitrage avaient exprimé des points de vue divergents sur ce point, [traduction] « l’affaire était discutable et le Tribunal n’a pu bénéficier d’une décision d’une cour fédérale canadienne sur ce point » : au paragraphe 34.

[58] Le professeur McRae était également préoccupé par les répercussions importantes que la décision du Tribunal (à la majorité) aurait sur l’application des lois environnementales par les parties à l’ALÉNA. Selon lui, la conclusion selon laquelle un manquement potentiel à la loi canadienne est suffisant pour satisfaire à la norme énoncée dans la décision Waste Management et établir un manquement à l’article 1105 de l’ALÉNA, permettant ainsi à un demandeur de contourner le recours interne prévu par le droit canadien, constituait [traduction] « une intrusion importante dans la compétence nationale et aura un effet paralysant sur le fonctionnement des commissions d’examen environnemental » : au paragraphe 48.

[59] Pour appuyer son argument, le professeur McRae a souligné que si une agence d’évaluation environnementale commettait une erreur, ses recommandations étaient soit ignorées par le gouvernement auquel elles étaient adressées, soit annulées lors d’une procédure de contrôle judiciaire. Si, toutefois, les opinions du Tribunal (à la majorité) en l’espèce devaient être retenues, l’application régulière de la loi canadienne par une commission d’examen environnemental relèverait alors d’un tribunal nommé aux termes du chapitre onze de l’ALÉNA, intégrant ainsi au droit canadien un recours en dommages-intérêts qui n’est actuellement pas disponible : au paragraphe 48.

[60] Le professeur McRae a souligné que cette issue [traduction] « peut être troublante pour beaucoup ». Selon lui, il n’y avait rien d’inhabituel à ce qu’une commission d’examen environnemental choisisse de donner plus de poids à l’environnement humain et aux valeurs communautaires qu’à la faisabilité scientifique et technique d’un projet. À son avis, il était loisible à la CEC de conclure que les avantages économiques modestes qui résulteraient du projet au cours des 50 années suivantes, selon la commission, ne l’emportaient pas sur ces valeurs communautaires. Ni le résultat obtenu, ni le processus par lequel la CEC a rendu sa décision [traduction] « ne pourra jamais être considéré comme “offensant les convenances judiciaires” », ce qui a amené le professeur McRae à conclure que [traduction] « la décision du Tribunal (à la majorité) sera perçue comme un recul important en matière de protection de l’environnement » et qu’elle aura [traduction] « un effet paralysant sur les commissions d’examen environnemental, qui se soucieront de ne pas accorder trop de poids aux considérations socioéconomiques ou à d’autres considérations liées à l’environnement humain dans l’éventualité où il en résulterait une demande de dommages-intérêts aux termes du chapitre 11 de l’ALÉNA » : toutes les citations sont tirées du paragraphe 51.

[61] Enfin, le professeur McRae était d’avis que les investisseurs avaient, en fait, été traités conformément à la loi canadienne et qu’il n’y avait aucune raison de conclure que le processus de la CEC avait enfreint l’article 1102 de l’ALÉNA en refusant aux investisseurs le traitement offert aux Canadiens en lien avec le projet : au paragraphe 53.

VIII. La question en litige

[62] Le Canada soutient que le Tribunal a outrepassé sa compétence en fondant sa décision relative à la responsabilité aux termes de l’ALÉNA sur des manquements présumés à la loi canadienne. Il demande donc à la Cour de trancher la question suivante :

La sentence porte-t-elle sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, puisque le Tribunal a conclu à tort que les actes de la CEC avaient enfreint les normes du droit administratif interne et a fondé sa décision relative à la responsabilité aux termes de l’ALÉNA sur cette seule conclusion?

[63] Pour leur part, les investisseurs soutiennent que la sentence arbitrale du Tribunal (à la majorité) ne dépassait pas les termes du différend qu’ils ont soumis à l’arbitrage (avec le consentement du Canada) et que le Canada n’a pas établi que la sentence portait sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contenait des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire.

IX. La norme de contrôle applicable

[64] Le Canada a présenté sa demande aux termes du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code d’arbitrage commercial, qui constitue l’annexe 1 de la Loi sur l’arbitrage commercial, LRC 1985 (2e suppl.), c 17 (le Code). Cette disposition régit les demandes d’annulation des décisions de tribunaux arbitraux internationaux, y compris les plaintes soumises à l’arbitrage au titre de l’article 1116 de l’ALÉNA : Loi sur l’arbitrage commercial, paragraphe 5(4); Code d’arbitrage international, paragraphe 1(1); Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, LC 1993, c 44, paragraphe 2(1)); Clayton c Canada (Procureur général), 2018 CAF 1, au paragraphe 4, [2018] ACF no 11 (Clayton, CAF).

[65] Les dispositions pertinentes du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code prévoient qu’une sentence arbitrale ne peut être annulée par une cour de révision que si la partie qui demande l’annulation de la décision apporte la preuve que « la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire, étant entendu toutefois que, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l’arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l’arbitrage, seule la partie de la sentence contenant des décisions sur les questions non soumises à l’arbitrage pourra être annulée ». On trouvera le texte intégral du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code à l’Appendice II de la présente décision.

[66] Il existe manifestement une « incohérence considérable » dans la jurisprudence canadienne, américaine et mexicaine à l’égard de la norme de contrôle à appliquer aux décisions des tribunaux rendues aux termes du chapitre onze de l’ALÉNA : Henri Alvarez, « Judicial Review of NAFTA Chapter 11 Arbitral Awards », édition Frédéric Bachand, Fifteen Years of NAFTA Chapter 11 Arbitration (International Arbitration Institute: 2011), pages 103 à 105.

[67] La Cour d’appel de l’Ontario a toutefois examiné attentivement la norme de contrôle à appliquer lors de l’examen, aux termes du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code d’arbitrage commercial, d’une sentence rendue au titre du chapitre 11 de l’ALÉNA, dans l’arrêt The United Mexican States v Cargill, Inc., 2011 ONCA 622, 341 D.L.R. (4th) 249 (Cargill). L’arrêt Cargill est l’une des plus récentes décisions rendues par les cours d’appel canadiennes et portant sur cette question dans le contexte de l’ALÉNA; les deux parties conviennent qu’il énonce correctement la norme de contrôle applicable.

[68] Même si l’arrêt Cargill portait sur la norme de contrôle établie aux termes de la Loi sur l’arbitrage commercial international, LRO 1990, c I.9 (et non sur la Loi sur l’arbitrage commercial fédérale), le libellé des deux dispositions est identique. En effet, les deux lois sont fondées sur la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, adoptée par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, le 21 juin 1985.

[69] Dans l’arrêt Cargill, la Cour a commencé son analyse en soulignant que les concepts nationaux sur la norme de contrôle, tant dans le contexte du droit administratif que dans le contexte du réexamen en cour d’appel des décisions de première instance, [traduction] « pourraient ne pas être utiles aux tribunaux lors du réexamen de sentences arbitrales internationales rendues au titre de l’article 34 de la Loi type » : au paragraphe 30. La Cour a en outre souligné qu’aucun des motifs prévus à l’article 34 de la Loi type n’autorise une cour à examiner le bien-fondé d’une décision d’un Tribunal, et que les cours ne peuvent examiner une sentence qu’en cas d’excès de compétence : au paragraphe 31.

[70] La Cour d’appel de l’Ontario a reconnu que [traduction] « les cours ne devraient intervenir qu’avec modération ou dans des cas extraordinaires » : Cargill, précité, au paragraphe 35. En fait, la Cour avait précédemment souligné que [traduction] « la courtoisie internationale et la réalité du marché mondial laissent entendre que les tribunaux ne devraient user de leur pouvoir de modifier une sentence arbitrale internationale qu’avec parcimonie » : The United Mexican States v Karpa (2005), 74 O.R. (3d) 180, au paragraphe 34, [2005] O.J. No. 16.

[71] La Cour a de plus souligné que si les principes de contrôle judiciaire canadiens étaient applicables, elle devrait appliquer la grille d’analyse consacrée par l’arrêt Dunsmuir et déterminer si la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable ou de la décision correcte; la Cour a ajouté que, selon l’arrêt Dunsmuir, les véritables questions de compétence sont habituellement tranchées selon la norme de la décision correcte : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. La Cour a souligné que c’est la norme qu’a appliquée la Cour suprême de la Colombie-Britannique lors de l’examen de la décision d’un tribunal de l’ALÉNA dans l’arrêt Metalclad, précité. C’est également la norme qu’a appliquée notre Cour dans la décision Canada (Procureur général) c S.D. Myers Inc., 2004 CF 38, [2004] 3 R.C.F. 368 (S.D. Myers (Cour fédérale)) : Cargill, précité, au paragraphe 35.

[72] Dans l’arrêt Cargill, la Cour a également tenu compte des principes du droit administratif canadien pour déterminer ce qui constitue une [traduction] « véritable question de compétence ». Se référant de nouveau à l’arrêt Dunsmuir, la Cour a affirmé dans l’arrêt Cargill que le terme « compétence » [traduction] « s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question ». De véritables questions de compétence [traduction] « se posent lorsque le tribunal doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question » : Cargill, au paragraphe 40, faisant référence à l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 59.

[73] La Cour a conclu dans l’arrêt Cargill que [traduction] « l’interprétation [par le tribunal de l’ALÉNA] de ces pouvoirs doit être juste, sinon ses actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence » : Cargill, au paragraphe 40. Cela a amené la Cour d’appel de l’Ontario à conclure que la norme de contrôle à appliquer à une sentence arbitrale rendue au titre de l’ALÉNA est celle de la décision correcte, [traduction] « en ce sens que la conclusion du tribunal selon laquelle il avait compétence pour rendre la décision qu’il a rendue devait être correcte » : au paragraphe 42, citant D.J.M. Brown et J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), pages 14-3 à 14-6.

[74] Cela dit, toujours dans l’arrêt Cargill, la Cour a indiqué que même si la norme de contrôle sur les questions de compétence est celle de la décision correcte, cela ne donne pas aux cours de révision beaucoup de place pour intervenir dans les décisions des tribunaux arbitraux internationaux : au paragraphe 44. Même si les tribunaux canadiens sont tenus d’adopter un point de vue strict quant à ce qui constitue une question de compétence dans un contexte national, cette approche a encore plus d’importance dans un contexte d’arbitrage international, où [traduction] « les tribunaux sont invités à faire preuve de réserve, et à n’intervenir que très rarement dans les décisions rendues par des tribunaux d’arbitrage internationaux spécialisés, choisis par les parties, y compris en qui concerne les questions de compétence » : au paragraphe 46.

[75] Même si une certaine jurisprudence soutient la proposition qu’il existe une « forte présomption » selon laquelle les tribunaux d’arbitrage internationaux spécialisés agissent dans les limites de leurs pouvoirs, cela ne signifie pas qu’une cour de révision devrait présumer que le Tribunal a déterminé à juste titre la portée de sa compétence. Si les cours s’en remettaient aux décisions des tribunaux d’arbitrage dans le cas de véritables questions de compétence, cela [traduction] « annulerait effectivement l’objet et l’intention du pouvoir de révision de la cour au titre du sous-alinéa 34(2)a)iii) » : Cargill, au paragraphe 46.

[76] La Cour a également indiqué que lorsqu’une cour de révision dégage une véritable question de compétence dans une décision d’un tribunal de l’ALÉNA, [traduction] « elle doit soigneusement restreindre la question sur laquelle elle se penche, afin de s’assurer qu’elle ne s’égare pas, consciemment ou par inadvertance, sur le bien-fondé de la question qui a été tranchée par le tribunal » : Cargill, au paragraphe 47; voir aussi Attorney General of Canada v Mobil Investments Canada Inc.et al., 2016 ONSC 790, au paragraphe 37, 129 O.R. (3d) 506 [Mobil].

[77] Dans l’arrêt Cargill, la Cour a conclu que le rôle d’une cour de révision, dans une affaire comme en l’espèce, est de déterminer si le Tribunal a tranché une question qui ne relevait pas du différend soumis à l’arbitrage ou s’il a mal interprété le pouvoir que lui confère l’ALÉNA : au paragraphe 53. Elle a indiqué qu’une autre façon pour une cour de révision de définir la bonne approche à adopter consiste à répondre aux trois questions suivantes :

  1. Quelle était la question que devait trancher le Tribunal?

  2. La question était-elle visée par le différend soumis à l’arbitrage aux termes du chapitre onze de l’ALÉNA?

  3. Y a-t-il un élément de l’ALÉNA, interprété correctement, qui empêcherait le Tribunal de rendre la sentence qu’il a rendue?

