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Date : 20180315


Dossier : T-1921-17

Référence : 2018 CF 303

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2018

En présence de Mandy Aylen, protonotaire chargée de la gestion de l’instance

ENTRE :

GENENTECH, INC. ET HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED

demanderesses

et

AMGEN CANADA INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La présente action est la première à être introduite sous le régime du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), entré en vigueur le 21 septembre 2017. Une semaine environ après le dépôt de la déclaration, Amgen Canada Inc. (Amgen) a signifié aux demanderesses son intention de déposer une requête en application de l’article 6.08 du Règlement pour faire annuler l’action visant les brevets canadiens nos 2 376 596 (brevet 596) et 2 407 556 (brevet 556), pour le motif qu’elle présente un caractère redondant, scandaleux, frivole ou vexatoire, ou qu’elle constitue par ailleurs un abus de procédure. Le 5 février 2018, Amgen a signifié son avis de requête aux demanderesses.

[2]  Les demanderesses ont saisi la Cour de la présente requête (qu’elles décrivent comme une « méta-requête ») pour solliciter la réparation suivante :

  1. la délivrance d’une ordonnance annulant ou ajournant sine die la requête déposée par Amgen aux termes de l’article 6.08;

  2. subsidiairement, si la Cour tranche que la requête fondée sur l’article 6.08 est le recours approprié, la prise de directives visant son instruction sur la base de la déclaration uniquement, sans droit de produire des éléments de preuve;

  3. ou, subsidiairement encore si la Cour décide que la requête fondée sur l’article 6.08 est le recours approprié et qu’il y a lieu d’autoriser la production d’éléments de preuve à l’appui, la prise de directives portant que :

  1. l’instruction de la requête fondée sur l’article 6.08 devra avoir lieu après les interrogatoires préalables oraux, le cas échéant, y compris le dépôt des réponses aux engagements et aux questions figurant sur l’ordonnance;

  2. la requête fondée sur l’article 6.08 devra être instruite par le juge de première instance saisi de la présente action;

  3. le sursis de 24 mois sera prolongé de 3 mois pour permettre à Amgen de poursuivre les démarches engagées en vue du dépôt d’une requête fondée sur l’article 6.09 et le paragraphe 7(8) du Règlement;

  1. l’adjudication des dépens de la requête;

  2. toute autre mesure de réparation que l’avocat pourrait demander et que la Cour pourrait estimer juste.

[3]  La présente requête soulève les questions suivantes :

  1. Y a-t-il lieu de rejeter ou d’ajourner sine die la requête déposée par Amgen aux termes de l’article 6.08?

  2. Si la requête déposée par Amgen aux termes de l’article 6.08 n’est pas rejetée ou ajournée sine die, quelle est la procédure appropriée pour la trancher?

  3. Est-il indiqué d’adjuger les dépens de la présente requête?

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la requête qu’Amgen a déposée aux termes de l’article 6.08 doit suivre son cours et qu’elle doit être examinée, ainsi qu’elle le propose, après la communication des documents et avant l’achèvement des interrogatoires préalables. Par conséquent, la requête des demanderesses est rejetée, avec dépens payables à Amgen.

Discussion

Première question en litige : Y a-t-il lieu de rejeter ou d’ajourner sine die la requête déposée par Amgen aux termes de l’article 6.08?

[5]  L’article 6.08 du Règlement dispose ainsi :

Toute action intentée en vertu du paragraphe 6(1) peut, sur requête de la seconde personne, être rejetée en tout ou en partie au motif qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue par ailleurs un abus de procédure à l’égard d’un ou de plusieurs brevets ou certificats de protection supplémentaire.

An action brought under subsection 6(1) may, on the motion of a second person, be dismissed, in whole or in part, on the ground that it is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process in respect of one or more patents or certificates of supplementary protection.

[6]  L’article 6.08 n’a pas été nouvellement établi par le Règlement modifié de septembre 2017 puisque son libellé figurait quasi intégralement à l’alinéa 6(5)b) de la version précédente du Règlement. De plus, l’article 6.08 reprend pour l’essentiel les alinéas 221(1)c) et f) des Règles des Cours fédérales.

