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Date : 20180426


Dossier : IMM-4098-17

Référence : 2018 CF 452

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ELLIOT BROWN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), à l’encontre d’une décision rendue par un agent d’immigration (l’agent), par laquelle il a refusé de délivrer un permis de travail postdiplôme (PTPD) au demandeur.

II.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur est citoyen de la Jamaïque. En janvier 2015, il a obtenu un permis d’études et est venu au Canada pour fréquenter un établissement d’enseignement dans l’espoir d’obtenir ultimement la résidence permanente.

[3]  Après avoir reçu son permis d’études, le demandeur a entrepris des études au Canadian Institute of Management and Technology (le CIMT). Le CIMT est un établissement postsecondaire privé et un « établissement d’enseignement désigné », au sens du paragraphe 211.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

[4]  Le demandeur a obtenu un diplôme d’études supérieures en administration de réseaux du CIMT, et a ensuite demandé un permis de travail postdiplôme.

[5]  Le 28 juillet 2017, l’agent a rejeté la demande de permis de travail postdiplôme. L’agent a expliqué que les étudiants étrangers au Canada sont admissibles à recevoir un permis de travail pour un emploi postdiplôme uniquement s’ils ont étudié à temps plein pendant au moins huit mois dans l’un ou l’autre des établissements suivants :

  • un établissement postsecondaire public, comme un collège, une école technique ou de métiers, une université ou un CÉGEP (collège d’enseignement général et professionnel au Québec);
  • un établissement postsecondaire privé assujetti aux mêmes règlements que les établissements publics;
  • un établissement secondaire ou postsecondaire privé (au Québec) offrant des programmes admissibles d’une durée de 900 heures ou plus menant à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) ou d’une attestation de spécialisation professionnelle (ASP);
  • un établissement canadien privé autorisé à décerner des grades (c.-à-d. un baccalauréat, une maîtrise ou un doctorat) en application d’une loi provinciale, mais seulement si l’étudiant est inscrit à un programme d’études reconnu par la province menant à l’obtention d’un grade, et non à n’importe quel programme d’études offert par l’établissement privé.

[6]  Ces critères font partie des directives relatives au Programme de permis de travail postdiplôme d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme).

[7]  L’agent a conclu que le CIMT ne satisfaisait pas aux critères énoncés dans la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme et que, par conséquent, le demandeur n’était pas admissible à un permis de travail dans cette catégorie.

[8]  Le 27 septembre 2018, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent.

III.  Questions en litige

[9]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme est-elle inconstitutionnelle du fait de son imprécision?
  2. L’article 200 du Règlement interdit-il l’adoption des critères obligatoires de la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme?
  3. Était-il raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité énoncés dans la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme?

IV.  Norme de contrôle

[10]  La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Rehman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1021, au paragraphe 13).

V.  Discussion

A.  La politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme est-elle inconstitutionnelle du fait de son imprécision?

[11]  Le demandeur soutient que la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme est d’une imprécision inadmissible aux termes de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), c 11 (la Charte), parce qu’elle ne prévient pas raisonnablement les personnes auxquelles elle pourrait s’appliquer des conséquences de leur conduite (citant l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 81). Il affirme que la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme est imprécise quant à ce qui constitue « un établissement d’enseignement postsecondaire privé assujetti aux mêmes règlements que les établissements postsecondaires publics » et qu’elle ne fournit pas de liste de ces établissements privés. Ce qui complique encore plus les choses, c’est qu’un établissement peut être un établissement d’enseignement désigné (une liste publique des établissements d’enseignement désignés est tenue à jour), mais le fait d’apparaître sur la liste des établissements d’enseignement désignés ne signifie pas nécessairement que les étudiants inscrits dans cet établissement sont admissibles à un permis de travail postdiplôme.

[12]  Toutefois, une demande de permis de travail n’engage pas le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne prévu à l’article 7 de la Charte. Comme notre Cour l’a affirmé dans la décision Tabingo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 377, au paragraphe 99, en ce qui concerne la catégorie des travailleurs qualifiés, « [l]a possibilité d’immigrer, en particulier à titre de personne appartenant à une catégorie d’immigrants économiques, ne compte pas parmi les choix reliés à l’autonomie personnelle qui font intervenir l’article 7 » (conf. par 2014 CAF 191, aux paragraphes 95 à 99).

[13]  De plus, la Cour suprême du Canada a conclu que même la déportation, en soi, ne met pas en cause le droit à la liberté et à la sécurité protégé par l’article 7 de la Charte, puisque les non-citoyens n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli), [1992] 1 RCS 711, à la page 733).

[14]  L’article 7 de la Charte n’entre pas en jeu en l’espèce.

