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Date : 20180405


Dossier : T-979-17

Référence : 2018 CF 366

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 avril 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

KATHLEEN MAHOOD ET

LE TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE ET L’ADMINISTRATION CANADIENNE DE LA SÛRETÉ DU TRANSPORT AÉRIEN

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Exposé des faits

[1]  Le 21 octobre 2015, Mme Kathleen Mahood a saisi la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) d’une plainte contre l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA). Mme Mahood allègue que les agents de contrôle de l’ACSTA à l’aéroport de Calgary ont fait preuve de discrimination à son égard parce qu’elle utilise de la marijuana médicale pour traiter ses incapacités. Après examen, la Commission a déféré son dossier au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal).

[2]  Les événements allégués ont été enregistrés par le système de surveillance par télévision en circuit fermé de l’ACSTA, qui a la vidéo en sa possession. L’ACSTA et Mme Mahood conviennent que la vidéo de surveillance est pertinente au litige. Cependant, l’ACSTA estime que cette vidéo révèle [traduction] « la teneur d’une mesure de sûreté dont la communication illicite est interdite par le paragraphe 4.79(1) de la Loi sur l’aéronautique et le paragraphe 32(2) de la Loi sur l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien ».

[3]  L’ACSTA a demandé au Tribunal de prononcer une ordonnance interdisant la publication ou la communication de tout élément de preuve lié à la vidéo de surveillance, ainsi qu’une ordonnance enjoignant aux autres parties à l’instance de se présenter au bureau de l’ACSTA pour la visionner plutôt que d’en faire une copie. Conformément à l’article 4.79 de la Loi sur l’aéronautique, le dossier de requête de l’ACSTA, y compris un affidavit résumant la nature de la mesure de sûreté en cause, a été signifié au ministre pour qu’il puisse formuler ses observations.

[4]  Le procureur général du Canada (au nom du ministre) s’est opposé à ce que les autres parties puissent prendre connaissance de ses observations sur la communication de la vidéo de surveillance parce que la Loi prévoit la tenue d’une instance ex parte, distincte de la requête de l’ACSTA devant le Tribunal. Le Tribunal a examiné les arguments du ministre et a rendu sa décision le 21 juin 2017. Cette décision fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire dont a été saisie notre Cour. La plainte de Mme Mahood en matière de droits de la personne n’a pas encore été entendue.

[5]  Pour les motifs exposés ci-après, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La question principale que devait trancher le Tribunal canadien des droits de la personne touchait à la procédure appropriée aux fins d’autorisation de la production et de l’examen d’une mesure de sécurité en application du paragraphe 4.79(2) de la Loi sur l’aéronautique.

[7]  Le Tribunal a relevé [traduction] « qu’il n’existe guère de jurisprudence exposant la procédure à suivre pour déterminer si une mesure de sécurité devrait être communiquée en application de l’article 4.79 de la Loi ». Il ajoute que le paragraphe 4.79(1) interdit la communication d’une mesure de sûreté sauf si elle est légalement exigée. Par ailleurs, le Tribunal a souligné que les parties avaient convenu de la pertinence probable de la vidéo de surveillance pour l’étude de la plainte, et que sa production était par conséquent exigée par la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 (LCDP) et les Règles de procédure du Tribunal. Il conclut que la vidéo de surveillance [traduction] « n’est pas visée par l’interdiction de communication énoncée au paragraphe 4.79(1), mais plutôt par l’exception ». Autrement dit, la communication est légalement exigée.

[8]  À l’égard du paragraphe 4.79(2), le Tribunal précise que la Loi l’enjoint explicitement à examiner la mesure de sûreté et à entendre les observations du ministre à huis clos. Le ministre soutient quant à lui que l’audience doit être tenue ex parte. De l’avis du Tribunal, il s’agirait d’une [traduction] « dérogation extraordinaire à l’exigence de justice naturelle ». Le Tribunal observe par surcroît que les exigences d’équité procédurale sont encore plus impératives si une partie se représente elle-même, comme c’est le cas de Mme Mahood.

