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Date : 20180424


Dossier : IMM-4361-17

Référence : 2018 CF 444

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2018

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

MING ZHANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Rendus oralement à l’audience le 19 avril 2018)

[1]  Le demandeur présente une demande de contrôle judiciaire d’une décision (la décision) de la Section de la protection des réfugiés par laquelle cette dernière a conclu que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La décision est datée du 27 septembre 2017. La présente demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Le demandeur est un citoyen de la Chine, de la province du Fujian, et est âgé de 28 ans. Il occupait un poste de directeur du service à la clientèle auprès de la China Telecom Corporation.

[3]  En 2013 ou aux alentours de 2013, le demandeur a rencontré deux personnes alors qu’il jouait à des jeux en ligne. Ils sont devenus amis, et ont par la suite commencé à s’envoyer des messages et à partager des articles en ligne. Les articles commentaient les politiques injustes du gouvernement chinois, notamment les politiques relatives à l’expropriation de terrains. En mars 2016, le demandeur a commencé à écrire des commentaires à propos des expropriations sur des forums de discussion en ligne. Il s’intéressait au sujet parce que son oncle s’était récemment vu exproprier un terrain. Plus tard ce même mois, les comptes du demandeur ont été désactivés sur les sites Web qu’il avait visités.

[4]  Le 15 avril 2016, la mère du demandeur lui a dit que des représentants du Bureau de sécurité publique étaient venus à la maison familiale et l’ont accusé de transmettre des messages antigouvernementaux en ligne. Les deux amis virtuels du demandeur ont été arrêtés, et le demandeur s’est caché pendant deux mois alors qu’un passeur s’occupait de ses arrangements de voyage.

[5]  Le 19 juin 2016, le demandeur a quitté la Chine pour se rendre à Vancouver en utilisant son propre passeport, lequel contenait un visa canadien de résident temporaire ayant été obtenu par le passeur. Le demandeur a présenté une demande d’asile au point d’entrée le 20 juin 2016.

I.  Décision de la Section de la protection des réfugiés

[6]  Le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il s’était débarrassé de son passeport dans l’avion à destination du Canada. Il a expliqué s’en être débarrassé parce qu’il craignait d’être renvoyé en Chine si les autorités canadiennes de l’immigration trouvaient le passeport en sa possession. Le demandeur a affirmé avoir supposé que le Bureau de sécurité publique aurait pu informer les autorités canadiennes qu’il était recherché par les autorités chinoises. La Section de la protection des réfugiés a rejeté cette explication puisqu’elle est  [traduction] « intrinsèquement incompatible avec le témoignage du demandeur selon lequel il aurait pu quitter la Chine sans être repéré en utilisant son propre passeport grâce aux dispositions prises par le passeur ». La Section de la protection des réfugiés a conclu que le défaut de présenter un passeport valide sans explication raisonnable a miné la crédibilité générale du demandeur.

[7]  Le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il avait quitté la Chine le 19 juin 2016 en deux étapes. Il a d’abord pris un vol intérieur de Xiamen à Guangzhou. Le passeur était présent et l’a aidé à s’enregistrer à Xiamen, mais n’était pas présent à Guangzhou. Le demandeur a cependant déclaré que le passeur lui avait indiqué le comptoir précis auquel se présenter à l’aéroport pour être en mesure de passer sans que s’en aperçoive le Bureau de sécurité publique. La Section de la protection des réfugiés a souligné que les éléments de preuve documentaire portent sur l’efficacité du projet Bouclier d’or de la Chine et sur la façon dont les autorités contrôlent les sorties des citoyens recherchés par le Bureau de sécurité publique grâce au système Policenet. Cependant, la Section de la protection des réfugiés a également reconnu qu’il existe des éléments de preuve démontrant que les agents des aéroports peuvent être soudoyés. Néanmoins, elle a conclu ce qui suit :

[traduction]

Le tribunal estime que si le demandeur avait été recherché par le Bureau de sécurité publique, il aurait été identifié au moyen de la base de données du Bouclier d’or et de la liste de passagers alors qu’il tentait de quitter la Chine avec son propre passeport, et conclut que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’est pas recherché par le Bureau de sécurité publique. Ainsi, le tribunal tire une conclusion défavorable sur la crédibilité générale du demandeur.

[8]  Le demandeur a déclaré dans son témoignage que le personnel du Bureau de sécurité publique se rendait initialement deux à trois fois par semaine chez lui, mais que la fréquence des visites avait récemment diminué à deux fois par semaine. Il a affirmé que le personnel Bureau de sécurité publique avait montré le mandat d’arrestation à sa mère, mais ne le lui avait pas laissé. La Section de la protection des réfugiés a souligné que les éléments de preuve documentaire indiquent qu’une sommation « peut » être remise à un membre adulte de la famille si la personne recherchée est absente. La Section de la protection des réfugiés a accepté qu’il puisse y avoir des différences dans les pratiques policières selon les régions. Cependant, elle a conclu que puisque le Bureau de sécurité publique avait démontré un intérêt marqué envers le demandeur sur une période de plus de quinze mois, il « aurait » laissé la sommation.

[9]  Le demandeur a obtenu sa carte d’identité de résident d’un ami le 7 juin 2016, alors qu’il se cachait du Bureau de sécurité publique. Il a affirmé dans son témoignage que son ami était allé chercher la carte chez lui après qu’elle soit arrivée par la poste. Cependant, on n'a pas cru le demandeur, puisque la documentation relative à la situation dans le pays indique qu’un demandeur doit aller chercher une carte d’identité de résident en personne. Les cartes d’identité de résident ne sont pas envoyées par la poste.

