Date : 20180320
Dossier : IMM-3002-17
Référence : 2018 CF 318
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 20 mars 2018
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
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SABRIN HUSSEIN ABDULKADIR
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
La Cour est saisie d’une demande présentée par la demanderesse en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 8 juin 2017 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) lui a refusé la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi.
II.
RÉSUMÉ DES FAITS
[2]
Le 23 janvier 2017, la demanderesse est entrée au Canada en provenance des États-Unis à titre de mineure non accompagnée. Elle est née en Arabie saoudite en 2000, un fait que personne ne conteste. Cependant, ses parents ne sont pas citoyens de l’Arabie saoudite et elle n’a pas droit à la citoyenneté saoudienne. La famille vit encore en Arabie saoudite mais, selon la demanderesse, le père pourrait perde son emploi à cause de la politique de « saoudisation »
du gouvernement. Or, c’est grâce au parrainage de l’employeur de son père qu’elle peut conserver son statut de résidente temporaire de l’Arabie saoudite.
[3]
La demanderesse allègue que ses parents seraient des citoyens de l’Érythrée, mais que tous les deux détiennent depuis des années un passeport éthiopien obtenu frauduleusement. Elle aussi serait citoyenne de l’Érythrée, et le passeport éthiopien dont elle était munie à son entrée au Canada aurait aussi été obtenu par fraude et elle n’aurait juridiquement aucun droit à la citoyenneté éthiopienne.
[4]
En dépit de tout cela, la demanderesse soutient que son père aurait décidé en 2015 qu’elle, sa mère et son jeune frère devaient tenter de vivre en Éthiopie pour voir si c’était possible en cas d’expulsion de la famille par l’Arabie saoudite. La demanderesse affirme que sa famille ne se sentait pas en sécurité en Éthiopie parce que les voisins connaissaient son origine érythréenne. Elle ajoute qu’elle n’avait pas le droit d’y fréquenter l’école publique et que, parce qu’elle ne pouvait pas obtenir de carte d’identité, sa mère n’avait accès à aucun service. À l’été 2016, en raison de ces conditions de vie et de l’escalade de la violence en Éthiopie, sa mère est retournée vivre en Arabie saoudite avec la demanderesse et son frère.
[5]
Elle craint maintenant de retourner en Éthiopie parce qu’elle risque d’être expulsée vers l’Érythrée en raison de sa prétendue citoyenneté érythréenne. En Érythrée, elle risque d’être forcée de s’enrôler dans les services militaires et nationaux, ce qui la relèguerait à un statut d’esclave. Là encore, même si elle pouvait rester en Éthiopie, elle risquerait d’y subir de la persécution du fait de sa nationalité érythréenne.
III.
DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[6]
La Section de la protection des réfugiés a conclu que les éléments de preuve à sa disposition ne lui permettaient pas d’établir que la demanderesse est une citoyenne de l’Érythrée. La preuve indique plutôt que la demanderesse est citoyenne de l’Éthiopie et qu’elle n’a pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger.
[7]
La Section de la protection des réfugiés observe également que même si l’oncle de la demanderesse avait agi à titre de représentant désigné à l’audience relative à son statut de réfugiée, elle est une mineure non accompagnée et, par conséquent, il faut accorder une attention spéciale aux Directives numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié, ainsi qu’aux Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les directives du président). En conséquence, la Section de la protection des réfugiés a refusé de tirer une conclusion défavorable relativement aux incohérences entre les déclarations de la demanderesse dans le formulaire de demande générique et l’annexe A concernant sa citoyenneté éthiopienne et le lieu de naissance de sa mère. L’âge, l’expérience, le sexe et les antécédents culturels de la demanderesse ont également eu une incidence sur le poids accordé à son témoignage.
[8]
La Section de la protection des réfugiés souligne aussi que le défendeur est intervenu dans la demande et qu’il a produit des éléments de preuve indiquant que les parents de la demanderesse ont soumis une demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugiés à l’étranger. Les renseignements fournis dans la demande d’asile et lors de l’entrevue que des agents canadiens ont fait subir à la mère contredisent certains renseignements figurant dans les éléments de preuve produits par la demanderesse.
[9]
Après avoir examiné les incohérences entachant la demande de la demanderesse, la Section de la protection des réfugiés a établi que bien qu’ils soient d’origine érythréenne, elle et le restant de sa famille sont citoyens de l’Éthiopie. Le père est arrivé en Arabie saoudite en 1990, soit avant le référendum sur l’indépendance de l’Érythrée, et la mère y est arrivée en 1998, des faits qui ont mené la Section de la protection des réfugiés à conclure qu’ils avaient la citoyenneté éthiopienne à leur arrivée, à laquelle ils n’ont jamais renoncé.
[10]
Par ailleurs, la demanderesse ne peut avoir une double citoyenneté éthiopienne et érythréenne. Selon elle, ses parents détiennent des cartes d’identité nationale de l’Érythrée et n’ont pas pu se prévaloir de la directive prise par l’Éthiopie en 2004 pour déterminer le statut de résidence des personnes d’origine érythréenne vivant sur son territoire. Cependant, la Section de la protection des réfugiés a relevé des incohérences entre les éléments de preuve visant à établir l’identité des parents et elle a estimé que leurs cartes d’identité érythréennes n’étaient pas authentiques. Elle souligne à cet égard que la demanderesse et ses parents semblent détenir des passeports éthiopiens authentiques qui leur ont permis de retourner à plusieurs reprises en Éthiopie, et qu’ils se sont toujours présentés comme étant d’origine éthiopienne en Arabie saoudite. La Section de la protection des réfugiés estime par conséquent qu’il est plus vraisemblable qu’ils soient d’origine érythréenne et qu’ils ont conservé leur nationalité éthiopienne. De ce fait, la demanderesse et ses parents ont été en mesure d’obtenir des passeports éthiopiens et de se rendre en Éthiopie.
[11]
Après avoir relevé les incohérences dans les éléments de preuve concernant la carte d’identité nationale érythréenne de la mère de la demanderesse, la Section de la protection des réfugiés a conclu qu’elles étaient demeurées inexpliquées et l’obligeaient donc à n’accorder que très peu d’importance à ce document. De fait, il est indiqué sur la carte d’identité que la mère est née le 23 mai 1985, alors que la date de naissance donnée sur son passeport éthiopien est le 1er janvier 1972. Le certificat de naissance de la demanderesse indique quant à lui que sa mère est née en 1975. Initialement, la demanderesse a déclaré qu’elle croyait que sa mère était née en 1985 mais, lorsqu’elle a été interrogée à propos des incohérences entre les documents, elle a indiqué que sa mère lui avait dit qu’elle s’était rajeunie sur sa carte d’identité érythréenne pour éviter de payer des impôts. Selon la demanderesse, la date de naissance de sa mère est celle qui figure sur son passeport éthiopien. La Section de la protection des réfugiés observe que cette explication diffère de celle que la mère a donnée durant l’entrevue que lui a fait passer l’agent canadien, à qui elle a déclaré qu’elle était née en 1985 et que c’est pour être admise en Arabie saoudite qu’elle avait donné une date antérieure pour son passeport.
[12]
L’incapacité de la demanderesse et de son représentant désigné à expliquer comment sa mère avait obtenu sa carte d’identité érythréenne a également soulevé les doutes de la Section de la protection des réfugiés. La Section de la protection des réfugiés renvoie à une preuve documentaire selon laquelle il faut s’inscrire comme Érythréen vivant à l’étranger et payer des droits et des taxes pour obtenir une carte d’identité érythréenne depuis l’étranger. Comme aucun élément de preuve n’a été soumis qui atteste que la mère de la demanderesse a fait cette démarche, la Section de la protection des réfugiés a estimé qu’il était impossible de savoir comment elle avait obtenu sa carte en 2011.
[13]
Par ailleurs, au vu des incohérences entre les témoignages concernant la carte d’identité nationale érythréenne du père, la Section de la protection des réfugiés a estimé qu’elle ne pouvait pas non plus peser lourd dans la balance. La date de naissance qui y figure est le 9 mai 1971, alors que celles qui figurent sur le passeport éthiopien et sur la carte de résidence saoudienne sont le 1er janvier 1960 et le 1er janvier 1964, respectivement. Le certificat de naissance saoudien de la demanderesse indique également que son père est né en 1964. La demanderesse a déclaré qu’elle pensait que son père était né le 28 mai 1971. La Section de la protection des réfugiés a observé que ni la demanderesse ni son représentant désigné n’ont été en mesure d’expliquer par quelle manière son père a obtenu une mise à jour de son permis de résidence saoudien alors que son passeport éthiopien indiquait une date de naissance différente. Celui-ci omet également de répondre à cette question dans une lettre qu’il a produite.
[14]
La Section de la protection des réfugiés a accordé beaucoup de poids au passeport éthiopien de la demanderesse étant donné qu’il lui a permis d’entrer en Éthiopie à de nombreuses reprises et qu’il n’existe aucune preuve quant aux tractations qui ont permis à son père d’obtenir des passeports éthiopiens frauduleux. Un passeport original est une preuve très forte de la nationalité d’une personne, et il incombait de ce fait à la demanderesse de produire une preuve qui aurait établi que son propre passeport et de celui de ses parents ne sont pas valides. La demanderesse a présenté des rapports d’expert rédigés par M. John Campbell et dans lesquels il confirme qu’il était possible d’obtenir un passeport éthiopien en versant des pots-de-vin au début des années 1990. Cependant, la Section de la protection des réfugiés a observé qu’il ressort également des rapports que des conditions plus strictes encadrent la délivrance des passeports depuis quelques années. Après 2006, les consulats et ambassades éthiopiens exigeaient que les demandeurs fournissent un certificat de naissance délivré en Éthiopie pour attester de leur droit à obtenir un passeport éthiopien. Dans sa lettre, le père ne parle pas du fait qu’il aurait obtention de passeports éthiopiens en versant des pots-de-vin, tel que le prétend la demanderesse. La Section de la protection des réfugiés en a conclu à l’inexistence de preuve quant aux voies exactes que le père a empruntées pour obtenir des passeports éthiopiens au cours des années. Elle note en outre que le passeport actuel de la demanderesse a été délivré le 28 décembre 2015, alors qu’elle vivait en Éthiopie et que son père était en Arabie saoudite, et qu’elle a utilisé ce passeport pour se rendre en Arabie saoudite trois jours après sa délivrance. Bien que la Section de la protection des réfugiés ne reproche pas à la demanderesse son ignorance quant aux tractations de son père pour obtenir les passeports, l’incapacité de fournir d’autres éléments de preuve après que la question a été soulevée lors de la première audience joue en défaveur de la cause. La demanderesse aurait pu en effet fournir une nouvelle lettre de son père ou le faire témoigner par téléconférence.
[15]
La Section de la protection des réfugiés a estimé que les autres documents déposés par la demanderesse attestent de manière convaincante de la nationalité ou de l’origine érythréenne des membres de sa famille élargie. Le père est toutefois arrivé en Arabie saoudite avant l’indépendance de l’Érythrée, et la mère a affirmé aux agents canadiens d’immigration que des membres de sa famille vivent en Éthiopie. La Section de la protection des réfugiés a conclu qu’il est possible que les parents de la demanderesse n’aient pas la citoyenneté érythréenne alors que des membres de la famille étendue conservent cette citoyenneté s’ils n’ont pas renoncé à leur citoyenneté éthiopienne après être arrivés en Arabie saoudite.
