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Date : 20180405


Dossier :T-1547-16

Référence :2018 CF 362

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 avril 2018

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

AMERICAN EXPRESS MARKETING & DEVELOPMENT CORP.

demanderesse

et

BLACK CARD, LLC

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La société American Express Marketing & Development Corp. (Amex) a interjeté appel de dix décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) rejetant ses oppositions à des demandes d’enregistrement présentées par la société Black Card LLC (BCL) pour la marque de commerce BLACKCARD et de multiples variations de celle-ci. Peu de temps avant l’échéance de production du mémoire des faits et du droit d’Amex, BCL a abandonné sept de ses dix demandes d’enregistrement, mais elle a maintenu celles concernant l’enregistrement des marques de commerce BLACK (et visuel), MY BLACKCARD et MY BLACKCARD REWARDS. BCL estime que son abandon de ces sept demandes rend théoriques les appels connexes.

[2]  Amex demande à notre Cour de rendre une décision préliminaire décrétant que les appels liés aux sept demandes abandonnées ne sont pas théoriques. À titre subsidiaire, Amex demande à notre Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher les appels théoriques, conformément à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Borowski c Canada (Procureur général), 1989, 57 DLR (4th) 231 (CSC) [Borowski].

[3]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que les appels connexes aux sept demandes d’enregistrement de marque de commerce abandonnées sont théoriques et que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de les trancher. En ce qui concerne les appels liés à BLACK (et visuel), MY BLACKCARD et MY BLACKCARD REWARDS, je conclus qu’Amex ne s’est pas acquittée de son fardeau initial d’établir les faits essentiels à l’appui des motifs d’opposition invoqués. Les appels sont donc rejetés.

II.  Contexte

[4]  Amex approuve, enregistre, maintient en vigueur et défend l’ensemble des marques de commerce pour le groupe des sociétés American Express au Canada, en plus d’octroyer des licences d’utilisation de ces marques. Amex affirme que BLACK CARD est une marque de commerce non déposée au titre de laquelle une sous-licence a été octroyée à la Banque Amex du Canada en vue de son emploi en liaison avec la carte Centurion, une carte de crédit haut de gamme. La carte Centurion est de couleur noire.

[5]  BCL est une société constituée aux États-Unis. Elle offre des cartes de crédit et des services de conciergerie à ses clients, principalement dans les domaines du divertissement, des voyages et des affaires. Les cartes de crédit offertes par BCL sont aussi de couleur noire.

[6]  Le 24 mars 2009, BCL a présenté la demande 1,432,161 pour la marque de commerce BLACK (et visuel) en vue d’un emploi projeté au Canada en liaison avec des services de cartes de paiement et de crédit, et d’autres avantages connexes. Dans la demande, la date de priorité revendiquée est le 2 février 2009. Le 27 décembre 2013, Amex a présenté une déclaration d’opposition auprès de la Commission. La Commission a rejeté l’opposition le 8 juillet 2016 (American Express Marketing & Development Corp c Black Card, LLC, 2016 COMC 118). Amex a interjeté appel de cette décision le 19 septembre 2016 (T-1553-16).

[7]  Le 24 mars 2009, BCL a présenté la demande 1,432,166 pour la marque de commerce MY BLACKCARD REWARDS en vue d’un emploi projeté au Canada en liaison avec des services de carte des paiements et de crédit, et d’autres avantages connexes. Dans la demande, la date de priorité revendiquée est le 3 mars 2009. Le 27 décembre 2013, Amex a présenté une déclaration d’opposition auprès de la Commission. La Commission a rejeté cette opposition le 8 juillet 2016 (American Express Marketing & Development Corp c Black Card, LLC, 2016 COMC 122). Amex a interjeté appel de cette décision le 19 septembre 2016 (T-1551-16).

[8]  Le 24 mars 2009, BCL a présenté la demande 1,432,170 pour la marque de commerce MY BLACKCARD en vue d’un emploi projeté au Canada en liaison avec des services de cartes de paiement et de crédit, et d’autres avantages connexes. Dans la demande, la date de priorité revendiquée est le 3 mars 2009. Le 27 décembre 2013, Amex a présenté une déclaration d’opposition auprès de la Commission. La Commission a rejeté cette opposition le 8 juillet 2016 (American Express Marketing & Development Corp c Black Card, LLC, 2016 COMC 124). Amex a interjeté appel de cette décision le 19 septembre 2016 (T-1554-16).

[9]  BCL a abandonné ses demandes d’enregistrement de sept marques de commerce liées, y compris BLACKCARD, le 2 novembre 2017. Le même jour, elle a présenté une nouvelle demande d’enregistrement de la marque de commerce BLACKCARD. Le 14 novembre 2017, Amex a présenté une demande d’enregistrement de la marque de commerce BLACK CARD.

[10]  Les parties conviennent que la graphie des marques de commerce en litige (BLACK CARD en deux mots ou BLACKCARD en un mot) n’a aucune incidence en l’espèce.

