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Date : 20180201


Dossier : T-381-17

Référence : 2018 CF 112

Ottawa (Ontario), le 1 février 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

CONSEIL DES ABÉNAKIS D'ODANAK

demandeur

et

NAHAME O'BOMSAWIN

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Le Conseil des Abénakis d’Odanak [Conseil ou demandeur] sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne [Tribunal] rendue le 17 février 2017 (O’Bomsawin c Conseil des Abénakis d’Odanak, 2017 TCDP 4) [décision]. En application de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H-6 [LCDP], le Tribunal a accueilli la plainte de madame Nahame O’Bomsawin [défenderesse], pour discrimination en matière d’emploi fondée sur le motif illicite de la situation de famille.

II.  Faits

[2]  Le demandeur est un Conseil de bande au sens de la Loi sur les Indiens, LRC (1985), ch I-5.

[3]  La défenderesse est membre de la Première Nation des Abénakis du territoire d’Odanak. Elle est la fille de monsieur Deny O’Bomsawin, directeur du Centre de santé d’Odanak.

[4]  Le 9 juillet 2012, le Conseil adopte une résolution mandatant le Centre de santé d’Odanak d’amorcer un processus d’agrément de Santé Canada, qui n’a aucune exigence particulière quant au projet. Par la suite, monsieur O’Bomsawin rédige un avis de concours pour le poste contractuel de « chargé(e) de projet (coordonnateur(trice) en agrément) ». Le concours est affiché à deux reprises, portant la date de clôture du concours au 26 juillet 2012. La description des tâches ainsi que les exigences requises pour le poste sont demeurées inchangées pour ces deux avis, et se lisent comme suit :

  • a) Formation universitaire terminée en gestion de projet ou en gestion;

  • b) Expérience comme chargée de projet;

  • c) Aptitudes en communications interpersonnelles;

  • d) Habiletés à bien travailler sous pression;

  • e) Excellentes aptitudes à communiquer oralement ou par écrit;

  • f) Expérience avec les organismes gouvernementaux;

  • g) Connaissance du milieu;

  • h) Bilingue (français – anglais).

[5]  Au terme de la période de candidature, le président du Conseil désigne messieurs Robert Saint-Ours et Daniel G. Nolett comme membres du comité de sélection. Ce comité de sélection met sur pied un processus d’entrevues et deux postulantes y sont conviées, soit la défenderesse et la candidate M P, qui obtiendra ultimement le poste. Un troisième candidat avait postulé pour le poste, mais n’a pas suivi le processus et s’est retiré du concours.

[6]  Il appert du dossier qu’au moment du processus d’embauche, la défenderesse détient un baccalauréat en communication ainsi qu’un diplôme d’études spécialisées en gestion et la candidate M P détient une attestation d’études collégiales en bureautique et comptabilité ainsi qu’un certificat universitaire en administration, et est en voie d’achever un second certificat universitaire en ressources humaines.

[7]  Le comité de sélection procède à l’évaluation des deux candidates selon la grille suivante :

  • a) Formation – 25 points

  • b) Expérience en gestion de projets – 20 points

  • c) Qualité des réponses – 15 points

  • d) Connaissance des programmes – 10 points

  • e) Anglais – 10 points

  • f) Évaluation générale – 10 points

  • g) Maturité (enthousiasme, motivation, expérience de vie) – 10 points

[8]  À l’issue des entrevues, la défenderesse obtient un score de 78/100 de la part du premier évaluateur et de 83/100 du second. La candidate M P, quant à elle, reçoit un pointage de 74/100 et de 77/100 de la part des évaluateurs.

[9]  Sur le poste « formation », les deux candidates obtiennent chacune 25/25 et 23/25 de la part des deux évaluateurs. Sur le poste « expérience en gestion de projets », la défenderesse obtient 12/20 et 15/20, alors que la candidate M P obtient 5/20 et 5/20. Sur le poste « qualité des réponses », la défenderesse obtient 12/15 et 13/15, alors que la candidate M P obtient 15/15 et 15/15. Sur le poste « connaissance des programmes », la défenderesse obtient 9/10 et 5/10, alors que la candidate M P obtient 3/10 et 2/10. Sur le poste « anglais » les deux candidates obtiennent chacune 10/10 de la part des deux évaluateurs. Sur le poste « évaluation générale », les deux candidates terminent ex aequo avec 8/10 et 10/10 de la part des deux évaluateurs. Sur le poste « maturité (enthousiasme, motivation, expérience de vie) », la défenderesse obtient 4/10 et 5/10, alors que la candidate M P obtient 10/10 de la part des deux évaluateurs.

