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Date : 20180312


Dossier : IMM-3725-17

Référence : 2018 CF 287

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2018

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

DANILO BUT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  L’affaire dont je suis saisi est une demande de contrôle judiciaire de la décision d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) refusant de rouvrir une demande de résidence permanente. La demande a été rejetée parce que l’épouse du demandeur est atteinte d’une maladie rénale chronique et a donc été jugée interdite de territoire au Canada pour des raisons médicales.

[2]  En traitant la demande de résidence permanente, le demandeur a reçu une lettre relative à l’« équité procédurale » pour soulever la préoccupation d’interdiction de territoire pour raisons médicales. Toutefois, on ne lui a pas envoyé le formulaire « Déclaration de capacité et d’intention » (le formulaire de déclaration), en violation des dispositions du Bulletin opérationnel 15 – Manuel concernant le fardeau excessif pour les services sociaux et les services de santé (BO15) d’IRCC. Le demandeur a demandé à ce qu’IRCC rouvre sa demande de résidence permanente pour présenter un formulaire de déclaration et un plan crédible pour gérer la maladie de son épouse en dehors du système public de soins de santé. Cette demande de réouverture de la demande a été rejetée et fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Exposé des faits

[3]  M. Danilo But (le demandeur) est citoyen des Philippines. Il est marié à Neriza But, et ils ont trois enfants adultes ensemble, à savoir John, Ranier et Kirsten. Neriza et les trois enfants vivent ensemble dans la ville de Cabuyao aux Philippines. Le demandeur vit au Canada depuis février 2009 et réside à Edson en Alberta, où il travaille comme opérateur de machine à scier. Bien qu’il soit loin de sa famille, le demandeur a développé un réseau d’amis grâce à son travail et à sa communauté chrétienne.

[4]  Le demandeur est venu au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires afin de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille grâce à un revenu stable. Il paie des impôts sur son revenu au Canada et subvient aux besoins de ses enfants grâce à des fonds qu’il envoie chez lui, aux Philippines. Tous ses enfants suivent ou ont suivi des études postsecondaires. Malheureusement, son épouse est malade. En 2014, on lui a diagnostiqué une maladie rénale chronique. Néanmoins, le demandeur espère que sa famille pourra être réunie au Canada après 9 ans de séparation.

[5]  En mai 2015, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente en tant que candidat de la province de l’Alberta avec l’aide d’un expert-conseil en immigration. Son épouse Neriza, et ses deux enfants cadets ont été inclus dans la demande à titre de personnes à charge.

[6]  Dans une lettre datée du 9 novembre 2016 (la lettre relative à l’équité procédurale), IRCC a avisé le demandeur de la réception d’un avis médical au sujet de son épouse. La lettre indiquait que l’avis médical faisait état de la maladie rénale chronique de Neriza But et que les traitements prévus coûteraient 95 000 $ par année sur 5 ans (dépassant le seuil annuel de 6 450 $ en fardeau excessif). Par conséquent, la lettre expliquait que des préoccupations existaient selon lesquelles la maladie de Neriza entraînerait un fardeau excessif pour les services de santé et les services sociaux, et qu’il était donc possible que le demandeur et son épouse soient interdits de territoire en application du paragraphe 38(1) et de l’alinéa 42(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). La lettre indiquait en outre ce qui suit : [TRADUCTION] « [a]vant que je rende ma décision définitive, vous pouvez fournir des renseignements ou des documents supplémentaires concernant la maladie, le diagnostic ou l’avis susmentionnés », et a accordé au demandeur un délai jusqu’au 9 janvier 2017 pour répondre. La lettre relative à l’équité procédurale ne comprenait pas de formulaire de déclaration, qui sert à faire part de la capacité et de l’intention d’un demandeur à financer les soins médicaux en dehors du système public de soins de santé, lorsque la maladie rendrait autrement une personne interdite de territoire au Canada pour des raisons médicales.

[7]  Dans une lettre datée du 6 janvier 2017, l’expert-conseil en immigration du demandeur a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale au nom du demandeur. Dans sa réponse, l’expert-conseil n’a pas contesté les constatations médicales concernant l’épouse du demandeur, mais a plutôt soutenu que les motifs d’ordre humanitaire étaient tels qu’ils devaient surmonter l’interdiction de territoire pour des raisons médicales. La réponse du demandeur n’était accompagnée ni de formulaire de déclaration ni de plan de soins pour indiquer que le traitement médical de Neriza pourrait être financé en dehors du système public de soins de santé.

