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Date : 20180205


Dossier : T-1473-16

Référence : 2018 CF 121

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 février 2018

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

ASSURANT, INC.

demanderesse

et

ASSURANCIA, INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13 (la « Loi »), contre une décision la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) du bureau du registraire des marques de commerce (le « Registraire »), datée du 9 juin 2016, l’opposition de la demanderesse à une demande d’enregistrement de marque de commerce « ASSURANCIA » [la Marque ou ASSURANCIA] produite par la défenderesse.

II.  Les faits à l’origine du litige

A.  L’opposition à la demande d’enregistrement de la défenderesse

[2]  La défenderesse est une société de services de courtier en assurances et de services financiers constituée en décembre 2007. Le 23 avril 2012, elle a présenté la demande d’enregistrement no 1,574,477 auprès du bureau du registraire des marques de commerce pour la Marque. La demande s’appuyait sur l’emploi de cette marque de commerce au Canada depuis janvier 2008 à l’égard de services de courtier en assurances et de services financiers comme la planification financière, ainsi que des services de conseiller en matière d’assurance.

[3]  La demanderesse est la propriétaire inscrite de treize (13) marques de commerce déposées contenant — ou formées de — l’élément « ASSURANT ». Son opposition à la demande d’enregistrement de la défenderesse a été déposée le 13 août 2013. La demanderesse prétend que ASSURANCIA crée de la confusion avec sa marque de commerce déposée, ASSURANT, et que, par conséquent :

[TRADUCTION]

  • a) La Marque n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi;

  • b) La défenderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de commerce en vertu des alinéas 16(1)a) et d) de la Loi; et

  • c) La Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi.

[4]  La demanderesse s’est également opposée à la demande d’enregistrement de la défenderesse au motif que, même si à l’époque elle était au courant de l’existence de ses marques de commerce contenant le mot « ASSURANT », la défenderesse avait tout de même déclaré qu’elle était convaincue qu’elle avait le droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les produits ou services décrits dans la demande. Il en découle, selon la demanderesse, que la défenderesse a agi de mauvaise foi, contrevenant ainsi à l’article 30 de la Loi. Ce motif d’opposition a été rejeté par la Commission. Ce point n’est pas visé dans l’appel interjeté par la demanderesse.

[5]  En plus des éléments de preuve relatifs à l’enregistrement des marques de commerce ASSURANT, la demanderesse a déposé, à l’appui de de son opposition, l’affidavit de M. Murtaza Tawawala, qui, à l’époque, était directeur du marketing chez Assurant Solutions au Canada. Cet élément de preuve portait sur l’usage, la publicité et la promotion des marques de commerce ASSURANT et de ses noms commerciaux au Canada en liaison avec les divers services d’assurances et de finances de la demanderesse.

[6]  Pour sa part, la défenderesse a déposé l’affidavit de son président, M. Michel Duciaume, lequel portait sur l’usage, la publicité et la promotion de la Marque et également sur les chiffres d’affaires entre 2008 et 2013. Elle a également déposé la preuve concernant M. Guiseppe Anzuino, un parajuriste à l’emploi du cabinet d’agents de marques qui la représente, qui avait effectué une recherche dans le registre canadien des marques de commerce [le Registre] en vue d’identifier les demandes d’enregistrement ou d’une demande de marque de commerce active contenant la composante « ASSUR » et les termes « ASSURANCE » ou « INSURANCE » dans la description des services qui correspondent aux services liés au domaine de l’assurance. M. Anzuino a également effectué une recherche sur Internet et plus particulièrement sur le répertoire téléphonique Canada 411 afin d’y repérer des entreprises ayant ces composantes dans leur nom.

B.  La décision de la Commission

[7]  La Commission s’est d’abord penchée sur le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi qui prévoit qu’une marque de commerce n’est pas enregistrable, si elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée. Convaincue que la demanderesse s’était déchargée de son fardeau initial de prouver qu’elle possédait un certain nombre de marques de commerce qui contiennent le terme « ASSURANT », la Commission a effectué une analyse relative à la confusion. Elle a souligné à cet égard qu’il incombe à la défenderesse de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’emploi de la Marque en liaison avec les produits ou services ne crée pas de confusion avec la marque de commerce ASSURANT. Elle a également souligné qu’une analyse de la confusion devait être effectuée en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris celles énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir :

  • a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues;

  • b) la période pendant laquelle ces marques de commerce ont été en usage;

  • c) le genre de marchandises, services ou entreprises en cause;

  • d) la nature du commerce; et

  • e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

[8]  En commençant par le degré de ressemblance (alinéa 6(5)e)), la Commission a conclu que, malgré une certaine ressemblance visuelle et dans les idées qu’elles suggèrent, il existe une différence entre les marques de commerce en cause au niveau sonore en raison de la différence entre le suffixe « CIA » dans ASSURANCIA et la lettre « T » dans ASSURANT.

[9]  La Commission a alors discuté du facteur établi à l’alinéa 6(5)a). Elle a conclu que le caractère distinctif inhérent des marques en présence est relativement faible en raison du caractère suggestif des marques des parties, puisqu'elles comportent une première composante « ASSURAN », qui suggère fortement le domaine des assurances lorsque les marques sont employées en liaison avec les services des parties. La Commission était d’accord avec la demanderesse, selon qui ASSURANCIA, un mot inventé, possède néanmoins un caractère distinctif inhérent plus élevé que la marque ASSURANT.

[10]  Précisant que le caractère distinctif d’une marque peut être rehaussé par son emploi et la mesure dans laquelle elle est devenue connue au Canada, la Commission a procédé à l’analyse de la preuve de l’emploi des marques des parties qui a été versée au dossier. La Commission était convaincue qu’à la date de sa décision, qui est, par ailleurs, la date pertinente lors d’une analyse prévue à l’article 12, les marques de commerce étaient connues au Canada dans le domaine des assurances. Néanmoins, la Commission a conclu que les marques de commerce ASSURANT étaient plus connues au Canada que la Marque puisque les activités de la défenderesse ont lieu principalement au Québec. Globalement le facteur décrit à l’alinéa 6(5)a) de la Loi ne favorise aucune des parties étant donné que la Marque possède un caractère distinctif inhérent plus élevé que la marque verbale ASSURANT alors que cette dernière est plus connue au Canada que la Marque.

