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Date : 20180409


Dossier : T-379-17

Référence : 2018 CF 378

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

AIR CANADA et AIR CANADA ROUGE

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PHELAN

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande présentée aux termes de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), c A-1 (LAI ou Loi) concernant une décision (décision) de Transports Canada (TC ou Transports) de divulguer certains renseignements dans deux rapports d’évaluation réglementaire préparés par ses fonctionnaires.

[2]  Les demanderesses soutiennent que certains des renseignements sont soustraits à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)b) (« des renseignements […] commerciaux […] ou techniques ») et/ou 20(1)c) (« des pertes […] financi[ères] appréciables »). Elles s’opposent également à l’invocation par TC du paragraphe 20(6) (« intérêt public ») pour justifier la divulgation.

[3]  Les parties, après l’audience, ont examiné les renseignements contestés et ont reconnu les exceptions relatives aux renseignements personnels de l’article 19, mais le reste des renseignements contestés demeurent en litige. Une compilation confidentielle a été déposée auprès de la Cour.

[4]  Dans le cadre de l’audience, la Cour a permis que des parties limitées des observations soient confidentielles. La Cour est d’avis que les présents motifs peuvent être rendus publics puisqu’il est important que le public comprenne le contexte général de la décision et la nature des renseignements en litige. Si les parties ont besoin de plus de précisions ou de précisions confidentielles, la Cour demeure disponible pour aborder les autres questions.

[5]  Voici les dispositions législatives de la LAI en litige :

20 (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20 (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

[…]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

[…]

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

[…]

(6) Le responsable d’une institution fédérale peut communiquer, en tout ou en partie, tout document qui contient les renseignements visés à l’un ou l’autre des alinéas (1)b) à d) pour des raisons d’intérêt public concernant la santé ou la sécurité publiques ou la protection de l’environnement; ces raisons doivent de plus justifier nettement les conséquences éventuelles de la communication pour un tiers : pertes ou profits financiers, atteintes à la sécurité de ses ouvrages, réseaux ou systèmes, atteintes à sa compétitivité ou entraves aux négociations — contractuelles ou autres — qu’il mène.

(6) The head of a government institution may disclose all or part of a record requested under this Act that contains information described in any of paragraphs (1)(b) to (d) if

(a) the disclosure would be in the public interest as it relates to public health, public safety or protection of the environment; and

(b) the public interest in disclosure clearly outweighs in importance any financial loss or gain to a third party, any prejudice to the security of its structures, networks or systems, any prejudice to its competitive position or any interference with its contractual or other negotiations.

II.  Contexte

A.  Rapports – Généralités

[6]  Les demanderesses, Air Canada (AC) et Air Canada Rouge (ACR), sont des compagnies aériennes canadiennes qui offrent des services dans les marchés national, international et transfrontalier. ACR est une filiale en propriété exclusive d’AC. Elles font toutes les deux partie du réseau Star Alliance, un groupe de compagnies aériennes qui facilitent la collaboration entre les membres sur des sujets comme le partage de codes, les prix et les autres installations et services.

[7]  La demande suivante (demande) a déclenché le litige :

Pourrais-je demander la dernière évaluation des exploitants aériens canadiens suivants? Pourriez-vous mandater le bureau approprié de TC pour chaque compagnie aérienne? (Je crois que les sept premiers sont à l’AC. Je ne sais pas exactement où se trouvent les deux autres, même si je sais que Porter décolle principalement de Toronto et qu’Air Transat décolle principalement de Montréal) : Air Canada, Air Canada rouge [sic], Air Transat, Jazz, Sunwing, WestJet, WestJet Encore, Porter Airlines, Air Transat.

