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Date : 20180321


Dossier : IMM‑1991‑17

Référence : 2018 CF 324

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2018

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

ANA MILENA DEVIA TUIRAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas en poste à l’ambassade du Canada à Bogota, en Colombie (l’agent), datant du 5 avril 2017, qui rejette la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse faite en vertu de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2] La demanderesse est citoyenne de Colombie. Elle est mariée à un citoyen canadien qui habite dans la province de Québec. Le couple s’est rencontré en janvier 2015. Entre avril et août 2015, la demanderesse a présenté à deux reprises des demandes de visa de résident temporaire, la première fois dans la catégorie des visiteurs et ensuite dans la catégorie des étudiants. Les deux demandes ont été rejetées. La demanderesse s’est mariée le 5 mars 2016, et peu de temps après, a demandé le statut de résident permanent au Canada. Elle était parrainée par son époux.

[3] Entre‑temps, la demanderesse s’est rendue aux États‑Unis munie d’un visa valide du 24 mai au 4 juin 2015, et du 28 septembre 2015 au 21 janvier 2016, et a résidé pendant ce temps à Malone (New York). Elle est retournée aux États‑Unis de juin à août 2016, en attendant que sa demande de statut de résident permanent soit traitée. Pendant ses séjours temporaires aux États‑Unis, son époux lui rendait régulièrement visite avec ses enfants.

[4] Le 6 septembre 2016, la demanderesse a tenté de retourner aux États‑Unis, mais on lui a refusé l’entrée étant donné qu’elle n’avait pas de billet de retour et que les autorités avaient des doutes concernant les motifs de son séjour. Le lendemain, on a conclu qu’elle était interdite de territoire aux États‑Unis et elle a signé une « mesure de renvoi » qu’elle était interdite d’entrée aux États‑Unis pour une période de cinq ans. Une semaine plus tard, pendant qu’elle était en Colombie, elle a signalé aux autorités que son passeport, qui contenait son visa pour les États‑Unis, avait été volé.

[5] Le 8 février 2017, la demanderesse a déposé la demande de visa de résident temporaire qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. La demanderesse a répondu « Oui » à la question [traduction] « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays? », mais elle n’a fait référence qu’aux refus des deux demandes de visa de résident temporaire au Canada qu’elle avait présentées en 2015.

[6] En mars 2017, après avoir reçu une confirmation des autorités des États‑Unis que le visa de la demanderesse pour les États‑Unis avait été annulé, le défendeur a déterminé que l’équité procédurale nécessitait la tenue d’une entrevue. Par conséquent, le 22 mars 2017, un agent d’immigration a appelé la demanderesse concernant sa réponse à la question sur son formulaire de demande de visa de résident temporaire daté du 8 février 2017, [traduction] « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays? »

[7] Le 28 mars 2017, la demanderesse et son époux se sont rendus à l’ambassade du Canada à Bogota. On leur a refusé leur demande de rencontre avec un agent d’immigration, toutefois, on leur a permis de présenter des documents supplémentaires. Les documents soumis par la demanderesse comprenaient une lettre de son époux, cosignée par la demanderesse, dans laquelle il tentait de clarifier les voyages de la demanderesse aux États‑Unis. Ils comprenaient également une copie de la décision d’interdiction de territoire du Département de la Sécurité intérieure des États‑Unis. Dans sa lettre, l’époux de la demanderesse expliquait qu’en remplissant la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse, il n’avait délibérément mentionné que ses demandes de visa de résident temporaire rejetées au Canada et avait choisi de ne pas mentionner le voyage de la demanderesse aux États‑Unis pendant lequel son visa avait été annulé parce qu’il croyait que son choix était de retourner en Colombie plutôt que de demeurer aux États‑Unis. De plus, il explique que malgré le fait qu’elle était en possession des documents d’interdiction de territoire aux États‑Unis, la demanderesse ne voulait jamais les consulter parce qu’ils lui rappelaient de [traduction] « mauvais souvenirs ».