[9]  Il mentionne d’autres dispositions de la Loi sur l’aéronautique dans lesquelles le législateur a jugé à propos d’exiger la tenue d’une instance ex parte (paragraphes 4.5(2), 8.7(5) et 14(4)). Ce n’est pas le cas du paragraphe 4.79(2). Le Tribunal conclut que [traduction] « le législateur prévoit expressément une instance ex parte dans les trois situations visées par les dispositions susmentionnées, mais cette exigence est absente du paragraphe 4.79(2). Il faut en déduire qu’il n’a pas envisagé que les instances visant la production ou l’examen des renseignements concernés soient tenues ex parte. »

[10]  Le Tribunal statue comme suit au paragraphe 53 de sa décision :

[traduction]
[53]  Compte tenu des circonstances de l’espèce, la procédure prévue à l’article 4.79 de la Loi sur l’aéronautique est la suivante :

1.  Toute demande de production ou d’examen d’une mesure de sûreté (conformément à la Loi) doit être notifiée au ministre.

2.  Sous réserve d’un préavis raisonnable aux parties et au ministre, une audience à huis clos doit être tenue, au cours de laquelle :

a.  le ministre doit avoir la possibilité raisonnable de présenter des observations au sujet de la mesure de sûreté;

b.  la mesure de sûreté doit être examinée par le Tribunal;

c.  les parties doivent avoir la possibilité de présenter des observations concernant la mesure de sûreté et les questions d’intérêt public en jeu;

d.  le Tribunal doit décider si, en ce qui concerne la demande de production ou d’examen de la mesure de sûreté, l’intérêt public dans la bonne administration de la justice l’emporte sur l’intérêt public dans la sûreté aérienne;

  1. si le Tribunal ordonne la production ou l’examen de la mesure de sûreté, il doit déterminer :

1.  s’il doit imposer des restrictions ou des conditions,

2.  si une personne doit être obligée de fournir des preuves relatives à la mesure de sûreté.

3.  malgré ce qui précède et s’il le juge indiqué, le Tribunal peut tenir une audience ex parte pour entendre des témoignages ou des observations concernant la mesure de sûreté.

[11]  La commissaire a prononcé l’ordonnance suivante :

[traduction]

i.  Une audience sera tenue à Ottawa conformément au paragraphe 4.79(2) de la Loi sur l’aéronautique, à une date et à un lieu fixés par le greffier en consultation avec les parties et l’avocat du ministre (l’audience sur la confidentialité).

ii.  Avant l’audience sur la confidentialité, le ministre prendra des dispositions avec le greffe en vue de l’examen de la mesure de sûreté par la commissaire.

iii.  L’audience sur la confidentialité se déroulera à huis clos et, le cas échéant, les documents seront déposés sous scellés.

iv.  Le ministre informera le greffier de toute autre mesure de sécurité requise en vue de l’audience sur la confidentialité.

v.  Si le ministre souhaite présenter une partie de ses observations de façon ex parte, il devra soumettre sa requête au début de l’audience sur la confidentialité.

III.  Dispositions législatives pertinentes

4.79 (1) Sauf si le ministre soustrait la mesure de sûreté à l’application du présent paragraphe en vertu du paragraphe 4.72(3), seule la personne qui a pris la mesure peut en communiquer la teneur, sauf si la communication est soit légalement exigée, soit nécessaire pour la rendre efficace.

4.79 (1) Unless the Minister states under subsection 4.72(3) that this subsection does not apply in respect of a security measure, no person other than the person who made the security measure shall disclose its substance to any other person unless the disclosure is required by law or is necessary to give effect to the security measure.

(2) Dans le cadre d’une procédure engagée devant lui, le tribunal ou tout autre organisme habilité à exiger la production et l’examen de renseignements et qui est saisi d’une demande à cet effet relativement à une mesure de sûreté aérienne fait notifier la demande au ministre si celui-ci n’est pas déjà partie à la procédure et, après examen de ces éléments à huis clos, lui donne la possibilité de présenter ses observations à ce sujet.

