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Date : 20180202


Dossier : IMM-2523-17

Référence : 2018 CF 114

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

KAMRAN SOLTANIZADEH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

JUGE MOSLEY

[1]  Les présents motifs publics de l’ordonnance portent sur une demande présentée par le procureur général du Canada au nom du défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, en vertu des articles 8, 36 et 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les RCF), ainsi que de l’article 21 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (les RCFCIPR). Le défendeur demande, en vertu de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR ou la Loi), l’interdiction de la divulgation des renseignements caviardés du dossier certifié du tribunal (le DCT) dans la procédure de contrôle judiciaire sous-jacente.

[2]  Les présents motifs publics seront transmis aux parties dans le cadre de la procédure sous-jacente et déposés au dossier public du greffe de la Cour fédérale. L’ordonnance et les motifs classifiés seront transmis seulement au défendeur et au procureur général, déposés au dossier du greffe des instances désignées de la Cour fédérale et conservés dans un endroit sécurisé.

[3]  Pour les besoins de la demande du défendeur fondée sur l’article 87 de la LIPR, il n’est pas nécessaire d’examiner en profondeur l’historique procédural de l’affaire sous-jacente, mais certains faits sont pertinents. Au début de 2010, le demandeur, un citoyen de l’Iran, a présenté une demande d’immigration au Canada au titre de la catégorie « Travailleur qualifié » du Québec à titre de vétérinaire. Le 16 février 2010, la province de Québec a délivré un certificat de sélection approuvant sa demande. Le 26 avril 2010, le demandeur a demandé un visa de résidence permanente pour s’établir au Canada. Sa demande a initialement été rejetée par un agent des visas le 22 octobre 2015 au motif qu’il était interdit de territoire au Canada en vertu de l’article 34 de la LIPR. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a fait l’objet d’un désistement sur consentement en 2016 à la suite d’une entente de règlement qui exigeait le nouvel examen du dossier par un autre agent.

[4]  Le deuxième agent des visas a rejeté la demande le 22 mai 2017 pour des motifs semblables, ce qui a suscité une nouvelle demande de contrôle judiciaire. L’autorisation a été accordée le 8 septembre 2017. Le défendeur a offert de régler la deuxième demande sur consentement, en reconnaissant que les motifs fournis dans la décision du 22 mai 2017 n’étaient pas suffisamment intelligibles et transparents pour satisfaire à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[5]  Le demandeur a refusé la deuxième offre de règlement. Le défendeur a ensuite déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance annulant la décision du deuxième agent des visas et renvoyant la demande à un troisième agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Le demandeur s’est opposé à la requête du défendeur, et la juge McDonald a rejeté la requête le 17 octobre 2017. L’ordonnance de la juge McDonald exigeait que le DCT soit remis dans les 20 jours suivant la date de son ordonnance et confirmait que l’audience aurait lieu le 22 novembre 2017.

[6]  Le 30 octobre 2017, le défendeur a déposé la présente demande d’ordonnance de non‑divulgation fondée sur l’article 87 de la LIPR. Selon le dossier de requête public du défendeur, ce dernier ne s’appuierait pas sur les renseignements caviardés pour défendre la décision de l’agent des visas puisque le ministre entend consentir à la demande de contrôle judiciaire à l’audience.

[7]  Une version caviardée du DCT a été déposée auprès de la Cour le 3 novembre 2017, et des copies de ce dossier ont été remises aux avocats des parties. La lettre d’accompagnement du DCT de l’ambassade du Canada à Paris, en France, datée du 1er novembre 2017 précise ceci : [TRADUCTION] « on a procédé à un certain caviardage conformément à l’article 18.1 de la [Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité] et à l’article 87 de la LIPR ». Il a donc été divulgué publiquement que le privilège légal visé à l’article 18.1 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C-23 (la LSCRS), était invoqué.

[8]  Dans une lettre datée du 3 novembre 2017, l’avocat du demandeur a avisé la Cour que son client n’avait pris aucune position quant à la requête présentée en vertu de l’article 87. La lettre comporte ensuite le passage suivant :

[traduction] Le demandeur demande à la Cour d’examiner tous les renseignements caviardés et non divulgués pour s’assurer qu’ils porteraient atteinte à la sécurité nationale s’ils étaient rendus publics. Il demande aussi à la Cour de veiller à ce que le défendeur ne soit pas autorisé à s’appuyer, pour justifier la décision de l’agent qui fait l’objet du contrôle, sur de nouveaux éléments de preuve figurant dans de nouveaux affidavits déposés à l’appui de la requête.