[8] Le 5 avril 2017, s’appuyant sur les renseignements fournis dans la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse, l’entrevue téléphonique et les documents présentés par la demanderesse et son époux après l’entrevue téléphonique, l’agent a conclu que la demanderesse était interdite de territoire pour fausse déclaration ayant omis de mentionner dans son formulaire de demande de visa de résident temporaire que son visa pour les États‑Unis avait été annulé. L’agent a examiné le paragraphe 16(1) de la Loi qui exige que les demandeurs de visas répondent à toutes les questions de façon véridique et l’alinéa 40(1)a) selon lequel un étranger est interdit de territoire pour fausses déclarations s’il fait une réticence sur un fait important quant à un objet pertinent, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur. L’agent a conclu que la fausse déclaration était significative pour ce qui est de l’examen de la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse. En outre, lors de l’entrevue téléphonique, la demanderesse n’a pas signalé l’annulation de son visa pour les États‑Unis, alléguant qu’elle était désorientée par la question [traduction] « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays? », étant donné qu’elle croyait que cette question ne concernait que le Canada. L’agent était convaincu que la fausse déclaration n’était pas due à une simple erreur de la part de la demanderesse.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[9] Le cas en l’espèce soulève les deux questions suivantes :

  • 1) L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

  • 2) La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[10] Il n’y a aucun différend entre les parties en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à chaque question. Comme il est bien établi, la norme de la décision correcte est applicable aux questions d’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43) alors que la décision elle‑même est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Punia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 184 au para 20 [Punia]; Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793 au para 6; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401 au para 14).

[11] Cela signifie qu’aucune déférence n’est due à l’agent en ce qui concerne la manière dont il a traité la demande de visa de résident temporaire de la demanderesse du point de vue de l’équité procédurale. D’autre part, la norme de la décision raisonnable exige une approche plus déférentielle de la part de la Cour, ce qui signifie que la Cour n’interviendra dans la décision de l’agent que si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

III. Analyse

A. Équité procédurale

[12] La demanderesse soutient qu’on a porté atteinte à l’obligation de l’équité procédurale à son endroit étant donné qu’on ne lui a pas donné l’occasion adéquate de répondre aux préoccupations de l’agent en ce qui concerne les fausses déclarations dans sa demande de visa de résident temporaire. Le défendeur soutient que l’agent n’avait aucune obligation d’envoyer une lettre relative à l’équité procédurale ou autrement de donner une occasion à la demanderesse ou à son époux de répondre au moyen d’une autre entrevue. Le défendeur souligne le fait qu’il a bien eu une entrevue téléphonique avec la demanderesse et a examiné lors de sa prise de décision les observations écrites présentées par la demanderesse et son époux après l’entrevue.

[13] La demanderesse insiste pour dire que des lettres ou des entrevues sont nécessaires lorsque des questions sérieuses de crédibilité sont soulevées. Toutefois, en l’espèce, ce n’est pas la crédibilité de la demanderesse qui est en cause, mais le fait qu’elle n’a pas mentionné dans son formulaire de demande de visa de résident temporaire que son visa pour les États‑Unis avait été annulé. Dans ce contexte, le défendeur soutient que le degré d’équité procédurale accordé à la demanderesse était suffisant.

[14] Je souscris à l’avis du défendeur que l’obligation d’équité procédurale envers un demandeur de visa de résident temporaire se situe vers l’extrémité inférieure du registre, même si le visa de résident temporaire est demandé conjointement avec une demande de résident permanent ou que des préoccupations de fausses représentations ont été soulevées lors du traitement de la demande (Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 238 au para 27; Sepehri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1217 au para 3). Il en est généralement ainsi étant donné que la personne en question – un non‑citoyen – n’a pas le droit d’entrer ni de demeurer au Canada et ne fait pas l’objet d’une mise en détention ni d’une mesure de renvoi du Canada. Il en est également ainsi parce que les décisions rejetant les demandes de visa de résident temporaire présentées depuis l’étranger par des ressortissants étrangers sont hautement discrétionnaires et que les conséquences pour les demandeurs qui n’obtiennent pas gain de cause, bien qu’elles soient sérieuses, normalement ne touchent pas leurs droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (Jahazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 242 au para 32).

