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Date : 20180124


Dossier : T-759-16

Référence : 2018 CF 66

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

BELL CANADA, BELL EXPRESSVU LIMITED PARTNERSHIP, BELL MÉDIA INC., VIDÉOTRON S.E.N.C., GROUPE TVA INC., ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC., ROGERS MEDIA INC.

requérantes/

demanderesses

et

VINCENT WESLEY faisant affaire sous le nom de MTLFREETV.COM

défendeur/

intimé

et

1326030 ONTARIO INC. faisant affaire sous le nom de ITVBOX.NET ET AL.

défenderesses/

non-intimées

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le 23 février 2017, le protonotaire Morneau a cité pour outrage Vincent Wesley faisant affaire sous le nom de MTL FreeTV.com. Il devait comparaître devant notre Cour afin d’entendre la preuve et de se préparer à invoquer tout moyen de défense qu’il estime convenable. Il a comparu devant la Cour les 27, 28 et 29 février 2017. La présente constitue la décision relative à l’outrage au tribunal dont il était accusé.

[2]  L’ordonnance rendue aux termes de l’article 467 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), reprochait au défendeur les actes suivants :

a)  avoir désobéi aux alinéas 2a), 2b) et 2j) de l’ordonnance d’injonction interlocutoire datée du 1er juin 2016 de la juge Tremblay-Lamer (l’ordonnance d’injonction interlocutoire), ce qui constitue un outrage au tribunal aux termes de l’alinéa 466b) des Règles, en se livrant à l’activité suivante :

(i)  le 13 janvier 2017, avoir mis en vente, configuré et vendu un « boîtier décodeur préinstallé » TX3 Pro (défini à l’alinéa 2a) de l’ordonnance d’injonction interlocutoire);

ce qui constitue :

(i)  la communication au public d’œuvres dont les droits d’auteur appartiennent aux demanderesses, par télécommunication, en violation du paragraphe 2.4(1.1), de l’alinéa 3(1)f) et du paragraphe 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur et des alinéas 2a) et 2j) de l’ordonnance d’injonction interlocutoire;

(ii)  la mise en vente, la vente et la possession d’un boîtier décodeur préinstallé dont l’utilisation prévue est de recevoir les signaux d’abonnement des demanderesses après leur décodage autrement que selon ce qui est autorisé par les demanderesses, en violation de l’alinéa 10(1)b) de la Loi sur la radiocommunication et des alinéas 2b) et 2j) de l’ordonnance d’injonction interlocutoire.

[3]  Essentiellement, le défendeur est accusé d’avoir vendu, le 13 janvier 2017, un dispositif qui est communément appelé « boîtier décodeur ». Le demandeur a prétendument contrevenu à une injonction interlocutoire rendue par ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, le 1er juin 2016 (2016 CF 612) concernant la vente de ces dispositifs.

[4]  Vu que l’ordonnance du protonotaire fait expressément mention des alinéas 2a), 2b) et 2j) de l’injonction interlocutoire, ils sont reproduits intégralement ci-dessous :

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

2.  qu’il soit interdit aux défendeurs et à leurs mandataires, employés, associés et représentants, directement ou indirectement :

a.  de communiquer des œuvres au public par télécommunication dont les droits d’auteur appartiennent aux demanderesses [les programmes des demanderesses], y compris par l’intermédiaire de la configuration, de la publicité, de la mise en vente ou de la vente de boîtiers décodeurs adaptés pour donner aux utilisateurs un accès non autorisé aux programmes des demanderesses [boîtiers décodeurs préinstallés];

b.  de fabriquer, d’importer, de distribuer, de louer, de mettre en vente, de vendre, d’installer, de modifier, d’exploiter ou de posséder des boîtiers décodeurs préinstallés dont l’utilisation prévue est de recevoir les signaux d’abonnement des demanderesses après leur décodage autrement que selon ce qui est autorisé par les demanderesses;

j.  visant plus particulièrement le défendeur Vincent Wesley s/n MtlFreeTV.com, de configurer, de faire la publicité de tout boîtier décodeur préinstallé ayant les caractéristiques énumérées aux paragraphes 2a) à 2e), y compris les boîtiers décodeurs préinstallés MXQ, MXIII et Minix X8-H Plus, de le mettre en vente ou de le vendre.

I.  Comment en est-on arrivé ici?

[5]  Un certain nombre d’événements ayant mené à la présente procédure pour outrage au tribunal peuvent être résumés ainsi aux fins des présentes :

  • Le 12 mai 2016, les demanderesses ont introduit une action contre le défendeur et les autres, après avoir constaté ce qu’elles estimaient être des violations de leurs droits aux termes de la Loi sur le droit d’auteur, LRC (1985), c C-42 et de la Loi sur la radiocommunication, LRC (1985), c R-2. Au départ, l’action visait cinq défendeurs, mais ce nombre s’est déjà accru considérablement en raison de cinq modifications apportées à la déclaration;

  • Peu après, les demanderesses ont sollicité une injonction. Notre collègue la juge Tremblay-Lamer a accordé une injonction interlocutoire le 1er juin 2016.

  • Le défendeur a vendu à des employés des demanderesses, qui prétendaient être des clients, des dispositifs consistant en des boîtiers décodeurs après que l’injonction interlocutoire interdisant certains actes a été accordée. Deux boîtiers décodeurs ont été vendus les 9 juin et 17 juin 2016. Une ordonnance a donc été rendue aux termes de l’article 467 des Règles par le protonotaire Morneau le 18 juillet 2016. Il a modifié cette ordonnance le 5 octobre 2016 pour y ajouter une accusation résultant d’une troisième vente, réalisée par M. Wesley le 29 juillet 2016, cette fois-là quelques jours seulement après l’ordonnance originale citant le défendeur pour outrage au tribunal.

  • Le défendeur a plaidé coupable à l’accusation devant le juge René Leblanc le 21 novembre 2016. Le jugement sur la détermination de la peine (2016 CF 1379) a été rendu le 16 décembre 2016.

  • Les demanderesses allèguent maintenant que, le 13 janvier 2017, après avoir plaidé coupable à une accusation de vente de trois boîtiers décodeurs, le défendeur a vendu un autre boîtier décodeur qui, selon leurs allégations, est, lui aussi, un dispositif dont la vente par le défendeur est interdite par l’injonction interlocutoire du 1er juin 2016;

  • Une autre ordonnance a donc été rendue en application de l’article 467 des Règles, le 23 février 2017. L’ordonnance rendue par le protonotaire Morneau fait mention de l’allégation de violation des alinéas 2a), 2b) et 2j) de l’injonction interlocutoire. Cette accusation – parce que c’est ce que l’ordonnance doit décrire suffisamment en détail – indique que, ce faisant, le défendeur a violé les dispositions suivantes de la Loi sur le droit d’auteur : le paragraphe 2.4 (1.1), l’alinéa 3(1)f) et l’article 27. L’alinéa 10(1)b) de la Loi sur la radiocommunication a aussi été violé.

  • Le 20 mars 2017, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel interjeté à l’encontre de la décision de rendre une injonction interlocutoire (2017 CAF 55). La Cour d’appel était d’avis que le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur manifeste et dominante dans son évaluation des trois éléments conjonctifs du critère à trois volets applicable aux injonctions interlocutoires (RJR–Macdonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311), plus particulièrement en ce qui concerne le préjudice irréparable qui serait causé aux demanderesses si l’injonction interlocutoire n’était pas accordée.

[6]  À cette étape, l’injonction est inattaquable. Son invalidité a été contestée, mais sans succès. L’outrage allégué concernait une ordonnance de la Cour qui a prétendument été enfreinte. L’affaire était claire lorsque la présente demande a été entendue par la Cour. En l’espèce, les demanderesses sollicitent une déclaration de culpabilité entraînant une peine d’emprisonnement qui ne peut être qualifiée que de particulièrement exemplaire. Si une déclaration de culpabilité est prononcée, la peine devra être justifiée. Les demanderesses demandent qu’un mandat d’incarcération soit délivré pour une période d’incarcération de 180 jours. Le défendeur demeurerait incarcéré jusqu’à ce que la moitié d’une amende de 150 000 $ soit payée. Ce n’est qu’à ce moment que le défendeur pourra être libéré, moyennant l’engagement de payer le solde dans les six mois de la mise en libération. Si le défendeur ne respecte pas l’engagement, les demanderesses pourront présenter une requête à notre Cour pour que soit accordée une période d’incarcération supplémentaire de 90 jours. En outre, les demanderesses cherchent à faire séquestrer les stocks du défendeur aux termes de l’article 429 des Règles.

II.  CONTEXTE

[7]  Je suis redevable à la juge Tremblay-Lamer, qui a résumé le substratum du litige. Les paragraphes de son jugement portant sur l’injonction interlocutoire fournissent les renseignements nécessaires pour permettre de comprendre ce qui suivra :

[3]  Les demanderesses Bell Média Inc., Rogers Media Inc. et le Groupe TVA Inc. [les demanderesses média] sont des diffuseurs canadiens bien connus possédant et exploitant plusieurs stations de télévision, diffusant une grande variété d’émissions de télévision pour lesquels ils détiennent les droits canadiens.

[4]  Les demanderesses Bell Canada, Bell Expressvu Limited Partneship, Rogers Communications Canada Inc. et Vidéotron s.e.n.c. [les demanderesses distributrices], sont des entreprises de distribution de radiodiffusion par câble recevant la diffusion de plusieurs stations de télévision et la retransmettant aux usagers par divers moyens de télécommunication.

[5]  Les défendeurs sont des particuliers et des entreprises vendant des boîtiers décodeurs, c’est-à-dire des dispositifs électroniques pouvant être connectés aux télévisions traditionnelles pour y ajouter des fonctionnalités supplémentaires sur lesquels un ensemble d’applications est préalablement installé et configuré. Ceci distingue les boîtiers « préinstallés » des défendeurs de ceux généralement trouvés dans les magasins de vente au détail sans applications préinstallées ou ne possédant que les applications de base, faisant en sorte que les utilisateurs doivent chercher activement et installer eux-mêmes les applications qu’ils souhaitent utiliser.

[6]  Vers le mois d’avril 2015, la demanderesse Bell a découvert que les boîtiers décodeurs préinstallés devenaient une tendance émergente et a commencé à les étudier. Vidéotron a eu connaissance de cette tendance en 2015 et la défenderesse Rogers a entrepris sa propre enquête en 2016.