[10]  Le 29 octobre 2012, le comité de sélection recommande au Conseil l’embauche de la candidate M P. La défenderesse est informée de la décision du Conseil d’entériner cette recommandation le 31 octobre 2012, et elle rencontre le comité de sélection le 2 novembre 2012 pour un « post-mortem », afin de comprendre le processus et la raison pour laquelle sa candidature n’a pas été retenue.

[11]  Le 15 avril 2013, la défenderesse porte plainte contre le Conseil à la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant avoir fait l’objet de discrimination sur la base du motif de distinction illicite de la situation de famille. Elle allègue que si elle n’a pas obtenu le poste, c’est en raison du lien familial qui l’unit au directeur du Centre de santé.

III.  Décision

[12]  Le 17 février 2017, à la suite de l’audience tenue les 20 et 21 décembre 2016, le Tribunal juge la plainte de la défenderesse fondée.

[13]  Le Tribunal traite d’abord les faits entourant la plainte de la défenderesse : les qualifications de la défenderesse, le poste affiché, le comité de sélection, le processus d’évaluation des candidates et la décision du Conseil.

[14]  Le Tribunal fait état des résultats obtenus par les deux candidates lors des entrevues menées par le comité de sélection. Il note que les candidates ont obtenu le même score pour leur formation, alors que seule la défenderesse satisfait aux exigences de formation universitaire requises par le poste affiché, que la défenderesse s’est démarquée par son expérience en gestion de projets ainsi que par ses connaissances des programmes, mais que la candidate M P a surpassé la défenderesse par la qualité de ses réponses et sa motivation.

[15]  Le Tribunal souligne que les grilles d’évaluation n’ont pas été soumises au Conseil lorsque le comité de sélection a fait sa recommandation d’embauche et que la défenderesse n’a pas été retenue, malgré un résultat global supérieur à celui de la candidate M P.

[16]  Le Tribunal observe que :

[43] Dans le contexte de la présente plainte, Mme O’Bomsawin doit, selon l’article 7 de la LCDP, démontrer sur preuve fondée sur la prépondérance des probabilités : (1) qu’elle possède une caractéristique protégée contre la discrimination; (2) que le Conseil a refusé de l’employer; (3) que la caractéristique protégée constitue un facteur qui a joué dans le refus de l’employer (Moore c. British Columbia (Éducation), 2012 CSC 61, par. 33 (« Moore »); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 56 et 64 [« Bombardier »]).

[17]  Le Tribunal applique ensuite le droit aux faits. Il détermine que la défenderesse a établi une preuve prima facie de discrimination comme l’exige la jurisprudence (Shakes v Rex Pak Ltd (1981), 3 CHRR D/1001, 1981 CarswellOnt 3407 (Ont Bd of Inquiry) [Shakes]; Moore). La défenderesse a établi qu’elle était qualifiée pour le poste, mais qu’elle n’a pas été embauchée, alors que la candidate M P a été retenue, même si elle n’était pas plus qualifiée et parce qu’il n’y avait pas de motif de distinction illicite allégué, soit la situation de famille.

[18]  Le Tribunal, toutefois, prend soin de noter que les critères de Shakes servent uniquement de guide et ne doivent pas être appliqués d’une manière rigide ou arbitraire. Les circonstances doivent être examinées afin de permettre de déterminer si l’application des critères est opportune (Commission canadienne des droits de la personne c Canada (Procureur général), 2005 CAF 154 au para 25).

[19]  Selon le Tribunal, il a été démontré par une preuve prépondérante que le facteur de la situation de famille a influencé la décision du Conseil. La défenderesse possédait la formation universitaire requise pour le poste tel qu’affiché à la différence de l’autre candidate, elle avait davantage d’expérience et elle connaissait les programmes en raison de son travail antérieur au Centre de santé.

[20]  Le Tribunal considère l’explication du Conseil afin de démontrer que ses actions n’étaient pas discriminatoires et que l’embauche de l’autre candidate reposait plutôt sur ses compétences, mais ne retient pas les arguments du Conseil. D’abord, le Tribunal note une incohérence entre les résultats consignés aux grilles d’évaluation des candidates et l’issue du processus d’entrevues, le comité ayant procédé de façon subjective en accordant une pondération différente aux éléments de sa propre grille, et ce, sans avoir modifié les exigences du poste affiché.