[11]  Quant au facteur décrit à l’alinéa 6(5)b) ayant trait à la période pendant laquelle les marques de commerce en litige ont été en usage, la Commission a conclu qu’elle favorisait la demanderesse, [traduction] « mais pas de façon très significative » puisque seulement deux ans se sont écoulés entre les périodes au cours desquelles ces marques de commerce ont été en usage, depuis 2008 dans le cas d’ASSURANCIA et 2010 dans le cas d’ASSURANT. La Commission a alors examiné le critère établi aux alinéas 6(5)c) et d) qui portent sur le genre de services ou entreprises des parties et la nature de leur commerce. Elle a conclu que ces critères favorisaient la demanderesse en raison de l’intime connexité entre les services offerts par les parties. Contrairement à la prétention de la défenderesse, la Commission n’était pas convaincue de la nécessité de faire la distinction entre les services d’un assureur et ceux d’un courtier d’assurances.

[12]  La Commission a ensuite examiné ce qu’elle a désigné comme les [traduction] « circonstances additionnelles pertinentes » aux fins de son analyse de la confusion au sens de l’article 12. Premièrement, elle a examiné la preuve de l’état du registre et de l’état du marché et a constaté que la particule « ASSUR » est commune à plusieurs marques et cette particule étant à tout le moins hautement suggestive, il suffit d’y ajouter un autre élément pour permettre de les distinguer. En ce qui a trait à l’argument de la demanderesse selon lequel la particule « ASSUR » est commune aux marques de commerce en cause et non la particule « ASSURAN », la Commission a conclu qu’il n’y avait pas lieu de faire la distinction entre les deux puisqu’elles étaient toutes deux hautement suggestives et que la particule « ASSUR » se retrouve dans la composante « ASSURANT ». La Commission a souligné que, lorsqu’une partie choisit d’employer un nom évocateur non distinctif indépendamment de tout caractère distinctif acquis, elle doit accepter une certaine confusion sans sanction.

[13]  Deuxièmement, la Commission a précisé qu’aucun élément de preuve démontrant la confusion n’était inscrit au dossier et elle a indiqué qu’une conclusion défavorable peut être tirée de l’absence d’une telle preuve. Par conséquent, elle a conclu que l’absence d’une telle preuve favorisait la défenderesse.

[14]  La conclusion générale de la Commission, en ce qui a trait à l’absence de confusion entre les marques de commerce visées par le litige au sujet du motif d’opposition au sens de l’alinéa 12d), est résumée aux paragraphes 116 et 117 de la décision de la Commission :

[traduction]

[116]  J’arrive à cette conclusion en tenant compte du fait que la Marque a un caractère distinctif inhérent supérieur à la marque verbale ASSURANT, quoique faible et que les marques en présence sont différentes phonétiquement. Bien que les marques se ressemblent visuellement et dans les idées qu’elles suggèrent, cette ressemblance est due à la composante commune « ASSURAN » qui est pour le moins hautement suggestive des services des parties. Bien que cette composante forme la première partie des marques en présence, ce facteur est amoindri par le fait qu’elle soit hautement suggestive. Dans de tels cas, une légère différence sera suffisante pour les distinguer et réduire les probabilités de confusion. Finalement, il est opportun de rappeler que, lorsqu’une partie choisit d’employer un nom évocateur non distinctif indépendamment de tout caractère distinctif acquis, elle doit accepter une certaine confusion sans sanction [voir Man and His Home Ltd c Mansoor Electronic Ltd 1999 CanLII 7603 (CF), 87 PR (3e) 218].

[117]  J’ajouterais que ma conclusion d’absence de probabilités de confusion est supportée par le fait qu’il y a absence de preuve de cas de confusion malgré la coexistence des marques au Québec pendant une période de plus de 8 ans [références supprimées]

[15]  La Commission a alors examiné les deux autres motifs de l’opposition, notamment ceux fondés sur le paragraphe 16(1) et la définition de ce qui est « distinctif » en ce qui a trait à une marque de commerce à l’article 2 de la loi. Premièrement, la Commission a rejeté le motif d’opposition fondé sur le paragraphe 16(1) parce que la demanderesse ne s’était pas déchargée du fardeau initial de preuve qui lui incombait en ne réussissant pas à établir que les marques de commerce ASSUTANT avaient été révélées au Canada lors de la première utilisation de la Marque, soit la date par défaut du 31 janvier 2008.

[16]  Quant au motif de l’opposition fondée sur le caractère distinctif, la Commission était convaincue que la demanderesse s’était déchargée de son fardeau initial en établissant qu’à la date du dépôt de la déclaration d’opposition, les marques de commerce ASSURANT étaient utilisées au Canada. Toutefois, la Commission a conclu que la différence entre les dates pertinentes et le motif d’opposition fondé sur l’article 12 avait très peu d’effets sur l’analyse de la confusion de sorte que ses conclusions relatives à ce motif d’opposition s’appliquent également au motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif.

[17]  L’opposition de la demanderesse à l’enregistrement de la Marque a par conséquent été rejetée, puisque la Commission était convaincue de l’absence de probabilité de confusion entre les marques de commerce ASSURANT et ASSURANCIA.

C.  L’appel

[18]  Lors de l’appel, la demanderesse a présenté de nouveaux éléments de preuve qui, selon elle, démontrent, contrairement aux conclusions de la Commission, que les marques de commerce ASSURANT ont, en fait, été utilisées au Canada depuis bien plus longtemps et à une fréquence beaucoup plus régulière que la Marque. Cette preuve nouvelle est composée d’un affidavit de M. Paul Cosgrove, vice-président du développement de l’entreprise et de la gestion de la clientèle chez Assurant Solutions au Canada, démontrant censément l’utilisation continue des marques de commerce ASSURANT entre 1999 et 2010 en ce qui a trait à l’exécution de ses services de publicité et de promotion de la demanderesse.

[19]  La demanderesse estime que cette preuve a une incidence importante sur l’analyse de la confusion effectuée par la Commission et commande un nouvel examen de cette question, ce qui, par conséquent, ne peut que mener à conclure à la probabilité de confusion entre les marques de commerce des parties.

III.  Questions à trancher

[20]  Comme c’est souvent le cas dans les appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi, la présente affaire soulève deux questions :

  • a) Quelle norme de contrôle convient-il d’appliquer compte tenu des nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse?

  • b) Y‑a‑t‑il probabilité de confusion entre les marques de commerce ASSURANT et ASSURANCIA?

