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Date : 20180131

Dossier : T-1168-15

Référence : 2018 CF 108

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

ADVANCE MAGAZINE PUBLISHERS, INC.

demandeur

et

BANFF LAKE LOUISE TOURISM BUREAU

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Le Banff Lake Louise Tourism Bureau (« Banff ») souhaitait promouvoir le tourisme pendant la « saison intermédiaire », c’est-à-dire la période entre la fin de l’été et le lancement de la saison de ski. L’organisme a donc décidé d’annoncer la tenue d’un événement d’une durée de dix jours, en novembre, au cours duquel les restaurants de la région offriraient des repas spéciaux à prix fixe sous la marque « Bon Appétit Banff ». À cette fin, il a fait appel aux restaurants locaux, a créé un site Web, a imprimé divers documents publicitaires et a demandé aux restaurants participants d’imprimer sur leurs menus et autres documents la marque « Bon Appétit Banff ». Il a également soumis une demande de protection de la marque commerciale constituée de cette désignation; c’est cette demande qui a donné lieu à la présente instance.

[2]  Advance Magazine Publishers, Inc. (“Advance”) s’est opposé à la demande de Banff, au motif qu’il avait déjà enregistré un certain nombre de marques de commerce sous la désignation « Bon Appétit » et que l’enregistrement de « Bon Appétit Banff » aurait sans doute pour effet de semer la confusion sur le marché. La Commission des oppositions des marques de commerce (« COMC ») a accueilli la demande de Banff, concluant que la partie adverse n’avait pas déposé d’éléments de preuve pour étayer ses revendications, tandis que Banff avait déposé des éléments de preuve démontrant l’utilisation limitée de la marque. Advance a interjeté un appel en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, [la Loi] et a déposé de nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 56(5) de la Loi. Banff avait été notifié de cette instance, mais n’a pas participé.

[3]  La question à trancher aux présentes consiste à déterminer si un consommateur ordinaire, un peu pressé, qui consulterait un menu, un avis ou un site Web annonçant « Bon Appétit Banff » croirait que la source des services associés à la marque de commerce « Bon Appétit Banff » est la même que la source des produits et services associés aux marques de commerce BON APPÉTIT d’Advance. Si tel est le cas, l’opposition d’Advance à l’enregistrement de la marque de commerce du défendeur devrait être accueillie et la décision de la COMC devrait être annulée.

[4]  Pour les motifs suivants, j’accueille cet appel.

II.  CONTEXTE

[5]  Le 16 mars 2011, Banff a déposé une demande en vue d’enregistrer la marque BON APPÉTIT BANFF, en fonction de l’emploi proposé au Canada, en lien avec les services ci-après :

[traduction]

Promouvoir des événements auprès des visiteurs en diffusant des messages publicitaires à la radio et à la télévision, en distribuant du matériel publicitaire imprimé et en transmettant des bulletins par courriel; promouvoir les produits et services des membres, à savoir des établissements d’hébergement, des restaurants, des boutiques, des organisateurs de visites guidées et des centres d’art et de sport au moyen de messages publicitaires à la radio et à la télévision, en distribuant du matériel publicitaire imprimé et en transmettant des bulletins par courriel; exploiter un site Web faisant la promotion d’événements, de produits et de services de tiers; transmettre de l’information sur des événements par courriel, au téléphone ou en personne.

[6]  Cette demande a été annoncée dans le Journal des marques de commerce le 7 décembre 2011 et Advance s’y est opposé.  Banff a déposé une contre-déclaration niant de façon générale les allégations contenues dans la déclaration d’opposition. Lors de l’audience devant la COMC, Advance a présenté des éléments de preuve concernant la marque verbale enregistrée BON APPÉTIT (enregistrée sous le numéro TMA576328 le 25 février 2003) et son dessin-marque nominale BON APPETIT DESIGN (enregistré sous le numéro TMA221520 le 24 juin 1977) :

BON APPETIT DESIGN

[7]  Les produits et services couverts par ces enregistrements sont les suivants :

[traduction]

Les magazines et les publications en ligne distribués en format électronique sur internet; l’exploitation d’un site Web permettant, d’une part, aux consommateurs de s’abonner à des magazines destinés aux consommateurs et, d’autre part, aux annonceurs de promouvoir leurs produits et services sur internet.

[Numéro d’enregistrement TMA576328]

Publications, à savoir un magazine.

[Numéro d’enregistrement TMA221520]

[8]  En outre, Advance a cité ses demandes concernant ses marques de commerce BON APPÉTIT et BON APPETIT DESIGN en lien avec une utilisation proposée des produits et services ci-après :

[traduction]

Services éducatifs, à savoir organisation de cours, de séminaires, de conférences et d’ateliers, en ligne et en personne, dans les domaines de la préparation d’aliments et de boissons, arts culinaires et distribution de matériel de formation, à savoir matériel d’éducation et d’enseignement, entre autres, des livres, des dépliants, des manuels, des DVD, des vidéocassettes, des téléchargements MPS, des clés USB, des dispositifs de mémoire portable, des vidéos numériques.