[7]  Comme pour toutes les instances, la partie défenderesse doit pouvoir se prévaloir d’un mécanisme qui, très tôt dans la procédure, lui permet de solliciter le rejet de l’intégralité ou d’une partie d’une demande jugée sans fondement. C’est l’objet de l’article 221 des Règles des Cours fédérales et de l’article 6.08 du Règlement. L’existence d’un tel mécanisme s’impose d’autant plus que selon le régime réglementaire, l’introduction d’une action aux termes de l’article 6 déclenche automatiquement la suspension du processus d’approbation réglementaire et, sans même que soit évaluée le bien-fondé d’une allégation de contrefaçon de brevet déposée par une première personne, l’impossibilité pour une seconde personne d’obtenir un avis de conformité pour une nouvelle drogue avant 24 mois. Sans la possibilité pour la seconde personne de soumettre une requête fondée sur l’article 6.08 en vue d’obtenir le rejet d’une demande redondante, scandaleuse, frivole, vexatoire ou abusive, les premières personnes pourraient être tentées de faire jouer le régime réglementaire à leur avantage pour retarder indûment la mise en marché de nouvelles drogues.

[8]  Qui plus est, l’obligation d’instruire les poursuites intentées aux termes de l’article 6 du Règlement dans un délai de 24 mois force les parties à simplifier davantage les questions soulevées et à ne pas gaspiller le peu de temps dont elles disposent avant et après l’instruction avec des allégations manifestement dénuées de fondement.

[9]  Dans la présente instance, Amgen a soumis une requête en rejet de l’action intentée à l’encontre des brevets 596 et 556 au motif que les allégations n’ont aucun rapport avec la manière dont elle entend mettre sa nouvelle drogue en marché, et constituent de ce fait un abus de procédure. Amgen soutient qu’en l’absence de preuve à l’appui de l’allégation des demanderesses concernant la contrefaçon ou l’incitation à la contrefaçon desdits brevets, leur demande est vouée à l’échec et devrait donc être rejetée.

[10]  Tout d’abord, il convient de rappeler qu’Amgen est en droit de déposer une requête fondée sur l’article 6.08 du Règlement. Le Règlement ne l’oblige pas à obtenir une autorisation de la Cour pour déposer une telle requête, et il ne prescrit pas non plus le stade exact de l’action auquel elle peut le faire. Par conséquent, rien n’empêche Amgen de déposer une requête fondée sur l’article 6.08 (sous réserve d’un préavis suffisant au juge responsable de la gestion de l’instance) et de réclamer son instruction au début de l’instance.

[11]  Ici, il s’agit de décider s’il convient d’annuler ou d’ajourner la requête et ainsi de priver Amgen de son droit de déposer une requête fondée sur l’article 6.08 et de réclamer son instruction avant la fin des interrogatoires préalables. C’est évidemment aux demanderesses de convaincre la Cour que leur requête en annulation ou en sursis est justifiée.

[12]  Leur prétention est que la requête déposée par Amgen constitue un usage abusif de l’article 6.08 puisqu’elle cherche à obtenir un jugement sommaire relativement au bien-fondé d’allégations complexes de contrefaçon des brevets 596 et 556 avant que les interrogatoires préalables soient terminés. Les demanderesses soutiennent que la requête d’Amgen exige un examen de questions litigieuses de fait et de droit, l’interprétation des allégations et la déposition de témoins experts. Or, font-elles valoir, ce n’est pas l’objet d’une requête fondée sur l’article 6.08, et encore moins à ce stade-ci de l’instance. Elles invoquent à l’appui diverses décisions par lesquelles notre Cour et d’autres cours de justice ont repoussé une requête en jugement sommaire après avoir pris en considération un certain nombre de facteurs (voir, notamment, George Weston Limited v Domtar Inc., 2012 ONSC 5001; Wenzel Downhole Tools Ltd. c National-Oilwell Canada Ltd., 2010 CF 966, au paragraphe 31).

