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Date : 20180108


Dossier : IMM-2331-17

Référence : 2018 CF 9

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 8 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

WEN XU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Le demandeur, Wen Xu, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par une gestionnaire du Programme d’immigration de ne pas réexaminer une décision antérieure lui refusant la résidence permanente. Cette décision antérieure lui refusant la résidence permanente sera désignée aux présentes par la « décision refusant la résidence permanente ». Quant à la décision rendue par la suite par la gestionnaire de ne pas réexaminer la première décision, elle sera désignée aux présentes par la « décision relative au réexamen ».

II.  Faits en cause

[2]  Le demandeur, âgé de 49 ans, est un citoyen de la Chine qui a présenté une demande de résidence permanente le 18 juillet 2014 après avoir été sélectionné dans le cadre du Programme des immigrants investisseurs du Québec, pour lequel il avait présenté une demande en août 2010. Le demandeur satisfaisait à toutes les exigences de fond du processus, mais a omis de présenter les passeports et les photos pour lui-même et les membres de sa famille qui l’accompagneraient que lui avait demandé Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) dans deux courriers électroniques envoyés le 22 décembre 2016 et le 21 février 2017 (les « demandes envoyées par courriel »). Par conséquent, une agente d’immigration a rendu la décision refusant la résidence permanente le 26 avril 2017.

[3]  Immédiatement après avoir reçu cette décision, le demandeur a retenu les services d’une nouvelle représentante juridique, Me Mélanie Boivin, qui a présenté une demande de réexamen au consulat le 4 mai 2017. À cette demande était jointe une déclaration du demandeur dans laquelle il affirmait n’avoir reçu aucune des deux demandes envoyées par courriel et demandait à CIC de réexaminer sa demande au vu des efforts que lui-même et sa famille ont déployés au cours des sept dernières années pour faire avancer le processus, qui tire maintenant à sa fin. Ni le demandeur ni sa représentante n’a saisi l’occasion présentée par cette demande pour expliquer la raison de la rupture des communications entre CIC et le demandeur. Le 12 mai 2017, Me Boivin a de nouveau soumis la demande de réexamen. Peu de temps après, le demandeur a présenté les documents qui lui avaient été demandés dans les deux courriers électroniques.

[4]  Ce n’est que plus tard, soit le 28 juin 2017, que le demandeur a fait parvenir un affidavit expliquant succinctement la cause de la rupture des communications entre lui-même et son représentant. Selon ces explications, il avait retenu les services d’une entreprise qui devait agir à titre d’intermédiaire pour transmettre ce type de communications, mais l’employé de cette entreprise qui avait cette responsabilité a démissionné peu de temps avant le premier des deux courriers électroniques. Or, le demandeur n’a été informé de ce fait [traduction] « qu’au début de mai 2017 ». Il convient de préciser que la décision relative au réexamen avait déjà été rendue au moment où l’affidavit a été présenté. Par conséquent, les parties ont convenu que les renseignements supplémentaires qu’il contient ne peuvent être pris en considération dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire.

III.  Décision contestée

[5]  Les motifs de la décision relative au réexamen sont exposés dans les notes du Système mondial de gestion des cas (les « notes du SMGC ») qui datent du 15 mai 2017. Dans ces notes, la gestionnaire du Programme d’immigration mentionne que le demandeur n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle il n’avait pas reçu les demandes envoyées par courriel. Elle conclut, à juste titre semble-t-il, que les demandes de documents avaient été envoyées en bonne et due forme par courriel et reçues par le représentant du demandeur à ce moment-là et qu’elle ne constatait aucune erreur dans la décision refusant la résidence permanente, précisant avoir pris en considération la charge de travail de CIC pour rendre sa décision.

[6]  La gestionnaire du Programme d’immigration a conclu qu’en l’absence de renseignements plus convaincants, la décision refusant la résidence permanente devait être maintenue.

IV.  Question en litige

[7]  La véritable question est de savoir si la décision relative au réexamen était raisonnable.

V.  Analyse

[8]  Le demandeur a présenté deux arguments principaux qui permettent de conclure selon lui que la décision relative au réexamen était déraisonnable :

  1. Tout d’abord, il n’y avait pas lieu de prendre en considération la charge de travail de CIC, mais, puisque cela avait déjà été fait, il était déraisonnable de ne pas reconnaître que l’approche la plus expéditive et efficace consistait à rouvrir le dossier, puisque les documents manquants avaient depuis été présentés et que le processus de demande de résidence permanente du demandeur touchait à sa fin.
  2. Ensuite, considérant la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Caglayan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 485 [Caglayan], il était déraisonnable de conclure que les déclarations présentées par le demandeur pour appuyer sa demande de réouverture du dossier n’étaient pas suffisantes.

A.  Loi applicable en matière de réexamen

[9]  Dans les cas qui le justifient (c’est-à-dire lorsque le principe functus officio ne s’applique pas), il est possible de réexaminer une décision refusant une demande de résidence permanente, mais il n’y a aucune obligation de le faire, sauf s’il y a eu mauvaise foi : Malik c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1283, au paragraphe 44. L’agent d’immigration qui reçoit une demande afin de réexaminer une telle décision est tenu de déterminer s’il y a lieu, au vu de toutes les circonstances pertinentes, d’exercer le pouvoir discrétionnaire dont il est investi : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Kurukkal, 2010 CAF 230, au paragraphe 5.

