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Date : 20180307


Dossier : IMM-3505-17

Référence : 2018 CF 268

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2018

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

SARAH OLUWATUNMININU JOSEPH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la lettre de refus d’un agent des visas (l’agent) datée du 11 juillet 2017 indiquant que la demande de visa de résidence permanente de Sarah Oluwatunmininu Joseph (la demanderesse) était rejetée en raison de son caractère incomplet. Plus précisément, la demande ne comprenait pas de certificat de police du Royaume-Uni, où elle a résidé de façon cumulative pendant plus de six mois. Lorsque sa demande a été rejetée, la demanderesse a été informée que les frais associés à sa demande seraient remboursés, et que son profil en ligne resterait actif pendant une période de 60 jours. La demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire afin de contester cette décision.

[2]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent. L’intitulé nommait le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté comme partie défenderesse. L’intitulé est modifié, sur consentement des parties – le défendeur approprié est en l’espèce le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration : la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR], paragraphe 4(1); Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, L.C. 1994, ch. 31, paragraphe 2(1); Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) [RIPR], article 2.

I.  Résumé des faits

[3]  La demanderesse est une citoyenne du Nigéria, qui, après avoir créé un profil en ligne d’Entrée express sur le site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour présenter une demande de visa de résidence permanente, a reçu une lettre datée du 26 novembre 2016 l’avisant qu’elle avait été acceptée dans le bassin d’Entrée express. Cette lettre comportait un lien vers les documents que la demanderesse devait soumettre si elle était sélectionnée dans le bassin et invitée à présenter une demande de résidence permanente. On l’encourageait également à commencer à réunir les documents nécessaires dès que possible. Le 1er mars 2017, elle a été invitée à présenter une demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et de soumettre son dossier de demande au plus tard le 31 mai 2017. Bien que la demanderesse ait présenté sa demande le 28 mai 2017, elle a omis de présenter un certificat de police du Royaume-Uni. Puisqu’elle avait passé plus de six mois au Royaume-Uni, elle était tenue de présenter un certificat de police, et son omission de le faire rendait sa demande incomplète. C’est cette raison qui était invoquée dans la lettre du 11 juillet 2017 pour expliquer le rejet de sa demande (la décision).

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[4]  La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

  1. L’agent a-t-il enfreint les principes de justice naturelle en omettant de donner une occasion adéquate de présenter un certificat de police?
  2. L’agent a-t-il commis une erreur en omettant d’exercer son pouvoir discrétionnaire?
  3. La décision de l’agent est-elle raisonnable?

III.  Analyse

[5]  La norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y a manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; Wang c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 705. La norme de contrôle applicable dans l’analyse du bien-fondé de la décision est la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir].

A.  L’agent a-t-il enfreint les principes de justice naturelle en omettant de donner une occasion adéquate de présenter un certificat de police?

[6]  La demanderesse soutient que l’agent a enfreint les principes de justice naturelle en omettant de lui offrir une occasion raisonnable de soumettre un certificat de police, et en omettant de suivre la pratique habituelle du défendeur de donner une indication de ce qui manquait dans sa demande et de lui donner une autre possibilité de soumettre les documents nécessaires. La demanderesse soutient qu’elle s’attendait, de façon légitime à ce qu’une telle pratique soit suivie dans son cas, et évoque une lettre que l’agent a envoyée demandant de plus amples renseignements concernant ses antécédents de voyage, de l’information personnelle, ainsi que de l’information supplémentaire au sujet de son mari. La demanderesse a également fait valoir que le rejet de sa demande avait de grandes conséquences sur elle et sa famille.

[7]  La loi énonce clairement qu’un manquement à l’équité procédurale rend nulle toute décision prise à l’issue du manquement, à moins que le défaut ait été corrigé par des mesures prises avant la décision finale : Singh Dhaliwal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 201, aux paragraphes 25 et 26. Les exigences relatives à l’équité procédurale varient selon la nature de la décision et de son incidence sur l’individu : Baker c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817. Si un demandeur se voit refuser l’admissibilité à l’étape du traitement, la portée de l’équité de la procédure est moins étendue lorsque, comme en l’espèce, le demandeur peut immédiatement présenter une nouvelle demande : Chadha c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 105, au paragraphe 38.