[13]  Je ne puis retenir les affirmations des demanderesses selon lesquelles la requête d’Amgen constitue un usage abusif de l’article 6.08. Les requêtes fondées sur l’article 6.08 n’ont pas pour seul but d’attaquer les déclarations entachées de vices de forme. Tout comme c’était le cas pour les requêtes fondées sur l’alinéa 6(5)b), une seconde personne peut invoquer l’article 6.08 pour solliciter l’annulation d’allégations de contrefaçon ou d’incitation à la contrefaçon jugées infondées et donc vouées à l’échec (voir, notamment, Valeant Canada LP c Apotex Inc., 2016 CF 1359).

[14]  Qui plus est, Amgen ne cherche pas à obtenir un jugement sommaire. Notre Cour a clairement conclu que les requêtes fondées sur l’ancien alinéa 6(5)b) ne visaient pas l’obtention d’un jugement sommaire. Pour les mêmes motifs, j’arrive à la même conclusion pour ce qui est des requêtes fondées sur l’article 6.08 (voir, notamment, Valeant Canada LP c Apotex Inc., précitée, et Nycomed Canada Inc. c Canada (Santé), 2008 CF 541, au paragraphe 49). Si le législateur avait voulu que les requêtes fondées sur l’article 6.08 aient pour but d’obtenir un jugement sommaire et qu’elles soient assujetties à une norme de preuve idoine, il l’aurait établi en termes clairs. Or, il ressort clairement du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) que les requêtes fondées sur l’article 6.08 s’assimilent aux requêtes en radiation fondées sur l’article 221 des Règles des Cours fédérales, et que l’article 6.08 est un complément à l’article 221 des Règles. Cela étant établi, il s’ensuit que les demanderesses ne peuvent pas fonder leur action en annulation ou en sursis de la requête d’Amgen sur la jurisprudence citée.

[15]  Les demanderesses affirment que s’il est fait droit à la requête fondée sur l’article 6.08, il y aura double emploi de leurs ressources et une iniquité procédurale à leur détriment puisqu’elles devront consacrer une partie de leurs efforts à s’opposer à la requête et composer avec des délais encore plus serrés pour respecter l’échéancier accéléré de l’action. Je rejette cette affirmation. Premièrement, l’échéancier de la présente action n’est pas accéléré. Il est tout à fait conforme à l’échéancier type pour chacune des étapes habituelles d’une action introduite en vertu du nouveau Règlement. Deuxièmement, le législateur a conféré aux secondes personnes le droit de déposer une requête aux termes de l’article 6.08 en dépit du délai de 24 mois prescrit pour leur instruction et leur règlement. Le fait que les demanderesses devront répondre à la requête fondée sur l’article 6.08 tout en continuant de franchir les étapes de l’action ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale. Troisièmement, le travail qu’elles feront pour répondre à la requête fondée sur l’article 6.08 devra être fait, du moins en partie, pour faire valoir leurs revendications dans le cadre de l’action principale. Il serait donc exagéré de parler de travail en double.

[16]  Les demanderesses relèvent que notre Cour a déjà conclu que si les parties requérantes démontrent clairement et au-delà de tout doute qu’il ne pourrait y avoir contrefaçon de brevet, la réparation prévue à l’alinéa 6(5)b) pourrait être accordée, mais que de telles circonstances sont exceptionnelles (voir Nycomed Canada Inc. c Canada (Santé), 2008 CF 541). Selon les demanderesses, les requêtes de cette nature étaient déjà découragées sous l’ancien régime, mais l’effet dissuasif devrait être considéré comme accru sous le régime du nouveau Règlement et la Cour devrait envisager de manière anticipée le rejet ou l’ajournement sine die des requêtes fondées sur l’article 6.08. Je rejette cet argument. La Cour peut choisir d’imposer une norme de preuve élevée à une partie qui dépose une requête aux termes de l’article 6.08 et d’accorder la réparation réclamée dans des circonstances exceptionnelles seulement, mais rien n’empêche une seconde personne de réclamer cette réparation.