[8]  Les documents qui répondent à la demande selon TC concernent les rapports de surveillance suivants rédigés par ses inspecteurs, même si comme l’a fait observer AC, les inspecteurs qui font les visites de sites ne sont pas les auteurs des rapports, de sorte que leurs observations ont été filtrées par des fonctionnaires :

  1. National Operations Surveillance Report – Air Canada, du 30 septembre au 11 octobre 2013 (rapport de surveillance d’Air Canada);

  2. National Operations Surveillance Report – Air Canada Rouge, du 2 au 13 juin 2014 (rapport de surveillance de Rouge).

[9]  AC et ACR se sont opposées à la communication de certains renseignements contenus dans ces rapports, qu’elles ont cherché à faire censurer.

B.  Contexte des rapports de surveillance

[10]  Les deux rapports de surveillance ont été déposés par l’Aviation civile de Transports Canada (ACTC) qui doit faire la promotion de la sécurité du système de transport aérien national au moyen de son cadre réglementaire et de ses activités de supervision, y compris à l’aide d’attestations, d’évaluations, de validations, d’inspections et d’activités d’exécution.

[11]  Dans le cadre des activités de supervision de l’ACTC, les inspecteurs effectuent des évaluations réglementaires des activités aériennes afin d’évaluer leur efficacité et leur conformité au Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 (RAC). Les employés de TC inspectent les systèmes de gestion de la sécurité établis par la compagnie aérienne en application du RAC.

[12]  Un « système de gestion de la sécurité » (SGS) est défini au paragraphe 101.01(1) du RAC comme un « [p]rocessus documenté de gestion des risques qui intègre des systèmes d’exploitation et des systèmes techniques à la gestion des ressources financières et humaines pour assurer la sécurité aérienne ou la sécurité du public ».

[13]  Les demanderesses mettent l’accent sur la nature du règlement fondée sur le rendement en application de laquelle le SGS d’une compagnie aérienne est inspecté. Ce règlement permet l’examen de la conformité de façon courante et continue ainsi que la mise en œuvre continue d’améliorations.

[14]  Les rapports de surveillance sont réalisés en application de l’Instruction visant le personnel SUR-001, édition 05, le 28 juin 2013 – Procédures de surveillance. Ils contiennent un compte rendu de l’inspection de l’ACTC et un résumé des résultats. Avant qu’un rapport soit envoyé à la compagnie aérienne, il est présenté au Comité d’examen de la surveillance de TC, qui examine et valide son contenu et ses conclusions. Le rapport est ensuite approuvé par l’autorité convocatrice, qui supervise la tenue de l’activité de surveillance et qui en est responsable, et l’envoie à la compagnie aérienne pour examen, commentaires et action. Les demanderesses indiquent qu’il s’agit d’un processus de collaboration entre la compagnie aérienne et l’organe de réglementation, mais il s’agit plutôt d’un processus obligatoire.

[15]  Les demanderesses font remarquer que les inspecteurs qui font les visites de sites ne sont pas les auteurs des rapports de surveillance, qui, à leur avis, participent à l’élaboration potentielle de déclarations inexactes, trompeuses et préjudiciables dans ces rapports, et elles indiquent que le vérificateur général a déclaré que les inspecteurs de TC qui effectuent les activités de surveillance ne suivent pas une formation adéquate.

[16]  La nature récurrente et l’objectif de recherches d’améliorations continues signifient que le processus, en soi, recherche des domaines nécessitant des commentaires. Comme la perfection n’est pas de ce monde, ces rapports permettront toujours de trouver des domaines de préoccupation, même les plus mineurs. L’examen objectif des commentaires permet à une personne n’ayant aucune connaissance technique (comme un juge) de constater que les commentaires visent à favoriser des améliorations, qu’ils sont rarement négatifs et qu’ils ont souvent un ton et un style bureaucratique.

C.  Contenu des rapports de surveillance

[17]  Le rapport de surveillance d’Air Canada a formulé douze conclusions, considérées comme mineures ou modérées, dans le cadre desquelles la compagnie aérienne ne respectait pas les exigences réglementaires. L’ACTC était d’avis qu’un plan de mesures correctives (PMC) était approprié.

