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Date : 20180416


Dossier : T-712-16

Référence : 2018 CF 408

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

THE CLOROX COMPANY OF CANADA, LTD.

demanderesse

et

CHLORETEC S.E.C.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, The Clorox Company of Canada, Ltd. [Clorox] porte en appel une décision du registraire des marques de commerce [le Registraire] qui a rejeté son opposition à la demande d’enregistrement de deux marques de commerce présentée par la défenderesse, Chloretec s.e.c. [Chloretec]. Clorox détient la marque de commerce enregistrée « Javex » et plusieurs autres marques semblables associées à de l’eau de Javel. Chloretec demande l’enregistrement de la marque de commerce « Javelo », sous forme de mot et sous forme graphique, pour de l’eau de Javel (en anglais, « bleach ») en vrac fabriquée sur commande. La principale question en litige est de savoir s’il y a confusion entre les marques de Clorox et celles de Chloretec. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il n’y a pas confusion et que le Registraire était fondé à rejeter l’opposition de Clorox. L’appel est donc rejeté.

I.  Faits

[2]  La décision du Registraire contient un exposé détaillé des faits. Je me bornerai à rappeler ce qui est essentiel à la compréhension des présents motifs.

[3]  Clorox est titulaire de la marque de commerce enregistrée Javex et de plusieurs autres marques semblables, associées à l’eau de Javel ou à divers autres produits nettoyants. Certaines de ces marques de commerce sont enregistrées au Canada depuis les années 1930. Clorox a acquis ces marques de commerce en 2007.

[4]  Le 26 janvier 2012, Chloretec a présenté des demandes d’enregistrement de la marque « Javelo » et de la marque composée du mot « Javelo » et d’un design montrant un homme qui lance un javelot. Chloretec a commencé à faire la promotion d’eau de Javel en utilisant ces marques dans les semaines qui ont précédé le dépôt de la demande. Cependant, les premières ventes n’ont eu lieu qu’en février 2012.

[5]  Le 18 mars 2013, Clorox a déposé une opposition à ces demandes. Au soutien de son opposition, Clorox a invoqué un éventail de motifs : (1) la marque « Javelo » n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la Loi]; (2) Chloretec n’est pas la personne qui a droit à l’enregistrement selon les alinéas 16(3)a) et b) de la Loi; (3) selon l’alinéa 12(1)d) de la Loi, la marque n’est pas enregistrable; (4) la demande n’était pas conforme au paragraphe 30i) de la Loi; (5) la marque a été utilisée avant le dépôt de la demande, contrairement au paragraphe 30b) de la Loi; (6) la marque a été utilisée par des tiers non détenteurs d’une licence; (7) la marque porte à confusion avec les marques de Clorox.

[6]  Après le dépôt de l’opposition de Clorox, Chloretec a modifié sa demande d’enregistrement pour en limiter la portée à de l’eau de Javel en vrac préparée sur commande.

II.  Décision portée en appel

[7]  Dans une décision rendue le 22 février 2016, une membre de la Commission des oppositions des marques de commerce, qui exerce les pouvoirs du Registraire, a rejeté l’opposition. Pour fins de commodité, je référerai à cette décision comme étant celle du Registraire.

[8]  Le Registraire a tout d’abord rejeté sommairement certains motifs d’opposition. Il a affirmé que le paragraphe 30i) de la Loi n’était pas violé du simple fait que le demandeur connaissait la marque de l’opposant. Quant aux alinéas 16(3)a) et b) de la Loi, il a affirmé que Clorox n’avait apporté aucune preuve de l’usage de ses marques au Canada avant 2012. De plus, étant donné que Clorox ne fondait ce motif d’opposition que sur une seule marque et que cette marque n’avait été enregistrée qu’en 2013, ce motif d’opposition devait être rejeté. Enfin, quant au caractère distinctif des marques « Javex », le Registraire a noté que Clorox n’avait présenté aucune preuve.