IV.  Discussion

A.  La norme de contrôle applicable

[21]  De façon générale, les questions de fait ou de droit qui relèvent de l’expertise de la Commission sont susceptibles de contrôle suivant la norme de la décision raisonnable. En d’autres termes, la Cour n’interviendra que si la décision de la Commission est clairement erronée (Chypre (Commerces et Industries) c Les Producteurs Laitiers du Canada, 2010 CF 719, au paragraphe 28, 393 FTR 1, autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada refusée, 34430 (12 avril 2012) [Cyprus]; Restaurants La Pizzaiolle Inc c Pizzaiolo Restaurants Inc, 2015 CF 240, au paragraphe 40).

[22]  Néanmoins, comme il est prévu au paragraphe 56(5) de la Loi, la norme de la décision correcte peut s’appliquer plutôt que la norme de la décision raisonnable lorsque de nouveaux éléments de preuve sont déposés devant la Cour. Ce changement se produira généralement s’il est établi que, si la Commission est saisie de nouveaux éléments de preuve qui sont susceptibles d’influencer sensiblement ses conclusions de fait ou la façon dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire (Hawke & Company Outfitters LLC c Retail Royalty Company, 2012 CF 1539, au paragraphe 30, 424 FTR 164). Il sera possible de s’acquitter de ce fardeau si les nouveaux éléments de preuve permettent de combler un écart ou de remédier à des déficiences soulevées par la Commission, et d’ajouter substantiellement à ce qui a déjà été soutenu. Dans un tel contexte, la Cour pourra examiner cette affaire, si la nouvelle preuve l’exige, comme s’il s’agissait d’un procès de novo (Cordon Bleu International Ltée c Renaud Cointreau & Cie (2000 [2000] A.C.F. no 1416 (QL), 10 CPR (4e) 367, au paragraphe 23). Cyprus, au paragraphe 28; Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, [2000] 3 CF 145 (CA), au paragraphe 51).

[23]  Des nouveaux éléments de preuve qui ne font que compléter ou confirmer des conclusions antérieures, qui ne font que répéter des éléments dont la Commission a déjà été saisie ou qui ne renforcent pas la valeur probante des éléments de preuve déjà présentés ne pourront toutefois pas suffire à écarter la norme déférente de la décision raisonnable, puisqu’il s’agit d’un critère de qualité et non de quantité (Conseil canadien des ingénieurs c Apa - Engineered Wood Assn, [2000] 184 FTR 55, au paragraphe 36, 7 CPR (4e) 239; Timberland Co c Wrangler Apparel Corp, 2005 CF 722, au paragraphe 7, 272 FTR 270).

[24]  Ces principes ont été réaffirmés par la Cour d’appel fédérale dans la décision récente Cathay Pacific Airways Limited c Air Miles International Trading BV, 2015 CAF 253 :

[15]  La Cour suprême a défini ainsi les effets de l’article 56 dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, au paragraphe 35 :

Lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l’affaire comme s’il s’agissait d’une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel (Philip Morris Inc. c.Imperial Tobacco Ltd., [1987] A.C.F. no 849 (QL) (C.A.)). L’article 56 laisse croire que le législateur voulait qu’il soit procédé à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion.

[25]  Il s’agit donc de trancher la question de savoir si l’affidavit de M. Cosgrove ajoute substantiellement à la preuve présentée devant la Commission à un point tel que, si celle-ci en avait antérieurement été saisie, la décision contestée en aurait sensiblement été influencée.

[26]  Comme il en a déjà été fait mention, l’affidavit de M. Cosgrove a pour objet d’étayer le fait que les marques de commerce ASSURANT ont été utilisées au Canada de façon continue depuis au moins 1999 en liaison avec les services de la demanderesse. À cet égard, il fournit des exemples de pièces documentaires démontrant que les marques de commerce en question ont été utilisées dans l’exécution des services en cause, et à la préparation de documents imprimés et en ligne à des fins de publicité et de promotion, depuis 1999 et encore plus intensément de 2004 à aujourd’hui.

[27]  La demanderesse a également déposé de nouveaux éléments de preuve qui consistent en un autre affidavit de la part du président, M. Duciaume, mettant à jour certains renseignements de son premier affidavit au sujet des activités publicitaires et promotionnelles de la défenderesse entre 2010 et 2016, ainsi que des revenus que celles-ci ont générés en 2014 et en 2015. Néanmoins, il y est prétendu qu’aucun des nouveaux éléments de preuve déposés par l’une ou l’autre des parties n’ajoute substantiellement à la preuve présentée devant la Commission et que, par conséquent, la décision de la Commission doit faire l’objet d’un contrôle suivant la norme de la décision raisonnable.

[28]  Plus particulièrement, bien que reconnaissant, sur le fondement de l’affidavit de M. Cosgrove, que la marque de commerce ASSURANT a été utilisée au Canada depuis avant 2008, la défenderesse soutient que ces nouveaux éléments de preuve ne sont pertinents qu’à un aspect de l’analyse sur la confusion effectuée par la Commission et que leur incidence sur les conclusions de la Commission n’aurait été que négligeable puisque cet aspect particulier — la durée de l’utilisation des marques de commerce en litige — n’avait eu que très peu d’incidence sur l’ensemble de l’analyse.

[29]  Il est vrai qu’en ce qui a trait à l’analyse sur la confusion, les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse ne seraient pas pertinents à la décision de la Commission eu égard au degré de ressemblance entre les marques, à la nature des services et à la nature du commerce. Ces nouveaux éléments de preuve ne seraient également pas pertinents à l’analyse des circonstances additionnelles pertinentes examinées par la Commission, en l’occurrence, l’état du registre et du marché ainsi que l’absence de preuve de confusion. Toutefois, je ne suis pas disposé à concéder que le même argument puisse s’appliquer à la décision de la Commission eu égard au motif d’opposition fondé sur l’article 16, lequel a été rejeté en raison de données probantes insuffisantes pouvant démontrer l’utilisation continue des marques de commerce ASSURANT avant la date à laquelle la Marque a été employée pour la première fois, pas plus qu’à l’analyse par la Commission de deux facteurs de confusion, c’est‑à‑dire, la période au cours de laquelle les marques de commerce en litige ont été utilisées, et le caractère distinctif inhérent des marques en question et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues. Il est pratiquement assuré que l’affidavit de M. Cosgrove remédie à des déficiences soulevées par la demanderesse à cet égard.

