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Date : 20180302


Dossier : T-1148-17

Référence : 2018 CF 244

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 mars 2018

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

GERALD MADORE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur conteste la décision de l’Agence du revenu du Canada (ARC) qui lui a été signifiée dans une lettre datée du 12 juillet 2017, par laquelle l’agente des appels exige que les feuilles de paie d’IBM Canada soient vérifiées avant qu’il soit déterminé s’il sera fait droit ou non à l’opposition du demandeur à l’égard de l’année d'imposition 2014. Dans l’avis de demande de contrôle judiciaire déposé aux termes des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, le demandeur interprète la décision de l'ARC comme un refus de lui rembourser un trop-perçu de 205 469,25 $ sur son compte d’impôt sur le revenu.

[2]  Dans la lettre du 12 juillet 2017, l'agente exige que les feuilles de paie soient vérifiées avant de rendre une décision définitive sur la requête du demandeur en application de l’alinéa 164(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e Supplément) [LIR]. L’agente a exigé cette vérification après un examen préliminaire qui lui avait laissé un doute au sujet d’un feuillet T4 modifié établi pour le demandeur à l’égard de l'année d'imposition 2014.

[3]  Pour les motifs exposés ci-dessous, et étant donné qu’un processus administratif est en cours, je conclus que la demande de contrôle judiciaire est prématurée et doit être rejetée.

II.  Résumé des faits

[4]  Le demandeur, Gerald Madore, est un non-résident du Canada qui déclare des revenus d’emploi provenant d’IBM Canada Ltée (IBM) depuis 2011. Sur les feuillets T4 du demandeur pour les années d’imposition 2011 à 2013, IBM a déclaré des revenus s’échelonnant de 99 614 $ à 378 245 $.

[5]  Le ou vers le 25 février 2015, IBM a remis au demandeur un feuillet T4 à l’égard de l'année d'imposition 2014. Le feuillet T4 indiquait un revenu d'emploi de 553 480 $ et des retenues d’impôt de 205 469,25 $. Le ou vers le 17 juillet 2015, à la requête du demandeur, IBM a produit un feuillet T4 modifié à l’égard de l’année d'imposition 2014. Sur le feuillet T4 modifié, le revenu d'emploi déclaré passe de 553 480 $ à 923 $. L’impôt déduit reste à 205 469,25 $. Dans son affidavit, M. Madore soutient qu’il a demandé à IBM de corriger le feuillet T4 parce qu’il n’a pas touché une rémunération de 553 480 $ en 2014.

[6]  Le 5 avril 2016, l'ARC a établi la cotisation due par le demandeur pour l'année d'imposition 2014 et, parce qu’elle était incapable de vérifier le feuillet T4 modifié, elle a ramené à zéro le revenu d'emploi de 923 $ et la retenue d’impôt de 205 469 $. Aucune nouvelle cotisation n’a été établie à l’égard du demandeur pour l’année d'imposition 2014.

[7]  Le 30 mai 2016, le demandeur a déposé un avis d'opposition concernant la cotisation. L'agente a reçu deux lettres d’IBM confirmant la validité du feuillet T4 modifié et la surestimation du revenu déclaré sur le feuillet T4 original. Cependant, le feuillet T4 modifié a soulevé des doutes chez l'agente. Étant donné que la retenue d’impôt représente un pourcentage du revenu d'emploi versé, l’agente a jugé étrange que le feuillet T4 modifié indique une retenue de 205 469,25 $ alors que le revenu déclaré s’établit à 923 $.

[8]  Jugeant nécessaire de vérifier les montants déclarés sur le feuillet T4 modifié, l’agente a demandé comment il était possible qu’un revenu de 923 $ donne lieu à une retenue d’impôt de 205 469,25 $. Les avocats du demandeur et d’IBM ont tous les deux confirmé à l'agente qu’en 2014, le demandeur avait gagné 923 $ chez IBM, mais ni l’un ni l’autre n’ont été en mesure de lui expliquer pourquoi le feuillet T4 modifié indiquait une retenue d’impôt de 205 469,25 $.

[9]  Le 12 mai 2017, le demandeur a déposé une demande de remboursement d’impôt de 205 469,25 $ en vertu de l’alinéa 164(1)b) de la LIR. Selon cette disposition législative, le ministre est tenu de rembourser avec diligence tout paiement en trop dû à un contribuable. Le demandeur réclame le remboursement du montant que, selon le feuillet T4 modifié, IBM a versé à l’ARC pour l’année d'imposition 2014.

[10]  Dans la lettre du 12 juillet 2017, l'agente explique qu’elle a été incapable d’établir si le revenu d'emploi attribué au demandeur est exact et elle exige une vérification des feuilles de paie avant de prendre une décision. Voici le contenu de la lettre, dont les renseignements personnels ont été retranchés :

[traduction] Monsieur,

Objet : Opposition relative à l’impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2014

Nos numéros de dossier : […]

Comptes : […]

Pour faire suite à notre discussion avec votre représentant autorisé, la présente lettre fait le point sur l’état de votre opposition à l’égard de l'année d'imposition 2014.