[8]  Dans une lettre datée du 18 avril 2017, l’agent TS6985 (l’agent) a avisé le demandeur que la maladie de Neriza pourrait raisonnablement entraîner un fardeau excessif pour les services de santé et les services sociaux, rendant Neriza et le demandeur interdits de territoire au Canada. Cette lettre accusait en outre réception le 26 janvier 2017 de la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale, mais précisait que les renseignements qu’elle contenait n’avaient pas modifié l’évaluation que l’agent avait réalisée de la maladie de Neriza.

[9]  Le demandeur a retenu les services d’un conseiller juridique. Le 13 mai 2017, le demandeur a écrit à IRCC et a insisté pour que son dossier soit rouvert pour deux motifs. D’abord, il a soutenu qu’on lui a refusé l’équité procédurale en raison du défaut de son expert-conseil en immigration de soumettre un formulaire de déclaration en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Ensuite, il a affirmé que les motifs d’ordre humanitaire, soit la discrimination en fonction de l’éducation aux Philippines et son établissement de longue durée au Canada, penchent en faveur de l’octroi de la demande de résidence permanente.

[10]  Le 5 juin 2017, l’agent a répondu en indiquant que les motifs de réouverture de la demande étaient insuffisants.

[11]  Le 20 juin 2017, le demandeur a encore demandé à ce que son dossier soit rouvert. À cette occasion, le demandeur a cité la présence d’une nouvelle preuve pertinente appuyant la réouverture de la demande, à savoir, un rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes intitulé Nouveau départ : améliorer la surveillance gouvernementale des activités des consultants en Immigration et présenté à la Chambre des communes le 16 juin 2017. Le demandeur observe en outre que la qualité du plan d’atténuation est un élément [traduction] « considérable » nécessaire à l’évaluation de la capacité et de l’intention de couvrir les frais médicaux en dehors du système public de soins de santé, un élément qui ne figurait pas dans la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale. Le demandeur a aussi évoqué les dispositions du BO15, qui prescrit la façon dont l’équité procédurale doit être accordée dans le contexte d’un cas d’interdiction de territoire pour des raisons médicales.

[12]  Le 11 juillet 2017, l’agent a répondu en accusant réception de la demande du demandeur visant à présenter un [traduction] « plan crédible et une déclaration de capacité et d’intention signée », mais a déclaré que [traduction] « la lettre relative à l’équité procédurale ne l’exigeait pas [du demandeur] ». [En caractères gras dans l’original.]

[13]  Le 20 juillet 2017, le demandeur a écrit une nouvelle fois à IRCC pour demander à ce que le dossier soit rouvert. Le demandeur soutenait qu’un manquement à l’équité procédurale s’était produit parce qu’IRCC n’avait pas fourni le formulaire de déclaration comme le prescrivent les lignes directrices en matière d’équité procédurale dans le BO15 lorsque la lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée. Le demandeur a indiqué qu’il était prêt à présenter devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire, mais a demandé à ce que l’affaire soit réglée hors cour par souci d’économie des ressources judiciaires.

[14]  Le 14 août 2017, l’agent a encore une fois rejeté la demande de réouverture de dossier présentée par le demandeur. Le refus de l’agent à rouvrir la demande de résidence permanente du demandeur fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  Questions en litige

[15]  Deux questions découlent de la présente demande de contrôle judiciaire :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
  2. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[16]  D’un côté, les parties ont débattu de la norme de contrôle appropriée applicable en l’espèce. Le demandeur soutient que parce que la question soulevée dans la présente demande est une question d’équité procédurale, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. En s’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, le demandeur affirme que la théorie des attentes légitimes fait partie de l’équité procédurale, et soutient que le BO15 établit un cadre précis, lequel devait être suivi selon les attentes légitimes du demandeur dans le traitement de sa demande de résidence permanente.