[15] Mais que signifie exactement l’extrémité inférieure du registre? À la base, l’obligation d’équité procédurale comprend un droit de participation et dépend beaucoup du contexte (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 30). En l’espèce, le droit de la demanderesse à l’équité procédurale signifie qu’elle devait être informée des préoccupations de l’agent concernant les fausses déclarations et qu’elle aurait dû avoir l’occasion d’y répondre (Ghasemzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 716 aux para 27, 29 et 31 [Ghasemzadeh]). À mon avis, c’est exactement ce qui s’est passé.

[16] Bien que les parties ne soient pas d’accord sur ce qui a été discuté exactement pendant l’entrevue téléphonique, l’entrevue a donné un avis suffisant à la demanderesse qu’il existât des préoccupations concernant les fausses déclarations en ce qui concerne la question de savoir si elle avait été renvoyée d’un pays, ou s’était vu refuser l’entrée dans un pays, autre que le Canada. La demanderesse soutient que l’entrevue téléphonique était trop brève, et qu’elle était dans un lieu public bruyant ce qui signifie qu’elle ne pouvait pas se concentrer sur ses réponses, mais il est manifeste d’après le recoupement des faits entre l’affidavit qu’elle a signé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire et les notes du Système mondial de la gestion des cas (SMGC) que la demanderesse était informée des conséquences des fausses déclarations et qu’on lui a demandé si elle avait déjà été renvoyée d’un pays où s’était vu refuser l’entrée dans un pays autre que le Canada. La demanderesse a donné une explication de la raison pour laquelle elle n’avait pas inclus de renseignements sur des pays autres que le Canada, mais cela ne suffisait pas pour réparer la fausse déclaration.

[17] La demanderesse soutient dans son affidavit que la question du visa pour les États‑Unis ne lui a pas été précisément posée pendant l’entrevue. À mon avis, c’est difficile à concilier avec les événements qui ont suivi l’entrevue téléphonique. Comme il a été indiqué auparavant, lorsque, après l’entrevue téléphonique, la demanderesse et son époux se sont présentés à l’ambassade du Canada à Bogota pour demander une entrevue en personne, leur demande a été refusée, mais on les a informés qu’ils pouvaient présenter d’autres documents, ce qu’ils ont fait. Il est évident d’après la lettre présentée avec ces documents que la demanderesse était consciente que son visa pour les États‑Unis était le motif des préoccupations de l’agent concernant la fausse déclaration. Dans la lettre, l’époux de la demanderesse indique que son objectif est de [traduction] « clarifier les événements en ce qui concerne les voyages antérieurs [de la demanderesse] aux États‑Unis d’Amérique » (dossier certifié du tribunal (DCT), à la p 42) et les documents donnés à la demanderesse lorsque son visa a été annulé sont joints à cette lettre (DCT, aux p 44, 51 à 58). En particulier, il décrit en détail les circonstances au moment de remplir le formulaire de demande de visa de résident temporaire et les motifs pour lesquels la mesure de renvoi des États‑Unis n’avait pas été mentionnée de façon délibérée dans la réponse.

[18] Je ne comprends pas pourquoi la demanderesse et son époux se seraient donné la peine de présenter une lettre au [traduction] « centre de réception des demandes de visa pour le Canada » à l’ambassade du Canada à Bogota pour donner une explication au sujet de la réponse donnée à la question de savoir si la demanderesse avait déjà été renvoyée d’un pays, ou s’était vu refuser l’entrée dans un pays, autre que le Canada, si cette question n’avait pas été soulevée précisément en tant que préoccupation concernant la fausse déclaration lors de l’entrevue téléphonique menée une semaine auparavant. Je crois qu’il s’agit d’un cas où il convient d’accorder plus de poids aux notes du SMGC qu’aux souvenirs de la demanderesse des événements. Comme il est bien établi, les notes du SMGC ont souvent plus de poids que le témoignage d’un demandeur, étant donné qu’elles sont contemporaines aux événements tandis que l’affidavit d’un demandeur est souvent présenté plusieurs mois après les événements (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 904 au para 38; Oei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 466 au para 42; Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1139 au para 13).

