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Date : 20180314


Dossier : IMM-3634-17

Référence : 2018 CF 291

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2018

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

ATTILA LAKATOS

ANITA OLCSVARI

KIARA IRISZ LAKATOS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le 6 mars 2017, les demandeurs ont interjeté appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés en vue de faire annuler la décision de rejet de leur demande d’asile, décision fondée sur la conclusion qu’ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) (LIPR). Le 26 juillet 2017, la Section d’appel des réfugiés a rejeté leur appel et ils demandent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]  J’estime que la décision de la Section d’appel des réfugiés est transparente, justifiable et intelligible. Je rejette par conséquent le présent contrôle judiciaire pour les motifs suivants.

II.  Résumé des faits

[3]  Attila Lakatos, sa conjointe de fait Anita Olcsvari et leur fille de sept ans Kiara Lakatos (les demandeurs) sont des Roms et des citoyens de la Hongrie. En septembre 2016, ils sont arrivés au Canada et ont présenté des demandes d’asile afin, disent-ils, d’échapper au racisme et à la violence auxquels ils faisaient face en Hongrie. À titre d’exemple, les demandeurs disent que, lorsqu’ils vivaient en Hongrie, M. Lakatos a subi des voies de fait à deux occasions lors d’agressions à caractère raciste. La première agression a eu lieu en 2007 et n’a pas été signalée à la police. La deuxième agression a eu lieu le 9 avril 2016 et a été signalée à la police. Lors de cette agression, selon le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) de M. Lakatos, deux hommes ont sévèrement agressé le demandeur (il a été poignardé au ventre et agressé avec une machette) tout en le traitant de [traduction] « sale gitan ». L’enquête policière sur l’agression qui a été signalée a mené à une arrestation, mais il s’est avéré que les personnes arrêtées n’étaient pas les auteurs. Le dossier de la police dans cette affaire est toujours ouvert.

[4]  À cause d’une erreur typographique, l’analyse de la Section d’appel des réfugiés situe l’agression en avril 2009, alors qu’elle a eu lieu le 9 avril 2016. Lors de l’audience du présent contrôle judiciaire, les parties ont confirmé que l’erreur typographique importe peu.

[5]  La famille dit que la discrimination à leur égard équivaut à de la persécution en matière de santé, d’éducation et de logement, mais c’est l’attentat contre M. Lakatos qui les a fait fuir au Canada.

[6]  L’audience devant la Section de la protection des réfugiés a eu lieu le 6 janvier 2017. Dans la décision rendue le 16 février 2017, la Section de la protection des réfugiés a établi que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la convention ni des personnes à protéger et elle a rejeté leur demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés a conclu qu’ils auraient accès à la protection de l’État en Hongrie. La Section de la protection des réfugiés a également conclu qu’il manquait d’éléments de preuve crédibles pour étayer une sérieuse possibilité de persécution future.

[7]  Le défendeur a interjeté appel de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés auprès de la Section d’appel des réfugiés le 6 mars 2017. Aucun nouvel élément de preuve n’a été présenté en appel et il n’y a pas eu d’audience.

[8]  La Section d’appel des réfugiés a écouté un enregistrement de l’audience de la Section de la protection des réfugiés et a conclu que la Section de la protection des réfugiés ne s’était montrée ni agressive ni insensible à l’égard des demandeurs. La Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas commis d’erreur, alors que les demandeurs soutenaient qu’elle en avait commis une en ne suivant pas les directives fondées sur le sexe et les droits des enfants.

[9]  La Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il y avait une protection de l’État. La Section d’appel des réfugiés a déclaré que le fardeau de la preuve est proportionnel au degré de démocratie et que, la Hongrie étant une nation démocratique, les demandeurs devaient aller plus loin pour prouver l’insuffisance de la protection de l’État. Après avoir examiné les éléments de preuve, la Section d’appel des réfugiés a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de la charge de prouver selon la prépondérance des probabilités que la protection de l’État était inadéquate.

[10]  Le 26 juillet 2017, la Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel des demandeurs.

III.  Questions en litige

[11]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans l’évaluation de l’efficacité de la protection de l’État?
  2. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit en omettant d’évaluer ou d’appliquer les directives fondées sur le sexe et sur les droits des enfants?

IV.  Norme de contrôle

[12]  La norme de révision applicable à une décision de la Section d’appel des réfugiés est la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 30 et 35).

V.  Discussion

A.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans l’évaluation de l’efficacité de la protection de l’État?