[18]  AC s’est opposée par écrit à plusieurs des conclusions du rapport de surveillance d’Air Canada, mais l’ACTC n’a pas modifié le rapport. AC a présenté un PMC pour chaque conclusion et l’ACTC a plus tard confirmé que l’ensemble des douze conclusions avait été abordé et que l’activité de surveillance était maintenant terminée. Il n’est pas possible d’interpréter équitablement le PMC comme une admission de faute, de négligence ou de mépris pour la sécurité.

[19]  Le rapport de surveillance de Rouge a relevé 22 conclusions qui étaient considérées comme mineures, modérées et importantes et il a indiqué que chaque conclusion devait être abordée au moyen d’un PMC. ACR a exprimé des préoccupations dans son PMC quant au processus d’évaluation et à des conclusions précises et, bien que l’ACTC ait fait état des problèmes, le rapport n’a pas été modifié. L’ACTC a par la suite accepté les PMC d’ACR pour chacune des conclusions et l’évaluation a pris fin. Encore une fois, il n’est pas possible, en toute justice, d’interpréter les PMC comme une admission de faute, de négligence ou de mépris pour la sécurité.

[20]  Il est important de noter qu’aucune mesure coercitive n’a été prise contre l’une des compagnies aériennes, qui est réservée à des infractions réglementaires plus graves.

D.  Décision contestée

[21]  Dans une lettre en date du 21 février 2017, TC a avisé les demanderesses que le rapport de surveillance d’Air Canada serait publié en entier et que le rapport de surveillance de Rouge serait partiellement caviardé en application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI.

[22]  TC a déclaré qu’il a tenu compte de Porter Airlines Inc c Canada (Procureur général), 2014 CF 392, 453 FTR 221 [Porter], où le juge Rennie a établi une distinction entre les renseignements d’un SGS d’un exploitant aérien et les conclusions d’ordre réglementaire de TC. Les renseignements provenant d’un SGS devraient être soustraits à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)b), mais les conclusions d’ordre réglementaire ne répondaient pas aux critères relatifs à l’exception. TC a également fait remarquer que le juge Rennie a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que la mauvaise compréhension, par le public, des renseignements divulgués serait préjudiciable à Porter Airlines en application de l’alinéa 20(1)c).

[23]  Voici les conclusions de la décision en ce qui concerne les rapports :

  • Sommaire – il était composé d’observations et de conclusions formulées par les employés de TC, soit des renseignements sur l’évaluation réglementaire qui devraient être rendus publics.

  • Déclaration de conformité – cette partie représentait les conclusions de TC quant à la question de savoir si les demanderesses respectaient les exigences réglementaires minimales. La divulgation était appuyée par le paragraphe 95 de Porter qui indique que « [l]a Loi n’a pas été édictée en vue d’empêcher la divulgation des conclusions d’ordre réglementaire formulées par les divers organismes gouvernementaux ».

  • Sommaire de la conformité – cette déclaration sommaire cite des extraits du guide d’évaluation des SGS de TC, lequel indique les éléments évalués. L’alinéa 20(1)b) ne s’applique pas puisque ces observations n’ont pas été reçues par un tiers et l’alinéa 20(1)c) ne s’applique pas, puisque l’argument selon lequel les renseignements peuvent être mal compris ou mal utilisés par le public ne justifie pas l’exception.

  • Classification des conclusions – il s’agit de conclusions d’ordre réglementaire qui ne respectent pas les critères de l’alinéa 20(1)b) puisqu’ils n’ont pas été fournis par un tiers et qu’ils ne sont pas confidentiels.

[24]  La décision a également permis de conclure que la divulgation de la déclaration de conformité et de la classification des conclusions était conforme au paragraphe 20(6) de la LAI, puisqu’elle serait dans l’intérêt public étant donné que les rapports de surveillance concernent la sécurité publique en application du mandat réglementaire de TC et que l’intérêt public de la divulgation l’emporte sur le préjudice causé à un tiers.

