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Date : 20180125


Dossier : IMM-133-18

Référence : 2018 CF 82

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 25 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

EGBE MANKA EBIKA

demanderesse

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Mme Manka Ebika sollicite une ordonnance de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi contre elle vers le Cameroun prévu pour le 26 janvier 2018, et demande que l’intitulé soit modifié de façon à ajouter le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile aux fins de la présente requête.  La Couronne ne conteste pas la modification demandée et l’intitulé sera modifié en conséquence.

[2]  La décision à l’origine de cette requête correspond à une décision défavorable rendue relativement à un examen des risques avant renvoi (ERAR) mené le 9 décembre 2017, qui a été signifiée à la demanderesse le 9 janvier 2018.  Le 15 janvier 2018, elle a reçu une directive l’enjoignant à se présenter à l’aéroport de Vancouver le 26 janvier 2018 pour son renvoi au Cameroun dans la soirée.

[3]  J’ai été saisi de cette requête avec un court préavis.  Étant donné la nature de la décision en cause, la demanderesse doit, pour obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, établir à ma satisfaction qu’une question sérieuse est soulevée dans la demande sous-jacente, qu’elle est susceptible de subir un préjudice irréparable au cours de la période intérimaire, à savoir entre la date de la requête et le règlement de la demande si le sursis est rejeté, et que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur : Toth c. Canada (Citoyenneté et Immigration), (1998) 86 NR 302 (CAF).  Ces trois conditions doivent être remplies.  Après avoir lu les observations écrites des parties et entendu leurs arguments oraux, je ne suis pas convaincu que la demanderesse a satisfait au critère.

[4]  Pour satisfaire à la condition de question sérieuse à trancher, cette dernière ne doit être ni frivole ni vexatoire.  La demanderesse soulève deux questions qu’elle considère sérieuses.  Premièrement, elle affirme que l’agent d’ERAR n’a pas mentionné/pris en considération l’ensemble des éléments de preuve qu’elle a produits et, plus particulièrement, qu’il n’a fait aucunement référence aux Directives numéro 9 du président – Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (les Directives).  Deuxièmement, elle soutient que la décision est déraisonnable.

[5]  Mme Manka Ebika, qui affirme être lesbienne, est une demanderesse d’asile déboutée.  La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté sa demande concluant à [traduction] « l’absence de fondement crédible » de cette demande. Une demande d’autorisation pour effectuer le contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par le juge Phelan de notre Cour :  2016 CF 582.

[6]  Dans ses observations remises à l’agent chargé de l’ERAR, la demanderesse a mentionné que si les Directives avaient été appliquées au moment de la décision touchant sa demande, peut-être qu’une [traduction] « conclusion positive » aurait été possible.  L’agent ne fait toutefois aucune mention des Directives ou de cette observation.  Aucun détail n’est fourni expliquant pourquoi les Directives auraient pu avoir une incidence sur la décision de la SPR, bien que l’avocat ait fourni certaines explications lorsqu’il a été questionné à ce sujet au cours de l’audience.  J’ai lu la décision de la SPR avec soin et je ne suis pas convaincu que l’application de ces Directives aurait mené à une décision différente.

[7]  La conclusion de non-crédibilité était fondée sur les éléments suivants :

  • Les allégations formulées dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) de la demanderesse correspondaient à une version modifiée du même récit apparaissant dans le formulaire FDA que sa sœur a soumis six mois auparavant;

  • Les deux sœurs allèguent qu’elles ont rencontré la seule partenaire de même sexe qu’elles ont eue au cours d’une réunion de l’organisme Humanity First Cameroon qui a eu lieu au Cameroun;

  • Après leur départ respectif du Cameroun, les deux sœurs ont affirmé que des membres de la force policière avaient fait une descente à la résidence de leur partenaire et avaient trouvé des photos de chacune de celles-ci, ce qui a amené les policiers à croire qu’elles étaient des lesbiennes;

  • Chacune des sœurs affirme qu’en se basant sur les photos, les policiers se sont rendus au domicile de leur mère et ont indiqué qu’ils les recherchaient. Pour cette raison, chacune des deux sœurs a décidé de déposer une demande d’asile au Canada;

  • Aucune des deux sœurs n’a fait mention de l’autre dans son formulaire FDA, même si elles ont mutuellement fait référence l’une à l’autre dans leur demande de visa initiale;

  • La demanderesse a déclaré avoir découvert l’existence de sa sœur (qui est en réalité sa demi-sœur puisqu’elles ont seulement la mère en commun) seulement trois jours avant l’audience de la SPR. Cependant, elle a fait mention de sa demi-sœur dans sa demande de visa et les deux sœurs ont utilisé la même adresse dans leur demande d’asile; la demanderesse n’a pu fournir que très peu de renseignements sur sa prétendue amante au Cameroun – elle a eu [traduction] « beaucoup de difficulté à décrire la famille de cette personne ou à donner son nom de famille ou son prénom, et la preuve qu’elle a fournie à ce sujet était contradictoire ».