[9]  Le registraire a rejeté le motif d’opposition fondé sur l’emploi de la marque « Javelo » par Chloretec avant le dépôt de sa demande. Il a jugé que l’utilisation d’une marque à des fins strictement publicitaires ou promotionnelles ne constituait pas un emploi au sens de l’article 4 de la Loi.

[10]  Le registraire a également rejeté le motif d’opposition fondé sur l’usage par des tiers. Il a conclu que les tiers en question n’étaient que des distributeurs ou des transporteurs agissant sous la direction de Chloretec.

[11]  Enfin, s’attaquant à la question centrale de la confusion, le Registraire a évalué les divers facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi. Il a jugé que les marques de Clorox et celles de Chloretec avaient un faible degré de ressemblance; que les deux marques possédaient un certain caractère distinctif inhérent, mais que la marque « Javelo » avait acquis un certain caractère distinctif en raison de son emploi; que Clorox n’avait présenté aucune preuve d’usage de ses marques, alors que Chloretec a employé les siennes depuis 2012; que les produits offerts par les deux parties sont semblables; et qu’aucune preuve de confusion réelle n’a été présentée. En somme, pour le Registraire, il n’y avait pas confusion et les oppositions de Clorox ont été rejetées.

III.  Questions en litige, preuve nouvelle et norme de contrôle

[12]  L’article 56 de la Loi prévoit un droit d’appel à cette Cour des décisions du Registraire. Clorox a institué un appel contre la décision du Registraire, réitérant tous ses motifs d’opposition.

[13]  Dans le cadre d’un tel appel, le paragraphe 56(5) de la Loi permet aux parties de présenter une nouvelle preuve. Exerçant ce droit, Clorox a déposé l’affidavit d’Angela S. Hilt, sa vice-présidente et secrétaire. Cet affidavit vise à combler certaines lacunes de la preuve de Clorox identifiées par le Registraire.

[14]  Dans une décision récente, le juge Richard Boivin de la Cour d’appel fédérale a énoncé ainsi la méthode qu’il convient d’adopter lorsqu’une nouvelle preuve est présentée :

En principe, la norme de contrôle qu’il convient d'appliquer lors de l’appel d’une décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. Toutefois, lorsque des éléments de preuve additionnels sont présentés au juge en appel suivant l’article 56 de la Loi et que le juge conclut que ces éléments auraient eu un effet sur les conclusions de fait de la Commission ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, il doit tirer ses propres conclusions sur la question à laquelle la preuve additionnelle se rapporte […].

(Saint Honore Cake Shop Limited c Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12 au paragraphe 18)

[15]  Quant à certaines questions précises, je suis d’avis que l’affidavit de Mme Hilt apporte une preuve nouvelle significative. En particulier, on y retrouve une preuve de l’usage des marques de Clorox au Canada. Cette preuve est plutôt sommaire. Elle permet néanmoins d’écarter les conclusions du Registraire selon lesquelles Clorox n’avait présenté aucune preuve de l’emploi de ses marques. Cependant, elle ne permet pas de mesurer la portée de cet emploi ni d’évaluer la portée du caractère distinctif que les marques en question ont pu avoir acquis.

[16]  Par ailleurs, Mme Hilt mentionne deux sondages réalisés au Canada au sujet des marques « Javex ». Dans le premier cas, elle se contente de résumer certaines conclusions d’un sondage réalisé en 2006-07, qui confirmeraient, selon elle, le fait que des ventes importantes de produits Javex ont été effectuées au Canada en 2007. Aucun document n’est présenté à l’appui de ces affirmations. Dans le second cas, Mme Hilt produit certains tableaux qui seraient le résultat d’une étude réalisée en 2013 au sujet de la notoriété des marques « Javex ». Ces tableaux font notamment état de la proportion de personnes qui disent connaître certaines marques de produits nettoyants. Cependant, aucune information n’est donnée quant à la méthodologie du sondage ni même quant à l’identité de la firme qui l’a réalisé.

