Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180301

Dossier : T-317-18

Référence : 2018 CF 233

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2018

En présence de madame la protonotaire Mandy Aylen

ENTRE :

GENENTECH, INC.

demanderesse/titulaire du brevet

et

HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED

demanderesse/première personne

et

PFIZER CANADA INC.

défenderesse/seconde personne

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Genentech, Inc. (Genentech) et Hoffmann-La Roche Limited (Roche) ont déposé une « demande/requête » en vue d’obtenir une ordonnance en application du paragraphe 5(3.7) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), modifiant les règles de confidentialité imposées par Pfizer Canada Inc. (Pfizer), aux termes du paragraphe 5(3.5) du Règlement, pour les documents de présentation de drogue nouvelle fournis avec huit avis d’allégation déposés par Pfizer concernant ses présentations de drogue nouvelle pour son produit trazimera.

[2]  Pfizer a soulevé une objection préliminaire relativement à la compétence de la Cour pour entendre la présente affaire, en l’absence d’une action sous-jacente intentée par Genentech et Roche au titre de l’article 6 du Règlement. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la Cour n’a pas compétence pour entendre une requête déposée en application du paragraphe 5(3.7) du Règlement en l’absence d’une action sous-jacente.

I.  Discussion

[3]  En guise de contexte, précisons que le Règlement a fait l’objet de modifications importantes qui sont entrées en vigueur le 21 septembre 2017. Par conséquent, une procédure d’avis de conformité est maintenant introduite par voie d’action, plutôt qu’au moyen d’une demande. Les délais pour introduire une procédure (45 jours) et pour le délai réglementaire (24 mois) restent inchangés.

[4]   L’un des changements importants au Règlement concerne la divulgation anticipée de la documentation. Le sous-alinéa 5(3)c)(iii) du Règlement exige maintenant que la seconde personne signifie à la première personne, en même temps que son avis d’allégation, une copie électronique – pouvant faire l’objet de recherches – de toute partie de la présentation de drogue nouvelle ou du supplément qui est sous son contrôle et qui est pertinente pour établir si un brevet ou un certificat de protection supplémentaire visé par l’avis d’allégation serait contrefait. La première personne a alors l’obligation, aux termes du paragraphe 5(3.3) du Règlement, de transmettre l’avis d’allégation et les documents d’accompagnement au titulaire du brevet à l’égard duquel une allégation est faite dans l’avis d’allégation, et au titulaire d’un brevet qui figure dans tout certificat de protection supplémentaire à l’égard duquel une allégation a été faite.

[5]  Compte tenu de la nature commercialement sensible et confidentielle de certaines parties des renseignements contenus dans la présentation de drogue nouvelle ou dans son supplément, le paragraphe 5(3.5) du Règlement permet à la seconde personne d’imposer unilatéralement, à la première personne et au titulaire du brevet, toute règle raisonnable pour maintenir la confidentialité de toute partie de la présentation de drogue nouvelle ou de son supplément. Ces règles de confidentialité, qui prévoient généralement qui peut avoir accès aux documents et comment les documents doivent être traités, s’apparentent aux dispositions des accords de protection que les parties concluent systématiquement dans les litiges impliquant des questions de propriété intellectuelle ou pouvant être incluses dans des ordonnances de protection émises par la Cour dans de tels cas.

[6]  Si une première personne ou un titulaire de brevet estime que les règles de confidentialité de la seconde personne sont déraisonnables (trop restrictives), elle peut présenter une requête à la Cour pour annuler ou modifier les règles de confidentialité conformément au paragraphe 5(3.7) du Règlement, qui prévoit ce qui suit :

Sur requête de la première personne ou du propriétaire du brevet — ou de sa propre initiative, après avoir donné l’occasion d’être entendus à cette première personne, à ce propriétaire et à la seconde personne — la Cour fédérale peut annuler ou modifier toute règle de confidentialité de la manière qu’elle considère comme juste.

On the motion of the first person or of the owner of the patent – or on its own initiative after giving an opportunity to the be heard to that first person, that owner and the second person – the Federal Court may set aside or vary any or all of those confidentiality rules in any manner that it considers just.

[7]  En l’espèce, Pfizer (la seconde personne) a signifié huit avis d’allégation à Roche, ainsi que des documents provenant de ses présentations de drogue nouvelle (PDN). Roche a fourni à Genentech, le titulaire du brevet, les avis d’allégation et les présentations de drogue nouvelle. Pfizer a imposé des règles de confidentialité à Roche et à Genentech relativement aux présentations de drogue nouvelle que Roche et Genentech considèrent comme déraisonnables et indûment restrictives. En conséquence, Roche et Genentech ont déposé la présente demande/requête.

