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Date : 20180214


Dossier : IMM-4640-16

Référence : 2018 CF 171

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 14 février 2018

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

SEYED HOSSEIN HOSSEINI

MAHNAZ MIRI

SEYED MOHAMMAD HOSSEINI

SEYED MASOUD HOSSEINI

SEYED MOEIN HOSSEINI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Seyed Hossein Hosseini et sa famille, tous citoyens iraniens, ont présenté une demande de résidence permanente au Canada, mais un agent d’immigration a rejeté leur demande. L’agent a conclu que M. Hosseini était interdit de territoire puisqu’il représente un danger pour la sécurité du Canada (conformément à l’alinéa 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR); toutes les dispositions citées sont dans une annexe).

[2]  L’agent a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Hosseini avait contribué au développement d’armes de destruction massive en Iran. L’agent a fondé ses conclusions sur le parcours professionnel de M. Hosseini en tant qu’ingénieur chimiste pour la National Iranian Oil Company (NIOC) et d’autres entités connexes. L’agent a conclu que M. Hosseini, en tant que cadre supérieur de longue date, connaissait probablement le programme d’armement iranien, et y avait probablement contribué.

[3]  M. Hosseini soutient que l’agent l’aurait traité injustement en ne lui accordant aucune audience et en se basant sur des renseignements dont M. Hosseini n’était pas au courant. De plus, il maintient que l’agent n’a pas analysé correctement les éléments de preuve, ce qui l’aurait mené à une conclusion déraisonnable. Finalement, M. Hosseini prétend que la façon dont l’agent a abordé les éléments de preuve a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[4]  Je suis d’accord avec M. Hosseini pour dire que l’agent l’a traité injustement en prenant en considération des éléments de preuve dont M. Hosseini n’avait aucune connaissance. Je suis aussi d’avis que la conclusion de l’agent était déraisonnable, compte tenu de la preuve. C’est pourquoi j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire de M. Hosseini, j’annulerai la décision de l’agent, et j’ordonnerai qu’un autre agent réexamine les demandes de résidence permanente.

[5]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’agent a-t-il traité M. Hosseini de façon injuste?

  2. La conclusion de l’agent était-elle déraisonnable?

[6]  Les demandeurs ont aussi soutenu que l’analyse de l’agent donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. À la lumière de ma décision sur les deux premières questions, il n’est pas nécessaire d’aborder la question de la partialité.

[7]  Le ministre a déposé une requête demandant la suppression du dossier de la présente affaire selon l’article 87 de la LIPR. J’ai statué sur cette requête dans une autre ordonnance.

II.  Contexte factuel

[8]  M. Hosseini est un ingénieur chimiste retraité de 62 ans qui a travaillé pour NIOC, une compagnie nommée Kala Naft, ainsi que pour la National Iranian Gas Export Company (NIGEC). Il a occupé différents postes, incluant le poste de chef du service de l’environnement (NIGEC), de chef de la recherche et du développement (NIGEC et NIOC), de directeur des infrastructures (NIGEC et NIOC), de responsable des installations de l’infrastructure (NIGEC), de membre principal des installations (NIGEC) et de directeur des achats (Kala Naft, Calgary). M. Hosseini a aussi été membre principal du conseil d’administration (NIGEC).

[9]  Les demandeurs ont demandé la résidence permanente pour la première fois en 2004. Une décision défavorable antérieure a été annulée sur consentement, et une décision défavorable subséquente a été annulée par la Cour en 2015. De ce fait, il s’agit de la troisième décision défavorable faisant l’objet d’un contrôle judiciaire.

III.  La décision de l’agent

[10]  L’agent a examiné les nombreux postes que M. Hosseini a occupés au fil des ans et a conclu que M. Hosseini avait assisté sciemment et de manière significative ses employeurs dans le développement du programme d’armement de l’Iran. L’agent a déclaré que M. Hosseini n’était pas tenu responsable des actes d’autrui; il prétend plutôt baser sa décision sur une preuve objective concernant M. Hosseini personnellement.