[17]  Contrairement à ce qu’avance Amgen, les demanderesses ne croient pas qu’une requête fondée sur l’article 6.08 n’exige pas de preuve d’expert ni d’interprétation des revendications. Selon elles, la Cour n’aura pas le choix d’interpréter les revendications, et la requête d’Amgen est vouée à l’échec si elle n’est pas appuyée par des preuves d’expert. Pour cette raison, elles déplorent le gaspillage de leurs ressources et des ressources judiciaires si elles sont forcées de répondre à une telle requête. Pour l’instant et malgré ce qu’en disent les demanderesses, bien malin qui pourrait prédire un échec de la requête déposée par Amgen aux termes de l’article 6.08, et il n’appartient certainement pas à la Cour de préjuger de son issue. Cela dit, si j’en juge par les observations formulées par les parties jusqu’ici, je ne suis pas convaincue que la requête d’Amgen soit vouée à l’échec. Si en fin de compte la Cour tranche que la requête d’Amgen n’était pas justifiée, les doléances des demanderesses pourront être compensées par des dépens plus élevés. Pour l’heure, je ne peux faire droit aux objections des défenderesses et priver Amgen de son droit de soumettre une requête fondée sur l’article 6.08.

[18]  Je ne suis pas convaincue non plus que les demanderesses subiraient un préjudice irréparable si Amgen est autorisée à faire entendre sa requête fondée sur l’article 6.08 à ce stade-ci de l’instance. Au contraire, toutes les parties profiteraient des économies qui résulteraient de l’accueil de la requête puisqu’une action en contrefaçon ou en invalidité des brevets 556 et 596 ne serait pas nécessaire. La simplification des questions en litige qui en résulterait permettrait aux parties d’optimiser leur temps et leurs ressources.

[19]  Bref, les demanderesses ne m’ont pas convaincue qu’il serait justifié de rejeter ou d’ajourner la requête déposée par Amgen aux termes de l’article 6.08.

Deuxième question en litige : Si la requête déposée par Amgen aux termes de l’article 6.08 n’est pas rejetée ou ajournée sine die, quelle est la procédure appropriée pour la trancher?

[20]  Dans leur avis de requête, les demanderesses affirment que si Amgen est autorisée à aller de l’avant avec sa requête, la Cour devrait ordonner son instruction sur la base de la déclaration seulement, sans droit de déposer des preuves. À l’audition de la requête, les demanderesses ont renoncé à cette revendication. Elles ont également indiqué qu’elles n’avaient pas d’opinion ferme sur la question de savoir si la requête fondée sur l’article 6.08 devait être instruite par le juge de première instance ou par le juge responsable de la gestion de l’instance. Par conséquent, je n’ai pas à trancher cette question.

[21]  La première question accessoire qui se pose concerne le moment de l’instruction de la requête d’Amgen, soit avant ou après les interrogatoires préalables et le règlement des éventuelles requêtes connexes. Les demanderesses soutiennent qu’Amgen a en sa possession la majorité des renseignements et des éléments de preuve pertinents à la requête fondée sur l’article 6.08 (comme il est énoncé au paragraphe 56 de leurs observations écrites), et que la seule raison pour laquelle elle demande son instruction avant l’achèvement des interrogatoires préalables est de les empêcher d’y avoir accès. Elles prétendent qu’elles doivent avoir à disposition tous les documents et tous les interrogatoires préalables d’Amgen pour être en mesure de participer à l’audience sur les questions soulevées dans la requête.

[22]  Selon les demanderesses, si la requête d’Amgen est instruite avant que les documents soient communiqués et les interrogatoires préalables terminés (et toutes les requêtes connexes réglées), les parties seraient privées des bénéfices promis par les réformes procédurales de l’Accord économique et commercial global, et une décision définitive à l’égard des deux brevets serait rendue comme si l’action avait été intentée sous l’ancien régime. Les demanderesses soulignent à cet égard que le législateur a confirmé dans le REIR que « [l]es actions complètes prévues par les modifications en remplacement de la procédure sommaire serviront les intérêts de la justice en fournissant aux parties et à la Cour des moyens d’avoir accès à la meilleure preuve disponible ». À leurs yeux, l’objectif de la réforme réglementaire serait desservi si l’instruction de la requête fondée sur l’article 6.08 a lieu avant que les interrogatoires préalables soient terminés, les privant ainsi d’un accès à la meilleure preuve disponible.