(2) If, in any proceedings before a court or other body having jurisdiction to compel the production or discovery of information, a request is made for the production or discovery of any security measure, the court or other body shall, if the Minister is not a party to the proceedings, cause a notice of the request to be given to the Minister, and, in camera, examine the security measure and give the Minister a reasonable opportunity to make representations with respect to it.

(3) S’il conclut que, en l’espèce, l’intérêt public en ce qui touche la bonne administration de la justice a prépondérance sur l’intérêt public en ce qui touche la sûreté aérienne, le tribunal ou autre organisme doit ordonner la production et l’examen de la mesure de sûreté, sous réserve des restrictions ou conditions qu’il juge indiquées; il peut en outre enjoindre à toute personne de témoigner au sujet de la mesure.

(3) If the court or other body concludes in the circumstances of the case that the public interest in the proper administration of justice outweighs in importance the public interest in aviation security, the court or other body shall order the production or discovery of the security measure, subject to any restrictions or conditions that the court or other body considers appropriate, and may require any person to give evidence that relates to the security measure.

IV.  Questions en litige

[12]  La présente affaire soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. Des circonstances particulières justifient-elles que la décision du Tribunal, de nature interlocutoire, soit soumise à un contrôle judiciaire? La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?

  3. Le tribunal a-t-il commis une erreur dans son interprétation de l’article 4.79 de la Loi sur l’aéronautique?

V.  Observations et discussion

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[13]  De l’avis du demandeur, l’interprétation de l’article 4.79 de la Loi par le tribunal est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. Toutefois, il estime que l’interprétation de la question de savoir si la production de la vidéo de surveillance est légalement exigée (en application de la LCDP et des Règles de procédure du Tribunal) est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[14]  L’ACSTA défenderesse ne s’est pas prononcée sur les observations du demandeur à cet égard. La Commission défenderesse fait valoir que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable.

[15]  Je suis d’accord avec le demandeur sur ce point. Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], la Cour suprême affirme au paragraphe 62 que le processus de contrôle judiciaire comporte deux étapes. Premièrement, la Cour doit décider si la jurisprudence a déjà établi « de manière satisfaisante » le degré de déférence à accorder. Deuxièmement, si la première étape se révèle « infructueuse », la Cour doit procéder à une analyse afin de déterminer la norme de contrôle applicable. En l’absence de jurisprudence antérieure sur le degré de déférence à accorder dans le type d’audience qui nous intéresse, notre Cour doit soupeser les différents facteurs énoncés par la Cour suprême au paragraphe 64 de l’arrêt Dunsmuir :

L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont 1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, 2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, 3) la nature de la question en cause et 4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.

[16]  En revanche, la Cour Suprême a également écrit au paragraphe 60 :

[...] dans le cas d’une question de droit générale « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » (Toronto (Ville) c S.C.F.P., par. 62, le juge LeBel), la cour de révision doit également continuer de substituer à la décision rendue celle qu’elle estime constituer la bonne. Pareille question doit être tranchée de manière uniforme et cohérente étant donné ses répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble.

[17]  Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal a interprété une disposition de la Loi sur l’aéronautique, qui ne relève pas de son domaine d’expertise. À mon avis, l’interprétation de l’article 4.79 de la Loi par le Tribunal est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, et son interprétation du paragraphe 4.79(1) afin de déterminer si la production de la vidéo de surveillance est légalement exigée est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[18]  Les parties admettent qu’il n’existe guère de jurisprudence sur l’interprétation de l’article 4.79 et la procédure à suivre. Il était demandé à la commissaire de faire cette interprétation. Vu les circonstances, je ne relève aucune erreur dans son interprétation de l’article 4.79 de la Loi sur l’aéronautique. J’aborderai plus loin le caractère raisonnable de la décision quant à l’exigence légale de produire la vidéo de surveillance.

B.  Existe-t-il des circonstances particulières?

[19]  L’avocat de la Commission défenderesse soutient que la demande est prématurée et que le demandeur devrait pouvoir présenter ses arguments seulement après que le Tribunal aura rendu sa décision sur la procédure à suivre pour l’audition des objections.