[30]  Il importe de souligner que, pour déclencher l’application de la norme de la décision correcte, les nouveaux éléments de preuve n’ont pas à constituer le genre de preuve pouvant inciter la Commission à changer sa position; il suffit, comme je l’ai déjà dit, qu’elle ait pu influer sur sa décision (Papiers Scott Limitée c Georgia-Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478, aux paragraphes 46 à 49).

[31]  En l’espèce, je préfère me tromper par excès de prudence et examiner à nouveau les motifs d’opposition en considérant les éléments de preuve dont je suis saisi, bien que, j’en conviens, les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse sont insuffisants, comme le soutient la défenderesse, pour faire pencher la balance de l’analyse de la confusion de son côté.

B.  L’analyse de la confusion

1)  Les principes applicables

[32]  Le régime de marques de commerce du Canada est conçu en vue de satisfaire à deux objectifs qui servent à la fois aux consommateurs et aux entreprises. Dans un premier temps, il fournit aux consommateurs une indication fiable de la source prévue des marchandises ou des services qu’ils consomment; par conséquent, il offre une garantie d’origine — un gage de qualité — que le consommateur finit par associer à une marque de commerce donnée. En deuxième lieu, il permet d’assurer l’équilibre entre la concurrence libre et la concurrence loyale favorisant des activités commerciales fondées sur les principes d’équité et permettant ainsi aux marchands de distinguer ses marchandises de celles de ses concurrents (Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 222, au paragraphe 21, [2006] 1 RCS 772, [Mattel]; Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, au paragraphe 1 [Masterpiece]).

[33]  Pour atteindre ces objectifs, l’article 19 de la loi confère au propriétaire d’une marque de commerce déposée le droit exclusif à l’emploi de la marque dans tout le Canada, en ce qui concerne les produits et services visés.

[34]  Pour que ce droit exclusif soit effectif, il ne peut y avoir de confusion entre la marque en cause et toute autre marque de commerce à quelque autre endroit au Canada (Masterpiece, précitée, aux paragraphes 31 et 33). La Loi prévoit à cet égard des mécanismes de protection de l’effectivité de ce droit par l’entremise, notamment, des conditions liées à l’enregistrement des marques de commerce (article 12) et des limites au droit de toute personne à l’enregistrement d’une marque de commerce (article 16).

[35]  Lorsque, comme en l’espèce, le propriétaire d’une marque déposée s’oppose, au moyen de ces mécanismes, à l’enregistrement d’une marque de commerce qui, selon lui, est susceptible de créer de la confusion avec sa propre marque, chaque partie doit s’acquitter du fardeau qui lui incombe. Premièrement, l’opposant doit établir l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition. Si l’opposant y parvient, c’est alors à la partie qui demande l’enregistrement qu’il incombe de convaincre la Commission, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande d’enregistrement respecte les exigences de la Loi (John Labatt Ltd. c Molson Co. (1990), 30 CPR (3e) 293, 36 FTR 70, décision confirmée en appel (1992), 42 CPR (3e) 495, 57 FTR 159; Cyprus, aux paragraphes 25 à 28).

[36]  Le concept de confusion est défini au paragraphe 6(2) de la Loi en ces termes :

6(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce ont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

6(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

[37]  Comme la Commission l’a souligné à juste titre, la notion de confusion selon ce que prévoit la loi doit s’appliquer sous l’angle du consommateur moyen et tient essentiellement de la première impression. Il faut donc trancher la question de savoir si le [traduction] « consommateur ordinaire plutôt pressé » qui voit la Marque alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de l’une ou l’autre des marques de commerce d’ASSURANT serait vraisemblablement confus, c’est‑à‑dire s’il est probable que ce consommateur considérerait que la défenderesse et la demanderesse constituent un seul et même fournisseur de services d’assurance et de finance (Masterpiece, aux paragraphes 40 à 41; Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20 [Veuve Clicquot]; Miss Universe, Inc c Bohna, [1995] 1 CF 614 (CAF), aux paragraphes 10 et 11 [Miss Universe]; Compulife Software Inc. c CompuOffice Software Inc. (2001), 13 CPR (4e) 117, au paragraphe 18 [Compulife]).

[38]  Le critère en matière de confusion requiert un examen global des marques concurrentes telles qu’elles apparaitraient au consommateur moyen. En d’autres termes, les marques de commerce en cause doivent être examinées comme un tout, et non par composantes et en syllabes à être analysées par des experts (Veuve Clicquot, au paragraphe 20; Masterpiece, au paragraphe 40). De plus, le critère est fondé sur l’hypothèse que les marques de commerce en cause sont employées [traduction] « dans la même région », que ce soit le cas ou non (Masterpiece, au paragraphe 30).

[39]  Il est précisé au paragraphe 6(5) de la Loi qu’un examen de la probabilité de confusion entre deux marques concurrentes doit « [tenir] compte de toutes les circonstances de l’espèce », y compris les facteurs qui y sont énumérés. Cette liste, laquelle est reproduite au paragraphe 8 des présents motifs, n’est pas exhaustive et la Commission n’a pas l’obligation d’accorder le même poids à chacun des facteurs examinés (Mattel, au paragraphe 54; Veuve Clicquot, aux paragraphes 21 et 27).

[40]  Sans renoncer à ses arguments portant sur le caractère non enregistrable (article 12) et le caractère non distinctif (article 2) et bien que la plupart de ses observations écrites présentées en appel soient consacrées au caractère non enregistrable, la demanderesse a choisi, lors de l’audience relative au présent appel, de cibler l’inadmissibilité (article 16), soutenant qu’elle n’a qu’à obtenir gain de cause sur un seul de ces trois motifs pour que son appel soit accueilli. Elle soutient en outre que, puisque c’est à la demanderesse qu’il incombe de s’acquitter du fardeau de preuve, en fin de compte, la demande d’enregistrement contestée doit être rejetée si, une fois l’analyse de la confusion achevée, il est toujours impossible de départager les probabilités de confusion et de non‑confusion.

2)  L’inadmissibilité

[41]  Il est prévu à l’article 16 que toute personne qui présente une demande en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce enregistrable en liaison avec des produits ou services a le droit d’en obtenir l’enregistrement à l’égard de ces produits ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l’a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n’ait créé de la confusion avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne. En l’espèce, la défenderesse soutient qu’elle a employé la Marque pour la première fois en janvier 2008. Puisqu’aucune date précise n’a été revendiquée, la Commission a établi que la date de la première utilisation avait été le dernier jour du mois, soit le 31 janvier 2008. La demanderesse ne conteste aucunement cette conclusion.