B.  L’article 200 du Règlement interdit-il l’adoption des critères obligatoires de la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme?

[15]  Le demandeur soutient que la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme entre en conflit avec l’article 200 du Règlement, et est interdite aux termes de cette disposition, laquelle prévoit qu’un permis de travail est délivré à l’étranger qui satisfait aux conditions énumérées. Autrement dit, lorsqu’un étranger serait autrement en mesure d’obtenir un permis de travail, la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme ajoute des conditions plus strictes qui entrent en conflit avec le Règlement.

[16]  Cependant, quand on lit conjointement la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme et les articles 200 et 205 du Règlement, il ressort clairement qu’un demandeur de permis de travail postdiplôme doit répondre aux critères d’admissibilité énoncés dans la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme pour satisfaire aux exigences des articles 200 et 205 du Règlement.

[17]  Le sous-alinéa 200(1)c)(ii) du Règlement indique que, sous réserve du paragraphe 87.3 de la LIPR, un permis de travail est délivré à un étranger qui entend exercer un travail visé aux articles 204 ou 205 du Règlement.

[18]  Le sous-alinéa 205c)(ii) du Règlement indique qu’un tel travail est « désigné par le ministre comme […] [étant] justifiable pour des raisons d’intérêt public en rapport avec la compétitivité des établissements universitaires ou de l’économie du Canada ».

[19]  Il était loisible au ministre de créer la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme aux termes du sous-alinéa 205c)(ii) du Règlement (Nookala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1019 [Nookala], au paragraphe 13). Comme notre Cour l’a affirmé dans la décision Osahor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 666, au paragraphe 14 :

En fait, l’article 205 du Règlement confère au ministre le pouvoir d’accorder aux étrangers un accès limité au marché du travail au Canada pour des raisons d’intérêt public se rapportant à la compétitivité de l’économie et des établissements universitaires du Canada. Le Règlement ne prévoit pas de critères, mais il autorise plutôt le ministre à désigner le travail qui doit être effectué et à définir comment, ou selon quel fondement, l’accès limité doit être fourni.

[20]  Il n’y a aucun conflit entre la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme et le Règlement. Le ministre a le pouvoir d’établir les critères permettant de satisfaire au respect du sous-alinéa 205c)(ii) du Règlement, et donc aux termes desquels un permis de travail devrait être délivré en application du sous-alinéa 200(1)c)(ii) du Règlement.

C.  Était-il raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité énoncés dans la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme?

[21]  Le demandeur soutient que la décision de l’agent était déraisonnable, puisqu’il n’a pas expliqué pourquoi son diplôme du CIMT ne le rendait pas admissible à un permis de travail postdiplôme.

[22]  Cependant, l’agent a cité la partie pertinente de la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme et a conclu de manière raisonnable que le CIMT n’appartient à aucune des catégories d’établissements d’enseignement dont les diplômés sont admissibles à un permis de travail postdiplôme. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il satisfaisait aux exigences de la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme, mais il n’a jamais présenté d’éléments de preuve appuyant sa position.

[23]  Les critères d’admissibilité énoncés dans la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme sont obligatoires et doivent être satisfaits pour qu’un candidat soit admissible à l’obtention d’un permis de travail postdiplôme. Rien dans la politique ne confère aux agents d’immigration un quelconque pouvoir discrétionnaire de modifier les conditions d’admissibilité ou d’y déroger (Nookala, au paragraphe 12).

[24]  L’agent a fait référence à la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme, plus précisément à la condition selon laquelle un étranger doit avoir étudié à temps plein pendant au moins huit mois dans un des établissements suivants :

  • un établissement postsecondaire public, comme un collège, une école technique ou de métiers, une université ou un CÉGEP (collège d’enseignement général et professionnel au Québec);
  • un établissement postsecondaire privé assujetti aux mêmes règlements que les établissements publics;
  • un établissement secondaire ou postsecondaire privé (au Québec) offrant des programmes admissibles d’une durée de 900 heures ou plus menant à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) ou d’une attestation de spécialisation professionnelle (ASP);
  • un établissement canadien privé autorisé à décerner des grades (c.-à-d. un baccalauréat, une maîtrise ou un doctorat) en application d’une loi provinciale, mais seulement si l’étudiant est inscrit à un programme d’études reconnu par la province menant à l’obtention d’un grade, et non à n’importe quel programme d’études offert par l’établissement privé.

[25]  L’agent a ensuite déclaré que le CIMT n’entrait dans aucune des catégories énumérées précédemment et que, par conséquent, le demandeur n’était pas admissible à un permis de travail postdiplôme.