[23]  Je rejette ces prétentions. Selon l’échéancier proposé par Amgen pour l’audition de sa requête, les demanderesses auraient vastement le temps de recueillir toute la preuve documentaire requise pour préparer et déposer leurs documents en réponse à la requête. La preuve documentaire communiquée renfermerait une bonne partie, sinon l’intégralité des renseignements et des documents mentionnés au paragraphe 56 des observations écrites des demanderesses. Par surcroît, Amgen a confirmé son intention de déposer l’affidavit du chef des opérations de marketing d’Amgen Canada à l’appui de sa requête. Les demanderesses auront donc la possibilité de contre-interroger le souscripteur sur les questions et les documents afférents à la requête fondée sur l’article 6.08. Si des questions sont soulevées quant à la portée du contre-interrogatoire, elles pourront être réglées rapidement dans le cadre de la gestion de l’instance pour que les demanderesses puissent répondre adéquatement à la requête déposée par Amgen aux termes de l’article 6.08.

[24]  Par ailleurs, même si la requête est instruite avant que les interrogatoires préalables soient terminés, il ne s’agira pas d’un retour à l’ancien régime puisque les demanderesses bénéficieront du mécanisme de communication de la preuve documentaire qui a été ajouté au nouveau Règlement. Cette différence cruciale n’a pas été relevée par les demanderesses. Le passage du REIR expliquant que le nouveau régime offre aux parties et à la Cour des moyens d’avoir accès « à la meilleure preuve disponible » ne doit pas être interprété comme signifiant que la Cour ne peut pas entendre une motion fondée sur l’article 6.08 tant que le processus de communication de la preuve et d’interrogatoire préalable. Si le législateur avait voulu imposer une période fixe pour l’instruction des requêtes fondées sur l’article 6.08, il l’aurait fait. De plus, comme il a été vu précédemment, ces requêtes ont pour objet d’obtenir le rejet d’allégations manifestement infondées très tôt dans le processus d’instance. Il serait plutôt illogique de forcer une seconde personne à attendre la fin des interrogatoires préalables pour réclamer leur rejet.

[25]  Au demeurant, même si la Cour se ralliait à l’avis des demanderesses pour dire que le but des requêtes fondées sur l’article 6.08 est d’obtenir un jugement sommaire, elle devrait néanmoins se plier aux Règles des Cours fédérales, qui n’interdisent pas l’audition d’une requête en jugement sommaire avant la fin des interrogatoires préalables (voir Collins c Canada, 2015 CAF 281, aux paragraphes 42 à 47).

[26]  La Cour est également tenue par le principe voulant qu’une action ne puisse être intentée sur la base de conjectures dans l’espoir que des faits pertinents soient découverts lors de l’interrogatoire préalable, permettant ainsi d’appuyer les allégations figurant dans les actes de procédure (voir AstraZeneca Canada Inc. c Novopharm Limited, 2009 CF 1209, au paragraphe 17). Une démarche aussi aléatoire constituerait un abus de procédure. La thèse voulant qu’une première personne doive attendre la fin du processus d’interrogatoire préalable pour répondre à une requête fondée sur l’article 6.08 ne tient absolument pas la route. La première personne est l’instigatrice de l’action. Elle ne peut pas attendre le résultat des interrogatoires préalables pour confirmer le fondement factuel de ses allégations. Comment pourrait-on justifier qu’une première personne soit autorisée à intenter une action pour obtenir un sursis de 24 mois sans même que la Cour et une seconde personne puissent faire au moins un examen minimal du bien-fondé des allégations de contrefaçon de brevet avant l’achèvement du processus d’interrogatoire préalable?

[27]  Je conclus par conséquent que la requête déposée par Amgen aux termes de l’article 6.08 peut suivre son cours même si le processus d’interrogatoire préalable n’est pas achevé.