[20]  L’avocat de la Commission reproche en outre au demandeur de chercher à créer un contexte propice au dépôt de plusieurs demandes de contrôle judiciaire.

[21]   À mon avis, la présente demande du procureur général est prématurée.

[22]  Je suis d’accord avec la Commission que le demandeur devra attendre que le Tribunal ait déterminé la procédure à suivre à l’audience pour faire valoir ses arguments. De plus, la commissaire a clairement indiqué qu’elle visionnerait la vidéo de surveillance avant l’audience sur la confidentialité. À la lumière de ce qui précède, je ne suis pas d’accord avec le demandeur que l’audience entraînera un risque pour la sécurité nationale puisque les parties ne visionneront pas la vidéo de surveillance à ce moment. Le demandeur devra attendre que le Tribunal rende sa décision concernant la communication de la vidéo de surveillance avant de présenter la présente demande.

C.  Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans son interprétation de l’article 4.79?

[23]  Le demandeur soutient que le Tribunal a commis trois erreurs susceptibles de contrôle : 1) il a conclu à tort que la production de la vidéo de surveillance est légalement exigée; 2) il a conclu à tort que son interprétation ne va pas à l’encontre de l’objet de l’article 4.79; 3) il a conclu à tort que l’emploi de l’expression ex parte ailleurs dans la Loi indique une intention du législateur que l’audience visée au paragraphe 4.79(2) se déroule en présence de toutes les parties.

[24]  L’ACSTA défenderesse s’est dite essentiellement d’accord avec le demandeur sur la question de l’examen de la mesure de sûreté visée à l’article 4.79 de la Loi, mais elle a tenu à apporter quelques nuances, y compris pour revendiquer son droit de participer à l’examen de la mesure de sûreté puisqu’elle a déjà la vidéo de surveillance en sa possession.

[25]  La Commission défenderesse soutient que le Tribunal n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’article 4.79 de la Loi sur l’aéronautique. Elle fait aussi valoir que la question centrale dans la présente demande est celle de l’interprétation des lois.

1)  Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la production de la vidéo de surveillance est légalement exigée?

[26]  Le demandeur soutient que la conclusion du Tribunal selon laquelle la production de la vidéo de surveillance est légalement exigée n’appartient pas aux issues possibles acceptables. Il invoque tout d’abord les paragraphes 50(3) et(4) de la LCDP, qui établissent les pouvoirs du Tribunal en matière de preuve. Le paragraphe 50(4) énonce que le Tribunal « ne peut admettre en preuve les éléments qui, dans le droit de la preuve, sont confidentiels devant les tribunaux judiciaires ». Le demandeur cite également le paragraphe 6(4) des Règles de procédure du Tribunal, selon lequel : « Si une partie a fait mention d’un document conformément à l’alinéa 6(1)d), elle doit en fournir une copie à toutes les autres parties. » Enfin, le demandeur renvoie à l’alinéa 6(1)d) des Règles de procédure du Tribunal :

Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant [...] les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle

[27]  Le demandeur relève que l’ACSTA a inscrit la vidéo de surveillance dans la liste de documents produite conformément à l’alinéa 6(1)e) et pour lesquels elle invoque un privilège de non-divulgation. Le demandeur affirme que les Règles de procédure n’obligent pas l’ACSTA à produire les documents visés par son privilège de non-divulgation et que, de ce fait, le Tribunal a déraisonnablement conclu que la production de la vidéo de surveillance est « légalement exigée » par la LCDP et les Règles de procédure.

[28]  La Commission défenderesse réplique que puisque l’ACSTA a déjà la vidéo de surveillance en sa possession, il lui revient d’établir que sa production n’est pas légalement exigée. De plus, ajoute la Commission, l’argument du demandeur est vicié. La LCDP et les Règles de procédure du Tribunal disposent que chaque partie doit avoir une possibilité réelle de faire valoir ses arguments. L’article 6 des Règles de procédure du Tribunal prévoit que les parties doivent divulguer toutes les pièces pertinentes à l’objet de l’audience. En l’espèce, la Commission défenderesse soutient que la vidéo de surveillance non seulement serait probablement pertinente, mais qu’elle constitue un élément cardinal de l’affaire devant le Tribunal. De plus, les deux parties à la plainte ont indiqué qu’elles comptaient invoquer la vidéo à l’appui de leur argumentation devant le Tribunal.