[7]  Entre avril 2015 et avril 2016, les experts en matière de fraude, de piratage et de technologie des demanderesses ont étudié cette tendance et mis les produits des défendeurs à l’essai. Elles ont découvert que les dispositifs électroniques vendus par les défendeurs pouvaient être utilisés pour accéder à du contenu protégé produit ou retransmis par les demanderesses à l’aide de sites Web de diffusion en continu et que les défendeurs faisaient la publicité de leurs produits en les présentant comme des moyens d’avoir gratuitement accès à la télévision et d’éviter d’avoir à en payer la facture. Elles ont également observé une augmentation importante de la présence des boîtiers décodeurs préinstallés, ce produit ayant fait son apparition dans les salons professionnels et étant vendu dans des magasins traditionnels.

[8]  Les demanderesses ont identifié trois types d’applications préinstallées qui pourraient être utilisées pour avoir accès à du contenu protégé par le droit d’auteur.

A.  KODI : en ayant les extensions appropriées, le diffuseur de médias à code source libre KODI peut être utilisé pour accéder à des sites web de diffusion en continu;

B.  Showbox : le logiciel de diffuseur médias Showbox peut être utilisé pour accéder à des sites web de diffusion en continu et pour télécharger du contenu tel que de la programmation télévisuelle et des films.

C.  Services privés IPTV : il s’agit de serveurs Internet privés qui retransmettent des émissions de télévision par l’intermédiaire d’Internet, moyennant généralement des frais mensuels.

III.  Les faits

A.  Les enquêteurs

[8]  Deux témoins ont témoigné concernant l’acquisition d’un boîtier décodeur et la façon dont l’acheteur était censé utiliser ce boîtier décodeur afin d’avoir accès illégalement à la programmation des demanderesses.

[9]  Le premier témoin est Jonathan Sansoucy. Il travaille comme enquêteur au service de Vidéotron, l’une des demanderesses, depuis le mois d’août 2016. Il travaillait déjà au service de Vidéotron auparavant. Son superviseur, Gabriel Lewis, lui a demandé d’acheter un boîtier décodeur de l’entreprise commerciale que contrôle M. Wesley, MTLFreeTV.com. M. Wesley fait affaire sous le nom de « MTLFreeTV.com ». Pour ce faire, il a fallu fixer un rendez-vous auprès de M. Wesley au mois de janvier 2017, contrairement à la pratique observée en 2016, par l’entremise du site Web de son entreprise. La pièce P-3 est présentée comme preuve de ce nouveau site. L’examen de la pièce P-3 révèle qu’il faut communiquer avec MTLFreeTV et répondre à des questions telles que, [traduction] « Comment avez-vous entendu parler de nous? » et [traduction] « Comment pouvons-nous vous aider? », et décrire la demande. L’enquêteur a suivi les directives fournies et a apparemment réussi à fixer un rendez-vous sans problème, comme en témoigne la pièce P-11, l’échange de courriels avec le défendeur pour fixer le rendez-vous.

[10]  En outre, l’enquêteur avait en sa possession un enregistreur audio qu’il a mis en marche lorsqu’il a quitté le stationnement pour pénétrer sur les lieux de M. Wesley. L’enregistreur audio est produit en preuve sous la cote P-12. J’ai écouté l’enregistrement.

[11]  Lorsque M. Sansoucy est parvenu à la pièce, dans un immeuble quelconque, qui sert d’établissement commercial à M. Wesley, il a décrit les lieux comme étant une pièce de 15 pieds sur 20 pieds environ. Des boîtiers décodeurs et un téléviseur se trouvaient sur une table placée dernière un comptoir en forme de « L ». Un autre téléviseur se trouvait dans une aire dans laquelle les clients pouvaient circuler librement.

[12]  On pouvait voir sur le téléviseur qui était facilement accessible aux clients une page montrant un certain contenu, tel que « Mobdro », « KODI » et « Showbox ». Lorsqu’il a pu parler à M. Wesley, M. Sansoucy a demandé si l’on pouvait avoir accès à un contenu tel que Netflix et YouTube. Il a acheté un boîtier qui était présenté comme étant le modèle « TX3 Pro ».

[13]  M. Wesley a indiqué que différents boîtiers possèdent différentes caractéristiques, par exemple, leur puissance et leur vitesse, mais qu’ils ont essentiellement tous la même utilité.

[14]  Le boîtier dont M. Sansoucy a fait l’achat était présenté comme n’ayant pas d’applications déjà configurées. Lors du contre-interrogatoire qu’il a mené, l’avocat de M. Wesley a insisté sur le fait que son client avait informé M. Sansoucy que le boîtier acheté n’était pas configuré. M. Sansoucy a déclaré qu’il y avait eu une discussion au sujet de la possibilité de configurer le boîtier et de recourir à des tutoriels, comme celui figurant à la pièce P-9, qui étaient faciles à utiliser.

[15]  Ainsi, le témoin a payé 100 $, en espèces, pour l’achat du boîtier TX3 Pro en question. Il a reçu un sac violet contenant le boîtier TX3 Pro et un clavier sans fil. Des dépliants pour aider à effectuer la configuration requise étaient aussi offerts. La pièce P-8 correspond au contenu du sac et aux dépliants acquis durant la visite du 13 janvier 2017. La pièce P-9 est une feuille qui comporte un code à barres donnant accès directement à une page YouTube à laquelle se trouve le tutoriel vidéo (pièce P-15).

[16]  Le rôle de ce témoin était d’acheter l’article et de le donner à M. Lewis le 13 janvier 2017, le jour de l’achat. Il n’a pas fait fonctionner le boîtier décodeur acheté le 13 janvier 2017. Il l’a donné, de même que le contenu du sac violet, à M. Lewis.

[17]  M. Lewis est gestionnaire du service de la fraude et des enquêtes de Vidéotron et le superviseur de M. Sansoucy. Il occupe ce poste depuis 2011. Il a reçu directement l’article et a tenté de l’utiliser immédiatement comme quiconque le ferait à la réception du dispositif.

[18]  Il a déclaré qu’il a commencé à s’intéresser à l’entreprise de M. Wesley au printemps de 2016. À compter du 22 avril 2016, il était possible d’acheter des produits de M. Wesley. À ce moment, les acheteurs pouvaient se rendre sur les lieux sans rendez-vous. Il a confirmé que le croquis des lieux figurant à la pièce P-14 correspondait au plan des lieux au printemps de 2016.

[19]  M. Lewis était en réalité le seul témoin cité par les demanderesses pour établir les éléments constitutifs essentiels de l’accusation. C’est lui qui a reçu le dispositif en cause et qui l’a fait fonctionner les 13, 16 et 27 janvier 2017. Il a documenté son « expérience de l’utilisateur » du début à la fin.

[20]  Le témoin a acheté le premier boîtier, le 22 avril 2016, soit le boîtier ayant servi à obtenir l’injonction interlocutoire prétendument enfreinte en l’espèce. M. Lewis a témoigné concernant l’expérience de l’utilisateur de dispositifs qui sont devenus l’objet de la première procédure pour outrage au tribunal. La Cour a reçu la page d’accueil, produite en preuve sous la cote P-22, que l’on verrait après la mise sous tension des dispositifs. Ce qui est important aux fins des présentes est que l’utilisateur aurait pu se rendre directement à des sites Web contrevenants à partir de la page d’accueil. Le client n’avait aucune opération préalable à effectuer : il pouvait avoir accès au site sans aucune étape ni opération intermédiaire.

[21]  L’expérience de l’utilisateur était différente lorsque M. Lewis a fait fonctionner le dispositif le 13 janvier 2017, lequel fait l’objet de la présente instance. Une fois que M. Sansoucy eût apporté les articles achetés plus tôt le 13 janvier (pièces P-26 et P-8), à environ 15 h le jour même, M. Lewis a branché le dispositif et s’est mis à suivre les étapes figurant dans la page elle-même.

[22]  Comme il est devenu évident durant l’audience, la principale différence entre l’expérience de l’utilisateur du 13 janvier 2017 et celle concernant les dispositifs utilisés précédemment qui ont été visés dans le cadre de la première procédure pour outrage au tribunal est le fait que le client qui utilise les dispositifs en cause doit exécuter les étapes qui figurent à l’écran.

[23]  Le témoin a documenté son expérience en prenant plusieurs photographies (pièces P-27, P-28 et P-29).

[24]  M. Lewis a déclaré qu’il a [traduction] « cliqué » sur l’icône appelée FTMC3, dans la page d’accueil, ce qui l’a amené à ce qu’on peut voir à la pièce P-29. Comme le montre la pièce, on peut y lire la mention [traduction] « cliquez ici pour terminer l’installation de MFTMC ». Ce témoin a « cliqué », ce qui l’a amené à la mention [TRADUCTION] « config MFTMC-9 % », qui indique que la configuration est en cours. La troisième photographie montre que [traduction] « [l’]installation de MFTMC est maintenant réussie ». Une fois installé, le MFTMC peut être utilisé afin d’avoir accès au contenu qui est prétendument protégé par la loi. La dernière photographie à la pièce P-29 constitue ce que le témoin a capté du contenu qu’il a découvert à 15 h 51 le 13 janvier 2017. Le témoin est parvenu à l’image photographiée environ quatre minutes après avoir cliqué sur la page qui indique [traduction] « cliquez ici pour terminer l’installation de MFTMC ».

[25]  Le 27 janvier 2017, le témoin a énuméré des réseaux et des émissions auxquels, selon lui, le dispositif acheté le 13 janvier 2017 a donné accès. Les résultats sont présentés à la pièce P-30.

[26]  Le témoin a remis le dispositif en cause à l’avocat quelque temps après le 27 janvier. Il a prétendu que le dispositif avait été conservé en un lieu sûr (l’[traduction] « abri fortifié ») pendant la période où il en avait le contrôle.

[27]  Le contre-interrogatoire a été étonnamment bref. L’avocat a demandé pourquoi le témoin n’avait pas filmé son expérience de l’utilisateur, plutôt que de créer plusieurs photographies, qui n’étaient pas du tout horodatées. De même, le témoin n’a pas pu préciser pour l’avocat la date exacte du transfert du dispositif en cause à l’avocat des demanderesses, même si ces renseignements auraient pu être obtenus au besoin. Le témoin a fait le même commentaire concernant le moment précis auquel il a pris les photographies.

B.  La défense

[28]  Le défendeur a décidé de présenter une défense à l’accusation. M. Wesley a témoigné en premier, suivi d’un expert qu’il avait retenu.