[17]  À l’audience, l’avocat de Clorox a affirmé que les résultats de ces sondages n’étaient pas présentés à l’appui de ses arguments concernant la confusion, mais plutôt de ses arguments concernant la notoriété des marques « Javex » et leur caractère distinctif.

[18]  Dans l’arrêt Mattel, la Cour suprême a commenté la présentation en preuve de sondages dans les litiges de marques de commerce :

La pratique observée plus récemment consiste à admettre la preuve par sondage d’opinion présentée par un expert compétent, dans la mesure où ses conclusions sont pertinentes quant aux questions en litige et où le sondage a été bien conçu et effectué avec impartialité.

[…]

Quant à l’utilité des résultats, en présumant qu’ils ont été générés par une question pertinente, les tribunaux se sont récemment montrés réceptifs à cette preuve, dans la mesure où le sondage est à la fois fiable (dans le sens où, s’il était repris, on obtiendrait vraisemblablement les mêmes résultats) et valide (à savoir qu’on a posé les bonnes questions au bon bassin de répondants, de la bonne façon et dans des circonstances qui permettent d’obtenir les renseignements recherchés). 

(Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 aux paragraphes 43-45, [2006] 1 R.C.S. 772 [Mattel])

[19]   En l’espèce, Mme Hilt ne fournit aucune indication quant à la méthodologie employée dans ces sondages. Il est donc impossible d’en apprécier la fiabilité et la pertinence quant aux questions qui font l’objet du présent dossier. En fait, une telle preuve aurait dû être présentée au moyen de l’affidavit d’un expert qui a dirigé la réalisation du sondage et qui donne suffisamment d’explications au sujet de sa méthodologie. Je ne tiendrai donc pas compte de ces deux sondages.

[20]  En somme, je réviserai la décision du Registraire selon la norme de la décision raisonnable. Cependant, lorsque des questions liées à l’emploi des marques « Javex » par Clorox sont soulevées, je procéderai à ma propre appréciation de la question sans faire preuve de déférence à l’égard de la décision du Registraire.

IV.  Analyse

[21]  J’analyserai tout d’abord la question de la confusion, qui est au cœur du présent dossier. Je traiterai ensuite des arguments relatifs à l’emploi des marques avant la demande d’enregistrement et à leur emploi par des tiers. Étant donné la conclusion à laquelle je parviens, je pourrai disposer sommairement de certains autres arguments de Clorox.

A.  La confusion entre les marques des parties

[22]  Le concept de confusion est défini à l’article 6(2) de la Loi. En substance, il y a confusion entre deux marques de commerce lorsque l’emploi de ces deux marques sur deux catégories de biens est susceptible de laisser croire que ces biens sont fabriqués par la même personne. Selon l’article 12 de la Loi, une marque ne peut être enregistrée si elle crée de la confusion avec une marque enregistrée auparavant.

[23]  L’article 6(5) de la Loi énonce une liste détaillée de facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer s’il y a confusion entre deux marques. Par ailleurs, dans l’arrêt Veuve Clicquot, la Cour suprême rappelle qu’il ne faut pas procéder à un examen minutieux, mais plutôt adopter le point de vue d’un consommateur pressé :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

(Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 au paragraphe 20, [2006] 1 RCS 824)

[24]  Dans l’arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387 [Masterpiece], le juge Rothstein de la Cour suprême du Canada affirme que le critère de la ressemblance est le plus important des critères mentionnés au paragraphe 6(5) de la Loi (paragraphe 49). Les autres facteurs ne seraient pertinents que si l’on juge que les deux marques en cause se ressemblent suffisamment. J’examinerai donc les critères du paragraphe 6(5) en commençant par celui de la ressemblance.

[25]  Deux remarques additionnelles doivent être faites avant de s’engager dans cette analyse. Premièrement, la confusion doit être évaluée en se fondant sur les usages inscrits au registre et non en fonction de l’usage réel des marques en question (Masterpiece aux paragraphes 51-59). Deuxièmement, le consommateur dont il faut adopter le point de vue n’est pas toujours pressé au même degré. Lorsqu’il s’agit de biens de grande valeur ou qui relèvent d’un marché spécialisé, ce consommateur « prend naturellement plus de précautions » (Mattel au paragraphe 58).

