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Date : 20180209


Dossier : IMM-3676-17

Citation : 2018 CF 159

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2018

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MICHAEL ROBINSION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Section d’appel de l’immigration (SAI) a rejeté l’appel qu’a interjeté le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à l’égard d’une décision de la Section de l’immigration selon laquelle M. Robinson n’était pas interdit de territoire au Canada pour fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Le paragraphe 40(1) dispose ainsi : « Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ».

[2]  M. Robinson, un citoyen du Royaume-Uni, est un ressortissant étranger du point de vue du Canada. De 2004 à aujourd’hui, hormis quelques interruptions, il a résidé au Canada grâce à des permis de travail.

[3]  Le ministre reproche à M. Robinson d’avoir fait une présentation erronée sur un fait parce que, dans une demande de permis de travail déposée en 2008, il a répondu qu’il n’avait ni commis de crime ni été accusé ou reconnu coupable d’un crime dans un autre pays. Les demandes qu’il a présentées avant 2008 ne sont plus accessibles parce que le ministre les a détruites.

[4]  En 2002, M. Robinson a été reconnu coupable, en vertu de la Road Traffic Act et de la Road Traffic Offenders Act du Royaume-Uni, d’avoir conduit un véhicule à moteur alors que son alcoolémie dépassait le maximum autorisé. Il a été condamné à une peine de 40 heures de service communautaire et à une suspension de 30 mois de son permis de conduire.

[5]  La question déterminante qui se posait devant la SI était celle de savoir si, nonobstant la fausse déclaration de M. Robinson, l’exception relative à une erreur innocente s’appliquait. Cette exception a été définie dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345. Pour établir si une personne a commis une erreur innocente, il faut se demander si elle croyait honnêtement et raisonnablement ne pas faire de fausse déclaration.

[6]  Il s’agit donc d’un critère comportant deux aspects. Le premier aspect est subjectif : le décideur doit se demander si la personne croyait honnêtement ne pas faire de fausse déclaration. Le second aspect est objectif : le décideur doit établir si, au vu des faits, la personne pouvait raisonnablement croire qu’elle ne faisait pas de fausse déclaration.

[7]  Eu égard à l’exception, la partie pertinente de la décision de la Section de l’immigration est la suivante :

[traduction] L’explication de M. Robinson est crédible et sincère. La non-divulgation de sa condamnation peut être considérée comme une erreur innocente, car il croyait honnêtement et raisonnablement ne pas faire fausse déclaration dans sa demande.

[8]  L’aspect subjectif du critère est vérifié quand une personne affirmant qu’elle croyait honnêtement ne pas avoir fait de fausse déclaration est jugée crédible. Cela dit, c’est une chose de confirmer la crédibilité d’une personne, mais c’en est une autre d’établir le caractère raisonnable de sa conviction, qui constitue l’aspect objectif du critère et que le décideur doit évaluer à partir de l’ensemble des faits à sa disposition. À l’instar du ministre, je constate que la Section de l’immigration n’a donné aucun motif pour justifier sa conclusion quant au caractère raisonnable de la conviction.

[9]  Dans les observations soumises à la Section d’appel de l’immigration, le ministre reproche à la Section de l’immigration d’avoir appliqué l’exception relative à une fausse déclaration « [traduction] honnête et raisonnable » aux faits dont elle avait été saisie. Le ministre ne voit pas comment il aurait pu être raisonnable pour M. Robinson de croire qu’il ne dissimulait pas d’information en répondant à une question qui lui demandait s’il avait déjà été déclaré coupable « d’un acte criminel ou d’une infraction ». Il lui était clairement demandé d’indiquer toutes les infractions lui ayant valu une condamnation. Il savait pertinemment qu’il avait été accusé, traduit devant un tribunal, déclaré coupable, et qu’il avait reçu et purgé une peine [TRADUCTION] « et, de son propre aveu, qu’il avait été déclaré coupable d’une infraction à la Road Traffic Act du Royaume-Uni ».

[10]  La Section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel du ministre. Selon elle, les parties avaient convenu lors d’une réunion préparatoire à l’audience de fonder « [traduction] l’appel uniquement sur les questions de droit », et il ne lui était pas loisible de revenir sur les conclusions de fait de la Section de l’immigration, exposées comme suit :

[traduction] La Section de l’immigration a entendu le témoignage de M. Robinson, elle a examiné les éléments de preuve documentaire qui lui ont été présentés, de même que les observations sur le droit et les faits formulées par les avocats de chacune des parties. Il ne m’est pas demandé, dans le cadre d’un appel fondé uniquement sur le droit, de revenir sur les conclusions de fait de la Section de l’immigration. Essentiellement, la Section de l’immigration a jugé crédible le témoignage de M. Robinson et, après avoir comparé les éléments de preuve documentaire et les témoignages de vive voix selon la prépondérance des probabilités, elle a conclu que la preuve prépondérante étayait l’argument du défendeur selon lequel les faits établissaient que le critère juridique régissant l’application de [traduction] « l’exception relative à une erreur innocente » était rempli.