[9]  La lettre du demandeur ne mentionne pas les renseignements caviardés et non divulgués en vertu de l’article 18.1 de la LSCRS. La Cour ne sait pas vraiment si le demandeur, en lui demandant [TRADUCTION] « d’examiner tous les renseignements caviardés et non divulgués pour s’assurer qu’ils porteraient atteinte à la sécurité nationale s’ils étaient rendus publics », souhaitait qu’elle examine aussi les renseignements caviardés en vertu l’article 18.1 de la LSCRS. Si tel est le cas, le demandeur et son avocat ne sont peut-être pas bien conscients des limites du cadre législatif, dont je traiterai ci-dessous.

[10]  Le 21 novembre 2017, le juge Simon Noël a ordonné que l’audience concernant la demande de contrôle judiciaire soit ajournée jusqu’au lundi 26 février 2018 et que l’affaire soit confiée à un juge désigné.

[11]  Rien n’indique, dans le dossier public du défendeur déposé le 30 octobre 2017, que des renseignements sont caviardés et non divulgués en vertu de l’article 18.1 de la LSCRS. Les observations écrites exposent en termes généraux les raisons pour lesquelles on protège des renseignements classifiés en vertu de l’article 87 de la LIPR et il y est affirmé que [TRADUCTION] « les renseignements caviardés du DCT [...] relèvent des renseignements qui porteraient atteinte à la sécurité nationale du Canada ou à la sécurité d’autrui s’ils étaient rendus publics. Ils ne doivent donc être divulgués ni au public, ni au demandeur, ni à l’avocat du demandeur. »

[12]  Le 10 novembre 2017, le défendeur a déposé deux affidavits classifiés accompagnés de pièces concernant les passages caviardés du DCT en vertu de l’article 87. La Cour a lu les affidavits et les pièces ainsi que tous les passages caviardés en format clair et transparent, y compris les passages caviardés en vertu de l’article 18.1 de la LSCRS. La Cour a reçu d’autres observations écrites du défendeur et a entendu un témoignage et des observations orales lors d’une audience à huis clos tenue le 7 décembre 2017.

[13]  Au cours de l’instance à huis clos, le défendeur n’a pas présenté ses preuves et ses observations dans le but de justifier la décision de l’agent des visas. À la suite de ce processus, je crois que je peux affirmer, en réponse à la préoccupation du demandeur et sans risquer de me tromper, que rien dans les affidavits déposés à l’appui de la demande fondée sur l’article 87 ne constitue un nouvel élément de preuve servant à [TRADUCTION] « justifier la décision de l’agent qui fait l’objet du contrôle ».

[14]  L’avocat du défendeur et le déposant ou témoin ont cherché à présenter des renseignements et des preuves à l’appui des affirmations selon lesquelles la divulgation de certains renseignements du DCT caviardés en vertu de l’article 87 de la LIPR porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Leurs observations visaient à permettre à la Cour de parvenir à une décision éclairée sur la question de savoir lesquels des renseignements visés devaient effectivement être protégés en vertu de l’article 87 de la LIPR. Les motifs et ordonnance classifiés que j’ai rendus portent là-dessus.

[15]  Je me suis écarté de la norme dans ce type d’affaire, laquelle consiste à rendre une ordonnance exposant brièvement les motifs de la décision, car je suis arrivé à la conclusion qu’il est exceptionnellement nécessaire en l’espèce que je me penche sur les principes de droit applicables.

[16]  Avant de le faire, je tiens à préciser que le procureur général n’a pas déposé de preuve par affidavit ni présenté de témoignage de vive voix en ce qui a trait aux passages caviardés en vertu de l’article 18.1 de la LSCRS. Le procureur général est d’avis que la Cour n’a pas compétence pour vérifier si le personnel du SCRS a correctement invoqué et appliqué le privilège accordé aux sources humaines hors du cadre de la demande présentée en vertu du paragraphe 18.1(4) de la LSCRS par une partie à une instance, un ami de la cour ou un avocat spécial désigné à l’égard de l’instance.

[17]  Il convient de souligner que tous les renseignements contenus dans le DCT constituent à première vue des renseignements pertinents pour la demande sous-jacente qui doivent être communiqués au demandeur en vertu de l’article 17 des RCFCIPR, sous réserve d’une demande de privilège ou d’une ordonnance de non-divulgation fondée sur l’article 87 de la LIPR. La Cour n’est saisie d’aucune demande concernant les passages caviardés en vertu de l’article 18.1 de la LSCRS. Par conséquent, si on présume que le procureur général a raison, il n’y a aucun processus en cours qui permettrait à la Cour de déterminer si les exigences légales permettant d’invoquer le privilège des sources humaines sont respectées. Il n’existe pas non plus de moyen qui permettrait au demandeur de savoir combien de renseignements sont caviardés dans le DCT au titre de l’article 18.1 de la LSCRS, ni si ces renseignements sont importants pour sa demande de contrôle judiciaire.

[18]  Compte tenu de ces limites, je crois qu’il est utile de formuler des observations dans les présents motifs concernant la portée et l’effet du processus prévu à l’article 87.

