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Date : 20180501


Dossier : IMM-3714-17

Référence : 2018 CF 466

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

MARGARETTE DUVERSIN

et JOANNA MICHEL

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Mme Joanna Michel et sa mère, Mme Margarette Duversin (les parties ont demandé que l’intitulé de la cause soit modifié pour corriger l’orthographe du nom de la demanderesse) demandent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR ou tribunal] rejetant leur demande d’asile. Cette cause soulève principalement l’application par la SPR des Directives numéro 4 de la présidente : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe [Directives #4] et les risques d’enlèvement et de viol encourus par les jeunes femmes haïtiennes au retour dans leur pays.

II.  Faits

[2]  Mme Michel allègue être membre de la Ligue alternative pour le progrès et l’émancipation haïtienne [LAPEH]. Suite aux élections présidentielles du 20 novembre 2016, les partisans du parti Fanmi Lavalas auraient voulu venger l’échec de leur parti par des gestes de violence sur leurs adversaires politiques, dont les membres de la LAPEH.

[3]  Le 13 décembre 2016, alors que les demanderesses circulaient en voiture, trois hommes en moto auraient commencé à les suivre en faisant signe d’arrêter la voiture et en les menaçant avec des armes à feu. Les demanderesses auraient réussi à fuir puisqu’elles se dirigeaient vers un carrefour où des policiers assuraient la circulation. Voyant ceci, les trois hommes auraient accéléré et seraient partis « droit devant ». Le 18 décembre 2016, deux hommes en moto auraient à nouveau suivi les demanderesses qui ont à nouveau pu fuir.

[4]  Peu de temps après ces incidents, les demanderesses allèguent avoir commencé à recevoir des appels anonymes deux ou trois fois par mois, au cours desquels on les menaçait d’enlèvement, de viol et de mort.

[5]  Le 27 février 2017, vers 23h, elles auraient entendu des coups de feu à l’extérieur de leur résidence; des balles auraient atteint les murs de la maison. Les demanderesses auraient porté plainte le lendemain auprès d’un juge de paix et de la direction centrale de la police judiciaire. À partir de ce moment, elles auraient cessé de dormir chez elles, préférant dormir chez des amis.

[6]  Bien qu’elles aient décidé de quitter Haïti suite aux évènements du 27 février, elles n’ont quitté que le 10 avril vers les États-Unis, à partir desquels elles sont entrées au Canada et ont déposé leur demande d’asile.

III.  Décision contestée

[7]  La SPR a conclu que les demanderesses ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Les motifs principaux invoqués par la SPR sont le manque de crédibilité des demanderesses, les contradictions entre les différentes versions de leur récit, et un comportement incompatible avec celui auquel il est raisonnable de s’attendre d’une personne qui craint pour sa vie dans son pays.

[8]  Les demanderesses se sont d’abord contredites dans leur témoignage sur l’événement du 13 décembre 2016. Lors de l’audition de leur demande, elles ont dit avoir échappé aux trois hommes en moto puisqu’ils ont fait demi-tour en apercevant les policiers. Dans leur narratif, elles ont plutôt indiqué que les trois hommes sont partis « droit devant ». Les demanderesses n’ont pu offrir d’explication lorsque confrontées à cette contradiction. La SPR note que la mère a ajouté qu’il y avait une manifestation des partisans du parti Fanmi Lavalas cette journée-là; sa fille l’a contredite. La seule explication fournie par Mme Michel est que sa mère est « âgée et confuse » (Mme Duversin a 60 ans). La SPR était plutôt d’avis qu’on pouvait s’attendre à ce que les demanderesses ne se contredisent pas entre elles et que leur version lors de l’audition soit celle fournie dans leur narratif.

[9]  La SPR a confronté les demanderesses au fait que lors de leur entrevue au point d’entrée au Canada, elles ont été complètement muettes quant aux activités politiques de Mme Michel. Elles ont affirmé ne pas savoir qui étaient les gens qui les avaient poursuivies ou qui avaient tiré des coups de feu sur leur maison. Dans leur formulaire de Fondement de demande d’asile [FDA] et lors de l’audition, elles ont affirmé être persécutées par des partisans du parti Fanmi Lavalas en raison des activités politiques de Mme Michel.