[29]  Le témoin a affirmé qu’il n’avait pas vendu de dispositif qui était [traduction] « préinstallé ». Il a déclaré qu’il avait dit à M. Sansoucy, lors de leur rencontre, qu’il serait obligé d’installer lui-même le programme. La seule explication fournie par M. Wesley est celle qu’il avait décidé de faire preuve d’une extrême prudence, puisqu’il avait été déclaré coupable et qu’il ne [traduction] « mettait rien dans le dispositif ».

[30]  Lors du contre-interrogatoire, il a été établi que M. Wesley n’a aucun employé. L’avocat a questionné le témoin concernant les dispositifs qu’il avait achetés au fil du temps. Le dernier achat de [traduction] « boîtiers » aurait été effectué aux mois d’octobre et de novembre 2016. Chaque année, il achetait environ de 400 à 600 [traduction] « boîtiers ». De plus, il avait mis à jour son site Web (MTLFreeTV.com) récemment (au début du mois de juin 2017). M. Wesley a aussi été questionné sur le contenu affiché dans son nouveau site Web à compter du 22 juin 2017 (pièce P-32).

[31]  Les questions portaient sur les prix des produits offerts par M. Wesley, comparativement à ceux de produits offerts par un fournisseur bien connu de matériel électronique. Ces produits ont fait leur apparition dans le site Web de M. Wesley pour la première fois au mois de juin 2017, bien qu’il en aurait eu quelques-uns avant de les annoncer au mois de juin. En fin de compte, la preuve établit que les prix des produits offerts par M. Wesley ne sont jamais inférieurs à ceux des produits offerts par de grands distributeurs et que les distributeurs annoncent en fait ces produits à des prix nettement inférieurs après le calcul des remises. M. Wesley a expliqué que les grands distributeurs peuvent faire l’acquisition de marchandises à moindre prix.

[32]  Le témoin a été questionné au sujet de la pièce P-9, une sorte de publicité au recto et au verso d’un dépliant publicitaire annonçant MTLFreeTV que M. Sansoucy a remis à M. Wesley le 13 janvier 2017. On peut lire dans le dépliant : [traduction] « Le boîtier qu’ils ne veulent pas que vous possédiez ». M. Wesley a reconnu que ce boîtier désigne le type de dispositif qui nous occupe et que le pronom [traduction] « ils » désigne les demanderesses et d’autres personnes. On lui a ensuite posé des questions au sujet de la pièce P-17, un article publié par CBC News au mois de juin 2017 et intitulé [traduction] « Les applications de diffusion en continu pour boîtier Android servant à obtenir des services de “télé gratuite” disparaissent à la suite d’une menace de poursuite aux É.-U. ». M. Wesley est cité dans l’article. Il a reconnu l’exactitude du passage suivant :

[traduction] M. Wesley prétend qu’il y a encore de nombreux marchands qui tentent de vendre des boîtiers et qu’une poursuite judiciaire ne peut tuer l’industrie. Il a affirmé qu’il en est de même pour le milieu des applications complémentaires, même si l’avenir de TVAddons est mis en doute.

« C’est décidément un coup dur pour le milieu, mais ce n’est pas un coup fatal », M. Wesley a-t-il affirmé. Il fait remarquer qu’il y a de nombreuses applications semblables offertes sans lien avec TVAddons.

Une nouvelle marque pour TVAddons?

M. Wesley croit aussi que, même si TVAddons cessait ses activités, elle pourrait être renommée et renaître sous un autre nom.

« C’est un énorme inconvénient et désagrément que d’avoir à recommencer à zéro, mais cela peut se faire », affirme-t-il. « Vous n’êtes plus un complément à la télévision sous la bannière “TVAddons”; vous êtes maintenant des “applications complémentaires de diffusion en continu” et vous passez à autre chose en quelque sorte ».

M. Wesley a indiqué lors de son réexamen qu’il parlait en termes généraux lorsqu’il a été cité par CBC News.

[33]  Lors de son contre-interrogatoire, M. Wesley a continué d’affirmer qu’il vendait des [traduction] « boîtiers pour grand public ». Ses dispositifs vendus au mois de janvier 2017 ne comportaient pas d’[traduction] « applications complémentaires ». Il ne vendait pas de boîtiers décodeurs dotés d’applications. Il n’a toutefois fourni aucune preuve des dispositifs qu’il vendait ni des boîtiers qu’il avait fournis à son expert, M. Laycraft, aux fins des essais que ce dernier aurait menés en Colombie-Britannique. N’ayant pas le fardeau de preuve, il n’a pas ressenti le besoin d’apporter un spécimen des boîtiers décodeurs. Si le boîtier vendu le 13 janvier était doté d’applications complémentaires, celles-ci ont dû être installées après la vente du boîtier à M. Sansoucy.

C.  Les experts

[34]  Le défendeur a produit en preuve ce qui a été présenté comme le témoignage d’expert de M. William Laycraft, un employé de ReStoring Data, une entreprise commerciale exerçant ses activités en Colombie-Britannique. Comme le témoin l’a expliqué, ReStoring Data, comme son nom le laisse entendre, aide à la recherche et à la récupération de données perdues. Les parties ont consenti à ce que leurs témoins pour les questions d’ordre technique témoignent en tant qu’experts sans qu’un voir-dire ne s’impose.

[35]  Ainsi, les demanderesses n’ont pas fait opposition au témoin en vue de le disqualifier comme expert; elles se sont plutôt concentrées sur la valeur probante de son témoignage.

[36]  M. Laycraft s’est présenté à titre d’[traduction] « analyste judiciaire en informatique » qui aiderait la Cour à deux égards : quant au [traduction] « bien-fondé sur le plan de l’expertise judiciaire en informatique » des techniques employées par M. Lewis et concernant un examen d’un boîtier décodeur TX3 Pro qui, prétendent les demanderesses, a été acheté par l’un de leurs mandataires le 13 janvier 2017.

[37]  Il n’est toujours pas clair, malgré les questions posées à répétition, ce que le recours à [traduction] « l’expertise judiciaire en informatique » ajoute à l’examen de la présente affaire. Le Canadian Oxford Dictionary définit le mot « forensic » (en français, « criminalistique ») comme étant employé dans le contexte des tribunaux judiciaires, surtout en relation avec la détection de crimes. Nous savons que la médecine légale constitue l’application du savoir médical aux problèmes juridiques. De même, les sciences judiciaires supposent l’application de techniques biomédicales ou d’autres techniques médicales aux enquêtes criminelles. Dans le cas qui nous occupe, il restait à déterminer quelle discipline, qu’elle s’apparente à la médecine, à la comptabilité ou à quelque méthodologie scientifique, le témoin appliquait à la détection de crimes ou à une question juridique quelconque. En effet, on pourrait penser qu’il appartient à la Cour de juger de l’admissibilité d’un élément de preuve et de sa valeur probante.

[38]  Le témoin n’a pas de formation en génie électronique ni aucune formation scientifique semblable. Au moment de son témoignage, il avait obtenu un baccalauréat en technologie des enquêtes judiciaires (option des cybercrimes) au British Columbia Institute of Technology. Il n’avait jamais témoigné devant un tribunal judiciaire (bien qu’il doive, bien entendu, y avoir une première fois) et ses antécédents ne laissent pas croire en une expertise particulière. Dans son curriculum vitæ présenté à l’appui de son témoignage, il énumère les tâches ci-après dans le cadre des fonctions d’[traduction] « analyste judiciaire en informatique », poste qu’il occupe depuis seulement le mois de janvier 2017 :

  • utiliser diverses techniques pour avoir accès à des données qui peuvent revêtir une valeur probante pour les clients et organiser ces données;

  • analyser les renseignements obtenus aux fins de dossiers d’expertise judiciaire en informatique et faire rapport sur ces renseignements;

  • rédiger des rapports de manière acceptable pour le ressort visé;

  • comparaître en cour sur demande pour être contre-interrogé;

  • contribuer aux dossiers de récupération de données.

[39]  La portée restreinte du témoignage rendu et des résultats présentés, et l’absence de résultats, pourraient permettre d’expliquer pourquoi l’expertise de ce témoin n’a pas été mise en doute. Les demanderesses étaient plutôt d’accord pour que la preuve soit examinée pour sa valeur probante plutôt que d’être exclue pour manque de connaissance spécialisée pertinente (R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23; [2015] 2 RCS 182).

[40]  De toute façon, il continue d’être du ressort du juge des faits d’évaluer de façon critique la preuve produite par les « experts » (R c Bingley, 2017 CSC 12).

[41]  M. Laycraft a rendu un témoignage concernant le bien-fondé des [traduction] « techniques » utilisées par M. Lewis. Il a conclu que M. Lewis aurait dû créer une copie [traduction] « vérifiable » de la preuve avant d’effectuer toute opération sur le dispositif acquis au mois de janvier 2017. Dans son rapport, il a décrit la création d’une telle copie comme étant [traduction] « la meilleure pratique la plus fondamentale pour le traitement de la preuve numérique ». Cela consiste à copier la mémoire interne lors de l’achat du dispositif.

[42]  Il semble que sa [traduction] « préoccupation » découle de sa prétention selon laquelle M. Lewis [traduction] « a mis en marche le dispositif et a fait des modifications aux dossiers et aux réglages d’un élément de preuve » (rapport de M. Laycraft, à la page 8 sur 20). L’horloge du système aurait revêtu un intérêt particulier pour le témoin. Je constate que le témoin a fait la déclaration suivante dans son rapport : [traduction] « Je comprends qu’il serait difficile d’un point de vue technique de créer une copie de la mémoire interne du dispositif TX3 Pro aux fins d’analyse » (rapport de M. Laycraft, à la page 8 de 20). Il est toutefois d’avis que l’enquêteur devrait pouvoir apprendre la façon de le faire. Il demeurait très incertain en quoi cela aurait pu changer l’expérience de l’utilisateur une fois le dispositif mis en marche pour la première fois.

[43]  La seconde série d’observations visait l’expérience qui devait être menée par le témoin à l’aide du dispositif en cause le 15 mai 2017. Elle s’est avérée infructueuse.