[78] Les décisions rendues depuis l’arrêt Cargill de la Cour d’appel de l’Ontario ont confirmé cette approche, dans le contexte de l’ALÉNA ou dans un autre contexte : Mobil, précité, aux paragraphes 37 à 39; Consolidated Contractors Group S.A.L. (Offshore) v Ambatovy Minerals S.A., 2017 ONCA 939, aux paragraphes 28 à 32, [2017] O.J. No. 6323; Newfoundland and Labrador v ExxonMobil Canada Properties, 2017 NLTD(G) 147, aux paragraphes 111 et 112, [2017] N.J. No. 313; SMART Technologies ULC v Electroboard Solutions Pty Ltd., 2017 ABQB 559, aux paragraphes 71 à 77, [2017] A.J. No. 953.

[79] Une décision postérieure à l’arrêt Cargill appelle des observations particulières, à savoir la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Teal Cedar Products Ltd. c Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688 [Teal Cedar]. Selon le Canada, cet arrêt expose le genre d’erreur de droit ayant mené à un excès de compétence de la part du Tribunal en l’espèce.

[80] Comme je l’ai souligné précédemment, le Canada soutient qu’en l’espèce, le Tribunal (à la majorité) a commis une erreur en analysant la conduite de la CEC au regard de sa propre conclusion quant aux exigences du droit interne, et en concluant à une responsabilité au titre de l’ALÉNA en se fondant sur un manquement au droit interne, plutôt que d’analyser la conduite de la CEC au regard des règles du droit international coutumier. Selon le Canada, le Tribunal a ainsi excédé sa compétence.

[81] Pour appuyer sa thèse, le Canada souligne que la Cour suprême a indiqué, dans l’arrêt Teal Cedar, que même si l’application d’un critère juridique à un ensemble de faits est une question de droit et de fait, une question de droit se pose et peut faire l’objet d’un examen en appel si le critère juridique sous‑jacent a pu être altéré par un décideur : au paragraphe 44.

[82] Il est toutefois important de souligner que la sentence arbitrale en cause dans l’arrêt Teal Cedar a fait l’objet d’un examen au titre de l’Arbitration Act de la Colombie-Britannique, RSBC 1996, c 55, dont l’article 31 prévoit que les sentences arbitrales peuvent faire l’objet d’un examen en appel sur des questions de droit. Il n’existe pas de disposition comparable dans la Loi sur l’arbitrage commercial, de sorte que les observations de la Cour suprême dans l’arrêt Teal Cedar ne sont que peu utiles en l’espèce.

[83] Sachant quelle est la norme de contrôle applicable, je vais maintenant tenter de déterminer si le Tribunal (à la majorité) en l’espèce a commis une erreur de compétence du type de celle dont on traite dans l’arrêt Cargill, et qui permettrait à notre Cour d’intervenir.

X. Le Tribunal a-t-il commis une erreur de compétence en l’espèce?

A. Les observations des parties

[84] Le Canada reconnaît que les motifs du Tribunal (à la majorité) énoncent correctement la norme qu’elle était tenue d’appliquer pour déterminer si le Canada a enfreint l’article 1105 de l’ALÉNA, à savoir la norme consacrée par la décision Waste Management. Toutefois, le Canada affirme que la majorité du Tribunal a « fait fausse route », excédant sa compétence, en fondant son analyse et sa conclusion finale de responsabilité au titre de l’ALÉNA sur la question de savoir si les actes de la CEC respectaient le droit canadien plutôt que le droit international.

[85] Pour appuyer sa thèse, le Canada attire notre attention sur le fait que la majorité du Tribunal a conclu que l’évaluation environnementale effectuée par la CEC comportait [traduction] « une entorse fondamentale à la méthodologie exigée par les lois du Canada et de la Nouvelle-Écosse » : au paragraphe 600. Le Tribunal (à la majorité) a ensuite conclu que les investisseurs n’ont pas été [traduction] « traités d’une manière conforme aux propres lois du Canada, notamment en ce qui concerne la norme d’évaluation de base prévue par la LCEE et les normes d’avis raisonnable exigées par le droit administratif public canadien » : au paragraphe 602.

[86] Le Canada souligne que les tribunaux de l’ALÉNA ne sont pas des tribunaux d’appel des décisions rendues en vertu du droit interne. Les lacunes d’ordre réglementaire ne constituent pas toutes des manquements à l’obligation en droit international d’accorder un traitement juste et équitable aux investisseurs, et [traduction] « il faut quelque chose de plus qu’une simple illégalité ou absence de compétence aux termes du droit interne d’un État pour rendre un acte ou une mesure incompatible avec les exigences du droit international coutumier prévues au paragraphe 1105(1) » : ADF Group v United States of America (ICSID), ARB(AF)00/1, sentence, 9 janvier 2003 : au paragraphe 190. La jurisprudence enseigne en outre que ce « quelque chose de plus » peut inclure des questions comme un « préjudice sectoriel ou local » : décision Waste Management, au paragraphe 115. Il peut également inclure les attentes légitimes d’une partie découlant des représentations faites par l’État hôte : décision Waste Management, aux paragraphes 98 et 99.

[87] Le Canada soutient en outre que l’intégration d’un élément inexact à l’analyse effectuée par le Tribunal (à la majorité) relativement à l’article 1105 constitue une erreur de compétence du type de celle prévue au sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code, et dans l’arrêt Cargill de la Cour d’appel de l’Ontario.

[88] Pour appuyer son argument, le Canada cite l’arrêt Metalclad, précité, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Dans l’arrêt Metalclad, le Tribunal de l’ALÉNA avait déclaré expressément et de façon erronée que la norme minimale de traitement prévue par le droit international coutumier comprenait l’obligation d’être [traduction] « transparent ». La décision du Tribunal relativement à la responsabilité au regard de l’ALÉNA reposait alors sur la conclusion qu’il y avait eu un manque de transparence dans l’acte gouvernemental en cause : au paragraphe 70. La Cour a conclu que, ce faisant, le Tribunal a tranché une question excédant la portée du compromis ou de la clause compromissoire, et la décision du Tribunal a donc été annulée : au paragraphe 76.

[89] Les investisseurs soutiennent que le droit canadien constituait simplement un élément du contexte factuel auquel le droit international coutumier a été appliqué par la majorité du Tribunal. Ils soutiennent en outre que la question de savoir si le Tribunal a appliqué le bon critère juridique aux faits de l’espèce ne constitue pas une véritable question de compétence aux fins du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code.

[90] Les investisseurs affirment que, par ce qu’ils qualifient de [traduction] « tentative manifeste de plaider de nouveau l’affaire au fond », le Canada déforme le sens de la décision du Tribunal (à la majorité) afin de fabriquer une question de compétence là où il n’en existe aucune. Contrairement à ce qu’affirme le Canada, la conclusion du Tribunal (à la majorité) selon laquelle le Canada a manqué à ses obligations aux termes de l’ALÉNA n’est pas fondée sur le droit interne canadien, mais sur les principes du droit international enchâssés dans les articles 1102 et 1105 de l’ALÉNA et qui ont permis de trancher la question soumise à l’arbitrage.

B. Remarques à propos de la décision du Tribunal (à la majorité)

[91] Il est juste de dire qu’en l’espèce, la décision du Tribunal (à la majorité) a donné lieu à de nombreux commentaires négatifs de la part de l’arbitre dissident, de spécialistes et des États parties eux-mêmes.

[92] Les commentaires très critiques du professeur McRae concernant la décision de la majorité ont été abordés précédemment dans les présents motifs. Les spécialistes ont également laissé entendre que le Tribunal (à la majorité) avait commis une erreur en assimilant un manquement aux principes du droit administratif canadien à un manquement du Canada à l’égard de ses obligations au titre de l’ALÉNA, et en appliquant un critère trop peu rigoureux pour conclure que le Canada avait manqué à l’article 1105 de l’ALÉNA : voir Cory Adkins et David Grewal, Democracy and Legitimacy in Investor-State Arbitration, (2016) 126 Yale L.J. F., pages 65 à 76; Michael Carfagnini, Too Low a Threshold: Bilcon v. Canada and the International Minimum Standard of Treatment, 53 Can. Y.B. Int’l, pages 244 à 277.

[93] Adkins et Grewal affirment en outre que la décision du Tribunal (à la majorité) [traduction] « est incompatible avec le principe de respect de la souveraineté démocratique avec laquelle le Tribunal a commencé son analyse » et que, bien que la décision du Tribunal (à la majorité) [traduction] « prétende confirmer l’importance du contrôle démocratique sur les lois internes, […] elle prive cet engagement de sens dans son application effective aux faits » : à la page 73.

[94] Certains universitaires voient dans la décision du Tribunal (à la majorité) un exemple de la tendance inquiétante qu’ont les tribunaux de l’ALÉNA à élargir la portée de la protection offerte par la garantie de traitement juste et équitable, en raison du [traduction] « libellé général et imprécis » de l’article 1105 : Armand de Mestral et Lukas Vanhonnaeker, « The Impact of the NAFTA Experience on Canadian Policy Concerning Investor-State Arbitration » dans de Mestral, éd., Second Thoughts: Investor-State Arbitration Between Developed Democracies (Centre for International Governance Innovation, 2017), pages 187 à 199. Atik affirme en outre que [traduction] « chaque disposition est autonome d’un point de vue textuel; pourtant, considérées ensemble, elles offrent la possibilité d’apporter une amélioration substantielle à la portée du chapitre 11, au-delà de l’intention originale respective des parties, et peut-être au-delà du consentement sous-jacent des entités politiques respectives » : Jeffrey Atik, « Legitimacy, Transparency and NGO Participation in the NAFTA Chapter 11 Process », dans Todd Weiler, éd. NAFTA: Investment Law and Arbitration: Past Issues, Current Practice, Future Prospects (New York: Transnational Publishers, 2004), page 147.

[95] D’autres spécialistes ont soulevé des réserves concernant la capacité des tribunaux de l’ALÉNA [traduction] « de trancher correctement la question de savoir si l’investisseur étranger a été traité équitablement dans le cadre d’un processus d’évaluation environnementale national » : Meinhard Doelle, « The Bilcon NAFTA Tribunal: A Clash of Investor Protection and Sustainability-Based Environmental Assessments » dans Stanley D. Berger éd., Key Developments in Environmental Law, 2017 éd. (Thomson Reuters), pages 99 à 121. Doelle affirme qu’en l’espèce, le Tribunal était confronté à certains défis, notamment son manque de familiarité avec lois canadiennes pertinentes, avec le processus d’évaluation environnementale aux niveaux fédéral et provincial et avec le processus utilisé pour tirer des conclusions de fait et de droit interne : p. 121.

[96] Doelle fait également écho aux préoccupations exprimées par le professeur McRae, les intervenantes et d’autres personnes, quant à l’» effet paralysant » qu’aura la décision du Tribunal (à la majorité). Comme il l’explique, le problème est que [traduction] « lorsque des fonctionnaires se prononcent en faveur d’un projet avant qu’une [évaluation environnementale] ne soit réalisée, ils peuvent contrevenir à l’ALÉNA s’ils adoptent plus tard la conclusion d’une [évaluation environnementale] indépendante indiquant que le projet ne devrait pas être autorisé à aller de l’avant en raison de ses effets négatifs sur les communautés locales » : à la page 117.

[97] Les trois signataires de l’ALÉNA ont également exprimé leur désapprobation à propos du raisonnement du Tribunal (à la majorité) concernant l’obligation d’un traitement juste et équitable aux termes de l’article 1105, et de son lien avec la norme minimale de traitement en droit international coutumier. Dans les observations écrites déposées par le Canada, les États-Unis et le Mexique dans l’affaire Mesa Power Group LLC (USA) v Government of Canada, (UNCITRAL), PCA Case No. 2012-17, sentence, 24 mars 2016, les trois signataires ont affirmé qu’en l’espèce le Tribunal (à la majorité) avait commis une erreur en omettant d’exiger des investisseurs qu’ils établissent que les actes du Canada ont donné lieu à un manquement au droit international coutumier, et en assimilant le non-respect du droit interne applicable à un non-respect de la norme minimale de traitement en droit international.