[10]  Comme seule explication, Mme Michel indique qu’elle et sa mère étaient stressées lors de l’entrevue initiale. Cette explication n’a pas satisfait le tribunal qui dit s’attendre à une certaine cohérence lorsqu’on leur demande les raisons pour lesquelles elles demandent l’asile. On s’attend qu’elles fournissent toute l’information relative à leurs agents persécuteurs.

[11]  C’est lors de l’audition que Mme Michel a confirmé pour la première fois avoir déposé une plainte aux autorités le 18 décembre 2016; le narratif des demanderesses omet complètement ce fait. Mme Michel explique qu’elle désirait limiter son narratif à l’information essentielle et compléter son témoignage lors de l’audition. À nouveau, cette explication n’a pas satisfait le tribunal qui s’attend à ce qu’une information aussi pertinente se trouve dans le FDA, surtout que la question y est spécifiquement posée.

[12]  Le tribunal a également confronté les demanderesses au fait que même si elles ne dormaient plus dans leur maison après les évènements du 27 février 2017, elles y retournaient tous les jours et y passaient la journée. Elles ont expliqué que pendant la journée, elles étaient accompagnées d’hommes qui faisaient la brigade pour dissuader les éventuels agresseurs. Le tribunal n’a pas accepté cette explication puisque cette information est absente du narratif et qu’un tel comportement n’était pas compatible avec celui d’une personne qui craint pour sa vie.

[13]  Le tribunal trouve également étrange le fait que Mme Michel n’ait pas demandé l’aide des dirigeants de son parti politique et qu’elle ne les ait même pas informés des difficultés rencontrées. Il n’a pas non plus accepté l’explication à l’effet que cela ne servait à rien.

[14]  Les demanderesses ont indiqué dans leur narratif avoir décidé de quitter Haïti après l’incident du 27 février 2017. Elles ont été confrontées au fait qu’elles n’avaient quitté que le 10 avril 2017. Le tribunal note qu’une personne craignant pour sa vie quitte normalement le plus rapidement possible. Lors de l’audition, les demanderesses ont expliqué qu’elles n’avaient pas les moyens de quitter plus tôt. Dans leur FDA, elles expliquent plutôt que c’est parce qu’elles n’ont pas pu trouver de vol qui leur convenait à toutes les deux avant cette date.

[15]  Le tribunal ajoute que les documents produits au soutien de leur demande ne suffisent pas à rendre leurs témoignages crédibles. Il fait remarquer que le certificat de police en date du 3 mars 2017 ne mentionne ni l’évènement du 13 décembre ni les coups de feu du 27 février. Il est également d’avis que les extraits des minutes du greffe du tribunal de paix et l’article d’un journal local sont incohérents quant à la chronologie des évènements. Or, en début d’audition, Mme Michel a affirmé que l’information contenue dans la preuve documentaire était vraie, complète et exacte et qu’elle avait fait des vérifications à cet égard.

[16]  Finalement, le tribunal fait une courte analyse à savoir si les demanderesses feraient face à une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur statut de femme en cas de retour en Haïti. Il a conclu que les demanderesses n’ont pas démontré une possibilité de persécution de ce genre.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[17]  Dans leur mémoire, les demanderesses soulèvent trois questions dont les deux premières concernent un manquement allégué aux principes de justice naturelle du fait d’avoir d’abord interrogé la « personne âgée », et l’admissibilité d’une lettre d’une psychologue qui n’était pas devant la SPR. Ces deux premières questions peuvent être formulées comme suit :

  1. Y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale?

  2. La preuve psychologique nouvelle concernant la demanderesse Duversin est-elle admissible?

[18]  Cependant, lors de l’audience, l’emphase fût plutôt mise sur la troisième question soulevée par les demanderesses, qui comporte deux volets :

  1. La SPR a-t-elle adéquatement appliqué les Directives #4?

  2. La SPR a-t-elle fait une analyse adéquate des risques d’enlèvement et de viol encourus par Mme Michel advenant son retour en Haïti?

[19]  La norme de contrôle judiciaire applicable aux conclusions que la SPR tire sur la crédibilité d’un demandeur d’asile est celle de la décision raisonnable (Kamau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 413 au para 23).