[28]  La seconde question accessoire à trancher a trait à la pertinence pour la Cour d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent l’article 6.09 et le paragraphe 7(8) du Règlement de prolonger le sursis réglementaire de 24 mois par suite de la requête déposée par Amgen aux termes de l’article 6.08. L’article 7(8) du RIPR est ainsi rédigé :

Lorsque la Cour fédérale n’a pas encore fait la déclaration visée au paragraphe 6(1), elle peut abréger ou prolonger la période de vingt-quatre mois visée à l’alinéa (1)d) si elle conclut qu’une partie n’a pas agi avec diligence en remplissant les obligations qui lui incombent au titre du présent règlement ou qu’elle n’a pas collaboré de façon raisonnable au règlement expéditif de l’action.

As long as the Federal Court has not made a declaration referred to in subsection 6(1), it may shorten or extend the 24-month period referred to in paragraph (1)(d) if it finds that a party has not acted diligently in carrying out their obligations under these Regulations or has not reasonably cooperated in expediting the action.

[29]  Rien ne me permet de croire qu’Amgen n’a pas rempli diligemment ses obligations réglementaires ou qu’elle n’a pas coopéré de manière raisonnable au règlement expéditif de l’action. Elle a déposé sa requête aux termes de l’article 6.08 d’une manière diligente et n’a pas retardé les procédures de quelque manière que ce soit. Le souhait formulé par Amgen concernant l’examen de la requête avant l’achèvement des interrogatoires préalables n’a rien d’inapproprié et ne constitue certainement pas une inconduite du genre envisagé au paragraphe 7(8) du Règlement. Conséquemment, la requête des demanderesses pour obtenir le prolongement du sursis de 24 mois est rejetée.

Troisième question en litige : Est-il indiqué d’adjuger les dépens de la présente requête?

[30]  Je conclus que les circonstances de la présente requête justifient d’adjuger les dépens à Amgen, qui s’est opposée avec succès à l’ensemble des revendications des demanderesses. Elles ont soulevé des questions qui auraient pu être réglées dans le cadre d’une conférence de gestion de l’instance, et il n’était aucunement justifié de déposer une « méta-requête ». Amgen sollicite des dépens de 10 000 $, y compris les taxes et les débours. J’estime qu’il s’agit d’un montant raisonnable.

LA COUR ORDONNE :

  1. que la requête des demanderesses soit rejetée;

  2. que la requête déposée par la défenderesse aux termes de l’article 6.08 suive son cours conformément à l’échéancier suivant :

    • a) La défenderesse doit déposer sa preuve par affidavit d’ici le 21 mars 2018.

    • b) Les demanderesses doivent déposer leur preuve par affidavit en réponse d’ici le 20 avril 2018.

    • c) Tous les contre-interrogatoires doivent être achevés d’ici le 4 mai 2018.

    • d) La défenderesse doit signifier et déposer son dossier de requête intégral d’ici le 18 mai 2018.

    • e) Les demanderesses doivent signifier et déposer leur dossier de requête intégral d’ici le 6 juin 2018.

    • f) La présente requête sera instruite à la date fixée par la Cour. Les parties doivent, d’ici au 21 mars 2018, faire connaître leurs disponibilités au cours des semaines du 11, du 18 et du 25 juin 2018 en vue de l’instruction de la requête.

  3. Les parties peuvent, sur consentement mutuel, modifier l’échéancier établi au paragraphe 2 si elles en informent la Cour avant la date d’échéance pour demander une modification.

  4. Les demanderesses verseront à la défenderesse les dépens liés à la requête, par les présentes fixés à 10 000 $, taxes et débours compris.

« Mandy Aylen »

Protonotaire chargée de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1921-17

INTITULÉ :

GENENTECH, INC. ET HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED c AMGEN CANADA INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 mars 2018

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA PROTONOTAIRE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

Le 15 mars 2018

COMPARUTIONS :

KRISTEN WALL

JORDANA SANFT

CHELSEA NIMMO

Pour les demanderesses

GENENTECH, INC. ET HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED

ANDREW SHAUGHNESSY

YAEL BIENENSTOCK

Pour la défenderesse

AMGEN CANADA INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fullbright S.E.N.C.R.L., s.r.l

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

KRISTEN WALL

JORDANA SANFT

CHELSEA NIMMO

TORYS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

ANDREW SHAUGHNESSY

YAEL BIENENSTOCK

 

 

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