III.  Décisions faisant l’objet d’un appel

[11]  La Commission a rendu des décisions essentiellement semblables dans les dossiers 2016 COMC 124, 2016 COMC 122, 2016 COMC 118, ainsi qu’à l’égard des sept demandes d’enregistrement de marque de commerce abandonnées. Amex invoque les mêmes motifs d’opposition à l’égard des dix demandes :

  • a) les marques de commerce en litige créent la confusion avec la marque de commerce non déposée BLACKCARD d’Amex au sens de l’article 16 de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T-13 (la Loi);

  • b) les marques de commerce ne sont pas distinctives au sens de l’alinéa 38(2)d) de la Loi, pour les raisons suivantes :

  1. elles prêtent à confusion par leur similarité avec la marque de commerce non déposée BLACKCARD d’Amex et sa carte Centurion, de couleur noire;

  2. elles sont descriptives parce que les cartes de crédit de BCL sont noires, et Amex ainsi que des tiers ont émis des cartes de crédit au Canada qui sont de couleur noire;

  3. elles sont descriptives parce que l’expression « blackcard » [carte noire] évoque une carte de paiement ou de crédit « haut de gamme »;

  • c) les marques de commerce donnent une description claire au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi.

[12]  La Commission a rejeté l’ensemble des motifs d’opposition invoqués par Amex après avoir conclu que celle-ci ne s’était pas acquittée de son fardeau initial de présenter « une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de [chaque] motif d’opposition » (2016 COMC 118, au paragraphe 12).

[13]  Eu égard à l’allégation de confusion fondée sur l’article 16 et l’alinéa 38(2)d) de la Loi, la Commission a statué qu’Amex n’avait pas produit d’élément de preuve admissible pour établir qu’elle avait employé la marque de commerce BLACK CARD avant la date pertinente. Plus précisément, la Commission a conclu que :

  • a) La marque de commerce BLACKCARD n’a pas été révélée au Canada avant la date pertinente, car il n’existe aucune preuve qu’Amex l’avait employée à des fins publicitaires.

  • b) Aucun poids ne peut être accordé à l’affidavit présentant les résultats des recherches effectuées sur Internet parce qu’il constitue une preuve par ouï-dire inadmissible.

  • c) Les mots « blackcard » [carte noire] dans des articles publiés par des tiers n’attestent pas d’un emploi ou d’une révélation de la marque de commerce.

  • d) Aucun élément de preuve ne permet de savoir combien de Canadiens ont pu lire les articles publiés par des tiers.

[14]  En ce qui concerne l’allégation du caractère descriptif invoqué en application de l’alinéa 38(2)d) de la Loi, l’offre généralisée de cartes de crédit de couleur noire a mené la Commission aux conclusions suivantes :

  • a) La couleur noire d’une carte de crédit ne peut être considérée comme une description de la nature ou de la qualité des services offerts.

  • b) Les documents censés attester de l’offre de cartes de crédit de couleur noire au Canada ont été présentés en noir et blanc, de sorte qu’il est impossible de distinguer les couleurs véritables des cartes en question.

  • c) Les documents produits en preuve du contenu de forums de discussion en ligne sont inadmissibles parce qu’aucune information n’a été fournie pour confirmer leur fiabilité.

  • d) À une exception près, aucun des documents censés illustrer le contenu de sites Web officiels de banques ne renvoie à des cartes noires.

  • e) Concernant l’unique mention d’une carte noire apparemment tirée du site Web officiel d’une banque, il est impossible de savoir à quel moment le contenu a été accessible en ligne.

[15]  Quant à l’allégation du caractère descriptif plaidée en application des alinéas 38(2)d) et 12(1)b) de la Loi et faisant valoir que l’expression « black card » [carte noire] évoque une carte de crédit « haut de gamme », la Commission a statué comme suit :

  • a) Ce motif n’a pas été plaidé aux termes de l’alinéa 12(1)b) de la Loi.

  • b) Les définitions des dictionnaires et le contenu des sites Web cité en preuve ne permettent d’établir que l’expression « blackcard » [carte noire] évoque une carte de crédit « haut de gamme ».

  • c) Les utilisateurs possibles n’auraient pas une impression immédiate de la nature ou de la qualité « haut de gamme » à partir du sens ordinaire des mots « blackcard » [carte noire].

IV.  Nouveaux éléments de preuve

[16]  Tel que les y autorise le paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce, Amex et BCL ont apporté de nouveaux éléments de preuve dans le cadre des appels.