[19] Étant donné que le défendeur a conclu que l’équité procédurale exigeait un suivi supplémentaire avec la demanderesse, que la demanderesse a reçu un appel téléphonique qui l’informait des préoccupations de l’agent concernant la question de savoir si elle s’était vu refuser l’entrée dans un autre pays que le Canada et des conséquences de la fausse déclaration, que la demanderesse et son époux ont eu le droit de présenter d’autres documents à l’ambassade du Canada à Bogota le 28 mars 2017, que ces documents contenaient une explication de l’omission de la demanderesse d’indiquer l’annulation de son visa pour les États‑Unis, et que ces documents, comme en témoignent les notes du SMGC, ont été examinés par l’agent, je suis convaincu que l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse dans les circonstances de l’espèce a été respectée.

B. Caractère raisonnable

[20] Le paragraphe 16(1) de la Loi exige que les demandeurs de visa répondent véridiquement aux questions et présentent tous les documents pertinents et les éléments de preuve requis raisonnablement lorsqu’ils présentent une demande en vertu de la Loi. L’objectif des dispositions concernant les fausses déclarations dans la Loi est « de faire en sorte que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada » (Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942 au para 36; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512 aux para 26 à 29; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1059 aux para 57 et 58, confirmée dans 2006 CAF 345 [Wang]).

[21] L’article 40 de la Loi établit le cadre législatif relatif aux fausses déclarations, lequel s’applique à la demanderesse :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation;

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act

[…]

[…]

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1):

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

Interdiction de territoire

Inadmissible

(3) L’étranger interdit de territoire au titre du présent article ne peut, pendant la période visée à l’alinéa (2)a), présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent.

(3) A foreign national who is inadmissible under this section may not apply for permanent resident status during the period referred to in paragraph (2)(a).

[22] L’agent a conclu que la demanderesse était interdite de territoire pour fausse déclaration étant donné qu’elle n’a pas mentionné que le visa pour les États‑Unis dans la copie de son passeport présenté à l’appui de sa demande de visa de résident temporaire avait été annulé. La demanderesse soutient qu’elle n’avait aucune intention d’induire en erreur, qu’elle avait mal compris la question lorsqu’elle a rempli le formulaire, qu’elle n’était pas consciente que son visa pour les États‑Unis avait été annulé et n’en a eu connaissance qu’au moment où, après l’entrevue téléphonique, elle a examiné les documents que les autorités d’immigration des États‑Unis lui ont donnés lorsqu’elle s’est vu refuser l’entrée aux États‑Unis en septembre 2016. Elle soutient que la décision de l’agent était déraisonnable étant donné qu’elle n’avait pas tenu compte du fait qu’elle avait fait une erreur innocente.

[23] Le défendeur soutient que l’agent avait des motifs raisonnables de croire que la demanderesse avait trompé les autorités canadiennes en ne divulguant pas que son visa pour les États‑Unis avait été annulé et qu’elle était par conséquent interdite de territoire au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Il soutient que l’alinéa 40(1)a) s’applique même dans des cas où la fausse déclaration est faite par une autre partie, où il n’y a aucune intention d’induire les autorités canadiennes en erreur, et où la fausse déclaration est rectifiée avant la décision et que la situation de la demanderesse ne relève pas de l’exception restreinte de la fausse déclaration innocente.

[24] Il est incontestable que la demanderesse n’a pas mentionné dans ses documents de demande de visa de résident temporaire que son visa pour les États‑Unis avait été annulé et qu’elle ne pouvait rentrer aux États‑Unis pendant cinq ans. Toutefois, était‑il raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse était interdite de territoire pour ce motif? Je conclus qu’il l’était.

