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Date : 20180302


Dossier : IMM-3071-17

Référence : 2018 CF 241

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

LUCITA ARMISTAN WILLIAMS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Williams sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 20 juin 2017 de l’agent principal (l’agent) qui a rejeté sa demande de résidence permanente présentée pour des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

[2]  Par les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

I.  Résumé des faits

[3]  Mme Williams est arrivée au Canada en 2006 en provenance de Saint-Vincent-et-les-Grenadines munie d’un visa de visiteur.

[4]  Elle a commencé à travailler au Canada en 2007. En 2014, elle a commencé à travailler en tant qu’aide familiale. Toutefois, ce n’est qu’en 2015 que Mme Williams a obtenu le droit de travailler au Canada. Elle travaille à temps complet depuis 2017.

[5]  Mme Williams a présenté une demande d’asile au Canada en 2010 en raison de la violence familiale dont elle était victime à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Sa demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés au mois de décembre 2011.

[6]  Au mois de février 2016, la demande d’examen des risques avant renvoi de Mme Williams a été rejetée, et son renvoi du Canada a été fixé au 9 septembre 2016. Du fait qu’elle ne s’est pas présentée pour son renvoi, elle a été mise en détention et a par la suite été remise en liberté sous conditions.

[7]  En avril 2016, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

II.  Décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

[8]  La demande de Mme Williams fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée le 20 juin 2017.

[9]  L’agent a examiné les conditions défavorables à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, considérant que Mme Williams a été victime de violence familiale de la part de son père et de son conjoint de fait. L’agent a précisé que Saint-Vincent-et-les-Grenadines est un pays démocratique qui possède un pouvoir judiciaire efficace et un corps policier en mesure de répondre aux plaintes. Bien que la violence familiale ne soit pas criminalisée à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, l’agent a conclu que les victimes de violence familiale ont accès à des services. Ce risque que courait Mme Williams a constitué l’un des facteurs que l’agent a examinés en lien avec les autres éléments de la demande.

[10]  En ce qui a trait à son établissement au Canada, l’agent a mentionné l’expérience professionnelle acquise par Mme Williams, mais a également indiqué que ce facteur positif était entaché par le fait qu’elle n’avait obtenu l’autorisation de travailler au Canada qu’au mois de septembre 2015. L’agent a souligné qu’elle avait fréquenté l’école du soir, mais a noté qu’aucun autre renseignement n’avait été fourni concernant ses études.

[11]  L’agent a examiné la preuve concernant le fils de Mme Williams (CW), notamment des évaluations psychiatriques, des rapports médicaux et des lettres d’appui. Selon les éléments de preuve fournis, CW souffre de dépression, d’anxiété et est atteint de dysphorie de genre. L’agent a tenu compte du rôle joué par Mme Williams et sa prétention selon laquelle son soutien a aidé CW à faire la transition de femme à homme. L’agent a conclu que Mme Williams pourrait continuer à soutenir son fils tout en résidant à Saint-Vincent-et-les-Grenadines et que CW pouvait compter sur un réseau d’appui au Canada.

[12]  Les considérations relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant dont il est question concernent le petit-fils de Mme Williams et sa prétention de passer beaucoup de temps avec lui. L’agent a « considéré favorablement » cet élément, mais a remis en question le degré de participation de Mme Williams dans la vie de son petit-fils puisqu’elle travaille à temps plein.

[13]  Enfin, l’agent a examiné la preuve médicale soumise par Mme Williams, notamment deux rapports, l’un de 2011 et l’autre de 2015, du Dr Pilowsky. Dans le rapport de 2011, le Dr Pilowsky a conclu que Mme Williams souffrait du syndrome post-traumatique et a recommandé qu’elle suive une thérapie. L’agent a précisé que le [traduction] « Dr Pilowsky ne mentionne pas de tests psychologiques ou de diagnostics précis lors de sa consultation initiale et de l’entrevue avec la demanderesse ».

[14]  Dans son rapport de 2015, le Dr Pilowsky déclare : [traduction]  « Mon opinion professionnelle m’amène à conclure que cette femme souffre actuellement d’un trouble chronique de stress post-traumatique (309.81), ainsi que de trouble dépressif majeur (296.23) ». L’agent a indiqué que la lettre du Dr Pilowsky confirmait que la demanderesse avait passé deux tests.

[15]  L’agent a indiqué qu’il n’avait pas pu déterminer si Mme Williams avait cherché à consulter un thérapeute. Par conséquent, l’agent a conclu que rien ne lui permettait de conclure à une relation de consultation soutenue. L’agent a conclu que le comportement de Mme Williams par la suite n’était pas celui d’une personne malade qui a besoin de traitements.

[16]  L’agent a conclu en précisant qu’une importance significative avait été donnée au fait que le recours à l’article 25 constitue une mesure exceptionnelle, et a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire,

III.  Norme de contrôle

[17]  La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent de ne pas accorder une exemption pour des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (X.Y. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 213, au paragraphe 8).

IV.  Question en litige

[18]  Mme Williams soulève plusieurs aspects qui remettent en question le caractère raisonnable de la décision de l’agent. Toutefois, la façon de l’agent d’analyser la preuve médicale est déterminante de la présente demande.