III.  Questions en litige

[25]  Les questions à trancher sont les suivantes :

  1. Certains renseignements des rapports de surveillance sont-ils soustraits à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)c)?

  2. Certains renseignements des rapports de surveillance sont-ils soustraits à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)b)?

  3. Certains renseignements des rapports de surveillance devraient-ils être divulgués en application du paragraphe 20(6)?

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[26]  Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle pour établir si les renseignements sont soustraits à la divulgation en application du paragraphe 20(1) de la LAI est celle de la décision correcte, comme il a été dit dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3, au paragraphe 53, [2012] 1 RCS 23 [Merck] :

Aucune décision discrétionnaire du responsable de l’institution n’est en cause dans la présente affaire. Selon l’art. 51 de la Loi, le juge siégeant en révision doit décider si « le responsable [de l’]institution fédérale est tenu de refuser la communication [...] d’un document » et, dans l’affirmative, il doit ordonner à ce dernier de ne pas le communiquer. Il s’ensuit que dans les cas où un tiers, telle Merck en l’espèce, demande à la Cour fédérale, en vertu de l’art. 44 de la Loi, de « contrôler » la décision du responsable de l’institution de communiquer tout ou partie d’un document, le juge de la Cour fédérale doit déterminer si ce dernier a correctement appliqué les exceptions aux documents visés : Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66, par. 19; Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, par. 22. Ce processus a parfois été qualifié d’examen de novo de la question de savoir si le document en cause est soustrait à la communication : voir, p. ex., Air Atonabee Ltd. C Canada (Ministre des Transports), [1989] ACF no 453 (QL) (1re inst.), par. 29-30; Merck Frosst Canada & Co. c Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1422 (CanLII), par. 3; Dagg, par. 107. Le terme « de novo » n’est peut‑être pas, à proprement parler, celui qu’il convient d’utiliser; toutefois, il n’y a aucun désaccord dans ces affaires quant au rôle du juge siégeant en révision dans un tel contexte : il doit décider si les exceptions ont été correctement appliquées relativement aux documents en cause. Les articles 44, 46 et 51 sont les dispositions législatives les plus pertinentes qui s’appliquent au présent contrôle.

[Non souligné dans l’original.]

B.  Renseignements visés par l’alinéa 20(1)c)

[27]  Comme les demanderesses l’ont fait valoir, et je suis d’accord, l’alinéa 20(1)c) est la disposition la plus importante qui régit le présent litige.

La véritable préoccupation est que les mots utilisés souvent ne sont pas nécessaires pour permettre l’accomplissement de la fonction réglementaire, qu’ils sont souvent imprécis et qu’ils peuvent donc être préjudiciables.

[28]  Ce n’est pas la première fois que la question du préjudice découlant de la communication des rapports de TC à diverses compagnies aériennes est en litige. L’arrêt de principe Air Atonabee Ltd. c Canada (Ministre des Transports), 27 FTR 194, 1989 CarswellNat 585 (WL Can) (CF 1re inst. ) [Air Atonabee cité dans WL Can], est toujours valide en droit en principe. Il porte sur un grand nombre des questions soulevées par les demanderesses.

[29]  Dans le cadre de l’examen des arguments contre la divulgation, le juge MacKay a déclaré ce qui suit dans Air Atonabee :

[traduction]
57  En l’espèce, la requérante fait valoir que les renseignements dont la divulgation est proposée risquent d’être mal compris par le grand public, car ils sont de nature très technique et sont incomplets, car ils ne constituent qu’une partie d’un processus continu de communication, de dialogue, entre les parties. Elle prétend que les renseignements dont la divulgation est proposée ne contiennent pas suffisamment d’éléments d’information contextuels ou explicatifs pour être bien compris. La requérante s’oppose à la note explicative laconique que l’intimé a l’intention de communiquer avec les documents, et fait valoir que ce n’est qu’en fournissant encore plus de renseignements du même genre qui contiendraient des éléments d’information qu’elle considère comme étant confidentiels que sa position à l’égard de certains des documents serait équitablement présentée. Bon nombre des documents concernent des questions qui surgissent dans le cadre du processus d’inspection, lequel implique non seulement de simples fonctions de surveillance et de mise en application, mais également un service et un échange de renseignements dans un régime au sein duquel deux parties ont des responsabilités différentes, mais communes à l’égard de la sécurité générale des opérations. Bien que la requérante maintienne depuis le début qu’elle ne considère pas que, lorsqu’on les comprend correctement dans leur contexte, les documents soulèvent des questions au sujet de la sécurité des opérations, elle craint que le lecteur non informé ne perçoive le contraire.