[98] Même si le Tribunal a commis l’erreur alléguée, la question à trancher est de savoir si une telle erreur constituait un excès de compétence au sens du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code. En d’autres termes, la question est de savoir si en concluant que le Canada était coupable envers les investisseurs de manquements aux articles 1102 et 1105 de l’ALÉNA, le Tribunal (à la majorité) a excédé sa compétence en ce sens que sa sentence « porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contenait des décisions des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire ».

[99] Pour répondre à cette question, il faut tenir compte des trois questions soulevées par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Cargill. La première de ces questions m’oblige à définir la question que le Tribunal devait trancher.

C. Quelle était la question que devait trancher le Tribunal?

[100] Le Canada affirme que le Tribunal (à la majorité) s’est prononcé sur la question de savoir si les actes de la CEC étaient conformes à la LCEE et aux normes du droit administratif interne. Selon le Canada, le Tribunal (à la majorité) a fondé sa conclusion de responsabilité principalement sur deux actes de la CEC : son recours au concept de « valeurs essentielles de la collectivité » pour en arriver à recommander que le projet ne soit pas autorisé à aller de l’avant, et sa conclusion selon laquelle il n’était pas possible d’atténuer les effets environnementaux négatifs du projet. Le Tribunal (à la majorité) a ensuite utilisé la même justification pour conclure que le Canada avait manqué à l’article 1102 de l’ALÉNA.

[101] De leur côté, les investisseurs affirment que la majorité du Tribunal a déterminé qu’ils avaient été traités d’une manière contraire aux articles 1105 et 1102 de l’ALÉNA, à la fois en ce qui concerne la procédure suivie et l’issue des examens réglementaires du projet. Selon les investisseurs, le Tribunal (à la majorité), pour en arriver à cette conclusion, a appliqué de façon appropriée la norme minimale de traitement consacrée par la décision Waste Management et obligatoire aux termes de l’article 1105 de l’ALÉNA, et a ensuite appliqué le critère approprié afin de déterminer s’ils avaient été traités de façon inéquitable, sans motif, aux termes de l’article 1102 de l’ALÉNA.

[102] Les investisseurs soutiennent en outre que le Tribunal (à la majorité) a considéré le cadre juridique canadien comme « une question de fait », et que sa décision relative à la responsabilité reposait essentiellement sur une analyse du contenu et de la portée de l’ALÉNA, selon le droit international.

[103] Je ne retiens pas la définition de la question à trancher suggérée par le Canada. Il est évident à la lecture de l’ensemble des motifs du Tribunal (à la majorité) que la question centrale qu’il devait trancher était celle de savoir si le Canada, en ce qui concerne le processus d’évaluation environnementale et d’approbation du projet et le traitement accordé aux investisseurs, a manqué à ses obligations aux termes des articles 1102, 1103 et 1105 de l’ALÉNA.

[104] Cette interprétation des questions tranchées par la majorité du Tribunal est confirmée par la structure de la sentence de 220 pages du Tribunal (à la majorité), et par la partie « Dispositif » de la sentence, où le Tribunal déclare ce qui suit :

[traduction]

ii. Le Tribunal, à la majorité des voix, affirme que [le Canada] a omis d’accorder aux investissements de ces investisseurs un traitement conforme au droit international, y compris un traitement juste et équitable et une protection et une sécurité complètes, en violation de l’article 1105 (norme minimale de traitement).

iii. Le Tribunal, à la majorité des voix, affirme que [le Canada] a omis d’accorder aux investissements de ces investisseurs un traitement non moins favorable que celui qu’il a accordé, dans des circonstances analogues, aux investissements de ses propres investisseurs, en violation de l’article 1102 (traitement national).

[105] Cela m’amène à la deuxième des questions énoncées dans l’arrêt Cargill, à savoir si la sentence du Tribunal (à la majorité) portait sur une question qui dépassait les termes du différend soumis à l’arbitrage par les investisseurs aux termes du chapitre onze de l’ALÉNA.

D. La sentence du Tribunal (à la majorité) portait-elle sur une question non visée par le différend soumis à l’arbitrage aux termes du chapitre onze de l’ALÉNA?

[106] Comme j’ai déterminé que la question centrale que devait trancher le Tribunal était celle de savoir si le Canada, en ce qui concerne le processus d’évaluation environnementale et d’approbation du projet et le traitement accordé aux investisseurs, a manqué à ses obligations aux termes des articles 1102, 1103 et 1105 de l’ALÉNA, je conclus que cette question figurait dans le différend soumis par les investisseurs à l’arbitrage. Je conclus également que l’analyse du droit interne effectuée par le Tribunal était accessoire aux principales questions dont il était saisi, et ne constituait pas un excès de compétence.

[107] Comme l’a expliqué la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Cargill, à ce stade de l’analyse, la Cour est tenue d’examiner la sentence et la clause compromissoire, afin de déterminer si le Tribunal a agi dans les limites de sa compétence : au paragraphe 39.

i) Le différend que les investisseurs ont soumis à l’arbitrage

[108] La clause compromissoire dans le cadre de l’arbitrage relevant du chapitre 11 comporte trois éléments : l’accord des parties, le libellé des articles pertinents du chapitre onze de l’ALÉNA, et toute interprétation de ce libellé qui a par la suite été convenue par les parties à l’ALÉNA : Cargill, précité, au paragraphe 32.

[109] La section B du chapitre onze de l’ALÉNA constitue essentiellement une offre permanente d’arbitrer les différends entre des parties à l’ALÉNA et des investisseurs, cette offre étant acceptée par le dépôt d’un avis d’arbitrage par un investisseur lésé. En l’espèce, l’avis d’arbitrage des investisseurs précisait les mesures gouvernementales en cause, et indiquait que le Canada avait manqué à ses obligations aux termes de l’ALÉNA en appliquant son régime de réglementation environnementale de manière [traduction] « arbitraire, injuste et discriminatoire ».

[110] Les questions que les investisseurs ont soumises au Tribunal pour arbitrage étaient les suivantes : [traduction]

  1. Le Canada a-t-il traité les investisseurs d’une manière incompatible avec les obligations que lui imposent les articles 1102, 1105 ou 1103 de l’ALÉNA?

  2. Dans l’affirmative, quel est le montant de l’indemnisation à verser aux investisseurs par suite des manquements du Canada à ses obligations aux termes du chapitre onze de l’ALÉNA?

[111] L’avis d’arbitrage décrit en outre les mesures qui, selon les investisseurs, s’inscrivent dans un flux continu d’actes illicites sur le plan international, soulevant la question de savoir si le régime réglementaire environnemental du Canada a été appliqué aux investisseurs de manière arbitraire, injuste ou discriminatoire. Les mesures controversées comprenaient le non-respect par la CEC des lois, règles et procédures applicables, son énoncé fautif et sa mauvaise application de ces lois, règles et procédures, et son recours à des documents et concepts non juridiques. Selon les investisseurs, la réponse du Canada aux recommandations de la CEC [traduction] « était par conséquent également arbitraire et injuste », parce que le Canada a omis de tenir dûment compte du cadre juridique de la LCEE.

[112] L’avis d’arbitrage des investisseurs indique donc clairement que les questions soumises à l’arbitrage appelaient le Tribunal à déterminer si les investisseurs avaient été traités de façon moins favorable que des investisseurs canadiens l’auraient été dans des circonstances analogues, et si le traitement qui leur a été accordé était en deçà de la norme minimale de traitement en droit international coutumier. Les réponses à ces questions obligeaient inévitablement le Tribunal à examiner le respect par la CEC et le gouvernement canadien du droit canadien de l’environnement dans le cadre des faits ayant donné naissance au différend.

ii) La thèse du Canada concernant la prise en compte du droit interne par le Tribunal

[113] Le Canada soutient que la sentence du Tribunal (à la majorité) portait sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire. Le Tribunal a conclu à tort que les actes de la CEC contrevenaient aux normes du droit administratif interne et a fait de cette conclusion le seul motif de sa conclusion de responsabilité au titre de l’ALÉNA.

[114] Le Canada reconnaît que le Tribunal (à la majorité) a expressément affirmé qu’il appliquait la norme énoncée dans la décision Waste Management pour déterminer si les actes de la CEC et du Canada contrevenaient à la norme minimale de traitement prévue à l’article 1105 de l’ALÉNA. Toutefois, le Canada affirme que le Tribunal (à la majorité) a ensuite [traduction] « opéré un revirement radical dans son approche », abandonnant la norme minimale internationale prévue en droit international coutumier et tirant plutôt des conclusions fondées exclusivement sur des manquements présumés au droit canadien.

[115] En appréciant les actes du gouvernement du Canada au regard de la loi canadienne sur l’évaluation environnementale – un ensemble de règles de droit qui, selon le Canada, échappait entièrement à la compétence et à l’expertise d’un tribunal de l’ALÉNA concernant leur interprétation et leur application – le Tribunal (à la majorité) a, selon ce qu’affirme le Canada, tranché une question qui n’entrait pas dans les termes de la clause compromissoire, excédant ainsi les limites de sa compétence, à laquelle avaient souscrit les parties à l’ALÉNA.

[116] Pour appuyer sa thèse, le Canada souligne que les tribunaux de l’ALÉNA [traduction] « ont reçu le pouvoir de se prononcer uniquement sur des manquements allégués aux obligations internationales mutuellement acceptées par les parties à l’ALÉNA » et que [traduction] « ils doivent agir en recourant aux principes du droit international et non à ceux du droit interne [...] » : Council of Canadians v Canada (Attorney General) (2006), 277 DLR (4th) 527, au paragraphe 42, 149 C.R.R. (2d) 290 (ONCA). Alors que la majorité du Tribunal prétendait trancher des questions de droit international, le Canada affirme qu’il a en réalité tranché des questions de droit canadien qui sont du seul ressort de notre Cour, utilisant ses conclusions concernant le manquement allégué du Canada aux exigences du droit canadien de l’environnement comme fondement de sa conclusion de responsabilité au titre de l’ALÉNA. Selon le Canada, cette usurpation de compétence commande l’annulation de la sentence arbitrale.

[117] Pour appuyer cet argument, le Canada invoque en particulier les paragraphes 600 à 604 des motifs du Tribunal (à la majorité), qu’il appelle le « point zéro » de l’erreur de la majorité concernant le manquement allégué du Canada à l’article 1105 de l’ALÉNA. Ces paragraphes figurent dans la section de la décision du Tribunal (à la majorité) intitulée [traduction] « Conclusions concernant la norme internationale minimale ».

[118] Dans cette section, le Tribunal (à la majorité) a défini [traduction] « le problème en l’espèce » comme étant [traduction] « la question de savoir si la demande des investisseurs a été évaluée d’une manière conforme aux lois que le Canada et la Nouvelle-Écosse ont concrètement choisi d’adopter » : au paragraphe 600. Le Tribunal (à la majorité) a conclu [traduction] que la méthode retenue pour l’évaluation du projet comportait « une entorse fondamentale à la méthodologie exigée par les lois du Canada et de la Nouvelle-Écosse ». Tout en reconnaissant que les répercussions sociales peuvent entrer dans le cadre d’une évaluation environnementale valide, et que [traduction] « la valeur accordée par les membres d’une communauté à des éléments distinctifs d’un écosystème » peut constituer un facteur pertinent dans une évaluation environnementale, le Tribunal (à la majorité) a trouvé discutable [traduction] « l’approche distincte, sans précédent et inattendue retenue par la CEC concernant les “valeurs essentielles de la collectivité” dans ce cas particulier » : au paragraphe 601.

[119] Le Tribunal (à la majorité) a conclu que les investisseurs n’ont pas été [traduction] « traités d’une manière conforme aux propres lois du Canada, notamment en ce qui concerne la norme d’évaluation de base prévue par la LCEE et les normes d’avis raisonnable exigées par le droit administratif public canadien » : au paragraphe 602. Au paragraphe suivant, le Tribunal (à la majorité) a conclu que [traduction] « le fondement de la responsabilité au titre du chapitre onze est que, après tous les encouragements particuliers que les investisseurs et leur investissement ont reçus du gouvernement afin de poursuivre le projet, et vu toutes les ressources investies dans la préparation et la présentation de leur dossier d’évaluation environnementale, les investisseurs et leur investissement n’ont pas eu, en toute équité, la possibilité de voir les détails de ce dossier examinés, évalués et tranchés conformément aux lois applicables » [souligné dans l’original].

