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Date : 20180223


Dossier : IMM-2398-17

Référence : 2018 CF 208

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 février 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

JATINDER SINGH HANJRA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un commissaire de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 16 mai 2017 (la décision), qui ordonnait au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) de lui fournir un dossier d’appel non caviardé, y compris une partie du dossier qui, selon le ministre, était assujettie au privilège relatif aux indicateurs de police.

[2]  Comme je l’expliquerai plus en détail ci-dessous, la présente demande est accueillie, parce que j’ai conclu que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en concluant qu’elle était en droit d’avoir accès à des renseignements assujettis au privilège de l’indicateur de police et qu’il était nécessaire qu’elle examine les renseignements caviardés en l’espèce pour confirmer l’existence du privilège.

II.  Résumé des faits

[3]  Le défendeur, Jatinder Singh Hanjra, a déposé une demande de parrainage de son épouse, Amandeep Virk, afin qu’elle quitte l’Inde pour venir vivre au Canada. L’agent des visas (l’agent) a rejeté sa demande parce qu’il doutait de l’authenticité du mariage ou qu’il n’avait pas eu pour objet principal d’obtenir la résidence permanente. M. Hanjra a interjeté appel et, dans le cadre de cet appel, le ministre a déposé un dossier d’appel dans lequel une partie des notes de l’agent, consignées au Système mondial de gestion des cas (SMGC) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), avait été caviardée. La Section d’appel de l’immigration a écrit aux parties, notamment pour demander à M. Hanjra s’il s’opposait au caviardage et, le cas échéant, pour lui expliquer qu’elle exigerait au ministre de lui fournir une copie non caviardée à laquelle elle seule aurait accès, et de présenter à la Section d’appel de l’immigration uniquement une demande pour donner les raisons du caviardage.

[4]  Par l’intermédiaire de son avocat, M. Hanjra a répondu à la Section d’appel de l’immigration qu’il s’opposait au caviardage. À son avis, il résulte du caviardage que le dossier d’appel était incomplet et que la Section d’appel de l’immigration devrait exclure le dossier d’appel produit par le ministre. Le ministre a fait valoir que la partie caviardée ne pouvait pas être divulguée à la Section d’appel de l’immigration parce qu’elle était protégée par le privilège de l’indicateur du fait qu’elle renfermait des renseignements recueillis sur la ligne sans frais de surveillance frontalière (la ligne de surveillance frontalière), une ligne téléphonique de signalement sans frais administrée par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Le ministre a renchéri que les renseignements n’étaient pas pertinents puisque l’agent ne les avait pas pris en compte et que lui-même n’envisageait pas de les faire valoir en appel.

[5]  La Section d’appel de l’immigration a ensuite rendu sa décision, expliquée plus en détail ci-après, et a ordonné au ministre de lui fournir la documentation caviardée de façon qu’elle puisse évaluer si les renseignements n’étaient pas pertinents ou s’ils étaient protégés par le privilège de l’indicateur. Le ministre a déposé la présente demande de contrôle judiciaire de la décision et a aussi fourni à la Section d’appel de l’immigration un certificat daté du 2 juin 2017, par lequel elle s’opposait à la divulgation de la documentation caviardée conformément à l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 (la LPC). Le ministre a demandé à la Cour de décider de la question de l’opposition dans une demande connexe, le dossier T-848-17 (la demande en application de l’article 37).

III.  La décision de la Section d’appel de l’immigration

[6]  La Section d’appel de l’immigration a conclu que, pour que le ministre puisse caviarder le contenu d’un dossier d’appel en fonction du privilège de l’indicateur, elle doit être convaincue que le privilège s’applique aux renseignements que le ministre cherche à ne pas divulguer. On ne peut pas permettre au ministre de caviarder unilatéralement le dossier d’appel, puisque cela permettrait à l’une des parties d’agir à titre d’arbitre de la pertinence et de l’admissibilité d’éléments de preuve.

[7]  La Section d’appel de l’immigration a observé que lorsqu’une demande de parrainage d’un conjoint est rejetée du fait des doutes soulevés par l’authenticité du mariage et par son objectif, les notes de l’agent des visas sont toujours versées au dossier d’appel d’un tel refus, parce qu’elles sont déterminantes de l’issue de l’appel étant donné qu’elles révèlent le raisonnement sous-jacent de l’agent.

[8]  La Section d’appel de l’immigration a cerné les questions suivantes à trancher :

  1. Les appels reçus sur la ligne de surveillance frontalière sont-ils protégés par le privilège de l’indicateur?

  2. Dans l’affirmative, les règles de droit applicables au privilège de l’indicateur accordent-elles le droit au ministre de décider unilatéralement si le privilège s’applique, ou est-ce plutôt une question à trancher par la Section d’appel de l’immigration?

  3. Dans la négative, l’affirmation du ministre selon laquelle les renseignements caviardés ne sont pas pertinents et ne seront pas examinés par le ministre dans le cadre d’une audience justifie-t-elle la non-divulgation des renseignements?

[9]  La Section d’appel de l’immigration a expliqué que le privilège de l’indicateur est un privilège générique lié à des renseignements à cause du contexte dans lequel ils sont fournis, plutôt qu’au contenu des renseignements, et qu’il est absolu quant à sa portée, sous réserve seulement de l’exception relative à la « démonstration de l’innocence », applicable seulement en droit pénal. La Commission a estimé que le privilège s’applique lorsque 1) le communicateur demande la confidentialité et 2) le destinataire exprime une promesse correspondante de confidentialité des renseignements, expresse ou implicite.

[10]  La Section d’appel de l’immigration a retenu que les renseignements fournis publiquement sur la ligne de surveillance frontalière offrent une promesse explicite de confidentialité et d’anonymat aux indicateurs. Cependant, elle avait toujours des inquiétudes quant à la question de savoir si l’indicateur s’attend à ce que l’information qu’il offre soit traitée confidentiellement. La Section d’appel de l’immigration a examiné l’attente de confidentialité comme condition préalable à l’application du privilège et a conclu que les renseignements fournis sur une ligne de surveillance ne sont pas tous automatiquement assujettis au privilège de l’indicateur. Elle a donc conclu qu’elle devait connaître les renseignements caviardés pour décider si [traduction] « une évaluation de toutes les circonstances relatives à l’affaire permet de conclure selon toute vraisemblance qu’un indicateur a une attente de confidentialité ».

[11]  Dans son analyse, la Section d’appel de l’immigration a considéré son rôle comme étant semblable à celui d’un juge qui préside. Elle a conclu que l’affirmation unilatérale du privilège de l’indicateur par le ministre n’exclut pas son examen et qu’elle était en mesure de décider si le privilège s’applique. À l’appui de cette conclusion, elle a soulevé le fait que les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), lui accordent le pouvoir d’examiner les éléments de preuve en l’absence d’une partie et de décider de la manière dont doivent être traités ces éléments de preuve (articles 86 et 166). De plus, elle s’est fondée sur le fait que la Section d’appel de l’immigration a le contrôle de ses propres procédures et le pouvoir de décider ce qui constitue le dossier dont elle est saisie (articles 162 et 174).