[17]  D’ailleurs, le défendeur soutient que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable en s’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Chopra c Canada (Procureur général), 2014 CAF 179, et sur la demande subséquente de la Cour fédérale dans Phan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1203. Le défendeur soutient que ces affaires appuient le principe selon lequel la décision d’une instance non juridictionnelle de rouvrir volontairement une décision relève du pouvoir discrétionnaire et qu’elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[18]  Je suis d’accord avec le défendeur. Bien qu’il soit vrai que les questions d’équité procédurale sont habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, l’affaire dont la Cour est saisie est la décision de l’agent à ne pas rouvrir la demande de résidence permanente. Si j’examinais la première décision de l’agent de rejeter la demande en fonction d’un défaut procédural présumé – en l’espèce, le défaut d’envoyer le formulaire de déclaration – alors la norme appropriée serait celle de la décision correcte. Il ne s’agit toutefois pas de la décision pour laquelle le demandeur sollicite un contrôle. Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent à ne pas rouvrir la demande de résidence permanente est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

B.  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[19]  Le demandeur soutient que les dispositions du BO15 sont rédigées en termes impératifs et obligent IRCC à envoyer non seulement la lettre relative à l’équité procédurale, mais aussi le formulaire de déclaration. Le demandeur ajoute que les dispositions du BO15 créent l’attente légitime qu’elles seront respectées. Pour ces motifs, le demandeur affirme qu’on aurait dû lui envoyer une lettre relative à l’équité procédurale lui expliquant qu’il pouvait contester le diagnostic médical et qu’il lui était possible de réfuter la conclusion d’interdiction de territoire en présentant un plan de gestion des coûts associés à la maladie rénale chronique de son épouse en dehors du système public de soins santé. Selon le demandeur, après avoir insisté sur les exigences du BO15 et son intention de présenter un plan, l’agent aurait dû rouvrir la demande de résidence permanente. L’agent a plutôt rendu une décision qui n’expliquait pas les motifs pour lesquels la demande de réouverture a été rejetée.

[20]  Le défendeur soutient que l’argument du demandeur cite de façon sélective le BO15 et le déforme. Il soutient que la décision de la Cour fédérale dans Deol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 271 [Deol] et que la décision de la Cour suprême du Canada dans Hilewitz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57 [Hilewitz] précisent que l’agent n’était pas tenu d’inviter le demandeur à fournir un plan visant à gérer le fardeau pour les services de santé puisqu’un tel plan n’est pertinent que lorsqu’il se rapporte aux services sociaux et aux services de santé qui ne font pas partie d’un système de soins de santé subventionné par l’État. Le défendeur affirme en outre qu’une lecture intégrale du BO15 démontre que le fardeau excessif pour les services de santé est différemment abordé par rapport au fardeau excessif pour les services sociaux, et que l’intention d’un demandeur à payer n’est pas un facteur pertinent lorsque le traitement requis est offert par l’entremise du système public de soins de santé.

[21]  Pour déterminer si la décision de l’agent était raisonnable, il convient de souligner la façon dont le BO15 oriente les agents d’immigration dans le traitement des cas d’interdiction de territoire pour des raisons médicales. Les dispositions pertinentes du BO15 sont les suivantes : [traduction]

Instructions destinées aux agents d’immigration ou des visas

Instructions for visa or immigration officers

1. À la réception de l’avis du médecin agréé (qui comprend un compte rendu et une liste des coûts des services sociaux, des médicaments sur ordonnance pour patient non hospitalisé et des coûts globaux prévus), l’agent d’immigration ou des visas doit :

1. Upon receipt of this opinion from the medical officer (with an accompanying narrative report, list of social services, outpatient medication and overall expected costs), the visa or immigration officer should

envoyer au demandeur la lettre relative à l’équité procédurale (fardeau excessif), les dispositions pertinentes du RIPR et la Déclaration de capacité et d’intention (cette lettre invite le demandeur à fournir les renseignements supplémentaires requis pour surmonter l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires);

send the procedural fairness letter (excessive demand), the relevant sections of the IRPR, and the Declaration of Ability and Willingness to the applicant (this letter invites the applicant to provide additional information required to overcome the finding of inadmissibility);

◦ s’assurer que la lettre relative à l’équité procédurale informe explicitement le demandeur des soins, des services sociaux et des médicaments sur ordonnance pour patient non hospitalisé nécessaires qui sont essentiels à la personne jugée interdite de territoire pour des raisons médicales (M5);

◦ ensure the procedural fairness letter explicitly informs the applicant of the required care, social services and outpatient medication that are critical to the individual being assessed as medically inadmissible (M5); and

◦ s’assurer que la lettre relative à l’équité procédurale explique que le demandeur peut contester le diagnostic et la liste des services requis et qu’il doit démontrer qu’il a un plan pour obtenir tous les services et gérer les coûts associés à tous les services indiqués dans la lettre, ou pour fournir un plan de rechange détaillé indiquant les coûts.