[19]  L’article 87 de la LIPR est rédigé ainsi :

Interdiction de divulgation – contrôle judiciaire et appel

Application for non-disclosure — judicial review and appeal

87 Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander l’interdiction de la divulgation de renseignements et autres éléments de preuve. L’article 83 s’applique à l’instance et à tout appel de toute décision rendue au cours de l’instance, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé.

87 The Minister may, during a judicial review, apply for the non-disclosure of information or other evidence. Section 83 — other than the obligations to appoint a special advocate and to provide a summary — applies in respect of the proceeding and in respect of any appeal of a decision made in the proceeding, with any necessary modifications.

[20]  Comme il ressort du texte, l’article 87 de la Loi ne précise pas la norme à appliquer pour trancher les demandes de non-divulgation, outre le renvoi à l’article 83 de la Loi. Cet article prévoit, entre autres choses, que le juge (défini à l’article 76 de la LIPR comme étant le juge en chef ou le juge désigné par celui-ci) doit, à la demande du ministre, tenir une audience à huis clos si, selon lui, la divulgation de renseignements pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Il incombe au juge de garantir la confidentialité des renseignements ou d’autres éléments de preuve si, selon lui, leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. J’ai souligné ces mots parce qu’ils décrivent la nature de la discrétion que le législateur a accordée au juge désigné et parce que la distinction à faire entre « pourrait porter » et « porterait » dans le texte de loi est importante.

[21]  Comme la juge Dawson l’a expliqué dans la décision Jaballah (Re), 2009 CF 279, 340 FTR 43, aux paragraphes 8 à 10 [Jaballah], la décision de tenir une audience à huis clos en vertu de l’article 83 est discrétionnaire. Mais, dès lors que le juge désigné conclut que la divulgation porterait atteinte à la sécurité, il lui incombe, en vertu de de l’alinéa 83(1)d) de la Loi, de garantir la confidentialité des renseignements. Le ministre a le fardeau de prouver que la divulgation « porterait » atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Il s’agit d’une norme plus rigoureuse que celle servant à décider si une audience à huis clos est requise, pour laquelle le terme permissif « pourrait » vient qualifier le verbe « porter ».

[22]  L’expression « selon lui », « lui » s’entendant du juge, se trouve souvent dans les lois et confère au juge un large pouvoir discrétionnaire. Dans le présent contexte, elle s’applique à la décision que le juge doit prendre sur la question de savoir si la divulgation de renseignements confidentiels porterait atteinte à la sécurité, comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 RCS 33 [Harkat], dans le contexte du régime des certificats de sécurité auquel l’article 83 de la Loi s’applique aussi. La Cour suprême a ainsi déclaré au paragraphe 4 :

[...] Il n’est pas facile de concevoir un régime qui instaure un processus fondamentalement équitable tout en protégeant les renseignements confidentiels touchant la sécurité nationale. Un tel régime doit s’appliquer à un large éventail de cas faisant intervenir toute une gamme de considérations liées à la sécurité nationale. La réponse du législateur fut de conférer aux juges le pouvoir discrétionnaire et la latitude nécessaires pour leur permettre d’établir un processus équitable dans chaque affaire particulière dont ils sont saisis [...]

[23]  Pour évaluer les questions de divulgation, le juge désigné est aussi guidé par le libellé de l’article 33 de la LIPR, qui prévoit l’application de la norme des « motifs raisonnables de croire » à l’appréciation des faits nécessaires à une conclusion d’interdiction de territoire en vertu des articles 34 à 37 de la LIPR. On a défini la norme des motifs raisonnables comme étant une norme de preuve qui, sans être la prépondérance des probabilités, nécessite néanmoins un fondement objectif à la croyance en raison de preuves dignes de foi : Chiau c Canada (MCI), [2001] 2 CF 297 (CA), paragraphe 60, 195 DLR (4th) 422; R c Zeolkowski, [1989] 1 RCS 1378, page 1385; Mugesera c Canada (MCI), 2005 CSC 40, paragraphe 114, [2005] 2 RCS 100.

[24]  En l’espèce, comme la demande de visa du demandeur a été rejetée en raison de doutes quant à son appartenance à la catégorie des personnes interdites de territoire au titre de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR, le juge, pour se prononcer sur le bien-fondé de la demande sous-jacente, examinera la façon dont l’agent a appliqué la norme des motifs raisonnables de croire.

[25]  L’article 87 de la LIPR exclut expressément certaines obligations énoncées à l’article 83 de la LIPR qui s’appliquent aux procédures relatives aux certificats, à savoir celles de fournir un résumé des renseignements et autres éléments de preuve et de nommer un avocat spécial. L’article 87.1 de la LIPR prévoit que le juge peut nommer un avocat spécial lorsqu’il est d’avis que des considérations d’équité et de justice naturelle le requièrent.