[16]
Après avoir soupesé les passeports éthiopiens valides et authentiques au regard des cartes d’identité nationale érythréennes des parents de la demanderesse, la Section de la protection des réfugiés a établi qu’aucun d’entre eux n’a perdu sa nationalité éthiopienne par suite de modifications au régime législatif éthiopien en matière de nationalité. La Section de la protection des réfugiés ne retient pas le passage de la lettre du père selon lequel il aurait perdu sa citoyenneté éthiopienne en votant au référendum sur l’indépendance érythréenne. Elle conclut par ailleurs que l’utilisation d’une fausse carte d’identité érythréenne n’est pas invraisemblable puisque la preuve documentaire démontre qu’il est possible, voire assez commun d’obtenir de faux documents à l’extérieur de l’Érythrée. Il s’ensuit, aux yeux de la Section de la protection des réfugiés, que le passeport éthiopien de la demanderesse a plus de poids que les cartes d’identité érythréennes de ses parents, et qu’il est plus probable qu’elle soit citoyenne de l’Éthiopie.
[17]
Comme elle a admis que la famille de la demanderesse peut être d’origine érythréenne, la Section de la protection des réfugiés a jugé à propos de déterminer si elle était susceptible d’être persécutée en Éthiopie. La Section de la protection des réfugiés souligne l’absence d’une preuve directe de l’expérience vécue par la mère de la demanderesse en Éthiopie. Dans ses rapports d’expert, M. Campbell ne parle pas expressément de la difficulté pour les Éthiopiens d’origine érythréenne qui n’ont pas renoncé à leur citoyenneté éthiopienne d’accéder aux services publics. De plus, la preuve documentaire sur laquelle s’appuie la demanderesse traite seulement de la situation des personnes d’origine érythréenne qui n’ont pas été expulsées d’Éthiopie, mais qui ont néanmoins renoncé à leur citoyenneté éthiopienne. La Section de la protection des réfugiés a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que son origine érythréenne priverait la demanderesse d’un accès aux services publics en Éthiopie.
[18]
Il lui a été impossible également de conclure à l’existence d’une sérieuse possibilité pour la demanderesse d’y être persécutée en raison de son origine érythréenne. La preuve documentaire indique que la plupart des atteintes aux droits de la personne remontent au conflit frontalier qui a fait rage entre l’Érythrée et l’Éthiopie de 1998 à 2000. La Section de la protection des réfugiés a conclu que la demanderesse pourrait faire l’objet d’une certaine discrimination qui ne pourrait toutefois être assimilée à de la persécution, et qu’elle n’a ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.
IV.
QUESTIONS EN LITIGE
[19]
La demanderesse fait valoir que la présente demande soulève les questions suivantes :
- La Section de la protection des réfugiés a-t-elle déraisonnablement douté de l’authenticité des cartes d’identité des parents de la demanderesse?
- La Section de la protection des réfugiés a-t-elle déraisonnablement interprété ou appliqué les éléments de preuve documentaire?
- La Section de la protection des réfugiés a-t-elle déraisonnablement appliqué les directives du président pour tirer ses conclusions de fait?
V.
NORME DE CONTRÔLE
[20]
Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a statué qu’une analyse de la norme de contrôle n’est pas toujours nécessaire. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de contrôle judiciaire en common law que la cour de révision doit procéder à une analyse des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).
[21]
Les conclusions de fait de la Section de la protection des réfugiés, y compris celles qui portent sur l’authenticité des documents visant à établir l’identité d’un demandeur et son interprétation des éléments de preuve documentaire, peuvent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Thopke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 532, au paragraphe 28). Dans la présente demande, la demanderesse ne prétend pas que la Section de la protection des réfugiés a mal interprété les directives du président en n’accordant pas les adaptations d’ordre procédural qui auraient été indiquées durant les audiences. Elle reproche plutôt à la Section de la protection des réfugiés de ne pas avoir fondé ses conclusions de fait sur les directives du président. Or, l’application par la Section de la protection des réfugiés des directives du président quand elle tire ses conclusions de fait reste assujettie à la norme de la décision raisonnable (Manege c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 374, aux paragraphes 12 et 13 [Manege]; Aissa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1156, au paragraphe 56).
[22]
Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable se fonde sur une analyse qui s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]). Il s’ensuit que l’intervention de la Cour se justifie seulement si une décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
VI.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[23]
Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :
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VII.
THÈSES DES PARTIES
A.
Thèse de la demanderesse
1)
Cartes d’identité
[24]
La demanderesse soutient qu’il n’est pas expliqué dans la décision pourquoi la Section de la protection des réfugiés était prête à faire abstraction des incohérences entre les passeports éthiopiens de sa famille et son certificat de naissance, et en même temps à accorder peu de poids aux cartes d’identité érythréennes de ses parents. La demanderesse souligne que la Section de la protection des réfugiés a reconnu comme authentiques les passeports éthiopiens et n’a soulevé aucun doute à l’égard de son certificat de naissance saoudien. Or, si la Section de la protection des réfugiés se demande par quelle astuce le père a pu renouveler son permis de résidence saoudien alors que son passeport éthiopien indiquait une date de naissance différente, elle ne met jamais en doute l’authenticité de ce permis. La demanderesse soutient que la conclusion de la Section de la protection des réfugiés quant à l’inauthenticité des cartes d’identité érythréennes en raison des incohérences entre les dates de naissance est illogique et inconséquente puisque les mêmes incohérences peuvent être relevées entre les documents susnommés. Selon la demanderesse, il serait tout aussi logique de conclure que lesdites incohérences révèlent que les passeports éthiopiens ont été obtenus par des moyens frauduleux.
[25]
Elle fait valoir des facteurs comme son âge, les antécédents personnels de ses parents et le contexte culturel dans lequel elle a grandi pour justifier qu’elle ne connaît pas leur date de naissance exacte. Qui plus est, comme ses parents sont tous les deux nés durant le conflit civil entre les forces de libération de l’Éthiopie et de l’Érythrée, il est tout aussi plausible qu’ils ne connaissent pas eux-mêmes leur véritable date de naissance. La Section de la protection des réfugiés « ne devrait pas s’empresser d’appliquer une logique et un raisonnement nord-américains à la conduite du revendicateur »
(Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 12). Cette diligence s’applique également aux conclusions relatives à la plausibilité (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7). La demanderesse estime que les incohérences entre les dates de naissance ne prouvent pas que les documents étrangers sont invalides et qu’elles ne compromettent aucunement la validité des cartes d’identité érythréennes de ses parents. À défaut de preuve additionnelle du caractère frauduleux des cartes d’identité, la Section de la protection des réfugiés a déraisonnablement tiré une conclusion d’invraisemblance en décrétant qu’elles ne donnaient pas une preuve forte de la nationalité érythréenne.
[26]
La demanderesse ajoute qu’il n’était pas loisible à la Section de la protection des réfugiés de déguiser une conclusion d’invraisemblance en concluant que les cartes d’identité pourraient être frauduleuses même si elles recèlent toutes les caractéristiques de sécurité. Le libellé de la conclusion de la Section de la protection des réfugiés ne changeait rien à son effet : les cartes d’identité devaient être considérées comme étant frauduleuses.
2)
Interprétation erronée des éléments de preuve documentaire
[27]
La demanderesse juge que la Section de la protection des réfugiés a conclu de manière déraisonnable que les pièces d’identité de ses parents pourraient être frauduleuses parce qu’elle a fait une lecture sélective d’un élément de preuve documentaire.
[28]
Le document en question est la réponse aux demandes d’information (RDI) ERI104939.EF du 5 septembre 2014, intitulée « Érythrée : information sur le nombre de pièces d’identité frauduleuses, y compris sur les cartes d’identité nationales (2012-août 2014) ». La demanderesse souligne qu’il est énoncé dans la RDI qu’il a été « trouvé peu d’information sur les pièces d’identité frauduleuses, y compris sur les cartes d’identité nationales »
, une affirmation qui ne se trouve pas dans les autres RDI et qui aurait dû inspirer la prudence à la Section de la protection des réfugiés.
[29]
La demanderesse renvoie à trois passages sur lesquels repose la décision. D’abord, le Département d’État des États-Unis a constaté que les cartes d’identité érythréennes sont « facilement altérables »
. La demanderesse observe toutefois que la Section de la protection des réfugiés n’a pas conclu à l’altération des cartes en cause. Ensuite, la RDI indique qu’un chercheur de Human Rights Watch a affirmé qu’il existe un [TRADUCTION] « marché clandestin »
pour les cartes d’identité érythréennes frauduleuses au sein des communautés de réfugiés à l’étranger, sans indiquer comment il est parvenu à cette conclusion ni sur quoi il s’est appuyé. Enfin, il est mentionné dans la RDI qu’un professeur de l’Université d’État de la Pennsylvanie a affirmé que « les pièces d’identité érythréennes fausses et frauduleuses sont courantes à l’extérieur de l’Érythrée »
. Toutefois, le professeur discute uniquement de la situation à Khartoum et non de la situation globale.
[30]
Dans la décision Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 969, au paragraphe 49, notre Cour fait la mise en garde suivante :
[...] la conclusion qu’un document est (ou que certains documents sont) faux ne signifie pas nécessairement que tous les documents le sont également, même lorsque de faux documents sont facilement accessibles. La Section de la protection des réfugiés doit faire des efforts pour établir l’authenticité des documents qui semblent authentiques.
La demanderesse fait valoir que les cartes d’identité de ses parents présentent toutes les caractéristiques et les marques de sécurité mentionnées dans la RDI du 4 mai 2015 sur l’apparence des cartes d’identité nationales érythréennes (ERI105158.EF), et que rien n’indique que la Section de la protection des réfugiés a tenté de vérifier l’authenticité des cartes originales fournies par la demanderesse. Le défaut de la Section de la protection des réfugiés de suivre ces étapes fait dire à la demanderesse qu’elle a déraisonnablement fait l’hypothèse que les cartes d’identité pouvaient être frauduleuses.
[31]
La demanderesse estime par surcroît que la Section de la protection des réfugiés a mal interprété les rapports d’expert de M. Campbell. La décision renvoie à une partie d’un rapport dans laquelle M. Campbell fait état de conditions plus restrictives pour la délivrance de nouveaux passeports éthiopiens au cours des dernières années pour étayer la conclusion que les passeports donnent une preuve très forte de la nationalité éthiopienne de la demanderesse. Or, ce passage devrait mener à une conclusion inverse selon la demanderesse. Une observation de M. Campbell est paraphrasée comme suit dans la décision :
[traduction]
n 2004, les agents d’immigration éthiopiens ont exercé leur pouvoir discrétionnaire de refuser de renouveler les passeports éthiopiens de certaines personnes nées à Asmara [...] Depuis 2006, les ambassades et les consulats éthiopiens exigent un certificat de naissance délivré en Éthiopie pour l’obtention d’un passeport.
La demanderesse affirme que son père est né à Asmara et que son certificat de naissance a été délivré en Arabie saoudite. L’examen plus rigoureux des agents d’immigration éthiopiens indique qu’il est plus vraisemblable que les passeports ont été obtenus frauduleusement.
3)
Directives du président
[32]
La demanderesse estime que la Section de la protection des réfugiés a pris le contre-pied des directives du président en rejetant de façon déraisonnable son témoignage prêté sous serment au motif qu’elle ne connaissait pas la date de naissance de ses parents et les moyens pris par son père pour obtenir les passeports éthiopiens de la famille.
[33]
Les Directives numéro 3 portent notamment sur l’évaluation de la preuve dans le cas d’enfants qui revendiquent le statut de réfugié. En cas de lacunes dans la preuve, « le tribunal devrait déterminer s’il est en mesure de déduire les détails de la revendication du témoignage présenté ».