[29]  Je ne puis retenir l’allégation selon laquelle le Tribunal a conclu à tort que la production de la vidéo de surveillance est légalement exigée. Toutefois, l’ACSTA a bel et bien inscrit la vidéo de surveillance sur la liste visée à l’alinéa 6(1)e), comme elle l’a indiqué dans ses observations :

[traduction]
L’ACSTA a tenu pour acquis que les privilèges prévus par la loi en matière d’intérêt public et de sécurité nationale s’appliquent à la vidéo de surveillance et l’a donc inscrit sur la liste des documents pertinents à la procédure, conformément aux Règles de procédure du Tribunal. L’ACSTA a néanmoins fait savoir qu’elle communiquerait la vidéo de surveillance si les mesures voulues sont mises en place concernant son utilisation et sa communication.

[Non souligné dans l’original.]

[30]  Le Tribunal a correctement statué que la vidéo de surveillance serait probablement pertinente à l’étude de la plainte et que, par conséquent, sa production serait exigée aux termes de la LCDP et des Règles de procédure du Tribunal. La commissaire a souligné que l’ACSTA et la plaignante considèrent toutes les deux que la vidéo de surveillance est pertinente à l’étude de la plainte.

[31]  L’ACSTA a proposé une approche souple pour concilier l’intérêt de la bonne administration de la justice et celui du public en matière de sûreté aérienne. Elle a inscrit la vidéo de surveillance sur la liste visée à l’alinéa 6(1)e) essentiellement pour éviter que le grand public y ait accès, aucunement pour empêcher Mme Mahood de la visionner. Étant donné que l’ACSTA a estimé juste de donner à Mme Mahood la possibilité de visionner la vidéo sous réserve de certaines mesures de confidentialité, je crois que le Tribunal a interprété correctement le paragraphe 4.79(1).

2)  Le Tribunal a-t-il conclu à tort que son interprétation ne va pas à l’encontre de l’objet de l’article 4.79 de la Loi?

[32]  Le demandeur soutient que même si la production de la vidéo de surveillance n’est pas interdite par le paragraphe 4.79(1), l’interprétation que donne le Tribunal au paragraphe 4.79(2) trahit l’objet de la Loi et produit des conséquences absurdes. De l’avis du demandeur, l’audience prévue au paragraphe 4.79(2) doit permettre à la Cour ou à une autre instance de décider s’il y a lieu d’autoriser la production d’une mesure de sûreté aux parties à la procédure. L’argument du demandeur est le suivant :

[Traduction] Si le but de l’audience est de déterminer s’il y a lieu d’autoriser la production ou l’examen de la mesure de sûreté dans le contexte de l’ensemble de la procédure, alors l’objet des paragraphes 4.79(2) et 4.79(3) est trahi si toutes les parties présentes à l’audience visée au paragraphe 4.79(2) y ont accès.

[33]  Je crois que le demandeur se trompe. Le Tribunal a clairement indiqué qu’il examinerait la mesure de sûreté avant [traduction] « l’audience sur la confidentialité ». Cette audience permettra d’entendre les observations des parties quant à la raison pour laquelle elles devraient être autorisées à visionner la vidéo de surveillance, mais elles ne la visionneront pas. À cet égard, je suis d’accord avec la Commission défenderesse.

3)  La commissaire a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de l’expression « ex parte »?

[34]  Le demandeur estime que la commissaire a conclu à tort que l’emploi de l’expression « ex parte » dans trois autres dispositions de la Loi sur l’aéronautique témoigne de l’intention du législateur que l’audience visée au paragraphe 4.79(2) ne se déroule pas en l’absence des parties. Le demandeur soutient, premièrement, que le paragraphe 4.79(2) énonce explicitement qui doit participer à l’audience et que l’ajout de l’expression  « ex parte » aurait été [traduction] « superflue ». Deuxièmement, le paragraphe 4.79(2) se distingue des autres dispositions où l’expression est utilisée en ce sens qu’elle se rapporte à une procédure existante.