[120] Le Tribunal (à la majorité) a conclu que [traduction] « la méthode d’évaluation environnementale retenue par la CEC et adoptée par le Canada a entraîné un manquement à l’article 1105 » : au paragraphe 604.

[121] Le Canada soutient que le Tribunal (à la majorité) a donc en substance conclu à un manquement à la loi canadienne applicable en l’espèce, assimilant à tort ce manquement à un manquement à la norme minimale de traitement en droit international coutumier. Le Canada affirme que l’approche retenue par le Tribunal (à la majorité), en l’espèce, doit être distinguée du raisonnement du Tribunal dans la décision ADF Group, précitée, où un tribunal de l’ALÉNA a rejeté à juste titre une plainte selon laquelle un organisme national de réglementation avait mal appliqué le droit interne, au motif qu’il n’avait pas le pouvoir d’examiner la validité juridique des mesures prises en vertu du droit administratif interne.

[122] Le Canada soutient que l’erreur du Tribunal (à la majorité) a contaminé son analyse de la plainte des investisseurs au titre de l’article 1102 de l’ALÉNA. En concluant à la responsabilité du Canada à cet égard, le Tribunal (à la majorité) a conclu que [traduction] « ce qui revêt ici une importance cruciale, c’est que le projet de Whites Point n’a pas bénéficié de l’application prévue et légalement obligatoire, aux fins de l’évaluation environnementale fédérale canadienne, de la norme d’évaluation de base prévue à la LCEE » : au paragraphe 697. Le Tribunal (à la majorité) a par conséquent conclu que le traitement différencié et défavorable accordé aux investisseurs n’était pas justifié : au paragraphe 724.

[123] Le Tribunal (à la majorité) a reconnu que [traduction] « les erreurs, même graves, dans l’application des lois internes ne donnent généralement pas lieu, et encore moins automatiquement, à une responsabilité internationale à l’égard des investisseurs étrangers » : au paragraphe 738. Cependant, il a indiqué dans le même paragraphe que [traduction] « ce qui a déclenché une responsabilité internationale dans ce cas particulier, c’est l’ensemble de faits très précis qui ont été présentés, vérifiés et établis dans le cadre d’un processus judiciaire exhaustif ».

[124] Le Tribunal (à la majorité) a ensuite conclu que certains des éléments factuels de ce dossier [traduction] « étaient très inhabituels » et que [traduction] « la nature sans précédent de l’approche retenue par la CEC […] n’était pas seulement en contradiction avec le cadre juridique existant, mais aussi avec le traitement réel offert dans des cas comparables » : au paragraphe 739.

iii) La thèse du Canada concernant les articles pertinents de l’ALÉNA et les notes interprétatives

[125] Pour appuyer sa thèse selon laquelle le Tribunal (à la majorité) a commis une erreur en invoquant des manquements aux lois environnementales et administratives canadiennes pour conclure à une responsabilité au titre des articles 1102 et 1105 de l’ALÉNA, le Canada souligne que les paragraphes 1116(1) et 1117(1) de l’ALÉNA prévoient qu’un tribunal n’a compétence que pour se prononcer sur des manquements présumés à des obligations de fond pour lesquelles une procédure de règlement des différends entre les investisseurs et les États est disponible aux termes du chapitre onze.

[126] Le Canada souligne que la compétence du Tribunal était de plus circonscrite par le paragraphe 1131(1) de l’ALÉNA, qui prévoient que les tribunaux doivent trancher « les questions en litige conformément au présent accord et aux règles applicables du droit international ». Cette disposition [traduction] « garantit que le droit interne n’est pas appliqué à des questions d’investissement en précisant l’applicabilité du droit international » : Denis Lemieux et Ana Stuhec, Review of Administrative Action under NAFTA (Scarborough, Ont: Carswell, 1999), p. 94.

[127] Cette exigence est confirmée par les notes de la CLE, qui indiquent que « l’article 1105(1) prescrit que la norme minimale de traitement à l’égard d’une autre Partie est la norme minimale de traitement en droit international coutumier », et que « les concepts de “traitement juste et équitable” et de “protection et sécurité intégrales” n’appellent pas un traitement supplémentaire ou supérieur à celui exigé par la norme minimale de traitement conforme au droit international coutumier ».

[128] Comme je l’ai souligné précédemment, l’interprétation d’une disposition de l’ALÉNA par la Commission du libre-échange lie les tribunaux établis au titre du chapitre onze de l’Accord. En conséquence, le Canada soutient que la majorité du Tribunal était tenue d’appliquer le droit international coutumier pour déterminer si le Canada avait manqué à la norme minimale de traitement exigée par l’article 1105 de l’ALÉNA, et qu’en omettant de mettre en application les notes de la CLE, le Tribunal (à la majorité) a excédé sa compétence.

[129] Le Canada invoque également les observations des parties à l’ALÉNA dans la décision Mesa, précitée, qui constituent un « accord ultérieur » contraignant supplémentaire au sens de l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. On se rappellera que dans l’affaire Mesa, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont convenu qu’en l’espèce, le tribunal à la majorité avait commis une erreur en omettant d’exiger des investisseurs qu’ils établissent que les actes du Canada ont donné lieu à un manquement au droit international coutumier, et en assimilant le non-respect du droit interne applicable à un non-respect de la norme minimale de traitement en droit international.

iv) Discussion

[130] Il n’est pas nécessaire que je détermine si les observations des États parties à l’ALÉNA dans l’affaire Mesa ont créé un accord ultérieur contraignant aux fins de l’article 31 de la Convention de Vienne. En effet, les observations produites dans l’affaire Mesa étaient toutes postérieures à la décision du Tribunal en l’espèce et ne pouvaient donc pas lier la majorité du Tribunal au moment où elle a rendue sa sentence.

[131] Toutefois, la thèse du Canada m’oblige à examiner le rôle que le droit interne devrait jouer en matière d’examen des manquements allégués aux articles 1102 et 1105 de l’ALÉNA.

[132] Le Canada soutient qu’il appartient à notre Cour, et non à un tribunal de l’ALÉNA, de déterminer si le Canada a agi conformément à ses propres lois lorsqu’il a pris des décisions concernant l’approbation du projet. Selon le Canada, en statuant sur des questions de droit canadien réservées à notre Cour, la majorité du Tribunal a excédé sa compétence. Comme je l’expliquerai plus loin, je ne peux retenir cet argument.

[133] Je crois comprendre que les parties s’entendent pour dire que les tribunaux de l’ALÉNA n’ont pas pour mandat d’examiner les décisions prises au sein des États parties : ADF Group, précitée, au paragraphe 190; Marvin Roy Feldman Karpa v United Mexican States (ICSID), Case No. Arb(AF)/99/1, décision provisoire sur des questions de compétence, 6 décembre 2000, au paragraphe 61; Glamis Gold Ltd., précitée, au paragraphe 762. Cela dit, le Canada a admis dans ses observations écrites que les tribunaux de l’ALÉNA peuvent considérer le respect ou le non-respect de ses lois internes par une Partie à l’ALÉNA comme un facteur permettant de déterminer une responsabilité au titre de l’ALÉNA : mémoire des faits et du droit du Canada, au paragraphe 66.

[134] Même si les plaintes au titre du chapitre onze de l’ALÉNA doivent incontestablement être tranchées selon le droit international, les questions relatives au respect par un État partie de ses lois internes peuvent néanmoins représenter un facteur important et pertinent dans cette analyse, et peuvent constituer une partie importante des faits sous-jacents aux différends relevant de l’ALÉNA : GAMI Investments, Inc. v The Government of the United Mexican States, (UNCITRAL), sentence, 15 novembre 2004, au paragraphe 91.

[135] En effet, même si les lois internes ne sont généralement pas pertinentes dans les arbitrages internationaux à titre de questions de droit, [traduction] « le droit interne peut être essentiel à la fonction des tribunaux [de l’ALÉNA] et l’évaluation d’un régime interne donné peut constituer un aspect important d’une évaluation des faits sous-jacents » : Meg N. Kinnear, Andrea K. Bjorklund et John F.G. Hannaford, Investment Disputes under NAFTA: An Annotated Guide to NAFTA Chapter 11, édition sur feuilles mobiles, (Kluwer Law International, 2006), page 1131-20.

[136] Le fait que le respect par le Canada de ses lois internes en matière d’évaluation environnementale constituait un facteur à considérer pertinent et approprié pour le Tribunal en l’espèce est confirmé par la mention qu’en a faite le Canada dans la partie de sa défense portant sur le contexte factuel. En effet, il ressort clairement de la structure de la défense du Canada que le droit interne, et son propre respect de la loi canadienne, étaient considérés comme des questions de fait pertinentes par le Canada.

[137] Tout en soutenant que les investisseurs ont confondu le rôle du Tribunal lorsqu’il applique la norme minimale de traitement du droit international coutumier et le rôle de notre Cour lorsqu’elle examine des décisions relatives au projet au titre du droit administratif canadien, le Canada a néanmoins plaidé qu’il avait respecté les exigences du droit environnemental canadien dans les mémoires qu’il a déposés au Tribunal, demandant clairement au Tribunal de trancher la question.

[138] De plus, le Canada et les investisseurs ont présenté au Tribunal des éléments de preuves matériels émanant d’experts du droit canadien de l’environnement concernant les exigences du droit environnemental interne et la question de savoir si ce droit avait été respecté dans le cadre du projet. La question du respect par le Canada des lois environnementales internes a donc été clairement soulevée par les parties à titre de question de fait devant être tranchée par le Tribunal – une question qui, au final, a porté au fond sur la question de savoir si le Canada avait manqué à ses obligations au titre du droit international à l’égard des investisseurs.

[139] En effet, certains différends donnant lieu à des revendications internationales ne peuvent vraisemblablement être examinés que par la prise en compte accessoire des exigences du droit interne par rapport à la question de la responsabilité internationale : William S. Dodge, « Local Remedies Under NAFTA Chapter 11 », dans Frédéric Bachand éd., Fifteen Years of NAFTA Chapter 11 Arbitration (International Arbitration Institute : 2011), 37, pages 39 à 41.

[140] Par exemple, lorsqu’il examine une plainte au titre de l’article 1102 de l’ALÉNA, il se peut qu’un tribunal soit uniquement en mesure de déterminer si une partie à l’ALÉNA a traité un investisseur étranger de façon moins favorable que le pays traiterait ses propres citoyens en tenant compte du traitement exigé par les lois internes du pays en question. En effet, comme Kinnear et Puig l’ont souligné, [traduction] « l’importance accordée au contexte au titre de l’article 1102 oblige les arbitres à accorder une attention particulière au cadre réglementaire applicable avant de conclure à un manquement à la norme de traitement nationale » : Sergio Puig et Meg Kinnear, NAFTA Chapter Eleven at Fifteen: Contributions to a Systemic Approach in Investment Arbitration (2010), 25:2 ICSID Rev/F.I.L.J. pages 226 à 241.

[141] Les auteurs ont relevé des exemples de questions « préliminaires » ou « accessoires » régies par le droit interne, y compris la question de savoir si un investissement est valide ou si une entente a été conclue, en plus de questions portant sur des changements de zonage, la fiscalité et les études d’impact environnemental : Ole Spiermann, « Applicable law », dans Peter Muchlinski, Federico Ortino & Christoph Schreuer, éd., Oxford Handbook of International Investment Law (Oxford University Press, 2008), 89, pages 110 à 113.

[142] Contrairement à ce que soutient le Canada, trancher des questions « préliminaires » ou « accessoires » de droit interne ne transforme pas un tribunal de l’ALÉNA en une cour d’appel nationale. Ce travail fait plutôt partie de l’exercice de la compétence inhérente d’un tribunal qui est [traduction] « nécessaire pour donner effet au droit de l’investisseur à l’arbitrage international, ainsi qu’à l’objet et à l’intention de la plupart, sinon la totalité, des traités portant sur l’investissement » : Spiermann, précité, pages 110 à 113; GAMI Investments, Inc., précitée, aux paragraphes 90, 91 et 94.