Un examen préliminaire de votre opposition a suscité des doutes concernant le feuillet T4 modifié établi par IBM Canada pour l'année d'imposition 2014. Étant donné qu’il nous est impossible de confirmer que votre revenu d'emploi a été calculé et déclaré correctement, notamment pour ce qui a trait à votre rémunération imposable réelle de même qu’au caractère précis et approprié des retenues à la source, nous avons demandé une vérification des feuilles de paie d’IBM Canada. Nous prendrons une décision quant à savoir s’il sera fait droit ou non à votre opposition quand nous aurons les résultats de la vérification des feuilles de paie.

Veuillez agréer,

[…]

[11]  Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que l'ARC a commis une erreur, une ordonnance de mandamus en vue du remboursement des montants dus et des dépens, y compris les coûts afférents à l’intérêt public.

III.  Questions en litige

[12]  Le demandeur soutient qu’en l’espèce, la question est de savoir si le ministre responsable de l'ARC a manqué à ses obligations législatives en refusant de lui rembourser le montant de 205 469,25 $ réclamé en vertu du paragraphe 164(1) de la LIR.

[13]  Le défendeur soulève les deux questions suivantes :

  1. La demande est-elle prématurée?

  2. Le ministre a-t-il refusé à juste titre de rembourser au demandeur le montant réclamé avant d’avoir tranché la question de savoir si une partie quelconque a droit à un remboursement en vertu de l’article 164?

  3. La requête en remboursement sous la forme d’une ordonnance de mandamus est prématurée.

[14]  Au vu du dossier ainsi que des observations écrites et orales des parties, je suis d'avis que la seule question que la Cour doit trancher est celle de savoir si la demande de contrôle judiciaire est prématurée.

IV.  Norme de contrôle

[15]  Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la décision correcte puisque la décision contestée porte sur une question d’interprétation de la LIR : Imperial Oil Resources Limited c. Canada (PG), 2016 CAF 139, aux paragraphes 47 et 48 [Imperial Oil]. Subsidiairement, le demandeur soutient que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, mais que l’éventail des issues possibles est restreint : Canada (PG) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75, aux paragraphes 14 et 15.

[16]  Le défendeur estime pour sa part que la Cour doit apprécier les facteurs déterminants de la norme de contrôle étant donné que la jurisprudence n’a pas établi de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à la question à trancher : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 62 [Dunsmuir]. Le défendeur souligne que les facteurs permettant de déterminer s’il y a lieu d’appliquer la norme de la décision raisonnable sont l’existence d’une clause privative, le caractère distinct et particulier du régime administratif et la nature de la question de droit : Dunsmuir, au paragraphe 55. Les questions de fait ainsi que les questions mixtes de fait et de droit devraient également être assujetties à la norme de la décision raisonnable.

[17]  Ayant conclu que la question à trancher est celle de savoir si la demande est prématurée, je ne crois pas qu’il me soit demandé d’effectuer une analyse relative à la norme de contrôle applicable.

V.  Dispositions législatives pertinentes

[18]  Les dispositions pertinentes de la LIR sont rédigées comme suit :

Remboursement

Refunds

164 (1) Si la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition est produite dans les trois ans suivant la fin de l’année, le ministre :

164 (1) If the return of a taxpayer’s income for a taxation year has been made within 3 years from the end of the year, the Minister

[…]

[…]

b) doit effectuer le remboursement visé au sous-alinéa a)(iii) avec diligence après avoir envoyé l’avis de cotisation, si le contribuable en fait la demande par écrit au cours de la période pendant laquelle le ministre pourrait établir, aux termes du paragraphe 152(4), une cotisation concernant l’impôt payable en vertu de la présente partie par le contribuable pour l’année si ce paragraphe s’appliquait compte non tenu de son alinéa a).

(b) shall, with all due dispatch, make the refund referred to in subparagraph (a)(iii) after sending the notice of assessment if application for it is made in writing by the taxpayer within the period within which the Minister would be allowed under subsection 152(4) to assess tax payable under this Part by the taxpayer for the year if that subsection were read without reference to paragraph 152(4)(a).

VI.  Analyse

A.  La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?

[19]  Le défendeur estime que la demande de contrôle judiciaire est prématurée et que la Cour ne devrait pas s’ingérer dans un processus administratif tant qu’il suit son cours, sauf dans des circonstances exceptionnelles : Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, aux paragraphes 30 à 33 [Powell]; Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, aux paragraphes 84, 85 et 86.

[20]  Selon le défendeur, comme le ministre n’a pas été en mesure de rendre une décision de fait sur le droit du demandeur à un remboursement, il doit attendre la conclusion d’une vérification du compte de paie d’IBM. Le ministre a refusé de rembourser quiconque tant que l'affaire n'aura pas été tranchée.

