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Date : 20180228


Dossier : IMM-2311-17

Référence : 2018 CF 226

[TRADUCTION FRANÇAISE]

À Ottawa (Ontario), le 28 février 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

WASAM F Y SHEIKH QASSIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Wasam F Y Sheikh Qassim (le demandeur), sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés, en date du 13 avril 2017, dans laquelle il avait été conclu qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens défini dans les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la Loi).

[2]  Pour les motifs ci-après, la demande est accueillie et sera renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour un nouvel examen.

I.  Contexte

[3]  Le demandeur est un Palestinien apatride. Il n’est citoyen ou résident permanent d’aucun pays. Il est né aux Émirats arabes unis en 1984. Son père, né en Iraq, est aussi Palestinien apatride, et il travaillait aux Émirats arabes unis avec un permis de travail temporaire à la naissance du demandeur. Sa mère était citoyenne du Liban, mais n’a pas pu transmettre sa citoyenneté libanaise à son fils en raison de la loi en vigueur au Liban.

[4]  Le demandeur a vécu aux Émirats arabes unis toute sa vie, à l’exception de deux années d’études au Canada et de deux visites en Iraq. Son statut aux Émirats arabes unis était celui de personne à charge de son père jusqu’à ce qu’il reçoive son diplôme universitaire et trouve du travail, et que son statut devienne celui de travailleur étranger temporaire. Le demandeur a expliqué qu’à titre de travailleur étranger temporaire, son statut aux Émirats arabes unis repose sur l’exigence d’être parrainé par un employeur.

[5]  Le demandeur relate qu’en mai 2016, son employeur, El Barco Building Materials (El Barco) l’a informé que son emploi était menacé. Il a reçu un avis de licenciement le 24 août 2016, et a été officiellement congédié le 24 septembre 2016. Le demandeur explique qu’à la cessation d’emploi, il aurait eu un mois pour trouver un nouveau parrain, après quoi il n’aurait plus le droit de résider aux Émirats arabes unis.

[6]  Le demandeur n’a pas attendu que cela se produise. Il a demandé un visa canadien en juillet 2016, qui lui a été refusé en septembre 2016. En novembre 2016, le demandeur est parti aux États-Unis, a traversé la frontière vers le Canada, et y a demandé l’asile le 15 novembre 2016.

[7]  Sur son formulaire Fondement de la demande, le demandeur a affirmé ne plus avoir de parrain aux Émirats arabes unis et que pour ce motif, il n’avait plus le droit d’y retourner. Il soutient que s’il était forcé de retourner aux Émirats arabes unis, il serait détenu indéfiniment.

[8]  Il a prétendu aussi que s’il était forcé de revenir en Iraq, pays pour lequel il a affirmé avoir eu des titres de voyage valides, ainsi que le droit de résidence compte tenu du fait que son père était né en Iraq, il serait persécuté en raison de sa religion et de sa nationalité.

[9]  Il a prétendu aussi que s’il était forcé de retourner sur les Territoires palestiniens occupés (TPO), il serait persécuté par les forces d’occupation israéliennes.

II.  Décision de la Section de la protection des réfugiés

[10]  La Section de la protection des réfugiés a admis que le demandeur était un Palestinien apatride qui avait résidé aux Émirats arabes unis. La Section de la protection des réfugiés a pris acte du témoignage du demandeur selon lequel il n’était jamais allé en Palestine, qu’il avait accompagné ses parents lors de visites familiales en Iraq à deux reprises, en 1997 et 2001, et que ni lui ni son père n’était parvenu à obtenir des titres de voyage en Iraq depuis 2006. La Section de la protection des réfugiés a aussi pris acte du fait que le demandeur serait incapable d’obtenir la citoyenneté au Liban, en vertu des lois qui y sont en vigueur, ce qui a été confirmé par une preuve documentaire objective.

[11]  La Section de la protection des réfugiés a relevé que le visa de résident aux Émirats arabes unis du demandeur indiquait sa validité jusqu’en mai 2018, que El Barco était identifié comme parrain sur le visa, et qu’une copie de la lettre de licenciement de El Barco, en date du 24 août 2016, avait été présentée.