[12]  La Section d’appel de l’immigration a également fait une distinction avec la jurisprudence sur laquelle s’appuyait le ministre, selon laquelle la loi interdit la divulgation de documents privilégiés à la Section d’appel de l’immigration, au motif que ces affaires concernaient la divulgation d’éléments de preuve à une tierce partie dans une instance, plutôt qu’au décideur dans l’instance.

[13]  Enfin, se penchant sur l’argument du ministre fondé sur la pertinence, la Section d’appel de l’immigration a estimé que la préparation et la divulgation d’un dossier d’appel dont elle est saisie sont fondamentalement différentes de la préparation ordinaire et de la divulgation d’éléments de preuve. Cette dernière dépend d’une stratégie d’instance adoptée par la partie, alors que la production d’un dossier d’appel devant la Section d’appel de l’immigration est régie par le paragraphe 4(1) des Règles de la section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230. La Section d’appel de l’immigration a tenu compte du libellé contraignant du paragraphe 4(1) selon lequel le ministre doit divulguer tout document en la possession du ministre qui a trait aux demandes, peu importe ce sur quoi le ministre a l’intention de s’appuyer. Elle a conclu que le critère de la pertinence était de nature objective qui, dans le cas d’un différend entre les parties, devait être décidé par la Section d’appel de l’immigration.

[14]  La Section d’appel de l’immigration a également conclu que les questions de savoir si le privilège de l’indicateur s’appliquait et si les renseignements en question étaient pertinents pouvaient seulement être tranchées par la Section d’appel de l’immigration, et seulement si elle était en mesure d’analyser les renseignements caviardés, sans pour autant divulguer ces renseignements à M. Hanjra. La Section d’appel de l’immigration a par conséquent ordonné que le dossier non caviardé lui soit remis afin de lui permettre de tirer ses conclusions.

IV.  Preuve devant la Cour

[15]  Bien que le défendeur, M. Hanjra, ait reçu signification d’un avis de demande dans la présente affaire, il n’a pas déposé d’avis de comparution ni de dossier du défendeur. Il a également reçu une copie de l’ordonnance fixant la date de l’audition de la demande, mais, au jour prévu, il a téléphoné à l’agent du greffe pour l’informer qu’il n’y participerait pas. La Cour a donc procédé en l’absence de M. Hanjra, comme l’y autorise l’article 38 des Règles des Cours fédérales.

[16]  Le ministre a plaidé conjointement la présente demande et la demande aux termes de l’article 37 en se fondant sur la preuve par affidavit versée aux dossiers qu’il a produits à l’égard des deux instances. L’avocat du ministre a aussi informé la Cour qu’il avait apporté à l’audience une copie de l’affidavit confidentiel souscrit le 2 février 2018 par Laura Soskin, une parajuriste du ministère de la Justice, auquel étaient jointes les notes non caviardées du SMGC, y compris la partie visée par le privilège de l’indicateur (l’affidavit confidentiel). L’avocat du ministre a informé la Cour qu’il était prêt à lui fournir une copie de l’affidavit confidentiel s’il pouvait bénéficier d’une ordonnance protégeant la confidentialité de l’affidavit. La Cour a en conséquence reçu l’affidavit confidentiel, qui a été accepté pour dépôt sous le sceau de la confidentialité conformément à une ordonnance rendue le 9 février 2018. Le ministre n’a pas invoqué l’affidavit confidentiel dans sa plaidoirie.

[17]  Puisque la présente demande concerne le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration, et puisque ni l’affidavit confidentiel ni les notes non caviardées du SMGC ont été présentés à la Section d’appel de l’immigration, je ne tiendrai pas compte de ces éléments de preuve dans mon contrôle de la décision. Le rôle de ces éléments de preuve dans la demande en application de l’article 37 est détaillé dans la décision que je rendrai séparément à ce sujet.

V.  Questions en litige

[18]  Les arguments du ministre peuvent être examinés à l’intérieur du cadre analytique des questions suivantes :

  1. La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?

  2. Quelle est la norme applicable au contrôle de la décision par la Cour?

  3. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en rendant sa décision?

VI.  Analyse

A.  La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?

[19]  Dans ses arguments, le ministre reconnaît que la décision représente une décision interlocutoire de la Section d’appel de l’immigration et que les décisions interlocutoires d’un tribunal administratif ne sont pas normalement assujetties à un contrôle judiciaire, à tout le moins pas avant la fin de l’instance devant le tribunal. Cependant, s’appuyant sur Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Kahlon, 2005 CF 1000 [Kahlon], le ministre soutient que l’espèce présente des circonstances spéciales, de sorte que la présente demande n’est pas prématurée.

[20]  Dans Kahlon, aux paragraphes 10 à 16, la juge Tremblay-Lamer a conclu qu’il n’était pas prématuré pour la Cour de contrôler une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de ne pas annuler une assignation qui aurait obligé un agent d’immigration à produire le dossier d’immigration de la fille du demandeur d’asile. La demande a soulevé des préoccupations quant à la vie privée à propos des renseignements contenus dans le dossier, et la Cour a conclu que, si la divulgation était permise, la protection de la vie privée serait entièrement anéantie, qu’aucune réparation ultérieure ne pourrait corriger.

[21]  Je suis d’accord pour dire qu’une analyse comparable s’applique en l’espèce. Les arguments du ministre laissent entendre que la Section d’appel de l’immigration est en dehors du « cercle du privilège » et qu’elle n’a pas accès aux renseignements pour lesquels un privilège de l’indicateur est demandé. Si l’appel de la Section d’appel de l’immigration était autorisé, et que le ministre lui remettait les notes non caviardées du SMGC tel qu’il a été ordonné dans la décision, et si la Cour venait à conclure subséquemment dans un contrôle judiciaire de la décision d’appel finale que la Section d’appel de l’immigration n’avait pas l’autorisation de contrôler les documents privilégiés, il n’y aurait aucune façon de remédier à cette atteinte au privilège. Je conclus donc que la demande du ministre n’est pas prématurée.

B.  Quelle est la norme applicable au contrôle de la décision par la Cour?

[22]  Le ministre soutient que la décision doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte, faisant valoir que la même norme doit être appliquée par la Cour dans son analyse de la demande en application de l’article 37, à l’égard de laquelle aucune retenue n’est due à la Section d’appel de l’immigration. Le ministre invoque à l’appui la décision Canada (Procureur général) c Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens), 2007 CF 766 [Arar]. Cette décision ne porte pas sur une demande fondée sur l’article 37, mais plutôt sur une demande mettant en cause la divulgation, au titre d’un mécanisme plus ou moins comparable prescrit à l’article 38.04 de la Loi, de renseignements potentiellement préjudiciables aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Aux paragraphes 30 à 32 de la décision Arar, notre Cour a conclu qu’aucune déférence ne devait être accordée aux conclusions de la Commission d’enquête à l’origine de la demande.

[23]  Je suis d’accord avec le ministre pour dire que la norme de la décision correcte est celle qui s’applique au contrôle de la décision par la Cour dans la présente demande. Dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c University of Calgary, 2016 CSC 53 [Alberta], la Cour suprême du Canada a examiné un argument de l’Information and Privacy Commissioner of Alberta (le commissaire) selon lequel un certain langage législatif lui conférait le pouvoir d’ordonner qu’on lui remette des dossiers ou des renseignements pouvant étayer une revendication du secret professionnel de l’avocat. Aux paragraphes 19 à 27, la Cour suprême a conclu qu’il s’agissait d’une question à laquelle s’appliquait la norme de la décision correcte, puisqu’elle était d’importance capitale au système juridique dans son ensemble, ne relevant pas du domaine d’expertise de la Commissaire. Quoique la présente affaire fasse intervenir le privilège de l’indicateur plutôt que le secret professionnel de l’avocat, elle soulève une question semblable quant au droit de la Section d’appel de l’immigration prévu par la loi d’avoir accès à des documents privilégiés, question à laquelle j’estime que s’applique la norme de la décision correcte.