[42]  Puisque la défenderesse convient maintenant que la marque de commerce ASSURANT a été utilisée le 31 janvier 2008, ou avant, la demanderesse s’est acquittée du fardeau initial qui lui incombait de démontrer l’inadmissibilité, un résultat contraire aux conclusions de la Commission. Par conséquent, il faut procéder à une analyse de la confusion en ce qui a trait à l’inadmissibilité.

[43]  Selon Masterpiece, la première étape de l’analyse relative à la confusion est d’examiner si les marques en cause se ressemblent puisqu’il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans cette analyse, alors que les autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires (Masterpiece, au paragraphe 49).

[44]  La Commission a conclu que, malgré une certaine ressemblance visuelle et dans les idées qu’elles suggèrent, il existe une différence entre les marques en cause au niveau sonore en raison de la différence entre les suffixes « T » (dans ASSURANT) et « CIA » (dans ASSURANCIA).

[45]  La demanderesse ne souscrit pas à cette conclusion. Premièrement, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en analysant les marques de commerce une syllabe à la fois, plutôt que dans leur ensemble et en fonction de la première impression comme le commande la jurisprudence. Elle soutient que, considérée dans son ensemble, la Marque a une [traduction] « ressemblance évidente avec les marques de commerce ASSURANT aux plans visuel, phonétique et connotatif » et que toute impression de dissimilarité entre les deux marques concurrentes, liée aux suffixes différents [traduction] « ne peut dissiper la ressemblance indéniablement solide entre les deux » comme en font foi les sept lettres qu’elles ont en commun.

[46]  Je ne suis pas de cet avis. Un des éléments clés de la conclusion tirée par la Commission à cet égard — et plus précisément de ses conclusions générales — réside dans le fait que la ressemblance entre les marques de commerce en cause, dans la présentation et dans les idées qu’elles suggèrent, est attribuable à la présence de la composante commune « ASSURAN », laquelle est hautement suggestive et est en fait un nom évocateur non distinctif. Il en découle des différences minimes entre les marques de commerce, comme des suffixes différents qui ont pour effet d’apporter un son différent aux marques de commerce dans leur ensemble, dans une mesure suffisante pour les distinguer l’une de l’autre et réduire les probabilités de confusion. Un autre élément clé de la conclusion tirée par la Commission est le principe reconnu de longue date selon lequel la partie qui emploie des mots ou des termes fréquemment employés dans leur commerce peut s’attendre à une certaine confusion, mais que le consommateur moyen dans un tel contexte ait tendance à faire la distinction entre les caractéristiques non communes aux différentes marques de commerce (Molson Co. c John Labatt Ltd, (1994), 58 CPR (3e) 527, aux paragraphes 6 à 8 [John Labatt]).

[47]  En l’espèce, il existe indubitablement un certain degré de ressemblance entre ASSURANCIA et ASSURANT, mais celle-ci est attribuable à la caractéristique commune — « ASSURAN » — qui porte à penser aux assurances, le domaine des services offerts par les deux parties. C’est pourquoi j’estime que les caractéristiques non communes de ces marques concurrentes — les suffixes « T » et « CIA » — sont si importantes dans l’ensemble de l’analyse relative à la confusion. Dans Ultravite Laboratories Ltd. c Whitehall Laboratories Ltd. ([1965] RCS 734, à la page 737, citant Sealy Sleep Products Limited c Simpson’s-Sears Limited (1960), 33 CPR 129, à la page 136), la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il fallait éviter de concentrer l’analyse relative à la confusion sur les similitudes entre les marques de commerce concurrentes :

[TRADUCTION]

Lorsqu’il s’agit de déterminer si une marque de commerce crée de la confusion avec une autre, il n’est pas approprié de les décomposer en leurs éléments constitutifs, de faire porter l’attention sur les éléments qui sont semblables et de conclure qu’en raison de l’existence de ressemblances dans les marques de commerce, les marques de commerce dans leur ensemble créent de la confusion entre elles. Les marques de commerce peuvent être différentes les unes des autres et donc ne pas créer de confusion entre elles lorsqu’on les examine dans leur ensemble même si certains éléments examinés séparément contiennent des ressemblances. C’est la combinaison des éléments qui constitue la marque de commerce, et c’est l’effet de l’ensemble de la marque de commerce, et non l’effet d’une partie donnée de celle-ci, qu’il faut considérer.

[48]  Même s’il faut examiner les marques de commerce concurrentes comme un tout, il est tout de même possible d’en faire ressortir des caractéristiques particulières susceptibles de jouer un rôle déterminant dans la perception du consommateur moyen. Par ailleurs, c’est ce que la Commission a fait en l’espèce et j’estime que, sur le plan juridique, son approche est irréprochable.

[49]  Dans la présente affaire, je considère qu’étant donné que les deux marques de commerce sous-entendent de toute évidence qu’il est question d’assurance en raison de l’élément commun utilisé, les autres éléments des marques de commerce dans leur ensemble suffisent pour distinguer leurs sons et, dans une certaine mesure, leurs présentations également. Par conséquent, je ne vois aucune raison de m’immiscer dans la conclusion à laquelle est parvenue la Commission selon laquelle, bien que les marques de commerce en cause aient des éléments de ressemblance, lorsqu’elles sont examinées dans leur ensemble, elles sont, par leurs caractéristiques communes, dissemblables dans le son, et, en fin de compte, elles peuvent être distinguées par le consommateur moyen.

[50]  Pour les mêmes raisons, je ne vois aucun fondement justifiant que je m’immisce dans la conclusion tirée par la Commission eu égard au caractère distinctif inhérent des marques de commerce en cause. La Commission a conclu que le caractère distinctif inhérent aux deux marques de commerce était faible parce que leur caractéristique principale et commune — « ASSURAN » — était hautement suggestive du domaine de l’assurance lorsque ces marques de commerce sont employées en liaison avec les services offerts par les parties. Toutefois, elle a conclu qu’ASSURANCIA, étant un mot inventé, possédait un caractère distinctif inhérent plus élevé que la marque ASSURANT.

[51]  À cet égard, la demanderesse soutient principalement que la Commission a commis une erreur en n’examinant pas ce facteur sous l’angle du consommateur anglophone. Elle soutient qu’en ce qui a trait aux décisions canadiennes relatives à la confusion en matière de marques de commerce, le critère applicable est celui qui consiste à déterminer s’il y a un risque de confusion chez le consommateur bilingue moyen, anglophone ou francophone, de sorte que, s’il existe une probabilité de confusion dans l’une ou l’autre des deux langues officielles de notre pays, une marque de commerce ne peut être déposée.