[Demande numéro 1521530 déposée le 24 mars 2011]

Papeterie et produits de papeterie tels que papier à lettres, journaux personnels, calendriers, cartes de correspondance... enveloppes et cartes de correspondance imprimées.

[Demande numéro 1419418 déposée le 17 novembre 2008]

[9]  Divers motifs d’opposition ont été revendiqués, mais le principal motif était que les marques faisant l’objet de la demande portaient à confusion avec celles du demandeur, allant à l’encontre des alinéas 12(1)d) et 16(3)a) et d) de la Loi; donc, Banff ne pouvait pas croire qu’il avait droit à l’enregistrement en vertu de l’alinéa 30(i) parce qu’il connaissait les marques BON APPÉTIT et BON APPETIT DESIGN d’Advance lorsqu’il a déposé sa demande.

[10]  À l’audience devant la COMC, Advance a déposé l’affidavit d’un chercheur de marques de commerce qui contenait des éléments de preuve concernant les enregistrements et les demandes énumérés ci-dessus, en plus d’une copie d’un logotype affiché sur le site Web de Banff :

[11]  Banff a déposé trois affidavits : deux du directeur des Services de villégiature qui décrivent la nature de l’événement faisant l’objet de l’enregistrement et les activités qui y étaient associées, et l’autre d’un parajuriste qui avait effectué une recherche dans la base de données sur les marques de commerce dans le but de trouver des marques de commerce actives contenant l’expression « bon appétit ».

[12]  À la suite de l’audience de l’affaire, la COMC a acquiescé à la demande. Elle a conclu que, même si les deux marques verbales se ressemblaient, l’expression « bon appétit » ne contenait rien de particulièrement frappant ou unique. Elle a également mentionné que l’idée de déguster un repas ne peut pas faire l’objet d’un monopole. Il est important de noter que la décision de la COMC repose sur les éléments de preuve qui lui ont été présentés, lesquels montraient que Banff avait fait une utilisation limitée, sur une période de deux semaines pendant un certain nombre d’années, de sa marque dans la région touristique de Banff –Lake Louise, tandis qu’Advance n’avait pas présenté d’éléments de preuve concernant la nature ou la qualité des produits ou services qu’il offrait sous ses marques. En dépit de la similitude entre les marques des deux parties, la COMC a conclu que l’enregistrement devrait être accordé.

III.  QUESTIONS EN LITIGE

[13]  Cet appel soulève deux questions :

  1. Quelle est la portée de l’examen à la lumière des nouveaux éléments de preuve?
  2. L’enregistrement et l’utilisation de la marque par le défendeur risquent-ils de semer la confusion chez les consommateurs, eu égard aux marques du demandeur?

IV.  ANALYSE

A.  Quelle est la portée de l’examen à la lumière des nouveaux éléments de preuve?

[14]  Advance soutient que je devrais procéder à une nouvelle audience des questions, parce qu’il a déposé de nouveaux éléments de preuve aux fins du présent appel. La disposition pertinente de la Loi est énoncée au paragraphe 56(5) :

Preuve additionnelle

Additional evidence

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

[15]  La norme de contrôle d’un appel aux termes de l’article 56 est fondée sur la production ou l’absence de production de nouveaux éléments de preuve. Dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 35 [Mattel], la Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, le réexamen porte à la fois sur des questions de droit et de fait :

[...] Lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l’affaire comme s’il s’agissait d’une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel. L’article 56 laisse croire que le législateur voulait qu’il soit procédé à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion.

[Renvois omis.]

[16]  Si la Cour conclut que les éléments de preuve supplémentaires auraient eu une incidence importante sur les conclusions de la COMC ou sur l’exercice de son pouvoir, elle pourra procéder à un nouvel examen de la question à laquelle ces nouveaux éléments se rapportent : Molson Breweries v John Labatt Ltd., [2000] 3 FC 145, au paragraphe 51 (CAF) [Molson Breweries]; Spirits International B.V. c. BCF S.E.N.C.R.L., 2012 CAF 131, au paragraphe 10 [Spirits International]. Pour déterminer si les éléments de preuve supplémentaires étaient susceptibles ou non d’influer substantiellement sur la décision de la COMC, la Cour doit en évaluer la qualité, et non la quantité (en tenant compte de leur nature, de leur valeur probante et de leur fiabilité) pour déterminer si les éléments de preuve supplémentaires ajoutent des éléments importants (Illico Communication Inc. c. Norton Rose S.E.N.C.R.L., 2015 CF 165, au paragraphe 26 [Illico Communications]; Mcdowell c. The Body Shop International PLC, 2017 CF 581, au paragraphe 11).