[143] Il convient également de souligner que même si le Canada a soulevé un certain nombre d’objections à la compétence du Tribunal en l’espèce, il n’a pas soutenu que les investisseurs ont omis de demander à notre Cour de trancher les questions de droit interne soulevées par leur plainte au titre de l’ALÉNA, dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire des décisions en cause. Le Canada n’a pas non plus affirmé que le Tribunal de l’ALÉNA ne pouvait se pencher sur des questions de droit interne canadien dans le cadre de son analyse de la plainte des investisseurs. En effet, comme je l’ai souligné précédemment, le Canada a présenté des éléments de preuve substantiels sur cette question.

[144] Les exigences du droit canadien en matière d’environnement et le respect ou le non-respect par le Canada de ces exigences ont donc été carrément mis en cause par les parties devant le Tribunal. Qui plus est, ces exigences étaient expressément incluses dans la demande de dommages-intérêts soumise à l’arbitrage par les investisseurs, en raison des manquements allégués du Canada à ses obligations au titre de l’ALÉNA. Par conséquent, je conclus que la majorité du Tribunal n’a pas excédé sa compétence, puisqu’elle n’a pas tranché une question qui ne relevait pas du différend soumis à l’arbitrage par les investisseurs aux termes du chapitre onze de l’ALÉNA.

[145] En outre, rien dans le libellé des articles pertinents du chapitre onze de l’ALÉNA, ni dans l’interprétation de ce libellé dans les notes de la CLE, n’empêchait le Tribunal (à la majorité) de tirer des conclusions, à titre incident, concernant le respect ou le non-respect par le Canada des exigences de ses lois internes en matière d’environnement avant de finalement conclure à la responsabilité du Canada au titre des articles 1102 ou 1105 de l’ALÉNA.

[146] Même si le Canada conteste les conclusions du Tribunal (à la majorité) concernant le non-respect par le Canada des exigences du droit canadien sur l’environnement, il n’est pas loisible à notre Cour, saisie d’une demande en annulation d’une sentence rendue au titre du chapitre onze de l’ALÉNA, d’examiner le bien-fondé de la décision du Tribunal et de reconsidérer ses conclusions, parce que toute erreur que le Tribunal aurait pu commettre à cet égard ne relevait pas d’une question de compétence.

[147] Cela m’amène à la dernière question à examiner, à savoir s’il y a quelque disposition que ce soit dans l’ALÉNA, correctement interprété, qui empêchait la majorité du Tribunal de rendre la sentence qu’elle a rendue.

E. Y a-t-il une disposition dans l’ALÉNA qui empêchait la majorité du Tribunal de rendre la sentence qu’elle a rendue?

[148] Le Canada soutient que les articles 1105, 1102, 1116, 1117 et 1131 de l’ALÉNA, correctement interprétés, empêchaient le Tribunal (à la majorité) de tirer des conclusions concernant le droit interne, et de faire de ces conclusions le seul fondement de sa conclusion de responsabilité au titre des articles 1105 et 1102.

[149] J’ai déjà conclu qu’il était approprié que le Tribunal examine les exigences des lois canadiennes sur l’évaluation environnementale pour en arriver à sa décision. La question à cette étape de l’analyse est de savoir si le Tribunal a excédé sa compétence, vu la façon dont il a utilisé ces conclusions pour déclarer le Canada responsable envers les investisseurs au titre des articles 1105 et 1102 de l’ALÉNA.

[150] Bien que les investisseurs aient contesté un large éventail de mesures et de décisions prises au cours du processus de la CEC, le Canada affirme que le Tribunal (à la majorité) a conclu à sa responsabilité au titre des articles 1105 et 1102 de l’ALÉNA, principalement en raison de deux actes de la CEC : son recours au concept de « valeurs essentielles de la collectivité » dans ses recommandations, et son approche quant à la question des mesures d’atténuation.

[151] Selon le Canada, toutes les conclusions appuyant la conclusion de responsabilité tirée par le Tribunal (à la majorité) constituaient essentiellement une reformulation de ces deux conclusions, et que, sans ses conclusions concernant le prétendu manquement du Canada à ses lois internes sur l’environnement, le Tribunal (à la majorité) n’aurait pas rendu la décision qu’il a rendue. En déclarant le Canada responsable de manquements aux articles 1105 et 1102 de l’ALÉNA, le Tribunal a, selon le Canada, outrepassé le pouvoir précis, mais limité, conféré à un tribunal de l’ALÉNA, avec le consentement du Canada, soit de trancher des différends conformément aux dispositions de l’ALÉNA et aux règles applicables du droit international.

[152] Avant d’examiner les arguments du Canada sur ce point, il est important de rappeler la norme de contrôle applicable dans les cas comme celui-ci. Je ne procède pas au contrôle judiciaire du caractère raisonnable de la décision de la majorité du Tribunal de l’ALÉNA, et je ne cherche pas non plus à déterminer si le Tribunal a commis une erreur de fait ou de droit en rendant sa décision. Le sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code n’invalide pas une sentence arbitrale simplement parce que, de l’avis de la Cour, un tribunal a commis une erreur de droit ou a tiré une conclusion de fait erronée : S.D.Myers (Cour fédérale), précitée, au paragraphe 42, Consolidated Contractors Group, précité, au paragraphe 23.

[153] En effet, aucun des motifs restreints et étroits justifiant l’annulation d’une sentence arbitrale qui sont énumérés au paragraphe 34(2) du Code n’autorise une cour à examiner le bien-fondé d’une sentence d’un tribunal d’arbitrage. Il en est ainsi même si le Tribunal a manifestement commis une erreur de fait ou de droit : Xerox Canada Ltd. v MPI Technologies Inc., [2006] O.J. No. 4895 (ONSC), aux paragraphes 144 à 147; Jan van den Berg, Albert, The New York Arbitration Convention of 1958: Towards a Uniform Judicial Interpretation (T.M.C. Asser Institute), p. 273; Lesotho Highlands Dev. Auth. v Impregilo SpA, [2006] 1 A.C. 221, au paragraphe 31 (U.K.H.L.). Je ne peux uniquement modifier la décision du Tribunal que si le Tribunal (à la majorité) a excédé sa compétence, comme le prévoit le sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code.

[154] Cette approche est conforme à la tendance actuelle à l’égard de la finalité des sentences arbitrales : Alan Redfern et Martin Hunter, Law and Practice of International Commercial Arbitration, 4e éd. (London: Sweet & Maxwell 2004). Comme Redfern et Hunter le soulignent, [traduction] « il existe une croyance selon laquelle, en ce qui concerne les arbitrages internationaux, les parties doivent être disposées à accepter la décision du tribunal d’arbitrage, même si elle est erronée, à condition que les procédures appropriées aient été respectées » : à la page 421. Le problème est que si une cour était autorisée à réviser une sentence arbitrale sur le fond, la rapidité et la finalité du processus d’arbitrage seraient perdues. En effet, l’arbitrage deviendrait alors [traduction] « simplement la première étape d’un processus pouvant aboutir, par appels successifs, à la plus haute cour d’appel du lieu de l’arbitrage » : à la page 421. En conséquence, [traduction] « si le Tribunal a compétence, si les procédures appropriées sont respectées, et si les formalités appropriées sont observées, la sentence, qu’elle soit bonne, mauvaise ou neutre, est définitive et lie les parties » : à la page 422.

[155] De plus, comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a indiqué dans l’arrêt Cargill, les cours devraient [traduction] « faire preuve de réserve, et [...] n’intervenir que très rarement dans les décisions rendues par des tribunaux d’arbitrage internationaux spécialisés, choisis par les parties » : précité, au paragraphe 46. De plus, les tribunaux doivent [traduction] « être prudents » lorsqu’ils doivent déterminer si une erreur alléguée relève bien du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code et soulève une véritable question de compétence, en adoptant [traduction] « un point de vue strict concernant la portée d’une telle question » : Cargill, précité, au paragraphe 47.

[156] Dans l’arrêt Cargill, la Cour d’appel de l’Ontario a traité du sens de l’expression [traduction] « véritables questions de compétence ». À titre d’exemple, elle a affirmé qu’un tribunal de l’ALÉNA aura excédé sa compétence si, saisi d’une réclamation relative à des dommages subis en 2007 et en 2008, le Tribunal accordait des dommages-intérêts pour 2009 et 2010; il s’agirait alors d’une [traduction] « sentence [...] n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire » : Cargill, précité, au paragraphe 49. On se rappellera que dans cette affaire, le Tribunal a retenu l’objection du Canada concernant la compétence et a refusé de discuter de l’allégation des investisseurs portant que la décision de renvoyer le projet à la CEC était discriminatoire, puisque cette décision a été rendue plus de trois ans avant la production par les investisseurs de l’avis d’arbitrage.

[157] Un tribunal de l’ALÉNA excéderait de même sa compétence s’il devait accorder des dommages-intérêts relativement à un investissement au Brésil, puisque, selon la définition figurant au chapitre 11 de l’ALÉNA, un investissement est fait sur le territoire d’une autre partie à l’ALÉNA, à savoir le Canada, les États-Unis ou le Mexique : Cargill, précité, au paragraphe 49. Une autre « véritable question de compétence » se poserait si un tribunal prétendait intervenir dans une procédure intentée au titre du chapitre 11 de l’ALÉNA, même si le différend ne portait pas sur un « investissement » : Noah Rubins, « Judicial Review of Investment Arbitration Awards » dans Todd Weiler, éd., NAFTA, Investment Law and Arbitration; Past Issues, Current Practice, Future Prospects (New York: Transnational Publishers, 2004), pages 359 à 364.

[158] Même si une cour relève une question de compétence, l’arrêt Cargill enseigne qu’elle doit [traduction] « soigneusement restreindre la question sur laquelle elle se penche, afin de s’assurer qu’elle ne s’égare pas, consciemment ou par inadvertance, sur le bien-fondé de la question qui a été tranchée par le tribunal » : Cargill, précité, au paragraphe 47.

i) Le Tribunal avait-il compétence pour entreprendre l’enquête?

[159] En l’espèce, le Tribunal avait clairement compétence pour entreprendre son enquête, c’est-à-dire pour déterminer si le Canada, dans le traitement offert aux investisseurs et sa conduite concernant le processus de la CEC et le processus d’approbation du projet, avait manqué à ses obligations au titre des articles 1102 et 1103 et 1105 de l’ALÉNA.

[160] En autant que la plainte des investisseurs au titre de l’article 1105 était concernée, il était entendu par les trois membres du Tribunal que la décision Waste Management établissait le critère approprié pour déterminer si les actes du Canada étaient conformes à la norme minimale de traitement requise en droit international coutumier aux fins de l’article 1105 de l’ALÉNA : voir, par exemple, l’opinion de la majorité aux paragraphes 442 à 443 et l’opinion dissidente au paragraphe 2.

[161] Il était aussi entendu par les trois membres du Tribunal que la décision Waste Management prescrivait un critère rigoureux pour établir un manquement à la norme minimale internationale en droit international coutumier : opinion de la majorité, aux paragraphes 36 et 441; opinion dissidente au paragraphe 2. En outre, il était également entendu que la responsabilité au titre de l’article 1105 de l’ALÉNA exige plus qu’un simple manquement au droit interne et qu’un [traduction] « exercice imprudent de son pouvoir discrétionnaire ou même une erreur pure et simple ne peut, en règle générale, mener à un manquement à la norme minimale internationale » : opinion de la majorité aux paragraphes 436 et 437; opinion dissidente au paragraphe 2.

[162] Toutefois, les membres du Tribunal n’ont pu s’entendre concernant leur appréciation de la question de savoir si les actes du Canada en l’espèce étaient en deçà de la norme énoncée dans la décision Waste Management. Cette compréhension des différences dans les opinions des membres apparaît dans les motifs du professeur McRae, où il a souligné que [traduction] « en grande partie, [son] désaccord a trait à l’appréciation des faits par la majorité » : opinion dissidente, au paragraphe 2.