[20]  La norme applicable à la question de justice naturelle, que j’analyserai sommairement, est celle de la décision correcte (Canadian Pacific Railway Company v Canada, 2018 CAF 69 (voir les para 36-38, 56).

V.  Analyse

A.  Y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale?

[21]  Les demanderesses plaident que la SPR n’aurait pas dû interroger Mme Duversin en premier puisqu’elle est une personne « âgée et vulnérable » et qu’elle n’était que l’accompagnatrice de sa fille qui est la demanderesse principale. Elles ajoutent que la SPR aurait dû cesser son interrogatoire lorsqu’elle s’est aperçue que Mme Duversin contredisait sa fille et lorsque Mme Michel s’est interposée pour expliquer que sa mère était âgée et confuse. Cela équivaut, disent-elles, à un manquement de la part de la SPR à son obligation d’agir équitablement.

[22]  D’abord, je suis d’avis qu’une personne de 60 ans n’est pas « âgée et vulnérable », à moins d’être affectée d’une limitation ou maladie quelconque qu’un demandeur d’asile a le fardeau de faire valoir devant la SPR.

[23]  Par ailleurs, Mme Duversin est demanderesse d’asile, tout comme sa fille, et elle est un témoin direct de tous les évènements au cœur de leur demande d’asile. La SPR est maître de la procédure devant elle et de son administration de la preuve et il lui était parfaitement loisible de débuter ses interrogatoires par l’une ou l’autre des demanderesses d’asile. Les demanderesses n’ont d’ailleurs aucune autorité à offrir à l’effet contraire. La règle 10 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, et les Directives numéro 7 de la présidente : Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés ne font état que de l’ordre dans lequel les divers intervenants/procureurs peuvent interroger le ou les demandeur(s) d’asile. Le Guide du demandeur d'asile de la SPR mentionne que les témoins sont questionnés après le ou les demandeur(s). Dans le présent cas, Mme Duversin est demanderesse d’asile et non simple témoin.

[24]  En ce qui concerne le reproche fait à la SPR de ne pas avoir cessé son interrogatoire lorsqu’elle s’est aperçue que la mère contredisait la fille, il est vrai que cette Cour a déjà conclu que la SPR devait cesser de questionner un demandeur qui est visiblement incohérent (FAM c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 574). Cependant, dans FAM, l’avocat du demandeur avait demandé, avant l’audience, que des mesures d’adaptation d’ordre procédurales soient prises à l’égard du demandeur compte tenu de son état de personne vulnérable. Le demandeur avait également fait l’objet d’une évaluation psychologique concluante avant son audience. Dans le présent cas, aucune demande d’accommodement n’a été faite auprès du tribunal.

[25]  Par ailleurs, puisqu’il appartient à la SPR de déterminer la véracité des faits allégués, la crédibilité des demandeurs et le fondement de chaque demande d’asile qui lui est présentée, il serait tout à fait incongru de lui demander d’arrêter un interrogatoire dès qu’il constate des contradictions dans la preuve.

[26]  À cela s’ajoute le fait qu’il est bien établi que lorsqu’il y a manquement aux principes d’équité procédurale, la question doit être soulevée à la première occasion. Un « défaut de formuler une objection au stade de l’audience équivaut à une renonciation tacite relativement à tout manquement perçu à l’équité procédurale ou à la justice naturelle » (Kamara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 448 au para 26). Les demanderesses n’ont pas soulevé d’objection quant à l’ordre des interrogatoires par la SPR et elles n’ont pas demandé au tribunal d’ajourner l’audience.

[27]  Il n’y a eu, à mon avis, aucun manquement aux principes d’équité procédurale.

B.  La preuve psychologique nouvelle concernant la demanderesse Duversin est-elle admissible?

[28]  En général, le dossier de preuve soumis à la Cour se limite à celui qui se trouvait devant la SPR : « [l]e but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n'ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance » (Gitxsan Treaty Society c Hospital Employees’ Union, [2000] 1 CF 135 (CAF) aux pp 144-145, tel que cité dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19). Certaines exceptions existent, par exemple : « lorsque les éléments de preuve permettent de connaître le contexte, qu’ils sont déposés à l’appui d’une allégation de manquement à l’équité procédurale de la part de l’auteur de la décision ou qu’ils sont présentés pour démontrer l’absence de preuve » (Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294 au para 20). Bien que cette liste ne soit pas exhaustive, je ne suis pas d’avis que la nouvelle preuve des demanderesses ne fait pas exception à la règle générale.