[17]  Alors qu’une preuve nouvelle pourrait « affaiblir le fondement factuel de la décision rendue par la Commission et lui enlever le poids que lui confère l’expertise de la Commission », cela « n’empêche pas en soi que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent » : Mattel au paragraphe 37; voir également Molson Breweries, aux paragraphes 46 à 51.

[18]  Il faut alors déterminer si les nouveaux éléments de preuve qui sont déposés en appel sont : i) nouveaux en ce sens qu’ils apportent des renseignements supplémentaires autres que ceux dont la COMC était saisie; ii) probants et fiables, car ils traitent d’une question pertinente pour les questions juridiques en litige et sont également fiables au regard des critères juridiques habituels; iii) susceptibles ou non d’influer substantiellement sur les conclusions de la COMC ou sur l’exercice de son pouvoir (Spirits International; Gemological Institute of America c. Gemology Headquarters International, 2014 CF 1153, au paragraphe 25; Illico Communications, au paragraphe 24).

[19]  En ce qui concerne le dernier volet de cette analyse, à savoir déterminer si les nouveaux éléments de preuve auraient pu avoir une incidence importante sur les conclusions de fait de la COMC ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le dernier paragraphe de sa décision facilite ma tâche.

[traduction]

J’ajouterai que si la partie adverse avait fourni dans sa déclaration d’opposition des éléments de preuve étayant sa plaidoirie... c’est-à-dire des éléments de preuve démontrant que son magazine s’était taillé une réputation substantielle (et en outre que le magazine était consacré à la cuisine et à la gastronomie), alors l’issue de cette procédure aurait sans doute été favorable à la partie adverse.

[20]  Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la décision faisant l’objet de l’appel repose en grande partie sur les éléments de preuve qui ont été déposés par Banff, vu l’absence d’éléments de preuve sur l’utilisation des marques par Advance. En ce qui concerne l’appel aux présentes, Advance a déposé de nouveaux éléments de preuve substantiels dans un affidavit de Betty Wong Ortiz, la directrice de la Stratégie et des opérations de sa division Bon Appétit. J’aborderai l’essentiel de cet élément de preuve dans la prochaine partie de ma décision; cependant, en résumé, cet élément établit que la division Bon Appétit d’Advance se livre aux activités ci-après depuis au moins dix ans :

  • Publication et vente à des millions d’exemplaires au Canada d’un magazine sous la bannière Bon Appétit.
  • Exploitation d’un site Web canadien ayant un énorme achalandage, comme en témoignent plus de 60 millions de visites uniques par des Canadiens au cours de cette période.
  • Établissement d’une vaste présence sur les réseaux sociaux, dont un nombre important d’abonnés canadiens, ainsi qu’un nombre substantiel de « visualisations » par des Canadiens de ses vidéos diffusées sur YouTube.
  • Utilisation sous licence de sa marque par Home Shopping Network et divers détaillants bien connus, ainsi que par un fabricant d’appareils ménagers.

[21]  Comme je l’indiquerai ci-après, l’affidavit inclut aussi des exemples d’articles sur des attractions touristiques dans différentes villes canadiennes, des festivals et événements gastronomiques, ainsi que des publicités diffusées par plusieurs autorités touristiques canadiennes.

[22]  De toute évidence, ces éléments de preuve sont à la fois nouveaux, en ce sens qu’ils n’ont pas déjà été soumis à la COMC, et pertinents, parce qu’ils offrent un fondement juridique pour les arguments d’Advance concernant le critère de confusion énoncé dans la Loi. Ils portent également les éléments essentiels de la crédibilité, car ils sont présentés par un cadre supérieur officiel qui a accès à l’information pertinente et incluent des exemplaires du magazine, des extraits de différents articles qui ont été publiés, des saisies d’écran du site Web, ainsi que des données sur l’utilisation que font les Canadiens du site Web et des plateformes de médias sociaux. Le dernier paragraphe de la décision, citée ci-dessus, montre clairement que ce genre d’éléments de preuve aurait eu une incidence sur les conclusions de la COMC ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Vu mes conclusions sur ce point, je dois procéder à un nouvel examen en m’appuyant sur les nouveaux éléments de preuve et sur les anciens pour déterminer si la demande d’enregistrement doit être accordée ou non.

