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Date : 20180427


Dossier : IMM-4324-17

Référence : 2018 CF 458

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 27 avril 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

PRABAKARAN THEVARAJAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé des faits

[1]  Prabakaran Thevarajah conteste le rejet de sa demande (la décision) du 9 août 2017 par la Section de la protection des réfugiés (SPR), en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). À la fin de l’audience de la demande de contrôle judiciaire de M. Thevarajah, j’ai avisé les parties que j’étais enclin à accueillir sa demande en me fondant sur leurs observations écrites et verbales. J’ai toutefois procédé à un réexamen des documents avant de finalement trancher la question, compte tenu des observations très pertinentes de l’avocat du défendeur et du fait que les conclusions relatives à la crédibilité rendues par la Section de la protection des réfugiés, un des fondements de la contestation de M. Thevarajah, commandent une grande retenue.

[2]  Ayant maintenant eu l’occasion d’étudier la question plus à fond, je confirme que la décision doit être annulée et renvoyée à la Section de la protection des réfugiés aux fins d’un nouvel examen par un autre tribunal. Mes motifs pour arriver à une telle conclusion seront restreints à un bref examen des déficiences importantes qui rendent la décision déraisonnable, puisque la présente demande ne soulève aucune question de complexité ou d’importance générale.

II.  Analyse

[3]  Dans l’affaire dont notre Cour est saisie, la Section de la protection des réfugiés a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de M. Thevarajah en raison d’incohérences perçues entre son témoignage de vive voix, son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) et une demande d’asile précédemment présentée aux États-Unis. En bref, M. Thevarajah fait valoir qu’il avait aidé un membre de sa famille, un homme nommé Krishna, qui souhaitait déménager de Jaffna à Colombo, en lui trouvant un logement à Kotahena, en banlieue de Colombo.

[4]  À l’audience, la Section de la protection des réfugiés a posé la question suivante à M. Thevarajah : [traduction] « D’accord. D’accord. Je tente seulement de comprendre pourquoi vous avez indiqué, au paragraphe 7 de votre fondement de demande d’asile, que vous avez aidé Krishna à déménager de Jaffna à Colombo. » M. Thevarajah avait répondu : « Non, non, je ne l’ai pas aidé à déménager de Jaffna à Colombo, mais de Wellawatta à Kotahena, dans les limites de Colombo. » La Section de la protection des réfugiés a jugé que cette réponse était incohérente avec l’information se trouvant dans le formulaire FDA de M. Thevarajah et a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. Elle a aussi jugé que la demande d’asile de M. Thevarajah aux États-Unis présentait une [traduction] « troisième version de ces événements ».

[5]  Je cite ci-dessous l’extrait pertinent du formulaire FDA de M. Thevarajah :

[traduction] La plupart des membres de la famille de mon père habitent le nord du Sri Lanka. L’un d’eux se nomme Krishna. Après mon mariage, nous sommes devenus amis. Il m’a demandé de lui trouver un logement pour lui-même et certains membres de sa famille, car Jaffna était une ville dangereuse. Je leur ai trouvé un logement à Kotahena. Je les ai aussi aidés à emménager.

[6]  Dans sa décision, la Section de la protection des réfugiés a produit l’extrait suivant de la demande d’asile de M. Thevarajah aux États-Unis :

[traduction] La plupart des membres de la famille de mon père habitent le nord du Sri Lanka. L’un d’eux se nomme Krishna. Après mon mariage, nous sommes devenus amis. Un jour, il m’a demandé de trouver un logement pour un membre de sa famille à Colombo, car Jaffna était une ville dangereuse.

Je leur ai trouvé un logement à Kotahena, à Colombo. Je les ai aussi aidés à emménager.