[11]  Comme la Section de l’immigration, la Section d’appel de l’immigration n’a aucunement justifié sa conclusion comme quoi M. Robinson croyait raisonnablement ne pas avoir fait de fausse déclaration dans son dossier. Elle s’est bornée à expliquer qu’il ne lui était pas demandé de revenir sur les conclusions de fait de la Section de l’immigration.

[12]  À mon avis, la Section d’appel de l’immigration a commis la même erreur que la Section de l’immigration.

[13]  Aux paragraphes 20 et 22 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada rappelle qu’elle avait déjà établi dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999] 2 RCS 817 que « dans certaines circonstances », l’obligation d’équité procédurale exige « une forme quelconque de motifs » et que « la violation de l’obligation d’équité procédurale est une erreur de droit ». Si je résume, la Cour considère comme une erreur de droit l’omission de donner des motifs considérés comme nécessaires.

[14]  Elle nous enseigne dans l’arrêt Newfoundland Nurses que si la cour de révision peut examiner les motifs du décideur pour comprendre son raisonnement et trancher si sa conclusion appartient aux issues acceptables, alors le critère énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, est respecté.

[15]  En l’espèce, la Section de l’immigration et la Section d’appel de l’immigration ne donnent aucun motif pour expliquer en quoi la conviction de M. Robinson était raisonnable.

[16]  Les deux instances affirment avoir examiné les documents mis à leur disposition. Cependant, en l’absence de motifs, il est impossible de savoir quelle importance elles ont accordée aux éléments de preuve jugés pertinents pour apprécier le caractère raisonnable, ni d’ailleurs quels étaient ces éléments de preuve.

[17]  La Section d’appel de l’immigration conçoit qu’un autre décideur aurait pu tirer une conclusion différente. Il faut donc en déduire que les éléments de preuve au dossier ne conduisaient pas inéluctablement à la conclusion de la Section de l’immigration. Par conséquent, en l’absence de motifs pour expliquer la conclusion tirée quant au caractère raisonnable de la conviction du demandeur, il est pour ainsi dire impossible de vérifier le fondement de cette conclusion. Cette constatation vaut autant pour la décision de la Section de l’immigration que pour celle de la Section d’appel de l’immigration. À défaut de motifs pour justifier la conclusion concernant la raisonnabilité, il est impossible de faire un contrôle. C’est pourquoi des motifs étaient nécessaires; le défaut de les fournir constitue une erreur de droit.

[18]  La décision faisant l’objet du contrôle doit être annulée. La Section de l’immigration a commis une erreur de droit en négligeant d’expliquer comment elle est arrivée à la conclusion que la conviction de M. Robinson était raisonnable. En l’espèce, il était seulement demandé à la Section d’appel de l’immigration d’examiner les erreurs de droit dans la décision sous-jacente, mais elle ne l’a pas fait. Si elle avait dûment exercé son rôle dans ce qui était un appel de novo, elle aurait tranché la question du caractère raisonnable de la conviction au vu des éléments de preuve au dossier, et elle aurait exposé les motifs de sa décision. Elle a plutôt répété l’erreur de la Section de l’immigration. Elle n’a fourni aucun motif pour expliquer son adhésion à la conclusion de la Section de l’immigration quant au caractère raisonnable de la conviction au vu des éléments de preuve présentés.

[19]  L’appel du ministre est renvoyé à la Section d’appel de l’immigration pour qu’elle rende une décision qui tiendra compte des présents motifs.

[20]  Il s’agit ici d’un cas d’espèce qui ne soulève aucune question satisfaisant aux critères relatifs à la certification.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3676-17

LA COUR accueille la demande, renvoie l’appel à la Section d’appel de l’immigration pour qu’elle rende une décision, et ne certifie aucune question.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-3676-17

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c MICHAEL ROBINSON

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

Le 9 février 2018


COMPARUTIONS :

Marjan Double

Pour le demandeur

Samuel D. Hyman

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Sécurité publique, Défense et Immigration

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Burns, Fitzpatrick, Rogers, Schwartz & Turner

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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