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Date : 20180418


Dossier : IMM-3757-17

Référence : 2018 CF 416

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 18 avril 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

SORIE ALHAIL CONTEH

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé des faits

[1]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) sollicite le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), de la décision rendue le 4 août 2017 de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant son appel.

[2]  Le défendeur, Sorie Alhail Conteh, est un citoyen de la Sierra Leone arrivé au Canada en 2001 en tant que réfugié au sens de la Convention. Le 29 septembre 2014, un rapport a été rédigé aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR alléguant que M. Conteh serait interdit de territoire au Canada, en application des alinéas 36(1)a) et 37(1)a) de la LIPR, qui traitent respectivement de grande criminalité et de criminalité organisée. Les deux allégations ont par la suite été renvoyées aux fins d’enquête en admissibilité, conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR.

[3]  La Section de l’immigration (SI) a tenu l’audience en admissibilité le 18 mars 2016. M. Conteh a été déclaré interdit de territoire, en application de l’alinéa 36(1)a), pour (i) avoir été reconnu coupable de possession d’une substance réglementée en vue d’en faire le trafic, et pour (ii) avoir été condamné à une peine de 42 mois d’emprisonnement.

[4]  Toutefois, la Section de l’immigration a refusé d’aborder les allégations fondées sur l’alinéa 37(1)a) contre M. Conteh en déclarant que le ministre n’avait fourni aucune raison rationnelle ni soulevé d’avantages tangibles pour enquêter sur les allégations, en plus de celles visées par l’alinéa 36(1)a), et que la Section de l’immigration n’utiliserait pas ses ressources limitées pour examiner ces allégations.

[5]  Le ministre a par la suite porté la décision de la Section de l’immigration en appel devant la Section d’appel de l’immigration en déposant un avis d’appel le 18 avril 2016. Le 25 octobre 2016, une conférence préparatoire à l’audience a été tenue au cours de laquelle seules des questions préliminaires et non substantielles ont fait l’objet de discussion. À la suite de la conférence préparatoire à l’audience, le ministre n’a reçu aucune autre communication provenant de la Section d’appel de l’immigration. Le 4 août 2017, la Section d’appel de l’immigration a rendu une décision écrite rejetant l’appel sans tenir d’audience ni donner la possibilité à l’une ou l’autre des parties de présenter des observations écrites.

[6]  Dans sa décision, la Section d’appel de l’immigration a conclu que la Section de l’immigration [traduction] « avait tout à fait le droit du point de vue de la loi » de décider de n’aborder que les allégations soulevées en application de l’alinéa 36(1)a). La Section d’appel de l’immigration s’est appuyée sur le paragraphe 162(2) de la LIPR, qui prévoit que « Chacune des sections fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité. » La Section d’appel de l’immigration a conclu que la Section de l’immigration avait « tout à fait le droit » de procéder de façon efficiente, et que les objectifs « stratégiques » du ministre d’enquêter sur les allégations fondées sur l’alinéa 37(1)a) n’avaient aucune incidence sur la manière dont la Section de l’immigration gère son propre processus. Enfin, la Section d’appel de l’immigration a conclu que le ministre n’avait pas démontré que l’une ou l’autre des parties avait quelque chose à gagner si la Section de l’immigration examinait les allégations fondées sur l’alinéa 37(1)a) ni que le fait de ne pas entendre les allégations fondées sur l’alinéa 37(1)a) entraînerait un manquement à l’équité procédurale.

II.  Discussion

[7]  Dans la présente demande, le ministre soulève deux questions.

[8]  D’abord, le ministre soutient que la Section d’appel de l’immigration a manqué au principe d’équité procédurale en rejetant la demande sans donner aux parties l’occasion d’être entendues. Il n’est pas controversé entre les parties, et je suis d’accord, que les manquements à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux paragraphes 34 à 56).