[26]  Il appartient à la Cour et non au défendeur seul de déterminer si des renseignements pouvant porter atteinte à la sécurité peuvent être interdits de divulgation ou non en vertu de l’article 87 de la LIPR : Mohammed c Canada, 2006 CF 1310, au paragraphe 19, [2007] 4 RCF 300. En effet, dans un pays régi par la primauté du droit défendue par un système judiciaire indépendant, ce sont les cours qui au bout du compte décident si le secret essentiel au travail des services de sécurité doit céder le pas aux intérêts de la justice : Mohamed, R (on the application of) c Secretary of State for Foreign & Commonwealth Affairs, [2010] EWCA Civ 65.

[27]  Ce principe n’était pas bien établi en common law avant l’arrêt de principe de la Chambre des lords Conway c Rimmer, [1968] AC 910. Dans cette affaire, la Chambre s’est éloignée de la vision traditionnelle du privilège de la Couronne, ou de l’immunité d’intérêt public, énoncée dans Duncan c Cammell Laird & Co, [1942] AC 624. Selon le point de vue traditionnel de l’immunité d’intérêt public, la déclaration de privilège par un ministre de la Couronne était considérée comme une interdiction absolue de divulguer les renseignements en question.

[28]  Le point de vue traditionnel de l’immunité d’intérêt public a constitué la règle au Canada jusque dans les années 1980. Le paragraphe 41(2) de la Loi sur les Cours fédérales, SRC 1970 (2e supp), c 10, interdisait expressément aux juges d’examiner des documents qui, de l’avis d’un ministre, devaient être protégés pour des motifs d’intérêt public relatif aux relations internationales, à la sécurité nationale ou à la défense. Le juge Mahoney a écrit à ce sujet dans la décision Landreville c La Reine (1976), [1977] 1 CF 419, 70 DLR (3d) 122 :

[Le paragraphe 41(2)] n’a pas son pendant dans la Loi sur la Cour de l’Échiquier [S.R.C. 1970, ch. E-11]. Avant la promulgation de l’article 41(2), en 1970, le « privilège de la Couronne » du chef du Canada relevait du common law.

Compte tenu du fait que la Chambre des lords a rendu sa décision unanime dans l’affaire Conway c. Rimmer [[1968] A.C. 910] en février 1968, il est évident que le Parlement a codifié le common law tel qu’énoncé dans Duncan c. Cammell, Laird & Co. [[1942] C.A. 624] afin de prévenir l’application de l’arrêt Conway c. Rimmer au Canada. [...]

[Non souligné dans l’original.]

[29]  Cette approche s’est avérée inacceptable au Canada en raison des événements qui ont mené à l’enquête et au rapport de la Commission McDonald sur les activités du service de sécurité de la GRC : Canada, Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie Royale du Canada, deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi, volume 1, Ottawa, août 1981 (la Commission McDonald). Il ressortait des conclusions de la Commission que le service de sécurité avait mené des activités qui outrepassaient la portée de la loi sans supervision adéquate du pouvoir exécutif et avait perdu la confiance du public : Goguen c Gibson, [1983] CF 872, 53 DLR (4th) 568; Atwal c Canada, [1988] 1 CF 107.

[30]  Dans le cadre de la vaste restructuration de la fonction du renseignement de sécurité au Canada à la suite du rapport de la Commission McDonald, le législateur a abrogé l’article 41 de la Loi sur les Cours fédérales et l’a remplacé par l’article 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada, SRC 1970, c E-10 (la LPC (1970)), édicté par LC 1980-81-82-83, c 111, article 4, annexe III.

[31]  L’article 36.2 prévoyait le contrôle judiciaire des revendications d’immunité d’intérêt public se rapportant aux relations internationales, à la sécurité nationale et à la défense. Il n’interdisait pas l’examen des renseignements par le juge et établissait des critères pour la mise en balance les intérêts publics liés à la divulgation et à la non‑divulgation. Les mesures législatives qui l’ont remplacé se trouvent maintenant aux articles 38 et 38.01 à 38.15 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 (la LPC), modifiée par LC 2001, c 41, et LC 2015, c 3.

[32]  Dans le contexte de l’immigration, les rapports de renseignements de sécurité et de criminalité étaient privilégiés. Ils ne pouvaient être présentés en preuve devant une cour ou une autre instance, et les juges n’avaient pas compétence pour examiner les demandes de privilège : articles 39 et 119 de la Loi sur l’immigration de 1976, SC 1976-1977, c 52 (sanctionnée le 5 août 1977). Ce n’est qu’en 1988, à la suite des recommandations de la Commission McDonald et de l’édiction du paragraphe 40.1(4) par la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et apportant des modifications corrélatives au Code criminel, LC 1988, c 36, article 4, que les juges ont été autorisés à examiner des renseignements relatifs à la sécurité nationale :

J’en suis venu à la conclusion qu’en édictant l’article 40.1 de la Loi sur l’immigration, le législateur fédéral a élaboré une procédure par laquelle il a tenté de trouver le juste milieu entre les intérêts divergents des particuliers et ceux de l’État. En particulier, le législateur fédéral a confié la charge d’examiner le caractère raisonnable de l’attestation ministérielle à un membre indépendant de la magistrature à qui il a accordé le pouvoir d’examiner les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité, de recueillir des éléments de preuve, de permettre la divulgation d’éléments à l’intéressé dans le but de lui permettre d’être « suffisamment informé », et de donner à l’intéressé « la possibilité d’être entendu ». [...]