[25] Dans Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153 [Kazzi], le juge Denis Gascon a résumé les principes généraux qui se dégagent des décisions de notre Cour sur l’alinéa 40(1)a) de la Loi comme suit :

[38] […] Les principes généraux qui se dégagent des décisions de notre Cour sur l’alinéa 40(1)a) de la LIPR ont été bien résumés par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Sayedi, aux para 23 à 27, la juge Strickland dans la décision Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 [Goburdhun] au para 28, et le juge Gleeson dans la décision Brar, aux para 11 et 12. Les principaux éléments de ces décisions – et qui sont particulièrement pertinents en l’espèce – peuvent être résumés comme suit : 1) la disposition doit être interprétée largement afin de favoriser l’objectif qui la sous‑tend; 2) elle a pour objet de décourager les fausses déclarations et de protéger l’intégrité du processus d’immigration au Canada; 3) les exceptions à cette règle générale sont définies de manière étroite et ne s’appliquent qu’aux situations vraiment exceptionnelles; 4) le demandeur est soumis à une obligation continue de franchise et doit fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques lorsqu’il présente une demande d’entrée au Canada; 5) il faut tenir compte du libellé de la disposition et de l’objet qui la sous‑tend pour décider si une présentation erronée porte sur un fait important; 6) une présentation erronée porte sur un fait important si elle a une incidence sur le processus d’immigration; 7) une présentation erronée n’a pas besoin d’être décisive ou déterminante pour être importante; 8) le demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant qu’elles ne se prononcent sur la demande; 9) l’analyse de l’importance ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande; et 10) la question de savoir si une présentation erronée risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR doit être examinée en fonction du moment où la fausse déclaration a été faite.

[39] Je souligne qu’il importe peu que les autorités aient pu mettre au jour la fausse déclaration. Ce qui compte, c’est de savoir si la fausse déclaration a entraîné ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Comme la Cour l’a maintes fois répété dans ses décisions, le demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant qu’elles ne se prononcent sur la demande (Goburdhun, au para 28; Sayedi, au para 27; Faisal Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512 [Khan], aux para 25 et 27). Autrement dit, l’alinéa 40(1)a) de la LIPR ne saurait être interprété de manière à récompenser ceux qui arrivent à passer à travers les mailles du filet avant que leurs demandes soient examinées et à leur donner l’absolution parce qu’ultimement, leurs fausses déclarations n’ont pas eu le résultat escompté.

[26] Outre les principes énoncés dans la décision Kazzi, l’article 40 de la Loi exige qu’il n’y ait aucune intention d’induire en erreur de la part du demandeur de visa (Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 au para 15 [Baro]) et on peut conclure de façon raisonnable qu’un demandeur est interdit de territoire même si la fausse déclaration a été faite par une autre partie, comme, par exemple, l’époux de la demanderesse, comme c’est le cas en l’espèce (Wang, aux para 50 à 53, 55, 58).

[27] Il existe toutefois une exception à l’application du paragraphe 40(1) de la Loi, l’erreur innocente (Baro, au para 15; Punia, au para 67), une exception qui s’applique dans des circonstances limitées où « il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté » (Suri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 589 au para 20 [Suri]; voir aussi Ghasemzadeh, au para 13). Dans la décision Baro, où le demandeur avait déjà été marié, mais sa première épouse avait disparu et était déclarée morte, la Cour a conclu que l’omission de déclarer ses antécédents matrimoniaux sur un formulaire qui demande d’en faire état ne constituait pas une fausse déclaration innocente.

[28] On peut voir un bon exemple de l’exception de l’erreur innocente dans la décision Osisanwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1126, où des tests génétiques ont révélé que l’époux de la demanderesse n’était pas le père naturel de son fils, malgré avoir été indiqué comme tel dans l’acte de naissance. La Cour a conclu que la demanderesse et son époux croyaient tous les deux que son époux était le père, et qu’il avait toujours agi comme tel; le fait qu’ils ne connaissaient pas ce fait important a amené le juge à conclure qu’ils n’étaient pas interdits de territoire pour fausse déclaration. La décision Punia est moins évidente à cet égard, puisque la Cour a conclu que la conclusion concernant l’interdiction de territoire pour fausses déclarations était déraisonnable étant donné qu’il était non contesté que les demandeurs croyaient véritablement qu’ils ne dissimulaient pas de renseignements et que l’agent n’a pas cherché à savoir si le cas des demandeurs justifiait une exception à l’obligation de franchise (Punia, aux para 68 et 70).

