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Date : 20180319


Dossier : T-845-17

Référence : 2018 CF 308

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2018

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

DARLA BOWLES-FRASER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Bowles-Fraser sollicite le contrôle d’une décision par laquelle la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la division d’appel) lui a refusé l’autorisation d’interjeter appel d’une décision de la division générale de ce même Tribunal. La division générale a conclu que Mme Bowles-Fraser n’était pas admissible aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada au motif qu’elle ne souffrait pas d’une invalidité « grave » avant la période minimale d’admissibilité (PMA) se terminant le 31 décembre 2014.

[2]  J’ai pour ma part tranché que la division d’appel avait conclu déraisonnablement à l’absence de chance raisonnable de succès de l’argument de Mme Bowles-Fraser comme quoi la division générale a pris une décision sans égard à certains documents mis à sa disposition. Notamment, la division d’appel a passé outre au fait que la division générale n’a pas tenu compte de la preuve médicale produite après la période minimale d’admissibilité qui contredit celle qu’elle avait retenue concernant l’état de santé de Mme Bowles-Fraser avant cette période.

[3]  Au cours de sa carrière, Mme Bowles-Fraser a travaillé au service de comptabilité d’un important épicier canadien, elle a été commis principale au service d’administration de la paie d’une chaîne de restauration rapide bien connue, puis secrétaire médicale pendant une vingtaine d’années et, juste avant le début de l’invalidité alléguée, elle était mère de famille d’accueil.

[4]  Le 26 octobre 2011, elle a trébuché sur un gros tube d’aspiration industriel et elle a subi une fracture de l’humérus. Elle considère que cette date marque le début de son inaptitude au travail à cause de sa condition médicale. Elle dit souffrir de fibromyalgie, de céphalées chroniques [traduction] « totalement invalidantes », ainsi que de douleurs et de crampes « extrêmes » et généralisées. De plus, l’usage limité de son bras gauche (dominant) fait en sorte qu’elle a de la difficulté à écrire et à utiliser un clavier pendant une période prolongée. Elle éprouve également des douleurs intenses à l’épaule et aux genoux.

[5]  Pour être admissible aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, Mme Bowles-Fraser devait souffrir d’une invalidité grave et continue avant le 31 décembre 2014. Elle a soumis une demande de prestations d’invalidité le 24 avril 2013, mais elle a été rejetée. Sa demande de réexamen a également été rejetée. Elle a interjeté appel de la décision en réexamen le 4 février 2015. Après avoir entendu son témoignage le 25 août 2016, la division générale a tranché qu’elle n’était pas admissible à des prestations d’invalidité au motif qu’elle [traduction] « n’a pas établi qu’elle était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice au moment de la période minimale d’admissibilité ».

[6]  La division d’appel a rejeté son appel au motif qu’elle [traduction] « n’a présenté aucun moyen d’appel prévu au paragraphe 58(1) [de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), LC 2005, c 34] présentant une chance raisonnable de succès ».

[7]  Dans le cadre de la présente demande, Mme Bowles-Fraser a déposé un affidavit contenant des renseignements médicaux très récents dont la division d’appel n’a pas été saisie. Le défendeur s’étant opposé au dépôt de cette preuve à la Cour, Mme Bowles-Fraser ne l’a pas invoquée au cours de sa plaidoirie. Je me range à la position du défendeur à l’égard de cet élément de preuve. Comme le décideur n’en avait pas été saisi, il ne peut pas être pris en considération aux fins de l’appréciation du caractère raisonnable de sa décision.

[8]  Mme Bowles-Fraser accepte les déclarations formulées aux paragraphes 18 et 19 du mémoire du défendeur relativement au critère que la division d’appel doit appliquer :

[traduction]

Le paragraphe 58(2) [de la LMEDS] dispose que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ». Notre Cour a affirmé que « le fait d’avoir une “chance raisonnable de succès” consiste à disposer de certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause » : Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115, au paragraphe 12.

Avant d’appliquer ce critère, la division d’appel doit vérifier si la décision sous-jacente de la division générale tient compte de l’ensemble des éléments de preuve. Si elle constate que des éléments de preuve importants ont été écartés ou mal interprétés, elle devrait normalement accueillir l’appel : Griffin c Canada (Procureur général), 2016 CF 874, au paragraphe 20; Joseph c Canada (Procureur général), 2017 CF 391, aux paragraphes 43 et 44.

[9]  Mme Bowles-Fraser a pointé plusieurs passages des éléments de preuve qui, selon elle, ont été écartés ou mal interprétés par la division générale. Le défendeur estime que le véritable grief concerne le poids qu’elle a accordé à la preuve médicale. Il n’est pas nécessaire que j’examine chacune de ces allégations puisque la division générale n’a pas correctement soupesé certains éléments de preuve postérieurs à la période minimale d’admissibilité qui traitent de la condition médicale de l’appelante avant celle-ci et qui auraient donc pu peser assez lourd dans la décision.