[17]  Amex a présenté ses nouveaux éléments de preuve par la voie de six affidavits :

Affidavit de Dianne Cahill

[18]  Mme Cahill est présidente et administratrice générale d’American Express Marketing & Development Corp. à New York. Son affidavit présente un aperçu des marques de commerce canadiennes enregistrées par Amex, ainsi que de la façon dont les licences d’emploi sont octroyées à des sociétés mères et affiliées au Canada et aux États-Unis. La marque de commerce BLACK CARD n’y est mentionnée nulle part. Mme Cahill indique qu’en 1981, la société mère américaine d’Amex a enregistré la marque de commerce GOLD CARD aux États-Unis. En 1988, la cour du district sud de New York a conclu que la marque était une expression générique désignant une carte de couleur or.

Affidavit de Yael Rosen

[19]  Mme Rosen est directrice, marketing de contenu mondial, chez American Express Travel Related Services Company Inc. à New York. Elle parle de l’historique de la famille de cartes de couleur d’Amex, ainsi que de la mise au point et du lancement de la carte Centurion. Amex a lancé la carte Centurion aux États-Unis en 1999 pour mettre à profit les rumeurs concernant une carte noire [traduction] « ultra-exclusive ». Les titulaires de la carte Centurion ont été recrutés par une lettre d’invitation rédigée par le président d’Amex, Kenneth Chenault. Dans cette lettre, il était question d’une « black card » [carte noire]. Mme Rosen déclare que le titane dont est maintenant fabriquée la carte Centurion lui donne une apparence noire distinctive. Certains membres du public qui ne savent pas que la carte s’appelle Centurion en parlent tout simplement comme de la « Black Card » [carte noire]. Mme Rosen joint plusieurs pièces qui attestent du lien entre la carte Centurion et les mots « Black Card ». Ces pièces comprennent un rapport intitulé American Express in Pop Culture, par Siegel et Gay, dans lequel il est question des références à la « Black Card » d’Amex dans la culture populaire. Mme Rosen joint aussi un rapport interne indiquant des recherches effectuées avec les mots « black card », « black amex » et d’autres mots étroitement liés dans le site www.americanexpress.com en 2008, 2009 et 2010.

Affidavit de Tracy Hendricks

[20]  Mme Hendricks est vice-présidente et chef de la sécurité des paiements chez American Express Travel Related Services Company Inc., à New York. Elle explique que la carte Centurion est offerte à des clients d’American Express triés sur le volet pour préserver son aura de prestige. Elle décrit les avantages liés à la carte et précise que le nom Centurion ne figure pas sur le devant de celle-ci. Selon elle, la carte Centurion est reconnue comme la carte noire et la stratégie de marque d’Amex joue sur la thématique du noir. Mme Hendricks décrit le lancement de la carte Centurion au Canada en 2008. Sans divulguer le nombre exact de cartes émises annuellement, elle confirme qu’il se situe dans les milliers. En novembre 2008, Amex a envoyé à ses clients admissibles la [traduction] « Tentation et ravissement » dans laquelle il était question de la [traduction] « mystérieuse carte noire d’American Express ». Amex leur a ensuite envoyé des invitations officielles dans des boîtes noires spéciales, et la carte elle-même venait avec une trousse d’avantages de prestige offerts en guise de bienvenue. Afin de souligner le lancement, Amex a organisé un événement intitulé [traduction] « Matière noire – Soirée au Musée des beaux-arts de l’Ontario ».

[21]  Dans son affidavit, Mme Hendricks indique aussi qu’Amex entretient un lien étroit, par écrit ou par téléphone, avec les titulaires de la carte Centurion. Ils reçoivent des invitations à des événements exclusifs comme « Blackout on Bloor » à Toronto ou « Blackout on Burrard » à Vancouver. Dans l’affidavit, il est aussi question de l’emploi des mots « black card » [carte noire] dans une allocution livrée en janvier 2011 par Howard Grosfield, le président et chef de la direction d’Amex.

Affidavit de Julie Hetherington-Field

[22]  Mme Field est gestionnaire de la bibliothèque (services de référence et de législation) chez Osler, Hoskin & Harcourt LLP, à Toronto. On lui a demandé de relever des mentions des mots « black card » en lien avec des services de carte de crédit ou de paiement dans des publications, des sites Web et des blogues accessibles aux Canadiens. Elle a fait des recherches dans les bases de données suivantes : Google Search; Mega News; Canadian Publications (LexisNexis Quicklaw); et Canada Newswire (LexisNexis Quicklaw). Son affidavit est accompagné d’articles et de pages Web dans lesquels figurent les mots « black card », dont bon nombre sont antérieurs au 5 décembre 2008.

Affidavit de Patrick Sojka

[23]  M. Sojka a créé un site Web de ressources sur les programmes de fidélisation en ligne (www.RewardsCanada.ca) en 2001. Ce site est considéré par beaucoup comme l’une des ressources les plus importantes sur les récompenses liées aux voyages sur le Web. M. Sojka recourt à Google Analytics afin de surveiller la fréquentation de son site Web. Actuellement, plus de 60 000 visiteurs uniques le consultent chaque mois. En 2011, quelque 290 000 visiteurs l’ont consulté, dont 80 % au Canada, contre 35 000 environ en janvier 2008.