[9]  Je conclus que le droit à l’équité procédurale du ministre a en effet été violé. Le cas présent est, sur le plan factuel, semblable à l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Chen, 2011 CF 514, aux paragraphes 8 et 9 [Chen], dans laquelle la Cour a conclu qu’il était « manifestement inéquitable de la part de la SAI de rendre une décision sans aviser les deux parties qu’elle était prête à rendre sa décision sans donner la chance de participer à l’une des deux parties » (au paragraphe 9). En l’espèce, à l’instar de la décision Chen, la Section d’appel de l’immigration n’a pas accordé au ministre le droit d’être entendu, commettant ainsi une grave violation « d’un des droits les plus fondamentaux d’une partie à une instance » (Chen, au paragraphe 8).

[10]  La deuxième question soulevée par le ministre est celle de savoir si la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en concluant que la Section de l’immigration détenait les pouvoirs législatifs de refuser d’examiner les allégations fondées sur l’alinéa 37(1)a). Le ministre soutient que cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte parce qu’elle concerne la bonne interprétation de la LIPR, s’appuyant sur la décision Azeem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 402, au paragraphe 6. Cependant, M. Conteh soutient que la décision de la Section d’appel de l’immigration commande la norme du caractère raisonnable. Toutefois, nonobstant son opinion concernant la norme de contrôle, M. Conteh demande à la Cour de statuer sur la question substantielle soulevée dans la décision de la Section d’appel de l’immigration.

[11]  À mon avis, il est désormais bien établi qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard d’un tribunal lorsqu’il est appelé à interpréter une loi reliée à son mandat (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 23 [Singh]). En l’espèce, aucune exception à cette présomption ne s’applique, et la décision de la Section d’appel de l’immigration est donc susceptible de contrôle selon la norme du caractère raisonnable (Singh, aux paragraphes 23 à 29). Par conséquent, ma conclusion à propos de l’équité procédurale est déterminante quant à l’issue de la demande du ministre, puisqu’elle infirme la décision faisant l’objet du contrôle (Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 (CSC), à la page 661).

[12]  De plus, j’ai conclu qu’en plus de n’être d’aucun intérêt pour la décision recherchée en l’espèce (voir David c Canada (Procureur général), 2014 CF 358, au paragraphe 62), il serait inapproprié de statuer sur le caractère raisonnable de la décision de la Section d’appel de l’immigration (Qin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 147, aux paragraphes 6 et 42). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, ce n’est pas le rôle de la Cour d’évaluer le raisonnement de la Section d’appel de l’immigration au sujet des observations que la Section d’appel de l’immigration n’a pas elle-même étudiées (quoique par sa propre erreur). L’analyse de la Section d’appel de l’immigration aurait très bien pu être différente si elle avait bénéficié des observations du ministre (Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 955, au paragraphe 21), et particulièrement de la jurisprudence qu’a cité le ministre en l’espèce, dont Fox c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 346, Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319, et Ismali c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 427. Cette jurisprudence, sur laquelle s’appuie fermement le ministre, devrait être adéquatement prise en considération par la Section d’appel de l’immigration.

III.  Conclusion

[13]  Pour conclure, j’ordonnerai l’annulation de la décision et son renvoi pour nouvel examen, uniquement en raison de l’atteinte importante à l’équité procédurale par la Section d’appel de l’immigration. De plus, compte tenu du retard injustifié entre l’avis d’appel du ministre et la décision de la Section d’appel de l’immigration, le nouvel examen doit être réalisé rapidement.

IV.  Question proposée aux fins de certification

[14]  À l’audience, le ministre, tout comme M. Conteh, a soulevé la possibilité d’une question aux fins de certification liée au pouvoir de la Section de l’immigration de refuser d’examiner des allégations fondées sur l’alinéa 37(1)a). Je suis d’accord que cette question dépasse les intérêts des parties. Toutefois, elle ne réglerait pas l’issue de la demande actuelle à la lumière du manquement à l’équité procédurale par la Section d’appel de l’immigration. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée en l’espèce (Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9).


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3757-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie.

  2. La décision de la Section d’appel de l’immigration du 4 août 2017 est annulée et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué suivant une procédure expéditive.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3757-17

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c SORIE ALHAIL CONTEH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 avril 2018

 

JUGEMENT et MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

18 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Aliyah Rahaman

 

Pour le demandeur

 

Bashir Khan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

Bashir Khan

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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