[13]  Comme notre Cour l’a statué, la question déterminante est celle de l’analyse de la protection de l’État. La protection de l’État est déterminante lorsque le décideur a établi raisonnablement que la protection de l’État convient, car toute erreur commise dans une autre affaire ne changera pas l’issue (Sarfraz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF no 1974 (CF), Victoria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 388, au paragraphe 15, Kudar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 648, au paragraphe 12, Kharrat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 106, au paragraphe 8).

[14]  Malgré la présomption d’une protection de l’État, le demandeur peut réfuter de façon claire l’existence de celle-ci selon la prépondérance des probabilités en se servant d’éléments de preuve convaincants (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, p. 724 et 725, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, au paragraphe 30). Plus précisément, les éléments de preuve doivent établir le caractère inadéquat de la protection de l’État, et il ne s’agit pas de savoir si celle-ci est inefficace (Samuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 762, au paragraphe 13, Mendez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 584, au paragraphe 23).

[15]  En l’espèce, les demandeurs affirment que la Section d’appel des réfugiés n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui réfutaient cette présomption. Par exemple, les demandeurs ont expliqué que la police en Hongrie n’a pas trouvé les suspects qui ont agressé M. Lakatos. Ils soutiennent que cette situation prouve que l’État dispose de ressources insuffisantes pour endiguer les crimes à caractère racistes et les actes extrémistes. De plus, ils ont invoqué l’examen des risques avant renvoi tiré de la décision Bozik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 920, pour affirmer qu’il n’a pas été tenu compte des éléments de preuve présentés par des demandeurs se trouvant dans une situation semblable, alors qu’il s’agissait d’éléments de preuve objectifs soutenant le caractère inadéquat de la protection de l’État.

[16]  Pour soutenir que la décision de la Section d’appel des réfugiés est déraisonnable parce qu’elle n’a pas évalué si la protection de l’État était fonctionnelle, les demandeurs se sont appuyés sur la jurisprudence suivante : Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 667, au paragraphe 76; Castro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 13, au paragraphe 6; Guthrie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1087, aux paragraphes 9 à 11; Famurewa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 409, au paragraphe 21; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004; Kemenczei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1349; Kumati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1519; Meza Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364, au paragraphe 16.

[17]  En dernier lieu, les demandeurs soutiennent que le décideur n’a pas tenu compte des éléments de preuve documentaire démontrant que les enfants d’origine rome font l’objet de ségrégation dans le système scolaire ni de ceux démontrant que les soins de santé font défaut pour les Roms.

[18]  La Section d’appel des réfugiés mentionne bizarrement au paragraphe 9 de ses motifs que la Section de la protection des réfugiés n’a pas examiné la question de la protection de l’État, ce qui explique qu’elle a sollicité des observations écrites pour procéder à sa propre analyse. Pourtant, lorsque j’ai examiné la décision de la Section de la protection des réfugiés, une section entière (qui commence au paragraphe 33) porte sur l’analyse de la protection de l’État et la Section de la protection des réfugiés y affirme que [traduction] « la protection de l’État ne doit pas nécessairement être parfaite, mais elle doit être adéquate sur le terrain ».

[19]  La Section de la protection des réfugiés a ensuite examiné les éléments de preuve documentaire et tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

Le tribunal reconnaît que les documents du pays étayent la thèse de la défense selon laquelle la protection n’est pas parfaite et que de nombreuses améliorations doivent lui être apportées, surtout pour ce qui est de la corruption de certains policiers. Cependant, les données objectives confirment que la Hongrie est une démocratie multipartite fonctionnelle, avec des élections libres et équitables. Le pays est doté de forces de sécurité fonctionnelles pour faire respecter les lois et la constitution du pays.

La Section de la protection des réfugiés conclut que [traduction] « les demandeurs ont accès à une protection d’État efficace qui est fonctionnelle en Hongrie ».

[20]  L’analyse complète de la Section d’appel des réfugiés sur la protection de l’État porte sur les circonstances particulières des demandeurs, notamment les deux agressions. L’une des agressions a été signalée à la police et l’autre, non.

[21]  Au sujet de l’agression survenue en 2016, la Section d’appel des réfugiés a constaté que la police avait enquêté et procédé à des arrestations. Les enquêteurs ont conclu que les personnes arrêtées n’étaient pas les agresseurs, mais la Section d’appel des réfugiés a conclu que cette situation ne signifie pas que l’État refusait de protéger les demandeurs. Pour ce qui est de l’agression précédente, la Section d’appel des réfugiés a noté qu’elle n’avait pas été signalée à la police. La Section d’appel des réfugiés a conclu que le fait de ne pas signaler le premier incident est incompatible avec une crainte réellement fondée ou n’indique pas une tentative véritable d’obtenir la protection de l’État.