[12]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que les Émirats arabes unis étaient le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle aux fins de la demande du demandeur, vu que ce pays correspondait à son lieu de naissance, et qu’il y avait vécu toute sa vie, à l’exception de brèves visites ailleurs.

[13]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que l’Iraq n’était pas son pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle. Bien que le demandeur ait détenu une pièce d’identité délivrée en Iraq en 1997 et deux titres de voyage échus délivrés en Iraq, que son père soit né en Iraq, et que deux de ses tantes résidaient en Iraq, la Section de la protection des réfugiés a conclu que ces faits ne suffisaient pas à démontrer la résidence habituelle. La Section de la protection des réfugiés a aussi conclu que ni le Liban ni la Palestine n’étaient ses pays dans lesquels le demandeur avait sa résidence habituelle.

[14]  La Section de la protection des réfugiés a pris connaissance de la jurisprudence mettant en garde contre des conclusions [traduction] « indûment restrictives » sur le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle, mais exigeant aussi qu’un demandeur ait [traduction] « établi une période significative de résidence de fait dans le pays en question », et que cette résidence ait duré [traduction] « un certain temps » (citant Maarouf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 723, (1993) 23 Imm LR (2d) 163 (1re inst.)). La Section de la protection des réfugiés a relevé que la possession d’un titre de voyage d’un pays ne signifie pas nécessairement que le pays est un pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle (Kadoura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1057, 131 ACWS (3d) 500).

[15]  La Section de la protection des réfugiés a examiné à l’argument du demandeur selon lequel la durée du séjour dans un pays est moins significative que d’autres facteurs, tels que les liens familiaux. La Section de la protection des réfugiés a conclu que la décision Al-Khateeb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 31, [2017] ACF no79 (QL) [Al‑Khateeb], invoquée par le demandeur pour étayer cet argument, se distinguait du présent dossier, puisque, même si le demandeur n’avait passé que six mois au pays, il y était né, ce qui lui donnait des droits analogues aux droits de citoyenneté.

[16]  La Section de la protection des réfugiés a aussi relevé, entre autres considérations, que le demandeur n’était allé que deux fois en Iraq, la première pour rendre visite à ses grands-parents en 1997, et la seconde pour y renouveler son titre de voyage en 2001. La Section de la protection des réfugiés a aussi relevé l’admission du demandeur qu’il ne savait pas si sa pièce d’identité délivrée en 1997 serait toujours valide pour lui permettre de visiter l’Iraq.

[17]  La Section de la protection des réfugiés a conclu qu’aucun élément de preuve convaincant ne démontrait que le demandeur ait jamais résidé de manière continue en Iraq pour une durée conséquente ni qu’il jouissait de droits analogues à ceux associés à la citoyenneté en Iraq, vu qu’il n’avait jamais réellement résidé en Iraq.

[18]  D’après la conclusion que les Émirats arabes unis étaient le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle, la Section de la protection des réfugiés a évalué les allégations de persécution du demandeur contre les Émirats arabes unis. La Section de la protection des réfugiés a relevé l’absence d’incohérence significative dans le témoignage du demandeur, mais aussi d’éléments de preuve corroborants déposés.

[19]  La Section de la protection des réfugiés s’est dite préoccupée par l’allégation du demandeur selon laquelle son statut de résident aux Émirats arabes unis n’était plus valide étant donné qu’il avait perdu son emploi. La Section de la protection des réfugiés a relevé que le demandeur [traduction] « s’était montré vague » en ce qui concerne la question de savoir s’il pourrait revenir aux Émirats arabes unis avec son visa actuel. La Section de la protection des réfugiés a aussi dit avoir de la difficulté à comprendre pourquoi le demandeur ne savait pas si son visa était arrivé à échéance.

[20]  La Section de la protection des réfugiés a pris acte de la preuve relative à la situation dans le pays, laquelle indique que le statut de résident est subordonné à un emploi permanent et au parrainage, mais a aussi relevé que le père du demandeur s’était fait parrainer par un ami, même s’il était sans emploi.

