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Date : 20170818


Dossier : T-1379-13

T-1468-13

T-1368-14

Référence : 2017 CF 775

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 août 2017

En présence de monsieur le juge Fothergill

Dossier : T-1379-13

ENTRE :

BAYER INC. et BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT

demanderesses

défenderesses reconventionnelles

et

COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY

défenderesse

demanderesse reconventionnelle

Dossiers : T-1468-13

T-1368-14

ET ENTRE :

BAYER INC. et BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT

demanderesses

défenderesses reconventionnelles

et

APOTEX INC.

défenderesse

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les défenderesses ont présenté des requêtes en radiation de certains éléments des déclarations des questions en litige des demanderesses. Subsidiairement, les défenderesses demandent des précisions.

[2]  Une déclaration des questions en litige doit être lue dans le contexte plus large de la procédure dans son ensemble. Vus sous cet angle, les éléments contestés des déclarations des questions révèlent de causes d’action raisonnables. Ces éléments sont suffisamment clairs pour permettre des réponses intelligentes, et d’autres précisions ne sont pas nécessaires à ce stade-ci.

[3]  Les requêtes sont donc rejetées. Compte tenu de la légitimité de certaines des préoccupations soulevées par Apotex et Cobalt concernant la portée excessive et l’ambiguïté des déclarations des questions en litige, aucuns dépens ne sont adjugés.

II.  Résumé des faits

[4]  Le 7 septembre 2016, la Cour a conclu que le brevet canadien no 2 382 426 [le brevet 426], appartenant à la demanderesse Bayer Pharma Aktiengesellschaft et dont la licence a été délivrée par la demanderesse Bayer Inc. [collectivement Bayer], était valide et a été contrefait par les défenderesses Apotex Inc. [Apotex] et Cobalt Pharmaceuticals Company [Cobalt] (décision Bayer Inc. c. Apotex Inc., 2016 CF 1013 [la phase du procès consacrée à la responsabilité]).

[5]  Le 27 octobre 2016, la Cour a ordonné que Bayer puisse, après enquête en bonne et due forme, et interrogatoire préalable raisonnable, « choisir la restitution des bénéfices d’Apotex et de Cobalt ou l’intégralité des dommages-intérêts en raison de la contrefaçon du brevet 426 d’Apotex et de Cobalt » (Bayer Inc c. Cobalt Pharmaceuticals Company, 2016 CF 1192). Le redressement de Bayer sera déterminé lors d’une prochaine étape de la procédure [la phase du procès consacrée aux redressements].

[6]  Le 15 juin 2017, conformément aux directives de la protonotaire Martha Milczynski, Bayer a signifié et déposé ses déclarations des questions en litige durant la phase du procès consacrée aux redressements. Apotex et Cobalt contestent certains éléments des déclarations des questions en litige, et chacune d’elle présente une requête en radiation de ces éléments. Subsidiairement, elles demandent que Bayer fournisse des précisions.

III.  Analyse

[7]  Une déclaration des questions en litige équivaut à un mémoire. Elle définit les questions en litige et, par conséquent, délimite la portée de l’interrogatoire au préalable. Un acte de procédure ne sera rejeté que dans ces circonstances exceptionnelles, lorsqu’il est évident et manifeste : a) que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable; b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant, scandaleux, frivole ou vexatoire; c) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder; ou d) qu’il constitue autrement un abus de procédure (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, paragraphe 221(1); R. c. Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42, au paragraphe 17).

[8]  Une déclaration des questions en litige doit être lue dans le contexte plus large de la procédure. Des actes de procédure vagues ou mal rédigés n’ont pas besoin d’être radiés s’ils peuvent être compris par un esprit désireux de comprendre. Un esprit désireux de comprendre est un esprit éclairé par l’ensemble du contexte de la procédure, et il est au fait des parties désignées, des redressements demandés et de tout jugement ou de toute ordonnance antérieurs [Astrazeneca Canada Inc. c Apotex Inc. (27 juillet 2015), Ottawa, dossiers de la Cour no T-1409-06 et T-1890-11 (Cour fédérale)].

[9]  Il n’y a que deux défenderesses dans le cadre des présentes procédures : Apotex et Cobalt. L’arrêt de la Cour durant la phase du procès consacrée à la responsabilité se limite à la validité du brevet 426 et sa violation par Apotex et Cobalt. Les déclarations des questions en litige de Bayer doivent être lues et comprises dans ce contexte.

A.  Sociétés affiliées

[10]  Le sous-alinéa 10a)(ii), l’alinéa 10b) et les sous-alinéas 10b)(iii), 10b)(iv) et 10b)(v) des déclarations des questions en litige de Bayer sollicitent une restitution des bénéfices des sociétés affiliées d’Apotex et de Cobalt. Apotex et Cobalt affirment que toutes les références aux « sociétés affiliées » devraient être radiées. Elles maintiennent que si Bayer souhaite exercer un recours contre leurs sociétés affiliées, celles-ci auraient dû être désignées à titre de défenderesses additionnelles. Elles font également valoir que le plaidoyer est vague et mal défini : il ne précise pas quelles sociétés affiliées ont bénéficié de la violation par Apotex et Cobalt du brevet 426, ou de quelle façon.