B.  La marque du défendeur risque-t-elle de semer la confusion chez les consommateurs?

[23]  Selon le paragraphe 6(2) de la Loi, l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait sans doute susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce proviennent de la même source :

[Quand une marque ou un nom crée de la confusion]

[When mark or name confusing]

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

[24]  Le critère juridique est bien connu, comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Masterpiece Inc c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, au paragraphe 40 [Masterpiece] :

Il est utile, en commençant l’analyse relative à la confusion, de se rappeler le critère prévu dans la Loi. Dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 20, le juge Binnie a reformulé la démarche traditionnelle de la façon suivante :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

[25]  Le paragraphe 6(5) de la Loi prévoit ce qui suit :

Éléments d’appréciation

What to be considered

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[26]  L’analyse relative à la confusion doit reposer sur les droits que procure l’enregistrement, et non sur la forme particulière d’utilisation de la marque sur le marché à un moment donné (Masterpiece, aux paragraphes 42 à 59). Même s’il faut tenir compte des circonstances de l’espèce, d’un point de vue pratique, le degré de ressemblance entre les marques peut être déterminant : « le degré de ressemblance [est] le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion, et ce, même s’il est mentionné en dernier lieu » (Masterpiece, au paragraphe 49).

[27]  En guise d’introduction à mon analyse à l’égard du paragraphe 6(5), je mentionnerai que Banff a adopté l’intégralité de la marque verbale enregistrée par Banff et y a simplement greffé « Banff » à la fin. Il est évident que la première partie d’une marque verbale est souvent l’aspect le plus important à prendre en considération, surtout si c’est l’élément le plus distinctif de la marque (Masterpiece, aux paragraphes 63 et 64; Conde Nast Publications Inc v Union des éditions modernes (1979), 46 CPR (2d) 183 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 188).

[28]  À mon avis, la ressemblance entre les deux versions de « bon appétit » est frappante et, même si je ne me concentre pas uniquement sur l’utilisation actuelle, il ne faut ignorer ni l’une ni l’autre. Comme la Cour suprême l’a affirmé dans Masterpiece, au paragraphe 59 :

L’examen de l’emploi réel de la marque n’est certes pas dénué de pertinence, mais il ne doit pas non plus remplacer complètement l’examen d’autres emplois qui pourraient être faits en conformité avec l’enregistrement. Par exemple, l’emploi ultérieur, dans le champ d’application d’un enregistrement, d’une marque déposée identique ou très semblable à une marque qui existe déjà montrera comment la marque déposée peut être utilisée d’une manière qui crée de la confusion avec celle-ci.

Voir également Absolute Software Corporation c. Valt.X Technologies Inc., 2015 CF 1203, au paragraphe 37.

[29]  Cela étant dit, je vais maintenant me pencher sur les facteurs énumérés au paragraphe 6(5).

(1)  Le caractère distinctif inhérent et le caractère distinctif acquis

[30]  Ce facteur exige que l’on examine à la fois le caractère distinctif inhérent de la marque et le degré auquel cette marque a acquis un caractère distinctif en raison de son utilisation sur le marché. L’approche générale a été décrite dans Mattel, au paragraphe 75 :

Le caractère distinctif d’une marque de commerce [traduction] « est essentiel et constitue une exigence fondamentale » : Western Clock Co. c. Oris Watch Co., [1931] R.C. de l’É. 64, le juge Audette, p. 67. Le mot « Barbie » est une expression courante qui n’a pas été créée par l’appelante et qui, pour cette raison, bénéficierait normalement d’une protection moins étendue que la marque [traduction] « constituée d’un mot inventé, unique ou non‑descriptif » (comme Kleenex), comme l’a dit le juge Rand dans General Motors, p. 691, ce à quoi on pourrait ajouter que [traduction] « [p]ersonne n’a le droit de s’attribuer l’usage exclusif du vocabulaire général ni de s’approprier des mots courants pour couvrir un domaine étendu » : K. Gill et R. S. Jolliffe, Fox on Canadian Law of Trade‑Marks and Unfair Competition (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 8‑56. Je reconnais, comme nous l’avons vu, que le nom BARBIE possède maintenant un solide sens secondaire associé aux poupées de l’appelante et, pour cette raison, qu’il a acquis un très grand caractère distinctif. Bien que la marque déposée ne comporte que le mot BARBIE, celui‑ci est accompagné, dans la publicité et sur les emballages, de dessins et d’éléments graphiques distinctifs.

[31]  Pour déterminer le caractère distinctif inhérent de la marque de commerce, il faut déterminer s’il s’agit d’un mot courant ou d’un mot inventé et non descriptif (Mattel, au paragraphe 75; TLG Canada Corp c. Product Source International LLC, 2014 FC 924, au paragraphe 59 [TLG Canada]). Lorsqu’une marque de commerce est unique ou composée d’un nom inventé qui renvoie à une seule chose, elle aura un caractère distinctif inhérent et la protection qui en découle sera plus large (Tommy Hilfiger Licensing Inc. c. Produits de Qualité I.M.D. Inc., 2005 CF 10, au paragraphe 53; Distribution Prosol PS Ltd c. Custom Building Products Ltd, 2015 CF 1170, au paragraphe 36 [Prosol].