[24]  Les arguments soulevés par le ministre, qui seront détaillés ci-dessous, mettent également en jeu une question à propos du processus approprié que doit suivre la Section d’appel de l’immigration lors de l’examen d’un privilège de l’indicateur, y compris la question de savoir si l’examen du document pour lequel le privilège est revendiqué est nécessaire pour décider de l’existence dudit privilège. De telles questions à propos des processus ont été examinées par la Cour d’appel fédérale dans Canada (procureur général) c Quadrini, 2011 CAF 115 [Quadrini], encore une fois dans le contexte du secret professionnel de l’avocat. La Cour a conclu au paragraphe 45 de Quadrini que les décisions qui portent sur des questions de droit en matière de revendications relatives au privilège de l’indicateur, par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), sont susceptibles de révision suivant la norme de la décision correcte.

[25]  J’observe que le ministre a également fait référence à la décision de la Cour dans A. c Drapeau, 2012 NBCA 73, pour laquelle la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a appliqué la norme de la décision raisonnable à un appel d’une décision de la Commission des valeurs mobilières du Nouveau-Brunswick, décision selon laquelle certains renseignements n’étaient pas assujettis au privilège de l’indicateur. Cependant, j’estime que cette décision se distingue de la présente affaire puisqu’elle concernait un contrôle de la décision de la Commission des valeurs mobilières visant à évaluer l’applicabilité du privilège de l’indicateur dans une situation où la Commission avait déjà accès aux renseignements en question, et non à propos du processus que doit suivre un tribunal lors de l’examen d’une demande de privilège, y compris si le tribunal peut avoir accès à ces renseignements.

[26]  J’applique donc la norme de la décision correcte dans mon contrôle de la décision.

C.  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en rendant sa décision?

[27]  Le ministre soutient que la Section d’appel de l’immigration  a commis une erreur en concluant que l’évaluation de non-pertinence du ministre n’a pas tranché la question de savoir si les caviardages devraient être permis; en concluant qu’elle était en droit d’avoir accès aux renseignements à l’égard desquels était demandé un privilège de l’indicateur; et en concluant qu’elle devait examiner les renseignements caviardés afin de confirmer qu’ils étaient protégés par le privilège. Il est utile d’examiner la jurisprudence qui porte sur ces arguments.

1)  La jurisprudence

[28]  S’agissant de la nature du privilège de l’indicateur, la Cour suprême du Canada en fait le résumé suivant au paragraphe 11 de son arrêt récent dans R. c Durham Regional Crime Stoppers Inc., 2017 CSC 45 [Durham] :

[11]  Le privilège relatif aux indicateurs de police est un principe de common law qui interdit de divulguer l’identité de l’indicateur tant au public qu’au tribunal. À titre de privilège générique, celui relatif aux indicateurs de police n’est pas jugé au cas par cas. Il existe lorsque, dans le cadre de son enquête, un policier garantit à un éventuel indicateur la confidentialité en échange de renseignements : R. c. Basi, 2009 CSC 52, [2009] 3 R.C.S. 389, par. 36, Bisaillon c. Keable, [1983] 2 RCS 60, p. 105. Le privilège a pour effet d’interdire de façon absolue toute divulgation de l’identité de l’indicateur, sous réserve uniquement de l’exception relative à la démonstration de l’innocence de l’accusé : Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, [2007] 3 R.C.S. 253, par. 30. Ce privilège assure la protection de tout renseignement susceptible de permettre l’identification de l’indicateur : ibid. Le privilège appartient à la fois au ministère public et à l’indicateur et ni l’un ni l’autre ne peut y renoncer sans le consentement de l’autre : ibid., par. 25.

[29]  Concernant maintenant les pouvoirs relatifs au processus que doit suivre un tribunal administratif devant une demande de privilège de l’indicateur, j’observe que, bien que certains de ces pouvoirs traitent du secret professionnel de l’avocat plutôt que du privilège de l’indicateur, je ne vois aucun motif de les différencier sur ce fondement. Dans Quadrini, la Cour d’appel fédérale était saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la CRTFP par laquelle elle ordonnait à l’Agence du revenu du Canada (Agence) de lui fournir une preuve par affidavit établissant la nature des documents que l’Agence a refusé de divulguer sur la base du secret professionnel de l’avocat. Dans cette décision, la CRTFP a conclu qu’elle avait le pouvoir de décider si les documents étaient privilégiés. La Cour n’a pas pris une décision en ce qui concerne un tel pouvoir de la CRTFP, puisqu’elle a conclu que le tribunal avait commis une erreur dans le processus qu’il avait suivi en examinant la demande de privilège de l’indicateur de l’Agence. La Cour a expliqué le processus approprié comme suit :

[30]  Qu’il soit ou non investi du pouvoir de décider si des documents sont protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat, le tribunal peut procéder à un examen préliminaire, sans regarder les documents ni rendre une ordonnance qui porterait atteinte au privilège s’il est valablement invoqué. La seule affirmation de l’existence d’un privilège ne devrait pas pouvoir faire échouer automatiquement la tenue d’une procédure dans les cas où le tribunal n’a pas compétence pour statuer sur la validité de cette revendication, pas plus qu’un tribunal investi du pouvoir de statuer sur une revendication de privilège ne devrait examiner le document dès lors qu’une partie conteste la validité de la revendication.

[31]  Un tribunal qui n’est pas convaincu, à la lumière des renseignements dont il dispose, que les documents en cause sont susceptibles de faire l’objet d’une revendication valable du privilège du secret professionnel de l’avocat, peut admettre ces documents ou en ordonner la production. Si le tribunal n’est pas convaincu que les documents peuvent être pertinents pour trancher les questions dont il est saisi, il doit les exclure ou s’abstenir d’ordonner leur production pour ce motif. Dans les deux cas, les décisions du tribunal pourraient faire l’objet d’un appel ou d’un contrôle judiciaire.

(i) nature de la communication

[32]  Les circonstances de l’espèce peuvent indiquer si une communication est susceptible de relever d’une catégorie de communications à laquelle peut se rattacher un privilège juridique. Si tel n’est pas le cas, le tribunal peut ordonner la production de la communication ou l’admettre en preuve, sous réserve d’un appel ou d’une demande de contrôle judiciaire de la part de la partie qui invoque le privilège. Par contre, s’il est plausible de penser que la communication peut être privilégiée, le tribunal doit procéder à la prochaine étape et se demander si la communication peut être liée aux questions dont il est saisi.

[...]

(ii) pertinence

[36]  Pour être admissible dans une instance, la preuve doit se rapporter à l’objet de la procédure, principe qui s’applique aussi bien aux tribunaux judiciaires qu’aux tribunaux administratifs. Si le décideur n’est pas convaincu de la pertinence du document, il devrait l’exclure et ne rendre aucune ordonnance pour sa production.