[21]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’avait pas apporté des éléments de preuve crédibles ou fiables suffisants pour démontrer que son statut de résident aux Émirats arabes unis n’était plus valide.

[22]  La Section de la protection des réfugiés n’a pas accepté l’allégation du demandeur selon laquelle il serait détenu aux Émirats arabes unis à son retour, vu qu’il n’avait pas d’emploi, et qu’il resterait détenu pour une période indéfinie.

[23]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que les exemples donnés par le demandeur et se rapportant à d’autres personnes qui avaient été détenues aux Émirats arabes unis ne correspondaient pas à la situation du demandeur, puisque ces personnes étaient des activistes connus. La Section de la protection des réfugiés a aussi conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle il était probable qu’il soit détenu indéfiniment n’était pas corroborée par une preuve documentaire objective.

[24]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle il serait expulsé par les Émirats arabes unis vers l’Iraq en raison d’une entente entre ces pays n’était pas fondée en preuve et était spéculative.

[25]  En conclusion, la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’avait pas présenté assez d’éléments de preuve pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait persécuté aux Émirats arabes unis, ou qu’il serait personnellement exposé à une menace pour sa vie ou à des traitements ou à des peines cruels ou inusités, ou d’être soumis à la torture aux Émirats arabes unis.

III.  Questions en litige

[26]  La question générale est celle de savoir si la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger. Pour y répondre, il convient d’examiner plusieurs questions, que je formulerais ainsi :

  • La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les Émirats arabes unis étaient le seul pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle?
  • La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur conservait son statut de résident aux Émirats arabes unis?
  • La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a pris sa décision sur la question de savoir si le demandeur serait exposé à un risque de persécution s’il revenait aux Émirats arabes unis?

IV.  La norme de contrôle applicable

[27]  Toutes les questions sont des questions mixtes de fait et de droit devant être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Chehade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 282, au paragraphe 13, [2017] ACF no 283 (QL) [Chehade]).

[28]  Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, le rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire est de considérer la question de savoir si la décision tient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il peut y avoir plusieurs issues raisonnables, mais « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339). Il faut faire preuve de retenue à l’égard du décideur.

V.  La thèse générale du demandeur

[29]  Le demandeur soutient que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’Iraq n’était pas le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle. À l’appui de cet argument, le demandeur évoque le temps passé en Iraq, ses liens familiaux avec ce pays, ainsi que les titres de voyages et la pièce d’identité qui lui ont été délivrés par l’Iraq, et le fait que ces pièces et ces titres indiquent sa domiciliation et son adresse permanente en Iraq.

[30]  Le demandeur soutient en outre que son droit de revenir dans le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle en Iraq lui serait refusé, ce qui constituerait de la persécution. Il soutient que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en omettant de prendre en considération les raisons qui interdisent aux Palestiniens apatrides qui détiennent des titres de voyages délivrés en Iraq d’entrer en Iraq. Il se fonde sur la décision Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1355, au paragraphe 29, [2016] ACF no 1397 (QL) [Rahman], qui indique que « la Section de la protection des réfugiés, lorsqu’elle se prononce sur une demande présentée par une personne apatride, doit se demander pourquoi cette personne se voit refuser l’entrée dans un pays ». Il soutient que son statut en Iraq lui a été révoqué parce qu’il est Palestinien, ce qui constitue un lien avec un motif fondé dans la Convention sur la nationalité, les opinions politiques imputées, et l’appartenance à un groupe social.

[31]  Le demandeur ne conteste pas que les Émirats arabes unis constituent aussi un pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle. Toutefois, il soutient qu’il n’a pas le droit de revenir aux Émirats arabes unis puisqu’il est sans emploi, et que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en concluant autrement.