Ahani c R, [1995] 3 CF 669, [1995] ACF no 1190, au paragraphe 38, conf. par [1996] ACF no 937, 119 FTR 80 (note).

[33]  En 2001, l’édiction de la LIPR a considérablement changé le régime de certificats de sécurité et a introduit l’article 87, qui autorise la cour à examiner des demandes de non-divulgation pour déterminer si la divulgation des renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Plus tard, en réponse à l’arrêt Charkaoui c Canada (MCI), 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350, le législateur a modifié la loi pour prévoir la nomination d’avocats spéciaux chargés de protéger les intérêts de la personne concernée.

[34]  Une différence importante entre l’article 38 de la LPC et l’article 87 de la LIPR est que cette dernière disposition ne prévoit pas la mise en balance des intérêts publics en faveur de la divulgation et ceux contre la divulgation. Comme la juge Dawson l’explique dans la décision Jaballah, précitée, la Cour n’a d’autre choix que d’autoriser le caviardage des renseignements lorsqu’elle conclut que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité. Bien que l’obligation de fournir un résumé des renseignements protégés dans les affaires se rapportant à un certificat ne s’applique pas, puisque cette partie de l’article 83 est expressément exclue des demandes fondées sur l’article 87, rien n’interdit à la Cour de le faire dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et elle l’a fait – généralement à un degré d’abstraction élevé.

[35]  Dans une demande présentée en vertu de l’article 87, la Cour n’évalue pas la pertinence des renseignements caviardés. Comme nous l’avons vu, la pertinence est déterminée par l’exigence prévue à l’alinéa 17b) des RCFCIPR voulant que tous « les documents pertinents qui sont en la possession ou sous la garde du tribunal administratif » figurent dans le DCT. En intégrant les documents au DCT, le défendeur reconnaît leur pertinence pour la demande sous-jacente.

[36]  Dans les demandes présentées en vertu de l’article 87 de la LIPR et d’autres instances relatives à la sécurité nationale, on renvoie souvent à une décision du juge Addy, Henrie c Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 CF 229, [1988] ACF no 965 (1re instance) [Henrie], conf. par (1992) 5 Admin LR (2d) 269 (CAF), 88 DLR (4th) 575.

[37]  Dans ses observations écrites, le défendeur s’appuie sur la décision Henrie pour soutenir que les renseignements relatifs à la sécurité nationale ne doivent pas être divulgués et que cela constitue une exception importante au principe voulant que le processus judiciaire soit ouvert et public. La décision Henrie a été rendue seulement quelques années après l’abrogation de l’article 41 de la Loi sur les Cours fédérales et l’édiction du paragraphe 36.2(1) de la LPC (1970). Elle témoigne de la transition de l’immunité absolue de la Couronne au cadre législatif en vertu duquel les juges doivent examiner si les affirmations d’atteinte à la sécurité nationale sont raisonnables. À mon avis, la décision Henrie et les autres décisions qui ont été rendues au cours de la période de transition doivent être interprétées avec prudence et en tenant dûment compte du contexte dans lequel elles ont été rendues et de l’évolution subséquente du droit et de la pratique.

[38]  Par exemple, les juges désignés à cette époque se sont en fait abstenus d’examiner les documents classifiés pour déterminer si les affirmations du ministre étaient valides. Ils préféraient s’appuyer sur les affidavits et observations confidentiels que le gouvernement leur fournissait : décision Henrie, précitée, paragraphe 23 (page 240 dans le rapport original). Aujourd’hui, il est inconcevable que des juges désignés affectés à l’examen des demandes présentées au titre de l’article 38 de la LPC ou de l’article 87 de la LIPR s’appuient sur des affirmations du ministre selon lesquelles il y aurait préjudice sans lire les renseignements en question.

[39]  Les premières décisions de cette période de transition témoignent aussi de ce qu’on peut décrire comme une acceptation large et inconditionnelle des arguments de sécurité nationale présentés par le procureur général pour le compte du SCRS.