[29]  Mais il y a plus. Même si la lettre de la psychologue qui a rencontré les demanderesses était admise, sa valeur probante serait fort limitée. Elle écrit essentiellement que les demanderesses lui ont relaté les évènements à la base de leur demande d’asile et que Mme Michel lui a mentionné que Mme Duversin avait des épisodes de cauchemar et qu’ « elle oublie tout, à cause des problèmes. » La seule opinion émise par la psychologue est à l’effet que les difficultés énumérées par les demanderesses sont compatibles avec un syndrome de choc post-traumatique. Il ne s’agit pas d’une preuve que les évènements soient survenus ni même que Mme Duversin ait quelque problème de mémoire que ce soit.

C.  La SPR a-t-elle adéquatement appliqué les Directives #4?

[30]  Les Directives #4 précisent que, dans le cas d’une demande d’asile fondée sur le sexe, la SPR doit être particulièrement sensible à la difficulté qu’éprouvent les demanderesses à témoigner. Elles ne sont cependant pas conçues pour corriger toutes les lacunes que comportent la demande ou la preuve d’une demanderesse d’asile, même si elle invoque une crainte de persécution fondée sur son sexe à l’appui de sa demande d’asile (Karanja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 574 au para 5). Il incombe à la demanderesse d’établir le bien-fondé de sa demande d’asile. Les Directives #4 ne corroborent pas en soi la thèse de persécution fondée sur le sexe (Newton c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, (2002) 182 FTR 294 (QL) au para 18). Elles ne font que dicter l’attitude et l’ouverture d’esprit dont l’agent d’immigration doit faire face lorsque confronté avec de telles allégations de persécution. En d’autres termes, les Directives #4 ont été édictées pour que les décideurs administratifs considèrent tous les enjeux avec empathie.

[31]  Je suis d’avis qu’en l’espèce, le tribunal a pris les Directives #4 en considération mais qu’ultimement, il a tiré plusieurs conclusions défavorables sur la crédibilité des demanderesses. Il n’a pas cru le récit à la base de leur demande d’asile et, à la lumière des diverses contradictions constatées, il lui était loisible de conclure de la sorte.

D.  La SPR a-t-elle fait une analyse adéquate des risques d’enlèvement et de viol encourus par Mme Michel advenant son retour en Haïti?

[32]  Lors de l’audition de la cause, le procureur des demanderesses a mis beaucoup d’emphase sur le fait que l’analyse qu’a faite la SPR du risque de persécution fondé sur le sexe qu’encoure Mme Michel, advenant son retour en Haïti, était insuffisante. Cette question, qui a été analysée par la SPR « de façon résiduelle » ne fait l’objet que d’un paragraphe que je reproduis au complet :

[29] Enfin, le tribunal a analysé, de façon résiduelle, si les demandeures feraient face à une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur statut de femme en cas de retour en Haïti. Toutefois, compte tenu notamment qu’il ne croit pas leurs allégations, le tribunal estime que ces dernières n’ont pas démontré une telle possibilité de persécution. Elles n’ont pas fait face à ce genre de problèmes dans le passé et, même si le passé ne garantit pas l’avenir, la preuve documentaire ne dit pas que toutes les femmes haïtiennes ou retournant en Haiti font face à une possibilité sérieuse de persécution. De plus, rien ne démontre que les demandeures ne bénéficient pas d’un entourage suffisant en Haïti qui pourrait dissuader d’éventuels malfaiteurs de s’en prendre à elles, ou du moins un entourage qui pourrait faire diminuer la possibilité d’une telle agression en dessous de la barre de la possibilité sérieuse. Au contraire, si l’on se fie aux témoignages des demandeurs et aux réponses qu’elles ont données à la question 5 de leur FDA, elles bénéficieraient plus particulièrement d’un entourage d’amis et membres de la famille, incluant plusieurs hommes.