...

58  Les craintes de la requérante suscitent trois problèmes sérieux. Premièrement, la requérante affirme qu’elle risque vraisemblablement de subir un préjudice, étant donné qu’il s’agit d’une petite entreprise encore en développement dans un secteur industriel très concurrentiel et qu’elle dessert un marché fortement concurrentiel dans lequel une légère réduction du nombre de passagers de seulement un pour cent aurait de graves répercussions financières pour la compagnie.

...

63  Il est vrai que les documents découlent de l’inspection des opérations effectuée par l’organisme fédéral chargé des normes de sécurité dans le transport aérien et que, s’ils étaient communiqués, les documents ne donneraient pas une image complète de la situation. L’image exacte est évidemment la bonne tradition de sécurité que possède de toute évidence la requérante, comme l’a reconnu l’intimé, et comme le démontre à l’évidence le fait qu’elle possède toujours un permis sans avoir subi d’incident majeur. L’opinion qu’a le public de la préoccupation de la requérante envers la sécurité de ses opérations dépend en dernière analyse de son propre rendement et non des résultats enregistrés lors d’inspections de routine. De plus, si la communication des documents devait aboutir à un malentendu généralisé au sein du public au sujet de la sécurité des opérations, l’intimé serait d’une façon ou d’une autre obligé de réagir, car autrement cela risquerait à la longue de discréditer le système d’inspection lui-même.

[30]  Le juge MacKay a également déclaré au paragraphe 64 qu’un risque vraisemblable de préjudice n’est pas causé dans le contexte d’éventuels malentendus généralisés du contenu de la divulgation.

[31]  Même le défendeur reconnaît que certains aspects du rapport pourraient amener le public à s’inquiéter de la sécurité aérienne et qu’ils pourraient avoir une incidence sur la concurrence. Toutefois, la possibilité d’un manque de compréhension et de mauvaise interprétation en soi ne suffit pas pour empêcher la divulgation. Comme la Cour suprême l’a fait remarquer dans Merck, au paragraphe 224, l’exception à la divulgation qui se justifie par la possibilité d’une impression erronée correspondrait à une situation exceptionnelle.

[32]  Une partie de la mauvaise compréhension peut être améliorée par le type même d’explication et le contexte figurant dans le mémoire des faits et du droit des demanderesses. On pourrait s’attendre à ce qu’une organisation responsable comme TC soit disposée à communiquer une note explicative au moment de la publication des renseignements. Si elle ne peut pas ou ne veut pas le faire, les parties peuvent formuler des observations avant que la Cour rende son ordonnance définitive.

[33]  En plus de la perspective d’un préjudice éventuel, l’expert des demanderesses, M. Tretheway, un expert réputé dans le domaine de l’aviation et de l’économie, était d’avis qu’il existe un niveau élevé de concurrence dans l’industrie. Il a également offert un contexte utile quant aux voies actuelles de communication de l’information (parfois appelées « twittosphère ») qui augmentent la probabilité de mauvaise compréhension et d’abus des renseignements techniques en ce qui concerne les compagnies aériennes par des personnes qui ne comprennent pas bien l’importance réelle des commentaires. Son témoignage n’a pas été contesté.

[34]  Les demanderesses ont établi qu’elles s’attendent raisonnablement à ce que la communication de ces documents leur cause un certain préjudice.