[8]  Pfizer a soulevé une objection préliminaire à la demande/requête, affirmant que « l’avis de demande/requête » n’a pas été déposé conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles), ou au Règlement et, à ce titre, la Cour n’a pas compétence pour recevoir les documents pour dépôt ou pour entendre la demande/requête. Plus précisément, Pfizer affirme que le paragraphe 63(1) des Règles prévoit que, sauf disposition contraire d’une loi fédérale, l’acte introductif d’instance dans le cas d’une action est une déclaration, et que l’acte introductif d’instance dans le cas d’une demande est un avis de demande. Le paragraphe 63(2) des Règles prévoit que « lorsqu’une loi fédérale ou un texte d’application de celle-ci prévoit l’introduction d’une instance au moyen d’un document autre que l’acte introductif d’instance visé au paragraphe (1), les règles applicables à ce dernier s’appliquent à ce document ». Pfizer affirme que le paragraphe 5(3.7) du Règlement n’autorise pas expressément l’introduction d’une instance au moyen d’une requête, mais confirme simplement qu’un recours peut être demandé au moyen d’une requête, puisque ce terme est utilisé dans les Règles. Par conséquent, Pfizer affirme qu’une requête en application du paragraphe 5(3.7) ne peut être présentée que dans le contexte d’une action introduite au titre de l’article 6 du Règlement.

[9]  Pfizer reconnaît que l’article 372 des Règles prévoit la présentation d’une requête avant l’introduction d’une instance, mais affirme que l’article 372 des Règles ne s’applique pas aux circonstances de la présente affaire. L’article 372 des Règles se trouve à la Partie 8 des Règles, qui traite de la sauvegarde des droits dans une instance. Pfizer affirme que la demande/requête de Genentech et de Roche ne concerne pas la sauvegarde des droits et que, par conséquent, l’article 372 des Règles ne s’applique pas. Même si la requête pourrait être qualifiée de requête visant une sauvegarde des droits, Pfizer affirme que Genentech et Roche ne satisfont pas aux autres exigences relatives à une requête préliminaire, puisqu’il n’y a pas urgence et que Genentech et Roche n’ont pas entrepris d’intenter une action dans un délai fixé.

[10]  Genentech et Roche affirment que l’article 300 des Règles permet que des procédures soient introduites par un avis de requête introductif d’instance, lorsque ces procédures sont requises ou autorisées par une loi fédérale. Genentech et Roche affirment que la requête dont il est fait mention au paragraphe 5(3.7) du Règlement ne devrait pas être interprétée de la même manière que dans les Règles, puisque le législateur entendait que la requête présentée en application du paragraphe 5(3.7) soit une requête introductive d’instance qui pourrait être présentée avant une action déposée au titre de l’article 6. Autrement dit, Genentech et Roche affirment que le législateur, en adoptant le paragraphe 5(3.7), a autorisé l’introduction d’une instance au moyen d’un avis de requête.

[11]  Pour appuyer leur argument, Genentech et Roche invoquent le paragraphe 6.03(4) du Règlement, qui prévoit ce qui suit :

Sur requête de la seconde personne ou de sa propre initiative, après avoir donné l’occasion d’être entendues aux parties à l’action, la Cour fédérale peut annuler ou modifier toute règle de confidentialité de la manière qu’elle considère comme juste.

On motion of the second person or on its own initiative, after giving an opportunity to be heard to the parties to the action, the Federal Court may set aside or vary any or all of those confidentiality rules in any manner that it considers just.

[12]  Alors que le paragraphe 6.03(4) renvoie à un ensemble de règles de confidentialité différentes imposées par la première personne en lien avec les documents produits aux termes de l’alinéa 6.03(1)a), Genentech et Roche soutiennent que ce qu’il importe de prendre en considération, c’est la différence dans les termes utilisés entre les paragraphes 5(3.7) et 6.03(4). Ils soulignent que le paragraphe 6.03(4) fait référence à « l’action », alors qu’on n’y fait pas référence au paragraphe 5(3.7). Ils soutiennent que l’absence de référence à une action appuie leur affirmation selon laquelle le législateur entendait qu’une requête déposée en application du paragraphe 5(3.7) pouvait être introduite en l’absence d’une action sous-jacente.

[13]  Après avoir examiné les observations écrites des parties et les observations supplémentaires présentées à la conférence de gestion de l’instance le 23 février 2018, je conclus qu’en ce qui concerne le paragraphe 5(3.7), le législateur n’avait pas l’intention de permettre l’introduction d’une instance distincte par voie d’une requête ou d’une demande. Le paragraphe 5(3.7) ne fait nullement référence à l’introduction d’une instance, ce que le législateur aurait facilement pu faire si telle était son intention. Le paragraphe 5(3.7) utilise plutôt le terme « requête » de la même manière qu’il est utilisé ailleurs dans le Règlement, comme aux paragraphes 6.03(4) et 6.04(1). Il est clair que les requêtes présentées en application des paragraphes 6.03(4) et 6.04(1) doivent l’être dans le contexte d’une action.