[40]  Dans la décision Henrie, il faut faire attention aux nombreux renvois à une norme qui serait celle de la divulgation qui « pourrait nuire à la sécurité nationale » (aux pages 235, 241 et 244). Dans ses motifs, le juge Addy a reconnu avec franchise qu’il n’était pas prêt à assumer le risque qu’une divulgation de renseignements qui semble anodine soit « en fait susceptible de se révéler nuisible à la sécurité nationale ». Comme on l’a vu, il ne s’agit pas du critère que la Cour doit appliquer. Il établit un seuil trop peu rigoureux. Il incombe au ministre de prouver que la divulgation porterait atteinte à l’intérêt national en s’appuyant sur des preuves crédibles.

[41]  Le juge Addy a aussi accordé beaucoup d’importance à ce qu’on a appelé « l’effet de mosaïque ». Il s’agit d’une théorie selon laquelle des éléments d’information apparemment anodins peuvent être regroupés et utilisés par un lecteur bien informé et hostile pour porter préjudice. La logique derrière ce concept, à première vue intéressant, peut être poussée à l’extrême au point où tout peut faire partie de la mosaïque et où, par conséquent, rien ne doit jamais être divulgué. Toutefois, la simple affirmation selon laquelle les renseignements peuvent être utiles pour un lecteur bien informé n’est pas suffisante. Il doit y avoir un fondement probatoire raisonnablement présenté et qui semble logique pour le juge : Canada (PG) c Almalki, 2010 CF 1106, paragraphes 115 à 119.

[42]  Le plaideur qui cherche à contester une décision du gouvernement qui porte atteinte à ses intérêts et qui sollicite à cette fin l’accès à des renseignements pour lesquels on demande l’immunité d’intérêt public entreprend une tâche ardue, comme l’a reconnu le juge La Forest dans l’arrêt Carey c Ontario, [1986] 2 RCS 637, au paragraphe 99, dans un contexte différent mais comparable.

Ce qui me gêne dans cette façon de voir est qu’elle impose à un demandeur l’obligation de prouver en quoi des documents, reconnus pertinents, peuvent l’aider. Mais comment peut‑il s’y prendre? Il ne les a jamais vus; ils sont confidentiels et ne peuvent être consultés. Dans une certaine mesure donc la teneur des documents doit relever de la conjecture. En l’espèce toutefois les documents traitent du sujet même de l’action et renseignent sur le rôle que l’une des parties a joué à l’époque dans les opérations pertinentes.

[43]  Ces préoccupations sont toujours valides. La partie concernée par une demande de non‑divulgation présentée par le gouvernement n’a qu’une capacité limitée de contester cette demande devant la Cour s’il s’agit d’une demande présentée en vertu de l’article 87 de la LIPR ou de l’article 38 de la LPC, et cette capacité est davantage limitée s’il s’agit d’une revendication faite au titre de l’article 18.1 de la LSCRS. Il est possible de demander à la Cour de désigner un avocat spécial ou un ami de la cour. La Cour autorisera en vertu de la LIPR et de la LPC, respectivement, l’avocat spécial ou l’ami de la cour à examiner les renseignements caviardés pour mieux participer aux procédures à huis clos et contester les éléments de preuve du gouvernement.

[44]  Comme le mentionne le juge Noël dans la décision X (Re), 2017 CF 136, 278 ACWS (3d) 207, le procureur général défend la thèse voulant que les renseignements qui dévoilent l’identité d’une source humaine du SCRS ou à partir desquels l’identité de la source peut être déduite puissent uniquement être divulgués au juge.

[45]  Le juge Noël a conclu ce qui suit, aux paragraphes 27 à 29 :

Je suis d’accord avec la position des avocats du gouvernement, qui soutiennent que permettre au juge désigné d’examiner les informations non caviardées établit un juste équilibre entre l’intention du législateur quant à l’article 18.1, les droits garantis aux sources humaines du SCRS par l’article 7 et les fonctions judiciaires globales du juge désigné, c’est‑à‑dire assurer l’équité et la bonne administration de la justice.

[...]

J’abonde aussi dans le sens des avocats du gouvernement lorsqu’ils avancent que l’article 18.1 doit être interprété de manière à permettre au juge désigné de s’acquitter de ses fonctions à titre d’arbitre indépendant. Les avocats du gouvernement soutiennent qu’ils ne devraient pas être les seuls à déterminer quelles informations peuvent être communiquées à une autre partie. En pratique, le juge désigné doit pouvoir consulter les informations non caviardées pour être en mesure de déterminer si le privilège existe ou si des exceptions s’y appliquent.

[Non souligné dans l’original.]