(1)  Le degré de ressemblance

[26]  Cette question, qui est la plus déterminante, n’a pas fait l’objet d’une preuve nouvelle. Le Registraire a comparé les marques des deux parties tant sur le plan de l’écriture, du son, de l’apparence graphique que des idées suggérées et a conclu qu’elles n’avaient qu’un faible degré de ressemblance.

[27]  Clorox affirme que les marques des deux parties sont très semblables puisqu’elles partagent le même préfixe, « Jav- » ou « Jave‑ ». Elle ajoute que la première partie d’une marque est cruciale pour déterminer le degré de ressemblance. Cependant, comme je l’explique plus loin, ce préfixe correspond au nom commun « eau de Javel », qui désigne le produit. Cette similitude, à mon avis, n’est pas suffisante pour entraîner une confusion entre les deux marques.

[28]  La conclusion du Registraire au sujet du degré de similitude est éminemment raisonnable. Je vois mal comment un consommateur pressé pourrait trouver des ressemblances entre les deux marques.

(2)  Le caractère distinctif des marques

[29]  Même si la conclusion relative au degré de ressemblance est largement déterminante, je vais procéder à l’analyse des autres critères mentionnés au paragraphe 6(5) de la Loi, en commençant par le caractère distinctif des marques en question. Ce caractère distinctif peut être inhérent lorsqu’une marque, de par sa formulation ou son design, produit une impression caractéristique. Il peut aussi être acquis lorsque le long usage d’une marque a permis d’associer celle-ci à un produit en particulier. Sur cette question, la nouvelle preuve relative à l’usage des marques de Clorox est pertinente et je procéderai donc à ma propre appréciation.

[30]  Quant au caractère distinctif inhérent des marques des deux parties, le point de départ de l’analyse, à mon avis, est que les deux ensembles de marques sont dérivées de l’expression française « eau de Javel », un nom commun qui désigne le produit en cause. Bien que l’avocat de Clorox ait prétendu que la marque « Javex » constitue un mot inventé (en anglais, coined term), cela n’est vrai que dans une mesure limitée. En effet, le mot « Javex » est constitué d’un préfixe issu du nom commun français « Javel », qui désigne le produit, auquel on a ajouté la lettre « x ». Il en va de même de la marque « Javelo ». Je conclus que les marques des deux parties possèdent un caractère distinctif inhérent limité.

[31]  On peut tracer une analogie frappante entre le présent dossier et une affaire récemment jugée par mon collègue le juge René LeBlanc : Assurant, Inc. c Assurancia, Inc., 2018 CF 121 [Assurant]. Il s’agissait de savoir s’il y avait confusion entre les marques « Assurant » et « Assurancia », toutes deux employées dans le contexte de l’industrie de l’assurance. Le juge LeBlanc a conclu :

[…] je ne vois aucun fondement justifiant que je m’immisce dans la conclusion tirée par la Commission eu égard au caractère distinctif inhérent des marques de commerce en cause. La Commission a conclu que le caractère distinctif inhérent aux deux marques de commerce était faible parce que leur caractéristique principale et commune — « ASSURAN » — était hautement suggestive du domaine de l’assurance lorsque ces marques de commerce sont employées en liaison avec les services offerts par les parties.

(Assurant au paragraphe 50)

[32]  Dans cette affaire, l’opposante avait également plaidé que la marque « Assurant » possédait un caractère distinctif parce que le mot français « assurance », qui se traduit habituellement en anglais par « insurance », n’évoque habituellement pas le domaine de l’assurance du point de vue du consommateur anglophone. Le juge LeBlanc a rejeté cet argument, faisant observer que, sur le plan pratique, cela aurait pour effet de permettre de monopoliser des mots de la langue française et d’interdire la création de nouvelles marques en se fondant sur de tels mots (Assurant au paragraphe 57). On peut en dire autant de la marque « Javex ». À cet égard, je rappelle les propos de la Cour suprême dans l’arrêt Mattel : « [p]ersonne n’a le droit de s’attribuer l’usage exclusif du vocabulaire général ni de s’approprier des mots courants pour couvrir un domaine étendu » (Mattel au paragraphe 75).