[8]  Le cadre juridique et procédural régissant cette question est clair et simple : les demandes doivent être complètes et comprendre tous les renseignements requis par la LIPR (paragraphe 11(1)) et le RIPR (paragraphe 10(1)); le demandeur doit fournir tous les renseignements et les documents dont un agent a raisonnablement besoin pour évaluer la demande (LIPR, paragraphe 16(1)); et, une demande incomplète sera retournée au demandeur si les exigences de la demande ne sont pas satisfaites (RIPR, article 12). Le Guide opérationnel (OP 6) – Traitement des demandes au Canada – sur le traitement des demandes en ligne reçues à compter du 1er janvier 2015 (le Guide opérationnel), « les demandes doivent être évaluées dès leur réception pour en assurer le caractère complet. Une demande jugée incomplète doit être rejetée en vertu de l’article 10 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, et tous les frais associés à la demande doivent être remboursés au demandeur. »

[9]  L’information fournie aux demandeurs sur le processus d’Entrée express souligne à chaque étape plusieurs points clés : (i) comme l’indique le nom du programme, la demande sera traitée plus rapidement que celles des autres demandeurs le sont habituellement en se prévalant d’autres programmes; (ii) il incombe au demandeur de présenter une demande complète en respectant les échéances; et, (iii) le demandeur doit commencer à recueillir les documents de sa trousse de documents et mettre à jour son profil en ligne le plus tôt possible, afin d’être en mesure de respecter des délais serrés. Tous ces renseignements ont en l’espèce été communiqués à la demanderesse. Il n’est cependant pas contesté qu’il manquait un document essentiel dans sa trousse de demande, et cela a constitué le fondement du rejet.

[10]  La demanderesse fait valoir que l’affaire Doron c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 429 [Doron] devrait être considérée comme une décision étayant de façon convaincante son argument voulant qu’elle ait été privée de son droit à l’équité procédurale. Doron impliquait également un demandeur s’étant prévalu du programme d’Entrée express dont la demande avait été rejetée parce qu’il avait présenté un certificat de police de la National Police Commission des Philippines, plutôt qu’un certificat émanant du National Bureau of Investigation, tel que requis par le défendeur. Le juge Richard Southcott a conclu que M. Doron avait été privé de son droit à l’équité procédurale lorsque sa demande a été rejetée. La demanderesse fait valoir qu’il fallait en l’espèce que je suive ce précédent.

[11]  Cependant, je trouve que la décision Doron, comme tous les cas impliquant des allégations d’iniquité procédurale, dépend de ses propres faits. Dans ce cas, le demandeur a indiqué au défendeur qu’il avait éprouvé des difficultés relativement à la soumission de sa demande en ligne et des documents à l’appui, et il a indiqué qu’il avait téléchargé son certificat de police des Philippines, mais qu’il avait de la difficulté à obtenir des certificats de certains autres pays (paragraphe 4). La demanderesse n’a jamais été avisée que le défendeur exigeait un certificat de police d’un autre organisme. En outre, la Cour ne disposait pas d’une preuve par affidavit suffisante pour établir exactement les renseignements qui avaient été fournis à M. Doron pour le guider dans le processus de demande (paragraphes 28 et 29). La Cour a conclu, en s’appuyant sur le dossier dont elle disposait, que le défendeur « n’a pas initialement informé le demandeur de cette exigence, comme il était tenu de le faire pour s’acquitter de l’obligation de faire preuve d’équité procédurale » (paragraphe 32).

[12]  Dans la présente affaire, le dossier est tout à fait différent. Il est clair que la demanderesse a été informée au début du processus qu’un certificat de police serait nécessaire. Le défendeur a déposé un affidavit prouvant que les instructions en ligne fournies à la demanderesse stipulent qu’il est nécessaire de fournir un certificat de police de tout pays où elle avait vécu ou qu’elle avait visité pendant une période totalisant six mois ou plus. La demanderesse ne conteste pas qu’elle a reçu un avis; elle allègue que par inadvertance, elle n’a pas soumis le certificat de police requis, et qu’il était injuste de la part de l’agent de rejeter sommairement sa demande sans l’aviser qu’il manquait un document et lui donner la possibilité de le déposer. C’est tout à fait différent de la situation en cause dans l’affaire Doron.

[13]  La loi est claire : le demandeur a le fardeau de présenter une demande complète, et il n’y a aucune obligation de la part de l’agent à rappeler aux demandeurs la nécessité de soumettre tous les documents requis pour présenter une trousse de demande complète : Wu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 594 et Doron aux paragraphes 24 et 25.