[52]  En l’espèce, la demanderesse prétend que la Commission aurait examiné le caractère distinctif inhérent des marques de commerce concurrentes uniquement sous l’angle du consommateur francophone. Elle soutient que la caractéristique commune aux marques de commerce — « ASSURAN » — peut être suggestive de services d’assurance pour le consommateur moyen francophone, mais qu’aux yeux du consommateur moyen anglophone cette caractéristique commune indique plutôt de simples idées générales dans le sens de s’assurer de quelque chose ou de veiller à ce que quelque chose se produise, puisque, dans la langue anglaise au Canada, le mot « assure » n’indique aucune association particulière avec le domaine des assurances. Par conséquent, pour le consommateur moyen anglophone, les marques de commerce ASSURANT pourraient tout aussi bien être perçues comme un mot inventé au même titre que l’est ASSURANCIA pour le consommateur moyen francophone. Poursuivant cette observation, les marques de commerce ASSURANT posséderaient le même degré de caractère distinctif inhérent que la Marque et protégeraient la position supérieure de la demanderesse contre la neutralisation dans la mesure dans laquelle les marques de commerce ASSURANT sont devenues connues au Canada.

[53]  La demanderesse cite Smithkline Beecham Corporation c Pierre Fabre Médicament, 2001 CAF 13 [Smithkline] et Bluedot Jeanswear Co. c 9013-0501 Québec Inc., 2004 CF 197 [Bluedot], pour étayer sa prétention selon laquelle il y a un risque de confusion si le consommateur anglophone, ou francophone ou bilingue était confus quant à l’origine des marchandises ou des services. Associés aux marques de commerce.

[54]  Dans Smithkline, il était question de déterminer en appel si la Cour avait commis une erreur dans son appréciation de la confusion uniquement dans une perspective bilingue. La demanderesse cite les paragraphes 10 et 13 à 15, lesquels appuient l’affirmation selon laquelle le risque de confusion existe ci ce risque de confusion existe dans l’une ou l’autre des langues officielles. Au paragraphe 13, la Cour a écrit que « [l’]approche adoptée par la Cour se comprend aisément. Le français et l’anglais ont valeur égale au Canada ». Si les marques de commerce ont une valeur égale, celle qui est un mot inventé dans les deux langues officielles serait tout de même plus distinctive que celle qui pourrait donner l’impression d’être un mot inventé dans seulement une des langues officielles.

[55]  Toutefois, j’estime que le paragraphe 7 de la décision est pertinent afin de s’assurer que l’arrêt Smithklin n’est pas considéré hors contexte et il m’incite à conclure que le fait qu’une marque de commerce est suggestive en anglais et en français des services en liaison avec lesquels elle est employée serait préjudiciable à son caractère distinctif inhérent.

7.  Dans Boy Scouts of Canada c. Alfred Sternjakob GmbH & Co. KG (1984), 2 C.P.R. (3e) 407 (C.F. 1re inst.), à la page 413, le juge Joyal a exprimé l’opinion qui suit :

[...] On peut soutenir que le critère retenu dans la Loi sur les marques de commerce et les conclusions fondées sur les preuves quant à la confusion et la tromperie devraient être mesurés, non seulement en fonction de l’expérience anglophone, mais aussi de l’expérience francophone. Ce moyen aboutirait à une étude sur la signification de certains mots dans un contexte bilingue, où chaque langue a une égale présence.

Il est indéniable que la politique du Bureau des marques de commerce et la pratique des avocats et des agents devant ce Bureau sont de vérifier et d’analyser les conséquences descriptives, trompeuses, distinctives et prêtant à confusion qui découlent d’une adaptation française ou anglaise d’un mot en particulier ou de son utilisation comme marque de commerce enregistrée.

[56]  Dans Bluedot, l’élément commun entre les deux marques en cause (ORAGE et RAGE JEANS) était « RAGE », dont la signification est la même dans l’une ou l’autre des langues officielles. La cour a conclu que le caractère distinctif inhérent aux deux marques de commerce était faible et que le facteur caractère distinctif inhérent était neutre. Contrairement à la situation en l’espèce, il n’est pas question de mots inventés, et il ne s’agit pas non plus d’une situation où l’élément commun entre les deux marques est suggestif des produits associés à la marque de commerce dans l’une ou l’autre des langues.

[57]  En résumé, je ne suis pas porté à accepter l’argument de la demanderesse, mais plutôt à conclure dans le même sens que la Commission, selon laquelle une marque de commerce qui est un mot inventé dans les deux langues officielles constitue un élément distinctif plus important que s’il s’agit d’une marque de commerce qui est un mot [traduction] « inventé » en anglais, mais un mot qui existe réellement dans la langue française. Accepter l’argument de la demanderesse, selon lequel ASSURANT a le caractère distinctif inhérent d’un mot inventé en anglais et, du fait même, ne pas accepter l’enregistrement de la marque de commerce ASSURANCIA, aurait comme conséquence d’accorder à la demanderesse l’emploi exclusif de la majorité du mot « assurance » (insurance) en français (et du participe présent du verbe « assurer » (to insure) en français). Ce qui équivaut à conclure que, dans une situation linguistique inverse, deux marques de commerce composées de « INSURAN » ayant des suffixes différents et qui seraient associées à des services d’assurance créeraient de la confusion pour le consommateur unilingue francophone moyen, une situation dont la réalisation est très peu probable, à mon avis.

[58]  De plus, comme la défenderesse l’a souligné, le mot « assurance » en anglais a un sens lié au domaine des assurances, comme en font foi les définitions du Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary et du Oxford Dictionary auxquelles nous a renvoyés la défenderesse. Bien que l’utilisation de ce mot en relation avec assurance (insurance) puisse être plus répandue en Grande-Bretagne qu’au Canada, je partage l’opinion de la défenderesse selon laquelle rien dans le dossier en l’espèce ne porte à croire que ce sens précis donné au mot « assurance » ne serait pas compris par le consommateur moyen anglophone ici au Canada puisqu’une multitude d’autres mots de la langue anglaise qui sont couramment utilisés en Grande-Bretagne comme « trousers » (pour « pants » - pantalons), « flat » (pour « apartment » - appartement) et « petrol » (pour « gasoline » - essence) sont compris.