[33]  Quant au caractère distinctif acquis de la marque « Javelo », le Registraire a conclu qu’une entreprise affiliée à Chloretec avait « continuellement fait la promotion du Produit associé à la Marque depuis le 29 septembre 2011 » et en a conclu que la marque « Javelo » avait acquis un caractère distinctif. Même si Clorox soutient maintenant que la preuve au soutien de la conclusion du Registraire était insuffisante, je ne vois aucune raison de m’écarter de cette conclusion.

[34]  Le Registraire a refusé de reconnaître que les marques « Javex » ont acquis un caractère distinctif parce qu’aucune preuve de leur emploi ne lui avait été présentée. C’est à cette lacune que vise à remédier l’affidavit de Mme Hilt. Cet affidavit établit que Clorox a vendu des produits Javex de façon continue au Canada depuis au moins dix ans. Je suis prêt à en déduire que les marques « Javex » ont acquis un caractère distinctif au fil du temps. Je ne peux cependant en évaluer la portée ou comparer ce caractère distinctif à celui de la marque « Javelo ». Par ailleurs, l’affidavit de Mme Hilt établit également que, depuis 2013, Clorox vend des bouteilles d’eau de Javel qui portent principalement la marque « Clorox ». La marque « Javex » n’est apposée que de manière très discrète, à l’arrière de la bouteille. Il est donc possible que le caractère distinctif acquis par la marque « Javex » soit en déclin.

[35]  Tout bien considéré, et tenant compte de la nouvelle preuve, j’estime que ce facteur ne joue pas clairement en faveur d’une conclusion de confusion.

(3)  La période d’emploi

[36]  La durée de l’emploi d’une marque est un facteur additionnel qui permet de mesurer son caractère distinctif (Mattel au paragraphe 77). À ce propos, le Registraire a noté que les marques de Clorox sont enregistrées depuis 1937 (pour « Javalin ») et 1945 (pour « Javex »), mais a souligné l’absence de preuve d’emploi de ces marques. Le Registraire a donc conclu que ce facteur favorisait Chloretec, qui a fait la preuve de l’emploi de ses marques depuis 2012.

[37]  Étant donné que Clorox a soumis une preuve d’emploi des marques « Javex » au cours des dernières dix années, la conclusion du Registraire ne saurait tenir. Il est évident que Clorox a employé ses marques durant une plus longue période que Chloretec, même si la seule preuve dont je dispose concernant la période antérieure à 2007 est une déclaration de Mme Hilt selon laquelle, à sa connaissance, Colgate-Palmolive, qui a vendu les marques « Javex » à Clorox en 2007, a employé ces marques au Canada depuis au moins 1970.

[38]  Cela dit, l’affidavit de Mme Hilt ne me permet pas de mesurer l’intensité de cet emploi et, partant, de tirer des conclusions sur le caractère distinctif acquis qui en découle. Ainsi, l’examen de ce facteur ne joue pas clairement en faveur d’une conclusion de confusion.

(4)  Le type de marchandises et la nature du commerce

[39]  Quant à ces deux critères, le Registraire a conclu que les produits associés aux deux marques sont les mêmes. Il a refusé de souscrire aux arguments de Chloretec voulant que les produits des deux parties soient destinés à des marchés différents. À cet égard, le Registraire a statué que la tentative de Chloretec de restreindre la portée de sa demande d’enregistrement n’était pas pertinente. Ce qui importe, selon le Registraire, c’est que l’enregistrement des marques « Javex » ne limite aucunement l’usage ou le marché auquel les produits sont destinés. Il peut donc y avoir chevauchement entre les deux marques et cela milite en faveur d’une conclusion de confusion.