◦ ensure the procedural fairness letter explains that the applicant may challenge the diagnosis and list of required services and that the applicant must demonstrate they have a plan to obtain all the services and manage the costs associated with the services as outlined in the letter, or provide an alternate, detailed plan with costs.

Remarque : Le demandeur peut alors décider :

Note: The applicant may then decide to

□ d’accepter l’avis médical et de ne pas répondre à la lettre relative à l’équité procédurale;

□ accept the medical opinion and not respond to the procedural fairness letter;

□ de contester l’avis médical ou l’évaluation de fardeau excessif, ou les deux;

□ challenge the medical opinion and/or assessment of excessive demand; or

□ d’accepter l’avis médical et de proposer un plan détaillé indiquant où il obtiendra les services essentiels, le coût de ces services et des médicaments sur ordonnance pour patient non hospitalisé, et la façon de payer pour ces services.

□ accept the medical opinion and submit a proposed plan that details where they will secure the essential services, the cost of these services and outpatient medication, and how they will pay for the services.

[Je souligne]

[emphasis added]

[22]  L’agent n’a pas envoyé le formulaire de déclaration contrairement aux directives du BO15. Bien que la lettre du demandeur du 20 juillet 2017 ait porté l’absence de formulaire à l’attention de l’agent, l’absence n’a pas été abordée dans la décision de l’agent de ne pas rouvrir la demande de résidence permanente. L’agent a plutôt réitéré que le demandeur était avisé de la préoccupation possible en matière d’interdiction de territoire, qu’il avait la possibilité de répondre et que les renseignements supplémentaires qu’il a présentés étaient insuffisants pour renverser la conclusion initiale.

[23]  À mon avis, la décision de l’agent à ne pas rouvrir la demande de résidence permanente est déraisonnable. Si l’agent était d’avis que les attentes légitimes du demandeur avaient été respectées et que l’équité procédurale avait été accordée, malgré le fait que ses actions étaient à première vue contraires aux dispositions du BO15, il avait l’obligation de fournir les raisons de ce point de vue. La lettre du 14 août 2017 ne fournit aucune explication quant à la raison pour laquelle le formulaire de déclaration n’a pas été envoyé. L’agent a plutôt simplement réitéré que le dossier avait été examiné dans son intégralité et qu’il est demeuré convaincu que Neriza But entraînerait un fardeau excessif pour les services de santé au Canada.

[24]  Dans son plaidoyer, le défendeur m’a renvoyé aux notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), surtout à une inscription du 5 juin 2017 qui indique que la lettre relative à l’équité procédurale n’était pas accompagnée du formulaire de déclaration parce qu’en raison de [traduction] « ce diagnostic médical particulier, les services médicaux requis sont subventionnés par l’État sans mécanisme de recouvrement des coûts. Par conséquent, l’intention ou la capacité d’un demandeur de payer n’était pas un facteur pertinent ». Le défendeur a insisté sur le fait qu’il s’agit d’un motif pour lequel la demande de réouverture du demandeur a été rejetée.

[25]  Je ne suis pas d’accord. D’abord, la note au SMGC date du 5 juin 2017 et, selon l’argument même du défendeur, ce n’est que le 20 juillet 2017 que le demandeur [traduction] « […] a totalement changé de stratégie, écartant ses demandes de ne pas subir les conséquences négatives de la négligence de son représentant, et a jeté le blâme sur l’agent de ne pas avoir demandé un “plan crédible” de gestion du fardeau, puis a insisté sur le fait que les directives du ministère obligeaient l’agent à le faire » [en caractères italiques dans l’original]. Si le demandeur n’avait soulevé que la question du respect du BO15 le 20 juillet 2017, une note au SMGC qui la précède ne peut logiquement pas constituer un « motif » appuyant le refus de l’agent de rouvrir la demande de résidence permanente. Ensuite, la décision de l’agent du 14 août 2017 n’indique pas qu’une intention ou capacité de payer n’était pas un facteur pertinent; plutôt, elle réitère que la possibilité de soumettre d’autres renseignements avait été accordée au demandeur et qu’à l’examen du dossier, la décision est demeurée inchangée. Si la demande du demandeur a été rejetée parce que la déclaration concernant l’intention et la capacité de payer ne constituait pas un facteur pertinent, je ne vois aucune raison pour laquelle cette situation n’a été mentionnée au demandeur dans aucune de ses communications continues avec IRCC, encore moins dans la décision dont je suis saisi.