[44]  Il semble que M. Laycraft ait tenté de copier la mémoire interne du dispositif acheté, le boîtier décodeur TX3 Pro Android OS. Avant le 15 mai 2017, il avait élaboré un protocole, en utilisant deux dispositifs, fournis par l’accusé, mais non produits à l’audience. Les seuls renseignements fournis étaient que l’un était préinstallé, peu importe ce que cela signifie, et l’autre ne l’était pas, de telle sorte que l’expert a comparé les deux, aux dires du défendeur, pour tenter de contourner le système d’exploitation afin de copier la mémoire interne. M. Laycraft a tenté d’utiliser la version 3.0.2-0 de l’application Team Win Recovery Project (TWRP). Très peu de renseignements ont été fournis par le témoin quant à la description de cet outil. Les meilleurs renseignements qu’on puisse trouver figurent à la page 5 de 20 du rapport :

[traduction] À propos de l’outil de publication de TWRP, Team Win LLC : [modifié par souci de clarté et de concision]

TWRP est un projet communautaire ouvert. Team Win a été créé à l’origine aux fins du portage de WiMAX à CM7 pour le HTC EVO 4G. Après nos travaux sur l’EVO 4G, nous voulions travailler à un projet adaptable à d’autres dispositifs que seulement l’EVO 4G et avons arrêté notre choix à travailler à une récupération. De nos jours, TWRP est le principal outil de récupération pour les téléphones Android.

Aucune autre explication concernant l’outil n’a été fournie dans le rapport ou au procès. On a toutefois souligné que TWRP semble être utilisé, vraisemblablement avec un certain succès, dans le cas des téléphones Android. Le dispositif à l’examen n’est pas un téléphone Android.

[45]  Le rapport et le témoignage vont dans le même sens. La tentative qui a été faite le 15 mai 2017 pour récupérer des renseignements du dispositif acheté s’est soldée par un échec.

[46]  Le témoin a prétendu qu’il a appliqué sa technique aux deux dispositifs fournis par le défendeur. Aucune précision concernant cette expérience initiale n’a toutefois été offerte. Le témoin écrit donc, à la page 13 de 20 de son rapport, concernant l’utilisation des deux spécimens fournis par M. Wesley : [traduction] « Je présume que le dispositif produit en preuve est de la même marque et du même modèle et qu’il provient du même lot de fabrication, et qu’on peut s’attendre à ce qu’il fonctionne de la même façon » [non souligné dans l’original]. Le témoin a reconnu qu’il s’agit d’une importante hypothèse qu’il estime néanmoins être très probablement correcte [traduction] « selon mes observations, les affidavits des demanderesses [et] les déclarations de M. Wesley ». Une fois de plus, il n’y a aucune explication quant à la raison pour laquelle ces éléments pourraient étayer l’opinion voulant que les deux spécimens de dispositifs puissent probablement être utilisés parce qu’ils sont identiques ou très semblables. De plus, le témoin n’a pas expliqué ce qui avait été réalisé avec les deux spécimens à l’égard desquels le TWRP aurait été appliqué. En fait, la preuve ne fait qu’indiquer que la technique a été appliquée avec succès aux deux unités fournies par M. Wesley. Peu importe quel succès a été obtenu, le témoin était néanmoins incapable de le reproduire dans le cas du dispositif acheté le 13 janvier 2017.

[47]  En outre, étant donné que le témoin avait tenté d’effectuer des essais sur le dispositif, le 15 mai dernier, il a avoué dans son rapport qu’il avait fait face à des [traduction] « difficultés d’ordre technique ». En fin de compte, il semble que le témoin ait tenté d’obtenir une copie vérifiable exacte de la mémoire interne du dispositif. L’objectif du témoin était de rechercher le moment et la façon dont tout contenu violant le droit d’auteur aurait été inclus dans le dispositif dans l’espoir d’établir les modifications que les demanderesses ou une personne inconnue auraient apportées au dispositif pendant qu’elles en avaient la possession. M. Laycraft n’a jamais pu effectuer sa manœuvre avec succès et a spéculé par la suite que la fente servant à accueillir la carte mémoire micro SD était brisée.

[48]  En conséquence de l’échec du témoin, la seule conclusion que la Cour puisse tirer est qu’elle ne dispose d’aucune preuve. L’expérience effectuée par l’expert a échoué, et rien n’a donc été produit devant la Cour. L’échec n’établit pas la présence dans le dispositif de contenu violant le droit d’auteur; il n’établit certainement pas non plus l’absence d’un tel contenu. En définitive, le témoignage de M. Laycraft n’a été d’aucun secours pour le défendeur ni pour la Cour.

[49]  Dans les circonstances, le témoignage de Tom Warren, l’expert retenu par les demanderesses en réponse à l’expert des défenderesses, est devenu largement superflu. C’est un ancien policier qui possède de l’expérience dans le traitement de la preuve et dans la réalisation d’enquêtes et qui, il y a vingt ans, a fondé Net-Patrol International, Inc. (NPI), qui fournit des services de renseignements et de technologie en informatique et en cybersécurité. M. Warren est actuellement conseiller en technologies de l’information et spécialiste en criminalistique à NPI. Il a aussi occupé des postes de professeur des technologies de l’information à deux collèges du sud de l’Ontario. Il a déjà témoigné comme expert; son expertise n’a pas été contestée devant la Cour.

[50]  En résumé, l’expert a été retenu pour assister à l’exécution par M. Laycraft de son protocole le 15 mai 2017. M. Warren affirme qu’il n’existe pas de procédure reconnue pour créer, traiter et analyser une image du type du dispositif (boîtier décodeur TX3 Pro tournant sur le système d’exploitation Android). Le logiciel que M. Laycraft a tenté d’utiliser n’est pas mûr d’un point de vue technique. Il n’est [traduction] « pas reconnu comme étant fiable dans l’industrie de la criminalistique informatique » (rapport de M. Warren, au sous-alinéa 22d)(iii)). En fait, il a fait remarquer que l’expertise judiciaire en informatique ne comporte aucune procédure qui permette de créer et d’analyser une image du dispositif tel que celui en l’espèce. Ce commentaire n’est pas très différent de celui du M. Laycraft selon lequel [traduction] « il pourrait être difficile d’un point de vue technique de créer une copie de la mémoire interne du TX3 Pro aux fins d’analyse » (rapport de M. Laycraft, à la page 8 de 20). M. Warren a expliqué que TWRP est un logiciel [traduction] « ouvert » qui est toujours en voie de conception par une collectivité de concepteurs en l’absence d’une structure formelle. Son rendement et sa fiabilité n’ont pas été mis à l’épreuve comparativement au rendement et à la fiabilité d’autres outils.

[51]  En ce qui concerne l’expérience qui s’est déroulée le 15 mai 2017, sur le dispositif acheté le 13 janvier 2017, M. Warren a été très critique, compte tenu du manque de matériel de M. Laycraft (un expert apporte son propre matériel et ne se fie pas à celui des autres), face à l’échec répété des différentes tentatives effectuées sur un boîtier de commande. En effet, lorsque, après quatre tentatives infructueuses, M. Laycraft a finalement pu télécharger une image du boîtier de commande sur un dispositif USB, il est demeuré impossible de confirmer si le boîtier de commande comportait la même application que le dispositif acheté, si les paramètres étaient les mêmes et s’il est même possible de traiter l’image afin d’analyser son contenu et de faire rapport sur ce contenu.

[52]  Je constate que M. Warren a donné son avis sur la façon dont M. Lewis a manipulé le dispositif. Il n’est pas très étonnant qu’il ait estimé qu’elle appartenait à un protocole de manipulation adéquat de la preuve.

[53]  Lors du contre-interrogatoire, dont la portée a été très restreinte, il a été établi que l’expert n’avait jamais témoigné au sujet d’un boîtier décodeur. Le témoin a toutefois exprimé l’avis selon lequel l’usage possible de l’horodatage était très incertain, parce que l’heure qui figurait sur le boîtier de commande n’était elle-même pas exacte, alors que la cinquième tentative sur le boîtier de commande a permis d’obtenir certaines indications du temps. Le témoin a confirmé que l’expérience de M. Laycraft a échoué pour de nombreuses raisons. Enfin, il était d’accord pour dire qu’il serait légèrement mieux d’avoir une vidéo de l’expérience de l’utilisateur plutôt que des photographies. Il était d’accord pour dire qu’il serait préférable de connaître l’heure à laquelle cette photographie a été prise.

IV.  Argumentation et analyse

A.  Thèses des parties

[54]  Comme on nous l’a rappelé encore récemment dans l’arrêt R c Bradshaw, 2017 CSC 35, un procès est un processus de recherche de la vérité qui repose sur la preuve qui est présentée :

[19]  Le processus de recherche de la vérité d’un procès repose sur la présentation de la preuve en cour. Les parties présentent leur cause en soumettant au juge des faits des preuves matérielles et des témoignages de vive voix. En cour, les témoins font leur déposition sous serment ou affirmation solennelle. Le juge des faits observe directement les preuves matérielles et entend les témoignages, de sorte qu’il n’y a aucun risque que la preuve soit rapportée de manière inexacte. Ce processus procure au juge des faits des outils solides pour apprécier la véracité de la preuve et en évaluer la valeur. Pour savoir si un témoin dit la vérité, le juge des faits peut observer son comportement et juger si le témoignage résiste à l’épreuve d’un contre-interrogatoire (R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, au paragraphe 35).

La Cour ne peut soupeser que la preuve qui été présentée au procès pour parvenir à un verdict.

[55]  En l’espèce, la Cour doit être convaincue hors de tout doute raisonnable. Le libellé de l’article 469 des Règles est on ne peut plus clair :

Fardeau de preuve

Burden of proof

469 La déclaration de culpabilité dans le cas d’outrage au tribunal est fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable.

469 A finding of contempt shall be based on proof beyond a reasonable doubt.

[56]  Le défendeur a décidé de soutenir que les demanderesses ne s’étaient pas acquittées de leur fardeau : il a soutenu que la preuve n’avait pas été établie hors de tout doute raisonnable. L’article 470 des Règles dispose que « les témoignages dans le cadre d’une requête pour une ordonnance d’outrage au tribunal […] sont donnés oralement ». Même si « [l]a personne à qui l’outrage au tribunal est reproché ne peut être contrainte à témoigner » (paragraphe 470(2) des Règles), le défendeur a décidé de témoigner et de nier avoir offert en vente un dispositif qui était [traduction] « préinstallé ». Il ne s’agit pas ici d’affidavits produits lors d’une audience ex parte : les éléments de preuve ont été vérifiés dans la mesure où les parties ont décidé de vérifier les éléments de preuve lorsque les témoins qui ont comparu à l’instruction ont été contre-interrogés.