Toutefois, elles n’ont pas établi, conformément à l’alinéa 20(1)c), que ce préjudice serait probablement important.

[35]  Étant donné que l’expert des demanderesses possède une expertise dans le domaine de la concurrence en aviation et de l’économie, l’absence d’une quantification approximative, même en principe, était importante. Les compagnies aériennes ont fait l’objet de communications négatives dans le passé – de nombreuses décisions ont été citées sur cette industrie – et pourtant, malgré toute la sophistication d’un transporteur international moderne, rien dans la preuve n’indique qu’elles subiront un préjudice.

[36]  Dans Astrazeneca Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 189, 275 FTR 133, notre Cour a abordé la nécessité d’établir un fondement objectif permettant de conclure à l’existence d’un préjudice important :

[46]  Le fait de reconnaître le caractère implicitement conjectural d’une preuve de préjudice ne dispense toutefois pas une partie de l’obligation d’invoquer quelque chose de plus que des croyances et des craintes personnelles. Une preuve de résultats raisonnablement attendus, comme une preuve de nature prévisionnelle, est une chose que les tribunaux connaissent, et il doit donc y avoir un motif logique et convaincant pour souscrire à la prévision. Une preuve de documents d’information antérieurs, une preuve d’expert et une preuve de traitement de preuve similaire ou de situations similaires sont souvent admises comme un fondement logique dans le cas d’une expectative de préjudice, ainsi que comme preuve de la catégorie de documents considérés.

[37]  Par conséquent, la Cour conclut que les demanderesses n’ont pas établi qu’il existait une exception à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)c). Le fait que le défendeur ait invoqué Porter ainsi que la question de savoir si la décision a été correctement appliquée par TC n’a aucune conséquence. La Cour reconnaît que Porter, en particulier les parties invoquées, portait davantage sur l’alinéa 20(1)b) que sur l’alinéa 20(1)c).

C.  Renseignements visés par l’alinéa 20(1)b)

[38]  Certains renvois ont été faits dans cette catégorie d’exception. Ces renvois, qui étaient des observations formulées par les inspecteurs de TC à la suite de leur activité d’évaluation réglementaire, ne font pas l’objet d’une exception. Depuis la décision Canada Packers Inc. c Canada (Ministre de l’Agriculture) (1988), [1989] 1 CF 47, 26 CPR (3d) 407 (CAF), ces observations réglementaires, même si elles sont injustes ou imprécises, ne sont pas visées par l’alinéa 20(1)b).

[39]  Les parties semblent être d’accord pour dire que certains renseignements concernant les employés de l’approvisionnement de maintenance font l’objet d’une exception puisqu’il s’agit de renseignements techniques fournis à TC de façon confidentielle et qu’ils sont traités comme tels. Je souscris à cette position.

D.  Divulgation en application du paragraphe 20(6)

[40]  La Cour n’est pas officiellement saisie du paragraphe 20(6). TC n’a pas invoqué cette disposition pour justifier la divulgation et rien dans cette disposition ne peut donc être examiné par la Cour.

[41]  Le paragraphe 20(6) n’est pertinent que si le gouvernement conclut que ces renseignements font l’objet d’une exception, mais qu’en application du paragraphe 20(6), ils devraient néanmoins être divulgués dans l’intérêt public.

Aucun des renseignements en litige en l’espèce n’a été jugé faire l’objet d’une exception à la divulgation, de sorte que même la première étape de l’application du paragraphe 20(6) n’a pas été respectée.

V.  Conclusion

[42]  Par conséquent, après avoir entendu d’autres observations des parties au sujet d’une note explicative, sur la question de savoir si une partie des motifs divulgue des renseignements qui ne devraient pas être divulgués et sur toute autre question pertinente à une ordonnance définitive, la Cour rejette la présente demande, avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 9 avril 2018

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-379-17

 

INTITULÉ :

AIR CANADA et AIR CANADA ROUGE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 décembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Benjamin Mills

Shannel Rajan

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

David Aaron

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conlin Bedard LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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