[37]  En l’espèce, la Commission peut ordonner la production de documents « qui peuvent être liés à toute question dont elle est saisie » (alinéa 40(1)h) de la Loi). Lorsqu’un privilège est revendiqué à l’égard de documents, l’appréciation de la pertinence de ces documents, à l’étape de l’examen initial, doit tenir compte du fait que ni le décideur ni la partie qui souhaite les produire ou en obtenir la production n’a vu les documents. Néanmoins, la partie qui demande la production doit démontrer qu’il existe une possibilité réaliste que les documents puissent être liés à une question en litige dans l’affaire dont est saisie la Commission. Il ne suffit pas de formuler de simples hypothèses quant à leur possible pertinence.

[38]  Le droit applicable est décrit avec justesse dans la décision MacMillan Bloedel Ltd. c. British Columbia (1984), 16 D.L.R. (4th) 151 (B.C. S.C.) (MacMillan Bloedel). Dans cette affaire, la juge McLachlin (maintenant juge en chef de la Cour suprême du Canada) a déclaré qu’il convient de décider, à tout le moins à titre préliminaire, de la pertinence des documents à l’égard desquels le privilège de la Couronne (ainsi qu’on nommait alors le privilège de l’intérêt public) est revendiqué, avant que la cour ne les examine pour statuer sur la validité de la revendication du privilège.

[39]  Pour les besoins de cet exercice d’examen préliminaire, la juge McLachlin a adopté le critère traditionnel de la pertinence à l’étape de la communication préalable, formulé dans l’arrêt Cie. Financière & Commerciale du Pacifique c. Peruvian Guano Co. (1882), 11 Q.B.D. 55, à la page 63 (C.A. Angl.), selon lequel est pertinent tout document

[traduction] [...] dont on peut raisonnablement penser qu’il contient des renseignements qui peuvent – et non qui doivent – directement ou indirectement permettre à la partie qui [le] demande [...] soit de faire valoir ses propres arguments, soit de réfuter ceux de son adversaire.

La juge McLachlin a poursuivi en disant (à la page 156) que si les documents satisfaisaient à ce critère de la pertinence à l’étape de l’examen préliminaire et n’étaient pas inadmissibles pour un autre motif, la cour se prononcerait sur leur pertinence réelle en les examinant.

[40]  La décision MacMillan Bloedel traite de la procédure que doivent suivre les tribunaux judiciaires lorsqu’ils doivent répondre à une revendication du privilège de la Couronne. Toutefois, j’estime que l’analyse de la juge McLachlin s’applique également aux revendications du privilège du secret professionnel de l’avocat dans le cadre de toute procédure, quelle que soit l’instance décisionnelle devant laquelle elles sont formulées. Par conséquent, les tribunaux administratifs devraient procéder à un examen initial de la pertinence, que la loi leur ait ou non conféré compétence pour statuer sur la validité de revendications de privilège : voir Ontario (Human Rights Commission) c. Dofasco Inc. (2001), 57 O.R. (3d) 693, au paragraphe 57 (C.A.).

[41]  Si le document est jugé non pertinent, le tribunal administratif n’aura pas à déférer l’affaire à la Cour pour que celle‑ci statue sur la revendication du privilège, à supposer que le tribunal n’ait pas compétence pour le faire lui-même. Également, un tribunal investi du pouvoir de statuer sur des revendications de privilège n’aura pas à examiner le document en cause pour se prononcer sur le privilège si le document est manifestement dépourvu de pertinence. Comme l’a exposé la Cour dans l’arrêt Blood Tribe (au paragraphe 17) :

Même les tribunaux refusent d’examiner des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat pour statuer sur l’existence du privilège, à moins que des éléments de preuve ou des arguments démontrent la nécessité de le faire pour trancher la question en toute justice.

[42]  Un tribunal légalement compétent pour trancher des revendications de privilège n’a pas terminé l’exercice lorsque, après avoir examiné les documents, il conclut qu’ils sont en effet pertinents. Il ne peut ordonner la production des documents avant d’avoir pu s’assurer également qu’aucune des exceptions restreintes à la règle générale interdisant la production de documents contenant des conseils juridiques ne s’applique : voir Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 445, au paragraphe 74; R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445, aux paragraphes 34 à 38.

[30]  Dans l’affaire Quadrini, la Cour a conclu que la CRTFP avait commis une erreur en supposant de la pertinence des documents pour lesquels le privilège avait été revendiqué. Cependant, en l’espèce, le point le plus significatif est l’orientation fournie par la Cour d’appel fédérale quant au processus que doit suivre un tribunal administratif devant une revendication de privilège de l’indicateur, que je résumerai ainsi :

  1. Peu importe qu’un tribunal soit ou non investi du pouvoir de décider si un document est protégé par le privilège, il peut procéder à un examen préliminaire de ce document, sans le regarder;

  2. La première étape de l’examen préliminaire consiste à évaluer si le document peut vraisemblablement appartenir à la catégorie des documents privilégiés. Dans la négative, le tribunal peut en ordonner la production. Si le document appartient à la catégorie des documents privilégiés, le tribunal doit procéder à la deuxième étape de l’examen préliminaire;

  3. La deuxième étape de l’examen préliminaire consiste à évaluer si le document peut être pertinent aux questions en litige. Le critère de la pertinence consiste à évaluer s’il est raisonnable de supposer que le document (n’ayant pas encore été regardé par le tribunal) contient des renseignements pouvant, directement ou indirectement, permettre à la partie qui en fait la demande de prouver ses prétentions ou d’attaquer celles de son adversaire. Si le document ne satisfait pas au critère de la pertinence, le tribunal n’en ordonnera pas la production.

[31]  Cette orientation selon laquelle le tribunal doit effectuer une évaluation préliminaire de la pertinence et du privilège, avant de regarder le document, est conforme à celle d’autres autorités dans la mesure où même les tribunaux refusent d’examiner des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat pour statuer sur l’existence du privilège, à moins que des éléments de preuve ou des arguments démontrent la nécessité de le faire pour trancher la question en toute justice (voir Alberta, au paragraphe 68; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44 [Blood Tribe], au paragraphe 17). En outre, alors que ce point n’est pas expressément soulevé dans Quadrini, j’interprète Alberta et Blood Tribe comme appuyant la prétention du ministre selon laquelle il n’est pas nécessaire qu’un tribunal passe à une étape ultérieure à celle de l’examen ou de l’évaluation préliminaire pour procéder à l’inspection d’un document en vue de décider de la validité d’une revendication de privilège, s’il n’y a aucun fondement pour contester ce privilège. Dans Alberta, l’Information and Privacy Commissioner of Alberta (la commissaire) a ordonné que lui soient produits certains dossiers ou renseignements pour étayer une revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat. Bien que la Cour suprême ait conclu que les lois applicables ne conféraient pas le pouvoir à la commissaire de procéder ainsi, elle a également jugé que subsidiairement, aux paragraphes 67 à 70, même si le commissaire avait un tel pouvoir, il n’était pas approprié qu’elle l’exerce dans cette affaire, puisqu’aucun élément de preuve ni aucun argument n’avait été présenté pour laisser entendre que le privilège du secret professionnel de l’avocat avait été revendiqué à tort.