B.  Charge de travail de CIC comme facteur à prendre en considération

[10]  Le demandeur n’a cité aucune décision qui corrobore son argument selon lequel la charge de travail de CIC n’a aucune pertinence avec sa demande de réexamen. De fait, la représentante du demandeur n’a pas soulevé cet argument dans ses observations de vive voix. En l’absence d’une jurisprudence démontrant le contraire, je conclus que la charge de travail de CIC est pertinente pour évaluer une demande de réexamen. En effet, CIC a des ressources limitées, et sa capacité à fixer et à respecter des échéances est primordiale à un usage efficient de ces ressources. Par conséquent, la mesure dans laquelle ces ressources sont sollicitées (notamment en raison d’échéances non respectées et de communications répétées) représente un facteur qu’il convient de prendre en considération lorsqu’il s’agit de décider de rouvrir un dossier, surtout en l’absence d’explications adéquates pour justifier une telle sollicitation desdites ressources.

[11]  À ce propos, je tiens à faire connaître mon désaccord concernant l’affirmation du défendeur selon laquelle la gestionnaire du Programme d’immigration, lorsqu’elle parle de la charge de travail, désigne celle de la représentante du demandeur et non celle de CIC. Dans les notes du SMGC, il est fait mention de la charge de travail à deux reprises. La première de ces mentions pourrait certes faire référence à la charge de travail de la représentante du demandeur. Pour la seconde cependant, elle se trouve dans la déclaration suivante de la gestionnaire : [traduction] « J’ai pris l’initiative de regarder de plus près notre charge de travail et l’évolution du dossier de M. Xu ». À mon avis, cette dernière déclaration fait de toute évidence référence à la charge de travail de CIC.

[12]  Je suis plus réceptif au second aspect de l’argumentation du demandeur à ce sujet, c’est-à-dire son affirmation selon laquelle il était déraisonnable de conclure que le rejet de la demande de réexamen constituait une utilisation plus efficace des ressources de CIC que son approbation. À mon avis, le rejet de la demande de réexamen et, par le fait même, la reprise du processus de demande de résidence permanente au Canada depuis le début par le demandeur (puisqu’il s’agit de son intention selon ses dires), en plus d’être extrêmement ennuyeux pour le demandeur, donneront lieu à un usage inefficace des ressources de CIC puisqu’il faudra reprendre certaines étapes ayant déjà été franchies, d’autant plus que le demandeur avait presque terminé le processus de demande de résidence permanente et que les documents manquants avaient été fournis au moment où la décision relative au réexamen a été rendue.

[13]  Je dois néanmoins garder à l’esprit qu’il ne m’appartient pas d’évaluer la demande de réexamen du demandeur et que je dois plutôt me pencher sur le caractère raisonnable de l’évaluation réalisée par la gestionnaire du Programme d’immigration. Ainsi, je remarque que deux demandes distinctes avaient été envoyées au demandeur au sujet des documents manquants, que le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’avait reçu aucune de ces demandes, et que la gestionnaire du Programme d’immigration a estimé que cette omission était importante. Tout indique que la gestionnaire du Programme d’immigration était préoccupée par le risque que le non-respect des délais alloués au demandeur pour présenter les documents demandés occasionne une utilisation non efficace des ressources de CIC. Il s’agit là d’une préoccupation tout à fait raisonnable.

[14]  Bien qu’il ne soit pas mentionné explicitement dans la décision relative au réexamen que le processus de demande de résidence permanente du demandeur tirait à sa fin, je refuse de conclure que la gestionnaire n’était pas au courant de ce fait ou n’y a pas prêté attention.

[15]  Je ne suis pas convaincu que la décision relative au réexamen aille à l’encontre des objectifs de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, comme le soutient le demandeur.

[16]  À mon avis, la décision rendue dans l’affaire Marr c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 367 ne repose pas sur des faits semblables à l’affaire qui nous préoccupe puisque, dans cette affaire, l’agent d’immigration avait conclu qu’il ne possédait pas le pouvoir discrétionnaire de rouvrir le dossier et qu’il a ainsi entravé l’exercice de son pouvoir, alors qu’en l’espèce, la gestionnaire du Programme d’immigration s’est demandé si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire, pour arriver à la conclusion qu’elle ne devait pas le faire.

C.  Caractère suffisant des arguments du demandeur relatifs à la demande de réexamen

[17]  J’estime que la décision dans l’affaire Caglayan, qui est citée par le demandeur pour appuyer son argumentation, ne repose pas sur des faits semblables à ceux de l’espèce, puisque, dans cette décision, ni le demandeur ni son représentant n’avait reçu la communication en question de la part de CIC. Dans la présente affaire, il semble, comme il a été expliqué précédemment, que le représentant du demandeur avait reçu les demandes envoyées par courriel, mais nous ignorons toujours pourquoi il ne les a pas relayées au demandeur ou pourquoi il y a eu rupture des communications entre le demandeur et son représentant. Cette distinction justifie selon moi un traitement moins favorable à l’égard du demandeur en l’espèce.

[18]  Le demandeur ne m’a pas convaincu que la décision relative au réexamen était déraisonnable d’une quelconque manière.

[19]  Bien que cela ne soit pas pertinent à proprement parler avec le caractère raisonnable de la décision relative au réexamen, il convient selon moi de noter que le demandeur aurait pu expliquer la raison de la rupture de ses communications avec son représentant lorsque Me Boivin a présenté une nouvelle demande de réexamen le 12 mai 2017. Il a toutefois choisi de ne pas le faire. Dans ses observations de vive voix, la représentante du demandeur à l’audience a rejeté la faute de cette omission sur Me Boivin. Je rejette cet argument pour deux raisons. Tout d’abord, il ne figure pas dans les observations écrites du demandeur. Ensuite, rien n’indique dans le dossier que l’absence de toute explication n’était pas délibérée.

VI.  Conclusion

[20]  La présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans IMM-2331-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2331-17

 

INTITULÉ :

WEN XU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

le 8 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Annabel E. Busbridge

 

Pour le demandeur

 

Thi My Dung Tran

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats Inc.

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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