Dans les Directives numéro 4, il est reconnu que les épouses, les filles ou les mères peuvent se trouver dans une situation difficile lorsqu’elles sont interrogées au sujet des expériences de leurs parents de sexe masculin. Notre Cour a fait observer que les « Directives concernant la persécution fondée sur le sexe existent, en partie, pour s’assurer que les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses ne contrecarrent pas l’évaluation appropriée de la crédibilité d’un demandeur »
(Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1450, au paragraphe 33; citée dans Manege, précitée, au paragraphe 32). La valeur des Directives du président suppose que la Section de la protection des réfugiés évalue le témoignage d’un demandeur avec attention et sensibilité au sexe de celui-ci ainsi qu’aux normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses de sa communauté (Bennis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 968, au paragraphe 14; Odia v Canada (Citizenship and Immigration), 2014 CF 663, au paragraphe 9). La demanderesse estime qu’il faut aller au-delà de simples adaptations d’ordre procédural et que les Directives du président traitent expressément des lacunes dans la preuve et des explications possibles de ces lacunes.
[34]
Vu son âge, son sexe et ses antécédents culturels, il n’est pas surprenant qu’elle ne soit pas au courant de la date de naissance de ses parents ou des moyens pris par son père pour obtenir des passeports éthiopiens. En concluant que son témoignage n’est pas suffisant pour établir la provenance frauduleuse des passeports, la Section de la protection des réfugiés contrecarre l’objet des Directives du président. Le même constat s’impose quand la Section de la protection des réfugiés rejette son témoignage comme quoi il était difficile pour sa mère d’obtenir des services en Éthiopie. Ce témoignage corrobore le témoignage voulant que les autorités éthiopiennes ne reconnaîtraient pas que les membres de sa famille sont des citoyens éthiopiens, et son rejet par la Section de la protection des réfugiés n’était pas raisonnable. La demanderesse estime que la Section de la protection des réfugiés aurait dû chercher à comprendre pourquoi elle ignorait certains faits et tenir pour véridique son témoignage sous serment à propos de ce qu’elle savait. En l’absence de conclusion défavorable quant à la crédibilité et au vu de l’ensemble des documents déposés, la demanderesse estime que la décision est déraisonnable puisque l’absence de documents corroborants ne justifie pas le rejet d’une demande d’asile (Durrani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 167, au paragraphe 6).
B.
Défendeur
[35]
Le défendeur soutient que la Section de la protection des réfugiés a rempli sa fonction décisionnelle de façon raisonnable lorsqu’on lui a présenté une preuve convaincante de la citoyenneté éthiopienne de la demanderesse et certains éléments de preuve de sa citoyenneté érythréenne soulevant des réserves quant à la forme. La demanderesse détient un passeport éthiopien récemment délivré dont elle s’est servie pour voyager, mais elle s’est bornée à une déclaration théorique eu égard à la perte de sa citoyenneté éthiopienne. Sa déclaration selon laquelle son passeport éthiopien est frauduleux n’est pas fondée sur une preuve directe. Son père aurait pu fournir une preuve directe de la façon dont ces passeports éthiopiens ont été obtenus, mais il n’a pas été appelé à témoigner.
[36]
Le défendeur affirme que la proclamation sur la nationalité érythréenne no 21/1992 appuie la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle la demanderesse et sa famille n’auraient pas perdu leur nationalité éthiopienne.
[37]
Il observe en outre que la demanderesse n’a pas expliqué de quelle façon ni pour quelle raison des cartes d’identité érythréennes ont été délivrées à ses parents. Il est rappelé à juste titre dans la décision que la RDI ERI104939.E confirme l’existence d’un problème lié aux fausses cartes d’identité. De l’avis du défendeur, rien n’atteste que les parents de la demanderesse ont suivi le processus de délivrance de cartes d’identité érythréennes décrit dans la preuve documentaire.
[38]
Il juge que l’importance considérable qui a été accordée au passeport éthiopien – apparemment authentique – de la demanderesse respecte l’approche décrite par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés au paragraphe 93 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (décembre 2011) [Guide du HCNUR]. Le Guide du HCNUR stipule que « [l]a possession d’un tel passeport crée une présomption sauf preuve contraire que son titulaire a la nationalité du pays de délivrance »
et que « [l]a personne qui, étant titulaire d’un passeport au vu duquel il apparaît qu’elle a la nationalité du pays de délivrance, prétend ne pas posséder la nationalité de ce pays doit justifier cette prétention »
(au paragraphe 93). La Cour a établi qu’un [traduction] « passeport est une preuve de citoyenneté à moins que sa validité soit contestée. Il incombe donc à l’intimé de faire la preuve que la citoyenneté du requérant est différente de celle qui figure dans son passeport »
(Adar v Canada (Citizenship and Immigration) (1997), 132 FTR 35, au paragraphe 14 (TD) [Adar]; voir aussi Mathews c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1387, au paragraphe 11 [Mathews]). La simple affirmation que le passeport a été délivré pour sa convenance, comme titre de voyage uniquement, ne suffit pas à réfuter la présomption de nationalité (Yah Abedalaziz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1066, au paragraphe 42 [Yah Abedalaziz]).
[39]
Le défendeur convient que la demanderesse a effectivement contesté la prétention que son passeport éthiopien était une preuve de nationalité, mais il juge que la Section de la protection des réfugiés a conclu de façon raisonnable que la prétention n’avait pas été réfutée. La Section de la protection des réfugiés a fait une analyse raisonnable qui l’a menée à conclure que les cartes d’identité érythréennes des parents de la demanderesse ne sont pas fiables, que la famille de la demanderesse n’a pas perdu la citoyenneté éthiopienne en quittant l’Éthiopie avant l’indépendance de l’Érythrée, et que la nationalité érythréenne des membres de la famille étendue de la demanderesse n’est pas une preuve convaincante de sa nationalité. Selon le défendeur, la Section de la protection des réfugiés a conclu à raison que les éléments de preuve documentaire fournis par la demanderesse sont insatisfaisants, et elle peut donner la préférence à un élément de preuve plutôt qu’à un autre lorsqu’il y a contradiction (Wijekoon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 758, au paragraphe 49). Le simple fait que la demanderesse est en mesure de citer des éléments de preuve qui appuient une autre conclusion ne rend pas la décision déraisonnable (Matte c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 761, au paragraphe 115).
[40]
Le défendeur fait aussi valoir que même si la demanderesse concède que la décision est susceptible d’examen selon la norme de la décision raisonnable, ses arguments semblent diriger la Cour vers l’application de la norme de la décision correcte. Dans les faits, elle conteste uniquement l’évaluation de la Section de la protection des réfugiés et son appréciation de la preuve, et elle invoque pour la forme la norme d’examen pour que la Cour apprécie de nouveau la preuve.
1)
Cartes d’identité
[41]
Le défendeur estime que la Section de la protection des réfugiés a mené un examen de la preuve plus complet que ce que décrit la demanderesse. La Section de la protection des réfugiés a pris en compte l’ensemble de la preuve et a ensuite conclu que la demanderesse est une citoyenne de l’Éthiopie. Dans la décision, l’authenticité des cartes d’identité des parents de la demanderesse est examinée, mais il est conclu raisonnablement que les passeports éthiopiens représentent la meilleure preuve de la citoyenneté de la demanderesse.
[42]
Le défendeur juge que la Section de la protection des réfugiés était au fait des incohérences autant dans les passeports que dans les cartes d’identité. Toutefois, elle a observé que les passeports ont été renouvelés à plusieurs reprises, délivrés de nouveau et utilisés récemment, mais que le père de la demanderesse n’a pas donné de preuve directe de leur obtention par des moyens frauduleux. Selon le défendeur, la demanderesse prétend essentiellement que la Section de la protection des réfugiés aurait dû retenir son point de vue puisque la question de la validité se pose autant pour les passeports que pour les cartes d’identité. Cela équivaut à demander un examen selon la norme de la décision correcte, alors que ce n’est pas l’approche recommandée dans le Guide du HCNUR ni dans la jurisprudence de la Cour.
[43]
Le défendeur soutient également que l’argument de la demanderesse selon lequel la Section de la protection des réfugiés a déraisonnablement tiré une conclusion d’invraisemblance n’est pas pertinent puisqu’elle n’a pas tiré de telle conclusion.
2)
Interprétation erronée des éléments de preuve documentaire
[44]
Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part de la Section de la protection des réfugiés de soupçonner, au vu des éléments de preuve documentaire, que les cartes d’identité des parents de la demanderesse pourraient être frauduleuses. Étant donné la preuve insuffisante concernant la manière dont les cartes d’identité ont été obtenues, la Section de la protection des réfugiés s’est abstenue de trancher cette question. Il n’y a donc aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les cartes pourraient être fausses. Ce constat découle tout simplement de la comparaison que devait faire la Section de la protection des réfugiés entre les cartes d’identité et les passeports.
[45]
Le défendeur souligne que la demanderesse a maintenu devant la Commission et à nouveau devant la Cour que son passeport est frauduleux, mais elle demande simultanément à celle-ci de réfuter la conclusion de la Section de la protection des réfugiés relativement au caractère potentiellement frauduleux des cartes d’identité.
[46]
Le défendeur ajoute que les rapports de M. Campbell ne permettent pas vraiment d’établir si les passeports éthiopiens sont authentiques ou non. La Section de la protection des réfugiés est en droit d’interpréter les éléments de preuve dont elle est saisie. Le fait qu’elle ait retenu ceux qui ne militent pas pour la thèse de la demanderesse ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. La meilleure preuve quant à la façon dont les passeports et les autres pièces d’identité ont été obtenus aurait été le témoignage des parents de la demanderesse par voie de téléconférence. Le défendeur allègue qu’elle n’a pas fourni cette preuve pour des raisons stratégiques, mais qu’il en résulte que la validité de son passeport n’a pas été réfutée.
3)
Directives du président
[47]
Le défendeur affirme que la Section de la protection des réfugiés a agi conformément aux Directives du président en ne retenant pas les témoignages incohérents de la demanderesse contre elle et en assouplissant les règles relatives à l’utilisation de la preuve. Néanmoins, l’application des Directives du président ne soustrayait pas le représentant désigné de la demanderesse et son avocat à leur obligation de produire les éléments de preuve requis. Devant la Section de la protection des réfugiés, la demanderesse a fait valoir qu’en raison de son âge et de son sexe, elle ne pouvait pas être pénalisée parce qu’elle ne connaissait pas certains éléments d’information sur lesquels elle n’avait aucun contrôle. Le défendeur rétorque que la Section de la protection des réfugiés s’est montrée sensible à cette requête en se fondant principalement sur les éléments de preuve documentaire. À cause de la faiblesse du témoignage de la demanderesse, la Section de la protection des réfugiés n’a pas fait grand cas des incohérences dont il était truffé. Aux yeux du défendeur, c’est une preuve que les directives du président ont été respectées.
[48]
Il ajoute que la Section de la protection des réfugiés ayant acquiescé à la requête de la demanderesse, il serait mal venu maintenant de prétendre qu’il était déraisonnable de sa part de donner peu de poids à son témoignage. La demanderesse semble vouloir gagner sur les deux tableaux quand elle allègue qu’en l’absence de conclusion défavorable quant à sa crédibilité, la Section de la protection des réfugiés n’avait pas le choix de reconnaître la valeur probante de son témoignage. Les directives du président ne compensent pas le fait que la demanderesse n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve qui attestent de sa nationalité érythréenne, et elles ne justifient pas non plus un refus de présenter d’autres témoins et éléments de preuve.
[49]
Le défendeur souligne que le seul argument avancé pour réfuter la présomption de la validité des passeports éthiopiens est que le père a versé un pot-de-vin pour les obtenir. Cet argument ne tient pas la route parce qu’il peut arriver qu’une personne soit contrainte de verser un pot-de-vin à un agent corrompu pour obtenir un passeport d’un pays dont elle est citoyenne. Étant donné que la Section de la protection des réfugiés n’a pas tiré de conclusion défavorable du témoignage oral de la demanderesse, la jurisprudence citée par celle-ci relativement aux conclusions défavorables sur la crédibilité des mineurs n’est pas pertinente.