[32]  De la même manière, le ministre s’appuie également sur R. c Leipert, [1997] 1 RCS 281 [Leipert], une cause qui portait précisément sur le privilège de l’indicateur et l’application possible de l’exception relative à la « démonstration de l’innocence ». Au paragraphe 33 de l’arrêt Leipert, la Cour suprême explique que lorsqu’un accusé demande la divulgation de l’information privilégiée fournie par un indicateur en invoquant l’exception concernant la démonstration de son innocence, l’accusé doit d’abord établir l’existence d’un motif valable à cette divulgation. Le cas échéant, le tribunal peut examiner l’information en cause pour déterminer si elle est effectivement nécessaire pour prouver l’innocence de l’accusé. Là encore, il en découle que l’examen d’un document visé par un privilège n’est pas requis s’il n’existe aucune raison de douter de ce privilège.

[33]  Comme il a été mentionné précédemment, le processus d’examen préliminaire s’applique, peu importe si un tribunal est investi du pouvoir de trancher une revendication de privilège. Par contre, lorsque l’issue de la revendication ne peut être déterminée au moyen d’un examen préliminaire, il est nécessaire d’examiner si le tribunal détient ce pouvoir. Cette question a été l’objet d’une décision de la Cour suprême du Canada dans Blood Tribe, qui a examiné si le commissaire à la protection de la vie privée avait un tel pouvoir aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC  2000, c 5. La décision de la Cour, selon laquelle la Commissaire à la protection de la vie privée n’a pas le droit d’avoir accès à des documents assujettis au privilège du secret professionnel de l’avocat, est résumée au paragraphe 2 :

[2]  L’article 12 de la LPRPDE confère expressément au Commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir d’obliger une personne à produire les documents qu’il juge nécessaires pour examiner une plainte dont il est saisi, « de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives », et de « recevoir les éléments de preuve ou les renseignements [...] qu’il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux ». La commissaire soutient de ce fait qu’elle peut, à l’instar d’un tribunal judiciaire, examiner des documents à l’égard desquels le privilège du secret professionnel de l’avocat est revendiqué pour déterminer si la revendication est justifiée. Je ne suis pas d’accord. La Commissaire à la protection de la vie privée est un agent du Parlement chargée de fonctions administratives très importantes, mais, s’agissant de l’examen des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat, elle n’est pas dans la même situation d’indépendance et de pouvoir qu’un tribunal judiciaire. Il est bien établi qu’une disposition législative conférant des pouvoirs au titulaire d’une fonction comme celle de protecteur du citoyen ou à une autorité de réglementation, dans des termes aussi généraux que ceux employés à l’art. 12 de la LPRPDE, ne confère pas un droit d’accès aux documents visés par le secret professionnel de l’avocat, même à seule fin de déterminer si le secret professionnel est invoqué à bon droit. Ce rôle est réservé aux tribunaux judiciaires. Des termes exprès sont nécessaires pour permettre à une autorité de réglementation ou à tout autre titulaire d’une fonction créée par la loi de passer outre au privilège. La LPRPDE ne comporte pas de telles dispositions claires et explicites. C’est le point de vue exprimé par la Cour d’appel fédérale, auquel je souscris. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.

[34]  J’appliquerai maintenant les principes qui découlent de la jurisprudence susmentionnée à la décision, en tenant compte des arguments exposés par le ministre.

2)  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en concluant que l’évaluation de non-pertinence du ministre n’a pas tranché la question de savoir si les caviardages devraient être permis?

[35]  Le ministre a soutenu devant la Section d’appel de l’immigration auparavant, et il le fait maintient devant notre Cour, que les renseignements caviardés dans les notes du SMGC ne sont pas pertinents puisque l’agent n’en a pas tenu compte et que lui-même ne le ferait pas en appel. En faisant valoir cette thèse, le ministre a aussi insisté sur le fait que l’appel interjeté devant la Section d’appel de l’immigration était une audience de novo sur la question de fond, soit l’authenticité du mariage de M. Hanjra, et qu’elle ne se limitait donc pas aux renseignements dont disposait l’agent. En rejetant ces arguments, la Section d’appel de l’immigration  s’est appuyée sur les autorités confirmant que, lorsqu’il y a un différend quant aux documents pertinents aux fins de la constitution du dossier devant un tribunal, c’est le tribunal qui est l’arbitre de la pertinence (voir Nguesso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 102 [Nguesso], au paragraphe 89; Bermudez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 639 [Bermudez], au paragraphe 19).

[36]  Je ne peux pas conclure que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur dans son traitement de la partie caviardée des notes du SMGC. Selon moi, elle a eu raison d’extrapoler à partir des conclusions de Nguesso et Bermudez selon lesquelles le tribunal saisi d’un appel doit être l’arbitre de ce qu’il est pertinent d’inclure dans le dossier d’appel. En outre, elle a eu raison de faire référence au principe exprimé au paragraphe 89 de Nguesso, selon lequel tout document présenté au décideur lorsqu’il a pris sa décision est présumé pertinent. En effet, la Cour ajoute au paragraphe 93 de Nguesso que la pertinence en matière de contrôle judiciaire ne se limite pas aux documents qui ont influé sur la décision du tribunal administratif, mais s’étend plutôt à tout ce qui était devant le décideur.

[37]  Ma conclusion sur cette question ne change pas parce que la Section d’appel de l’immigration est saisie d’un appel de novo et non d’un contrôle judiciaire. La différence importante tient au fait que dans le cadre d’un appel de novo, les deux parties peuvent introduire de nouveaux éléments de preuve en complément du dossier dont disposait l’agent. Cependant, cette possibilité n’ébranle d’aucune façon la présomption de la pertinence du dossier dont disposait l’agent. Comme la partie caviardée faisant l’objet de la décision de la Section d’appel de l’immigration est un extrait des notes de l’agent, il est à peu près certain que cette présomption s’y applique. Comme la Section d’appel de l’immigration l’a observé, lorsqu’une demande de parrainage d’un conjoint est rejetée du fait des doutes soulevés par l’authenticité du mariage et par son objectif, les notes de l’agent des visas sont toujours versées au dossier d’appel d’un tel refus, parce qu’elles sont déterminantes de l’issue de l’appel étant donné qu’elles révèlent le raisonnement sous-jacent de l’agent. Conforme aux principes qui découlent de la jurisprudence et discutés ci-dessus, la Section d’appel de l’immigration a examiné l’argument de pertinence du ministre sans regarder le document. Tenant compte du critère de la pertinence dans Quadrini, je conclus que la Section d’appel de l’immigration a eu raison de rejeter la thèse du ministre selon laquelle elle pouvait trancher la question dont elle était saisie en se fondant sur l’affirmation du ministre selon laquelle les documents n’étaient pas pertinents.

3)  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle était en droit d’avoir accès aux renseignements à l’égard desquels était demandé un privilège de l’indicateur?