[24]  En avril 2008, dans l’article [traduction] « Le noir serait-il devenu le nouvel or? » publié sur son site Web, M. Sojka expliquait que : [traduction] « [l]es nouvelles cartes Infinite, de couleur noire comme de raison, sont désormais le haut de la gamme chez Visa. » Selon M. Sojka, ces cartes sont toujours offertes aujourd’hui et trônent au sommet de la hiérarchie des cartes de crédit Visa. Les cartes de crédit World Elite de MasterCard ont été lancées au Canada en 2010 et sont toujours offertes aujourd’hui. M. Sojka indique que les cartes World Elite, de couleur noire, trônent aussi au sommet de la hiérarchie des cartes de crédit MasterCard.

Affidavit de Christopher Butler

[25]  M. Butler est directeur des services administratifs pour Internet Archive, à San Francisco, en Californie. Internet Archive est un site Web qui donne accès à une bibliothèque numérique de sites Internet. Les services offerts englobent Wayback Machine, qui permet aux utilisateurs de chercher les adresses URL de dossiers archivés à une date passée précise. M. Butler joint des imprimés de sites Web archivés de 2005 à 2016. Ces imprimés attestent de l’emploi par le grand public de l’expression « black card » [carte noire] pour faire référence à la carte Centurion et de sa description comme une carte de prestige.

[26]  BCL se fonde sur les nouveaux éléments de preuve contenus dans les deux affidavits qui suivent :

Affidavit de Gay Owens

[27]  Mme Owens est recherchiste en marques de commerce chez Smart & Biggar, en Ontario. Le 10 mai 2017, elle a utilisé CDNameSearch Corp, un système informatique de recherche de marques de commerce mis à jour toutes les semaines par le Bureau des marques de commerce du Canada, afin de trouver des enregistrements de marque de commerce comprenant des noms de couleurs ou les mots « MY », « MON », « MA » suivis d’un terme générique. Elle joint des résultats de recherche sélectionnés à son affidavit.

Affidavit de William Geraghty

[28]  M. Geraghty est enquêteur principal chez XPERA Investigations à Whitby, en Ontario. XPERA offre des services d’enquête aux particuliers, aux entreprises, dans les domaines du droit et des assurances. Du 12 au 16 mai 2017. M. Geraghty a utilisé WayBack Machine afin de trouver de l’information dans les sites Web de six propriétaires de marques de commerce contenant un nom de couleur. Il avait pour mandat d’obtenir des imprimés datant de la fin de l’année 2013, si possible, ou la version suivante la plus récente. M. Geraghty indique qu’il a appelé un représentant du détaillant Target, qui l’a informé que ses cartes de débit et de crédit portant la marque de commerce déposée REDCARD sont offertes aux Canadiens depuis 2000.

V.  Questions en litige

[29]  Les questions en litige dans les présents appels sont les suivantes :

  1. Les appels concernant les sept demandes d’enregistrement de marque de commerce abandonnées sont-ils théoriques et, le cas échéant, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire de les trancher?

  2. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  3. Les marques de commerce en litige créent-elles de la confusion avec la marque de commerce non déposée BLACK CARD d’Amex, en violation de l’article 16 de la Loi sur les marques de commerce?

  4. Les marques de commerce en litige sont-elles non distinctives, en violation de l’alinéa 38(2)d) de la Loi?

  5. Les marques de commerce en litige donnent-elles une description claire, en violation de l’alinéa 12(1)b) de la Loi?

VI.  Discussion

A.  Les appels concernant les sept demandes d’enregistrement de marque de commerce abandonnées sont-ils théoriques et, le cas échéant, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire de les trancher?

[30]  Le 2 novembre 2017, BCL a abandonné 7 des 10 demandes d’enregistrement de marque de commerce visées par un appel, et elle a présenté une nouvelle demande pour la marque de commerce BLACKCARD. BCL soutient que les sept appels connexes sont par conséquent devenus théoriques. Amex affirme pour sa part qu’ils ne le sont pas. Subsidiairement, Amex demande à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher les appels théoriques.

[31]  La doctrine relative au caractère théorique découle de la pratique ou du principe d’ordre général voulant qu’un tribunal puisse refuser de se prononcer lorsque des questions sont hypothétiques ou abstraites, ou si la décision de la cour n’aurait aucun effet pratique sur les parties. La question essentielle est de savoir s’il existe un « litige actuel » ayant, ou pouvant avoir, des conséquences sur les droits des parties (Borowski, à la page 239).

[32]  Le critère à deux volets du caractère théorique exige que la Cour décide : a) si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique; b) si la réponse à la première question est affirmative, la Cour doit décider si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire (Borowski, à la page 239). Avant d’exercer sa discrétion, la Cour doit tenir compte de trois facteurs : i) l’existence d’un débat contradictoire entre les parties; ii) le souci de l’économie des ressources judiciaires; iii) la considération de la fonction véritable de la Cour dans l’élaboration du droit (Canada Bread Company Limited c La Tortilla Factory, 2016 CF 704, au paragraphe 20 [Canada Bread]).