[14]  Comme les termes d’une disposition doivent être lus dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi, j’estime que le terme « requête » contenu dans le Règlement doit être interprété de la même manière dans tout le Règlement, et de la même manière que dans les Règles. Par conséquent, je conclus que le terme « requête » au paragraphe 5(3.7) renvoie à une procédure interlocutoire dans le contexte d’une action sous-jacente présentée au titre de l’article 6, et non à une instance introductive engagée au moyen d’un avis de requête.

[15]  Cette interprétation est corroborée par le fait que le Règlement ne contient aucun autre article permettant à une première personne ou à un titulaire de brevet de présenter une requête pour contester les règles de confidentialité imposées par une seconde personne aux termes du paragraphe 5(3.5). Si le terme « requête » au paragraphe 5(3.7) était interprété comme étant un moyen d’introduire une instance en dehors d’une action introduite au titre de l’article 6 du Règlement, la première personne ou le titulaire d’un brevet n’aurait pas le droit de contester les règles de confidentialité dans le contexte d’une action au titre de l’article 6. Le législateur n’entendait sûrement pas que lorsqu’une action est déjà engagée, une première personne ou un titulaire de brevet doit engager une procédure distincte pour contester les règles de confidentialité.

[16]  De plus, le paragraphe 5(3.7) autorise la Cour, de sa propre initiative, à annuler ou à modifier toute règle de confidentialité de la seconde personne. La Cour ne peut engager ses propres procédures et, par conséquent, elle ne peut exercer ce pouvoir que dans le contexte d’une action existante.

[17]  Je souligne également que rien dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation concernant le Règlement n’appuie l’interprétation du paragraphe 5(3.7) faite par Genentech et Roche. Il n’y a aucune référence à la création d’une instance introductive autonome, engagée par un avis de requête en application du paragraphe 5(3.7), ni aucune autre remarque qui appuierait l’interprétation de Genentech et de Roche.

[18]  Même si je reconnais qu’il n’y a aucune référence à une action au paragraphe 5(3.7), comme c’est le cas au paragraphe 6.03(4), j’estime que cette absence de référence à une action ne peut être considérée comme une autorisation à engager une instance au moyen d’un avis de requête.

[19]  En l’absence de toute autorisation du législateur prévue au Règlement permettant d’introduire une procédure au moyen d’une requête, il n’y a aucune disposition dans les Règles sur laquelle peuvent s’appuyer Genentech et Roche pour permettre le dépôt de la présente demande/requête. Comme Genentech et Roche l’ont admis lors de la conférence de gestion de l’instance, l’article 372 des Règles ne s’applique pas à la présente instance.

[20]  Par conséquent, je conclus que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur une requête présentée en application du paragraphe 5(3.7) du Règlement en l’absence d’une action sous-jacente. Le recours demandé par Genentech et Roche était prématuré. De plus, leurs documents de demande/requête n’auraient pas dû être acceptés par le greffe, mais plutôt renvoyés à la Cour afin d’obtenir des instructions conformément à l’article 72 des Règles compte tenu de leur irrégularité.

[21]  En conclusion, une première personne ou un titulaire de brevet cherchant à faire modifier ou à faire annuler les règles de confidentialité imposées par une seconde personne ne peut que présenter une requête en application du paragraphe 5(3.7) du Règlement dans le contexte d’une action au titre de l’article 6.


LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La présente demande/requête est rejetée, sans préjudice au droit de Genentech, Inc. ou de Hoffmann-La Roche Limited de présenter une requête en annulation ou modification des règles de confidentialité de Pfizer Canada Inc., en application du paragraphe 5(3.7) du Règlement, dans toute action introduite au titre de l’article 6 du Règlement.

  2. Il n’y aura pas d’adjudication des dépens.

« Mandy Aylen »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-317-18

 

INTITULÉ :

GENENTECH, INC. et HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED c PFIZER CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA PROTONOTAIRE AYLEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er mars 2018

 

COMPARUTIONS :

TONY CREBER

ALEX CARMENZIND

 

Pour la demanderesse (TITULAIRE DU BREVET)

GENENTECH, INC.

 

TONY CREBER

ALEX CARMENZIND

 

Pour la demanderesse (PREMIÈRE PERSONNE)

HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED

 

WARREN SPRIGINGS

MEGHAN DUREEN

Pour la défenderesse

PFIZER CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowlings WLG

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse (TITULAIRE DU BREVET)

GENENTECH, INC.

 

Gowlings WLG

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse (PREMIÈRE PERSONNE)

HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED

 

Sprigings

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse (seconde personne)

PFIZER CANADA INC.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.