[11]  Si Bayer devait opter pour la restitution des bénéfices d’Apotex et de Cobalt, ces bénéfices se limiteraient nécessairement selon l’étendue de la procédure à ceux qui ont été versés aux défenderesses désignées, directement ou indirectement. Je suis d’accord avec Bayer que les défenderesses sont les mieux placées pour savoir laquelle de leurs sociétés affiliées, le cas échéant, a généré des bénéfices de la vente des produits contrefaits, et si, en fin de compte, ces bénéfices leur ont été acheminés par l’intermédiaire d’Apotex et de Cobalt.

[12]  Étant donné la complexité de nombreuses structures d’entreprise, en particulier celles des grandes entités multinationales telles que les défenderesses, il convient d’accorder à Bayer une latitude raisonnable pour déterminer, lors des interrogatoires préalables, si l’une ou l’autre des sociétés affiliées d’Apotex ou de Cobalt a généré des bénéfices par suite de la vente de produits contrefaits, et si certains de ces bénéfices ont été versés aux défenderesses. Je ne suis pas convaincu que l’inclusion des sociétés affiliées dans la déclaration des questions en litige ne révèle pas une cause d’action valable. Toute imprécision ou ambiguïté peut être résolue en renvoyant aux contraintes imposées par la portée de la décision de la Cour durant la phase du procès consacrée à la responsabilité.

[13]  Cet aspect de la réparation demandée par Apotex et Cobalt doit par conséquent être refusé.

B.  Bénéfices étrangers

[14]  Les sous-alinéas 10a)(ii) et 10b)(iv) des déclarations des questions en litige de Bayer sollicitent la restitution des bénéfices réalisés « à l’étranger » par Apotex, Cobalt et leurs sociétés affiliées. Le sous-alinéa 10b)(ii) renvoie aux bénéfices découlant des « ventes à l’étranger ». Apotex et Cobalt font valoir que la portée territoriale du brevet 426 se limite au Canada. Elles soutiennent que ces plaidoyers devraient être radiés parce que les ventes et les bénéfices qui ont entièrement générés en dehors du Canada dépassent nécessairement l’étendue de la décision de la Cour durant la phase du procès consacrée à la responsabilité. Elles reprochent également à Bayer de n’avoir plaidé aucun fait important à l’appui, affirment que les plaidoyers sont vagues et mal définis.

[15]  Bayer s’appuie sur la décision AlliedSignal Inc. c, Dupont Canada Inc. (1998), 78 CPR (3d) 129, au paragraphe 33 [AlliedSignal], conf. par (1999), 86 CPR (3d) 324 (CAF) pour les principes suivants :

[...] le droit de réclamer le manque à gagner n’est pas circonscrit, de par la portée territoriale de la Loi sur les brevets, au profit réalisé sur les ventes faites au Canada. Le détenteur de brevet a droit à une compensation pour tous les dommages découlant de la contrefaçon à l’intérieur du Canada, celle-ci pouvant comprendre les profits réalisés sur des ventes hors du Canada.

[16]  Apotex et Cobalt font observer que la décision AlliedSignal concernait une demande en dommages-intérêts, et non pas une restitution des bénéfices. Je suis d’accord avec Apotex qu’il est difficile de savoir comment on pourrait affirmer que les produits entièrement fabriqués et vendus à l’étranger violeraient le brevet canadien 426, même si les bénéfices ont été versés en fin de compte aux défenderesses. Apotex et Cobalt ne contestent pas l’inclusion dans les déclarations des questions en litige des bénéfices qui découlent de la fabrication des produits contrefaits au Canada ou de leur exportation à l’étranger. Elles reconnaissent que les bénéfices provenant de produits contrefaits fabriqués à l’extérieur du Canada sont l’objet d’une restitution s’ils ont par la suite été vendus au Canada.

[17]  Là encore, l’inclusion des ventes vers l’étranger et des ventes effectuées à l’étranger dans les déclarations des questions en litige de Bayer doit être comprise dans le contexte de la procédure dans son ensemble. L’interrogatoire préalable doit nécessairement se limiter au territoire du brevet 426. S’il y a un lien entre les ventes vers l’étranger et la violation du brevet 426, alors celles-ci feront légitimement l’objet de l’interrogatoire préalable. Sinon, l’inclusion des ventes vers l’étranger et des ventes effectuées à l’étranger est alors redondante. Les redondances ou les simples déclarations faites en trop qui ne causent pas de préjudice n’ont pas à être radiées des actes de procédure (Discount Car & Truck Rentals Ltd c. Enterprise Rent-A-Car Co (1997), 76 CPR (3d) 39, au paragraphe 6).