[14]  La demanderesse a reconnu en l’espèce que son erreur a entraîné le rejet de sa demande en raison de son caractère incomplet. Il n’est pas contesté que c’est la raison du rejet de sa demande. La demanderesse a reçu un avis suffisant des exigences relatives à une demande complète, ainsi que des instructions claires sur la nécessité de présenter un dossier de demande complet étant donné la rapidité avec laquelle le programme d’Entrée express traitait les demandes. Il n’était pas injuste de rejeter sa demande incomplète, et l’agent n’était pas tenu de lui offrir une autre occasion de fournir le document manquant. Je ne vois aucun manquement au principe de l’équité procédurale dans les circonstances de l’espèce.

B.  L’agent a-t-il commis une erreur en omettant d’exercer son pouvoir discrétionnaire?

[15]  La demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur en omettant de démontrer qu’il avait envisagé d’exercer le pouvoir discrétionnaire prévu par les directives énoncées dans le passage suivant du Guide opérationnel :

Exigences en matière de documents

[...]

Les certificats de police sont exigés immédiatement et sont obligatoires pour chaque pays (à l’exception du Canada) où une personne a vécu pendant six mois consécutifs ou plus. Cette directive concerne la vérification de la conformité de la demande au titre de l’article R10. Toutefois, l’agent dispose toujours du pouvoir discrétionnaire de demander un nouveau certificat de police ou un certificat de police supplémentaire au demandeur.

[16]  La demanderesse fait valoir que la décision rendue dans Fernandes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 243 [Fernandes] permet d’affirmer que lorsqu’un pouvoir discrétionnaire est conféré à un agent, il s’agit d’une erreur de droit de la part de l’agent d’omettre d’indiquer qu’il avait la possibilité de l’exercer. La demanderesse ne prétend pas que l’agent a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans la présente affaire, mais plutôt que l’agent a commis une erreur en omettant d’indiquer qu’il a examiné la question de savoir s’il devait être exercé.

[17]  J’estime que l’affaire Fernandes ne s’applique pas ici parce qu’il s’agit d’un cadre différent de la prise de décision prévu par la loi. Il s’agissait là d’une situation où il y avait une disposition expresse dans le RIPR conférant un pouvoir discrétionnaire à l’agent, et le juge suppléant Barry Strayer a conclu que le décideur n’avait pas expressément indiqué si les exigences législatives avaient été considérées pour en arriver à la décision défavorable. Dans l’affaire Fernandes la demande a été rejetée parce que le demandeur n’avait pas cumulé suffisamment de points pour être admissible à titre de travailleur qualifié. Le RIPR confère un pouvoir discrétionnaire à l’agent afin d’examiner si le demandeur est susceptible de s’établir économiquement au Canada, en dépit du fait qu’il n’ait pas cumulé le nombre suffisant de points. La disposition prévoit expressément l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui doit être envisagé afin de parvenir à une décision juste eu égard aux faits de la demande. La Cour a conclu qu’il était injuste de rejeter une demande pour le motif de ne pas totaliser les points nécessaires dans le cadre du programme, sans que l’agent n’ait indiqué qu’il avait examiné la possibilité d’exercer le pouvoir discrétionnaire que le RIPR stipule expressément faire partie du cadre d’évaluation des demandes.

[18]  Dans le cas présent, la demande a été rejetée parce qu’elle était incomplète – elle ne comprenait pas tous les certificats de police nécessaires pour satisfaire aux exigences minimales prescrites par le programme. Ce n’est pas une situation où l’agent demandait des certificats de police « nouveaux ou supplémentaires » parce que la demande ne comprenait pas les certificats requis. L’agent n’a pas commis une erreur de droit en omettant de démontrer qu’il avait envisagé d’exercer son pouvoir discrétionnaire relativement à un enjeu qui n’avait pas été établi eu égard aux faits de l’affaire.

C.  La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[19]  La Cour suprême du Canada a établi que pour juger si une décision est raisonnable, elle doit examiner si le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir). La décision de rejeter la demande en l’espèce parce qu’elle est incomplète s’inscrit à l’extrémité inférieure du spectre en ce qui a trait aux exigences d’équité procédurale; il s’agissait d’une décision administrative prise tôt dans la procédure d’examen préalable comportant l’application d’exigences claires à un ensemble particulier de faits. La demanderesse a reconnu que sa demande était incomplète. Il n’était pas déraisonnable de la rejeter pour ce motif.

IV.  Conclusion

[20]  Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et j’estime qu’aucune question grave de portée générale n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3505-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

  3. L’intitulé est modifié afin de refléter le bon défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, et prend effet immédiatement

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3505-17

INTITULÉ :

SARAH OLUWATUNMININU JOSEPH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 février 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

Le 7 mars 2018

COMPARUTIONS :

Akinwumi Reju

Pour la demanderesse

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarke Attorneys LLP

Avocats

North York (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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