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Date : 20180409


Dossier : T-309-16

Référence : 2018 CF 376

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

ELENA MAXIMOVA

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Elena Maximova, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision prise par la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission], en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 [la Loi], de ne pas traiter sa plainte. Pour les motifs qui suivent, je rejette sa demande.

I.  Introduction

[2]  Mme Maximova croit avoir été victime d’injustice. Elle s’est tournée vers le droit afin d’obtenir une réparation. Malheureusement, ce qui s’est déroulé par la suite est une histoire de malentendus. Il est utile de chercher à comprendre pourquoi cela s’est produit.

[3]  Les juristes voient le monde au moyen de concepts abstraits. Ces concepts sont utilisés pour définir et classer les types d’injustice auxquels le droit s’intéresse. Les juristes utilisent des concepts abstraits pour simplifier la réalité, ce qui facilite l’application de règles objectives. Ils ont également créé une vaste gamme d’institutions juridiques et de procédures afin de traiter différents types d’injustice. Par conséquent, il y a différents « domaines du droit », qui tendent à avoir leurs propres concepts et institutions distinctes.

[4]  Les gens ne vivent pas leur vie en fonction des concepts et des catégories juridiques. Les expériences de vie des gens, dans toute leur complexité et leur diversité, ne peuvent pas toujours être classées facilement dans les catégories du système juridique ou dans un seul « domaine du droit ». Ainsi, lorsque les gens veulent se servir du droit, ils doivent utiliser des concepts et des catégories qui sont difficiles à comprendre et qui sont parfois différents de ceux qu’ils utilisent dans leur vie de tous les jours.

[5]  Un des rôles des avocats est d’agir en tant que traducteurs, pour ainsi dire, entre les concepts et les catégories juridiques et le monde réel. Une des compétences que les avocats doivent acquérir est la capacité d’expliquer le droit en des termes compréhensibles par les gens qui n’ont pas de formation juridique. Mme Maximova n’a pas été représentée par un avocat dans la présente instance. J’ignore les efforts qui ont été déployés pour l’aider à comprendre le droit. Cependant, il est évident, dans la formulation de son argument, qu’elle utilise certains concepts d’une manière différente de celle que les avocats emploient.

II.  L’histoire de Mme Maximova

[6]  Mme Maximova s’est séparée de son mari en 2004 et a divorcé par la suite. Elle dit qu’il a quitté le pays et a disparu. Elle a donc élevé sa fille toute seule.

[7]  En 2005, elle a déclaré à l’Agence du revenu du Canada [ARC] qu’elle était séparée. En se fondant sur ce statut, elle a demandé certaines prestations, particulièrement la Prestation fiscale canadienne pour enfants, la Prestation pour les coûts de l’énergie et le crédit de TPS/TVH, qui sont calculées en fonction du revenu familial net, ce qui inclut le revenu gagné par un conjoint de fait.

[8]  Les institutions juridiques ou gouvernementales, telles que l’ARC, ne connaissent pas les détails de la vie privée des gens. C’est la raison pour laquelle elles exigent souvent des documents afin de confirmer ce que les personnes leur disent. C’est ce que les avocats appellent des « preuves ».

[9]  Ainsi, en 2006, l’ARC a refusé de reconnaître que Mme Maximova était séparée, parce qu’elle n’avait pas présenté suffisamment de preuves pour démontrer qu’elle résidait à une adresse différente de celle de son mari. L’ARC croyait que son ex-mari habitait toujours à la même adresse, puisqu’il n’en avait pas fourni une nouvelle. Par conséquent, l’ARC a décidé qu’elle n’était plus admissible aux prestations. Elle a aussi demandé le remboursement des prestations déjà payées.

[10]  Mme Maximova affirme que, de 2006 à 2013, elle s’est engagée avec l’ARC dans un « jeu interminable » de correspondance. C’était une époque stressante pour elle : elle était une mère monoparentale; son ex-mari l’avait abandonnée et il avait quitté le pays sans lui payer de pension alimentaire; elle avait des problèmes de santé; elle devait recevoir des prestations d’aide sociale; et, à un certain point, elle a été contrainte d’habiter dans des refuges pour personnes itinérantes. Les prestations fiscales et les crédits qui lui ont été refusés à cette époque auraient eu un impact positif considérable dans sa vie.