[50]
Le défendeur affirme également qu’il ne peut être reproché à la Section de la protection des réfugiés d’avoir dérogé aux directives du président en rejetant le témoignage de la demanderesse sur l’accès aux services sociaux en Éthiopie. Elle maintient qu’elle est citoyenne de l’Érythrée et qu’elle risque d’être persécutée en Éthiopie. Aux yeux du défendeur, il serait [traduction] « plutôt étrange »
de faire droit à la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse au motif de l’existence d’un risque en Éthiopie alors qu’elle revendique la citoyenneté érythréenne et qu’elle a argumenté devant la Section de la protection des réfugiés que l’Éthiopie n’est pas le pays de sa nationalité aux fins des articles 96 et 97. Quoi qu’il en soit, la Section de la protection des réfugiés a exposé les motifs qui l’ont amenée à conclure que la demanderesse ne serait pas en danger en Éthiopie, et le défendeur juge cette conclusion raisonnable.
VIII.
DISCUSSION
A.
Introduction
[51]
Au cœur de la décision se trouvent les conclusions et observations suivantes :
[traduction]
12] La demanderesse présente une cause très difficile. Elle prétend être citoyenne de l’Érythrée, mais elle n’y a jamais vécu et elle n’a jamais eu de pièce d’identité ou de passeport érythréen. Elle est née en Arabie saoudite et a vécu toute sa vie comme si elle était une citoyenne de l’Éthiopie. Ses parents, son frère et elle sont tous titulaires d’un passeport éthiopien et se sont présentés comme étant des citoyens éthiopiens auprès du gouvernement saoudien. La demanderesse allègue que ses parents ont obtenu et renouvelé leur passeport éthiopien en recourant à la corruption et à des pots-de-vin pour ne pas perdre leur statut en Arabie saoudite et éviter d’être expulsés vers l’Érythrée.
[13] Bien que je ne conteste pas l’origine érythréenne de la famille de la demanderesse, je dois conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle et ses parents sont des citoyens de l’Éthiopie. Le père est arrivé en Arabie saoudite en 1990, c’est-à-dire avant le référendum sur l’indépendance de l’Érythrée. La mère y est arrivée en 1998 si l’on en croit l’information figurant sur sa demande d’asile présentée à l’étranger. Selon toute vraisemblance, les parents de la demanderesse sont arrivés en Arabie saoudite à titre de citoyens éthiopiens et ils n’ont jamais renoncé à cette citoyenneté. Il est donc plus probable que le contraire qu’ils aient conservé leur nationalité éthiopienne pendant toutes les années vécues en Arabie saoudite.
[…]
[22] Cependant, les multiples incohérences et irrégularités dans les éléments de preuve concernant l’identité des parents de la demanderesse compliquent l’analyse, et elle n’a fourni aucune explication valable malgré les nombreuses invitations à le faire. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je ne puis tenir pour avéré que les parents de la demanderesse possèdent des cartes d’identité érythréennes authentiques. C’est ce qui différencie les faits relatifs à cette affaire de ceux sur lesquels portent d’autres décisions de la Section de la protection des réfugiés sur lesquelles se fondent l’avocate et les opinions d’expert de M. John Campbell à la pièce 7.
[23] La cause à trancher semble complexe mais, en fin de compte, les faits déterminants dont la Commission doit tenir compte sont les suivants : la demanderesse et ses parents sont titulaires de passeports éthiopiens apparemment authentiques; ils se sont présentés comme des citoyens éthiopiens pendant plusieurs années en Arabie saoudite, et ils sont retournés en Éthiopie en étant munis de leur passeport éthiopien à de nombreuses reprises. Si je mets ces faits en balance avec les éléments de preuve relatifs à l’identité des parents qui sont truffés d’incohérences inexpliquées, il m’est impossible de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve permet d’établir que son passeport éthiopien est frauduleux et qu’elle est seulement citoyenne de l’Érythrée.
[24] Selon toute vraisemblance, parmi les catégories susmentionnées, la seconde s’applique à la demanderesse et à ses parents, savoir celle des personnes d’origine érythréenne qui n’ont jamais renoncé à leur nationalité éthiopienne et qui ne se sont jamais prévalu de leur citoyenneté érythréenne. Il est probable que les personnes visées par cette catégorie auraient pu maintenir leur citoyenneté à titre de ressortissants éthiopiens, ce qui d’ailleurs est corroboré par le fait que la demanderesse et ses parents ont pu obtenir un passeport éthiopien et entrer en Éthiopie sans difficulté à de nombreuses reprises.
[…]
[49] La Commission n’a pas le choix de considérer que la demanderesse est titulaire d’un passeport éthiopien vraisemblablement valide et authentique, que ses parents et elle ont pu, à diverses époques, renouveler leurs passeports éthiopiens, et qu’ils se sont présentés comme citoyens éthiopiens pendant de nombreuses années en Arabie saoudite. Cela dit, des éléments de preuve liés à la nationalité érythréenne des parents et de la famille étendue de la demanderesse m’ont été soumis. Les éléments de preuve concernant l’identité des parents recèlent de nombreuses incohérences qui ont été portées à l’attention de la demanderesse. Même si on peut penser qu’il aurait été facile pour elle de poser des questions à ses parents, les incohérences demeurent à ce jour inexpliquées. La Commission n’a pas non plus assez d’information pour comprendre comment le père a pu obtenir un aussi grand nombre de passeports éthiopiens pour chaque membre de sa famille au cours des années.
[50] Par conséquent, j’accorderai peu de valeur aux cartes d’identité nationales érythréennes des parents et j’en arrive à la conclusion que le passeport éthiopien de la demanderesse constitue une preuve beaucoup plus forte de sa nationalité. À mon avis, il est plus probable que la demanderesse et ses parents ont obtenu des passeports éthiopiens pendant plusieurs années parce que les autorités d’immigration éthiopiennes les ont toujours considérés comme des citoyens de l’Éthiopie.
[51] D’après les éléments de preuve dont j’ai été saisi, ni la demanderesse ni ses parents n’ont perdu leur nationalité éthiopienne par suite d’une réforme du régime législatif de l’Éthiopie en matière de nationalité. Il m’apparaît plus vraisemblable qu’ils ne se sont jamais prévalus de la nationalité érythréenne et n’ont jamais perdu leur citoyenneté éthiopienne au profit d’une autre nationalité. Même si dans la lettre qu’il a produite, le père de la demanderesse affirme qu’il a voté au référendum sur l’indépendance de l’Érythrée et qu’il a la citoyenneté érythréenne, l’ensemble de la preuve et de la prépondérance des probabilités ne me permettent pas de considérer ces faits pour avérés.
[Renvois omis.]
[52]
Je suis d’avis que la décision est consciencieuse, juste et raisonnable. La demanderesse n’a pas réussi à me convaincre qu’elle est entachée d’erreurs susceptibles de contrôle.
B.
Cartes d’identité
[53]
La demanderesse affirme que la Section de la protection des réfugiés a déraisonnablement rejeté les cartes d’identité de ses parents.
[54]
Voici son évaluation de ces cartes d’identité :
Carte d’identité nationale érythréenne et identité de la mère
[traduction]
[25] Même si la demanderesse a fourni les originaux des cartes d’identité nationales érythréennes de ses parents, il subsiste des doutes au sujet de leur identité, et plus particulièrement pour ce qui concerne la mère. J’ai donc accordé peu de valeur aux cartes d’identité nationales érythréennes des parents.
[26] J’examinerai en premier lieu la carte d’identité nationale érythréenne de la mère de la demanderesse. Cette carte, censément délivrée à Asmara en 2011, indique que la mère est née le 23 mai 1985.
[27] La première question litigieuse concerne la date de naissance figurant sur la carte. Je constate que cette date de naissance change selon les documents. Sur le passeport éthiopien, contrairement à la carte d’identité nationale érythréenne, le 1er janvier 1972 est inscrit comme date de naissance. Le certificat de naissance indique que la mère serait née en 1975.
[28] La demanderesse a été interrogée au sujet de la date de naissance de sa mère. Elle a tout d’abord répondu que sa mère était née en 1985. Elle s’est toutefois rapidement contredite en expliquant que la date de naissance sur la carte d’identité nationale érythréenne de sa mère était fausse, et qu’elle avait appris lors d’une discussion avec sa mère qu’elle s’était rajeunie devant les autorités érythréennes pour éviter de payer des frais et des taxes. Selon la demanderesse, sa mère serait en fait née en 1972, tel qu’il est indiqué sur son passeport éthiopien.
[29] Or, lors de son entrevue avec un agent canadien d’immigration à Riyad, la mère a contredit ce témoignage et affirmé qu’elle était née le 23 mai 1985. Apparemment, elle a demandé un passeport indiquant une date de naissance antérieure pour entrer en Arabie saoudite. La demanderesse n’était pas au courant de cette entrevue et elle a fini par dire qu’elle ne connaissait pas la date de naissance de sa propre mère.
[30] La deuxième question litigieuse concernant la carte concerne la façon dont elle a été obtenue. Ni la demanderesse ni son représentant désigné ne savaient comment la mère avait obtenu sa carte d’identité nationale érythréenne en 2011, quels moyens avaient été déployés pour l’obtenir, ni pourquoi elle avait demandé cette carte. Le représentant désigné a supposé que la mère n’a pas été obligée de se rendre à Asmara pour obtenir la carte, qu’elle a sans doute été délivrée en Érythrée et qu’elle a envoyée à l’ambassade ou au consulat érythréen en Arabie saoudite, où la mère l’a récupérée.
[traduction]
[31] L’incapacité de la demanderesse à expliquer la provenance de cette carte soulève des doutes sérieux. Il est énoncé au point 3.6 de la pièce 4 qu’il est possible de présenter une demande de carte d’identité nationale érythréenne par l’entremise d’une ambassade ou d’un consulat érythréen à l’étranger, moyennant des frais et d’autres taxes. Il n’y a aucune indication ou aucun élément de preuve de l’inscription de la mère à titre d’Érythréenne résidant à l’étranger, ou du paiement de la taxe de 2 % imposée aux Érythréens résidant à l’étranger. La façon dont la mère de la demanderesse a obtenu sa carte en 2011 demeure obscure.
[32] Je comprends que la demanderesse était une mineure non accompagnée, mais son représentant désigné aurait dû l’aider à obtenir les éléments de preuve requis. Elle était de surcroît représentée par un avocat très compétent. Plus d’un mois après la première audience relative à la présente demande, la demanderesse n’avait toujours pas fourni de preuve relativement aux moyens déployés par sa mère pour obtenir sa carte d’identité nationale érythréenne. Les incohérences liées à celle-ci restent inexpliquées. J’estime que les incohérences inexpliquées relativement à la carte d’identité nationale érythréenne de la mère affaiblissent considérablement sa valeur.
Carte d’identité nationale érythréenne et identité du père
[33] La demanderesse a également fourni l’original de la carte d’identité nationale érythréenne de son père. Comme pour la mère, l’identité du père et les renseignements figurant sur sa carte d’identité nationale soulèvent des doutes.
[34] Au moins trois dates de naissance différentes sont données dans les documents produits comme preuves de l’identité du père de la demanderesse. Sur la carte d’identité nationale érythréenne, il est inscrit qu’il est né le 9 mai 1971. Sur le passeport éthiopien, il est inscrit qu’il est né le 1er janvier 1960. La date de naissance inscrite sur la carte de résidence saoudienne est le 1er janvier 1964. Le certificat de naissance de la demanderesse indique que son père est né en 1964. Quand on lui a posé la question, elle a répondu qu’à sa connaissance, son père était né le 28 mai 1971.