[32]  Le demandeur soutient aussi que la Section de la protection des réfugiés n’a pas tenu compte d’une preuve documentaire objective, qui confirme sa crainte d’être indéfiniment détenu aux Émirats arabes unis. Le demandeur soutient que s’il est renvoyé à Émirats arabes unis, où il n’a pas le droit de résider, il sera indéfiniment détenu à titre d’apatride. Il soutient que cela qualifie la persécution sur le fondement d’un motif cité dans la Convention du fait de son appartenance à un groupe social donné, à savoir celui des Palestiniens apatrides, et/ou des opinions politiques imputées. Le demandeur soutient aussi que s’il revenait aux Émirats arabes unis, il risquerait l’expulsion en Iraq par les Émirats arabes unis, où il sera persécuté.

VI.  La position fondamentale du défendeur

[33]  Le défendeur souligne que la question est celle de savoir si la décision est raisonnable, c’est-à-dire si elle appartient aux issues raisonnables, et non celle de savoir si la Cour parviendrait aux mêmes conclusions.

[34]  Le défendeur soutient que la Section de la protection des réfugiés a pris en considération tous les éléments de preuve, a minutieusement examiné si l’Iraq et les Émirats arabes unis étaient des pays dans lesquels le demandeur avait sa résidence habituelle, et a raisonnablement conclu que seuls les Émirats arabes unis étaient un pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle. Par conséquent, il n’était pas nécessaire que la Section de la protection des réfugiés examine la question de savoir si le demandeur serait exposé à un risque de persécution en Iraq.

[35]  Le défendeur soutient en outre que la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas démontré que son permis de résidence aux Émirats arabes unis n’était plus valide. Cette conclusion se fondait sur une évaluation de tous les éléments de preuve, sans aucune omission.

[36]  Le défendeur soutient en outre que la conclusion de la Section de la protection des réfugiés voulant que le demandeur ne fût pas dans la même situation que d’autres personnes qui ont été détenues aux Émirats arabes unis était raisonnable, et qu’aucun élément de preuve convaincant n’a été présenté pour démontrer qu’il serait détenu ou exposé à tout autre risque s’il revenait aux Émirats arabes unis.

VII.  La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion relativement au pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle?

[37]  La Section de la protection des réfugiés n’a pas commis d’erreur en reconnaissant les Émirats arabes unis comme le seul pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle.

[38]  La question de savoir si un pays est le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle est une question de fait. Pour démontrer qu’un pays est le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle, un demandeur « doit établir une résidence de facto pendant une période importante dans le pays en question » (Chehade, au paragraphe 21, citant Maarouf c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), [1994] 1 CF 723, au paragraphe 39, [1993] ACF no 1329 (QL) (1re inst.) [Maarouf]). La délivrance de titres de voyage ne constitue pas, en soi, la preuve que le pays de délivrance est le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle (Chehade, Kadoura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1057, au paragraphe 15, 131 ACWS (3d) 500 [Kadoura]).

[39]  La Section de la protection des réfugiés a reconnu les principes de la jurisprudence, y compris qu’elle ne devrait pas évaluer de manière trop restrictive la question de savoir si un pays est le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle, mais a aussi correctement relevé l’exigence d’y avoir, dans les faits, résidé pendant une période conséquente (Maarouf, au paragraphe 39).

[40]  La Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu que les deux visites du demandeur en Iraq, en 1997 et en 2001, pour des périodes de huit et de cinq semaines respectivement, ne constituaient pas des périodes conséquentes de résidence de fait, même lorsqu’elles étaient associées à ses titres de résidence et ses liens familiaux au pays.

[41]  L’allégation du demandeur selon laquelle les liens familiaux sont plus importants que la durée de la période de résidence n’est pas corroborée par la jurisprudence. La Section de la protection des réfugiés a raisonnablement reconnu la différence avec la situation dans Al-Khateeb, en faisant remarquer que dans ce dossier, le demandeur était né dans le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle réputé, et y avait résidé pendant les six premiers mois de sa vie. La Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait jamais résidé en Iraq.

VIII.  La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur conservait son statut de résident aux Émirats arabes unis?