[59]  Puisque je suis autorisé à prendre connaissance d’office des définitions du dictionnaire (R c. Krymowski, 2005 CSC 7, au paragraphe 22), j’ajouterais que les mots « assurer » et « assuror » en anglais (assureur), qui font de toute évidence partie du vocabulaire habituellement compris au Canada, ont un élément commun avec ASSURANT (ASSUR) et ils expriment tous deux le même sens — celui d’une personne qui vend de l’assurance — directement associé au domaine de l’assurance. Par conséquent, on ne peut constater d’emblée que les marques de commerce ASSURANT n’auraient, en fait, que le sens général de veiller à ce qu’un certain évènement se produise ou de s’assurer à ce qu’il en soit ainsi, aux yeux du consommateur moyen anglophone, et qu’elles ne portent plutôt à penser à des produits ou services d’assurance.

[60]  De plus, étant donné que les consommateurs contractent habituellement de l’assurance pour la protection qu’elle offre en cas de perte, j’estime que la position de la demanderesse est plutôt faible, surtout en considérant, comme je l’ai dit, que, si je devais accepter l’argument de la demanderesse, cette dernière obtiendrait, pratiquement, l’emploi exclusif de la racine du mot assurance en français, en liaison avec les produits ou services d’assurance.

[61]  Je souscris à l’opinion de la défenderesse selon laquelle les observations de la demanderesse, eu égard au caractère distinctif inhérent des marques de commerce ASSURANT, sont viciées en droit puisqu’elles sous-tendent que le principe bien établi, selon lequel des marques de commerce hautement suggestives ne bénéficient pratiquement d’aucune protection en vertu de la Loi et que la moindre différence suffira à les distinguer et à réduire les probabilités de confusion, s’appliquerait uniquement aux marques de commerce qui sont hautement suggestives dans les deux langues officielles. Rien dans la jurisprudence n’appuie une telle proposition. Au contraire, comme la défenderesse l’a souligné, il existe des exemples de situations où il a été conclu que des marques de commerce concurrentes contenant un élément descriptif commun dans une seule des langues officielles ne créaient pas de confusion. Brasseries Molson et Compulife en sont deux exemples. L’élément descriptif commun dans ces deux affaires était « GOLD » et « GOLDEN » dans un cas et « Compu » dans l’autre.

[62]  Par conséquent, je conclus que, contrairement à ce que soutient la demanderesse, les marques de commerce ASSURANT n’ont pas le même degré de caractère distinctif inhérent que la Marque; celui de la Marque étant supérieure.

[63]  Cela étant dit, selon les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse, les marques de commerce ASSURANT sont devenues connues au Canada depuis une époque antérieure à 2008, alors que la Marque est devenue connue au Québec depuis 2008 seulement, et bien qu’une certaine partie de sa publicité ait une portée nationale, ses activités sont exercées au Québec uniquement. Les marques de commerce ASSURANT sont, par conséquent, mieux connues au Canada que la marque de commerce ASSURANCIA.

[64]  La défenderesse convient que les marques de commerce ASSURANT ont été utilisées depuis une époque antérieure à 2008, bien que la demanderesse allègue que les nouveaux éléments de preuves démontrent une utilisation remontant à une époque antérieure à 1999. Puisque la marque n’a été utilisée que depuis janvier 2008, cette situation favorise également la demanderesse, comme c’est par ailleurs le cas, en ce qui a trait au genre de services et à la nature du commerce des parties qui se chevauchent, même si l’une des parties est un assureur et l’autre un courtier en assurances. La Commission a conclu, contrairement à ce que soutient la défenderesse, que cette situation ne constituait pas une différence entre les services puisque les deux parties offraient des services d’assurance et de finance. La défenderesse ne conteste aucunement cette conclusion et je ne vois aucune raison pour ne pas y souscrire.

[65]  Considérant uniquement les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, la réputation, la période d’usage, le genre de service et la nature du commerce favorisent la demanderesse. Toutefois, l’analyse relative à la confusion n’en est pas pour autant achevée, puisqu’une telle analyse doit porter sur [traduction] « l’ensemble des circonstances ». L’une d’elles étant l’état du registre et des marchés. Ces circonstances révèlent que la ressemblance entre ASSURANT et ASSURANCIA est commune en ce qui a trait au marché et commune aux marques de commerce ayant des services connexes. Pour décider si l’état du registre et des marchés indique un risque faible de confusion, la preuve doit démontrer l’existence sur le marché de plusieurs marques de commerce qui comprennent la caractéristique commune (Welch Foods Inc. c Del Monte Corp, [1992] A.C.F. no 643, 44 CPR (3e) 205, aux paragraphes 9 et 10; Ports International Ltd. Ports International Ltd. c Dunlop Ltd., [1992] TMOB n2, 41 CPR (3e) 432, au paragraphe 10).

[66]  La preuve présentée à la Commission démontre l’existence de 69 références tirées du registre contenant « ASSUR » suivi d’un autre élément suggestif et associé à l’assurance, y compris ASSURACCI et ASSURAIDE, dont les six premières lettres sont les mêmes dans chacun des cas avec ASSURANT et ASSURANCIA. Qui plus est, d’une liste de 900 compagnies d’assurance et de courtiers d’assurance exerçant leurs activités au Québec, 130 courtiers et 37 assureurs utilisent « ASSURAN » dans leur nom d’entreprise ou corporatif. Il serait toujours possible de soutenir que ces exemples sont limités géographiquement, mais j’estime devoir y accorder un poids important, étant donné que le Québec est la deuxième province en termes de population, et qu’il est généralement reconnu qu’elle est la seule province dont la population est majoritairement francophone. Il s’agit donc de la seule province où le mot « assurance » est le mot le plus couramment employé pour désigner « insurance ».

[67]  Comme je l’ai indiqué précédemment, les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, lorsqu’ils sont examinés de manière indépendante, peuvent mener à conclure que ASSURANCIA créé de la confusion avec ASSURANT. Néanmoins, ce serait une erreur que de rejeter la demande relative à ASSURANCIA sur ces motifs. Lors de l’analyse relative à la confusion, il faudrait accorder un poids important à l’état du registre et du marché puisqu’il explique pourquoi certaines circonstances énumérées au paragraphe 6(5) semblent être favorables à la demanderesse : la partie identique des marques de commerce des deux parties est communément utilisée dans l’industrie et de manière hautement suggestive à l’égard de celle-ci.