[35] La demanderesse a déclaré que la date de naissance indiquée sur le passeport de son père était incorrecte, mais qu’elle ne savait pas pourquoi cette date y était inscrite. Elle ne pouvait pas dire non plus pourquoi les dates différaient sur ces documents. Même chose du côté de son représentant désigné. Il n’a pas été en mesure d’expliquer les divergences entre les dates de naissance, mais il a supposé que l’agent d’immigration qui a remis son passeport éthiopien au père de la demanderesse a simplement inscrit la date qu’on lui a indiquée. Aucune explication n’a été fournie eu égard au fait que le père a réussi à renouveler son permis de résident saoudien alors qu’il ne portait pas la même date de naissance que son passeport éthiopien.
[36] Encore là, la demanderesse aurait pu demander des explications directement à son père. Celui-ci n’aborde pas cette question dans sa lettre, et aucun autre élément de preuve n’a été produit à ce sujet. En raison des incohérences concernant l’identité et la date de naissance du père, j’accorderai peu de valeur à la carte d’identité nationale érythréenne portant son nom.
[Renvois omis.]
[55]
La demanderesse conteste essentiellement l’aspect suivant de cette analyse :
[traduction]
41. La décision ne comporte aucune discussion ou justification de la raison pour laquelle la Commission a fait abstraction de certaines incohérences entre certains documents (par exemple, entre les passeports éthiopiens et le certificat de naissance de la demanderesse), alors qu’elle a invoqué la présence d’incohérences pour accorder peu de valeur aux cartes d’identité érythréennes. Pour cette raison, la décision ne respecte pas les critères de la norme de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité.
42. Il est conclu dans la décision que les passeports éthiopiens de la famille sont authentiques et, apparemment, le certificat de naissance saoudien de la demanderesse n’a soulevé aucun doute. La Commission s’interroge sur la manière dont le père s’y est pris pour renouveler son permis de résident saoudien malgré la mention d’une date de naissance différente de celle figurant à son passeport éthiopien, mais il ne ressort pas de la décision qu’elle a mis en doute l’authenticité dudit permis. Il n’existe pas d’élément de preuve ni de raison logique permettant de douter de la validité de ce permis de résident, et aucune conclusion de la sorte ne transparaît dans la décision.
43. Il apparaît donc illogique et contradictoire de la part de la Commission d’avoir suspecté que les cartes d’identité érythréennes des parents de la demanderesse n’étaient pas authentiques et d’avoir finalement jugé qu’elles ne l’étaient pas en raison de ces incohérences, alors qu’elle a tenu pour authentiques d’autres documents recelant le même genre d’incohérences.
44. Il serait tout aussi logique de conclure que ces incohérences corroborent l’allégation de la demanderesse selon laquelle les passeports éthiopiens ont été obtenus frauduleusement, ce qui d’ailleurs est confirmé par l’ensemble de la preuve.
[Renvoi omis.]
[56]
Je vois dans cet argumentaire un moyen détourné d’obtenir que la Cour réévalue la preuve qui était à la disposition de la Section de la protection des réfugiés et tire des conclusions allant dans le sens de sa thèse. Ce n’est pas le rôle de la Cour (Khosa, précité, au paragraphe 61). La Section de la protection des réfugiés a mentionné, analysé et apprécié les éléments de preuve qui lui ont été soumis avant de tirer une conclusion raisonnable. Pour les motifs qu’elle a exposés, la Section de la protection des réfugiés a statué que, en dépit des éléments de preuve que la demanderesse a fournis relativement aux cartes d’identité, les passeports constituaient la preuve la plus forte en matière de citoyenneté. En présence d’éléments de preuve contradictoires relativement à la nationalité, la Section de la protection des réfugiés doit les examiner, en apprécier la valeur, puis elle doit trancher.
[57]
Bien qu’elle ait constaté quelques incohérences concernant la carte d’identité de la mère, la Section de la protection des réfugiés semble s’être préoccupée surtout de l’absence de preuve quant à sa provenance :
[traduction]
[31] L’incapacité de la demanderesse à expliquer la provenance de cette carte soulève des doutes sérieux. Il est énoncé au point 3.6 de la pièce 4 qu’il est possible de présenter une demande de carte d’identité nationale érythréenne par l’entremise d’une ambassade ou d’un consulat érythréen à l’étranger, moyennant des frais et d’autres taxes. Il n’y a aucune indication ou aucun élément de preuve de l’inscription de la mère à titre d’Érythréenne résidant à l’étranger, ou du paiement de la taxe de 2 % imposée aux Érythréens résidant à l’étranger. La façon dont la mère de la demanderesse a obtenu sa carte en 2011 demeure obscure.
[Renvoi omis.]
[58]
Quant à la carte d’identité du père, la Section de la protection des réfugiés expose ses réserves comme suit :
[35] La demanderesse a déclaré que la date de naissance indiquée sur le passeport de son père était incorrecte, mais qu’elle ne savait pas pourquoi cette date y était inscrite. Elle ne pouvait pas dire non plus pourquoi les dates différaient sur ces documents. Même chose du côté de son représentant désigné. Il n’a pas été en mesure d’expliquer les divergences entre les dates de naissance, mais il a supposé que l’agent d’immigration qui a remis son passeport éthiopien au père de la demanderesse a simplement inscrit la date qu’on lui a indiquée. Aucune explication n’a été fournie eu égard au fait que le père a réussi à renouveler son permis de résident saoudien alors qu’il ne portait pas la même date de naissance que son passeport éthiopien.
[36] Encore là, la demanderesse aurait pu demander des explications directement à son père. Celui-ci n’aborde pas cette question dans sa lettre, et aucun autre élément de preuve n’a été produit à ce sujet. En raison des incohérences concernant l’identité et la date de naissance du père, j’accorderai peu de valeur à la carte d’identité nationale érythréenne portant son nom.
[59]
Il convient de noter qu’en l’espèce, il n’a pas été établi que les cartes étaient frauduleuses ni qu’il existe quelque certitude à ce sujet. Comme le précise la Section de la protection des réfugiés, les conclusions ont été tirées en fonction de la valeur probante des éléments de preuve et de la prépondérance des probabilités. Dans le cas de la carte d’identité de la mère, la Section de la protection des réfugiés parle de doutes qui [traduction] « affaiblissent considérablement sa valeur »
. Pour ce qui a trait à la carte du père, les doutes de la Section de la protection des réfugiés l’ont conduite à accorder [traduction] « peu de valeur à la carte d’identité nationale érythréenne portant le nom du père »
. Je ne relève aucune ambiguïté dans ce raisonnement. Les cartes d’identité ont soulevé des doutes qui ne permettent pas, dans le processus global de mise en balance des éléments de preuve, de leur accorder la valeur que la demanderesse leur prête. Les ambiguïtés auraient pu être éclaircies par le témoignage direct de ses parents mais, sans raison apparente, elle et son avocat n’en ont pas produit.
[60]
La Section de la protection des réfugiés a énoncé les motifs pour lesquels les passeports devaient recevoir plus de poids. La demanderesse fait observer qu’il y a aussi des incohérences liées aux passeports. La Section de la protection des réfugiés n’a pas non plus reçu de preuve directe concernant leur provenance, certes, mais elle a expliqué clairement pourquoi elle leur a accordé plus de valeur qu’aux cartes d’identité :
[traduction]
[37] De façon générale, un passeport original constitue une preuve solide de la nationalité d’une personne. Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse est arrivée au Canada en étant munie d’un passeport éthiopien valide, délivré à son nom et sur lequel figurent, selon toute vraisemblance, sa date de naissance et ses renseignements biographiques exacts.
[38] Selon la preuve, la demanderesse aurait obtenu au moins deux passeports éthiopiens, soit un premier en mars 2011 ou aux alentours, et un second en décembre 2015. La preuve, y compris le témoignage de la demanderesse, indique qu’elle est entrée en Éthiopie en étant munie de l’un ou l’autre de ces passeports en 2012, en 2015 et en 2016, et peut-être plus souvent. La demanderesse a déclaré qu’en 2012, elle est allée en Éthiopie avec sa mère pour assister au mariage de sa tante. En septembre 2015, selon le formulaire de fondement de sa demande, la demanderesse, sa mère et son frère se seraient rendus en Éthiopie afin de s’y installer. Le but de leur séjour était de savoir s’ils pourraient y vivre si jamais ils étaient expulsés vers ce pays. Alors qu’elle vivait en Éthiopie, la demanderesse est retournée en Arabie saoudite, où elle est restée du 31 décembre 2015 au 12 janvier 2016 selon les timbres apposés dans son passeport. Elle est rentrée en Éthiopie en janvier 2016 et y a fait une année scolaire complète avant de retourner en Arabie saoudite en septembre 2016. En outre, selon le témoignage de la demanderesse, sa mère n’était pas toujours à ses côtés durant son séjour en Éthiopie puisqu’elle a dû retourner en Arabie saoudite à quelques reprises.
[39] Malgré tout, la demanderesse affirme que son passeport éthiopien et les passeports éthiopiens de ses parents ont été obtenus frauduleusement, et qu’ils n’ont ni l’un ni l’autre la citoyenneté éthiopienne. Il n’est jamais mentionné que la demanderesse ou un autre membre de sa famille ont eu des ennuis à la frontière éthiopienne en raison de ces passeports prétendument frauduleux.
[Renvois omis.]
[61]
La Section de la protection des réfugiés résume ainsi son processus de mise en balance des éléments de preuve :
[traduction]
[49] La Commission n’a pas le choix de considérer que la demanderesse est titulaire d’un passeport éthiopien vraisemblablement valide et authentique, que ses parents et elle ont pu, à diverses époques, renouveler leurs passeports éthiopiens, et qu’ils se sont présentés comme citoyens éthiopiens pendant de nombreuses années en Arabie saoudite. Cela dit, des éléments de preuve liés à la nationalité érythréenne des parents et de la famille étendue de la demanderesse m’ont été soumis. Les éléments de preuve concernant l’identité des parents recèlent de nombreuses incohérences qui ont été portées à l’attention de la demanderesse. Même si on peut penser qu’il aurait été facile pour elle de poser des questions à ses parents, les incohérences demeurent à ce jour inexpliquées. La Commission n’a pas non plus assez d’information pour comprendre comment le père a pu obtenir un aussi grand nombre de passeports éthiopiens pour chaque membre de sa famille au cours des années.
[62]
Je ne vois pas comment, à ce stade-ci, il peut être raisonnablement allégué que la Section de la protection des réfugiés a fait abstraction des incohérences liées aux passeports et que son processus de mise en balance l’aurait conduite à une autre conclusion si elle en avait tenu compte. Comme le souligne la demanderesse, il est établi au paragraphe 93 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés du Haut Commissariat des Nations Unies qu’un passeport national « crée une présomption sauf preuve contraire que son titulaire a la nationalité du pays de délivrance »
, présomption qui a été reconnue par la Cour (Adar, précitée, au paragraphe 14; Mathews, précitée, au paragraphe 11; Yah Abedalaziz, précitée, au paragraphe 42). La Section de la protection des réfugiés a très justement observé que le véritable litige tient au défaut de la demanderesse de présenter une preuve directe sur cette question centrale. Elle est née en Arabie saoudite et y a vécu une bonne partie de sa vie. Elle ignore complètement comment ses parents ont obtenu leurs passeports et leurs cartes d’identité. Plutôt que de présenter un témoignage direct des parents à ce sujet, le représentant désigné de la demanderesse et son avocat ont laissé la Section de la protection des réfugiés apprécier les éléments de preuve documentaire. Comme celle-ci souligne, la [traduction] « la demanderesse a présenté une cause difficile à trancher »
en raison de l’absence de preuve directe à propos de la question cruciale de la citoyenneté. Après avoir elle-même placé la Section de la protection des réfugiés dans une situation difficile, la demanderesse lui reproche aujourd’hui de ne pas avoir donné plus de valeur aux cartes d’identité qu’aux passeports. La Section de la protection des réfugiés a pourtant bien expliqué pourquoi elle ne pouvait pas retenir la thèse de la demanderesse.