[32]  Par contre, une expression ou un mot descriptif ou évocateur sera considéré comme une marque faible et sera relativement moins bien protégé; ainsi, lorsqu’une marque renvoie à de nombreuses choses ou constitue une référence courante sur le marché, ou ne fait que décrire les biens ou les services, elle bénéficiera d’une protection moindre (TLG Canada, au paragraphe 59; EAB Tool Company Inc. c. Norske Tools Ltd., 2017 CF 898, au paragraphe 30).

[33]  La décision de la COMC renvoie à l’affidavit déposé par Advance, qui a présenté des [traduction] « définitions de l’expression “bon appétit” extraites de dictionnaires. Toutefois, le sens littéral est de “bon appétit” en anglais est “good appetite”, mais la connotation est « appréciez votre repas ». La COMC a donc conclu que la marque possédait [traduction] « un caractère distinctif inhérent relativement faible, car il s’agit d’une phrase courante constituée de deux mots français ». Aucun autre élément de preuve sur ce point n’a été présenté; je conviens avec la COMC que cette expression n’a pas un caractère particulièrement unique. En fait, on l’emploie souvent au début d’un repas.

[34]  Advance soutient que l’examen du caractère distinctif inhérent doit reposer sur le contexte des produits ou services en cause et souligne que, dans Masterpiece, au paragraphe 108, le juge a conclu que le terme « masterpiece » était quelque peu particulier en ce sens qu’il visait à distinguer les services de résidences pour personnes âgées. Advance soutient que l’expression « bon appétit » ne décrit pas de manière distinctive le caractère ou la qualité des produits ou services associés aux enregistrements et aux demandes, à savoir des publications imprimées ou diffusées en ligne, l’exploitation d’un site Web et une présence sur les médias sociaux, du matériel d’éducation et d’enseignement, etc.

[35]  J’estime que l’expression est évocatrice, mais pas particulièrement unique. Elle est constituée de deux mots couramment utilisés en lien avec la cuisine et la gastronomie, mais elle n’est ni unique ni inventée. Toutefois, rien ne prouve que l’expression soit utilisée couramment sur le marché. Je conviens avec la COMC que l’affidavit qui a été déposé sur ce point n’a pas établi que l’expression était utilisée couramment sur le marché canadien. Toutefois, cette conclusion ne met pas un terme à l’analyse; je dois maintenant examiner le second aspect de ce facteur, à savoir si l’expression a acquis un caractère distinctif.

[36]  Les éléments de preuve dont je dispose montrent qu’Advance a établi une solide présence sur le marché canadien, à la fois au moyen de la distribution et de la vente de longue date de sa publication imprimée et par sa présence et ses activités en ligne et sur les médias sociaux. Dans son affidavit, Mme Wong Ortiz, qui n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire, expose le fondement factuel qui n’avait pas été présenté à la COMC sur ce point.

[37]  Les éléments de preuve concernant la portée sur le marché canadien des divers éléments des produits et services offerts par Advance reflètent les tendances plus générales que l’on a constatées au cours de la dernière décennie. Malgré le fait que sa publication imprimée était vendue à 4,1 millions d’exemplaires aux détaillants depuis dix ans au Canada et comptait 1,36 million d’abonnés, les données annuelles affichent une diminution de ses ventes au cours de cette période. À titre de preuve, les totaux mensuels les plus élevés ont été enregistrés en 2006, lorsque plus de 46 000 exemplaires ont été vendus à des détaillants, dont plus de 22 000 à des clients. En 2015, le nombre de ventes d’exemplaires à des détaillants était tombé à 22 000, dont 2 900 avaient été vendus à des consommateurs. Inversement, au cours de la même période, la présence en ligne d’Advance par l’entremise de son site Web « Bon Appétit » et des médias sociaux a affiché une croissance régulière et constante au Canada. Il existe diverses manières de calculer ces données, comme le montrent les quelques exemples ci-après. Depuis 1997, on a dénombré plus de 60 millions de [traduction] « visites uniques » par des Canadiens sur le site Web. Comme l’explique Mme Wong Ortiz, par [traduction] « visiteurs uniques », on entend les différentes personnes qui visitent le site chaque année, mais on exclut les visites répétées par un même visiteur unique. Une autre méthode consiste à simplement mesurer chaque mois le nombre de visiteurs du Canada; cette méthode montre plus de deux millions de visites uniques par mois provenant du Canada.