[11]  L’agent a d’abord incorrectement examiné le fait que NIOC et Kala Naft étaient soumises au Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Iran du Canada. En fait, ces compagnies ont été radiées en 2016; l’agent a plus tard admis son erreur, mais a soutenu que la radiation ne voulait pas nécessairement dire que ces compagnies n’étaient pas impliquées dans la promotion du programme d’armement iranien. Selon l’agent, la radiation aurait plutôt servi d’incitation afin de pousser l’Iran à se retirer du développement d’armes nucléaires à l’avenir. De ce fait, même s’il avait été au courant de la radiation, l’agent aurait eu les mêmes préoccupations quant aux antécédents professionnels de M. Hosseini.

[12]  L’agent a examiné l’argument de M. Hosseini selon lequel Kala Naft avait été assujettie à des sanctions seulement parce qu’une autre entité iranienne s’était servie de Kala Naft pour obtenir des matériaux pouvant être utilisés dans le développement d’armes nucléaires. Selon l’agent, la preuve démontrait qu’il n’était pas clair si Kala Naft avait participé de manière innocente ou non à ces transactions. De plus, l’agent n’était pas convaincu que les employés de Kala Naft n’étaient pas impliqués, voire complices, dans l’achat de marchandises douteuses.

[13]  L’agent a aussi examiné le fait que la Cour de justice européenne avait conclu que Kala Naft avait tenté d’obtenir des marchandises présumément utilisées dans l’exploitation pétrolière et gazière, mais qui pourraient aussi être utilisées pour faire progresser le programme nucléaire iranien.

[14]  L’agent a aussi examiné l’affirmation de M. Hosseini selon laquelle l’Iran n’était pas impliqué dans le développement d’armes de destruction massive. Cependant, l’agent a conclu que la preuve montrait que l’Iran a effectivement un programme de développement d’armes nucléaires, mais que l’Iran n’a toujours pas atteint son but.

[15]  L’agent a reconnu que M. Hosseini était maintenant retraité. Il a tout de même conclu que M. Hosseini pourrait retourner au travail à tout moment; sa retraite ne signifie pas qu’il ne représente plus un danger pour la sécurité du Canada. Au contraire, l’agent a conclu que M. Hosseini avait contribué au programme d’armement iranien et qu’il avait été complice de la participation de ses employeurs dans ce programme.

[16]  L’agent a établi à plusieurs reprises qu’il ne croyait pas en la preuve présentée par M. Hosseini. Par exemple, l’agent a conclu que M. Hosseini n’avait pas expliqué certaines de ses activités concernant l’obtention de marchandises chez Kala Naft, ce qui a entamé sa crédibilité. Dans l’ensemble, l’agent a conclu que le témoignage de M. Hosseini était fallacieux et manquait de crédibilité.

[17]  De ce fait, l’agent a conclu que les activités de M. Hosseini avaient directement ou indirectement contribué au développement du programme d’armement iranien, et que son comportement indiquait une complicité dans les activités de ses employeurs en lien avec l’armement. Sur ce fondement, l’agent a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Hosseini présentait un risque pour la sécurité du Canada.

IV.  L’agent a-t-il traité M. Hosseini de façon injuste?

[18]  Le ministre soutient que les conclusions défavorables de l’agent quant à la crédibilité de M. Hosseini ne constituent que des motifs secondaires à la conclusion de l’agent et que, par conséquent, l’agent n’avait aucune obligation d’accorder une audience à M. Hosseini. Par ailleurs, le ministre prétend que l’agent n’a pas fait de conclusions défavorables claires quant à la crédibilité de M. Hosseini, il a tout simplement conclu que M. Hosseini avait omis de présenter une preuve suffisante pour appuyer sa demande.

[19]  Je ne suis pas d’accord.

[20]  L’agent doutait du témoignage de M. Hosseini sur son rôle limité dans les compagnies qui l’ont employé et a conclu expressément que la preuve présentée par M. Hosseini manquait de crédibilité. L’agent a clairement tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité de M. Hosseini, ce qui n’aurait dû être fait qu’après une audience et non en se basant seulement sur les observations écrites. Le refus de l’agent de tenir une audience était injuste envers M. Hosseini.