[46]  Je crois que le juge Noël a raison. Mais comment la Cour peut-elle exercer son obligation d’assurer l’équité et la bonne administration de la justice et déterminer si le privilège existe, ou si une exception s’applique, à l’égard des renseignements dont le caviardage a été enlevé et visés par les revendications de privilège formulées au titre de l’article 18.1? Pour que la Cour puisse examiner et évaluer de façon efficace les revendications de privilège faites au titre de l’article 18.1, elle doit, selon le procureur général, le faire conformément au paragraphe 18.1(4) de la LSCRS relatif aux demandes visant à obtenir une ordonnance déclarant qu’une personne physique n’est pas une source humaine ou que l’information en cause ne permettrait pas de découvrir l’identité d’une source humaine. Le procureur général est d’avis que rien ne peut être fait à propos de telles revendications dans le contexte de l’article 38 de la LPC ou de l’article 87 de la LIPR sans demande présentée en vertu du paragraphe 18.1(4) de la LSCRS, malgré le fait qu’à la lecture de ces renseignements, ou compte tenu du contexte dans lequel ils se trouvent, rien ne semble étayer les revendications faites au titre de l’article 18.1.

[47]  La partie à une instance qui a le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, un ami de la cour ou un avocat spécial désigné pour les besoins de l’instance peut demander à un juge de la Cour fédérale une ordonnance de divulgation en vertu du paragraphe 18.1(4) si cette divulgation est pertinente pour l’instance. Le paragraphe 18.1(5) porte sur le dépôt de « l’affidavit du demandeur portant sur les faits sur lesquels il fonde [la demande] ». Toutefois, comme l’a souligné le juge La Forest dans l’arrêt Carey, précité, la teneur des documents doit relever de la conjecture. Toute demande présentée en vertu du paragraphe 18.1(4) est par conséquent un coup tiré à l’aveuglette.

[48]  Dans les motifs qu’il a rédigés au nom de la Cour suprême dans l’arrêt Carey, le juge La Forest a fait observer, aux paragraphes 84 et 85, qu’il pourrait être nécessaire de divulguer des renseignements de nature sensible en cas de violations par l’État dans un cas particulier :

84. Il y a un autre facteur qui milite en faveur de la divulgation des documents en l’espèce. L’appelant allègue une conduite peu scrupuleuse de la part du gouvernement. À mon sens, il importe que ce point soit débattu non seulement dans l’intérêt de l’administration de la justice, mais aussi dans l’intérêt du bon fonctionnement du pouvoir exécutif du gouvernement, ce qui a été avancé comme but de la demande de non-divulgation des documents. Car, si le pouvoir exécutif a agi de façon sévère ou abusive envers un particulier, il faut que cela émerge au grand jour.

85. La divulgation est d’autant plus importante de nos jours que le public revendique un gouvernement plus ouvert. La divulgation sert à renforcer la confiance du citoyen en ses institutions gouvernementales. Cela est lourd de conséquences pour l’administration de la justice qui constitue une préoccupation majeure pour les tribunaux. Comme l’a souligné lord Keith of Kinkel dans l’arrêt Burmah Oil, précité, à la p. 725, elle a un effet sur la perception du justiciable et du public que justice a été faite.

[49]  Je ne dis pas que les actes de l’agent des visas en l’espèce représentent une conduite inappropriée à l’égard du demandeur. Le bien-fondé de la demande reste à établir. Je dis par contre que, lorsqu’une partie a sous sa garde des éléments de preuve pertinents qu’elle cherche à exclure de l’examen de la demande sous-jacente, le principe de l’équité exige qu’elle présente des preuves justifiant cette mesure en invoquant des motifs raisonnables devant un juge indépendant et impartial. Cela peut se faire de façon à protéger les renseignements, conformément au paragraphe 18.1(7), lequel prévoit qu’une telle demande est entendue à huis clos et en l’absence du demandeur et de son avocat, sauf si le juge en ordonne autrement.

[50]  Il ne fait aucun doute qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’État de mener des enquêtes sur la sécurité nationale et de protéger la sécurité nationale. Pour protéger cet intérêt, il peut être nécessaire de restreindre la divulgation de documents aux personnes qui ont été touchées par les actes de l’État et qui sont en cour pour défendre leurs propres intérêts, dont des droits garantis par la Charte. La Cour suprême du Canada l’a reconnu dans des arrêts comme Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711, page 744, [1992] ACS no 27; Suresh c Canada (MCI), 2002 CSC 1, paragraphe 122, [2002] 1 RCS 3; Ruby c Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, paragraphes 42 et 43, [2002] 4 RCS 3; arrêt Charkaoui, précité, paragraphe 58.

[51]  La Cour suprême du Canada a renvoyé au « rôle de gardien » des juges désignés : arrêt Harkat, précité, paragraphe 46. En appliquant l’article 83 de la LIPR, elle a déclaré que le juge doit « être vigilant et sceptique quant aux allégations du ministre relatives à la confidentialité » en raison de la « propension du gouvernement à exagérer les réclamations de confidentialité fondées sur la sécurité nationale » : Harkat, paragraphe 63. La pratique actuelle consistant à fournir une version transparente des passages caviardés en vertu de l’article 18.1 sans justification ni preuves à l’appui provenant d’un déposant bien informé ne permet pas à la Cour d’exercer son rôle de gardien ni, comme l’a dit le juge Noël dans la décision X (Re), précitée, paragraphe 27, « les fonctions judiciaires globales du juge désigné, c’est‑à‑dire assurer l’équité et la bonne administration de la justice ».