[21]  En outre, le Tribunal n’a pas retenu l’argument du Conseil voulant que la candidate M P ait été préférée à la défenderesse en raison de l’exigence professionnelle justifiée que serait l’aptitude à entretenir et à développer des relations interpersonnelles, et qu’elle ait été plus « motivée ». En effet, elle n’avait pas de formation universitaire ni l’expérience en gestion de projets que possédait la défenderesse. Un des membres du comité de sélection, monsieur St-Ours, a même témoigné qu’elle était « surqualifiée » pour le poste. De plus, dans ses emplois précédents, le travail de la défenderesse n’avait fait l’objet d’aucune plainte, et les témoins appelés devant le Tribunal n’avaient pas de reproches à faire quant à la qualité de son travail antérieur.

[22]  Le Tribunal conclut que la candidate M P a été choisie « sur l’unique base du critère de motivation et non dans son ensemble, tel qu’il appert des grilles de pointage soumises et des résultats pour les deux candidates, soit un résultat combiné plus élevé pour Mme O’Bomsawin que pour la candidate retenue, et de l’aveu même des témoins au Tribunal ».

[23]  Le Tribunal remarque aussi qu’il n’est pas nécessaire que la situation de famille ait constitué le seul et unique facteur dans ce choix de candidat pour qu’il y ait eu discrimination : il suffit que ce soit l’un des facteurs (Holden c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1990] FCJ No 419, 14 CHRR D/12 (CAF) [Holden]).

[24]  Le Tribunal souligne qu’une « subtile odeur de discrimination » est ressortie des témoignages à l’audience (Basi c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] DCDP No 2, 1988 CanLII 108 [Basi]). De plus, les témoins ont constaté que le fait que la défenderesse ait par le passé obtenu des contrats au Centre de santé sans processus d’entrevue « faisait jaser » au sein de la communauté, et que ces commentaires n’étaient pas liés aux compétences de la défenderesse. 

[25]  Le Tribunal note aussi que le processus d’embauche pour le poste était unique, parce que la défenderesse était la fille de monsieur O’Bomsawin. 

[26]  Lors de la rencontre « post-mortem » du 2 novembre 2012, le comité de sélection – c’est-à-dire messieurs St-Ours et Nolett –, n’a pas mentionné à la défenderesse que le facteur de la motivation avait été décisif dans la recommandation faite au Conseil et la décision prise par celui-ci. Au contraire, la défenderesse écrit que « lors de cette rencontre, on fait plutôt allusion, à mots couverts, au fait que Mme O’Bomsawin étant la fille du directeur du Centre, cela a pu avoir une incidence ». Madame O’Bomsawin a appris par monsieur St-Ours, que « parfois les décisions du Conseil peuvent faire des victimes... », sans qu’on lui explique que le critère de la motivation a été décisif.

[27]  Le Tribunal n’a pas non plus accepté l’explication du Conseil voulant que la candidate M P ait eu de meilleures compétences et une plus forte motivation. Aucun changement n’a été effectué à la grille afin de refléter l’importance élevée du critère de la motivation. Et si, comme le Conseil l’a expliqué, la grille n’était plus importante, il avait eu le temps et l’occasion de changer l’affichage du poste afin de refléter les exigences qui étaient effectivement requises.

[28]  Finalement, le Tribunal s’est ensuite attardé à l’argument du Conseil selon lequel le refus d’embaucher la défenderesse reposait sur une exigence professionnelle justifiée à laquelle elle ne satisfaisait pas, à savoir l’aptitude à entretenir et à développer des relations interpersonnelles. Le Tribunal a tranché que le Conseil n’a démontré aucune preuve pour établir une exigence professionnelle justifiée, et que la prétendue exigence n’était qu’un « prétexte ».

[29]  Par conséquent, le Tribunal considère la plainte de la défenderesse fondée et qu’il y a eu acte discriminatoire selon l’alinéa 7a) de la LCDP. Il accorde à la défenderesse un redressement pour perte de salaire (20 654,43 $) et préjudice moral (10 000 $), ainsi qu’une indemnité spéciale pour acte discriminatoire délibéré (7 500 $) et les intérêts (qui n’ont pas été calculés dans la décision).