[21]  Le ministre soutient également que l’agent n’a pas traité M. Hosseini injustement en examinant des éléments de preuve inconnus de M. Hosseini. Le ministre prétend que l’agent n’avait aucune obligation de dévoiler un document décrivant M. Hosseini comme un potentiel agent du renseignement iranien. Au contraire, le ministre soutient que le rôle de l’agent était simplement de mentionner les préoccupations soulevées dans le document. L’agent a averti M. Hosseini qu’il y avait une question relative à l’interdiction de territoire en application de l’alinéa 34(1)d) et lui a offert une possibilité de s’expliquer. Cela était suffisant, selon le ministre.

[22]  Encore une fois, je ne suis pas d’accord.

[23]  Le document en question est un rapport de la Division du filtrage pour la sécurité nationale (DFSN) qui inclut une opinion selon laquelle M. Hosseini pourrait être un agent du renseignement iranien agissant sur les ordres du ministère iranien du Renseignement et de la Sécurité (MIRS). Le MIRS était connu pour ses activités d’espionnage au Canada.

[24]  Plus particulièrement, le rapport de la DFSN rapportait également ce qui suit : [traduction]

  • De nombreux Iraniens, comme M. Hosseini, qui ont été employés par NIOC et Kala Naft à Calgary étaient en fait des agents des services de renseignements iraniens impliqués dans des activités d’approvisionnement clandestines.

  • Le MIRS est réputé pour ses liens directs avec le terrorisme international.

  • Le MIRS est soupçonné selon des motifs raisonnables d’avoir espionné le Canada, entre autres.

  • Il y a des raisons raisonnables de croire que M. Hosseini est un agent du renseignement du MIRS, ou qu’il a une fonction similaire.

[25]  Ces préoccupations n’ont jamais été communiquées à M. Hosseini. Une vague référence à l’éventuelle interdiction de territoire de M. Hosseini pour des raisons de sécurité n’était pas suffisante pour satisfaire à l’obligation d’équité de l’agent. M. Hosseini avait le droit de connaître les allégations formulées contre lui et les éléments de preuve à l’appui de ces allégations. Il méritait une occasion de répondre pleinement à la preuve retenue contre lui (Kamel c Canada (Procureur général), 2008 CF 338, au paragraphe 72; décision annulée pour d’autres motifs : 2009 CAF 21).

[26]  De plus, le rapport de la DFSN contenait une recommandation voulant que M. Hosseini soit interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)d). Il avait le droit de recevoir un avis en ce qui concerne l’opinion recommandant cette conclusion (Abdi c Canada (Procureur général), 2012 CF 642, au paragraphe 25).

[27]  Par conséquent, je conclus que l’agent n’a pas traité M. Hosseini de façon équitable.

V.  La conclusion de l’agent était-elle déraisonnable?

[28]  Ma conclusion sur la question relative à l’équité est suffisante pour accueillir la demande de contrôle judiciaire de M. Hosseini. Cependant, le prochain agent chargé de s’occuper de la demande de résidence permanente de M. Hosseini devra examiner au moins certaines des questions fondamentales soulevées dans sa demande, et qui ont fait l’objet d’observations détaillées en ma présence. J’examinerai brièvement ces questions au profit du prochain agent.

[29]  Le ministre prétend que l’agent avait raisonnablement conclu que M. Hosseini était interdit de territoire en tant que personne constituant un danger pour la sécurité du Canada, en se basant sur ses antécédents d’emploi.

[30]  M. Hosseini soutient qu’avant d’être considéré comme un danger pour la sécurité du Canada, le ministre doit montrer la preuve qu’il a participé volontairement à une quelconque activité contribuant à un tel danger. Dans les faits, M. Hosseini maintient que le motif de la Cour suprême du Canada dans la décision Ezokola c Canada (Citoyenneté et immigration), 2013 CSC 40, devrait s’appliquer ici; la Cour y a conclu que, en ce qui concerne les clauses d’exclusion de la LIPR, une personne ne peut être considérée comme ayant commis un crime grave sans la preuve qu’elle a contribué sciemment et de manière significative au dit crime.