[33]  Amex se fonde sur la décision Canada Post Corp c Mail Boxes Etc USA Inc (1997), 78 CPR (3d) 82, dans laquelle la juge Barbara Reed a tranché l’appel d’une décision rendue par la Commission malgré le retrait de la demande d’enregistrement de marque de commerce sous-jacente. L’intimée avait adressé une lettre à la Cour pour l’informer du retrait de la demande sous-jacente. L’appelante s’est opposée au motif qu’aucun avis de requête officiel n’avait été signifié. Le juge Max Teitelbaum avait ordonné que l’appel suive son cours. La juge Reed n’a pas poursuivi l’examen de l’argument procédural et l’intimée a choisi de ne pas participer à l’appel. Je conviens donc avec BCL que cette décision n’est pas vraiment éclairante.

[34]  En règle générale, le retrait d’une demande d’enregistrement de marque de commerce rend l’appel correspondant théorique (Sous-Tapis Dura Ltée c BASF Corp. (1998), 83 CPR (3d) 101, au paragraphe 14 [Dura]; Ingénieurs Canada c MMI-IPCO, LLC, 2015 CF 839, au paragraphe 21; Canada Bread, au paragraphe 23). Amex cherche à faire admettre que les trois présents appels sont différents parce que trois appels connexes sont en cours, et que BCL et Amex ont présenté de nouvelles demandes pour les marques de commerce BLACKCARD et BLACK CARD respectivement.

[35]  La Cour devra forcément se prononcer sur un certain nombre de questions communes aux dix appels initiaux dans son examen des appels mettant en cause les marques de commerce BLACK (et visuel), MY BLACKCARD et MY BLACKCARD REWARDS. Cependant, les décisions reposeront exclusivement sur le dossier présenté à la Cour. Tout éventuel litige, y compris ceux qui mettront en cause des demandes de marque de commerce concurrentes de BCL et d’Amex, sera tranché au vu des faits et de son bien-fondé (Dura, au paragraphe 25). Le cas échéant, de nouveaux éléments de preuve pourront être introduits et les dates pertinentes pourront changer. Amex convient qu’elle ne demande pas à la Cour de prononcer un jugement déclaratoire ou des directives qui auraient pour effet de lier le Registraire des marques de commerce aux demandes les plus récentes.

[36]  Je conclus par conséquent que le véritable litige entre les parties pour ce qui concerne les sept demandes d’enregistrement de marque de commerce abandonnées a disparu et que les questions soulevées dans les appels connexes sont devenues théoriques. Le souci d’économie des ressources judiciaires et la prise en considération de la fonction véritable de la Cour, surtout pour ce qui a trait au rôle indépendant du Registraire des marques de commerce, militent fortement contre l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’entendre les appels devenus théoriques par suite du retrait des demandes sous-jacentes. Je m’abstiendrai donc de le faire.

B.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[37]  Le contrôle par notre Cour des décisions de la Commission est assujetti à la norme de la décision raisonnable, à moins que ne soient introduits en appel de nouveaux éléments de preuve qui auraient influencé sensiblement la conclusion de fait de la Commission ou la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire (Philip Morris Products S.A. c Imperial Tobacco Canada Limited, 2014 CF 1237, au paragraphe 47 [Philip Morris]). Pour être réputés déterminants, les nouveaux éléments de preuve doivent être importants et significatifs, c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas être une simple répétition de ceux que la Commission avait à sa disposition. Il s’agit d’un critère de qualité et non de quantité (Philip Morris, au paragraphe 48). Si de nouveaux éléments de preuve importants sont introduits, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[38]  Amex affirme que la norme de la décision correcte s’applique en l’espèce parce que les nouveaux éléments de preuve sont pertinents et qu’ils remédient aux lacunes que la Commission a relevées dans la preuve. BCL estime à l’inverse que la norme de la décision raisonnable continue de s’appliquer parce qu’Amex a de nouveau échoué à présenter une preuve suffisante pour établir les faits invoqués à l’appui de chacun de ses motifs d’opposition.

[39]  L’affidavit de Mme Hendricks présente des éléments de preuve sur deux situations dans lesquelles Amex a employé les mots « black card », soit dans le cadre de ce qui pourrait être décrit comme une campagne d’accroche (la lettre [TRADUCTION] « Tentation et ravissement » envoyée à des clients triés sur le volet en novembre 2008) et dans les notes pour l’allocution de M. Grosfield en janvier 2011. Ces éléments de preuve sont importants parce qu’ils auraient pu influer sur les conclusions de fait de la Commission concernant l’allégation de confusion fondée sur l’article 16 de la Loi, ainsi que celle de l’absence de caractère distinctif fondée sur l’alinéa 38(2)d).