[35]  Le demandeur soutient en outre qu’il est clair, si on en fait une interprétation littérale, que le paragraphe 4.79(2) autorise seulement le Tribunal ou un autre organisme à examiner la mesure de sûreté, et seulement le ministre à présenter des observations à son égard. Bien que je concède que seul un tribunal ou un autre organisme peut examiner la mesure de sûreté, je ne puis faire droit à l’interprétation selon laquelle seul le ministre peut présenter des observations. Une interprétation littérale de cette disposition ne nous dit aucunement qui peut ou ne peut pas soumettre des observations.

[36]  Je ne suis pas d’accord avec les arguments du demandeur concernant l’interprétation des lois. Dans l’arrêt Agraira c Canada, 2013 CSC 36, la Cour suprême explique, au paragraphe 81, que, selon la présomption d’une expression constante, « lorsque des termes différents sont employés dans un même texte législatif, il faut considérer qu’ils ont un sens différent. Il faut tenir pour acquis que le législateur a délibérément choisi des termes différents dans le but d’indiquer un sens différent. » L’article 4.79 dispose que le ministre doit avoir une possibilité raisonnable de présenter des observations sur la mesure de sûreté. Rien dans son libellé ne dit que seul le ministre peut être présent ou qu’aucune autre partie ne pourra assister à la présentation des observations. Le Tribunal a tout simplement précisé que [traduction] « [s]i le ministre demande à présenter une partie de ses observations ex parte, il devra le faire au début de l’audience sur la confidentialité ». Je trouve cette approche raisonnable compte tenu de l’absence de directives judiciaires sur la procédure à suivre.

[37]  La Commission défenderesse soutient que l’interprétation littérale permet à la Cour de se pencher sur l’intention du législateur. Elle ajoute que le rôle de la Cour n’est pas d’imposer une ligne de conduite différente de celle qu’a choisie le législateur, mais plutôt de déterminer quelle était son intention en interprétant le libellé de la disposition selon son sens grammatical et ordinaire, en conformité avec l’objet de la Loi. La défenderesse fait valoir que la substitution de l’expression « ex parte » à l’expression « à huis clos » change fondamentalement la nature de la relation entre les parties.

[38]  Le demandeur allègue que la présence de toutes les parties à l’audience pourrait compromettre la sûreté aérienne. À son avis, la Loi sur l’aéronautique a pour objet d’assurer la sûreté et la sécurité dans les aéroports et les aérodromes canadiens. Il a raison à cet égard, mais je trouve essentiel de rappeler l’importance de trouver le bon équilibre entre cet objet et la bonne administration de la justice. Comme je l’ai mentionné précédemment, la vidéo de surveillance ne sera pas visionnée au cours de l’audience réunissant toutes les parties. Son but sera plutôt d’entendre leurs observations sur la légitimité pour Mme Mahood de visionner la vidéo et, le cas échéant, selon quelles modalités. Je ne vois pas comment cette audience pourrait compromettre la sûreté aérienne. Je me dois également de mentionner que la commissaire a envisagé la possibilité pour le ministre de demander, au début de l’audience sur la crédibilité, qu’une partie de ses observations soit présentée ex parte. Je conviens avec l’ACSTA défenderesse que la jurisprudence sur l’article 4.79 de la Loi est rare et que la décision ne donne aucune directive sur la procédure à suivre pour l’audience. J’en prends acte, mais je maintiens tout de même que le Tribunal a interprété correctement l’article 4.79 de la Loi. Dans l’ensemble, la décision du Tribunal était raisonnable.

[39]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-979-17

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c LE TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE ET L’ACSTA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 février 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE :

Le 5 avril 2018

COMPARUTIONS :

Wendy Wright

Pour le demandeur

Daniel Poulin

Ikram Warsame

 

Pour la défenderesse

(CCDP)

Stefan Kimpton

Pour la défenderesse

(ACSTA)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

(CCDP)

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

(ACSTA)

 

 

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