[31]  Comme il a été précité, l’agent a en fait imposé un critère très strict à M. Hosseini afin de décider s’il représente un risque pour la sécurité du Canada. Ce critère avait pour but de décider si M. Hosseini avait [traduction] « sciemment et de manière significative » assisté ses employeurs dans le développement du programme d’armement iranien. L’agent a aussi déclaré que M. Hosseini n’était pas tenu responsable des actions d’autrui, seulement de ses propres actions. L’agent a conclu que les actions de M. Hosseini avaient directement ou indirectement contribué au développement du programme d’armement iranien, et que son comportement était un indicateur de sa complicité avec ses employeurs quant à leurs activités relatives à l’armement.

[32]  À mon avis, l’agent a utilisé des critères similaires à ceux détaillés dans la décision Ezokola.

[33]  Cependant, je conclus que la conclusion de l’agent selon laquelle ces critères avaient été satisfaits en l’espèce était déraisonnable. En d’autres mots, l’agent a appliqué un critère approprié, mais en a tiré une conclusion déraisonnable.

[34]  Selon l’alinéa 34(1)d), une personne est interdite de territoire si elle représente un danger pour la sécurité du Canada. Le ministre indique que l’interdiction de territoire en application de cette disposition n’est pas liée à une activité, par exemple commettre une infraction (comme dans la décision Ezokola, ou à un acte terroriste en application de l’alinéa 34(1)c)). Selon l’approche du ministre, l’interdiction de territoire en application de l’alinéa 34(1)d) est liée à un état et non à la conduite du demandeur.

[35]  Le ministre trouve un certain appui dans la jurisprudence, en particulier dans les décisions concernant les employés des sociétés iraniennes : Fallah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1094; S.N. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 821; S.M.N. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 731.

[36]  Cependant, je remarque que, dans ces affaires, en plus de la preuve sur le statut d’employé des demandeurs, des éléments de preuve soulevaient aussi des préoccupations quant à leur crédibilité. Autrement dit, ces affaires ne portaient pas seulement sur le statut d’employé des demandeurs, elles portaient aussi sur la préoccupation quant à savoir si les demandeurs avaient été honnêtes quant au véritable rôle qu’ils avaient joué dans le cadre de leur travail.

[37]  D’autres décisions concernant des employés iraniens ont confirmé les conclusions relatives à l’interdiction de territoire en application de l’alinéa 34(1)d) lorsque des éléments de preuve montraient que les demandeurs auraient pu jouer un rôle dans le développement des armes de destruction massive iraniennes : Hadian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1182; Karabroudi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 522.

[38]  D’un autre côté, la juge Jocelyne Gagné a conclu que l’expertise technologique d’un demandeur iranien ne constituait pas en soi une justification pour l’interdiction de territoire : Alijani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 327.

[39]  Il est difficile d’imaginer comment une personne pourrait représenter un danger pour la sécurité du Canada sans preuve selon laquelle cette personne a commis, ou selon laquelle on s’attend à ce qu’elle commette, un acte qui pourrait être considéré comme une menace pour les Canadiens. Le fait que l’alinéa 34(1)d) prévoit une conclusion d’interdiction de territoire pour une personne qui pourrait « constituer un danger pour la sécurité du Canada » ne signifie pas qu’une personne est interdite de territoire sans preuve qu’elle a commis quelque chose, ou pourrait commettre quelque chose, qui confirmerait sa dangerosité.

[40]  D’un autre côté, le motif précis évoqué dans la décision Ezokola ne s’applique peut-être pas ici.

[41]  Dans la décision Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), la juge Eleanor Dawson a jugé que la décision Ezokola ne changeait pas le sens large du mot « membre » à l’alinéa 34(1)f), qui vise les membres d’un groupe terroriste, par exemple. Cependant, la juge Dawson a reconnu que la décision Ezokola pourrait affecter l’étendue de l’article 34(1)(c), qui interdit le territoire aux personnes ayant participé à des actes terroristes (2015 CFA 86, alinéa 25). La juge Cecily Strickland est arrivée à la même conclusion dans Nassereddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85, au paragraphe 74.