[10]  Voici un passage du paragraphe 41 de la décision de la division générale :

[Traduction] Le Tribunal préfère les éléments de preuve médicale portant sur les troubles de santé de l’appelante qui ont été obtenus avant la période minimale d’admissibilité, et il se fonde sur ceux-ci. [Non souligné dans l’original]

[11]  Il est clair que des éléments de preuve portant sur ses troubles de santé après la période minimale d’admissibilité nous en apprendront très peu, sauf dans des circonstances exceptionnelles, sur sa condition avant celle-ci. Ici toutefois, la division générale a écarté des éléments de preuve médicale pour la simple raison qu’ils avaient été obtenus après la période minimale d’admissibilité, sans se soucier qu’ils contredisaient directement les avis que des médecins experts ont exprimés dans des rapports soumis pendant la période minimale d’admissibilité. De tels éléments de preuve ne peuvent pas être balayés du revers de la main. Ils doivent être examinés et leur valeur probante établie. C’est d’autant plus vrai si la division générale s’est fondée sur des rapports antérieurs que leurs auteurs ont subséquemment modifiés.

[12]  L’exemple le plus patent est celui du rapport que le Dr Axelrod a soumis après la période minimale d’admissibilité, dans lequel il contredit expressément certaines parties de son rapport d’avant la période minimale d’admissibilité sur lequel la division générale s’est appuyée dans son analyse.

[13]  La division générale a souligné que [traduction] « dans son rapport de juin 2013, le Dr Axelrod indique qu’un programme d’exercice et des soins de physiothérapie à raison de deux séances par semaine pendant une longue période pourraient favoriser un dégagement de l’épaule ». Cette déclaration renvoie probablement au passage suivant de son rapport de juin 2013 :

[traduction]

Avec le temps, les séances de thérapie et, éventuellement, une intervention chirurgicale à l’épaule, l’état de Mme Bowles-Fraser pourrait s’améliorer suffisamment pour lui permettre de reprendre ses activités de mère de famille d’accueil auprès d’enfants plus âgés. Ce n’est pas impossible, mais c’est loin d’être certain.

Le Dr Axelrod revient expressément sur sa conclusion antérieure dans son rapport du 2 mars 2016 :

[Traduction] Bien que Mme Bowles-Fraser ait suivi mes recommandations et fait beaucoup de physiothérapie après notre rencontre, son bras n’a pas gagné en mobilité. J’indiquais dans mon évaluation précédente qu’il y avait une possibilité d’amélioration. Malheureusement, je n’ai pas remarqué beaucoup d’amélioration de l’amplitude du membre supérieur gauche, si ce n’est une légère augmentation de la flexion du coude.

Je considère que Mme Bowles-Fraser continue de présenter une déficience grave de la fonction de son bras gauche. Comme je n’ai constaté aucun progrès marqué depuis ma dernière évaluation il y a trois ans, je suis d’avis que l’invalidité est chronique et vraisemblablement permanente.

[14]  Dans son rapport de mars 2016, le Dr Axelrod ne dit pas que la condition de Mme Bowles-Fraser s’est détériorée, mais qu’il avait auparavant évalué son aptitude au travail en fonction d’une possibilité d’amélioration qui ne s’est pas confirmée. Ce rapport s’avère donc hautement pertinent pour établir la gravité de l’invalidité de Mme Bowles-Fraser au moment de la période minimale d’admissibilité, et la division d’appel a conclu à tort que l’appelante ne pouvait raisonnablement invoquer le défaut de la division générale de tenir compte de ce rapport.

[15]  La Cour a mentionné précédemment que ce genre d’erreur justifie d’accueillir une demande de contrôle judiciaire des décisions de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale : voir Plaquet c Canada (Procureur général), 2016 CF 1209, aux paragraphes 59 à 63; Lavin c Canada (Procureur général), 2011 CF 1387, aux paragraphes 38 à 40.

[16]  Aucune partie n’a sollicité les dépens et aucuns ne seront adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-845-17

La Cour REND LE JUGEMENT suivant :

1.  La présente demande est accueillie.

2.  La décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale est annulée.

3.  L’appel est renvoyé à un autre tribunal de la division d’appel pour qu’il rende une nouvelle décision.

4.  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-845-17

INTITULÉ :

DARLA BOWLES-FRASER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 mars 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

Le 19 mars 2018


COMPARUTIONS :

Robert H. Littlejohn

Ryan Hurst

POUR LA DEMANDERESSE

Marcus Dirnberger

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Littlejohn Barristers

Société professionnelle

Barrie (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Gatineau (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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