[38]  Cependant, à mon avis, la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en concluant qu’elle avait le pouvoir de regarder les renseignements à l’égard desquels était demandé un privilège de l’indicateur, afin de décider si le privilège s’appliquait ou non. La Section d’appel de l’immigration s’est fondée sur les dispositions de la LIPR pour tirer sa conclusion selon laquelle elle avait tout ce qu’il faut pour décider si le privilège de l’indicateur justifie le caviardage d’un dossier d’appel. La Section d’appel de l’immigration a expliqué ces dispositions ainsi :

[39]   Deux dispositions distinctes de la Loi prévoient des circonstances dans lesquelles la SAI peut examiner la preuve en l’absence d’une partie à un appel et déterminer de quelle façon cette preuve doit être traitée. Tout d’abord, en application de l’article 86, le ministre peut, dans le cadre d’un appel, demander l’interdiction de la divulgation de renseignements lorsque des questions liées à la sécurité nationale ou à un préjudice éventuel causé à une personne sont soulevées. Bien que l’étendue du pouvoir de la SAI conféré par l’article 86 ne soit pas clairement définie (s’applique-t-il, par exemple, lorsque l’appelant à la SAI est un citoyen du Canada?) et que le processus prévu à l’article 86 soit complexe, la Loi prévoit un processus qui permettrait à la SAI d’évaluer la mesure dans laquelle les renseignements pertinents quant à un appel ne devraient pas être communiqués à une partie à l’appel.

[40]  Ensuite, l’article 166 confère à la SAI le pouvoir de déterminer si certaines parties ou l’ensemble d’un appel devraient être tenus à huis clos et en l’absence d’une partie ou d’un témoin à l’appel. Les dispositions de l’article 166 régissant la confidentialité (et l’alinéa 166d) en particulier) sont moins complexes que le processus prévu à l’article 86, et leur application peut être déclenchée par un vaste éventail de critères. Elles sont formulées de façon suffisamment large pour permettre à la SAI, au besoin, d’examiner ces questions ex parte et de rédiger des ordonnances qui régissent l’accès aux documents conformément aux lois relatives au privilège.

[39]  Je retiens que les articles de la LIPR cités par la Section d’appel de l’immigration lui confèrent un mécanisme qui peut être utilisé pour examiner des documents à l’égard desquels est revendiqué un privilège de l’indicateur par une partie, sans divulguer ces documents à l’autre partie ni au public. Cependant, la disponibilité d’un tel processus ne répond pas à l’exigence prescrite dans Blood Tribe, selon laquelle il doit y avoir un libellé exprès pour qu’une loi habilitante d’un tribunal soit interprétée de façon à lui conférer le droit d’accès à des renseignements privilégiés. J’observe que la Section d’appel de l’immigration a également fait référence aux pouvoirs qui lui sont conférés en application des articles 162 et 174 de la LIPR, qui concluent que la cession de contrôle du contenu d’un dossier d’appel aux parties porterait atteinte à ses pouvoirs qui lui permettent de contrôler son propre processus. Les articles 162 et 174 prévoient ce qui suit :

Compétence exclusive

Sole and exclusive jurisdiction

162 (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.

162 (1) Each Division of the Board has, in respect of proceedings brought before it under this Act, sole and exclusive jurisdiction to hear and determine all questions of law and fact, including questions of jurisdiction.

Fonctionnement

Procedure

(2) Chacune des sections fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité.

(2) Each Division shall deal with all proceedings before it as informally and quickly as the circumstances and the considerations of fairness and natural justice permit.

[...]

[...]

Cour d’archives

Court of record

174 (1) La Section d’appel de l’immigration est une cour d’archives; elle a un sceau officiel dont l’authenticité est admise d’office.

174 (1) The Immigration Appeal Division is a court of record and shall have an official seal, which shall be judicially noticed.

Pouvoirs

Powers

(2) La Section d’appel a les attributions d’une juridiction supérieure sur toute question relevant de sa compétence et notamment pour la comparution et l’interrogatoire des témoins, la prestation de serment, la production et l’examen des pièces, ainsi que l’exécution de ses décisions.

(2) The Immigration Appeal Division has all the powers, rights and privileges vested in a superior court of record with respect to any matter necessary for the exercise of its jurisdiction, including the swearing and examination of witnesses, the production and inspection of documents and the enforcement of its orders.

[40]  Encore une fois, ma conclusion est que ces dispositions ne satisfont pas au libellé exprès, clair et non ambigu expliqué dans Blood Tribe comme étant nécessaire pour permettre à un tribunal administratif d’avoir accès à des documents privilégiés. L’analyse législative dans Blood Tribe a été résumée par la décision ultérieure de la Cour suprême du Canada dans Lizotte c Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52, au paragraphe 59, comme suit :

[59]  L’arrêt Blood Tribe, sur lequel a porté une grande partie des débats dans le cadre de ce pourvoi, s’inscrit dans le même sens. Dans cette affaire, la question à résoudre était celle de savoir si le secret professionnel de l’avocat était levé ou atténué par une disposition législative permettant à un enquêteur administratif d’obliger une personne à produire les documents jugés nécessaires pour l’examen d’une plainte, « de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives », et de « recevoir les éléments de preuve ou les renseignements [...] qu’il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux » (art. 12 de la LPRPDE, maintenant art. 12.1 (LC2010, c 23, art. 83)). La Cour conclut que la disposition en cause n’est pas suffisante pour écarter le secret professionnel de l’avocat : « [...] une disposition d’acception large régissant la production de documents ne vise pas les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat » (par. 11 (italique omis)). Il faut plutôt des « dispositions claires et explicites » pour que le législateur puisse écarter ce secret (par. 2). La Cour indique que le secret professionnel de l’avocat « ne peut être supprimé par inférence » et précise que toute disposition pouvant porter atteinte à ce secret doit être interprétée restrictivement (par. 11).

[41]  Selon moi, le paragraphe de la LIPR pouvant le mieux soutenir l’argument selon lequel le législateur comptait accorder à la Section d’appel de l’immigration l’accès à des documents privilégiés est le paragraphe 174(2), qui confère à la Section d’appel de l’immigration les attributions d’une cour supérieure, y compris celles qui ont trait à la production et à l’examen de documents. Cependant, il s’agit toujours d’un langage de nature générale qu’on ne peut qualifier d’exprès, explicite ou non ambigu quant à l’octroi du pouvoir à la Section d’appel de l’immigration d’avoir accès à des renseignements privilégiés.

[42]  J’observe que l’analyse de la Cour suprême dans Blood Tribe tenait compte également de facteurs tels le fait que, contrairement à un tribunal, le commissaire à la vie privée n’a pas le pouvoir de statuer sur la revendication contestée par rapport aux droits juridiques et peut avoir des intérêts opposés à ceux de la partie qui possède les documents auxquels la commissaire veut obtenir l’accès (aux paragraphes 22 et 23). À cet égard, on pourrait sans doute prétendre que le rôle de la Section d’appel de l’immigration  s’apparente plus à celui d’un tribunal qu’au rôle de la Commissaire à la protection de la vie privée. Cependant, l’arrêt Blood Tribe a également examiné si la Commissaire pouvait utiliser d’autres recours efficaces pour vérifier et conclure des revendications de privilège, au paragraphe 33, où un tel recours a été conféré par le par. 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, qui précise ce qui suit :

Renvoi d’un office fédéral

Reference by federal tribunal

18.3 (1) Les offices fédéraux peuvent, à tout stade de leurs procédures, renvoyer devant la Cour fédérale pour audition et jugement toute question de droit, de compétence ou de pratique et procédure.

18.3(1) A federal board, commission or other tribunal may at any stage of its proceedings refer any question or issue of law, of jurisdiction or of practice and procedure to the Federal Court for hearing and determination.