[11]  Finalement, Mme Maximova a été capable de fournir des preuves démontrant qu’elle n’était plus mariée. En octobre 2013, l’ARC a rétroactivement changé son état civil de « mariée » à « divorcée » pour les années 2004 à 2013; cependant, elle déclare qu’elle n’a pas encore reçu le montant total des prestations auxquelles elle avait droit.

[12]  Le 3 avril 2014, Mme Maximova a déposé une plainte auprès de la Commission, dans laquelle elle affirmait que l’ARC a fait preuve de discrimination et de harcèlement à son égard, en raison de son état civil.

[13]  Le 2 septembre 2015, un représentant de la Division des services de règlement de la Commission [l’enquêteur] a préparé un rapport recommandant à la Commission de ne pas traiter la plainte, en vertu de l’alinéa 41(1)b) de la Loi. L’enquêteur a souligné que la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) [Loi de l’impôt sur le revenu], établit un processus interne pour contester les décisions prises par l’ARC au sujet de la disponibilité de certaines prestations. Si une personne n’est pas satisfaite du résultat de ce processus, elle peut présenter l’affaire devant la Cour canadienne de l’impôt. L’enquêteur a également mis en doute le fait qu’il puisse y avoir « des questions relatives aux droits de la personne qui figurent dans la plainte », puisque Mme Maximova « n’a présenté aucun renseignement qui lie les actes allégués à son état civil ».

[14]  Le 4 janvier 2016, la Commission a envoyé une lettre à Mme Maximova qui l’informait qu’elle ne traiterait pas sa plainte. La Commission a expliqué qu’elle avait tenu compte du rapport de l’enquêteur, ainsi que des arguments de Mme Maximova en réponse au rapport, et elle a décidé que la plainte pourrait être traitée de manière plus appropriée en fonction d’une procédure prévue par une autre loi fédérale. La décision était fondée sur l’alinéa 41(1)b) de la Loi.

[15]  Le 19 février 2016, Mme Maximova a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

III.  Discussion

[16]  Lors du contrôle d’une décision de la Commission prise en vertu de l’article 41 de la Loi, la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale, alors que la norme de la décision raisonnable s’applique au fond de la décision de la Commission (Exeter c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 119 [Exeter], au paragraphe 6; Ayangma c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 213, au paragraphe 56). 

A.  La décision de la Commission était-elle raisonnable ?

[17]  Mme Maximova soutient qu’il s’agit d’une affaire de discrimination évidente et manifeste que la Commission devrait traiter.

[18]  Malheureusement pour Mme Maximova, ce n’est pas le cas, pour deux raisons fondamentales que j’expliquerai plus loin : (1) elle n’a pas déposé sa plainte auprès de l’institution juridique appropriée; (2) ce dont elle se plaint ne constitue pas de la discrimination.

(1)  L’institution juridique appropriée

[19]  Ce que la Commission essaie d’expliquer dans sa décision est qu’il existe différentes institutions juridiques pour traiter différents problèmes juridiques. Pour reprendre ce que j’ai dit plus haut, chaque « domaine du droit » a ses propres procédures et mécanismes de règlement des différends. Et ce que les personnes pourraient percevoir comme une injustice bien circonscrite pourrait, en fait, être une question plus complexe aux yeux des juristes. L’affaire peut impliquer plusieurs « domaines du droit ».

[20]  On peut faire appel à différents domaines du droit pour traiter les injustices subies par Mme Maximova. La relation avec son mari est une question de droit de la famille. La disponibilité de la Prestation fiscale canadienne pour enfants et la Prestation pour les coûts de l’énergie et le crédit de TPS/TVH, cependant, sont régies par le droit fiscal. Cela peut sembler étrange. Mme Maximova affirme que les prestations n’ont rien à voir avec l’impôt sur le revenu. Cependant, lorsque le législateur a créé la Prestation fiscale canadienne pour enfants et la Prestation pour les coûts de l’énergie, ainsi que le crédit de TPS/TVH, il a décidé de les offrir au moyen des mécanismes du droit fiscal (voir l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, ainsi que la Loi sur les mesures d’aide liées au coût de l’énergie, L.C. 2005, ch. 49).