[21]  Le demandeur a implicitement concédé que la lettre du 12 juillet 2017 ne constitue pas une décision définitive. Au paragraphe 3 de son avis de demande, il déclare qu’il s’agit « [traduction] d’un état de fait en cours » et qu’il ne peut y avoir prescription en vertu du paragraphe 18(2) de la Loi sur les Cours fédérales puisque le délai court seulement à compter de la date du remboursement. De plus, au paragraphe 13 de son affidavit, le demandeur mentionne :

[traduction] J’ai reçu de l’ARC une lettre datée du 12 juillet 2017 (dont une copie conforme est jointe à titre de pièce « H ») m’informant qu’une vérification des feuilles de paie d’IBM Canada a été exigée et que l’ARC attend les résultats de celle-ci avant de statuer sur ma requête. Sur la foi de renseignements tenus pour véridiques, je déduis de la lettre que je ne recouvrerai pas le montant déduit par IBM Canada avant que la vérification de ses feuilles de paie soit terminée.

[Non souligné dans l’original.]

[22]  Essentiellement, le demandeur semble s’insurger contre le fait d’avoir à attendre que la vérification soit terminée pour recouvrer son dû. C’est ce que révèle la lettre que son avocat a adressée à l’ARC le 12 mai 2017, dans laquelle il est précisé que la demande est présentée conformément au paragraphe 164(1) de la LIR étant donné « [traduction] qu’il faudra beaucoup de temps à [l’agente] pour examiner le dossier du contribuable puisqu’une vérification complète des comptes de fiducie d’[IBM] a été requise. Compte tenu du délai qui s’ensuivra, nous déposons la présente demande pour que le contribuable recouvre immédiatement le trop-perçu. »

[23]  Il est possible, concède le défendeur, qu’IBM ait remis trop d’impôt pour le compte du demandeur. En revanche, il se peut aussi qu’aucun montant n’ait été déduit ou retenu du revenu du demandeur. Le demandeur estime que l’affaire concerne l’ARC et IBM, et que rien ne justifie que le montant retenu sur son revenu selon le feuillet T4 modifié ne lui soit pas remboursé après qu’il l’eut demandé par écrit. Le demandeur fait valoir qu’IBM a retenu ce montant par erreur sur son revenu mondial.

[24]  À défaut d’une vérification de faits, soutient le défendeur, le ministre ne peut confirmer que le demandeur a payé 205 469 $ d’impôt en trop, ni exercer avec toute la diligence voulue les obligations qui lui sont dévolues par l’alinéa 164(1)b) de la LIR. La prétention salon laquelle IBM aurait par erreur appliqué une retenue sur le revenu mondial du demandeur n’a pas été portée à l’attention de l'agente, et il n’existe aucune preuve concluante indiquant qu’IBM a réellement déduit le montant réclamé du revenu du demandeur.

[25]  Si j’avais jugé utile de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle, j’aurais conclu que la décision de l'agente d’exiger une vérification au lieu d’autoriser le remboursement de l’impôt soi-disant payé en trop est à la fois raisonnable et correcte. À l’évidence, si je me fie aux notes inscrites par l'agente sur le document versé au dossier devant la Cour, celle-ci a estimé que le demandeur ne répondait pas clairement à ses questions légitimes. La vérification devrait fournir les réponses attendues.

[26]  Il est demandé à l'agente d’agir « avec diligence », et c’est ce qu’elle a fait. Elle doit faire preuve de rigueur et une vérification est requise pour déterminer qui a droit au remboursement demandé. Le montant en question peut avoir été déduit du revenu mondial du demandeur, ou IBM a pu le retenir et le verser par erreur. La requête en remboursement a été déposée le 12 mai 2017 et, le 12 juin 2017, le ministre a signifié au demandeur qu’une enquête plus poussée était nécessaire avant que le montant réclamé puisse lui être remboursé, soit deux mois après environ.

[27]  Comme le défendeur, je suis d’avis que le contrôle judiciaire est prématuré. Le délai imputable à la vérification ne constitue par une circonstance exceptionnelle qui justifierait que la Cour s’ingère dans le processus administratif du ministre : Powell, précité, au paragraphe 33. La lettre du 12 juillet 2017 ne constitue pas une décision définitive puisqu’il y est expressément mentionné qu’il sera statué sur la requête quand les résultats de la vérification seront connus. Même si le demandeur est mécontent qu’une vérification des feuilles de paie d’IBM ait été requise, la demande de contrôle judiciaire de cette décision est prématurée. Pour ce motif, la demande est rejetée.

VII.  Dépens

[28]  Le défendeur a réclamé des dépens totalisant 2 300 $, soit 1 600 $ au titre de la colonne III du tarif B et 700 $ au titre des débours. Ces montants apparaissent raisonnables, sous réserve de la production d’une liste détaillée des débours.


JUGEMENT dans le dossier T-1148-17

LA COUR ORDONNE :

  1. que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

  2. qu’il soit adjugé au défendeur des dépens de 1 600 $ au titre du tarif B et 700 $ pour ses débours, sous réserve de la production d’une liste détaillée de ceux-ci.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1148-17

INTITULÉ :

GERALD MADORE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 FÉVRIER 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Mosley

DATE DES MOTIFS :

LE 2 MARS 2018

COMPARUTIONS :

Drew Gilmour

POUR LE DEMANDEUR

Selina Sit

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Schmidt & Gilmour Tax Law LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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