[57]  L’affaire se résume aux témoignages de témoins qui ont comparu au nom des demanderesses et qui déclarent qu’ils ont acheté un boîtier décodeur du défendeur. Lorsqu’ils ont tenté d’utiliser le boîtier, ils ont jugé qu’il se distinguait des autres boîtiers achetés par le passé, qui permettaient à l’utilisateur de mettre en marche le dispositif et d’avoir accès immédiatement à des icônes qui permettaient l’accès direct à un contenu. Cette fois-ci, M. Lewis a plutôt témoigné qu’il y avait des étapes à franchir pour avoir accès à ce qui est prétendument un contenu illicite. Les étapes à franchir étaient toutefois minimes. En cliquant sur l’icône MFTMC3, qui apparaît dans la page d’accueil (pièce P-27) lorsque l’utilisateur met en marche le dispositif, le témoin est immédiatement acheminé à une page dans laquelle il lui est indiqué : [traduction] « cliquez ici pour terminer l’installation de MFTMC » (pièce P-29). On peut voir dans cette même page le logo utilisé par M. Wesley et qui est intitulé « MTLFREETV » ainsi que la mention de trois sites Web. Une fois l’installation terminée, l’utilisateur est informé que l’installation de MFTMC est réussie et que le site Web www.mtlfreetv.com peut être consulté pour obtenir un éventuel soutien. Du moment que l’installation est amorcée jusqu’au moment où le témoin a eu accès au contenu prétendument illicite, il ne se serait écoulé que quelques minutes selon le témoin. Le témoin a déclaré qu’un examen plus approfondi du contenu auquel l’utilisateur a accès a révélé de nombreuses chaînes et émissions des demanderesses (pièce P-30). Les demanderesses soutiennent qu’il s’agit là des faits requis pour établir hors de tout doute raisonnable l’outrage au tribunal reproché. Je constate que l’« expérience de l’utilisateur » n’a pas été vérifiée lors du contre-interrogatoire.

[58]  Les demanderesses ajoutent à leurs éléments de preuve un certain nombre d’éléments de preuve circonstancielle pour étayer leur prétention :

  • a) le recours à un immeuble quelconque dans lequel M. Wesley exploite son entreprise pourrait permettre de croire qu’il souhaite l’exploiter discrètement;

  • b) avant la déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal, il n’était pas nécessaire de fixer un rendez-vous afin de pouvoir pénétrer les lieux de l’entreprise;

  • c) l’achat d’un dispositif [traduction] « de base pour grand public » de MTLFREETV n’est pas une aubaine, comparativement à l’achat d’autres dispositifs vendus par d’autres fournisseurs bien connus de produits électroniques;

  • d) dans un reportage de CBC News que M. Wesley n’a pas contesté, il prétend qu’une poursuite judiciaire ne fera pas mourir l’avenir des [traduction] « applications complémentaires ». Selon le reportage [traduction] « M. Wesley croit aussi que, même si TVAddons cessait ses activités, elle pourrait être renommée et renaître sous un autre nom ». On pourrait dire que c’est essentiellement ce que M. Wesley a fait en l’espèce, en prétendant que le fait d’exiger que le client effectue l’installation de services complémentaires soustrait l’affaire à l’application de l’injonction.

[59]  En revanche, le défendeur prétend qu’il n’a rien préinstallé dans le boîtier qui a été vendu aux enquêteurs. Le défendeur a clairement affirmé tout au long de la procédure qu’il n’accusait pas les demanderesses ni ses mandataires d’avoir installé ce qui n’était pas dans le boîtier décodeur lorsqu’il a vendu le dispositif à M. Sansoucy le 13 janvier 2017. Il n’a toutefois pas contesté lors des contre-interrogatoires des deux témoins cités par les demanderesses l’allégation de possession du dispositif, pas plus qu’il n’a attaqué leur crédibilité.

[60]  L’avocat du défendeur admet, ce qui est quelque peu étonnant, qu’une simple dénégation ne suffira pas nécessairement à susciter un doute raisonnable. En effet, le défendeur n’a pas expliqué à la barre des témoins ce qu’il entendait par la préinstallation d’un boîtier décodeur. Il s’est plutôt concentré sur la façon dont l’enquête a été menée. À son avis, certains facteurs ajoutent du poids à la dénégation.

[61]  Sans pointer les demanderesses du doigt, en les accusant d’avoir installé le MFTMC dans le dispositif ou d’avoir modifié le dispositif, le défendeur cherche à susciter un doute raisonnable en écartant certains des éléments de preuve produits par les demanderesses et en laissant entendre que la preuve n’était pas adéquate au point de satisfaire au critère de la preuve hors de tout doute raisonnable :

  • a) le fait que le défendeur exerce ses activités dans un immeuble indescriptible arborant le nom « U-Haul » (pièce P-33), puisque les autres locaux loués semblent être des bureaux (Déneigement X, Déneigement Y, Impôt Z, Math Education Center, etc.; voir la pièce P-13) n’est pas décisif aux dires du défendeur;

  • b) le fait qu’il n’exerçait ses activités que sur rendez-vous après avoir plaidé coupable à la première accusation d’outrage au tribunal pourrait s’expliquer du fait qu’il avait un nouvel emploi;

  • c) la différence entre le prix des dispositifs vendus par M. Wesley et les prix affichés par les grandes chaînes de distribution est sans importance, les prix étant essentiellement identiques, affirme M. Wesley;

  • d) la preuve produite par les demanderesses n’est pas aussi bonne qu’elle aurait pu l’être : plutôt que des photographies, une vidéo faite par les enquêteurs ou une démonstration aurait dû être offerte. En outre, les photographies qui ont été prises auraient dû être horodatées. Les enquêteurs n’ont pas pris de notes précises concernant le moment du transfert du dispositif à l’avocat. Aucune explication n’a toutefois été fournie de ce que cela implique ou, autrement dit, de la différence que cela aurait pu faire compte tenu de l’« expérience de l’utilisateur »;

  • e) la chaîne de possession du dispositif, une fois acheté par M. Wesley, serait déficiente;

  • f) le principal enquêteur, M. Lewis, n’a pas horodaté les éléments de preuve qu’il a fournis, et il semble qu’il n’avait pas de notes concernant les événements qu’il a relatés.

En d’autres termes, le défendeur soutient que les éléments de preuve étaient moins que parfaits et que les autres éléments corroborants peuvent être expliqués.

[62]  Ces éléments appartiennent à diverses catégories. Certains des éléments produits par les demanderesses tendraient à prouver que M. Wesley connaissait le produit qu’il vendait et savait qu’il était illégal. En ce qui concerne la prétendue déficience de la chaîne de possession, elle peut laisser croire en la modification possible du dispositif après sa vente par M. Wesley; le fait que seules des photographies sont présentées pour étayer le témoignage de M. Lewis toucherait la valeur probante de cet élément de preuve. Le défendeur a aussi laissé entendre que le fait que M. Lewis aurait facilement pu faire une vidéo, plutôt que de prendre de simples photographies, devrait conduire la Cour à tirer une inférence défavorable concernant sa crédibilité.

[63]  Pour résumer, le défendeur a laissé entendre que, non seulement il nie avoir [traduction] « préinstallé » le boîtier vendu le 13 janvier 2017, mais un doute raisonnable devrait naître parce que, selon ma compréhension de l’argument, la qualité de la preuve n’est pas suffisante pour justifier une déclaration de culpabilité.

B.  Discussion

[64]  À mon avis, les faits de l’espèce ont été prouvés hors de tout doute raisonnable. Les arguments à caractère technique avancés au nom de M. Wesley n’ont jamais eu d’emprise compte tenu de la preuve offerte par les demanderesses. Les enquêteurs ont témoigné et ont à peine été contre-interrogés. L’essentiel du témoignage de M. Lewis veut qu’il ait fait fonctionner le dispositif le 13 janvier 2017 lorsqu’il était entièrement neuf, quelques minutes seulement après son achat. Le fonctionnement initial du dispositif a été documenté ce jour-là. L’expérience de l’utilisateur au moment où le dispositif a été mis en marche le 13 janvier n’a jamais été contestée lors du contre-interrogatoire mené par l’avocat. En effet, il n’y a eu aucune contestation active de la chaîne de possession du dispositif, bien que, compte tenu de ce qui a été fait le 13 janvier 2017, elle soit moins importante de toute façon que dans d’autres cas. Selon la preuve, M. Lewis a reçu le dispositif acheté par l’autre enquêteur, l’a fait fonctionner, et l’a conservé en sa possession dans [traduction] « l’abri fortifié ». Il n’y a tout simplement aucune preuve du contraire. Si l’on devait croire M. Lewis, et il n’y a aucune raison de douter de lui, il a documenté son utilisation du dispositif lorsqu’il l’a reçu, et ce, le jour même. La chaîne de possession devient au mieux une question secondaire une fois que l’expérience de l’utilisateur a été établie.

[65]  Le fait qu’il a pris des photographies durant les étapes qu’il a suivies lorsqu’il a été invité à les suivre, après avoir cliqué sur l’icône MFTMC3 dans la page d’accueil apparaissant dans le dispositif lorsqu’il est branché, plutôt que de faire une vidéo de la séquence au complet, signifie qu’un élément de preuve plus probant aurait pu être créé. À moins que le défendeur n’allègue que M. Lewis tentait de dissimuler un élément de preuve, cependant, on peut difficilement comprendre en quoi cela peut, en soi, poser problème. En effet, le témoignage d’un témoin peut suffire dans une simple poursuite. Les photographies qui ont été prises étayent le récit des événements. La question dont la Cour est saisie est celle de savoir si les éléments de preuve produits par les demanderesses suffisent à établir la preuve hors de tout doute raisonnable. Comme je l’ai fait remarquer à l’audience, ce n’est pas parce qu’une personne est témoin de voies de fait pendant qu’elle est en possession d’un appareil-photo, mais qu’elle ne l’utilise pas, que son témoignage ne suffira pas à établir l’infraction. Elle peut être contre-interrogée sur la qualité de ses observations, mais son témoignage peut très bien être retenu même s’il est contesté. L’expérience de l’utilisateur en l’espèce n’a jamais été contestée.