[21]  Le droit fiscal a sa propre législation et son organisme administratif (l’ARC). Il a aussi ses propres mécanismes de règlement des différends, qui mènent ultimement à la Cour canadienne de l’impôt. Le Bureau de l’ombudsman des contribuables peut également mener des enquêtes concernant les plaintes à l’égard des services de l’ARC.  Lorsque la Commission a dit que la plainte de Mme Maximova pourrait être traitée en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, ce qu’elle voulait dire était que Mme Maximova soulève une question qui appartient au domaine du droit fiscal et qu’elle devrait être résolue dans le cadre des mécanismes de ce domaine du droit. En disant cela, la Commission n’a pas déformé la nature de la plainte de Mme Maximova.

[22]  Or, la plainte de Mme Maximova pourrait-elle également soulever une question de droits de la personne ? Autrement dit, deux domaines du droit peuvent-ils être pertinents à sa situation ? Cette possibilité a été envisagée par le législateur lorsque la Loi a été adoptée. L’alinéa 41(1)b) de la Loi indique que lorsqu’une situation peut être traitée en tant que question de droits de la personne et en tant que question régie par un autre domaine du droit, l’autre domaine l’emporte. Par conséquent, lorsqu’une situation peut être considérée comme une question de droit fiscal et comme une question de droits de la personne, elle doit être traitée dans le cadre des mécanismes de règlement des différends du droit fiscal. La décision de la Commission est donc raisonnable.

(2)  Pas de discrimination

[23]  Cela m’amène à un argument que Mme Maximova présente avec une grande conviction : son affaire est un cas de discrimination évidente que la Commission aurait dû accepter de traiter.

[24]  Je ne doute pas que Mme Maximova croit qu’elle a été victime d’une injustice sérieuse. Le défi, comme je l’ai expliqué plus haut, est de décider si cette injustice correspond à un concept juridique particulier, la discrimination.

[25]  Les juristes ont des points de vue différents au sujet de ce qui constitue de la discrimination. Pour  résoudre ces désaccords, les tribunaux tentent parfois d’établir une définition — ou encore ce qu’on appelle un « critère ». Ainsi, dans l'affaire Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 RCS 360, la juge Rosalie Abella de la Cour suprême du Canada a déclaré que « pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. » On simplifie souvent ce critère en disant qu’en vertu de la Loi ou d’une législation provinciale semblable, la discrimination est (a) un traitement préjudiciable, (b) fondée sur un motif de distinction illicite.

[26]  Mme Maximova est consciente de cette définition ou du « critère à deux volets ». Elle dit que le traitement préjudiciable est le fait que l’ARC a refusé de lui accorder des prestations. Elle affirme ensuite qu’on a refusé de lui accorder les prestations en raison de son état matrimonial, c’est-à-dire parce que l’ARC croyait qu’elle était mariée. (L’état matrimonial est un des motifs de distinction illicite mentionnés dans la Loi.)

[27]  Même s’il est utile d’employer des formulations brèves et concises pour décrire des concepts juridiques, cela peut parfois être trompeur et on risque d’oublier des nuances importantes. Même si la preuve de discrimination exige un traitement préjudiciable et un motif de distinction illicite, il faut également un lien pertinent entre les deux. La nature de ce lien est difficile à décrire et peut donner lieu à des points de vue différents.

[28]  Ainsi, selon le point de vue de Mme Maximova, il y a un lien, parce que l’ARC a refusé de lui accorder des prestations, puisqu’elle croyait qu’elle était toujours mariée et qu’elle habitait avec son mari.

[29]  Mais cela n’est pas le point de vue adopté par les tribunaux. Le fait d’exiger des renseignements concernant l’état matrimonial de quelqu’un n’est pas de la discrimination lorsque certaines prestations sociales sont accordées en fonction de cet état matrimonial.