[10]  Le demandeur a présenté une lettre manuscrite de son oncle. L’oncle affirme que le demandeur avait fréquemment visité sa maison avant qu’elle ne soit expropriée. Cependant, puisque la lettre ne faisait aucune référence aux activités en ligne du demandeur ni aux efforts du Bureau de sécurité publique pour le retracer, la Section de la protection des réfugiés ne lui a accordé aucun poids.

[11]  La lettre de l’employeur du demandeur fait effectivement référence au Bureau de sécurité publique, mais on ne lui a accordé aucun poids parce qu’elle pouvait être fausse.

II.  Questions en litige

[12]  La question en litige est celle de savoir si les conclusions défavorables de la Section de la protection des réfugiés relatives à la crédibilité du demandeur sont raisonnables.

III.  Analyse

A.  Le passeport

[13]  L’explication offerte par le demandeur quant à la destruction de son passeport était, comme l’a conclu la Section de la protection des réfugiés, incompatible avec le récit de son départ de la Chine avec l’aide d’un passeur. Si le passeur avait donné un pot-de-vin à des agents de certains comptoirs dans les deux aéroports comme le suggérait le demandeur, il n’aurait pas été décelé par le Bouclier d’or, et le Bureau de sécurité publique n’aurait pas été au courant que le demandeur avait quitté la Chine.

[14]  Dans ces circonstances, il n’était pas logique pour le demandeur de justifier la destruction de son passeport en présumant que le Bureau de sécurité publique aurait pu communiquer avec les autorités canadiennes pour demander son renvoi. Par conséquent, selon moi, le fait que la Section de la protection des réfugiés ait rejeté l’explication du demandeur quant à la destruction de son passeport était raisonnable.

[15]  Cependant, la Section de la protection des réfugiés a également conclu que, puisqu’il s’est servi de son propre passeport, le demandeur aurait été repéré par le Bouclier d’or. La Section de la protection des réfugiés a tiré sa conclusion en dépit du témoignage du demandeur selon lequel il avait été dirigé par le passeur vers certains comptoirs dans les deux aéroports, et de la preuve relative à la situation dans le pays selon laquelle les agents des aéroports peuvent être soudoyés. La Section de la protection des réfugiés était au courant que le Bouclier d’or pouvait être contourné de cette façon. Dans ces circonstances, en l’absence d’une conclusion selon laquelle les éléments de preuve présentés par le demandeur n’étaient pas crédibles, la conclusion de la Section de la protection des réfugiés portant que le Bureau de sécurité publique ne recherchait pas le demandeur, question qui est au centre de la demande du demandeur, est déraisonnable. Cette question est déterminante.

B.  La sommation

[16]  La Section de la protection des réfugiés a encore une fois écarté les éléments de preuve relative à la situation dans le pays lorsqu’elle a examiné cette question. Les éléments de preuve indiquaient qu’une sommation « peut » être laissée et le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’elle avait été montrée, mais pas laissée à sa mère. Cependant, la Section de la protection des réfugiés a conclu qu’une sommation « aurait » été laissée étant donné le haut niveau d’intérêt du Bureau de sécurité publique envers le demandeur. Il s’agit d’une hypothèse qui n’est pas justifiée par la documentation relative à la situation dans le pays. Elle était donc déraisonnable.

C.  La carte d’identité de résident

[17]  Selon moi, il était raisonnable, selon la documentation relative à la situation dans le pays, que la Section de la protection des réfugiés conclue que le demandeur n’était pas crédible lorsqu’il a témoigné que la carte d'identité de résident lui avait été envoyée à la maison par la poste.

D.  La lettre de l’oncle

[18]  Le rejet total par la Section de la protection des réfugiés de cette lettre était déraisonnable. Même si elle ne traitait pas du Bureau de sécurité publique ni des activités en ligne du demandeur, elle a corroboré le raisonnement de son intérêt envers les politiques d’expropriation du gouvernement chinois et aurait dû être acceptée pour ce motif.

E.  La lettre de l’employeur

[19]  La lettre de China Telecom a été rejetée parce qu’elle pouvait être fausse. La Section de la protection des réfugiés a exprimé des doutes quant à l’authenticité de la lettre parce qu’il s’agissait d’une lettre d’une seule page dactylographiée à l’encre noire affichant un cachet décrit par la Section de la protection des réfugiés comme [traduction] « caractéristique de sécurité plutôt rudimentaire et facilement reproduite par quiconque ». La lettre confirme l’intérêt du Bureau de sécurité publique envers le demandeur et étaie également son témoignage indiquant qu’il s’était caché du Bureau de sécurité publique. Selon moi, le rejet de cette lettre sur le fondement qu’elle était fausse était déraisonnable. La lettre était d’une seule page parce qu’elle ne contenait que deux paragraphes, et l’encre noire était probablement le choix de l’auteur plutôt que d’utiliser de l’encre bleue. Elle était signée et affichait un en-tête. Le simple fait que le cachet n’était pas aussi sécuritaire qu’il aurait pu l’être n’était pas, selon moi, une justification raisonnable pour faire fi totalement de la lettre.

IV.  Conclusion

[20]  La décision sera annulée parce qu’il était déraisonnable pour la Section de la protection des réfugiés de ne pas tenir compte des lettres de l’oncle et de l’employeur, et aussi parce qu’il était déraisonnable pour la Section de la protection des réfugiés de conclure que le Bureau de sécurité publique ne recherchait pas le demandeur.

V.  Question à certifier

[21]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4361-17

LA COUR accueille la présente demande. La décision, y compris la conclusion selon laquelle la demande ne reposait sur aucun fondement crédible est annulée, et la demande est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour réexamen.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4361-17

 

INTITULÉ :

MING ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 avril 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

Le 24 avril 2018

COMPARUTIONS :

Christina M. Gural

POUR LE DEMANDEUR

Nina Chandy

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christina M. Gural

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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