[29] Peu importe si la demanderesse a mal compris la question lorsqu’elle a rempli son formulaire de demande de visa de résident temporaire ou si elle avait ou non l’intention d’indiquer faussement le statut de son visa pour les États‑Unis, il n’est tout simplement pas plausible qu’elle n’ait eu aucune idée que son visa avait été annulé. La situation de la demanderesse est semblable à celle du demandeur dans la décision Baro, étant donné que le formulaire demandait précisément ce renseignement, dont la demanderesse était en possession, mais elle ne l’a pas fourni. La question indique clairement [traduction] « le Canada ou tout autre pays », et il incombait à la demanderesse de fournir des renseignements exacts, comme l’exige l’article 16 de la Loi.

[30] L’exception de l’erreur innocente au paragraphe 40(1) de la Loi s’applique lorsque la connaissance de la fausse déclaration échappe à la volonté du demandeur (Suri, au para 20). Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. La demanderesse savait qu’il y avait eu des problèmes lors de sa dernière tentative de se rendre aux États‑Unis étant donné qu’elle avait été détenue et interrogée, une expérience qu’elle avait décrite comme traumatisante (mémoire de la demanderesse, au para 12). Elle savait aussi qu’on lui avait donné des papiers à signer avant de pouvoir quitter les États‑Unis. Ces documents étaient en sa possession et, même si son niveau d’anglais, comme elle le prétend, n’est pas assez élevé pour en comprendre le contenu, elle n’a pas tenté de les faire examiner par son époux ou de les faire traduire par une autre personne. La demanderesse a un niveau d’études élevé et a déjà présenté des demandes de visa pour le Canada et pour d’autres pays. On peut s’attendre à ce qu’elle ait une certaine compréhension du fonctionnement du processus, y compris l’importance de fournir des réponses exactes et complètes. En résumé, la demanderesse aurait dû savoir que son visa pour les États‑Unis avait été annulé; il n’y a qu’en cas d’ignorance délibérée de sa part qu’elle aurait pu ne pas être au courant, ce qui ne constitue pas une excuse valable.

[31] En outre, selon la lettre de l’époux de la demanderesse du 28 mars 2017, le couple avait discuté ce qui s’était passé aux États‑Unis en septembre 2016 lorsqu’ils ont rempli le formulaire de demande de visa de résident temporaire. Apparemment, la demanderesse ne souhaitait pas lire les documents que les autorités d’immigration des États‑Unis lui ont donnés ni même les montrer à son époux [traduction] « à cause des mauvais souvenirs ». On peut se demander, si ces événements étaient aussi traumatisants qu’elle le prétend, pourquoi la demanderesse n’a pas fait part de toute l’histoire à son époux à la première occasion, y compris en lui montrant les documents. La raison pour laquelle elle ne l’a pas fait me dépasse, étant donné l’incidence de ces événements sur sa relation avec son époux et la possibilité pour le couple de se rencontrer occasionnellement aux États‑Unis en attendant l’issue de la demande de résidence permanente de la demanderesse parrainée par son époux.

[32] Étant donné que la demanderesse a présenté une copie de son passeport qui contenait un visa valide pour les États‑Unis, mais a omis de mentionner qu’il avait été annulé, et étant donné qu’elle était présente au moment où il avait été annulé, et avait signé des documents à cet égard, et qu’elle était en possession de ces documents, à mon avis il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure que les fausses représentations n’étaient pas dues à une simple erreur et que la demanderesse était par conséquent interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations. Étant donné les éléments de preuve dont l’agent était saisi, je ne vois pas comment l’agent aurait pu parvenir à une autre conclusion. Par conséquent je suis convaincu que la décision de l’agent était raisonnable étant donné qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au para 47).

[33] Aucune des parties n’avance que la présente affaire soulève une question d’importance générale justifiant un appel. Je partage cet avis.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1991‑17

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1991‑17

 

INTITULÉ :

ANA MILENA DEVIA TUIRAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Annabel E. Busbridge

 

Pour la demanderesse

 

Lyne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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