[66]  Si le récit de l’expérience de l’utilisateur, que le témoin a affirmé s’être déroulée les 13, 16 et 27 janvier 2017, n’est pas contesté lors du contre-interrogatoire ou autrement, sa valeur probante doit tout de même être soupesée. Sa valeur probante en l’espèce demeure intacte malgré certains problèmes, tels que la chaîne de possession ou l’absence d’horodatage de toutes les photographies, qui sont largement non pertinents à la lumière du témoignage non contesté rendu sous serment. Il en est ainsi pour la date du transfert du dispositif à l’avocat des demanderesses. En d’autres termes, rien d’important ne dépend de la chaîne de possession et de l’horodatage. Cela tient au fait que les éléments de preuve non contestés de l’enquêteur sont l’essentiel; si on y prête foi, ils établissent l’usage qui est fait du dispositif, son fonctionnement et le jour même de son achat. J’ai observé attentivement les témoins des deux demanderesses. Ils ont fait preuve de franchise et ont témoigné sans tenter d’embellir leur témoignage. Leur témoignage était clair et crédible et leur crédibilité n’a pas été contestée.

[67]  De toute façon, il n’y a absolument rien qui indique que la chaîne de possession était déficiente. On n’a jamais présenté un argument concernant l’horodatage malgré les nombreuses tentatives de la Cour d’éclaircir la question auprès de l’avocat du défendeur. Des spéculations, des suppositions ou des suggestions peuvent-elles susciter un doute raisonnable?

Le doute raisonnable

[68]  Les parties n’ont pas discuté lors de l’instruction ce qu’est un doute raisonnable en droit. Il fut un temps où on s’entendait pour dire que l’expression « doute raisonnable » est une expression courante; le droit devrait se fier au bon sens du juge des faits (Glanville Williams, Criminal Law: The General Part (2e éd. 1961), Stevens and Sons Ltd, Londres, page 873). Comme le professeur Williams l’a alors affirmé :

[traduction] L’essentiel de l’objection du lord juge Goddard contre la formule « doute raisonnable » semble avoir été la confusion parfois créée par une tentative improvisée d’expliquer le sens de cette phrase à un jury. Une solution simple serait de se garder de l’expliquer et de se fier au bon sens du jury. Comme le juge Barton l’a affirmé dans une affaire australienne, [traduction] « s’engage dans des eaux troubles quiconque tente de définir avec précision une expression qui est d’un usage courant en faisant référence à ce sujet, et qui est habituellement exprimée à un jury sans être embellie en plus d’être bien comprise ». Certains modes d’embellissement semblent toutefois acceptables. Il n’y a probablement pas de mal à dire au jury, comme le font certains juges, qu’un doute raisonnable est un doute pour lequel un motif raisonnable peut être fourni.

[Non souligné dans l’original.]

Tel n’est pas l’état du droit au Canada.

[69]  Il importe de souligner, tout d’abord, qu’il incombe à la poursuite de prouver le bien-fondé de sa cause hors de tout doute raisonnable tout au long de l’instruction. Si un accusé témoigne et qu’il n’est pas cru, cela ne constitue pas un raccourci pour conclure qu’il est coupable. La Cour devra examiner l’ensemble de la preuve et être « convaincu[e] hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé » (R c W (D), [1991] 1 RCS 742, à la page 758). Il est donc éminemment important de parvenir à une bonne compréhension de la signification juridique de l’expression [traduction] « doute raisonnable ». Par conséquent, la Cour suprême du Canada a tenté de définir la notion de doute raisonnable.

[70]  Dans l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320, un jugement unanime sur la nécessité de définir l’expression « doute raisonnable », la Cour suprême a reconnu que l’expression doit être définie pour aider les jurés en matière criminelle parce les mots qui la composent « ont un sens précis dans le contexte juridique » (au paragraphe 22). Cette orientation est utile.

[71]  Il suffira aux fins des présentes de reproduire le résumé se trouvant aux paragraphes 36 et 37 des motifs du jugement :

36  Il serait peut-être utile de résumer ce que la définition devrait et ne devrait pas contenir. Les explications suivantes devraient être données :

·  la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès pénaux, c’est-à-dire la présomption d’innocence;

·  le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l’accusé;

·  un doute raisonnable ne peut être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé;

·  il repose plutôt sur la raison et le bon sens;

·  il a un lien logique avec la preuve ou l’absence de preuve;

·  la norme n’exige pas une preuve correspondant à la certitude absolue; il ne s’agit pas d’une preuve au-delà de n’importe quel doute; il ne peut s’agir non plus d’un doute imaginaire ou frivole;

·  il faut davantage que la preuve que l’accusé est probablement coupable — le jury qui conclut seulement que l’accusé est probablement coupable doit acquitter l’accusé.

37  Par contre, certaines mentions concernant la norme de preuve requise doivent être évitées. Par exemple :

·  le fait de décrire l’expression « doute raisonnable » comme étant une expression ordinaire, qui n’a pas de sens spécial dans le contexte du droit pénal;

·  le fait d’inviter les jurés à appliquer la même norme de preuve que celle qu’ils utilisent, dans leur propre vie, pour prendre des décisions importantes, voire les plus importantes de ces décisions;

·  le fait d’assimiler preuve « hors de tout doute raisonnable » à une preuve correspondant à la « certitude morale »;

·  le fait de qualifier le mot « doute » par d’autres adjectifs que « raisonnable », par exemple « sérieux », « substantiel » ou « obsédant », qui peuvent induire le jury en erreur;

·  le fait de dire aux jurés qu’ils peuvent déclarer l’accusé coupable s’ils sont « sûrs » de sa culpabilité, avant de leur avoir donné une définition appropriée du sens des mots « hors de tout doute raisonnable ».

[Non souligné dans l’original.]

[72]  Récemment, dans l’arrêt R c Villaroman, 2016 CSC 33; [2016] 1 RCS 1000 [Villaroman], la Cour suprême a précisé l’expression dans le contexte d’une affaire fondée en grande partie sur une preuve circonstancielle. La Cour insiste pour dire que le doute raisonnable est fondé sur la raison et le bon sens et n’est pas imaginaire ou frivole. La poursuite n’a pas à établir « la certitude absolue », mais il doit y avoir un lien logique entre le doute raisonnable et la preuve ou l’absence de preuve. En définitive, ce qui est examiné est le degré de conviction qui autorise à conclure à la culpabilité, ou la certitude que le juge des faits doit avoir de l’accusé afin de pouvoir le déclarer coupable.

[73]  Une difficulté particulière se présente lorsqu’on tente d’établir une distinction entre la conjecture et les thèses plausibles; les thèses plausibles ne suscitent pas un doute raisonnable contrairement à la conjecture. Une lacune dans la preuve peut susciter un doute raisonnable pourvu que les inférences soient raisonnables. Le paragraphe 36 est rédigé en termes :

[36]  Je suis d’accord avec l’intimé pour dire qu’un doute raisonnable, ou une autre thèse que la culpabilité, ne devient pas « conjectural » du seul fait que ce doute ou cette thèse repose sur une absence de preuve. Comme l’a fait remarquer notre Cour dans l’arrêt Lifchus, un doute raisonnable « est un doute fondé sur la raison et le bon sens, et qui doit reposer logiquement sur la preuve ou l’absence de preuve » : par. 30 (je souligne). Une lacune particulière dans la preuve peut fonder d’autres inférences que la culpabilité. Mais ces inférences doivent être raisonnables compte tenu d’une appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant l’expérience humaine et le bon sens.

[Non souligné dans l’original.]

Une fois de plus, l’expérience humaine et le bon sens guideront l’évaluation de la preuve ou de l’absence de preuve. Une autre thèse plausible ou une autre possibilité raisonnable peut être incompatible avec la culpabilité. Malgré cela, elle « doit être basée sur l’application de la logique et de l’expérience à la preuve ou à l’absence de preuve, et non sur des conjectures » (au paragraphe 37). Cela dit, le principe applicable est formulé au paragraphe 38 :

[38]  Il va de soi que la ligne de démarcation entre une « thèse plausible » et une « conjecture » n’est pas toujours facile à tracer. Cependant, la question fondamentale qui se pose est celle de savoir si la preuve circonstancielle, considérée logiquement et à la lumière de l’expérience humaine et du bon sens, peut étayer une autre inférence que la culpabilité de l’accusé.

[74]  Le critère est illustré au paragraphe 42 :

[42]  Le deuxième énoncé est tiré de l’arrêt R. c. Dipnarine, 2014 ABCA 328, 584 A.R. 138, par. 22 et 24-25. Dans cette affaire, la cour a déclaré [traduction] « [qu’il] n’est pas nécessaire que la preuve circonstancielle exclue toute autre inférence imaginable »; que le juge des faits ne devrait pas s’appuyer sur d’autres interprétations des faits qu’il considère déraisonnables; et que les autres inférences susceptibles d’être envisagées doivent être raisonnables, non pas seulement possibles.

La preuve contre le défendeur

[75]  En l’espèce, la preuve contre M. Wesley est solide :

  • a) un boîtier décodeur a été acheté de M. Wesley, l’unique employé de MTLFreeTV;

  • b) le dispositif a été remis directement à M. Lewis, qui s’est mis immédiatement à tenter de l’utiliser; le récit a été documenté par des photographies prises par l’enquêteur. Les éléments de preuve révèlent que l’enquêteur a pu avoir accès à un contenu jugé illicite en suivant certaines étapes lorsqu’il a été invité à le faire. Cette décision de la Commission n’a pas été contestée.

  • c) Contrairement aux dispositifs à l’égard desquels le défendeur a plaidé coupable à des accusations d’outrage au tribunal, celui-ci n’offre cette fois-ci aucun accès direct à un [traduction] « contenu illicite ». Le client doit plutôt suivre des étapes simples lorsqu’il est invité à le faire pour parvenir au [traduction] « contenu illicite ». Essentiellement, lorsque les étapes ([traduction] « cliquez ici pour terminer l’installation de MFTMC » et cliquez sur « OK » une fois qu’apparaît à l’écran la mention [traduction] « L’installation de MFTMC est maintenant réussie ») sont exécutées, il est possible d’avoir le même accès à un [traduction] « contenu illicite ». Le contenu illégitime auquel on peut avoir accès directement est détaillé à la pièce P-30.