[40]  Ces conclusions sont tout à fait raisonnables. Elles sont d’ailleurs compatibles avec les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Masterpiece.

(5)  Sommaire

[41]  Nous revenons à la question de base : un consommateur pressé qui n’a qu’un souvenir imprécis de la marque « Javex » conclurait-il qu’un produit portant la marque « Javelo » a été manufacturé par la même entreprise? Le facteur le plus important est celui du degré de ressemblance entre les deux marques. Comme le Registraire l’a dit, ce degré de ressemblance est faible. Les autres facteurs mentionnés au paragraphe 6(5) de la Loi tracent un portrait peu convaincant. Clorox n’a pas prouvé que les marques « Javex » possédaient un caractère distinctif inhérent ou acquis qui soit d’un niveau tel qu’il emporte une conclusion de confusion. Le fait que les produits visés par les deux marques soient les mêmes n’est pas suffisant pour faire contrepoids au faible degré de ressemblance. Tout bien considéré, je conclus à l’absence de confusion entre les marques des parties.

B.  L’emploi antérieur à la demande d’enregistrement

[42]  Clorox s’oppose également à l’enregistrement des marques « Javelo », alléguant que Chloretec a employé ces marques avant la date de dépôt de la demande, le 26 janvier 2012. Ce motif découle de l’alinéa 30b) de la Loi, qui exige que le demandeur déclare la date du premier emploi de la marque. Selon Clorox, Chloretec aurait fait la promotion de la marque « Javelo » dans diverses publications ou lors de salons commerciaux avant le 26 janvier 2012.

[43]  Le Registraire a rejeté ces arguments. Il a souligné que l’usage d’une marque à des fins de promotion ne constitue pas un « emploi » au sens de l’article 4 de la Loi et, partant, ne peut constituer un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b). Il a soigneusement analysé la preuve et a conclu qu’aucune vente des produits de Chloretec n’avait eu lieu avant le 26 janvier 2012.

[44]  Aucune nouvelle preuve n’a été présentée à ce sujet. La décision du Registraire est raisonnable.

[45]  J’ajouterais que je suis loin d’être certain qu’on doit déduire de l’article 30b) de la Loi une règle selon laquelle l’enregistrement doit être refusé si l’opposante parvient à démontrer un certain emploi de la marque avant la date déclarée dans la demande. C’est ce qui semble découler de certaines décisions du Registraire, mais on ne m’a cité aucune décision de notre Cour qui énonce une telle règle. Étant donné ma conclusion relative aux faits, je n’ai pas besoin de me prononcer sur l’existence d’une telle règle.

C.  Le caractère distinctif et l’emploi par des tiers

[46]  Clorox soutient également que les marques « Javelo » ont perdu leur caractère distinctif en raison de leur emploi par des tiers non détenteurs de licence, ce qui serait contraire à l’article 50 de la Loi.

[47]  Or, comme le Registraire l’a souligné, les tiers en question sont en réalité des sociétés apparentées à Chloretec qui assurent la distribution et le transport du produit. Le Registraire a également conclu que les résolutions mises en preuve confirmaient l’octroi d’une licence à UBA inc., qui agit comme distributeur.

[48]  Aucune nouvelle preuve n’a été présentée à ce sujet. La décision du Registraire est raisonnable.

D.  Autres questions

[49]  Clorox a avancé un certain nombre d’autres arguments. Cependant, ces arguments dépendent tous d’une conclusion de confusion. Il ne m’est donc pas nécessaire d’en traiter davantage.

[50]  L’appel de la décision du Registraire est donc rejeté.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté, avec dépens.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-712-16

 

INTITULÉ :

THE CLOROX COMPANY OF CANADA, LTD. c CHLORETEC S.E.C.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 mars 2018

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Kenneth D. McKay

Nathan Fan

 

Pour la demanderesse

 

Éric Lalanne

Stéphanie Thurber

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim Ashton & McKay LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

De Grandpré Chait s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

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