  • La demanderesse affirme avoir rencontré sa partenaire en raison de leur association commune avec Humanity First Cameroon et a indiqué dans ses réponses écrites qu’elle était membre de cet organisme. Pourtant, elle a mentionné dans son témoignage qu’elle n’était pas membre de Humanity First Cameroon et qu’elle n’avait participé qu’à deux réunions de cet organisme;

  • Elle a déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait jamais parlé avec son père au sujet de sa situation, mais la lettre de son père qu’elle a déposée indiquait le contraire.

[8]  Je ne suis pas convaincu que l’application des Directives au moment de son audience devant la SPR auraient permis de traiter l’une ou l’autre de ces contradictions et incohérences, ou que la SPR serait parvenue à une conclusion différente.

[9]  Ce qui est plus important encore, c’est que même si l’agent n’a pas mentionné les Directives, je ne crois pas qu’il a fait fi de celles-ci au moment d’évaluer le bien-fondé de la demande de la demanderesse.  À cet égard, il est important de noter la faiblesse des observations faites à l’agent concernant les raisons pour lesquelles ces Directives auraient pu avoir une incidence sur la décision de la SPR.

[10]  Il faut noter l’absence d’éléments de preuve indiquant que l’application des Directives aurait vraisemblablement changé la décision de la SPR, ou que l’agent a fait fi de ces directives; ainsi, aucune question sérieuse n’est soulevée.

[11]  Comme il a été mentionné par les défendeurs, l’ERAR n’est pas un appel ou un réexamen de la décision de la SPR.  Un agent est tenu de considérer avec soin ces Directives, ce qu’a fait cet agent, et de tenir compte de tout nouvel élément de preuve.  C’est ce que l’agent a fait.  L’agent a expliqué de façon détaillée pourquoi certains des éléments de preuve soumis n’étaient pas nouveaux et pourquoi certains autres n’étaient pas convaincants.  Les motifs invoqués par l’agent sont clairs et intelligibles, tout en satisfaisant au critère de la décision raisonnable.

[12]  Contrairement à l’argument de la demanderesse, je ne suis pas convaincu que l’agent a rejeté les « nouveaux éléments de preuve » provenant des professionnels de la santé.  L’agent a souligné que la SPR n’avait donné aucun poids aux lettres de l’Association pour les survivants de la torture de Vancouver (la VAST) et de l’organisme Rainbow Refugee, et cette conclusion n’a pas été infirmée lors du contrôle.  Il a souligné que même si les lettres soumises par ces organismes étaient plus récentes, cela ne signifie pas qu’elles soient nouvelles, ou qu’elles viennent infirmer la conclusion antérieure.  Cette analyse est juste.

[13]  Pour ce motif, je conclus qu’aucune question sérieuse à trancher n’est soulevée dans la demande sous-jacente.

[14]  De plus, je ne suis pas convaincu que la demanderesse a établi par des éléments de preuve clairs et convaincants qu’elle subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé.  La SPR a déterminé que son récit lié au fait qu’elle prétend être lesbienne n’était pas crédible.  Par conséquent, son affirmation voulant qu’elle fasse l’objet d’un préjudice irréparable en raison de son orientation sexuelle n’est pas convaincante.  Elle mentionne qu’elle s’est mariée récemment avec une lesbienne au Canada et que, par conséquent, elle sera perçue comme étant une lesbienne, ce qui l’expose à des risques au Cameroun.  J’estime que cette conclusion est spéculative et hypothétique.

[15]  Enfin, la prépondérance des inconvénients est favorable aux défendeurs.  La demanderesse est au Canada depuis 2014.  Elle a soumis une demande d’asile qui a été rejetée, a présenté une demande de contrôle judiciaire que la présente Cour a refusée et a obtenu deux décisions défavorables relatives à l’ERAR.  À défaut de circonstances extraordinaires et d’une évolution importante de celles-ci, la prépondérance des inconvénients pèse en l’espèce en faveur du devoir du ministre d’exécuter l’ordonnance de renvoi du Canada de la demanderesse.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête en sursis de la demanderesse est rejetée.

  2. La Cour ordonne que l’intitulé soit modifié de façon à ajouter le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile aux fins de la présente requête en sursis.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

Dossier : IMM-133-18

INTITULÉ :

EGBE MANKA EBIKA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2018

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

Le 25 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Mojdeh Shahriari

Pour la demanderesse

Edward Burnett

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mojdeh Shahriari

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour les défendeurs

 

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