[63]
Cette conclusion était pratiquement inévitable considérant que les passeports ont été renouvelés et utilisés à plusieurs reprises et même assez récemment, et que la demanderesse n’a pas, pour une raison obscure qu’elle refuse d’expliquer, présenté de témoignage direct de sa mère ou de son père quant à la façon dont les cartes d’identité ont été obtenues, ni de témoignage de son père relativement à la manière dont il s’y est pris pour renouveler plusieurs fois des passeports frauduleux. La défenderesse ne peut pas gagner sur tous les tableaux. Elle ne peut pas refuser de présenter des témoignages directs sur cette question et se plaindre ensuite de l’appréciation que la Section de la protection des réfugiés a faite des éléments de preuve mis à sa disposition. Même si certains éléments soulèvent des doutes quant à la validité des passeports, ils restent la preuve de citoyenneté la plus pertinente et la plus convaincante dans le dossier soumis à la Section de la protection des réfugiés. Ce devait être évident pour l’avocat qui représentait la demanderesse devant la Section de la protection des réfugiés, mais rien n’a été tenté pour obtenir des explications du père ou de la mère concernant la façon dont les cartes d’identité et les passeports ont été obtenus. En agissant ainsi, la demanderesse et son avocat ont obligé la Section de la protection des réfugiés à peser et à évaluer tous les éléments de preuve à sa disposition. Considérant la nature de ces éléments de preuve, j’estime qu’elle a tiré des conclusions raisonnables sur cette question. Essentiellement, la demanderesse aurait voulu que la Section de la protection des réfugiés décrète que les passeports étaient frauduleux et que les cartes d’identité étaient authentiques alors qu’elle n’a pas été en mesure d’expliquer leur provenance et qu’elle a refusé, sans raison apparente, de faire témoigner son père afin qu’il corrobore sa thèse. Comme l’explique la Section de la protection des réfugiés, la demanderesse ne lui a pas vraiment laissé de choix :
[traduction]
[41] L’argument de la demanderesse comme quoi les passeports qu’elle et ses parents ont obtenus sont invalides doit être appuyé par des éléments de preuve qui expliquent pourquoi puisque la Commission considère normalement les passeports comme des preuves fortes de nationalité. La demanderesse a déclaré dans le formulaire de fondement de sa demande que son père a obtenu les passeports éthiopiens au moyen de pots-de-vin, mais celui-ci n’aborde pas ce point crucial dans la lettre qu’il a soumise. La Commission ne dispose d’aucun renseignement ou élément de preuve indiquant par quelles astuces le père a pu obtenir des passeports éthiopiens au fil des années, quelles sommes ont été payées pour la délivrance de ces passeports ou, encore, quels documents il a dû remettre ou quelles démarches il a dû faire pour les obtenir.
[42] Il convient de souligner à ce sujet que le plus récent passeport de la demanderesse a été délivré le 28 décembre 2015, alors qu’elle résidait en Éthiopie sans son père. Seulement trois jours après sa délivrance, elle a utilisé ce passeport pour entrer en Arabie saoudite depuis l’Éthiopie. La demanderesse a pourtant déclaré que son père ne lui a jamais rendu visite quand elle résidait en Éthiopie. Il est très difficile de comprendre comment la demanderesse, alors qu’elle résidait en Éthiopie et que son père résidait en Arabie saoudite, a pu obtenir un passeport de ce pays grâce aux démarches de celui-ci et aux pots-de-vin qu’il aurait versés pour la délivrance de passeports frauduleux à sa famille.
[43] La demanderesse en savait très peu à ce sujet, ce qui n’a rien d’étonnant. Son représentant désigné n’en savait guère plus. Cependant, même si la question a été clairement soulevée lors de la première audience relative à la demande, la demanderesse et son représentant désigné n’ont pas, sans raison apparente, fourni d’autre élément de preuve. Ils n’ont pas soumis une autre lettre du père, et il n’a pas été cité à comparaître par téléconférence. Autrement dit, même s’ils ont eu suffisamment de temps pour le faire, la demanderesse et son représentant désigné n’ont pas, pour des raisons qui demeurent obscures, fourni d’autres éléments de preuve qui auraient permis à la Commission de confirmer que son passeport éthiopien a été obtenu frauduleusement.
[44] [traduction]
En l’absence de preuve claire du père de la demanderesse sur la façon dont il a pu obtenir les passeports éthiopiens de la famille au fil des années, je dois accorder beaucoup de valeur au passeport attestant qu’elle est de nationalité éthiopienne.
[Renvoi omis.]
C.
Interprétation et application erronées des éléments de preuve
[64]
La demanderesse fait valoir que la Section de la protection des réfugiés a incorrectement interprété et appliqué la preuve dont elle a été saisie.
1)
Accès à des documents érythréens frauduleux
[65]
L’élément essentiel de la contestation de la demanderesse est le suivant :
[traduction]
58. À maintes reprises, la Cour fédérale a fait des mises en garde contre la propension à conclure que les documents d’un demandeur sont frauduleux du seul fait que de tels faux documents sont accessibles sans toutefois disposer d’éléments de preuve supplémentaires. Ce principe, cité par le juge Russell dans la décision Wang,
a été énoncé au paragraphe 12 de la décision Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 84, dans laquelle la juge Carolyn Layden-Stevenson conclut que la découverte d’un document frauduleux n’emporte pas nécessairement que tous les documents le sont, même s’il est facile d’en obtenir un. La Section de la protection des réfugiés doit faire des efforts pour établir l’authenticité des documents qui semblent authentiques.
59. Comme l’a souligné l’avocat de la demanderesse dans ses observations écrites à la Section de la protection des réfugiés, les cartes présentent toutes les caractéristiques et marques de sécurité et d’authenticité mentionnées dans la preuve documentaire. Rien n’indique qu’elle a vérifié, de quelque façon, l’authenticité des cartes. Elle a par conséquent agi déraisonnablement en présumant que les cartes pourraient être frauduleuses et en refusant ensuite de les considérer comme des preuves de la nationalité érythréenne des parents de la demanderesse.
[Italique dans l’original; renvois omis.]
[66]
La Section de la protection des réfugiés se prononce ainsi sur cette question :
[traduction]
[52] L’utilisation de cartes d’identité nationales érythréennes n’est pas un scénario invraisemblable. Je constate qu’au point 3.3 de la pièce 4, il est mentionné que les documents d’identité érythréens frauduleux sont courants, et que plusieurs sources sont citées. On peut lire dans la fiche sur les documents de voyage et d’identité (Country Reciprocity Schedule) du Département d’État des États-Unis que les cartes d’identité nationales érythréennes sont [traduction] « facilement altérables, rendant difficile d’établir la citoyenneté érythréenne ». Un chercheur de Human Rights Watch a dit croire qu’il existe un marché pour les cartes d’identité érythréennes frauduleuses au sein des communautés de réfugiés à l’étranger et vraisemblablement dans différents pays, y compris l’Éthiopie. Un professeur d’études africaines et de sciences politiques à l’Université d’État de la Pennsylvanie a également affirmé que les pièces d’identité érythréennes fausses et frauduleuses sont courantes à l’extérieur de l’Érythrée.
[53] Compte tenu de la preuve présentée et de la prépondérance des probabilités, je parviens à la conclusion que la demanderesse est citoyenne de l’Éthiopie et que son passeport éthiopien a beaucoup plus de valeur probante que les cartes d’identité nationale érythréennes de ses parents.
[67]
Il ressort de cette analyse que la demanderesse se méprend sur le sens à donner à la décision de la Section de la protection des réfugiés. La Section de la protection des réfugiés n’a pas conclu que les cartes d’identité sont frauduleuses. Elle dit clairement et à maintes reprises tout au long de la décision que, après avoir soupesé tous les éléments de preuve, elle a conclu que le [traduction] « passeport éthiopien [de la demanderesse] a beaucoup plus de valeur probante que les cartes d’identité nationale érythréennes de ses parents »
. L’un des facteurs dont il faut tenir compte est la possibilité d’obtenir une carte d’identité frauduleuse. La demanderesse n’a pas expliqué comment il pourrait être possible d’obtenir et de renouveler des passeports frauduleux, mais non des cartes d’identité frauduleuses. Elle a eu tout le loisir de présenter des éléments de preuve qui auraient permis à la Section de la protection des réfugiés de comprendre comment son père a pu obtenir et renouveler des passeports frauduleux. Elle n’a pas profité de ce moyen facile d’établir le bien-fondé de sa demande. La demanderesse a fait le choix de ne pas présenter de preuve indiquant comment les passeports frauduleux auraient été obtenus, et la voici maintenant qui reproche à la Section de la protection des réfugiés d’avoir incorrectement interprété et appliqué les éléments de preuve concernant l’accessibilité des cartes d’identité frauduleuses. Toutefois, la décision n’est pas fondée sur une conclusion comme quoi les cartes d’identité sont frauduleuses. La décision repose sur l’appréciation globale de tous les éléments de preuve, selon laquelle « [l]’utilisation de cartes d’identité nationales érythréennes n’est pas un scénario invraisemblable »
. Compte tenu des faits en l’espèce, et notamment du choix de la demanderesse de ne pas présenter d’éléments de preuve clairs à l’appui de sa cause, il est impossible de la croire sur parole quand elle affirme que les passeports ne sont pas authentiques, mais que les cartes d’identité le sont.
2)
Rapports de M. Campbell
[68]
La demanderesse formule les griefs suivants eu égard à cet aspect de la décision :
[traduction]
60. La décision comporte les remarques suivantes concernant les rapports d’expert de M. John Campbell que la demanderesse a déposés en preuve devant la Section de la protection des réfugiés :
Les rapports font état des restrictions appliquées dans les dernières années en matière de délivrance de passeports. M. Campbell observe qu’à compter de 2004, les agents d’immigration éthiopiens ont exercé leur pouvoir discrétionnaire de refuser de renouveler le passeport éthiopien de personnes nées à Asmara, et que rien ne permet de croire que ce n’est plus le cas. Il indique également qu’après 2006, les ambassades et consulats éthiopiens ont commencé à exiger un certificat de naissance délivré en Éthiopie par une kebele ou le ministre de la Santé comme preuve de citoyenneté aux fins de l’obtention d’un passeport.
61. La preuve d’expert de M. Campbell ne corrobore pas la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle la demanderesse est une citoyenne légitime de l’Éthiopie, mais elle vient renforcer le témoignage de la demanderesse concernant le caractère frauduleux des passeports éthiopiens de sa famille. Le certificat de naissance de la demanderesse a été délivré en Arabie saoudite, et son père est né à Asmara. Elle a déclaré en outre que sa mère n’a pas réussi à obtenir une carte d’identité éthiopienne auprès de la kebele.
62. Le fait que les autorités éthiopiennes ont resserré leurs contrôles aux fins de la délivrance de pièces d’identité aux personnes d’origine érythréenne corrobore le témoignage de la demanderesse selon lequel sa famille a dû user de manœuvres frauduleuses pour obtenir des passeports éthiopiens. La Section de la protection des réfugiés a incorrectement interprété et appliqué cet élément de preuve, et sa conclusion à ce sujet est par conséquent déraisonnable.