[163] L’appréciation des faits dans un dossier concerne le bien-fondé de la décision, et ne soulève pas de question de compétence. De plus, l’application de la loi aux faits d’une affaire, selon l’appréciation faite par un décideur, constitue une contestation de la conclusion tirée par le Tribunal et non une question de compétence : Mobil Investments Canada Inc., précité, au paragraphe 48.

ii) L’arrêt Metalclad se distingue de l’espèce

[164] Le Canada fait valoir que dans l’arrêt Metalclad, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a annulé la décision d’un tribunal parce qu’il avait fait une interprétation erronée du droit applicable concernant l’article 1105 de l’ALÉNA. En particulier, le Tribunal a expressément affirmé, à tort, que la norme minimale de traitement prévue à l’article 1105 de l’ALÉNA comprenait des obligations de transparence, puis a pris sa décision en se fondant sur cette notion de transparence. Le Canada soutient qu’en l’espèce, le Tribunal (à la majorité) a commis une erreur similaire, en intégrant des normes juridiques internes à son analyse au titre de l’article 1105, et en les assimilant aux règles du droit international coutumier, pour fonder sa décision relative à la responsabilité aux termes de l’ALÉNA.

[165] Je commencerai en soulignant que la critique à propos de la décision de la Cour dans l’arrêt Metalclad a été « féroce », et que de nombreux analystes ont laissé entendre que la Cour était allée trop loin en se prononçant sur le bien-fondé de l’affaire : Rubins, précité, à la page 379; Coe, Jack J. Jr., Taking Stock of NAFTA Chapter 11 in Its Tenth Year: An Interim Sketch of Selected Themes, Issues, and Methods (2003) 36 Vand. J. Transnat’l L, pages 1381 à 1411; Todd Weiler, Metalclad v Mexico: A Play in Three Parts (2001) 2 J. World Investment, pages 685 à 700; Charles H. Brower II, Investor-State Disputes Under NAFTA: The Empire Strikes Back (2001), 40 Colum. J. Transnat’l L. 43.

[166] En outre, même si les affaires sont quelque peu analogues, une distinction peut être faite entre l’arrêt Metalclad et l’espèce.

[167] Comme je l’ai indiqué précédemment, le Tribunal, dans l’arrêt Metalclad, a fondé sa conclusion de responsabilité au titre de l’article 1105 de l’ALÉNA sur un manquement aux obligations de transparence que contenait prétendument cette disposition. Toutefois, aucune obligation de transparence n’est incluse à l’article 1105, ni ailleurs dans le chapitre onze de l’ALÉNA. Bien que le chapitre dix-huit de l’ALÉNA contienne une obligation de transparence, les parties n’avaient pas consenti à l’arbitrage de leurs différends au titre du chapitre dix-huit, de sorte que le Tribunal a fondé sa décision sur une question qui ne relevait pas du différend soumis à l’arbitrage : Metalclad, au paragraphe 72.

[168] Il convient toutefois de souligner que dans l’arrêt Metalclad, la Cour a insisté pour dire que si le Tribunal avait simplement interprété le libellé de l’article 1105 comme incluant une obligation de transparence, la Cour n’aurait pas nécessairement eu de raison d’intervenir. Bien que l’interprétation de l’article 1105 ait pu être erronée, l’arbitre n’aurait pas nécessairement tranché une question ne relevant pas du différend soumis à l’arbitrage : au paragraphe 70.

[169] Contrairement à l’erreur relevée dans l’arrêt Metalclad, la question en litige en l’espèce est de savoir si le non-respect par le Canada des exigences de ses lois internes en matière d’évaluation environnementale a atteint le « seuil de gravité » envisagé dans la décision Waste Management, ou si ce non-respect constituait un traitement discriminatoire aux fins de l’article 1102 de l’ALÉNA. Autrement dit, l’erreur alléguée concernait l’appréciation, par le Tribunal, de ce degré de gravité, et non la transposition d’une obligation tirée d’un autre article de l’ALÉNA à l’article 1105.

iii) L’application par le Tribunal de la norme énoncée dans la décision Waste Management

[170] Comme je l’ai indiqué précédemment, l’un des arguments des investisseurs devant le Tribunal était qu’ils avaient été traités injustement par la CEC en raison de son recours novateur, et prétendument inapproprié, au concept de « valeurs essentielles de la collectivité » comme motif pour recommander que le projet ne soit pas approuvé, sans aviser les investisseurs que ce concept était en cause. Le Tribunal (à la majorité) a conclu que la conduite de la CEC avait ainsi été arbitraire, reliant expressément cette conclusion à la norme énoncée dans la décision Waste Management, pour conclure que le Canada avait manqué à l’article 1105 : au paragraphe 591. Pour être clair, la question soumise à notre Cour n’est pas de savoir si le Tribunal a correctement appliqué le critère énoncé dans la décision Waste Management lorsqu’il a conclu que la conduite du Canada avait été arbitraire, puisque cette question concerne sans équivoque le bien-fondé de la décision.

[171] Ce que le Canada soutient, c’est que le Tribunal n’a pas du tout appliqué la norme énoncée dans la décision Waste Management, s’appuyant plutôt exclusivement sur des manquements au droit interne pour conclure à la responsabilité du Canada. Je ne puis retenir la thèse du Canada à cet égard. J’estime que le Tribunal a tiré une conclusion de fait de cette conduite arbitraire, et a appliqué le droit international coutumier pour déterminer si le Canada avait manqué à la norme minimale de traitement aux fins de l’article 1105 de l’ALÉNA.

[172] La question de savoir si l’approche de la CEC était en fait « nouvelle » ou « arbitraire » est une question de fait qui porte sur le bien-fondé de la décision du Tribunal. À ce titre, elle dépasse la portée d’un examen dans le cadre d’une demande en annulation présentée au titre du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code.

[173] Ma conclusion à cet égard est appuyée par l’arrêt Consolidated Contractors Group, mentionné précédemment dans les présents motifs. Dans cette affaire, l’appelant soutenait qu’en rendant une décision lui étant défavorable, le Tribunal [traduction] « a développé sa propre “nouvelle théorie” sur l’avis constructif et a manqué à l’équité procédurale en omettant de donner un avis concernant cette théorie et la possibilité d’y répondre » : au paragraphe 81. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté cet argument et indiqué qu’il ne pouvait justifier l’annulation d’une sentence arbitrale, retenant la thèse de l’intimée dans cette affaire portant que [traduction] « cet argument constitue essentiellement un grief visant les conclusions de fait du tribunal d’arbitrage déguisé en argument sur l’équité procédurale » : au paragraphe 82. On peut dire qu’il en va de même en l’espèce.

[174] Il est également inexact de dire que le Tribunal (à la majorité) a fondé ses conclusions de responsabilité au titre de l’ALÉNA exclusivement sur des manquements allégués au droit interne durant le processus de la CEC. Après avoir expressément souligné que les manquements au droit interne ne sont pas nécessairement suffisants pour satisfaire au critère énoncé dans la décision Waste Management, le Tribunal (à la majorité) a ensuite affirmé qu’il fondait également sa conclusion, selon laquelle la conduite du Canada avait atteint le niveau envisagé dans la décision Waste Management, sur les « attentes raisonnables » des investisseurs, attentes crées par les déclarations que leur avaient faites les représentants gouvernementaux. Ces déclarations avaient amené les investisseurs à investir beaucoup de temps et de ressources dans la poursuite du projet : opinion de la majorité, au paragraphe 594.

[175] Rien n’indique que les déclarations de représentants de l’État constituent un facteur pertinent à considérer dans un processus d’évaluation environnementale canadien. Le Tribunal (à la majorité) a conclu que les déclarations faites par un État hôte, et sur lesquelles s’est raisonnablement appuyé un plaignant étaient, toutefois, un facteur pertinent pour déterminer s’il y avait eu manquement de la part d’un État partie à ses obligations au titre du chapitre onze de l’ALÉNA : Waste Management, aux paragraphes 98 et 99, citée dans la sentence du Tribunal (à la majorité), au paragraphe 442.

[176] Pour conclure à une responsabilité au titre de l’article 1105 de l’ALÉNA, le Tribunal (à la majorité) a conclu que les investisseurs [traduction] « s’étaient raisonnablement appuyés sur des encouragements précis, au niveau politique et technique, pour poursuivre le projet, non seulement en Nouvelle-Écosse, mais dans la région retenue pour le projet » : au paragraphe 448. Le Tribunal (à la majorité) a aussi conclu que [traduction] « ces encouragements ont contribué à la décision des investisseurs de non seulement aller de l’avant avec leurs plans d’affaire, mais aussi d’investir de bonne foi des ressources organisationnelles importantes – notamment plusieurs millions de dollars – pour obtenir et présenter un énoncé des incidences environnementales » : au paragraphe 449.

[177] Cela a amené le Tribunal (à la majorité) à conclure que [traduction] « il était injuste que des représentants gouvernementaux encouragent des projets miniers côtiers de manière générale, et plus précisément la poursuite du projet sur le site de Whites Point, pour qu’en bout de ligne, après un déploiement massif d’efforts et de ressources de la part de Bilcon pour ce motif, d’autres représentants déterminent que la zone est une « zone interdite » pour ce type de développement, au lieu de procéder à l’évaluation légalement prescrite de ses mérites sur le plan de l’environnement » : au paragraphe 592.

[178] La majorité a ensuite précisément rattaché cette conclusion à la norme énoncée dans la décision Waste Management, estimant que la conduite du Canada correspondait au critère établi dans la décision Waste Management en partie en raison des [traduction] « attentes raisonnables des investisseurs et de l’important investissement de ressources dans un processus public considéré comme le plus rigoureux et le plus exhaustif prévu par les lois canadiennes » : toutes les citations sont extraites du paragraphe 594.

[179] Pour les raisons invoquées par le professeur McRae, on pourrait être en désaccord avec les conclusions du Tribunal (à la majorité) quant à la nature des déclarations qui ont été faites aux investisseurs et aux attentes qui auraient pu raisonnablement être créées par ces déclarations. Toutefois, il s’agit là de questions de fait qui ont été directement soumises au Tribunal. Elles ne comportent aucune question de compétence sur laquelle notre Cour pourrait se pencher.

[180] Cela dit, le fait que le Tribunal (à la majorité) se soit concentré, dans une certaine mesure, sur les déclarations faites aux investisseurs par les représentants de l’État, et sur le caractère raisonnable de l’importance donnée par ces investisseurs à ces déclarations, constitue une confirmation supplémentaire qu’il connaissait la grille d’analyse énoncée dans la décision Waste Management et était prêt à l’appliquer aux faits de l’espèce : décision de la majorité, aux paragraphes 444, et 446 à 449.

[181] La conclusion à laquelle j’en arrive, soit que le Tribunal (à la majorité) s’en est remis au droit international à cet égard, et non au droit interne, est renforcée par le fait qu’il est bien établi que les attentes légitimes ne créent aucun droit matériel en droit canadien, et ne peuvent que créer des droits procéduraux : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 26, 174 D.L.R. (4th) 193; Centre hospitalier Mont-Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, aux paragraphes 32, 79 et 86, [2001] 2 RCS 281; Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, au paragraphe 68, [2011] 2 RCS 504.

[182] Une fois de plus, la plainte du Canada a réellement trait à la façon dont le Tribunal (à la majorité) a appliqué la norme énoncée dans la décision Waste Management aux faits de l’espèce, pour conclure à la responsabilité du Canada en raison d’un manquement à l’article 1105 de l’ALÉNA. Le Canada conteste également les conclusions de fait du Tribunal (à la majorité) concernant le traitement différent auquel le projet des investisseurs a été soumis dans le cadre du processus d’évaluation environnementale, ainsi que sa conclusion selon laquelle ce traitement était discriminatoire, au sens de l’article 1102 de l’ALÉNA. Ces conclusions soulèvent aussi des questions de fait, ou des questions mixtes de fait et de droit, et ne comportent aucune erreur de compétence de la part du Tribunal (à la majorité).

[183] Pour ces raisons, je ne suis pas convaincue qu’il y ait quoi que ce soit dans l’ALÉNA, correctement interprété, qui empêchait le Tribunal (à la majorité) de rendre la sentence qu’il a rendue.

XI. Les observations des intervenantes

[184] Par une ordonnance de notre Cour, la Fondation Sierra Club du Canada et la East Coast Environmental Law Association ont été autorisées à intervenir dans la présente procédure. Les intervenantes appuient en général la position du Canada en l’espèce. Toutefois, cet appui repose sur des arguments qui n’ont pas été avancés par le Canada, ni même par les investisseurs.