[40]  L’affidavit de M. Sojka aborde certaines des réserves soulevées par la Commission concernant les éléments de preuve présentés par Amex sur l’absence alléguée de caractère distinctif des marques de commerce en litige. M. Sojka y indique les dates auxquelles son site Web était consultable au Canada et le nombre de visiteurs uniques pour des années précises. Cet élément de preuve est important parce qu’il aurait pu avoir une incidence sur les conclusions de fait de la Commission eu égard à l’allégation d’absence de caractère distinctif fondée sur l’alinéa 38(2)d) de la Loi.

[41]  La Commission a conclu qu’Amex n’a pas plaidé selon les règles son allégation fondée sur l’alinéa 12(1)b) de la Loi comme quoi les marques de commerce en litige donnent une description claire. La Commission a néanmoins examiné le bien-fondé de l’allégation. Sous réserve du point procédural, les éléments de preuve présentés par M. Sojka remédient à certaines des lacunes que la Commission a relevées dans la preuve pour ce motif d’opposition, ce qui les rend donc importants.

[42]  Je conclus qu’il convient de trancher les appels selon la norme de la décision correcte. Il convient d’examiner les décisions de la Commission à la lumière de l’ensemble des preuves, tant nouvelles qu’anciennes, et la Cour doit arriver à sa propre conclusion (Mövenpick Holding AG c Exxon Mobil Corporation, 2011 CF 1397, au paragraphe 10; Shell Canada Limitée c P.T. Sari Incofood Corporation, 2008 CAF 279, au paragraphe 22). La retenue qui est due envers l’expertise de la Commission est réduite, mais pas éliminée (Mcdowell c Laverana GmbH & Co. KG, 2016 CF 1276, au paragraphe 12, citant Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 37).

C.  Les marques de commerce en litige créent-elles de la confusion avec la marque de commerce non déposée BLACK CARD d’Amex, contrairement à l’article 16 de la Loi sur les marques de commerce?

[43]  L’alinéa 16(3)a) de la Loi sur les marques de commerce dispose comme suit :

16 (3) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard des produits ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n’ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

16 (3) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a proposed trade-mark that is registrable is entitled, subject to sections 38 and 40, to secure its registration in respect of the goods or services specified in the application, unless at the date of filing of the application it was confusing with

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

[44]  Amex a le fardeau initial de prouver qu’elle a employé ou révélé la marque de commerce BLACK CARD au Canada. Les dates pertinentes pour déterminer si une confusion existe en violation de l’article 16 de la Loi sur les marques de commerce correspondent aux dates de priorité des demandes de BCL, savoir le 2 février et le 3 mars 2009.

[45]  La Commission a conclu que la preuve présentée par Amex ne suffisait pas pour établir qu’elle a employé ou révélé la marque de commerce non déposée BLACK CARD au Canada. Amex invoque maintenant les éléments de preuve contenus dans l’affidavit de Mme Hendricks, et particulièrement la référence à la [traduction] « mystérieuse carte noire » dans la lettre [TRADUCTION] « Tentation et ravissement » envoyée aux clients en 2008, ainsi que dans les notes pour une allocution livrée par M. Grosfield en 2011. Cependant, cette allocution a été livrée après les dates pertinentes pour établir l’existence d’une confusion et ne peut donc être invoquée comme preuve qu’Amex a employé ou révélé la marque de commerce BLACK CARD au Canada avant 2009.

[46]  Je ne suis pas convaincu que la lettre [TRADUCTION] « Tentation et ravissement » permet d’établir que la marque de commerce BLACK CARD a été employée ou révélée au Canada avant les dates pertinentes. La question est de savoir si une marque de commerce est annoncée ou affichée en liaison avec la fourniture de services (Loi sur les marques de commerce, article 5). Quand elle a envoyé la lettre [TRADUCTION] « Tentation et ravissement » à ses clients, Amex n’offrait pas encore la carte Centurion ou les services s’y rattachant au Canada. Qui plus est, l’énoncé [traduction] « mystérieuse carte noire » était purement descriptif. Amex reconnaît que les mentions de sa « black card » [carte noire] dans des articles publiés par des tiers ne peuvent être assimilées à une annonce ou à un emploi d’une marque de commerce au sens du paragraphe 4(2) et de l’article 5 de la Loi.

[47]  Au vu des éléments de preuve anciens et nouveaux, je conclus qu’Amex ne s’est pas acquittée de son fardeau initial d’établir qu’elle avait employé ou révélé la marque de commerce BLACK CARD en liaison avec la fourniture de marchandises ou de services avant le 2 février et le 3 mars 2009 inclusivement.

D.  Les marques de commerce en litige sont-elles non distinctives, en violation de l’alinéa 38(2)d) de la Loi sur les marques de commerce?

[48]  L’alinéa 38(2)d) de la Loi dispose que :

38 (2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

[…]

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

38 (2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

[…]

(d) that the trade-mark is not distinctive.