[38]  En ce qui concerne les médias sociaux, là encore il existe différentes manières de mesurer la portée sur le marché canadien au moyen de l’activité sur les médias sociaux. Bon Appétit compte des dizaines de milliers « d’abonnés » canadiens titulaires d’un compte sur Facebook et sur Twitter, ainsi que plus d’un million de « J’aime » de Canadiens au sujet de divers articles et reportages. D’autres méthodes, enfin, mesurent le nombre d’abonnés canadiens; ces méthodes font état de plus de dix mille utilisateurs canadiens qui s’intéressent particulièrement aux articles sur les aliments, aux recettes, à la cuisine et aux recommandations de restaurants. On estime que, chaque année au cours de la dernière décennie, 200 000 Canadiens ont visualisé les vidéos présentées sur YouTube par Bon Appétit.

[39]  En outre, Bon Appétit a accordé des licences sur sa marque de commerce et son logotype au Canada à des entreprises telles que Home Shopping Network, Electrolux Major Appliances, ainsi qu’à d’autres entreprises (non nommées) qui créent des forfaits de voyage en ligne. Une licence d’utilisation de la marque de commerce a également été accordée à Terlato Wines International, un distributeur de vins par le biais d’une œnothèque en ligne. Outre la vente de vins, cette entreprise a organisé des événements promotionnels axés sur des repas gastronomiques et des vins sélectionnés par des chefs de renom.

[40]  En ce qui concerne le magazine et le site Web, l’affidavit de Mme Wong Ortiz renferme quelques articles vedettes sur des villes canadiennes qui portent tout particulièrement sur la gastronomie et leurs attractions touristiques. On y trouve également des guides sur les voyages et sur les restaurants à Montréal, à Québec, à Vancouver et à Niagara-on-the-Lake. Plusieurs offices du tourisme canadiens ont fait paraître des annonces dans le magazine, notamment la Nouvelle-Écosse, l’Ontario, le Québec, Tourisme Canada, ainsi que des organismes touristiques de Toronto et de Montréal. Le magazine comprenait également des reportages sur certains événements culinaires organisés dans différentes villes nord-américaines. Le magazine Bon Appétit se concentre essentiellement sur le tourisme, la gastronomie, les vins et les mets spécialisés, l’art culinaire, ainsi que sur d’autres activités touristiques.

[41]  Même s’il n’y a pas de preuve de la reconnaissance de fait par les consommateurs sur le marché, j’estime qu’il est raisonnable d’inférer, en prenant appui sur les éléments de preuve cités ci-dessus, que l’utilisation par le demandeur de l’expression « bon appétit » pour désigner ses produits et services a acquis un caractère distinctif en raison de ses diverses activités sous forme imprimée et en ligne, particulièrement vu les éléments de preuve au sujet des ventes et de la portée sur le marché canadien. Comme l’a mentionné le juge Rothstein dans Masterpiece, au paragraphe 92 :

Dans les affaires portant sur des marchandises ou des services offerts au grand public, par exemple des résidences pour personnes âgées, les juges doivent évidemment examiner chaque marque litigieuse globalement, mais aussi eu égard à la caractéristique dominante de chacune, sa caractéristique la plus frappante ou singulière. Ils doivent faire appel à leur bon sens et ne pas se laisser influencer par leurs « connaissances ou [leur] tempérament particuliers » pour décider s’il y aurait probabilité de confusion chez le consommateur ordinaire.

[42]  Dans de nombreux cas, la portée de la présence d’une marque de commerce sur le marché, plus précisément sa présence en vitrine et dans la publicité, atteste son caractère distinct acquis. La sensibilisation des consommateurs peut être démontrée avec des sondages ou simplement inférée à partir de la publicité à grande échelle et du nombre d’établissements commerciaux qui affichent la bannière. En l’espèce, Advance a tenté de démontrer sa présence sur le marché au moyen de preuves des ventes du magazine et de sa présence sur un site Web et les médias sociaux. J’estime que les éléments de preuve de la présence et de l’activité en ligne et sur les médias sociaux constituent une preuve aussi utile et convaincante que la présence dans les vitrines d’établissements commerciaux ou dans les formes de publicité plus traditionnelles tels que les imprimés, la radio ou la télévision.