[42]  Le demandeur soutient que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en concluant qu’il détenait un permis de résidence valide aux Émirats arabes unis, puisque la Section de la protection des réfugiés n’a pas pris en considération les éléments de preuve objectifs concernant la situation au pays, laquelle énonce que ce permis exige le parrainage par un employeur, et qu’il est annulé lorsque l’emploi prend fin.

[43]  Je reconnais que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en concluant que le demandeur conservait son statut de résident aux Émirats arabes unis.

[44]  La preuve objective sur la loi en vigueur aux Émirats arabes unis indique que le droit d’un travailleur étranger de résider aux Émirats arabes unis repose sur son emploi, et que ce droit est révoqué lorsque la relation d’emploi prend fin (voir par exemple le Cartable national de documentation en date du 31 mars 2017, et les RDI que l’on y trouve). La Section de la protection des réfugiés n’a pas contesté cet élément de preuve. La Section de la protection des réfugiés n’a pas contesté non plus que le demandeur avait été parrainé par son employeur, El Barco, et que ce dernier avait récemment mis fin à son emploi.

[45]  La Section de la protection des réfugiés semble avoir fondé sa conclusion sur le manque de certitude du demandeur sur la question de savoir si oui ou non El Barco avait officiellement invalidé son visa. La Section de la protection des réfugiés a souligné que le demandeur avait une raison financière de clarifier la question, puisqu’il devait recevoir une « prime de gratification » à l’arrivée à échéance de son visa. La Section de la protection des réfugiés a aussi fait remarquer que El Barco avait aidé le demandeur à renouveler son visa en mai 2016, après l’avoir informé que son emploi était menacé.

[46]  Toutefois, les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés concernant le manque de certitude du demandeur à l’égard de son propre visa ne l’emportent pas sur la preuve objective de ce qui s’est ou ne s’est pas produit; sans emploi, il n’y a ni parrainage ni délivrance de visa.

[47]  Dans son témoignage, le demandeur a affirmé qu’El Barco aurait dû invalider son visa après l’avoir licencié, mais qu’il lui avait demandé de reporter cette mesure. El Barco a accepté d’attendre trois à quatre mois. Le demandeur a perdu son emploi en septembre 2016, mais il n’a pas attendu trois ou quatre mois. Il a plutôt fui vers le Canada en passant par les États-Unis, peu après avoir été congédié. Dans son témoignage, le demandeur a aussi déclaré que, même si El Barco n’était pas allé jusqu’à invalider son visa, l’employeur serait avisé de son retour éventuel aux Émirats arabes unis et invaliderait certainement alors le visa. La Section de la protection des réfugiés aurait dû tenir compte de l’explication du demandeur selon laquelle il ne savait pas si El Barco avait annulé son visa dans ce contexte.

[48]  La Section de la protection des réfugiés semble s’être fondée sur le fait que le père du demandeur avait été parrainé par un ami, ce qui pourrait lui avoir laissé supposer que le demandeur aurait pu arriver à une entente analogue. Cet argument est spéculatif, et ne change en rien la preuve objective, laquelle indique que le demandeur, sans emploi ni parrain, n’avait aucun permis ni droit de résidence aux Émirats arabes unis.

[49]  Le fait que le visa du demandeur ait été marqué comme valide jusqu’en mai 2018 n’est pas non plus déterminant. La preuve documentaire indique que le visa dépend de l’emploi, peu importe la date d’échéance officielle qui y est inscrite. Une situation analogue est décrite dans Chehade, dans laquelle la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur avait le droit de revenir en Arabie saoudite puisque son permis de travail temporaire n’était pas arrivé à échéance. La Cour s’est dite préoccupée par cette conclusion, vu qu’elle était contredite par la preuve indiquant que le demandeur avait été congédié, ce qui l’aurait privé de son droit de retour (paragraphe 34 de Chehade).

IX.  La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation du risque aux Émirats arabes unis?

[50]  Bien que la Section de la protection des réfugiés ait commis une erreur en concluant que le demandeur avait un statut de résidence aux Émirats arabes unis, le refus d’un droit de retour dans un pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle n’est pas, en soi, suffisant pour répondre à la définition de persécution dans la Convention (Chehade, au paragraphe 35). La raison du refus du droit de retour doit faire l’objet d’un examen.