V.  Discussion

A.  La preuve médicale

[19]  Mme Williams prétend que l’agent a commis une erreur en concluant que [traduction]  « [… ] Selon moi, le comportement ultérieur de Mme Williams n’est pas celui d’une personne malade qui a besoin de traitements ». Particulièrement, Mme Williams indique que l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 6, aux paragraphes 46 et 47 [Kanthasamy] interdit à l’agent d’exiger qu’elle produise des éléments de preuve supplémentaires pour démontrer qu’elle a cherché à obtenir de l’aide médicale, dans la mesure où le diagnostic du médecin est accepté.

[20]  Pour sa part, le défendeur prétend que l’agent n’a pas accepté expressément le diagnostic et que, s’il l’avait accepté, il ne s’agissait que d’un élément qui avait été considéré dans le cadre de la demande. Qui plus est, le défendeur soutient que l’arrêt Kanthasamy ne peut s’appliquer à une situation comme celle dont est saisie notre Cour où un demandeur ne suit pas le traitement recommandé, mais peut tout de même invoquer le diagnostic médical.

[21]  En ce qui a trait au rapport de 2011, l’agent a conclu en affirmant que le Dr Pilowsky [traduction] « ne mentionne pas de tests psychologiques ou de diagnostics précis qui auraient été effectués lors de la consultation initiale et de l’entrevue de la demanderesse ».

[22]  En ce qui a trait au rapport de 2015 dans lequel le Dr Pilowsky indique que Mme Williams souffre du trouble de stress post-traumatique et d’un trouble dépressif majeur, l’agent indique ce qui suit :

[traduction]

À la lumière des éléments de preuve qui m’ont été présentés, je ne peux pas conclure à l’existence d’une relation de consultation soutenue entre la demanderesse et le Dr Pilowsky ni qu’elle s’est soumise à plus de deux évaluations; par conséquent, le comportement de la demanderesse n’est pas celui d’une personne malade qui a besoin de traitements.

[23]  Il est nécessaire de souligner que l’agent n’a pas clairement exprimé son désaccord ni n’a rejeté le diagnostic médical contenu dans le rapport 2011 et le rapport de 2015. L’agent conteste plutôt les diagnostics, surtout celui de 2015, en se fondant sur le fait que Mme Williams n’a pas cherché à suivre un traitement. L’agent ne fournit aucune explication ni aucune justification pour en arriver à cette conclusion. En analysant le rapport médical sous cet angle, l’agent a commis une erreur prohibée par la décision rendue dans l’arrêt Kanthasamy.

[24]  La présente affaire ressemble beaucoup à la décision Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1081, au paragraphe 26 [Sitnikova]. Dans sa décision, la Cour a remarqué que l’agent « n’a pas mis en doute leur validité », mais « a ensuite écarté la valeur probante de la preuve psychiatrique parce que [la demanderesse] n’avait pas demandé à obtenir un traitement de suivi pour les préoccupations en matière de santé mentale cernées par sa psychiatre ». Dans cette affaire, tout comme en l’espèce, l’agent n’a pas expressément rejeté l’opinion médicale (Sitnikova, au paragraphe 28)

[25]  En l’espèce, l’agent n’a pas expliqué pourquoi la preuve médicale ne devait pas être acceptée. L’agent s’est plutôt simplement demandé si la demanderesse avait tenté de recevoir des soins médicaux. Sans une analyse du diagnostic, la décision de l’agent ne peut se justifier dans le sens décrit dans l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

[26]  Alors que les erreurs commises par un décideur administratif ne sont pas toutes susceptibles de révision (Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 615, au paragraphe 23), la décision erronée touche en l’espèce « le cœur de la décision » (Castillo Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 648, au paragraphe 24). L’évaluation de la preuve médicale soumise par la demanderesse a clairement altéré l’équilibre global de la décision.

[27]  Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

VI.  Question certifiée

[28]  Le défendeur a proposé la question suivante à certifier :

[traduction]

Dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, s’agit-il d’une erreur si un agent n’évalue pas de façon positive le fait qu’un demandeur a été diagnostiqué comme souffrant d’une maladie mentale qui risque de s’aggraver dans le cas d’un retour dans son pays d’origine, si le demandeur n’a pas fait de démarches pour recevoir un traitement accessible au Canada?

[29]  L’avocat de la demanderesse s’oppose à ce que cette question soit certifiée et soutient que l’arrêt Kanthasamy répond pleinement à la question proposée.

[30]  Dans les circonstances, je suis d’avis qu’il ne s’agit pas d’une question qui devrait être certifiée. La question posée demeure largement théorique et, de toute façon, l’arrêt Kanthasamy et la décision Sitnikova y répondent.

[31]  Par conséquent, je refuse de certifier la question proposée par le défendeur.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3071-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour un nouvel examen.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3071-17

INTITULÉ :

LUCITA ARMISTAN WILLIAMS c LE MINISTREDE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 janvier 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mars 2018

COMPARUTIONS :

Cheryl Robinson

POUR LA DEMANDERESSE

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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