[42]  Je suis d’accord avec les conclusions dans ces affaires; la décision Ezokola ne sous-entend pas que la définition de complicité qui y est établie doit être assimilée au concept de « membre » décrit à l’article 34(1)(f). Cependant, il a été reconnu dans les deux affaires que la décision Ezokola pourrait influencer l’interprétation d’autres clauses sur l’interdiction de territoire, particulièrement quant à la perpétration d’un crime.

[43]  En même temps, comme je l’ai dit ailleurs, il faudrait peut-être repenser l’étendue de la signification du terme « appartenance » après la décision Ezokola (voir Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1101, au paragraphe 14). À mon avis, la préoccupation de la Cour suprême selon laquelle les individus ne doivent pas être jugés complices d’un comportement fautif en se basant simplement sur leur association avec un groupe impliqué dans des crimes internationaux pourrait s’étendre généralement à la notion d’interdiction de territoire et, plus spécifiquement, à la définition d’« appartenance ». Dans la décision Joseph, par exemple, j’ai affirmé que pour conclure qu’une personne est interdite de territoire en se basant sur son association avec un groupe terroriste particulier, il faut au moins la preuve que cette personne avait plus qu’un lien indirect avec ce groupe. Toutefois, je n’ai pas conclu que la définition de complicité établie par la Cour suprême dans la décision Ezokola devrait servir à interpréter l’alinéa 34(1)f).

[44]  De même, le juge David Stratas de la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’appartenance à un groupe terroriste peut être déduite de « certaines activités qui appuient de façon importante les objectifs d’un groupe terroriste, notamment la fourniture de fonds, la fourniture de faux documents, le recrutement ou l’hébergement de personnes, […] même si les activités ne sont pas directement liées à la violence terroriste » (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, au paragraphe 92). Je crois comprendre que le juge Stratas veut dire que la simple appartenance passive peut être insuffisante aux fins de l’alinéa 34(1)f) mais, d’autre part, qu’une preuve de complicité du type de celle décrite dans la décision Ezokola n’est pas requise (voir Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, aux paragraphes 96 et 97).

[45]  Dans le même ordre d’idée, je remarque que le juge Keith Boswell a conclu que le critère de complicité dans la décision Ezokola n’est pas pertinent en application de l’alinéa 34(1)d) de l’IRPA puisque la décision Ezokola concernait une exclusion de la protection pour réfugiés et non une demande de résidence permanente, et parce qu’une interdiction de territoire ne requiert que des motifs raisonnables de croire que les faits ayant donné lieu à l’interdiction sont survenus, surviennent ou peuvent survenir (Azizian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 379, au paragraphe 37).

[46]  Néanmoins, le juge Boswell a conclu que la conclusion d’un agent selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire qu’un demandeur représentait un danger pour la sécurité du Canada simplement parce qu’il occupait un poste de cadre supérieur à la Banque centrale d’Iran était injuste et déraisonnable. Il a conclu que l’approche de l’agent s’était limitée à une sorte de « culpabilité par association » ce contre quoi la Cour suprême nous met en garde dans la décision Ezokola (Azizian, au paragraphe 38). En d’autres mots, après être arrivé à la conclusion que la décision Ezokola ne s’appliquait pas directement aux décisions en application de l’alinéa 34(1)d), le juge Boswell a conclu que l’agent avait incorrectement appliqué le genre de raisonnement qui contrevenait à l’approche suivie par la Cour suprême dans la décision Ezokola.

[47]  De la même façon, la Cour d’appel fédérale a appliqué la décision Ezokola au contexte de la révocation de la citoyenneté, concluant qu’une personne n’est pas responsable des actions d’un groupe à moins d’y avoir fait une contribution consciente et significative (Oberlander c Canada, 2016 CAF 52, au paragraphe 84).

[48]  Par conséquent, il est clair que les effets de la décision Ezokola se font sentir hors du champ des clauses d’exclusion dans lesquelles elles se sont posées. Bien que la formulation du concept de complicité de la Cour suprême ne soit pas directement applicable dans toutes les dispositions concernant l’admissibilité, l’analyse d’un législateur pourrait quand même contredire les principes établis dans ce verdict. Invoquer l’idée de culpabilité par association peut ne pas être acceptable.