[43]  Dans l’évaluation du degré de sensibilisation des clients ou de la portée sur le marché au moyen de la présence sur un site Web ou sur les médias sociaux, le simple fait d’afficher sur un site Web ou d’insérer du contenu sur des plateformes de médias sociaux ne constitue pas nécessairement une preuve de la portée sur le marché qui pourrait militer en faveur d’un caractère distinctif acquis au moyen de l’utilisation au Canada : voir UNICAST SA c. South Asian Broadcasting Corporation Inc., 2014 CF 295, aux paragraphes 27 à 31; Cathay Pacific Airways Limited c. Air Miles International Trading B.V., 2016 CF 1125, au paragraphe 56. En l’espèce, la preuve la plus flagrante porte sur le nombre de visites ou l’activité sur le site Web ou les plateformes de médias sociaux : voir TSA Stores, Inc. c. Registraire des marques de commerce, 2011 CF 273 [TSA Stores]. Cet élément de preuve est précieux parce qu’il démontre que les Canadiens savent que l’information existe et font le nécessaire pour l’obtenir, ce qui en soi indique un certain degré de souvenir ou de sensibilisation. Les répercussions en ligne de la marque sont évidentes, car les Canadiens doivent prendre des mesures pour interagir, soit en visitant le site Web ou en « suivant » la marque ou en indiquant « J’aime » pour un article vedette ou une photographie publié sur une ou plusieurs plateformes de médias sociaux. Cet élément de preuve est également précieux en ce sens qu’il appuie une analyse portant sur le caractère distinct acquis en vertu de la Loi : voir TSA Stores; Teaja Holdings Ltd. c Jana Beverages Ltd., 2017 COMC 64, au paragraphe 21.

[44]  Compte tenu de tous les éléments de preuve qui ont été présentés, je conclus qu’Advance a établi que sa marque enregistrée BON APPÉTIT et les marques visées par des demandes ont acquis un certain caractère distinct sur le marché canadien.

(2)  Période d’utilisation

[45]  Comme il est mentionné ci-dessus, les éléments de preuve attestent une portée considérable au Canada, laquelle a évolué au même rythme que le reste du marché de consommation, depuis l’imprimé à internet, mais qui a été relativement constante au cours des dernières décennies. Il existe des preuves des ventes du magazine qui remontent à février 1970, ainsi que d’une présence en ligne de Canadiens et de leurs activités depuis 1997. Banff allègue dans son témoignage que l’événement Bon Appétit Banff a débuté en 2011 et se poursuit depuis. Les éléments de preuve offerts démontrent clairement qu’Advance a commencé à utiliser sa marque bien avant que Banff ne soumette une demande d’enregistrement de la sienne, ce qui milite en faveur d’Advance.

(3)  La nature des marchandises, services ou entreprises

[46]  Une comparaison des enregistrements du demandeur à ceux du défendeur, ainsi que des produits et services visés par ses demandes montre plusieurs points de chevauchement : dans les deux cas, on fait référence au matériel imprimé et au matériel en ligne, on fait la promotion de produits et services et on cite des aliments et des boissons. Les nouveaux éléments de preuve dont je dispose confirment qu’Advance fournit de l’information aux consommateurs sur divers sujets en lien avec le tourisme, la gastronomie, les boissons et la préparation d’aliments, et que de l’information sur le Canada a régulièrement été fournie. Une partie de cette information porte sur des villes canadiennes particulières, tandis qu’une autre partie traite d’événements culinaires particuliers.

[47]  J’accepte l’argument d’Advance à l’effet que rien dans la demande de Banff n’a pas déjà été fait dans le cadre d’autres enregistrements et demandes. Le chevauchement est évident et milite en faveur d’Advance.

(4)  La nature du commerce

[48]  Ce facteur est décrit de différentes manières, mais il renvoie à la nature des activités commerciales telles qu’elles sont habituellement menées : quel genre de magasin ou de filière de commercialisation utilise-t-on pour cibler quel type de consommateur? Dans Mattel (au paragraphe 86), le juge Binnie déclare que « [l]e genre de clients susceptibles d’acheter les marchandises et services respectifs des parties est considéré depuis longtemps comme une circonstance pertinente [citations omises] ». Plus la similitude entre la nature des activités des parties est grande, plus le risque de confusion est grand.

[49]  Aux présentes, les deux parties exercent leurs activités essentiellement dans le même secteur d’activité, que l’on peut décrire de façon générale comme la promotion des aliments, de la restauration et du tourisme sur les marchés canadiens et internationaux. Le fait que « Bon Appétit Banff » vise actuellement une région géographique particulière ne constitue pas le principal facteur à prendre en considération, parce que Banff n’a pas choisi de soumettre une demande d’enregistrement restreinte à la région touristique de Banff – Lake Louise. En droit, Advance a droit à la protection conférée par ses enregistrements un peu partout au Canada, comme l’a confirmé Masterpiece :

[27]  Quoiqu’on puisse douter que la Cour d’appel ait laissé entendre dans ses motifs que le lieu géographique constituait un facteur pertinent, je profite de l’occasion pour dissiper tout doute à cet égard.

[28]  Le régime canadien en matière de marques de commerce a une portée nationale.  En effet, à moins que sa marque ne soit jugée invalide, le propriétaire d’une marque de commerce déposée a le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne les marchandises ou les services auxquels elle se rapporte.