Ce recours est également offert à la Section d’appel de l’immigration. En effet, dans ses observations écrites à la Section d’appel de l’immigration pour appuyer sa revendication de privilège, le ministre a expressément argué qu’il était ouvert à ce que la Section d’appel de l’immigration  invoque le paragraphe 18.3(1) pour renvoyer l’affaire à la Cour fédérale.

[43]  Considérant à la fois l’analyse du libellé de la LIRP et de ces facteurs additionnels qui ont été examinés par la Cour suprême dans Blood Tribe, je conclus que la Section d’appel de l’immigration n’est pas dans ce que le ministre décrit comme étant le « cercle du privilège », et n’est donc pas autorisée à avoir accès aux renseignements à l’égard desquels est revendiqué un privilège de l’indicateur, même pour évaluer cette revendication. Par conséquent, je conclus que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en concluant qu’elle était en droit d’avoir accès aux renseignements caviardés des notes du SMGC et d’ordonner au ministre de les lui fournir.

4)  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle devait examiner les renseignements caviardés afin de confirmer l’existence de ce privilège?

[44]  En plus de ma conclusion précitée, selon laquelle la Section d’appel de l’immigration n’avait pas le pouvoir d’ordonner que lui soit produite une copie non caviardée des notes du SMGC, je conclus que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en concluant qu’il était nécessaire qu’elle examine ce document pour évaluer la revendication du privilège. Il semble que cette erreur résulte de la compréhension qu’avait la Section d’appel de l’immigration du critère d’application du privilège de l’indicateur. Après avoir examiné la nature du privilège, la Section d’appel de l’immigration a affirmé que ce privilège est enclenché lorsque le communicateur fait une demande de confidentialité et qu’il existe une promesse correspondante de confidentialité (expresse ou implicite) de la part du destinataire des renseignements. Appliquant cette analyse à la revendication du privilège faite par le ministre à l’égard des renseignements reçus au moyen de la ligne de surveillance frontalière, la Section d’appel de l’immigration a conclu que le critère juridique relatif au privilège de l’indicateur est probablement rempli lorsqu’un signalement est fait à la ligne de surveillance frontalière et que l’indicateur s’attend à ce que ce signalement soit traité en toute confidentialité. En conséquence, la Section d’appel de l’immigration a conclu qu’elle ne pouvait pas évaluer la prétention au privilège sans examiner la teneur du signalement afin de déterminer si l’indicateur s’attendait à le faire sous le sceau de la confidentialité.

[45]  À mon avis, la jurisprudence pertinente ne corrobore pas la compréhension par la Section d’appel de l’immigration selon laquelle le critère pour déterminer l’existence du privilège de l’indicateur repose sur deux éléments distincts, soit l’attente de l’indicateur quant à la confidentialité et la promesse de confidentialité de la part du destinataire. La Section d’appel de l’immigration se fonde sur le paragraphe 18 de l’arrêt R. c Personne désignée B, 2013 CSC 9 [Personne désignée], où la Cour suprême explique comme suit les circonstances donnant naissance au privilège :

[18]  Dans R. c. Barros, [2011] 3 R.C.S. 368, la Cour a conclu que « les individus qui fournissent des renseignements à la police n’en deviennent pas tous des indicateurs confidentiels » (par. 31). Toutefois, elle a précisé « qu’il n’est pas nécessaire que la promesse [de protection et de confidentialité] soit explicite [et] peut être implicite selon les circonstances » (par. 31, citant Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60). La question de droit qui se pose est donc celle de savoir si, en toute objectivité, on peut inférer des circonstances l’existence d’une promesse implicite de confidentialité. En d’autres mots, la conduite des policiers aurait-elle pu donner à quelqu’un dans la situation de l’indicateur potentiel des motifs raisonnables de croire que son identité serait protégée? Dans le même ordre d’idées, pourrait-on raisonnablement déduire de la preuve que l’indicateur potentiel croyait que le statut d’indicateur lui était conféré ou lui avait été conféré? Il peut y avoir promesse implicite relative au privilège de l’indicateur même lorsque la police n’a pas l’intention d’attribuer ce statut ou de considérer la personne comme un indicateur, dès lors que la conduite des policiers dans l’ensemble des circonstances aurait pu donner lieu à une attente raisonnable en matière de confidentialité.

[46]   On peut à bon droit déduire de ce passage que les personnes qui fournissent des renseignements à la police, la destinataire des renseignements en cause en l’espèce, n’en deviennent pas tous des indicateurs confidentiels. Il convient toutefois de souligner que dans cet arrêt, la Cour s’intéresse surtout à la question de savoir si la police a oui ou non promis la protection et la confidentialité à la personne. Après avoir observé qu’il n’est pas requis qu’il y ait eu une promesse explicite, la Cour expose les circonstances dans lesquelles le privilège peut découler d’une promesse implicite. Cette analyse doit être objective, et elle peut tenir compte de la conduite du policier ou des éléments de preuve dont il est possible de déduire que l’indicateur éventuel pouvait raisonnablement croire à son statut d’indicateur. Il ressort de ce qui précède qu’il doit exister une attente raisonnable en matière de confidentialité, mais je retiens surtout que l’analyse doit être objective. Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’il n’y est pas question d’analyse conjonctive et d’obligation pour le tribunal ou tout autre décideur de confirmer l’existence à la fois d’une promesse et d’une attente en matière de confidentialité pour établir l’existence du privilège revendiqué. Plus précisément, je ne crois pas qu’il faille considérer que les attentes de l’indicateur constituent un élément distinct du critère si le destinataire, que ce soit la police ou une autre autorité d’exécution de la loi, a fait une promesse explicite de confidentialité.

[47]  La jurisprudence, et notamment l’arrêt Iser v Canada (Attorney General), 2017 BCCA 393 [Iser], au paragraphe 27, a aussi indiqué que deux conditions préalables doivent être remplies pour conclure à l’existence du privilège de l’indicateur. Cependant, la Cour a expliqué que ces conditions sont, d’abord, que l’indicateur offre des renseignements à une autorité d’enquête et, ensuite, que l’indicateur fournit les renseignements en échange d’une garantie expresse ou implicite de protection et de confidentialité. J’observe aussi que dans l’arrêt Iser, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique se fonde sur l’arrêt R. c Barros, 2011 CSC 51 [Barros], dans lequel la Cour suprême du Canada s’exprime ainsi au paragraphe 31 :

[31]  Évidemment, les individus qui fournissent des renseignements à la police n’en deviennent pas tous des indicateurs confidentiels. Dans les cas clairs, l’indicateur demande explicitement que son identité demeure confidentielle et la police accède à sa demande. L’arrêt Basi mentionne ce qui suit, au par. 36 :

La question du privilège se pose lorsque, dans le cadre d’une enquête, un policier garantit la protection et la confidentialité d’un indicateur éventuel en échange de renseignements utiles qu’il lui serait difficile ou impossible d’obtenir autrement.

La Cour a toutefois ajouté dans l’arrêt Bisaillon qu’il n’est pas nécessaire que la promesse soit explicite. Elle peut être implicite selon les circonstances :

Le principe confère en effet à l’agent de la paix le pouvoir de promettre explicitement ou implicitement le secret à ses indicateurs, avec la garantie sanctionnée par la loi que cette promesse sera tenue même en cour, et de recueillir en contrepartie de cette promesse, des renseignements sans lesquels il lui serait extrêmement difficile d’exercer ses fonctions et de faire respecter le droit criminel. [Je souligne; p. 105.]