[51]  Tel que le relève Thabet c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 CF 21, 160 DLR (4th) 666 (CA) [Thabet], la Section de la protection des réfugiés doit :

[traduction]

[…] se demander pourquoi le demandeur se voit refuser l’entrée dans un pays où il a eu sa résidence habituelle, parce que le motif de la négation de ce droit peut, dans certaines circonstances, constituer un acte de persécution par l’État.

[52]  Puisque la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur avait le droit de revenir aux Émirats arabes unis, la Section de la protection des réfugiés n’a pas examiné la question de savoir si le motif de la négation de ce droit de retour aurait pu constituer de la persécution.

[53]  Dans Thabet au paragraphe 30, la Cour d’appel a défini le critère pour la protection des réfugiés qui doit s’appliquer dans de telles circonstances :

[traduction]

Pour se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, une personne apatride doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle serait persécutée dans l’un ou l’autre des pays où elle a eu sa résidence habituelle et qu’elle ne peut retourner dans aucun de ces pays.

[54]  En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés devait d’abord examiner la raison pour laquelle le demandeur n’avait pas le droit de revenir dans son pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle, et ensuite établir si ce motif constitue un acte de persécution. La Section de la protection des réfugiés devrait aussi considérer tous les autres risques de persécution auxquels serait exposé le demandeur s’il revenait aux Émirats arabes unis. Bien que le refus d’entrée pour motif de non-emploi ne puisse pas, à lui seul, constituer de la persécution (voir Chehade, au paragraphe 31), le demandeur a prétendu aussi que son statut de sans-emploi entraînerait sa détention pour une durée indéterminée aux Émirats arabes unis. Il a aussi prétendu qu’il serait expulsé vers l’Iraq, où il serait persécuté en raison de sa religion et de sa nationalité.

[55]   En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés a pris en considération d’autres risques de persécution auxquels serait exposé le demandeur s’il revenait au pays. Toutefois, la conclusion de la Section de la protection des réfugiés sur le risque de détention pour une durée indéterminée n’est pas raisonnable.

[56]  La Section de la protection des réfugiés a refusé l’allégation du demandeur voulant que s’il revenait aux Émirats arabes unis sans statut de résidence en cours de validité, il serait détenu, en concluant que cette allégation n’était pas appuyée par une preuve documentaire fiable. La Section de la protection des réfugiés a conclu que les exemples donnés par le demandeur ne représentaient pas des situations analogues à la sienne, et que si des Palestiniens étaient détenus pour une durée indéterminée au motif [traduction] « qu’ils avaient perdu leur emploi et, par conséquent, leur statut de résidence », la Section de la protection des réfugiés aurait attendu des exemples concrets dans les documents sur la situation régnant au pays.

[57]  En rejetant l’allégation du demandeur, la Section de la protection des réfugiés a fait abstraction d’éléments de preuve qui contredisaient sa conclusion. Le rapport de 2015 du Global Detention Project indique que les autorités émiraties sont autorisées à détenir des migrants dont le titre de résidence est échu. Quant à la durée de la détention, le rapport indique ce qui suit :

[traduction] La durée d’une détention en attendant l’expulsion varie beaucoup, d’un mois à plus d’un an. Certains facteurs prolongent la détention, notamment les difficultés d’obtention d’un passeport ou d’un titre de voyage […] et, dans le cas des réfugiés, les délais d’attente dans un pays de réinstallation qui acceptera le réfugié.

[58]  Le rapport ne fait pas directement référence aux Palestiniens apatrides, mais fait remarquer que des personnes peuvent demeurer détenues pendant « plus d’un an ». Les facteurs pouvant prolonger la détention semblent liés à la situation du demandeur : à titre d’apatride, il lui serait difficile d’obtenir des titres de voyage et de se faire accueillir dans un pays. La Section de la protection des réfugiés a reconnu que l’Iraq ne délivre pas de titres de voyage aux titulaires d’un permis délivré par l’Autorité palestinienne, comme c’est le cas du demandeur. La Section de la protection des réfugiés aurait dû évaluer ces éléments de preuve concernant la situation dans le pays plutôt que d’affirmer que de tels éléments de preuve n’existaient pas.