IV.  Positions des parties

[30]  Le Conseil est en désaccord avec les paragraphes suivants de la décision :

[68]  Pour ces motifs, je conclus que la plaignante a établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 de la LCDP, pour le motif de situation de famille.

[...]

[76]  Pour toutes ces raisons, j’estime que la preuve du Conseil n’est pas convaincante et ne constitue qu’un prétexte.

[77]  Sur la prépondérance des probabilités, je conclus donc que le Conseil a commis un acte discriminatoire selon l’article 7 a) de la LCDP, fondée sur le motif de situation de famille, en refusant d’employer la plaignante, Nahame O’Bomsawin.

[...]

[108]  La plainte de Nahame O’Bomsawin est jugée fondée et il est ordonné que le Conseil des Adénakis (sic) d’Odanak :

  1. Indemnise la victime 20 654.43 $ à titre de perte de salaire.

  2. Indemnise la victime 10 000 $ pour le préjudice moral qu’elle a subi.

  3. Indemnise la victime 7 500 $ pour avoir posé un acte discriminatoire délibéré.

  4. Verse des intérêts sur les indemnisations ci-dessus conformément aux conditions énoncées au paragraphe 107 de la présente décision.

[31]  Le demandeur avance que le Tribunal a ignoré des éléments de preuve déterminants. Premièrement, il lui reproche de ne pas avoir tenu compte des témoignages de messieurs Saint-Ours et Nolett, desquels est ressorti que le père de la défenderesse tentait de favoriser sa fille en lui attribuant le contrat sans entrevue et que le Conseil a donc décidé de mettre sur pied un processus d’embauche transparent avec entrevues. Plutôt que de constater que l’administration d’un processus d’embauche par le Conseil avait été rendu nécessaire en raison de l’ingérence du directeur du Centre de santé, le Tribunal aurait dû conclure qu’il était rare et unique que le Conseil ait à choisir le candidat pour des emplois du genre.  De plus, « l’unicité » de cette situation tenait du fait que l’une des candidates était la fille du directeur du Centre de santé. Ainsi, le Tribunal aurait erré en concluant à un acte discriminatoire délibéré.

[32]  Deuxièmement, s’appuyant sur les notes sténographiques, le demandeur reproche au Tribunal d’avoir fait « un lien erroné dans la preuve entre des propos colportés dans la communauté autochtone d’Odanak et la décision prise par le Conseil de bande ».

[33]  Troisièmement, le demandeur allègue que le Tribunal n’a pas accordé d’importance au témoignage de monsieur Deny O’Bomsawin, lequel révélait que Santé Canada ne fixait qu’une exigence minimale de formation collégiale pour le poste.

[34]  Quatrièmement, quant à l’évaluation de l’explication du Conseil relativement à l’exigence professionnelle justifiée, le demandeur soutient que le Tribunal n’a pas tenu compte des arguments qu’il a avancés, sans toutefois avoir précisé la nature de ces arguments apparemment ignorés.

[35]  La défenderesse, pour sa part, indique que le Conseil n’a pas relevé d’erreurs de faits ou de droit manifestes qui auraient rendu la décision du Tribunal déraisonnable et qu’il ne fait que présenter à la Cour en contrôle judiciaire une version plus militante de ses arguments. Le Tribunal aurait, à bon droit, trouvé des contradictions entre la grille d’évaluation du comité de sélection et l’issue du processus d’embauche, entre autres raisons valides pour trouver que la décision de ne pas embaucher la défenderesse était discriminatoire. En somme, selon la défenderesse, le demandeur n’a pas cerné d’erreurs entachant la décision du Tribunal.

V.  Norme de contrôle

[36]  Les parties sont d’accord, comme je le suis, sur le fait que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]). Le cœur du litige est en réalité l’appréciation qu’a faite le Tribunal de la preuve et des témoignages qui lui ont été présentés. Il est de jurisprudence constante que les décisions de ce tribunal sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable en ce qui a trait à l’appréciation de la preuve (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Seeley, 2014 CAF 111 au para 35; Canada (Procureur général) c Hughes, 2015 CF 1302 au para 33).