[Renvois omis.]
[69]
L’extrait sur lequel se fonde la demanderesse se trouve au paragraphe 40 de la décision et s’inscrit dans une analyse beaucoup plus globale des éléments de preuve que la Section de la protection des réfugiés avait à sa disposition concernant la validité des passeports :
[traduction]
[37] De façon générale, un passeport original constitue une preuve solide de la nationalité d’une personne. Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse est arrivée au Canada en étant munie d’un passeport éthiopien valide, délivré à son nom et sur lequel figurent, selon toute vraisemblance, sa date de naissance et ses renseignements biographiques exacts.
[38] Selon la preuve, la demanderesse aurait obtenu au moins deux passeports éthiopiens, soit un premier en mars 2011 ou aux alentours, et un second en décembre 2015. La preuve, y compris le témoignage de la demanderesse, indique qu’elle est entrée en Éthiopie en étant munie de l’un ou l’autre de ces passeports en 2012, en 2015 et en 2016, et peut-être plus souvent. La demanderesse a déclaré qu’en 2012, elle est allée en Éthiopie avec sa mère pour assister au mariage de sa tante. En septembre 2015, selon le formulaire de fondement de sa demande, la demanderesse, sa mère et son frère se seraient rendus en Éthiopie afin de s’y installer. Le but de leur séjour était de savoir s’ils pourraient y vivre si jamais ils étaient expulsés vers ce pays. Alors qu’elle vivait en Éthiopie, la demanderesse est retournée en Arabie saoudite, où elle est restée du 31 décembre 2015 au 12 janvier 2016 selon les timbres apposés dans son passeport. Elle est rentrée en Éthiopie en janvier 2016 et y a fait une année scolaire complète avant de retourner en Arabie saoudite en septembre 2016. En outre, selon le témoignage de la demanderesse, sa mère n’était pas toujours à ses côtés durant son séjour en Éthiopie puisqu’elle a dû retourner en Arabie saoudite à quelques reprises.
[39] Malgré tout, la demanderesse affirme que son passeport éthiopien et les passeports éthiopiens de ses parents ont été obtenus frauduleusement, et qu’ils n’ont ni l’un ni l’autre la citoyenneté éthiopienne. Il n’est jamais mentionné que la demanderesse ou un autre membre de sa famille ont eu des ennuis à la frontière éthiopienne en raison de ces passeports prétendument frauduleux.
[40] Les rapports d’expert rédigés par M. Campbell au bénéfice de la demanderesse indiquent que les consulats éthiopiens dans la région du Golfe ont été le théâtre de graves différends internes, qu’il est fort probable qu’ils étaient gangrenés par la corruption dans les années 1990 et qu’un passeport pouvait être obtenu avec des pots-de-vin, mais il est aussi question dans ces rapports des restrictions imposées en matière de délivrance de passeports ces dernières années. M. Campbell observe qu’à compter de 2004, les agents d’immigration éthiopiens ont exercé leur pouvoir discrétionnaire de refuser de renouveler le passeport éthiopien de personnes nées à Asmara, et que rien ne permet de croire que ce n’est plus le cas. Il indique également qu’après 2006, les ambassades et consulats éthiopiens ont commencé à exiger un certificat de naissance délivré en Éthiopie par une kebele ou le ministre de la Santé comme preuve de citoyenneté aux fins de l’obtention d’un passeport.
[41] L’argument de la demanderesse comme quoi les passeports qu’elle et ses parents ont obtenus sont invalides doit être appuyé par des éléments de preuve qui expliquent pourquoi puisque la Commission considère normalement les passeports comme des preuves fortes de nationalité. La demanderesse a déclaré dans le formulaire de fondement de sa demande que son père a obtenu les passeports éthiopiens au moyen de pots-de-vin, mais celui-ci n’aborde pas ce point crucial dans la lettre qu’il a soumise. La Commission ne dispose d’aucun renseignement ou élément de preuve indiquant par quelles astuces le père a pu obtenir des passeports éthiopiens au fil des années, quelles sommes ont été payées pour la délivrance de ces passeports ou, encore, quels documents il a dû remettre ou quelles démarches il a dû faire pour les obtenir.
[42] Il convient de souligner à ce sujet que le plus récent passeport de la demanderesse a été délivré le 28 décembre 2015, alors qu’elle résidait en Éthiopie sans son père. Seulement trois jours après sa délivrance, elle a utilisé ce passeport pour entrer en Arabie saoudite depuis l’Éthiopie. La demanderesse a pourtant déclaré que son père ne lui a jamais rendu visite quand elle résidait en Éthiopie. Il est très difficile de comprendre comment la demanderesse, alors qu’elle résidait en Éthiopie et que son père résidait en Arabie saoudite, a pu obtenir un passeport de ce pays grâce aux démarches de celui-ci et aux pots-de-vin qu’il aurait versés pour la délivrance de passeports frauduleux à sa famille.
[43] La demanderesse en savait très peu à ce sujet, ce qui n’a rien d’étonnant. Son représentant désigné n’en savait guère plus. Cependant, même si la question a été clairement soulevée lors de la première audience relative à la demande, la demanderesse et son représentant désigné n’ont pas, sans raison apparente, fourni d’autre élément de preuve. Ils n’ont pas soumis une autre lettre du père, et il n’a pas été cité à comparaître par téléconférence. Autrement dit, même s’ils ont eu suffisamment de temps pour le faire, la demanderesse et son représentant désigné n’ont pas, pour des raisons qui demeurent obscures, fourni d’autres éléments de preuve qui auraient permis à la Commission de confirmer que son passeport éthiopien a été obtenu frauduleusement.
[44] [traduction]
En l’absence de preuve claire du père de la demanderesse sur la façon dont il a pu obtenir les passeports éthiopiens de la famille au fil des années, je dois accorder beaucoup de valeur au passeport attestant qu’elle est de nationalité éthiopienne.
[Renvois omis.]
[70]
Apparemment, les renvois aux rapports d’expert de M. Campbell visent à mettre en évidence les contrôles beaucoup plus serrés des agents éthiopiens en matière de délivrance des passeports, et donc que les affirmations de la demanderesse et les autres éléments de preuve invoqués ne suffisent pas pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que les passeports ont été obtenus frauduleusement. Même si la demanderesse peut maintenant plaider que la preuve d’expert de M. Campbell étaye certains éléments de sa thèse, il ne s’ensuit pas que la preuve a été incorrectement interprétée ou appliquée. La Section de la protection des réfugiés n’a pas conclu que l’argument de la demanderesse selon lequel les passeports sont frauduleux est absolument infondé. La Section de la protection des réfugiés a observé que la demanderesse lui avait présenté une cause difficile à trancher et qu’elle ne lui avait fourni aucun élément de preuve précis au soutien de ses allégations concernant les passeports :
[41] L’argument de la demanderesse comme quoi les passeports qu’elle et ses parents ont obtenus sont invalides doit être appuyé par des éléments de preuve qui expliquent pourquoi puisque la Commission considère normalement les passeports comme des preuves fortes de nationalité. La demanderesse a déclaré dans le formulaire de fondement de sa demande que son père a obtenu les passeports éthiopiens au moyen de pots-de-vin, mais celui-ci n’aborde pas ce point crucial dans la lettre qu’il a soumise. La Commission ne dispose d’aucun renseignement ou élément de preuve indiquant par quelles astuces le père a pu obtenir des passeports éthiopiens au fil des années, quelles sommes ont été payées pour la délivrance de ces passeports ou, encore, quels documents il a dû remettre ou quelles démarches il a dû faire pour les obtenir.
[Renvoi omis.]
[71]
Autrement dit, la Section de la protection des réfugiés observe simplement que la demanderesse a échoué à établir comment son père a pu obtenir et renouveler des passeports frauduleux malgré les exigences des autorités éthiopiennes. La Section de la protection des réfugiés ne dit pas qu’il est impossible d’obtenir des passeports frauduleux, mais que la demanderesse n’a pas démontré comment ceux qui sont en cause ici ont été obtenus, compte tenu des autres facteurs en jeu.
[72]
La demanderesse soutient que le fait que les autorités éthiopiennes procèdent à des contrôles plus serrés étaye l’argument voulant que les passeports aient été obtenus frauduleusement. La prémisse à cet argument est l’impossibilité pour sa famille d’obtenir la citoyenneté éthiopienne. Si cette prémisse est acceptée, il en découle que les contrôles plus serrés imposés aux personnes d’origine érythréenne ont obligé son père à recourir à la fraude pour obtenir des passeports éthiopiens. Cependant, il est aussi possible de déduire de la preuve que les agents éthiopiens ont délivré les passeports en cause à la famille de la demanderesse parce qu’ils ont conclu, à l’issue de contrôles plus serrés, qu’elle possédait la citoyenneté éthiopienne. À mon avis, les contrôles plus serrés devraient réduire, et non augmenter, le risque de fraude. Cela dit, même s’il existait d’autres interprétations possibles des éléments de preuve, celle qu’en a fait la Section de la protection des réfugiés n’est pas déraisonnable.
D.
Défaut d’appliquer les directives du président
[73]
Les principaux arguments de la demanderesse à ce sujet sont formulés dans ses observations écrites :
[traduction]
63. La Section de la protection des réfugiés semble avoir conclu qu’à défaut d’un témoignage des parents de la demanderesse pour étoffer la preuve, ses déclarations sous serment à propos de leur nationalité et de l’obtention de passeports éthiopiens par des moyens frauduleux ne peuvent pas être retenues. Voici un extrait de la décision de la Section de la protection des réfugiés à ce sujet :
[traduction]
En l’absence de preuve claire du père de la demanderesse sur la façon dont il a pu obtenir les passeports éthiopiens de la famille au fil des années, je dois accorder beaucoup de valeur au passeport attestant qu’elle est de nationalité éthiopienne.
64. Même si la Section de la protection des réfugiés affirme de manière générale que toute l’attention voulue a été accordée aux directives du président relativement aux enfants qui revendiquent le statut de réfugié et aux revendicatrices du statut de réfugié (directives numéros 3 et 4 du président), le fond de la décision et les conclusions tendent plutôt à indiquer le contraire.
65. Les directives sont censées orienter la Section de la protection des réfugiés dans son évaluation de certains types de demandes. En l’espèce, étant donné que la demanderesse est une enfant de sexe féminin (elle avait 16 ans à la première audience), les deux directives s’appliquent et doivent être interprétées de concert.
[…]
73. Compte tenu de son âge, de son sexe et du milieu culturel dans lequel elle a été élevée, il n’est pas étonnant que la demanderesse soit très peu au fait de ces questions. L’Arabie saoudite est un pays conservateur où les femmes ont peu d’autonomie ou de contrôle sur leur vie, et rien ne permet de croire que, dans ces circonstances, la demanderesse ait été mêlée de près ou de loin aux démarches visant l’obtention de pièces d’identité frauduleuses, ou que son père lui ait donné des détails sur les moyens par lesquels il les a obtenues.
74. La Section de la protection des réfugiés a également rejeté le témoignage de la demanderesse à propos des difficultés de sa mère à obtenir des services en Éthiopie :
Même si elle évoque les difficultés qu’aurait rencontrées sa mère, la demanderesse est mineure et n’a donc pas vraiment eu connaissance, personnellement ou directement, des démarches tentées par sa mère. Par conséquent, je ne dispose d’aucun élément de preuve fiable pour établir si la demanderesse aurait de la difficulté à obtenir des services sociaux en Éthiopie.
75. La Section de la protection des réfugiés a interprété de travers les directives du président en concluant qu’en raison de son âge et des circonstances, son témoignage comporte des lacunes qui empêchent d’établir certains faits.