[49]  Dans tous les cas, en ce qui concerne M. Hosseini, il semble que l’agent ait reconnu qu’une conclusion en application de l’alinéa 34(1)d) nécessite certaines preuves de connaissance et de contribution.

[50]  La principale question à laquelle il faut s’attaquer, alors, est si l’agent disposait d’une preuve pour appuyer sa conclusion. Selon moi, ce n’était pas le cas.

[51]  Je ne trouve pas dans les motifs de l’agent un élément de preuve pour sa conclusion selon laquelle M. Hosseini avait « consciemment et de manière significative » assisté ses employeurs dans le développement du programme d’armement iranien, ni qu’il avait directement ou indirectement contribué au développement du dit programme, ou que son comportement indiquait une complicité avec ses employeurs dans le cadre d’activités relatives à l’armement.

[52]  Tel que mentionné, l’agent a pris en note les différents postes qu’a occupés M. Hosseini au fil des années et a conclu à partir de cette preuve que M. Hosseini avait consciemment et de manière significative assisté ses employeurs dans le développement du programme d’armement iranien. L’agent n’a en fait indiqué aucun élément de preuve à l’appui de cette conclusion.

[53]  De plus, l’agent a même déclaré qu’il n’était pas convaincu que les employés de Kala Naft n’étaient pas impliqués ou complices dans l’achat de marchandises douteuses. Cette déclaration renverse le fardeau de la preuve; l’agent était convaincu que la preuve montrait que les employés, y compris M. Hosseini, étaient impliqués dans des activités liées au programme d’armement iranien.

[54]  En examinant les éléments de preuve sur lesquels s’est basé l’agent, il est évident qu’il était convaincu que M. Hosseini était coupable par association, et non parce qu’il avait délibérément contribué au programme d’armement iranien.

[55]  À mon avis, la conclusion de l’agent était déraisonnable parce qu’elle n’était pas étayée par les éléments de preuve dont il disposait. Rien dans le dossier ne supporte la conclusion de l’agent selon laquelle M. Hosseini a contribué consciemment et de manière significative au programme d’armement iranien ni la conclusion ultime de l’agent qui prétend que la présence de M. Hosseini au Canada représentait un danger pour la sécurité nationale.

[56]  Par conséquent, je conclus que la conclusion de l’agent était déraisonnable.

VI.  Conclusion et décision

[57]  M. Hosseini a été traité injustement par l’agent qui a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada. La décision de l’agent était d’autant plus déraisonnable, car il n’a pas relevé d’élément de preuve démontrant que M. Hosseini représentait un danger pour la sécurité du Canada.

[58]  C’est pourquoi j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et ordonne à un autre agent d’évaluer les demandes de résidence permanente des demandeurs.

[59]  Les demandeurs ont posé une question de portée générale aux fins de certification : à savoir si les critères de la complicité tels que proposés par la Cour suprême du Canada dans la décision Ezokola s’appliquent à l’alinéa 34(1)d) et à la question du danger pour la sécurité du Canada. Je conclus que la question n’est pas déterminante quant aux questions en litige en l’espèce (compte tenu de la question relative à l’équité) et, par conséquent, je refuse de certifier la question proposée.

[60]  Les demandeurs sollicitent aussi des dépens. Considérant que les demandeurs n’ont appris que récemment les résultats des évaluations de 2012 et 2013 de M. Hosseini (rédigés avant ses deux dernières demandes de contrôle judiciaire), je suis convaincu que ces circonstances spéciales méritent une adjudication de dépens de 2 000 $.

 


JUGEMENT DANS LA DÉCISION IMM-4640-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens adjugés de 2 000 $.

  2. Aucune question de portée générale n’est mentionnée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de novembre 2019

Lionbridge


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Sécurité

Security

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

(a) engaging in an act of espionage that is against Canada or that is contrary to Canada’s interests;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

(b.1) engaging in an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

(d) being a danger to the security of Canada;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4640-16

 

INTITULÉ :

SEYED HOSSEIN HOSSEINI; MAHNAZ MIRI; SEYED MOHAMMAD HOSSEINI; SEYED MASOUD HOSSEINI; SEYED MOEIN HOSSEINI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 août 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

 

Pour les demandeurs

 

Gregory G. George

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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