[30]  En fait, l’admissibilité à de nombreux types de prestations sociales dépend de facteurs tels que l’âge ou l’état matrimonial, qui sont des motifs de distinction illicite en vertu de la Loi ou encore en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [Charte].  Dans plusieurs jugements, la Cour suprême du Canada a décidé que les lois qui accordaient des prestations sociales en fonction de facteurs tels que l’âge et l’état matrimonial ne sont pas discriminatoires (voir, par ex., Law c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497; Hodge c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CSC 65, [2004] 3 RCS 357). De plus, le paragraphe 15(2) de la Charte déclare que les programmes visant l’amélioration des conditions des groupes défavorisés ne sont pas discriminatoires. En l’espèce, Mme Maximova ne conteste pas la manière dont les prestations sont calculées, y compris le fait que le calcul dépend en partie de l’état matrimonial du bénéficiaire. En fait, le calcul dépend du revenu familial. Évidemment, qui est inclus dans ce revenu familial dépend de l’état matrimonial du bénéficiaire.

[31]  Une fois que la validité du régime lui-même est acceptée, le fait d’exiger que les gens prouvent leur admissibilité ne constitue pas de la discrimination. Par exemple, la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC 1985, ch O-9, prévoit que, à certaines conditions, les personnes âgées de 65 ans et plus ont droit à une pension. Le fait d’exiger que les gens prouvent leur âge avant qu’on leur accorde une pension ne constitue pas de la discrimination. De même, le fait d’exiger que Mme Maximova prouve son état matrimonial, c’est-à-dire qu’elle était séparée, avant de lui accorder certaines prestations n’était pas de la discrimination, étant donné que le montant de ces prestations dépendait de son état matrimonial.

[32]  Ainsi, il était raisonnable de la part de la Commission de se fonder sur le rapport de l’enquêteur, qui indiquait que la situation de Mme Maximova ne soulevait « aucune question de droits de la personne ». En d’autres termes, il ne s’agit pas de discrimination. Je souligne que, en exprimant cette conclusion, l’enquêteur a utilisé des expressions comme « il faut plus que de la spéculation », « simple affirmation » ou « la plaignante n’a présenté aucun renseignement ». Ces expressions ne devraient pas être considérées comme un manque de respect envers Mme Maximova ou comme une conclusion qu’elle n’a jamais subi quelque préjudice que ce soit. Elles sont utilisées systématiquement par les avocats pour dire que le critère d’application d’une règle juridique n’a pas été respecté.

B.  L’équité procédurale

[33]  Mme Maximova se plaint également du fait que le processus suivi par la Commission était inéquitable. L’équité est un autre concept qui peut être défini de différentes manières dans le langage quotidien et dans le langage juridique.

[34]  Par exemple, Mme Maximova peut considérer qu’elle a été traitée de manière inéquitable si le personnel de la Commission ne lui a pas apporté une aide suffisante dans la préparation de sa plainte, lui a suggéré de changer la manière dont elle a formulé sa plainte ou, peut-être, dans ce processus, lui a dit que sa plainte était probablement sans fondement.

[35]  Cependant, du point de vue juridique, l’équité procédurale a une définition plus précise. Elle fait référence aux caractéristiques fondamentales du processus de prise de décision qui garantissent que chaque partie peut présenter sa position et répondre à la position de l’autre partie. La portée de l’équité procédurale dépend du type de décision en cause. La Cour suprême du Canada, dans une décision rendue il y a presque trente ans, définissait comme suit la portée de l’obligation d’équité procédurale lorsque la Commission prend une décision en vertu de l’article 41 :

[...] il incombait à la Commission d’informer les parties de la substance de la preuve réunie par l’enquêteur et produite devant la Commission.  Celle-ci devait en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s’y rapportant.

(Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 RCS 879 à la page 902)

[36]  Dans une affaire subséquente, la Cour d’appel fédérale a précisé que la Commission n’est pas obligée de divulguer toutes les communications entre l’enquêteur et le défendeur (en l’espèce, l’ARC). Une divulgation complète n’est nécessaire que dans des circonstances particulières, par exemple, lorsque la Commission prend une décision différente de la recommandation de l’enquêteur (Mercier c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 3 CF 3 (CAF)).