76. La Section de la protection des réfugiés aurait dû essayer de comprendre les raisons pour lesquelles la demanderesse était peu au courant de certains sujets, et notamment le fait qu’elle était une enfant de sexe féminin ayant grandi dans une culture et un milieu hautement conservateurs. Elle a néanmoins témoigné sous serment sur ce qu’elle savait, y compris que son passeport avait été obtenu frauduleusement et que ses parents avaient des cartes d’identité nationales érythréennes valides. Ce témoignage est présumé véridique, comme celui de tout autre demandeur qui se présente devant la Commission.
[Renvois omis.]
[74]
Comme l’a fait valoir la demanderesse, elle était une enfant de sexe féminin au moment de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés. Elle a toutefois été assistée par un représentant désigné et un avocat chevronné.
[75]
La Section de la protection des réfugiés attache une grande importance aux directives du président, à leur application et à la prise en compte du point de vue des demandeurs :
[traduction]
[5] Il convient de souligner que la demanderesse est une mineure non accompagnée. Ses parents et son jeune frère résident en Arabie saoudite. La tante de la demanderesse, Anisa Abdelkader, avait initialement été nommée comme représentante désignée.
[6] Le 9 mars 2017, l’avocat de la demanderesse a demandé à ce que la désignation de Mme Abdelkader prenne fin après qu’elle eut manifesté des doutes quant à son aptitude à remplir cette responsabilité et à s’exprimer lors de l’audience. L’avocat a sollicité par la même occasion la désignation de l’oncle de la demanderesse, Hassen Abdulkadir Bashir, à titre de représentant. M. Bashir demeure à Regina, en Saskatchewan, mais il a tout de même accepté d’agir à titre de représentant désigné de la demanderesse.
[7] Comme il avait été désigné tardivement, la Section de la protection des réfugiés a interrogé M. Bashir à propos de son aptitude à faire office de représentant désigné au début de l’instance. M. Bashir a confirmé qu’il comprenait ses responsabilités. Il a déclaré qu’il avait rencontré l’avocat de la demanderesse et qu’il comprenait l’objet de la cause à plaider. Il avait lu le formulaire de fondement de la demande et réfléchi aux éléments de preuve à assembler pour étayer la cause de la demanderesse. Ses réponses n’ont suscité aucune réserve quant à son aptitude à remplir ses obligations à l’égard de celle-ci. Il convient de souligner que M. Bashir a fait le trajet aller-retour à deux reprises entre Toronto et Regina pour participer aux audiences de la demanderesse, ce qui est louable de sa part.
[8] La Section de la protection des réfugiés s’est montrée particulièrement sensible aux obstacles auxquels la demanderesse était exposée à titre de mineure non accompagnée, et elle a fait très attention de suivre les directives du président concernant les enfants qui revendiquent le statut de réfugié et les revendicatrices du statut de réfugié (directives numéros 3 et 4 du président). Compte tenu de la complexité de la présente demande sur le plan de la preuve, la Section de la protection des réfugiés a souvent exercé son pouvoir discrétionnaire d’admettre des preuves tardives.
[9] Même si la demanderesse n’avait que 16 ans au moment de la première audience, elle a donné l’image d’une jeune femme mûre, confiante et en possession de ses moyens. Ni son avocat ni son représentant désigné n’ont remis en question sa capacité de témoigner. La demanderesse a parlé de divers sujets, et la valeur de son témoignage a été justement appréciée compte tenu de son âge, de son expérience, de son sexe et de ses antécédents culturels. Ainsi, vu son jeune âge, je n’ai tiré aucune conclusion défavorable concernant les incohérences entre les déclarations figurant dans le Formulaire de demande générique (IMM 0008) et celles qui figurent au formulaire Annexe A (IMM 5669) relativement à sa citoyenneté éthiopienne et au lieu de naissance de sa mère.
[76]
En dépit de ces observations, la demanderesse reproche maintenant à la Section de la protection des réfugiés d’avoir interprété de travers les directives du président. Elle juge que la Section de la protection des réfugiés aurait dû chercher à comprendre pourquoi elle était peu au fait de certains sujets et qu’elle aurait dû tenir pour véridique son témoignage sous serment, particulièrement en ce qui concerne la question des passeports frauduleux.
[77]
Il est pourtant expliqué très clairement dans la décision que la présomption de véracité ne pouvait pas être invoquée et qu’aucune conclusion défavorable n’a été tirée à l’encontre de la demanderesse, mais que son témoignage n’a pas été suffisant pour établir le bien-fondé de sa demande.
[78]
Comme la demanderesse était une mineure de sexe féminin et ne savait pas comment les passeports et les cartes d’identité en cause ont été obtenus, la Section de la protection des réfugiés a dû trancher la demande au vu des autres éléments de preuve. Elle a donc soupesé les rares éléments de preuve que la demanderesse a pu fournir au regard de l’ensemble du dossier et conformément aux directives du président. Il ressort clairement de la décision que la Section de la protection des réfugiés n’a pas, tant s’en faut, simplement fait mine d’appliquer les directives du président.
[79]
Elle a expliqué qu’elle ne pouvait pas considérer que les parents de la demanderesse étaient titulaires de cartes d’identité nationales érythréennes authentiques puisque les éléments de preuve concernant leur identité [traduction] « recelaient de nombreuses incohérences et irrégularités qui n’ont pas été adéquatement expliquées par la demanderesse, malgré les nombreuses invitations à fournir des éléments de preuve ».
Comme le précise la Section de la protection des réfugiés, elle ne s’attendait pas que la demanderesse remédie elle-même aux irrégularités dans la preuve :
[32] Je comprends que la demanderesse était une mineure non accompagnée, mais son représentant désigné aurait dû l’aider à obtenir les éléments de preuve requis. Elle était de surcroît représentée par un avocat très compétent. Plus d’un mois après la première audience relative à la présente demande, la demanderesse n’avait toujours pas fourni de preuve relativement aux moyens déployés par sa mère pour obtenir sa carte d’identité nationale érythréenne. Les incohérences liées à celle-ci restent inexpliquées. J’estime que les incohérences inexpliquées relativement à la carte d’identité nationale érythréenne de la mère affaiblissent considérablement sa valeur.
[…]
[36] Encore là, la demanderesse aurait pu demander des explications directement à son père. Celui-ci n’aborde pas cette question dans sa lettre, et aucun autre élément de preuve n’a été produit à ce sujet. En raison des incohérences concernant l’identité et la date de naissance du père, j’accorderai peu de valeur à la carte d’identité nationale érythréenne portant son nom.
[…]
[43] La demanderesse en savait très peu à ce sujet, ce qui n’a rien d’étonnant. Son représentant désigné n’en savait guère plus. Cependant, même si la question a été clairement soulevée lors de la première audience relative à la demande, la demanderesse et son représentant désigné n’ont pas, sans raison apparente, fourni d’autre élément de preuve. Ils n’ont pas soumis une autre lettre du père, et il n’a pas été cité à comparaître par téléconférence. Autrement dit, même s’ils ont eu suffisamment de temps pour le faire, la demanderesse et son représentant désigné n’ont pas, pour des raisons qui demeurent obscures, fourni d’autres éléments de preuve qui auraient permis à la Commission de confirmer que son passeport éthiopien a été obtenu frauduleusement.
[…]
[58] À mon avis, parce que la preuve est insuffisante, il est impossible de savoir si la demanderesse aurait ou non accès à des services publics en raison de son origine érythréenne. Même si elle a fait des démarches pour obtenir une carte de la kebele et probablement pour inscrire la demanderesse et son frère à l’école, la mère n’a pas fourni d’élément de preuve qui confirmerait ces démarches. La Commission n’avait en main aucun renseignement fourni directement par la mère de la demanderesse relativement à ce qui s’est passé en Éthiopie, à ses démarches pour obtenir une carte de la kebele et des services publics, ou au traitement de ces demandes de la part des fonctionnaires éthiopiens. Son incapacité d’obtenir des services publics n’était pas forcément liée à l’origine ethnique de la demanderesse. Interrogé à ce sujet, son représentant désigné a affirmé qu’il ne savait pas que la mère aurait dû être appelée à témoigner. La demanderesse, son représentant et son avocat n’ont pas demandé à ce que la mère soit citée à comparaître par téléconférence ni cherché à obtenir un délai pour réunir d’autres éléments de preuve. La Commission n’avait aucun élément de preuve fiable à sa disposition pour déterminer si la famille n’a pas pu obtenir de pièces d’identité éthiopiennes à cause de son origine érythréenne.
[80]
J’ai du mal à comprendre pourquoi la demanderesse ou ceux qui la représentent fondent l’argumentation sur le caractère frauduleux des documents obtenus par sa famille, mais font valoir par ailleurs que la présomption de véracité s’applique et que la Section de la protection des réfugiés n’aurait pas dû faire une appréciation générale de la preuve pour établir le bien-fondé de cette allégation. La demanderesse n’a pas eu personnellement connaissance de la façon dont les passeports et les pièces d’identité ont été obtenus. Elle a été dûment informée par son représentant désigné et son avocat des doutes de la Section de la protection des réfugiés concernant ses allégations infondées. Bien que son représentant désigné et son avocat aient choisi de ne pas recourir au moyen le plus évident de dissiper ces doutes, ils soutiennent que la Section de la protection des réfugiés était tenue de prêter foi au témoignage infondé de la demanderesse même si les autres éléments de preuve [traduction] « recelaient de nombreuses incohérences et irrégularités qui n’ont pas été adéquatement expliquées […] ».
[81]
Lors de l’audition de la présente demande, la demanderesse a soulevé une question sur la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle ses parents et elle appartiennent à une « catégorie secondaire »
suivant la directive 2004 du gouvernement éthiopien à laquelle renvoie la décision. L’avocat du défendeur a souligné à juste titre que cette question n’ayant pas été soulevée dans les observations écrites, il était incapable d’en traiter et que la Cour ne devait pas la prendre en considération à ce stade-ci de l’instance. Dans sa réponse, l’avocat de la demanderesse n’a pas réfuté les arguments du défendeur. La jurisprudence de notre Cour enseigne qu’à moins d’une situation exceptionnelle, tout argument qui n’a pas été formulé dans le mémoire des faits et du droit d’une partie ne peut être pris en considération afin de ne pas léser et parce que la Cour ne pourrait pas être en mesure d’apprécier comme il se doit le bien-fondé de ce nouvel argument (Del Mundo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 754, aux paragraphes 12 à 14 [Del Mundo]; Mishak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 173 FTR 144 (1re inst.)). En l’espèce, la demanderesse a soulevé plusieurs arguments quant au caractère raisonnable des conclusions de la Section de la protection des réfugiés à propos des cartes d’identité des parents, à l’interprétation des rapports de M. Campbell et à l’application des directives du président. L’argument selon lequel ses parents et elle n’appartiennent pas à la « catégorie secondaire »
selon la directive 2004 n’est pas simplement une version plus étoffée de ces arguments et ne justifie pas l’exception accordée dans la décision Del Mundo. Le défendeur subirait un préjudice si la Cour tenait compte du nouvel argument de la demanderesse à un stade aussi avancé de l’instance, et la Cour n’en tiendra donc pas compte.
E.
Conclusions
[82]
Après un examen attentif, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision et je dois donc rejeter la demande.
IX.
Question à certifier
[83]
Les parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3002-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« James Russell »
Juge
Ce 21e jour de juillet 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3002-17
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INTITULÉ :
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SABRIN HUSSEIN ABDULKADIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 31 janvier 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE RUSSELL
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DATE DES MOTIFS :
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Le 20 mars 2018
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COMPARUTIONS :
Esther Lexchin
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Pour la demanderesse
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Lorne McCleneghan
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jared Will & Associates
Toronto (Ontario)
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Pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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