[33]  D’abord, la SPR considère probablement cette question comme étant « résiduelle » puisque ce motif de persécution n’est pas spécifiquement allégué au soutien de la demande d’asile des demanderesses. Ces dernières allèguent craindre la persécution de la part d’opposants politiques.

[34]  Toutefois, dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, la Cour suprême du Canada note, à la page 745, qu’ « [il] n’incombe pas au demandeur d’identifier les motifs de persécution. Il incombe à l’examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies » (voir également Aleaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 445 au para 37). Puisque les demanderesses ont indiqué à la question 2 b) de leur FDA qu’elles craignaient être enlevées, violées, et tuées par les adversaires politiques et qu’elles ont produit une preuve documentaire fiable qui démontre que les femmes haïtiennes font régulièrement face à de la violence sexuelle, je suis d’avis que cette analyse devait être faite par la SPR. La SPR devait considérer si Mme Michel faisait face à une possibilité sérieuse de persécution advenant son retour au pays, en raison du fait qu’elle est une jeune femme célibataire ayant passé un séjour prolongé à l’étranger. Cette possibilité ne peut être écartée du simple fait qu’elle n’a pas elle-même vécu pareille persécution dans le passé (Dezameau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 559 au para 26; Josile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 39 au para 23; Desire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 167 au para 8). Il est vrai que la situation a évolué en Haïti depuis le tremblement de terre de janvier 2010 – la décision de la Cour dans Dezameau a été émise seulement quatre mois après les évènements – mais je suis d’avis que la SPR a omis de compléter son analyse afin de déterminer si, dans le cas de Mme Michel, le risque d’enlèvement et de viol constitue un risque sérieux de persécution fondé sur le sexe sous le régime de l’article 96 de la LIPR . Cette analyse doit être distincte de celle qui a permis à la SPR de rejeter, pour faute de crédibilité, leur demande d’asile fondée sur l’article 97 de la même loi.

[35]  En fin d’audition, le procureur des demanderesses a demandé à la Cour de certifier la question suivante :

L’hypothèse de l’absence de violence sexuelle subie dans le passé et témoignant d’inégalités entre les sexes, peut-elle être appliquée dans un vide sur le plan de la preuve et de l’état du droit qui démontrent le contraire relativement aux conditions dans le pays dont un demandeur d’asile a la nationalité?

[36]  D’abord, si je comprends bien cette question, elle tend à inverser le fardeau de preuve dans le cadre d’une demande d’asile. Il incombe toujours au demandeur de faire la preuve des faits qu’il allègue.

[37]  Par ailleurs, si la seule question est celle de connaître l’impact de l’absence de violence sexuelle passée subie par une demanderesse d’asile sur une analyse de persécution sous le régime de l’article 96 de la LIPR,  cette question a déjà trouvé réponse dans une jurisprudence constante de cette Cour dont il est fait état aux présents motifs.

[38]  Il n’y a donc pas lieu de certifier la question proposée.

VI.  Conclusion

[39]  Je suis donc d’avis de faire droit à la demande de contrôle judiciaire et de retourner le dossier à la SPR pour qu’elle complète son analyse, sous le régime de l’article 96 de la LIPR, du risque de persécution fondé sur le sexe qu’encourrait Mme Michel advenant son retour en Haïti. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.


JUGEMENT au dossier IMM-3714-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accordée;

  2. Le dossier est retourné à la Section de la protection des réfugiés pour qu’elle complète son analyse, sous le régime de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, du risque de persécution fondé sur le sexe qu’encourrait la demanderesse Joanna Michel advenant son retour en Haïti;

  3. L’intitulé de la cause est modifié pour corriger l’orthographe du nom de la demanderesse pour qu’il se lise Margarette Duversin;

  4. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3714-17

INTITULÉ :

MARGARETTE DUVERSIN ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 MARS 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 1er mai 2018

COMPARUTIONS :

Joseph-Alphone Andre

Pour leS demandeRESSES

Gabrielle White

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joseph-Alphone Andre

Avocat

Ottawa (Ontario)

Pour leS demandeRESSES

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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