[22]  La Section d’appel des réfugiés a invoqué la jurisprudence qui montre qu’un demandeur doit habituellement faire tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir la protection de l’État, à moins qu’il n’y ait une explication convaincante de ne pas le faire. Après avoir analysé les allégations des demandeurs concernant l’emploi, les soins de santé, l’éducation et le logement, la Section d’appel des réfugiés n’a rien trouvé dans les éléments de preuve qui indiquerait que les autorités hongroises ont empêché les demandeurs d’obtenir un emploi, un logement ou des soins de santé. La Section d’appel des réfugiés n’a pas mentionné l’éducation dans sa conclusion, mais la Section de la protection des réfugiés a dépeint la situation de l’enfant mineur du point de vue de la discrimination à l’école. La Section de la protection des réfugiés a conclu que [traduction] « il existe aussi des éléments de preuve documentaire convaincants qui indiquent que la Hongrie ne privera pas les demandeurs mineurs de leurs droits fondamentaux à l’éducation ». La Section de la protection des réfugiés a reconnu que les demandeurs devront défendre la cause de leur fille, mais ont également conclu qu’il y a des changements dans la situation de l’éducation en Hongrie pour les enfants d’origine rome.

[23]  Les décisions de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés ont toutes deux abordé la discrimination cumulative alléguée par les demandeurs en examinant les éléments de preuve qui leur ont été présentés. La Section d’appel des réfugiés n’a pas fait fi des éléments de preuve, mais a conclu qu’il manquait d’éléments en matière de ségrégation qui visaient l’enfant en cause.

[24]  Le récit tiré du formulaire FDA, un élément de preuve, contient une remarque de M. Lakatos selon laquelle sa conjointe de fait et lui ont fréquenté une école mixte et pourtant, ils ont subi de la ségrégation en classe, n’ont pas reçu d’attention et n’ont pas été encouragés à apprendre. Les parents craignaient que leur fille subisse elle aussi de la ségrégation, ne reçoive pas l’attention nécessaire et devienne une Rome sans instruction vivant dans la pauvreté. Selon les éléments de preuve des demandeurs, leur fille Kiara a commencé à fréquenter la maternelle d’enfants à 3 ans. Comme la maternelle est située dans une zone rome, des enfants d’origine rome s’y trouvent, elle y est heureuse et s’y plaît bien, mais ils sont inquiets, car ils sont d’avis que les écoles romes ne fournissent pas une bonne instruction. Cet élément de preuve n’est pas en contradiction avec les conclusions de la Section de la protection des réfugiés, à savoir que ses parents pouvant parler en son nom (et aucun élément de preuve ne démontrait le contraire), elle recevrait une éducation. Le fait que la famille vive dans une zone où vivent des Roms et que les enfants de la maternelle sont également des enfants d’origine rome ne signifie pas que leur enfant soit limitée à fréquenter cette seule école et cela ne signifie pas qu’elle ne puisse pas recevoir d’éducation. Les éléments de preuve documentaire et les constatations présentées devant la Section de la protection des réfugiés ont amené la Section de la protection des réfugiés à conclure que, même s’il y a des problèmes, l’enfant ne sera pas privée de ses droits à l’éducation.

[25]  La conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour montrer que ces avantages lui seraient refusés est raisonnable. Bien que la Section d’appel des réfugiés ait pu approfondir quelque peu le sujet, compte tenu des motifs et des éléments de la preuve de la Section de la protection des réfugiés figurant au dossier certifié du tribunal, il ne s’agit pas d’une décision déraisonnable.

[26]  Je conclus que la Section d’appel des réfugiés a raisonnablement établi que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de la charge de réfuter la présomption de protection de l’État selon la prépondérance des probabilités. La conclusion selon laquelle l’analyse de la protection de l’État était raisonnable est déterminante en l’espèce. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je me penche sur les autres questions soulevées par les demandeurs en l’espèce.

[27]  Je n’aurais peut-être pas tiré les mêmes conclusions, mais ce n’est pas là mon rôle pour le présent contrôle judiciaire. Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12). Puisque cette décision appartient aux issues possibles acceptables, je rejette la présente demande.

[28]  Aucune question n’a été soumise pour être certifiée et aucune n’est à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3634-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3634-17

 

INTITULÉ :

ATTILA LAKATOS ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 FÉVRIER 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 MARS 2018

 

COMPARUTIONS :

John Gravel

POUR LES DEMANDEURS

Catherine Vasilaros

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEWIS & ASSOCIATES

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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