[185] Les intervenantes soutiennent que la décision du Tribunal était prématurée, puisque les investisseurs n’avaient pas épuisé les recours internes auxquels ils avaient accès, avant d’avoir recours au processus d’arbitrage au titre du chapitre onze de l’ALÉNA. Les intervenantes soutiennent en outre que la décision de la majorité accorde aux investisseurs [traduction] « une conclusion matérielle de responsabilité sans précédent pour des manquements présumés à l’équité procédurale », sans que le Tribunal ait jamais tenu compte des dispositions très pertinentes sur le droit de l’environnement prévues à l’ALÉNA et dans son traité jumeau, l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement, 32 I.L.M. 1482 (1993). Les intervenantes soutiennent que cela contrevenait aux [traduction] « notions et principes fondamentaux de la justice » et était contraire à l’ordre public du Canada. Selon les intervenantes, l’une ou l’autre de ces erreurs constituerait un motif suffisant pour annuler la sentence du Tribunal rendue à la majorité.

[186] Les intervenantes ont soutenu dans leurs observations écrites présentées dans leur requête en intervention que la sentence devrait être annulée aux termes du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code, soit la disposition du Code invoquée par le Canada. C’est vraisemblablement sur cette base que l’autorisation d’intervenir leur a été accordée. Cependant, la position des intervenantes semble avoir évolué au fil du temps, puisqu’elles ont soutenu dans leur mémoire des faits et du droit et lors de l’audience devant moi que la sentence du Tribunal (à la majorité) devrait être annulée aux termes du sous-alinéa 34(2)b)i) du Code, parce que les investisseurs n’avaient pas épuisé tous les recours internes auxquels ils avaient accès. Elles ont ajouté que l’alinéa 34(b)ii) du Code permettrait l’annulation de la décision au motif qu’elle est contraire à l’ordre public du Canada. Ce ne sont pas là les motifs de contrôle sur lesquels les intervenantes ont été autorisées à intervenir.

[187] Tout en indiquant que les intervenantes avaient [traduction] « un réel intérêt à l’égard de la requête et des points de vue uniques qui seraient utiles à l’affaire », l’ordonnance les autorisant à intervenir ne précisait pas les questions sur lesquelles les intervenantes seraient autorisées à se pencher. Toutefois, l’ordonnance doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence contraignante régissant les interventions.

[188] La Cour d’appel fédérale a clairement indiqué qu’un intervenant « n’est pas autorisé à s’exprimer à son gré » et à aborder toutes les questions qu’il pourrait avoir en tête au sujet d’une affaire : Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 174, au paragraphe 17, 414 D.L.R. (4th) 373. Le tiers qui souhaite prendre part à une instance à titre d’intervenant doit composer avec les questions telles qu’elles sont formulées; il ne peut y apporter des modifications ou des ajouts : Canada (Procureur général) c Canadian Doctors for Refugee Care, 2015 CAF 34, au paragraphe 19, 470 N.R. 167.

[189] Le rôle de l’intervenant n’est donc pas d’introduire de nouvelles questions, mais plutôt d’offrir une perspective différente qui « aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance » : Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, articles 3 et 109; Tsleil-Waututh, précité, au paragraphe 54; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ishaq, 2015 CAF 151, aux paragraphes 7 à 10, [2016] 1 R.C.F. 686. Comme l’a affirmé la Cour dans l’arrêt Tsleil-Waututh, « les intervenants sont des invités à une table qui est déjà mise et où les mets sont déjà disposés. Les intervenants peuvent commenter leur point de vue sur ce qu’ils voient, ce qu’ils hument et ce qu’ils goûtent. Ils ne peuvent en aucun cas ajouter d’autres mets à la table » : au paragraphe 55.

[190] Bien que le Canada ait soulevé cinq objections distinctes à la compétence du Tribunal de l’ALÉNA en l’espèce, aucune de ces objections relatives à la compétence ne portait sur le défaut des investisseurs de demander le contrôle judiciaire de la décision de la CEC avant de soumettre l’affaire à l’arbitrage au titre du chapitre onze de l’ALÉNA : voir la décision de la majorité, au paragraphe 230.

[191] Ce n’est pas surprenant, compte tenu que le point de vue dominant semble être que l’article 1121 du chapitre onze de l’ALÉNA abandonne tacitement la condition selon laquelle les parties doivent épuiser les recours internes avant d’avoir accès au processus d’arbitrage du chapitre onze de l’ALÉNA : Martin Dietrich Brauch, IISD Best Practices Series: Exhaustion of Local Remedies in International Investment Law, janvier 2017, à la page 13; Coe, précité, à la page 1421. Voir aussi Metalclad Corporation v the United Mexican States, (ICSID), Arb(AF)/97/1, sentence, 30 août 2000, note en bas de page du paragraphe 97; Waste Management, Inc., précitée, aux paragraphes 116 et 133; GAMI Investments, précitée, au paragraphe 103; Marvin Feldman v Mexico, (ICSID), Arb(AF)/99/1, sentence, 16 décembre 2002, au paragraphe 73.

[192] L’exception à ce principe se présente dans les cas où il est allégué que la mesure gouvernementale en cause est entachée par un prétendu déni de justice découlant d’une intervention judiciaire. Dans de tels cas, les demandeurs doivent d’abord obtenir une décision finale de la plus haute juridiction de l’État hôte avant d’avoir accès au processus de l’ALÉNA : The Loewen Group, Inc. and Raymond Loewen v United States of America, (ICSID), Case No. ARB(AF)/98/3, sentence, 26 juin 2003; Apotex Inc. v United States of America, (ICSID), Case No. UNCT/10/2, sentence sur la compétence et l’admissibilité, 14 juin 2013. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[193] En autant que l’argument des intervenantes fondé sur l’ordre public est concerné, il est vrai que l’avis de demande déposé par le Canada faisait valoir un argument fondé sur l’ordre public comme motif pour annuler la sentence de la majorité du Tribunal, aux termes du sous-alinéa 34(2)b)ii) du Code. Cependant, le Canada n’a pas parlé de son argument fondé sur l’ordre public comme motif pour annuler la sentence dans ses observations écrites, et il a informé la Cour à l’audience qu’il n’invoquait plus cet argument. En outre, cet argument n’était pas le même que l’argument des intervenantes fondé sur l’intérêt public.

[194] Le Canada a affirmé dans son avis de demande que la sentence du Tribunal (à la majorité) entrait en conflit avec l’ordre public du Canada [traduction] « dans la mesure où elle usurpe la fonction de contrôle judiciaire des tribunaux canadiens ». Un argument fondé sur l’ordre public et lié au défaut allégué du Tribunal (à la majorité) de tenir compte des dispositions de l’ALÉNA et de l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement portant sur le droit environnemental soulève donc une question entièrement nouvelle : aucune des parties n’a soulevé cette question dans la présente procédure.

[195] En outre, les intervenantes font une interprétation erronée du sous-alinéa 34(2)b)ii) du Code, lequel permet à notre Cour d’annuler une sentence au motif qu’elle est « contraire à l’ordre public du Canada ». Les intervenantes affirment que le défaut du Tribunal de citer l’article 1114 de l’ALÉNA, et l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement, constitue une erreur de droit qui n’appelle aucune [traduction] « retenue judiciaire ». Elles demandent à la Cour d’intervenir en raison de cette erreur de droit [traduction] « flagrante ». Cependant, il serait contraire à l’objet des motifs étroits d’annulation d’une sentence arbitrale prévus dans le Code que de lire le sous-alinéa 34(2)b)ii) comme s’il incluait toute erreur de fait ou de droit, car cela ouvrirait évidemment la porte à l’examen de l’affaire sur le fond.

[196] De surcroît, il est bien établi que pour que l’argument fondé sur l’ordre public soit accueilli, la sentence [traduction] « doit en essence porter atteinte aux principes explicites les plus fondamentaux de justice et d’équité » ou [traduction] « afficher une ignorance ou une corruption intolérable de la part du Tribunal d’arbitrage » : Corporacion Transnacional de Inversiones S.A. de C.V. v STET International S.p.A., [1999] O.J. No. 3573, au paragraphe 30, 104 O.T.C., conf. par [2000] O.J. No. 3408 (C.A.), 49 O.R. (3d) 414, autorisation d’interjeter appel refusée, [2000] S.C.C.A. No. 581, [2001] 1 S.C.R. xi. Le critère à remplir pour annuler une sentence arbitrale sur le fondement de l’ordre public est par conséquent extrêmement rigoureux : Rubins, précité, p. 367. Rubins recense les manquements à l’ordre public recevables à ce titre, dont, par exemple, [traduction] « les contrats ou concessions obtenus grâce à des pots-de-vin, les ententes illégales ou immorales, ou un manquement à l’application régulière de la loi lors d’un arbitrage » : à la page 367. Les intervenantes n’ont pas soulevé de questions de cet ordre dans leurs observations.

[197] Les arguments des intervenantes visent donc à élargir les questions dont la Cour est saisie et à modifier fondamentalement l’objet de la présente affaire. Ce n’est pas approprié dans le cadre d’une intervention.

XII. Conclusion

[198] Je reconnais que la sentence de la majorité du Tribunal soulève des questions de principe importantes. Ces questions incluent l’effet qu’aura la sentence sur la capacité des parties à l’ALÉNA de réglementer les questions environnementales relevant de leur compétence, sur la capacité des tribunaux de l’ALÉNA de déterminer à juste titre si les investisseurs étrangers ont été traités équitablement dans le cadre des processus d’évaluation environnementale internes, et l’» effet paralysant » potentiel sur le processus d’évaluation environnementale qui pourrait découler de la décision de la majorité du Tribunal.

[199] Bien qu’il puisse exister de nombreuses raisons pour critiquer la sentence du Tribunal (à la majorité), sa décision découle, au final, de sa conclusion selon laquelle le Canada, vu les lacunes constatées dans le processus de la CEC, n’a pas respecté son obligation d’accorder aux investisseurs le traitement juste et équitable prévu à l’article 1105 de l’ALÉNA, et de sa conclusion portant que le traitement accordé aux investisseurs par le Canada était discriminatoire et différait du traitement qui serait accordé à des investisseurs canadiens dans des conditions analogues, sans que ce traitement différent soit justifié. Ces conclusions constituent des conclusions de fait, ou donnent lieu à une application de la loi aux faits tels qu’ils ont été constatés par la majorité du Tribunal. Plus important encore, elles relèvent sans équivoque du différend soumis à l’arbitrage. Elles ne portent toutefois pas sur des questions de compétence.

[200] Le Canada n’a donc pas établi que la décision du Tribunal (à la majorité) « porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire », au sens du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code. Par conséquent, la demande d’annulation de la sentence du Tribunal (à la majorité) doit être rejetée.

XIII. Dépens

[201] Parce qu’ils ont eu gain de cause, les investisseurs ont droit aux dépens relatifs à la présente procédure engagée par le Canada. Conformément à l’entente conclue entre les parties, ces dépens sont fixés à 18 000 $, ce qui inclut les débours et la TVH.

[202] Les intervenantes n’ont pas demandé le remboursement de leurs dépens, et aucune somme ne sera accordée à cet égard.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1000-15

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande est rejetée avec dépens payables aux défendeurs, fixés à 18 000 $, incluant les débours et la TVH.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour d’août 2020

Lionbridge


Appendice I

Dispositions pertinentes d’Accord de libre-échange nord-américain

Relevant Provisions of the North American Free Trade Agreement

Article 102 : Objectifs

1. Les objectifs du présent accord, définis de façon plus précise dans ses principes et ses règles, notamment le traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée et la transparence, consistent

Article 102: Objectives

1. The objectives of this Agreement, as elaborated more specifically through its principles and rules, including national treatment, most-favored-nation treatment and transparency, are to:

a) à éliminer les obstacles au commerce des produits et des services entre les territoires des Parties et à faciliter le mouvement transfrontières de ces produits et services

a) eliminate barriers to trade in, and facilitate the cross-border movement of, goods and services between the territories of the Parties;

b) à favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange;

b) promote conditions of fair competition in the free trade area;

c) à augmenter substantiellement les possibilités d'investissement sur les territoires des Parties;

c) increase substantially investment opportunities in the territories of the Parties;

d) à assurer de façon efficace et suffisante la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle sur le territoire de chacune des Parties;

d) provide adequate and effective protection and enforcement of intellectual property rights in each Party's territory;

e) à établir des procédures efficaces pour la mise en oeuvre et l'application du présent accord, pour son administration conjointe et pour le règlement des différends; et

e) create effective procedures for the implementation and application of this Agreement, for its joint administration and for the resolution of disputes; and

f) à créer le cadre d'une coopération trilatérale, régionale et multilatérale plus poussée afin d'accroître et d'élargir les avantages découlant du présent accord.

f) establish a framework for further trilateral, regional and multilateral cooperation to expand and enhance the benefits of this Agreement.