[Épellation de la décision de la Section de la protection des réfugiés]

[7]  Les conclusions défavorables de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Selvarasu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 849, au paragraphe 29). Je conclus, en l’espèce, que l’analyse de la Section de la protection des réfugiés n’était pas raisonnable. Les extraits ci-dessus sont, en fait, cohérents et n’indiquent nulle part que M. Thevarajah a aidé Krishna ou sa famille à déménager de Jaffna à Colombo. Je trouve plutôt que les propos de M. Thevarajah étaient cohérents lorsqu’il disait avoir aidé les membres de la famille à trouver un logement à Colombo.

[8]  De plus, les notes de l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada à Fort Erie lors de l’arrivée au Canada de M. Thevarajah, qui font partie du dossier certifié du tribunal (mais qui n’ont pas été citées par la Section de la protection des réfugiés) sont aussi conformes au compte rendu de M. Thevarajah à cet égard. Ces notes indiquent qu’en réponse à une question cherchant à déterminer la raison pour laquelle il craignait de retourner au Sri Lanka, M. Thevarajah aurait dit : [traduction« La police et l’armée m’ont arrêté trois fois. Un homme nommé Krishnan [sic], qui a assisté à mon mariage, est un parent éloigné et un ami. Comme lui et sa famille avaient des problèmes et qu’ils habitaient à Jaffna, ils se sont installés à Kotehana. Étant donné qu’il est Tamoul, il avait de la difficulté à se trouver un logement et je l’ai aidé à en trouver un. »

[9]  Les conclusions déraisonnables de la Section de la protection des réfugiés à ce sujet, indiquant qu’elle avait mal compris les éléments de preuve dont elle était saisie, entachent l’ensemble de la décision puisque Krishna était au cœur de la demande de M. Thevarajah (il allègue qu’on croyait que Krishna était lié aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET], ce qui a poussé la police à arrêter et à questionner M. Thevarajah).

[10]  La Section de la protection des réfugiés a aussi conclu que la crédibilité de M. Thevarajah était entachée en raison de son retour au Sri Lanka en 2015, après avoir travaillé pendant six mois à bord d’un navire. Elle a conclu que si M. Thevarajah craignait réellement d’être persécuté, il ne serait pas rentré au Sri Lanka. Cette conclusion est également déraisonnable à la lumière du fait que le capitaine du navire avait saisi son passeport (qui contenait un visa valide pour les États-Unis). M. Thevarajah ne pouvait pas tout simplement [traduction] « sauter par-dessus bord ». La Section de la protection des réfugiés a aussi déclaré, à tort, que M. Thevarajah est allé vivre de façon illégale aux États-Unis en 2015, où il risquait l’expulsion, alors qu’en fait, M. Thevarajah détenait un visa valide pour les États-Unis.

[11]  Enfin, la Section de la protection des réfugiés n’a pas abordé de façon significative le risque que courrait M. Thevarajah au Sri Lanka à titre de demandeur d’asile débouté, aspect principal de son dossier aucunement lié à sa crédibilité (Shanmugarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 987, au paragraphe 49 [Shanmugarajah]). La Section de la protection des réfugiés s’est plutôt concentrée sur un document de 2012 du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui suggérait qu’il n’existait une possibilité sérieuse de persécution pour les jeunes hommes tamouls que s’ils avaient participé de façon active et officielle aux activités des TLET ou qu’un membre de la famille immédiate l’avait fait. Comme l’a conclu le juge Brown dans l’affaire Shanmugarajah, la Section de la protection des réfugiés a le devoir de déterminer s’il y a possibilité sérieuse de persécution du demandeur, particulièrement en tant que demandeur d’asile débouté (voir aussi par analogie, Vilvarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 349), ce qu’elle n’a pas fait.

III.  Conclusion

[12]  Pour les motifs ci-dessus, la décision sera annulée et la question sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour réexamen. Aucune question n’a été proposée pour certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4324-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différent pour nouvel examen;

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4324-17

 

INTITULÉ :

PRABAKARAN THEVARAJAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 avril 2018

 

JUGEMENT et MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

John Guoba

 

Pour le demandeur

 

Julie Waldman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis and Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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