[37]  La norme de contrôle de la décision raisonnable commande la déférence de la Cour à l’égard de la décision du Tribunal. L’intervention de la Cour n’est nécessaire que si la décision du Tribunal ne satisfait pas aux exigences de transparence, de justification et d’intelligibilité et que si elle n’appartient pas aux issues possibles et acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16). De la même manière, il n’appartient pas à cette Cour en contrôle judiciaire de substituer la solution qu’elle juge préférable à celle retenue par le Tribunal, ni de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 59, 61 [Khosa]).

VI.  Analyse

[38]  Avant de soupeser les arguments soulevés, voici les trois dispositions clés dans cette affaire.

[39]  D’abord, l’article 7 de la LCDP prohibe les pratiques discriminatoires dans le contexte de l’emploi :

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

7 It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

[40]  Ensuite, le paragraphe 3(1) de la LCDP prévoit les motifs de distinction illicite :

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

3 (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, gender identity or expression, marital status, family status, genetic characteristics, disability and conviction for an offence for which a pardon has been granted or in respect of which a record suspension has been ordered.

 

[41]  Finalement, l’alinéa 15(1)a) et le paragraphe 15(2) de la LCDP excluent des actes discriminatoires le refus d’embauche s’il découle d’exigences professionnelles justifiées :

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

15 (1) It is not a discriminatory practice if

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;

[...]

[...]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

 

[42]  Après une lecture de la transcription et de la preuve présentées, je ne vois aucune raison de casser cette décision, que je trouve bien fondée en fait et en droit. Il appert des arguments du demandeur qu’il est en désaccord avec les conclusions formulées par le Tribunal. Essentiellement, il réitère ses arguments et demande à la Cour de soupeser à nouveau la preuve qui a été soumise au Tribunal.

[43]  Les critères pour établir la discrimination énoncés dans Moore pourraient également s’appliquer au dossier en l’espèce :

[33] Comme l’a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.  Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne.  Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

[44]  Dans un premier temps, il n’a pas été démontré que le Tribunal a erré en estimant qu’il y avait une preuve prima facie de discrimination. Il n’appartient pas à la Cour d’accorder plus ou moins de poids aux témoignages entendus par le Tribunal.

[45]  Le demandeur reproche au Tribunal de ne pas avoir suffisamment considéré trois affirmations : en premier lieu, le processus d’embauche a été rendu nécessaire par l’ingérence du directeur du Centre de santé, monsieur O’Bomsawin, pour favoriser la défenderesse (sa fille); en second lieu, le poste ne requérait pas de formation universitaire ; en troisième lieu, le Tribunal a erré en accordant de l’importance aux propos de tiers.

[46]  Je ne peux me rallier aux arguments du demandeur. J’estime que si l’ingérence alléguée du directeur du Centre de santé était telle que le Conseil ait cru bon de désigner un comité d’embauche, ce comité pouvait afficher de nouveau le poste avec une liste d’exigences modifiées, y compris celle relative à la formation universitaire requise. Au lieu de cela, le comité de sélection a écarté la candidature de la défenderesse, et ce, malgré une évaluation supérieure à celle de la candidate M P.

[47]  Il est incorrect de prétendre que le Tribunal a erré en tenant compte de propos colportés par des tiers. Précisément, je ne partage pas l’opinion du demandeur voulant que le Tribunal ait fait un lien erroné entre « des propos colportés dans la communauté » et le processus de sélection. En effet, plusieurs témoins ont rapporté que la décision du Conseil de confier à un comité de sélection le mandat de pourvoir ce poste était motivée par le fait que de précédents contrats avaient été attribués par le directeur du Centre de santé à sa fille, la défenderesse, sans processus d’embauche particulier. À mon avis, il était donc loisible au Tribunal de tirer les inférences de la preuve comme il l’a fait. Aucune erreur n’a été démontrée en ce qui a trait aux conclusions du Tribunal sur les actes discriminatoires. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’intervenir sur la détermination d’une preuve prima facie de discrimination par le Tribunal.

[48]  Dans un second temps, il n’a pas été démontré que le Tribunal aurait commis une erreur en déterminant que le Conseil ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver que la discrimination était justifiée. Tout au plus, le demandeur est en désaccord avec le traitement de ses arguments par le Tribunal. Néanmoins, le demandeur omet d’indiquer à la Cour quels sont ces arguments et comment le Tribunal aurait erré en les rejetant.