[48]  Dans l’arrêt Barros, il est question de la confidentialité demandée explicitement par l’indicateur et confirmée par la police. La Cour prend toutefois la peine de préciser qu’il s’agit d’un « cas clair », ce qui selon moi ne peut pas être interprété comme une obligation d’établir qu’il y a eu à la fois demande et une promesse explicites de confidentialité, puisque ce serait contraire à la jurisprudence selon laquelle il est évident qu’une promesse implicite suffit pour faire jouer le privilège de l’indicateur.

[49]  Les éléments de preuve présentés par le ministre à la Section d’appel de l’immigration à l’appui de la revendication de privilège incluaient un affidavit souscrit par l’agent de l’ASFC chargé de la ligne de surveillance frontalière qui décrit l’objectif du service et la manière dont il est publicisé, en plus du fait que les renseignements contenus dans la partie caviardée des notes du SMGC avaient été reçus par le biais de la ligne de surveillance frontalière. La Section d’appel de l’immigration a examiné ces éléments de preuve et a conclu que le site Web du ministre et le site Web de l’ASFC fournissent tous deux une promesse explicite de confidentialité aux indicateurs qui utilisent la ligne de surveillance frontalière. À la lumière de cette preuve de promesse explicite de confidentialité, je conclus que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en concluant que le critère du privilège de l’indicateur exigeait qu’elle examine plus à fond pour confirmer que l’indicateur s’attendait à ce que son signalement soit traité de façon confidentielle.

[50]  Les éléments de preuve dont disposait la Section d’appel de l’immigration appuyaient la conclusion selon laquelle le privilège de l’indicateur s’appliquait à la partie caviardée des notes du SMGC. Je conçois qu’il soit possible, en l’espèce, que les renseignements caviardés révèlent que, d’une certaine façon, l’indicateur qui a utilisé la ligne de surveillance frontalière n’a pas exigé la confidentialité de ses renseignements ou de son identité. Il s’agit toutefois d’une hypothèse que rien dans la preuve ou les arguments ne permet de vérifier. À mon avis, la présente espèce s’inscrit dans le même type de circonstances examinées dans Alberta. Même si la Section d’appel de l’immigration se situait dans le cercle du privilège, vu la preuve du contexte dans lequel les renseignements ont été fournis, il n’était pas nécessaire que la Section d’appel de l’immigration aille au-delà de l’étape de l’examen préliminaire ou de l’évaluation préliminaire et examine le document pour déterminer la revendication de privilège en l’absence de tout fondement pour contester ce privilège.

[51]  Il existe évidemment des situations dans lesquelles une revendication de privilège ne peut pas être évaluée sans examiner les renseignements à l’égard desquels est revendiqué ce privilège. Dans de telles circonstances, dans le cas d’un tribunal administratif qui n’a pas le pouvoir d’examiner les documents privilégiés, il sera nécessaire de renvoyer l’affaire à la Cour. Cependant, tel que l’a observé la Cour suprême dans Durham, toute contestation d’une revendication de privilège de l’indicateur peut engendrer différentes formes de préjudice, notamment retarder et compliquer le déroulement de l’instance. Ces préoccupations militent en faveur d’un tribunal qui se prononce sur la revendication, sans examiner les documents, lorsque les circonstances le permettent. La présente espèce est un exemple de telles circonstances, puisque la preuve à l’égard du contexte dans lequel les renseignements ont été fournis appuie la revendication du privilège et il n’existe aucun fondement pour contester cette revendication.

VII.  Conclusion

[52]  Ayant conclu que la Section d’appel de l’immigration a commis des erreurs susceptibles de contrôle, j’annule la décision. Cependant, il n’est pas nécessaire que la Section d’appel de l’immigration réexamine la question du privilège. Je conclus que la Section d’appel de l’immigration aurait dû confirmer l’allégation de privilège du ministre. De plus, pour les motifs connexes relatifs à ma décision concernant la demande en application de l’article 37, je conclus que l’extrait des notes du SMGC est assujetti au privilège de l’indicateur et ne doit pas être divulgué. La Section d’appel de l’immigration peut par conséquent entendre l’appel.

VIII.  Question certifiée

[53]  Le ministre fait valoir que, si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, aucune question ne devrait être certifiée aux fins d’un appel, puisque le résultat aura été fondé sur l’application de principes établis en fonction des circonstances particulières de l’espèce. Cependant, le ministre propose que les questions suivantes soient certifiées si sa demande est rejetée :

  1. Les renseignements reçus sur la ligne de surveillance frontalière administrée par l’Agence des services frontaliers du Canada, qui fait une promesse explicite de confidentialité, sont-ils protégés par le privilège de l’indicateur?

  2. Dans l’affirmative, les commissaires de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sont-ils dans le « cercle du privilège » qui leur accorde un accès aux renseignements protégés par le privilège de l’indicateur?

[54]  Malgré le fait que j’accueille la demande du ministre, j’ai examiné ces questions pour évaluer si elles doivent être certifiées. Je conclus que ce n’est pas le cas. Bien que la première question relève d’une application générale, il ne s’agit pas d’une question à laquelle a répondu la Cour, ni à laquelle elle avait l’obligation de répondre en l’espèce. Les questions découlant de la décision faisant l’objet du contrôle n’avaient rien à voir avec la question de savoir si la ligne de surveillance frontalière appuie l’application du privilège de l’indicateur aux renseignements obtenus au moyen de ce service, ce que la Section d’appel de l’immigration n’a pas contesté, mais plutôt si la Section d’appel de l’immigration  était en droit ou avait l’obligation d’examiner les renseignements pour décider de l’application du privilège. Par conséquent, la première question soulevée par le ministre ne serait pas déterminante pour l’issue d’un appel dans la présente affaire, et n’est pas appropriée aux fins de certification.

[55]  La deuxième question a obtenu une réponse de la Cour dans cette affaire, et relève d’une application générale qui s’étend au-delà de la présente affaire. Cependant, la réponse à cette question ne serait pas déterminante pour l’issue d’un appel. Même s’il advenait au cours d’un appel que la Section d’appel de l’immigration est dans le cercle du privilège, le résultat dans cette affaire n’en serait pas différent. La décision a été annulée non seulement en fonction de la conclusion relative à cette affaire, mais également en fonction de la conclusion selon laquelle, dans les circonstances de cette affaire, même si la Section d’appel de l’immigration était dans le cercle du privilège, elle n’était aucunement tenue d’examiner les renseignements pour lesquels est revendiqué un privilège afin d’évaluer ce privilège. Ainsi, il n’est pas nécessaire de certifier la question.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2398-17

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Section d’appel de l’immigration datée du 16 mai 2017 soit annulée, et que l’affaire soit renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour la poursuite de l’appel conformément aux motifs de la Cour.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2398-17

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c JATINDER SINGH HANJRA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 FÉVRIER 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 23 FÉVRIER 2018

COMPARUTIONS :

Gregory George

Amy King

Pour le DEMANDEUR

Aucune comparution

Pour le DÉFENDEUR

(pour son propre compte)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

 

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