[68]  Dans John Labatt (aux paragraphes 6 et 8), la Cour d’appel a établi de façon non équivoque que, lorsqu’une partie utilise des mots ou des termes utilisés communément dans leur commerce, la partie qui se trouve dans une telle situation doit s’attendre à un certain degré de confusion. On peut s’attendre du public qu’il sera capable de mieux faire la part des choses lorsque les marques de commerce sont descriptives et les consommateurs tendent à faire la distinction entre les caractéristiques non communes des marques de commerce respectives. En l’espèce, les deux marques de commerce commencent par « ASSURAN » ce qui est communément utilisé dans l’industrie de l’assurance au Québec et dont une partie « ASSUR » est utilisée dans plusieurs marques de commerce déposées associées à l’assurance. Il faut donc s’attendre à un certain degré de confusion et les éléments de distinction, en l’espèce, les suffixes « T » et « CIA » suffisent pour faire la distinction entre les marques de commerce.

[69]  Je souscris à la conclusion de la Commission, selon laquelle ASSUR et ASSURAN sont, dans des mesures égales, suggestives de l’industrie dans laquelle les deux parties exercent leurs activités commerciales parce qu’elles contiennent toutes deux le mot « assurance », un terme qui est, par ailleurs, suggestif de l’industrie de l’assurance (insurance) en anglais et s’écrit textuellement de la même manière en français (assurance). L’ajout de « AN », qui est commun aux deux marques, contribue moins à les distinguer des nombreuses marques « ASSUR » que leurs suffixes « T » et « CIA » réussissent à les distinguer l’une de l’autre, puisque le consommateur moyen, habitué à faire la distinction entre les marques « ASSUR », tentera de trouver les facteurs distinctifs des marques de commerce.

[70]  J’estime que l’analyse relative à la confusion favorise la conclusion selon laquelle il n’y a aucun risque de confusion entre les marques de commerce visées par le litige. À l’instar de la Commission, je ne suis pas tenu d’accorder le même poids aux divers facteurs dont il faut tenir compte dans le cadre de l’analyse relative à la confusion (Mattel, au paragraphe 54; Veuve Clicquot, aux paragraphes 21 et 27).  En l’espèce, j’accorde plus de poids à ce qui me semble être les facteurs principaux compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, c’est‑à‑dire, le caractère distinctif inhérent des deux marques de commerce, le degré de ressemblance entre les marques, et l’état du registre. Aucun de ces facteurs ne milite en faveur de la demanderesse. De plus, l’état du registre neutralise deux facteurs, la nature du commerce et le genre de produits, services ou entreprises, qui, autrement, seraient favorables à la demanderesse. Étant donné que l’état du registre indique que plusieurs marques « ASSUR » sont associées à des services d’assurance ainsi que deux autres marques « ASSURA », je ne peux conclure que l’élément commun des marques de commerce en cause est distinctif en faveur de la demanderesse en association avec l’industrie de l’assurance.

[71]  Le motif d’opposition fondé sur l’inadmissibilité doit par conséquent être rejeté.

3)  Le caractère non enregistrable

[72]  Puisqu’il ne fait aucun doute que la marque de commerce de la demanderesse a été déposée et qu’elle était utilisée à la date à laquelle la décision de la Commission a été rendue, c’est-à‑dire, la date pour analyser le motif de l’opposition fondée sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi (Park Avenue Furniture c Wickes/Simmons Bedding Ltd., 37 C.P.R. (3e) 413, à la page 424), la demanderesse s’acquitte de son fardeau de preuve. Toutefois, j’arrive à la même conclusion que celle que j’ai tirée en m’appuyant sur le motif d’opposition fondé sur l’article 16, en ce qui a trait au risque de confusion entre la Marque de la défenderesse et la Marque de la demanderesse. La Marque ne peut donc pas être enregistrée.

4)  Le caractère distinctif

[73]  J’ai examiné le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ASSURANT et ASSURANCIA, aux paragraphes 51 à 63 des présents motifs. J’ajouterais cependant que, selon le fondement la décision rendue par notre Cour dans Alticor Inc. c Nutravite Pharmaceuticals Inc. (2003) 27 CPR (4e) 99 (CF) [Alticor], rejetant l’opposition de NUTRILITE à l’égard de NUTRAVITA, il est loisible à la Cour de conclure qu’en tant que terme fabriqué, dans une industrie où l’utilisation de la racine du mot « ASSUR » est commune, ASSURANCIA est distinctive (Altico, au paragraphe 36; voir également Compulife).

[74]  Pour ajouter à mes conclusions selon lesquelles il n’existe aucun risque de confusion entre les marques ASSURANT et ASSURANCIA, et que la défenderesse a droit à l’enregistrement de sa Marque, laquelle est à la fois enregistrable et distinctive, j’estime que d’accepter l’opposition de la demanderesse créerait un dangereux précédent. ASSURANT est le participe présent du verbe assurer (to insure) en français. Qui plus est, la partie commune aux deux marques de commerce fait également partie du mot « assurance » en français (insurance en anglais). Si l’opposition est acceptée, une marque de commerce qui commencerait avec « assurance » serait-elle opposable également? Mais, même si je devais conclure qu’il y avait un risque de confusion entre les marques de commerce en cause, je persiste à dire que [traduction] « c’est un risque qu’il faut courir, à moins que [la demanderesse] ne soit injustement autorisée à monopoliser ces mots » (John Labatt, au paragraphe 6, citant Office Cleaning Services, Ltd. c Westminster Window and General Cleaners, Ltd.).

[75]  Somme toute, je suis convaincu qu’un consommateur ordinaire plutôt pressé qui voit la Marque alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de l’une ou l’autre des marques de commerce d’ASSURANT ne penserait vraisemblablement pas que la défenderesse et la demanderesse constituent un seul et même fournisseur de services d’assurances et de finances. L’appel interjeté par la demanderesse est, par conséquent, rejeté avec dépens, et la décision de la Commission de rejeter l’opposition de la demanderesse à l’égard de l’enregistrement de la Marque est par la présente confirmée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté avec dépens.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1473-16

 

INTITULÉ :

ASSURANT, INC. c ASSURANCIA, INC.

 

DATE DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 11 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 FÉVRIER 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Christopher Pibus

Me James Green

 

Pour lA DEMANDERESSE

 

Me Pascal Lauzon

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour lA DEMANDERESSE

 

BCF Business Law

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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