[49]  Amex allègue que les marques de commerce que propose BCL ne possèdent aucun attribut distinctif pour trois motifs :

  • a) elles prêtent à confusion par leur similarité avec la marque de commerce non déposée BLACKCARD d’Amex et sa carte Centurion, de couleur noire;

  • b) Elles sont descriptives parce que les cartes de crédit de BCL sont noires et des tiers ont aussi émis des cartes de crédit de couleur noire au Canada.

  • c) Elles sont descriptives parce que l’expression « blackcard » [carte noire] évoque une carte de paiement ou de crédit « haut de gamme ».

[50]  La date pertinente pour établir le caractère descriptif au sens de l’alinéa 38(2)d) de la Loi correspond à la date de production de la déclaration d’opposition, le 27 décembre 2013. Amex a le fardeau initial d’établir qu’elle a employé et révélé la marque de commerce non déposée BLACK CARD avant cette date.

[51]  Le moyen tiré du caractère non distinctif visé à l’alinéa 38(2)d) de la Loi ne se limite pas à la prestation réelle des services. La preuve d’une connaissance ou d’une notoriété obtenue par la voie d’articles de journaux ou de magazines peut aussi être prise en considération, ainsi que tout élément de preuve tendant à établir le caractère non distinctif (Stink Inc. c Salt & Pepper Holdings Ltd., 2001 CFPI 549, au paragraphe 28, citant Motel 6, Inc. v No. 6 Motel Ltd., 1981, 56 CPR (2d) 44, aux paragraphes 58 et 59).

[52]  Outre les éléments de preuve présentés à la Commission, Amex se fonde sur la lettre [traduction] « Tentation et ravissement » envoyée à certains clients, les notes de l’allocution livrée par M. Grosfield, ainsi que sur des articles et des pages Web joints aux affidavits de Mme Field et de MM. Butler et Rosen. Même si ces éléments de preuve témoignent d’une certaine association faite par le public entre des cartes de paiement ou de crédit noires et la carte Centurion d’Amex aux moments pertinents, ils ne suffisent aucunement pour établir que la marque de commerce non déposée BLACK CARD d’Amex a été employée ou révélée avant le 27 décembre 2013.

[53]  La Commission a constaté qu’Amex n’a pas fourni de preuve indiquant un nombre précis de cartes de crédit émises sous la marque de commerce BLACK CARD au Canada, ou qu’elle a mené des campagnes publicitaires dans les principaux journaux et les principales publications imprimées au Canada pour promouvoir sa carte de crédit en liaison avec la marque de commerce BLACK CARD (2016 COMC 118, au paragraphe 41). Elle n’a pas encore à ce jour fourni ces éléments de preuve. Les articles de tiers produits par Amex offrent une preuve faible ou anecdotique à l’égard de la notoriété et de la connaissance du grand public.

[54]  Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les nouveaux éléments de preuve présentés par Amex établissent que les marques de commerce en litige ne sont pas distinctives en raison de leur similarité créant de la confusion avec la marque de commerce non déposée BLACK CARD ou la carte Centurion. Une fois de plus, Amex ne s’est pas acquittée de son fardeau de la preuve à cet égard.

[55]  La lettre [TRADUCTION] « Tentation et ravissement » a été envoyée à certains clients d’Amex triés sur le volet pour préserver la nature « ultra-exclusive » de la carte Centurion. Les mots « black card » [carte noire] dans les notes d’allocution de M. Grosfield, en supposant qu’il s’en est tenu à ces notes, ont été entendus seulement par les personnes présentes dans un hôtel de Toronto.

[56]  L’affidavit de M. Sojka établit que Visa et MasterCard ont émis des cartes haut de gamme, de couleur noire pour la plupart, depuis 2008 et 2010 respectivement au Canada. M. Sojka a aussi présenté des renseignements sur le nombre de visiteurs de son site Web et la date à laquelle son article était consultable. Pour la majeure partie, ces faits sont antérieurs aux dates pertinentes et évoquent simplement la possibilité que le public fasse une association entre les cartes de crédit noires et les services haut de gamme ou de prestige. Amex n’a présenté aucun élément de preuve sur l’étendue de l’utilisation de cartes noires au Canada, ou du moins aucune preuve suffisante pour réfuter le caractère distinctif des marques de commerce en litige aux dates pertinentes.

[57]  Amex n’a pas non plus fait la démonstration que ces marques ne sont pas distinctives parce que la couleur noire évoque une carte de paiement ou de crédit « haut de gamme ». Amex a présenté certains éléments de preuve à l’appui de cette thèse, mais elle n’est pas parvenue à établir que le public associe manifestement la couleur noire à des cartes de paiement ou de crédit « haut de gamme ». Le dossier produit dans la présente instance ne permet pas de répondre à la question [traduction] « Le noir serait-il devenu le nouvel or? » de M. Sojka.