[37]  L’argument principal de Mme Maximova en matière d’équité procédurale est qu’elle n’a pas reçu une copie d’une lettre que l’ARC a transmise à l’enquêteur. J’ai examiné la lettre et je suis d’avis que le rapport de l’enquêteur l’a résumée de manière adéquate. Par conséquent, l’équité procédurale n’obligeait pas la Commission à divulguer la lettre à Mme Maximova avant de prendre sa décision.

[38]  Mme Maximova soutient également que le délai de deux ans que la Commission a pris pour rendre sa décision était inacceptable.

[39]  Cependant, la Cour suprême du Canada a établi un seuil très exigeant concernant les délais en droit administratif (Blencoe c. Colombie-Britannique (Commission des droits de la personne), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307 [Blencoe]). Il y a deux situations dans lesquelles un délai devient inacceptable. Premièrement, le délai peut toucher l’équité de l’audience elle-même (Blencoe, au paragraphe 102). Par exemple, il se peut qu’un témoin essentiel soit décédé ou que des éléments de preuve aient été perdus. Deuxièmement, un délai peut constituer en soi un manquement à l’obligation d’équité. Cependant, cela se produit seulement lorsque le délai est « inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause » (Blencoe, au paragraphe 121).

[40]  Dans la présente affaire, le délai n’a aucun impact sur l’équité des procédures devant la Commission. Il n’est pas non plus « oppressif » en soi. La plainte date du 3 avril 2014. Le rapport de l’enquêteur date du 2 septembre 2015. Mme Maximova a répondu le 1er octobre 2015. La Commission a rendu sa décision le 23 décembre 2015 et elle l’a envoyée par la poste aux parties le 4 janvier 2016. Au total, cela fait 21 mois. J’observerais simplement que dans Blencoe, la Cour suprême du Canada a décidé qu’un délai plus long n’était pas déraisonnable (Blencoe, aux paragraphes 129 à 132). L’affaire Blencoe portait précisément sur une plainte en matière de droits de la personne.

[41]  Mme Maximova soutient également que la Commission a créé de « faux témoignages ». Ce qu’elle veut dire n’est pas tout à fait clair. Au moment de l’audience, elle a principalement manifesté son désaccord avec la manière dont la Commission a caractérisé sa plainte. Il semble que cette allégation concernant les « faux témoignages » est simplement une manière différente de présenter ses arguments sur le fond. Il n’y a eu aucun « faux témoignage » dans le présent dossier.

[42]  Malgré ses arguments, je conclus que la plainte de Mme Maximova a été traitée d’une manière équitable.

IV.  Dépens

[43]  Dans notre Cour, la règle habituelle veut que les dépens suivent l’issue de l’instance (Fédération canadienne des municipalités c AT&T Canada Corp., 2002 CAF 500, [2003] 3 CF 379). Autrement dit, la partie perdante doit normalement payer une portion des frais juridiques de la partie gagnante. Cependant, aux termes de l’article 400 des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106, la Cour a entière discrétion de déterminer le montant des dépens et les répartir.

[44]  Il est évident que Mme Maximova a présenté sa plainte devant la Commission et sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour en se fondant sur une mauvaise compréhension de la notion de discrimination. Mme Maximova se représente elle-même. Si elle avait obtenu des conseils juridiques, elle aurait été mieux en mesure de réconcilier sa perception de sa situation et la façon dont le droit la perçoit. Elle aurait pu comprendre plus tôt que le recours approprié, le cas échéant, était auprès des institutions de droit fiscal. Cependant, il est bien connu qu’il peut être difficile pour les plaideurs de faible revenu d’obtenir des conseils juridiques. Je ne veux pas punir Mme Maximova en la condamnant à payer les dépens en raison de sa mauvaise compréhension du droit.

[45]  Vu l’histoire de la présente affaire et les circonstances de Mme Maximova, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire afin de n’adjuger aucuns dépens en l’espèce.

[46]  Cependant, j’espère que le présent jugement mettra fin aux tentatives de Mme Maximova de présenter sa situation comme de la « discrimination » et la dissuadera de prendre d’autres mesures dans la poursuite sans espoir de sa plainte.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-309-16

 

INTITULÉ :

ELENA MAXIMOVA c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MARS 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 AVRIL 2018

 

COMPARUTIONS :

Elena Maximova

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Derek Edwards

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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