[52]  Il y a lieu de faire preuve de retenue envers l’évaluation que fait le ministre du préjudice dès lors qu’il a produit une preuve étayant raisonnablement la conclusion que la divulgation des renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale : Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 1082, paragraphe 31 (appel accueilli quant à la nomination d’un ami de la cour, 2011 CAF 223, paragraphe 63).

[53]  En évaluant la preuve du ministre, la Cour peut juger que les renseignements caviardés ont peu ou pas de valeur probante pour la procédure sous-jacente. Comme le juge Noël l’a affirmé dans Dhahbi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 347, ACWS (3d) 225 [Dhahbi], au paragraphe 24 :

Selon l’expérience de dossiers semblables, il a été souvent constaté que dans de telles situations l’information caviardée n’ajoute rien aux faits en litige. À titre d’exempl[e], pour des raisons de techniques d’enquête, méthodes administratives et d’opération, tel que les numéros de dossiers, les noms du personnel du SCRS, ou encore les relations que le service maintient avec d’autres agences au Canada ou a l’étranger, ne sont pas communiqué[s]. En soi, ceci n’est pas de l’information utile pour assurer une bonne compréhension du dossier.

[54]  Cela ne veut pas dire que de tels renseignements ne pourraient jamais être pertinents dans l’examen de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, mais que c’est improbable dans la plupart des cas. En immigration, le SCRS peut fournir des rapports de sécurité aux décideurs en la matière, comme les agents des visas ou les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada. La teneur de tels rapports peut s’avérer pertinente dans certains cas. Il est par contre improbable qu’il soit nécessaire d’identifier les agents concernés. Le législateur a renforcé ce principe en créant l’infraction prévue à l’article 18 de la LSCRS, à laquelle de rares exceptions sont prévues.

[55]  Lorsque les renseignements caviardés touchent davantage au fond et auraient une valeur probante dans le cadre de la demande sous-jacente, la Cour doit examiner attentivement si le caviardage est justifié. Dans certains cas, l’essentiel des renseignements peut avoir été communiqué à la personne visée par la décision au moyen des motifs écrits fournis, et la divulgation du texte caviardé n’aiderait en rien à la compréhension de l’affaire : voir par exemple Pusat c Canada (MCI), 2011 CF 428, paragraphe 9, 226 ACWS (3d) 206. Dans d’autres cas, l’intéressé peut être laissé entièrement dans l’ignorance quant aux motifs pour lesquels la demande a été rejetée.

[56]  L’importance de la décision pour le demandeur est un facteur dont il faut tenir compte. La Cour doit être consciente des obstacles auxquels se heurtent souvent les éventuels immigrants au Canada. Le traitement d’une demande de visa peut souvent prendre de nombreuses années et s’avérer très coûteux, et se solder finalement par un rejet. Cependant, lorsque le demandeur cherche à être admis plutôt qu’à éviter un renvoi, les enjeux sont moins graves. Les droits fondamentaux de la personne protégés par la Charte ne sont pas en jeu, il n’existe pas de droit légal d’obtenir un visa et les conséquences d’un refus sont moins graves que la suppression d’un droit comme celui de continuer à résider au Canada. Il existe néanmoins une obligation minimale d’agir équitablement : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khan (MCI), 2001 CAF 345 (CAF), paragraphe 39; décision Dhahbi, précitée, paragraphe 12.

[57]  En l’espèce, j’ai procédé à un interrogatoire serré du témoin appelé par le défendeur à l’audience à huis clos sur les motifs étayant les demandes de protection des renseignements caviardés fondées sur l’article 87 de la LIPR. Compte tenu du témoignage de ce témoin et des observations de l’avocat du défendeur, j’ai tiré certaines conclusions quant au caractère raisonnable des demandes fondées sur l’article 87. Ces conclusions sont énoncées dans mes motifs et ordonnance classifiés.

[58]  S’il n’est pas fait appel de mes motifs et ordonnance classifiés, le caviardage de certains passages en vertu de l’article 87 pourrait être enlevé et une nouvelle version du DCT qui contiendrait les pages pertinentes sur lesquelles figureraient des renseignements additionnels serait divulguée. Un appel entraînera la suspension de l’exécution de la décision, ainsi que du contrôle judiciaire, jusqu’à ce qu’il soit tranché en dernier ressort : LIPR, article 87.01.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour d’avril 2019

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2523-17

INTITULÉ :

KAMRAN SOLTANIZADEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

ottawa (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉCEMBRE 2017

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS PUBLICS :

Le 2 FÉVRIER 2018

COMPARUTIONS :

S.O.

POUR LE DEMANDEUR

Robert Reid

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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