Les demanderesses ont témoigné (élément de preuve produit sous la cote P-11) que, depuis la condamnation pour outrage au tribunal vers la fin de 2016, le défendeur exigeait que les clients éventuels fixent un rendez-vous. Le formulaire servant à fixer un rendez-vous comporte la question [traduction] « Comment avez-vous entendu parler de nous? » et l’indication suivante : [traduction] « En raison de l’injonction du Cartel, nous ne répondrons à aucune question concernant la configuration des dispositifs ». Ces questions ne sont pas nécessaires si le seul but est de fixer un rendez-vous en raison de la disponibilité réduite de M. Wesley. De toute évidence, le défendeur voulait faire attention de ne pas enfreindre de nouveau l’injonction. L’idée que le rendez-vous est requis parce que le défendeur a un nouvel emploi n’explique pas pourquoi le questionnaire est rédigé comme s’il s’agissait d’un exercice plus approfondi que d’une simple prise de rendez-vous. Le questionnaire et la mention du [traduction] « Cartel » confèrent un soupçon de méfiance qui ne concorde pas avec le fait d’exercer des affaires ouvertement, surtout s’il est vrai que le défendeur voulait simplement liquider ses stocks.

[76]  M. Wesley fait affaire, par lui-même, sous le nom de « MontrealFreeTV.com ». L’inférence qu’il faut tirer est celle selon laquelle il préfère l’accès à la télévision sans avoir à la payer. Une partie de la programmation télévisuelle demeure accessible sur les ondes, mais l’achat d’un boîtier décodeur n’est pas nécessaire pour y avoir accès : une antenne suffira. En outre, on peut lire au recto et au verso du dépliant publicitaire annonçant MTLFreeTV (pièce P-9) : [traduction] « Le boîtier qu’ils ne veulent pas que vous possédiez! » Comme il a déjà été mentionné, M. Wesley a reconnu que le pronom [traduction] « ils » désigne notamment les demanderesses. En effet, l’article de la CBC (pièce P-17) porte fortement à croire que M. Wesley croit en l’avenir de l’accès libre à la télévision. Il déclare qu’[traduction] « une poursuite judiciaire ne peut tuer l’industrie ». Comme il l’a affirmé :

[traduction] « C’est un énorme inconvénient et désagrément que d’avoir à recommencer à zéro, mais cela peut être fait », affirme-t-il. Vous n’êtes plus un complément à la télévision sous la bannière « TVAddons »; vous êtes maintenant des « applications complémentaires de diffusion en continu » et vous passez à autre chose en quelque sorte.

En effet, ce même article révèle que [traduction] « M. Wesley croit aussi que, même si TVAddons cessait ses activités, elle pourrait être renommée et renaître sous un autre nom ». On fait une petite modification et on change complètement la donne.

[77]  En réalité, on peut difficilement comprendre pourquoi des clients se présenteraient à un immeuble indescriptible (pièce P-33) pour acheter un dispositif et le payer plus cher qu’aux magasins de chaînes réputées si tout ce qui est offert est un modèle « de base pour grand public ». La conversation entre M. Sansoucy, l’enquêteur qui a acheté le dispositif, et M. Wesley, qui a été enregistrée par M. Sansoucy, révèle que l’enquêteur voulait acheter un [traduction] « boîtier » qui lui donnerait accès gratuitement à des films et à une programmation [traduction] « à la carte ». C’est ce que le défendeur prétendait vendre : un boîtier qui donne un accès illégal à un contenu. On entend le défendeur dire que le client doit effectuer lui-même la configuration. Pour effectuer la [traduction] « configuration », selon la preuve, le client n’a toutefois qu’à cliquer lorsqu’il est invité à le faire. Le dispositif en cause comporte tout le nécessaire pour donner accès gratuitement à des films et à une programmation [traduction] « à la carte ». M. Wesley laisse même entendre que le client visite son site Web « pour la navigation ».

[78]  À mon avis, il ne fait aucun doute, sur la foi de la preuve produite en l’espèce, que M. Wesley a sciemment vendu un boîtier décodeur qui lui donnait accès à un [traduction] « contenu illicite » en exécutant les étapes que doit suivre le client ou l’utilisateur lorsque le dispositif en cause l’invite à le faire. Les modifications effectuées au protocole étaient intentionnelles. Avant d’examiner si le comportement tombe sous le coup de l’injonction, il faut d’abord examiner si le moyen de défense invoqué par le défendeur peut susciter un doute raisonnable.

Le moyen de défense particulier invoqué

[79]  Un doute raisonnable peut naître tant de la preuve du demandeur que du moyen de défense invoqué par le défendeur. Comme il a déjà été mentionné, le moyen de défense portant sur la chaîne de possession, si défaut il y avait, n’est d’aucune utilité pour l’accusé; il en va de même pour [traduction] « l’horodatage » tel que les faits essentiels ont été établis. Il est certain que le fait d’avoir une vidéo, plutôt que des photographies, serait le premier choix. Cela ne fait toutefois que soulever une pure conjecture à la lumière du témoignage de M. Lewis. Le défendeur n’a pas contre-interrogé les témoins qui ont fourni leur récit. La preuve ou l’absence de preuve ne donne naissance à aucune thèse plausible ou possibilité raisonnable. Le bon sens et l’expérience humaine ne mènent qu’à une seule conclusion raisonnable. Il n’existe aucune lacune dans la preuve, et les demanderesses n’étaient pas tenues à la certitude absolue en prouvant le bien-fondé de leur cause. Sans aucune contestation des éléments de preuve de M. Lewis selon lesquels il a exécuté les étapes décrites lors de son témoignage et documentées en photographies, ces éléments de preuve sont retenus.

[80]  Selon la thèse de la cause avancée au nom du défendeur, les mandataires des demanderesses ne sont pas accusés d’avoir modifié le dispositif acheté au mois de janvier 2017, quoiqu’il ait pu arriver quelque chose avec le dispositif. Le problème avec cette thèse est qu’elle ne tient pas compte du témoignage de M. Lewis qui, si on y prête foi, établit ce que le dispositif a fait le jour où il a été acheté. Le fait de savoir si l’enquête aurait pu être menée autrement est sans grande pertinence si l’on croit M. Lewis. Le témoignage de M. Lewis est convaincant et on ne l’a pas contesté quant à son expérience d’utilisateur. En fait, la conjecture du défendeur ne va pas au-delà du simple soupçon ou de la simple supposition ou hypothèse et n’est fondée sur aucun élément de preuve.

[81]  De même, les témoignages des experts cités par le défendeur ne sont d’aucune utilité, quelle qu’elle soit, compte tenu de l’absence de résultats positifs. Cela constitue la définition même de la conjecture. Nous ne savons pas à ce jour si la méthodologie employée par l’expert était susceptible de donner quelque résultat : elle a été infructueuse et l’expert retenu par les demanderesses a présenté des éléments de preuve solides selon lesquels la probabilité de réussite était sérieusement en doute parce que la méthodologie et les outils semblent peu fiables.

[82]  Le fait de laisser entendre en guise de proposition générale qu’une image miroir du contenu du dispositif aurait dû être captée seulement pour avouer qu’[traduction] « il pourrait être difficile d’un point de vue technique de créer une copie de la mémoire interne du TX3 Pro aux fins d’analyse » (rapport de l’expert Laycraft, à la page 8 de 20) est moins qu’utile. En effet, il n’y a aucune preuve quant à la différence que cela aurait pu faire dans un cas où le dispositif aurait été utilisé immédiatement après l’achat et aurait donné les résultats présentés par le témoin qui a fait fonctionner le dispositif. En réalité, le défendeur a spéculé, sans élément de preuve à cet effet, que des modifications auraient pu être apportées. Si M. Lewis n’a pas modifié le dispositif les 13 et 16 janvier, qui l’a fait, puisqu’il a conservé le dispositif en sa possession? Comme il a été déclaré dans l’arrêt Villaroman, la conjecture n’est que suppositions et non pas une thèse plausible. En l’espèce, il n’y a jamais eu de thèse plausible. Le doute, pour être raisonnable, doit être fondé sur le raisonnement et le bon sens; il n’est ni imaginaire ni frivole et doit être fondé logiquement sur la preuve ou sur l’absence de preuve.

[83]  Ainsi, la Cour est convaincue hors de tout doute raisonnable que les faits ont été établis par les demanderesses. La dernière question consiste à décider si le comportement jugé hors de tout doute raisonnable répréhensible constitue une violation de l’injonction.

L’injonction

[84]  L’enjeu est le fonctionnement du système judiciaire (Baxter Travenol Laboratories c Cutter (Canada), [1983] 2 RCS 388). Une ordonnance de notre Cour, sous la forme d’une injonction interlocutoire, doit être respectée. Pour le moment, le rôle de la Cour consiste à décider ce que l’injonction interdit et si les actes du défendeur, même tels qu’ils ont été modifiés par l’ajout d’une étape que les clients doivent maintenant franchir pour avoir accès à un contenu [traduction] « illicite », constituent une violation de l’injonction telle qu’elle a été rédigée.

[85]  Le fait que le moyen de défense a été écarté ne signifie pas nécessairement qu’il y a culpabilité. C’est plutôt l’examen de la preuve dans son ensemble qui mène à conclure que le défendeur a vendu un dispositif qui a permis d’avoir accès à un contenu [traduction] « illicite ». Autrement dit, le dispositif tel qu’il a été vendu était-il visé par l’injonction interlocutoire? L’introduction d’étapes supplémentaire ([traduction] « cliquez ici pour terminer l’installation de MFTMC » et, une fois l’installation terminée, [traduction] « l’installation de MFTMC est maintenant réussie. Veuillez visiter www.mtlfreetv.com pour obtenir un éventuel soutien ») a-t-elle pour effet de modifier le dispositif à un point tel que l’injonction telle qu’elle est rédigée a été enfreinte?

[86]  Pour répondre à cette question, il faut examiner les dispositions de l’injonction pour évaluer ce qui est interdit. Une fois l’injonction rendue, ses dispositions sont applicables et doivent être respectées.

[87]  Le défendeur est accusé d’avoir désobéi aux alinéas 2a), 2b) et 2j) de l’injonction interlocutoire rendue par la juge Tremblay-Lamer le 1er juin 2016 pour avoir, [traduction] « le 13 janvier 2017, offert en vente, configuré et vendu un [boîtier décodeur] TX3 Pro » préinstallé (au sens de l’alinéa 2a) de l’ordonnance d’injonction interlocutoire). Par souci de commodité, je reproduis ici aussi les alinéas 2a), 2b) et 2j) :

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

2. qu’il soit interdit aux défendeurs et à leurs mandataires, employés, associés et représentants, directement ou indirectement :

a.  de communiquer des œuvres au public par télécommunication dont les droits d’auteur appartiennent aux demanderesses [les programmes des demanderesses], y compris par l’intermédiaire de la configuration, de la publicité, de la mise en vente ou de la vente de boîtiers décodeurs adaptés pour donner aux utilisateurs un accès non autorisé aux programmes des demanderesses [boîtiers décodeurs préinstallés];

b.  de fabriquer, d’importer, de distribuer, de louer, de mettre en vente, de vendre, d’installer, de modifier, d’exploiter ou de posséder des boîtiers décodeurs préinstallés dont l’utilisation prévue est de recevoir les signaux d’abonnement des demanderesses après leur décodage autrement que selon ce qui est autorisé par les demanderesses;

j.  visant plus particulièrement le défendeur Vincent Wesley s/n MtlFreeTV.com, de configurer, de faire la publicité de tout boîtier décodeur préinstallé ayant les caractéristiques énumérées aux paragraphes 2a) à 2e), y compris les boîtiers décodeurs préinstallés MXQ, MXIII et Minix X8-H Plus, de le mettre en vente ou de le vendre.