2. Les Parties interpréteront et appliqueront les dispositions du présent accord à la lumière des objectifs énoncés au paragraphe 1 et en conformité avec les règles applicables du droit international.

2. The Parties shall interpret and apply the provisions of this Agreement in the light of its objectives set out in paragraph 1 and in accordance with applicable rules of international law.

Article 1102 : Traitement national

1. Chacune des Parties accordera aux investisseurs d'une autre Partie un traitement non moins favorable que celui qu'elle accorde, dans des circonstances analogues, à ses propres investisseurs, en ce qui concerne l'établissement, l'acquisition, l'expansion, la gestion, la direction, l'exploitation et la vente ou autre aliénation d'investissements.

Article 1102: National Treatment

1. Each Party shall accord to investors of another Party treatment no less favorable than that it accords, in like circumstances, to its own investors with respect to the establishment, acquisition, expansion, management, conduct, operation, and sale or other disposition of investments.

2. Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d'une autre Partie un traitement non moins favorable que celui qu'elle accorde, dans des circonstances analogues, aux investissements effectués par ses propres investisseurs, en ce qui concerne l'établissement, l'acquisition, l'expansion, la gestion, la direction, l'exploitation et la vente ou autre aliénation d'investissements.

2. Each Party shall accord to investments of investors of another Party treatment no less favorable than that it accords, in like circumstances, to investments of its own investors with respect to the establishment, acquisition, expansion, management, conduct, operation, and sale or other disposition of investments.

3. Le traitement accordé par une Partie en vertu des paragraphes 1 et 2 signifie, en ce qui concerne un État ou une province, un traitement non moins favorable que le traitement le plus favorable accordé par cet État ou cette province, dans des circonstances analogues, aux investisseurs, et aux investissements effectués par les investisseurs, de la Partie sur le territoire de laquelle est situé l'État ou la province.

3. The treatment accorded by a Party under paragraphs 1 and 2 means, with respect to a state or province, treatment no less favorable than the most favorable treatment accorded, in like circumstances, by that state or province to investors, and to investments of investors, of the Party of which it forms a part.

4. Il demeure entendu qu'aucune des Parties ne pourra :

4. For greater certainty, no Party may:

a) exiger d'un investisseur d'une autre Partie qu'il accorde à ses ressortissants une participation minimale dans une entreprise située sur son territoire, exception faite des actions nominales dans le cas des administrateurs ou fondateurs de sociétés; ou

(a) impose on an investor of another Party a requirement that a minimum level of equity in an enterprise in the territory of the Party be held by its nationals, other than nominal qualifying shares for directors or incorporators of corporations; or

b) obliger un investisseur d'une autre Partie, en raison de sa nationalité, à vendre ou à aliéner d'une autre façon un investissement effectué sur le territoire de la Partie.

(b) require an investor of another Party, by reason of its nationality, to sell or otherwise dispose of an investment in the territory of the Party.

Article 1105 : Norme minimale de traitement

1. Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d'une autre Partie un traitement conforme au droit international, notamment un traitement juste et équitable ainsi qu'une protection et une sécurité intégrales.

Article 1105: Minimum Standard of Treatment

1. Each Party shall accord to investments of investors of another Party treatment in accordance with international law, including fair and equitable treatment and full protection and security.

2. Sans préjudice du paragraphe 1, chacune des Parties accordera aux investisseurs d'une autre Partie, et aux investissements effectués par les investisseurs d'une autre Partie, un traitement non discriminatoire quant aux mesures qu'elle adoptera ou maintiendra relativement aux pertes subies, à cause d'un conflit armé ou d'une guerre civile, par des investissements effectués sur son territoire.

2. Without prejudice to paragraph 1 and notwithstanding Article 1108(7)(b), each Party shall accord to investors of another Party, and to investments of investors of another Party, non-discriminatory treatment with respect to measures it adopts or maintains relating to losses suffered by investments in its territory owing to armed conflict or civil strife.

3. Le paragraphe 2 ne s'applique pas aux mesures existantes relatives aux subventions ou contributions qui seraient incompatibles avec l'article 1102 si ce n'était de l'alinéa 1108(7)(b).

3. Paragraph 2 does not apply to existing measures relating to subsidies or grants that would be inconsistent with Article 1102 but for Article 1108(7)(b).

Article 1116 : Plainte déposée par un investisseur d'une Partie en son nom propre

Article 1116: Claim by an Investor of a Party on Its Own Behalf

1. Un investisseur d'une Partie peut soumettre à l'arbitrage, en vertu de la présente section, une plainte selon laquelle une autre Partie a manqué à une obligation découlant

1. An investor of a Party may submit to arbitration under this Section a claim that another Party has breached an obligation under:

a) de la section A ou du paragraphe 1503(2) (Entreprises d'État), ou

(a) Section A or Article 1503(2) (State Enterprises), or

b) de l'alinéa 1502(3)a) (Monopoles et entreprises d'État), lorsque le monopole a agi d'une manière qui contrevient aux obligations de la Partie aux termes de la section A,

et que l'investisseur a subi des pertes ou des dommages en raison ou par suite de ce manquement.

(b) Article 1502(3)(a) (Monopolies and State Enterprises) where the monopoly has acted in a manner inconsistent with the Party's obligations under Section A, and that the investor has incurred loss or damage by reason of, or arising out of, that breach.

2. Un investisseur ne pourra soumettre une plainte à l'arbitrage si plus de trois ans se sont écoulés depuis la date à laquelle l'investisseur a eu ou aurait dû avoir connaissance du manquement allégué et de la perte ou du dommage subi.

2. An investor may not make a claim if more than three years have elapsed from the date on which the investor first acquired, or should have first acquired, knowledge of the alleged breach and knowledge that the investor has incurred loss or damage.

 

Article 1117 : Plainte déposée par un investisseur d'une Partie au nom d'une entreprise

Article 1117: Claim by an Investor of a Party on Behalf of an Enterprise

 

1. Un investisseur d'une Partie, agissant au nom d'une entreprise d'une autre Partie qui est une personne morale que l'investisseur possède ou contrôle directement ou indirectement, peut soumettre à l'arbitrage, en vertu de la présente section, une plainte selon laquelle l'autre Partie a manqué à une obligation découlant

1. An investor of a Party, on behalf of an enterprise of another Party that is a juridical person that the investor owns or controls directly or indirectly, may submit to arbitration under this Section a claim that the other Party has breached an obligation under:

a) de la section A ou du paragraphe 1503(2) (Entreprises d'État), ou

(a) Section A or Article 1503(2) (State Enterprises), or

b) de l'alinéa 1502(3)a) (Monopoles et entreprises d'État), lorsque le monopole a agi d'une manière qui contrevient aux obligations de la Partie aux termes de la section A,

et que l'entreprise a subi des pertes ou des dommages en raison ou par suite de ce manquement.

(b) Article 1502(3)(a) (Monopolies and State Enterprises) where the monopoly has acted in a manner inconsistent with the Party's obligations under Section A, and that the enterprise has incurred loss or damage by reason of, or arising out of, that breach.

2. Un investisseur ne pourra déposer une plainte au nom d'une entreprise décrite au paragraphe 1 si plus de trois ans se sont écoulés depuis la date à laquelle l'entreprise a eu ou aurait dû avoir connaissance du manquement allégué et de la perte ou du dommage subi.

2. An investor may not make a claim on behalf of an enterprise described in paragraph 1 if more than three years have elapsed from the date on which the enterprise first acquired, or should have first acquired, knowledge of the alleged breach and knowledge that the enterprise has incurred loss or damage.

3. Lorsqu'un investisseur dépose une plainte en vertu du présent article, et qu'il dépose aussi ou qu'un investisseur non majoritaire de l'entreprise dépose en vertu de l'article 1116 une plainte résultant des mêmes circonstances que celles ayant donné lieu à la plainte en vertu du présent article, et que deux ou plusieurs plaintes sont soumises à l'arbitrage en vertu de l'article 1120, les plaintes devraient être entendues ensemble par un tribunal établi conformément à l'article 1126, à moins que le tribunal ne constate que les intérêts d'une partie contestante s'en trouveraient lésés.

3. Where an investor makes a claim under this Article and the investor or a non-controlling investor in the enterprise makes a claim under Article 1116 arising out of the same events that gave rise to the claim under this Article, and two or more of the claims are submitted to arbitration under Article 1120, the claims should be heard together by a Tribunal established under Article 1126, unless the Tribunal finds that the interests of a disputing party would be prejudiced thereby.

4. Un investissement ne peut présenter une plainte en vertu de la présente section.

4. An investment may not make a claim under this Section.

Article 1131 : Droit applicable

1. Un tribunal institué en vertu de la présente section tranchera les points en litige conformément au présent accord et aux règles applicables du droit international.

Article 1131: Governing Law

1. A Tribunal established under this Section shall decide the issues in dispute in accordance with this Agreement and applicable rules of international law.

2. Une interprétation par la Commission d'une disposition du présent accord sera obligatoire pour un tribunal institué en vertu de la présente section.

2. An interpretation by the Commission of a provision of this Agreement shall be binding on a Tribunal established under this Section.

 


Appendice II

Code d’arbitrage commercial, Annexe 1, de Loi sur l’arbitrage commercial (L.R.C. (1985), ch. 17 (2e suppl.)), Article 34

Commercial Arbitration Code, Schedule 1 to the Commercial Arbitration Act, R.S.C. 1985, c. 17 (2nd Supp.), Article 34

ARTICLE 34

La demande d’annulation comme recours exclusif contre la sentence arbitrale

ARTICLE 34

Application for Setting Aside as Exclusive Recourse against Arbitral Award

1 Le recours formé devant un tribunal contre une sentence arbitrale ne peut prendre la forme que d’une demande d’annulation conformément aux paragraphes 2 et 3 du présent article.

(1) Recourse to a court against an arbitral award may be made only by an application for setting aside in accordance with paragraphs (2) and (3) of this article.

2 La sentence arbitrale ne peut être annulée par le tribunal visé à l’article 6 que si, selon le cas :

(2) An arbitral award may be set aside by the court specified in article 6 only if:

a) la partie en faisant la demande apporte la preuve :

(a) the party making the application furnishes proof that:

. . .

. . .

iii) soit que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire, étant entendu toutefois que, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l’arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l’arbitrage, seule la partie de la sentence contenant des décisions sur les questions non soumises à l’arbitrage pourra être annulée;

(iii) the award deals with a dispute not contemplated by or not falling within the terms of the submission to arbitration, or contains decisions on matters beyond the scope of the submission to arbitration, provided that, if the decisions on matters submitted to arbitration can be separated from those not so submitted, only that part of the award which contains decisions on matters not submitted to arbitration may be set aside; or

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1000-15

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c WILLIAM RALPH CLAYTON, WILLIAM RICHARD CLAYTON, DOUGLAS CLAYTON, DANIEL CLAYTON ET BILCON OF DELAWARE, INC. LA FONDATION SIERRA CLUB DU CANADA ET LA EAST COAST ENVIRONMENTAL LAW ASSOCIATION (2007)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 29 et 30 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Roger Flaim, Karen Lovell et Susanna Kam

 

Pour le demandeur

 

Gregory J. Nash, John Judge, John Terry et Randy Sutton

Pour les défendeurs

 

Aaron Ward, Amir Attaran et Matthew Lakatos-Hayward

Pour les intervenantes

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Nash Johnston LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les défendeurs

 

Ecojustice Environmental Law Clinic

Toronto (Ontario)

Pour les intervenantes

 

 

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