[58]  Les conclusions qui précèdent rendent inutile tout examen des autres éléments distinctifs des marques de commerce en litige, et notamment du mot « MY » dans « MY BLACKCARD » et « MY BLACKCARD REWARDS », ou de l’absence du mot « CARD » dans « BLACK » (et visuel).

E.  Les marques de commerce en litige donnent-elles une description claire, en violation de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce?

[59]  L’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce dispose que :

12 (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou en liaison avec lesquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou de leur lieu d’origine;

12 (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[…]

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the goods or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

[60]  Les dates pertinentes pour établir si l’alinéa 12(1)b) de la Loi a été enfreint sont les dates de priorité des demandes, soit le 2 février et le 3 mars 2009. Le critère consiste à déterminer si une marque de commerce donne une description claire de la nature des produits ou services. Il faut l’examiner du point de vue du détaillant ou du consommateur moyen, ou de l’utilisateur fréquent du type de produits ou de services en jeu (Wool Bureau of Canada Ltd v Canada (Registrar of Trade Marks, 1978, 40 CPR (2d) 25, au paragraphe 27).

[61]  Amex se fonde sur la description que fait Mme Hendricks du lancement, de l’émission et de la promotion de la carte Centurion, et indique que sa stratégie de marketing visait à établir un lien entre les services prestigieux et exclusifs et les cartes de paiement ou de crédit noires. Amex affirme qu’il est maintenant bien connu au Canada qu’une aura « haut de gamme » est associée aux cartes noires, comme en témoignent les imprimés de sites Web joints aux affidavits de Mmes Stecyk et Field, ainsi qu’à celui de M. Butler. Comme il a déjà été mentionné, l’affidavit de M. Sojka confirme que depuis 2008, Visa offre une carte haut de gamme qui est presque totalement noire.

[62]  La Commission a conclu que ce motif d’opposition n’avait pas été plaidé selon les règles en raison de l’insuffisance de détails. Même si je peux concevoir que ce motif puisse être invoqué à l’appui des présents appels et même si je prends en considération les nouveaux éléments de preuve présentés par Amex, je ne crois pas qu’elle s’est acquittée de son fardeau de preuve initial. Ces nouveaux éléments de preuve nous apprennent que certains Canadiens peuvent associer les cartes de paiement ou de crédit de couleur noire à des services de prestige ou haut de gamme, mais c’est insuffisant pour établir que les termes BLACK ou BLACKCARD donnent une description « claire ».

[63]  Le mot « claire » dénote quelque chose d’évident ou de simple (Drackett Co. of Canada v American Home Products Corp, 1968, 55 CPR 29, au paragraphe 34). Dans sa plaidoirie, Amex a reconnu que son motif d’opposition aux marques de commerce proposées fondé sur l’alinéa 12(1)b) de la Loi est le plus faible de tous ceux qu’elle a invoqués. Je suis d’accord. Les éléments de preuve qu’Amex a produits à l’appui des présents appels n’établissent pas que la couleur noire d’une carte de paiement ou de crédit constitue une description claire de la nature ou la qualité des services offerts, ni que le sens ordinaire des mots formant la marque de commerce donne aux utilisateurs des services une impression immédiate de leur nature ou de leur qualité.

VII.  Conclusion

[64]  Les appels connexes aux sept demandes d’enregistrement de marque de commerce abandonnées sont théoriques et la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de les trancher. En ce qui concerne les appels liés à BLACK (et visuel), MY BLACKCARD et MY BLACKCARD REWARDS, Amex ne s’est pas déchargée de son fardeau initial d’établir les faits essentiels à l’appui de l’un ou l’autre des motifs d’opposition invoqués. Les appels sont donc rejetés.

[65]  Si les parties sont incapables de s’entendre sur les dépens, BCL pourra déposer des observations écrites tenant sur moins de cinq (5) pages dans les quatorze (14) jours suivant la date du présent jugement. Amex disposera par la suite de quatorze (14) jours pour déposer des observations écrites tenant sur moins de cinq (5) pages en réponse.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Les appels dans les dossiers T-1547-16, T-1548-16, T-1549-16, T-1550-16, T-1551-16, T-1552-16, T-1553-16, T-1554-16, T-1555-16 et T-1557-16 sont rejetés.

  2. Si les parties sont incapables de s’entendre sur les dépens, BCL pourra déposer des observations écrites tenant sur moins de cinq (5) pages dans les quatorze (14) jours suivant la date du présent jugement. Amex disposera par la suite de quatorze (14) jours pour déposer des observations écrites tenant sur moins de cinq (5) pages en réponse.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1547-16

 

INTITULÉ :

AMERICAN EXPRESS MARKETING & DEVELOPMENT CORP. c BLACK CARD, LLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Vincent M. de Grandpré

Laurent Paulin

Pour la demanderesse

Daniel M. Anthony

 

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

OSLER, HOSKIN & HARCOURT S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

SMART & BIGGAR

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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