[18]  Apotex et Cobalt prétendent qu’elles sont lésées par l’inclusion de sujets trop larges dans les déclarations des questions en litige, parce qu’elles peuvent, disent-elles, être tenues de se soumettre à de longs et coûteux interrogatoires préalables intrusifs. Étant donné la faible portée du brevet 426, et l’éventail clairement défini des produits qu’on prétend contrefaits, cette préoccupation n’est rien de plus que de la spéculation. Il devrait être possible d’y remédier de manière efficace par des refus, avec l’aide du protonotaire si nécessaire.

[19]  Cet aspect de la réparation demandée par Apotex et Cobalt est par conséquent refusé.

C.  Directement ou indirectement

[20]  L’alinéa 10b) des déclarations des questions en litige de Bayer sollicite la restitution des bénéfices découlant « directement ou indirectement » des activités de contrefaçon. Apotex et Cobalt soutiennent que la nature et l’étendue de tout bénéfice indirect allégué sont vagues et mal définies.

[21]  En réponse, Bayer s’appuie sur l’arrêt Beloit Canada Ltée/Ltd c. Valmet Oy (1992), 45 CPR (3d) 116, au paragraphe 10 (CAF) pour le principe voulant que Bayer ait droit à la restitution des bénéfices ou aux dommages-intérêts qui en découlent indirectement :

Nous ne pouvons voir en principe, aucune raison pour laquelle un breveté, dont la propriété a abusivement été appropriée par voie de contrefaçon, ne devrait pas recouvrer tous les profits, directs ou indirects, que l’auteur de la contrefaçon a tirés de sa contrefaçon illégale [...].

[Souligné dans l’original.]

[22]  Bayer précise que cette position est également soutenue par l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, au paragraphe 43.

[23]  La demande de Bayer en vue d’une restitution des bénéfices « indirects » qu’Apotex et de Cobalt peuvent avoir réalisés de la vente des produits contrefaits doit encore une fois être comprise dans le contexte du litige dans son ensemble. Vu sous cet angle, il n’est pas manifeste et évident qu’une demande de restitution des bénéfices indirects n’a aucune possibilité raisonnable de succès. Il est possible de remédier à tout interrogatoire préalable déraisonnable par des refus, avec l’aide du protonotaire si nécessaire.

D.  Promotion

[24]  Le sous-alinéa 10b)(i) des déclarations des questions en litige de Bayer sollicite la restitution des bénéfices d’Apotex et de Cobalt découlant de la « promotion » des comprimés de Drospirenone et d’Ethynil estradiol. Je partage la perplexité d’Apotex et de Cobalt quant à la possibilité de générer des bénéfices en raison d’une promotion en l’absence de chiffres d’affaires s’y rapportant. En effet, Bayer affirme dans ses observations écrites que [traduction] « une offre de vente comprend la promotion ».

[25]  Tel que nous en avons discuté précédemment, les redondances ou les simples déclarations en trop qui ne causent pas de préjudice n’ont pas à être radiées des actes de procédure. Il est possible de remédier à tout interrogatoire préalable déraisonnable par des refus, avec l’aide du protonotaire si nécessaire.

E.  Autre réparation demandée : précisions

[26]  Subsidiairement, Apotex et Cobalt demandent des précisions concernant les ventes vers l’étranger et les bénéfices indirects pour lui permettre de répondre aux allégations de manière intelligente.

[27]  Ces précisions ont comme objet de fournir à la partie adverse des renseignements suffisants afin qu’elle soit ainsi en mesure de savoir comment y répondre au procès et de préparer des réponses complètes et cohérentes (Chen c. R. 2006 CF 389, au paragraphe 8). Aucune ordonnance ne sera émise quant aux précisions, sauf si elles sont nécessaires pour plaider, et qu’elles sont étrangères à la connaissance des parties qui en font la demande (Windsurfing International Inc. c. Novaction Sports Inc. (1987), 18 CPR (3d) 230, au paragraphe 17 (C.F. 1re inst.), citant Flexi-Coil Ltd. c. Smith Roles Ltd. (1979), 42 CPR (2d) 180 (C.F. 1re inst.).

[28]  Je ne suis pas convaincu que les renseignements demandés sont étrangers à la connaissance d’Apotex et de Cobalt. Vu les limites de la procédure dans son ensemble, et lorsqu’on la lit avec un esprit désireux de comprendre, les déclarations des questions en litige de Bayer sont suffisamment claires pour permettre des réponses intelligentes. D’autres précisions ne sont donc pas nécessaires pour le moment.

IV.  Conclusion

[29]  Les requêtes en radiation de certains éléments des déclarations des questions en litige de Bayer et visant d’autres précisions sont rejetées. Cependant, compte tenu de la légitimité de certaines des préoccupations soulevées par Apotex et Cobalt concernant la portée excessive et l’ambiguïté des déclarations des questions en litige, la présente affaire ne se prête pas à l’adjudication de dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que les requêtes soient rejetées sans dépens à l’une ou l’autre des parties.

« Simon Fothergill »

Juge


 

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