[26]  La décision satisfait aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité et appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[27]  Les conditions d’admissibilité de la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme citées par l’agent précisent qu’il y a deux catégories d’établissements d’enseignement privés en Ontario dont les diplômés sont admissibles à un permis de travail postdiplôme : les collèges privés qui sont assujettis aux mêmes règlements que les établissements publics et les collèges privés autorisés par une loi provinciale à décerner des grades (si l’étudiant est inscrit à un programme menant à l’obtention d’un grade).

[28]  Le demandeur a obtenu un diplôme, et non un grade. De plus, les observations du demandeur montrent que la législation habilitante du CIMT est la Loi de 2005 sur les collèges privés d’enseignement professionnel, LO 2005, c 28, annexe L; ce n’est pas cette loi qui régit les établissements d’enseignement publics. Ces observations indiquent également qu’une recherche menée sur le site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada concernant les établissements d’enseignement montre que le CIMT n’offre aucun programme permettant d’être admissible à un permis de travail postdiplôme.

[29]  L’agent a conclu de manière raisonnable que le CIMT ne satisfaisait pas aux exigences de la politique relative au Programme de permis de travail postdiplôme.

[30]  Le demandeur propose deux questions pour certification : [traduction]

1. Est-ce que les directives du Programme de permis de travail postdiplôme, qui sont rédigées ainsi, entrent en conflit avec le sous-alinéa 205c)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés?

Pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de permis de travail postdiplôme, le demandeur doit répondre aux critères suivants :

avoir été, sans interruption, un étudiant à plein temps au Canada (c.-à-d. dans un établissement d’enseignement canadien) et avoir terminé un programme d’études d’une durée minimale de huit mois.

De plus, il doit être diplômé de l’un des types d’établissements suivants :

• un établissement d’enseignement postsecondaire public, tel qu’un collège, une école technique ou de métiers, une université ou un collège d’enseignement général et professionnel (cégep) au Québec;

• un établissement d’enseignement postsecondaire privé assujetti aux mêmes règlements que les établissements postsecondaires publics;

• un établissement d’enseignement secondaire ou postsecondaire privé (au Québec) offrant des programmes admissibles d’une durée de 900 heures ou plus menant à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) ou d’une attestation de spécialisation professionnelle (ASP);

• un établissement d’enseignement canadien privé autorisé à décerner des diplômes (c.-à-d. un baccalauréat, une maîtrise ou un doctorat) en application d’une loi provinciale, mais seulement si l’étudiant est inscrit à un programme d’études reconnu par la province menant à l’obtention d’un diplôme, et non à n’importe quel programme d’études offert par l’établissement d’enseignement privé.

2. Les directives du Programme de permis de travail postdiplôme, qui exigent qu’un étudiant étranger au Canada muni d’un permis d’études soit diplômé d’un « établissement d’enseignement postsecondaire privé assujetti aux mêmes règlements que les établissements postsecondaires publics », sont-elles imprécises et contraires à l’article 7 de la Charte?

[31]  Le défendeur soutient ce qui suit : [traduction]

La première question proposée par le demandeur n’est pas de portée générale, puisqu’elle a été définitivement tranchée par notre Cour.  La jurisprudence bien établie de notre Cour exposée dans le mémoire des arguments supplémentaire du défendeur fournit une réponse complète à la question. La Cour a conclu récemment, et à maintes reprises, que les critères concernant la délivrance du permis de travail postdiplôme ont été légalement établis conformément au pouvoir conféré au ministre au titre du sous-alinéa 205c)(ii) du Règlement.

De plus, il n’existe aucun élément de preuve appuyant les affirmations du demandeur, selon lesquelles le pouvoir du ministre est limité, de la manière qu’il le laisse entendre.  La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve montrant qu’il était intrinsèquement contraire à « la compétitivité des établissements universitaires ou de l’économie du Canada » que le ministre offre un accès à un permis de travail aux diplômés de certains établissements mais non à d’autres.  Le demandeur soutient essentiellement que le Règlement oblige le ministre à offrir un accès au marché du travail canadien à tous les diplômés de tous les établissements d’enseignement postsecondaires.  Un tel argument ne saurait être soutenu, particulièrement à la lumière du large pouvoir discrétionnaire accordé au ministre par le Règlement.  Comme il est indiqué dans le mémoire du défendeur, ce type de décisions stratégiques commande le degré le plus élevé de retenue.

[32]  En ce qui concerne la première question, je suis d’accord avec le défendeur. En ce qui concerne la deuxième question, et comme je l’ai énoncé dans mes motifs, l’article 7 de la Charte n’est pas en jeu en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4098-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4098-17

 

INTITULÉ :

ELLIOT BROWN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Jeremiah Eastman

Pour le demandeur

Daniel Engel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eastman Law Office

Brampton (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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