[26]  En dépit de la tentative du défendeur de compléter la décision de l’agent avec l’argument établi dans ses observations écrites (c.-à-d., le formulaire de déclaration n’a pas été envoyé parce qu’il n’est nécessaire que dans le cas de services sociaux et de services de santé en dehors du système de soins de santé public, selon Deol et Hilewitz), le fait est que l’agent n’a pas expliqué ces motifs lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas rouvrir le dossier. Autrement dit, l’argument du défendeur sert à justifier le défaut de fournir le formulaire de déclaration plutôt que les motifs appuyant le refus de rouvrir la demande de résidence permanente. Le défendeur peut avoir raison quant au fait que l’agent n’avait aucune obligation légale d’envoyer le formulaire de déclaration, mais c’est là une question qui devra être examinée un autre jour. En l’espèce, l’agent n’évoque aucun motif pour lequel, à la lumière des dispositions explicites du BO15, il n’a pas rouvert le dossier. Ce faisant, il a commis une erreur susceptible de contrôle.

[27]  Je ferais preuve de négligence si je ne mentionnais pas les préoccupations que j’ai par rapport au langage employé dans les observations écrites du défendeur. J’en recopie une partie afin d’illustrer cette préoccupation :

[traduction]
Le demandeur a « bondi ». Dans une troisième demande de nouvel examen, datée du 20 juillet, il a complètement changé de stratégie en écartant ses demandes de ne pas subir les conséquences négatives de la négligence de son représentant, et jette le blâme sur l’agent pour ne pas avoir demandé de “plan crédible” de gestion du fardeau, et a insisté sur le fait que les directives ministérielles obligent l’agent à le faire. Le demandeur a menacé d’intenter une poursuite et demandé à ce que l’agent rouvre le dossier et fasse ce qu’il était présumément obligé de faire, mais qu’il n’a pas fait, et demande un « plan crédible » de gestion du fardeau [en caractères italiques dans l’original].

[28]  Au cours de l’audience, la Cour a attiré l’attention de l’avocat du défendeur sur le caractère inapproprié du langage utilisé dans la première phrase qui, à mon avis, était inutile et inappropriée devant la Cour.

[29]  Le reste du paragraphe reproche au demandeur d’avoir exercé son droit de se demander si l’agent a rempli ses obligations légales en l’espèce, et de s’être préparé à faire valoir ses droits devant la Cour. Loin de menacer d’intenter une poursuite, le demandeur, dans sa lettre du 20 juillet 2017, demandait à ce que l’affaire soit réglée hors cour par souci d’économie des ressources judiciaires tout en déclarant en même temps qu’il était prêt à porter l’affaire devant la Cour fédérale en vue d’obtenir un redressement au besoin (ce que le demandeur a bien sûr fait). L’expression de la préparation d’un demandeur, en toute bonne foi, à comparaître devant la Cour pour faire valoir ses droits ne devrait jamais être rejetée avec tant de désinvolture par un fonctionnaire de la Cour. Naturellement, le défendeur a le devoir de faire avancer la cause de son client du mieux qu’il peut. Toutefois, cette obligation ne va certainement pas à l’encontre d’une preuve minimale de respect à l’égard de l’intérêt légitime du demandeur à contester une décision qui aura de lourdes conséquences sur sa vie. L’épouse du demandeur est malade, et ce dernier est séparé de ses enfants depuis les 9 dernières années. À mon avis, n’importe qui dans une telle situation voudrait s’assurer que sa demande de résidence permanente fasse l’objet d’un examen des plus approfondis en cas de décision défavorable. Le défendeur ferait bien de garder à l’esprit les enjeux pour le demandeur, c’est-à-dire, une séparation prolongée de sa famille et l’incertitude quant à son statut au Canada, lorsqu’il formule les observations écrites qui doivent être présentées à la Cour.

V.  Question à certifier

[30]  Quand la question leur a été posée, les avocats des parties ont répondu qu’il n’y avait aucune question à certifier, et je suis d’accord.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3725-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La Cour infirme la décision à l’examen, et l’affaire est renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un autre agent.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3725-17

INTITULÉ :

DANILO BUT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 février 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

Le 12 mars 2018

COMPARUTIONS :

Emmanuel Luna Galang

Pour le demandeur

Lorne McClenaghan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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