[88]  Le contexte de la délivrance de l’injonction interlocutoire se trouve au paragraphe 22 des motifs de l’ordonnance du 1er juin 2016 :

[22]  Les dispositifs électroniques commercialisés, vendus et programmés par les défendeurs permettent aux consommateurs d’avoir un accès non autorisé à du contenu pour lequel les demanderesses détiennent le droit d’auteur. Il ne s’agit pas d’une situation où les défendeurs servent simplement d’agents de communication comme l’a fait valoir M. Wesley. Elles encouragent plutôt délibérément les consommateurs et les clients potentiels à contourner les méthodes autorisées d’accès au contenu, par exemple grâce à un abonnement au câble ou par l’accès au contenu de diffusion en continu sur les sites Web des demanderesses, de façon à promouvoir leur activité et en offrant des tutoriels sur la manière d’ajouter et d’utiliser des applications donnant accès au contenu illégalement obtenu. Le moyen de défense prévu à l’alinéa 2.4(1)b) de la Loi sur le droit d’auteur ne s’applique pas aux défendeurs, qui font plus que vendre de simples « moyens de télécommunication ». Elles se livrent également à une activité touchant au contenu de la communication violée (Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 RCS 427, au paragraphe 92). Les consommateurs peuvent ainsi diffuser en continu ou télécharger les émissions des demanderesses et les stocker sur leurs appareils sans l’autorisation des demanderesses. Cela constitue une violation prima facie du droit d’auteur aux termes de l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur.

[89]  Pour que l’injonction soit enfreinte, selon les dispositions de l’ordonnance elle-même, il aura été établi hors de tout doute raisonnable que, même indirectement :

  • a) le défendeur a communiqué les programmes de la défenderesse par l’intermédiaire de la configuration, de la publicité, de la mise en vente ou de la vente de dispositifs, appelés « boîtiers décodeurs » adaptés pour donner un accès non autorisé aux programmes des demanderesses;

Selon la preuve non contestée produite à l’instruction, c’est précisément ce que le défendeur a fait en vendant un dispositif adapté pour donner un accès non autorisé aux programmes des demanderesses. En ajoutant simplement une étape à la marche à suivre par l’utilisateur, soit [traduction] « cliquez ici pour terminer l’installation de MFTMC », et le fait de cliquer sur « OK » pour effectuer cette simple commande avec succès, le défendeur contrevenait aux termes explicites de l’ordonnance. Le dispositif a été adapté pour donner un accès.

  • b) le défendeur a mis en vente et a vendu un dispositif, lequel a été modifié, dont l’utilisation prévue était de recevoir des signaux de programmation après leur décodage autrement que selon ce qui est autorisé par les demanderesses;

Comme il a été démontré hors de tout doute raisonnable, une fois les étapes exécutées en utilisant seulement le dispositif en cause, l’enquêteur a pu avoir accès à des programmes offerts par les demanderesses. Le défendeur a vendu un dispositif modifié dont l’utilisation prévue est de recevoir des signaux de programmation autrement que selon ce qui est autorisé.

  • c) Il est explicitement interdit à M. Wesley de configurer, de publiciser, de mettre en vente et de vendre des boîtiers décodeurs adaptés pour donner aux utilisateurs un accès non autorisé aux programmes des défenderesses. [Non souligné dans l’original.]

Comme dans le cas de l’alinéa a) ci-dessus, les éléments de preuve démontrent que le dispositif vendu par M. Wesley a été adapté pour donner un accès non autorisé. Le dispositif était préinstallé, ou adapté, pour donner un accès. Les étapes supplémentaires servant à terminer le processus ne dénaturent pas l’opération : le dispositif avait été adapté. En fait, le client active ce qui se trouve déjà dans le boîtier décodeur. En clair, le boîtier décodeur était [traduction] « préinstallé » au sens de l’injonction. Il n’était pas préinstallé de la même façon que les boîtiers décodeurs en cause lors de la première procédure pour outrage au tribunal, mais il était tout de même préinstallé au sens de l’injonction. Les actes auxquels le défendeur s’est livré étaient interdits par l’ordonnance.

[90]  M. Wesley a peut-être supposé que la distinction entre les dispositifs vendus la première fois (première procédure pour outrage au tribunal) et celui vendu le 13 janvier 2017 était que le client devait terminer l’installation de ce qui était déjà programmé. Cette distinction n’est toutefois pas suffisante pour que le dispositif ne soit pas visé par l’injonction.

[91]  Le droit relatif à l’outrage ne nécessite pas la preuve d’une intention d’entraver l’administration de la justice. L’intention de violer l’ordonnance n’est pas un élément constitutif de l’infraction, comme il a été conclu dans l’arrêt Carey c Laiken, 2015 CSC 17; [2015] 2 RCS 79 [Carey] :

[29]  En fait, quelle que soit sa formulation, la question se résume à celle de l’intention nécessaire pour pouvoir conclure à un outrage civil. La jurisprudence canadienne énonce clairement les exigences, dont un aperçu suit, permettant d’établir un tel outrage. La désobéissance — soit l’intention d’entraver l’administration de la justice — n’est pas un élément constitutif de l’outrage civil et, par conséquent, l’absence d’intention de désobéir ne peut être invoquée comme moyen de défense. Je ne souscris pas à l’opinion de Me Carey selon laquelle une règle différente devrait s’appliquer à ceux qui ne peuvent pas faire amende honorable pour l’outrage, aux avocats et aux tiers.

L’outrage au tribunal en matière civile ne nécessite rien de plus que l’accomplissement intentionnel d’un acte interdit par l’ordonnance (Carey, aux paragraphes 35 et 38). Le boîtier décodeur vendu par M. Wesley possédait les caractéristiques requises pour permettre l’accès à un contenu illicite, même si les caractéristiques nécessitaient que le client exécute des étapes faciles une fois invité à le faire par le dispositif vendu. Il ne suffit pas de modifier la caractéristique d’un dispositif pour échapper à la responsabilité. L’intention requise est celle d’accomplir intentionnellement l’acte interdit, ce qui a été prouvé hors de tout doute, de ne pas entraver l’administration de la justice.

V.  Conclusion

[92]  Le défendeur n’a pas fait valoir sa bonne foi en tentant de respecter l’ordonnance, mais a plutôt prétendu qu’il a évité d’enfreindre l’ordonnance en s’abstenant de vendre des boîtiers décodeurs préinstallés. Il a toutefois vendu un dispositif interdit en ce que l’expérience de l’utilisateur révélait qu’il suffisait d’effectuer une simple étape supplémentaire afin de parvenir à l’accès non autorisé (le contenu [traduction] « illicite »), un acte visé par les dispositions de l’injonction. Il a vendu un boîtier décodeur contrairement à l’ordonnance de la Cour. M. Wesley croit fermement en l’accès libre à la télévision, comme l’entrevue réalisée par la CBC (pièce P-17) en témoigne et son site Web l’affirme (MTLFreeTV.com). Il présente le boîtier décodeur comme étant l’[traduction] « avenir de la télévision » et [traduction] « [l]e boîtier qu’ils ne veulent pas que vous possédiez ».

[93]  L’outrage au tribunal en matière civile préserve la dignité et la procédure d’un tribunal. Il déclare qu’une partie a agi au mépris de son ordonnance. Pour citer directement les motifs invoqués dans l’arrêt United Nurses of Alberta c Alberta (Procureur général), [1992] 1 RCS 901, « [l]a primauté du droit est le fondement de notre société; sans elle, la paix, l’ordre et le bon gouvernement n’existent pas » (à la page 931). Comme dans l’arrêt Carey, les dispositions de l’ordonnance étaient claires et l’introduction d’une étape supplémentaire ne change pas le fait que le boîtier décodeur a été adapté « pour donner aux utilisateurs un accès non autorisé aux programmes des demanderesses ». C’est ainsi que l’ordonnance définit les [traduction] « boîtiers décodeurs préinstallés ». Le dispositif acheté le 13 janvier 2017, bien qu’il diffère des dispositifs vendus auparavant, a été adapté : l’étape minime à franchir pour recevoir un accès ne change pas le fait que le dispositif a été adapté. En conséquence, le défendeur, M. Vincent Wesley, est déclaré coupable d’outrage au tribunal.

[94]  Compte tenu de ce verdict de culpabilité, les parties devront fournir leurs observations complètes sur la peine appropriée. Les observations de chaque partie ne doivent pas dépasser dix pages. Ces observations devront être fournies au plus tard le 7 février 2018, sauf si les parties communiquent au greffe de la Cour une autre date qui puisse mieux convenir ou leur volonté d’être entendues par la Cour.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-759-16

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. M. Vincent Wesley est déclaré coupable d’outrage au tribunal.

  2. Les parties doivent fournir leurs observations complètes sur la peine appropriée au plus tard le 7 février 2018, sauf si les parties communiquent au greffe de la Cour une autre date qui puisse mieux convenir ou leur volonté d’être entendues par la Cour. Les observations de chaque partie ne doivent pas dépasser dix pages.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de juillet 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-759-16

 

INTITULÉ :

BELL CANADA, BELL EXPRESSVU LIMITED PARTNERSHIP, BELL MÉDIA INC., VIDÉOTRON S.E.N.C., GROUPE TVA INC., ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC., ROGERS MEDIA INC. c VINCENT WESLEY faisant affaire sous le nom de MTLFREETV.COM et 1326030 ONTARIO INC. faisant affaire sous le nom de ITVBOX.NET ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDITION :

LES 27, 28 ET 29 JUIN 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

François Guay

Guillaume Lavoie Ste-Marie

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Constantin Kyritsis

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Constantin Kyritsis

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le DÉFENDEUR

 

 

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