[59]  Bien que la Section de la protection des réfugiés n’ait pas été obligée d’examiner l’allégation du demandeur selon laquelle il serait exposé à un risque s’il revenait aux Émirats arabes unis puisque les Émirats arabes unis pourraient tenter de l’expulser vers l’Iraq, la Section de la protection des réfugiés n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le risque allégué était spéculatif.

[60]  Dans Marchoud, le demandeur avait fait valoir que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en n’examinant pas la question de savoir si les Émirats arabes unis (son pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle) l’expulseraient vers le Liban, où il serait exposé à de la persécution. La Cour déclare :

Je suis d’avis que le tribunal n’avait pas en vertu des paragraphes 96(b) et 97(1)a) de la Loi à se livrer à cet examen puisqu’il y est clairement édicté que les termes « réfugié » et « personne à protéger » concernent notamment une personne qui n’a pas de nationalité et se trouve dans un pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle. De plus, une telle analyse serait purement théorique puisque le risque devrait s’évaluer au jour de l’audition et non pas au moment où un tel refoulement par les ÉAU pourrait éventuellement avoir lieu. (Paragraphe 17).

[61]  Ce passage laisse entendre que, pour les apatrides, la question à laquelle il faut répondre pour établir si s’applique l’article 96 ou l’article 97 est celle de savoir si la personne sera exposée à un risque de persécution ou serait une personne à protéger si elle rentrait dans son pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, et non celle de savoir ce qui se produirait si le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle cherchait à expulser la personne vers un autre pays. Les préconisations de Marchoud ont été appliquées dans Chehade, où le demandeur a aussi fait valoir que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en omettant de tenir compte de son expulsion éventuelle par l’Arabie saoudite (son pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle) vers le Liban. La Cour a conclu, aux paragraphes 24 et 25, que la Section de la protection des réfugiés n’était pas obligée de tenir compte de ce qui se produirait si le demandeur était expulsé vers l’Arabie saoudite; la seule question était celle de savoir quel traitement il recevrait dans son pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle.

[62]  Vu que la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu que l’Iraq n’était pas le pays dans lequel le demandeur avait sa résidence habituelle, la Section de la protection des réfugiés n’était pas obligée d’examiner si le refus du droit de revenir en Iraq constituait de la persécution. La Section de la protection des réfugiés n’était pas non plus obligée d’examiner la question de savoir si les Émirats arabes unis tenteraient de l’expulser vers l’Iraq, ou s’il y serait exposé à de la persécution.

[63]  Comme je l’ai mentionné plus haut, même si la Section de la protection des réfugiés n’était pas obligée de prendre ce risque en considération, la Section de la protection des réfugiés a raisonnablement conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle il serait expulsé par les Émirats arabes unis vers l’Iraq était spéculative. D’après la preuve à sa disposition, la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur ne pourrait pas être expulsé vers l’Iraq puisqu’il détient un passeport délivré par l’Autorité palestinienne. La preuve se rapportant aux expulsions vers l’Iraq par les Émirats arabes unis concernait uniquement les citoyens iraquiens, et non les Palestiniens apatrides.

[64]  Pour conclure, la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur conservait son statut de résident aux Émirats arabes unis et pourrait y revenir n’est pas raisonnable. Cette position n’est toutefois pas étayée par la preuve au dossier. Cette question et la revendication du demandeur dans son ensemble sur le risque de persécution et son statut de personne à protéger doivent faire l’objet d’un nouvel examen.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2311-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
  2. L’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés aux fins de réexamen.
  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2311-17

 

INTITULÉ :

WASAM F Y SHEIKH QASSIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Edward Corrigan

 

Pour le demandeur

 

Christopher Crighton

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edward C. Corrigan

Avocat

London (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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