[49]  Une lecture de toute la transcription de l’audition confirme que le Tribunal était bel et bien justifié dans ses conclusions quant à l’absence d’une explication convaincante du Conseil, dans laquelle il aurait renversé le fardeau en justifiant la conduite discriminatoire.  Le raisonnement voulant que la conduite n’ait pas pu être justifiée, et la conclusion d’un acte discriminatoire, étaient toutes deux raisonnables.

[50]  Les motifs du Tribunal démontrent la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, et par conséquent, la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.  Il n’est donc pas indiqué, ici non plus, que la Cour intervienne dans la décision du Tribunal. 

[51]  Dans un troisième temps, le demandeur conteste les dommages attribués à la défenderesse par le Tribunal en fonction de l’article 53 de la LCDP, particulièrement en ce qui concerne l’indemnité punitive prévue à l’alinéa 53(3) et le préjudice moral selon le paragraphe 53(2)e). 

[52]  Encore une fois, je trouve que les conclusions et les constatations de fait sous-jacentes sont tout à fait raisonnables, compte tenu de ce qui est ressorti des témoignages pendant l’audience du Tribunal et qui a été résumé de manière complète dans les plaidoiries finales du procureur de la défenderesse. Cette conduite discriminatoire inclut : les propos peu élogieux d’un membre du Conseil à l’endroit de la défenderesse; les contrats antérieurs qui « faisaient jaser » dans la communauté; le fait que les deux membres du comité de sélection aient écarté les grilles d’évaluation; le profil et les compétences de la défenderesse, y compris son éducation, sa formation professionnelle et son expérience pertinente; l’absence de plaintes contre le travail effectué par la défenderesse dans ses postes antérieurs; sa connaissance du milieu de travail et son intérêt pour le poste; le défaut d’avoir avisé la défenderesse du motif allégué de son manque de motivation lors de la rencontre « post-mortem »; la lettre de recommandation de monsieur St-Ours ainsi que ses commentaires au sujet de son emploi précédent.

[53]  Les décisions citées par le demandeur sont distinctes et aucune ne traite d’une situation comparable. Par exemple, dans Bressette c Conseil de bande de la Premiere nation de Kettle et de Stony Point, 2004 TCDP 40, le plaignant ne possédait pas les qualifications requises pour le poste. Par ailleurs, il n’était pas question d’un autre candidat ayant été choisi malgré un pointage inférieur, puisqu’aucun des cinq candidats n’avait ultimement été sélectionné. Le tribunal n’avait pas trouvé d’indices de discrimination prima facie, comme c’est le cas en l’espèce. Les autres cas cités par le demandeur ne lui viennent pas en aide non plus.

[54]  À l’audition tenue devant cette Cour, les parties n’ont pas été en mesure de soumettre des précédents avec des faits analogues, où il avait été fait usage, lors d’un processus de sélection, d’une grille d’évaluation qui ne reflétait pas l’exigence d’un critère déterminant (dans le cas qui nous occupe, la motivation). Par conséquent, je dois m’appuyer sur les dispositions législatives de la LCDP reproduites ci-dessus (les articles 7, 15 et 53) et sur les décisions interprétant la loi, notamment Moore, Shakes, Holden et Basi. 

[55]  Finalement, j’ai considéré la preuve soumise au Tribunal en ce qui a trait aux suites de la décision de ne pas embaucher la défenderesse et à l’impact de cette décision sur elle, y compris son état psychologique, sa décision de quitter la communauté et la nécessité de trouver un autre emploi moins payant. En somme, je suis d’avis que les indemnités fixées par le Tribunal, lesquelles sont inférieures aux sommes demandées par la défenderesse, représentaient un compromis juste, équitable et surtout raisonnable au vu de tous les faits et du droit. Le demandeur n’ayant pas cerné d’erreur susceptible de révision, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée (Dunsmuir; Khosa).

VII.  Conclusion

[56]  Il n’y aucune base juridique qui justifie que la Cour infirme la décision du Tribunal. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

 


JUGEMENT dans le T-381-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Le tout avec dépens payables par le demandeur à la défenderesse;

« Alan S. Diner »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-381-17

 

INTITULÉ :

CONSEIL DES ABÉNAKIS D'ODANAK c NAHAME O'BOMSAWIN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1 février 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Kathleen Rouillard

Me Maxime Labrie

 

Pour les demandeurs

 

Me Jérémie John Martin

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bélanger Sauvé

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Jérémie John Martin

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

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