[…]

[31]  Pour que le propriétaire d’une marque de commerce déposée ait le droit exclusif à l’emploi de celle-ci dans tout le Canada, il ne faut pas qu’elle soit susceptible de causer de la confusion avec une autre marque de commerce à quelque autre endroit que ce soit au pays.

[50]  J’estime que ce facteur joue en faveur d’Advance.

(5)  Le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans leur présentation ou leur son, ou dans les idées qu’ils suggèrent

[51]  La jurisprudence a établi que le degré de ressemblance est souvent le critère le plus important dans l’analyse de la confusion. Les autres facteurs ne deviennent plus importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires (Masterpiece, au paragraphe 62, Prosol, au paragraphe 77). La ressemblance réfère au fait d’être semblable ou similaire (Masterpiece, au paragraphe 62) et, pour l’établir, il faut comparer l’intégralité des marques de commerce, plutôt que de les scinder en fonction de leurs éléments constituants ou de les étaler côte à côte pour les comparer et faire ressortir les différences ou les similitudes. La meilleure façon de procéder consiste à cerner la caractéristique dominante ou frappante des marques; celle-ci est souvent le premier élément d’une marque verbale (Masterpiece, aux paragraphes 63 et 64).

[52]  En l’espèce, Banff a adopté l’intégralité de la marque verbale enregistrée d’Advance et y a greffé “Banff”. Même s’il est vrai que pour de nombreux Canadiens, le mot “Banff” évoque les montagnes, le ski et les aventures de vacances, ce mot est avant tout simplement un toponyme. Il est reconnu que les désignations géographiques constituent généralement des marques faibles (voir London Drugs Limited c. International Clothiers Inc., 2014 CF 223, aux paragraphes 49 et 50). Je conclus que Banff est simplement un emplacement géographique qui, en tant que qualificatif de bon appétit, ne permet pas de faire la distinction entre la marque dans son ensemble et les marques de commerce enregistrées du demandeur.

[53]  Cette partie de l’analyse ne devrait pas porter entièrement sur la présentation actuelle de la marque, car l’enregistrement d’une marque verbale confère au titulaire le droit de la présenter au moyen de n’importe quel style de lettres, élément graphique ou caractéristique de son choix (Masterpiece, au paragraphe 55; Pizzaiolo Restaurants inc. c. Les Restaurants La Pizzaiolle inc., 2016 CAF 265, aux paragraphes 26 à 33). En l’espèce, je conclus que la manière dont Banff a affiché sa marque laisse beaucoup de place à l’expression « bon appétit »; de plus, il la présente d’une manière très semblable à la façon dont Advance l’a utilisée dans ses imprimés et en ligne. Les deux parties utilisent des polices d’écriture plutôt stylisée, elles ont toutes deux mis la majuscule initiale à chaque mot et elles utilisent toutes deux le « e » accentué dans « appétit ». Le mot « Banff » qui est ajouté n’occupe pas une place proéminente et ne modifie pas de manière significative le son ou l’idée véhiculé par la marque.

[54]  Je trouve une similitude frappante dans l’apparence, le son et l’idée suggérée par les deux marques. Ce facteur joue également en faveur d’Advance.

(6)  Circonstances de l’espèce

[55]  Il reste à examiner s’il existe d’autres circonstances ou considérations de l’espèce qui pourraient faire pencher la balance en faveur de Banff. Je n’en trouve aucune dans les éléments de preuve qui m’ont été présentés, ni lorsque j’examine les éléments de preuve qui ont été présentés à la COMC et les nouveaux éléments de preuve qui ont été déposés aux fins du présent appel.

(7)  Conclusion concernant la confusion

[56]  Je conclus que l’expression « bon appétit » a acquis un caractère distinctif en raison de l’activité généralisée sur le marché et qu’il existe une forte ressemblance entre les marques de commerce enregistrées et leurs applications d’Advance et celles faisant l’objet de la demande de Banff. Vu tous les éléments de preuve et les facteurs énumérés dans la Loi, je conclus qu’un consommateur ordinaire, un peu pressé, regarderait un message publicitaire dans une annonce ou sur un site Web sur « Bon Appétit Banff » et penserait que celui-ci est lié au magazine ou au site Web « Bon Appétit » ou qu’il a été autorisé par le demandeur.

[57]  Par conséquent, je conclus que les objections soulevées par Advance en vertu des alinéas 12(1)d), 16(3)a) et 16(3)b) de la Loi sont bien fondées à la lumière de la preuve offerte et compte tenu des différentes dates pertinentes pour les présentes dispositions (voir American Retired Persons v Canadian Retired Persons (1998), 84 CPR (3d) 198, aux pages 206 à 209, (CF 1re inst.) pour une discussion sur les dates importantes quant aux procédures d’opposition).

[58]  Vu mes conclusions concernant la question de la confusion, il n’est pas nécessaire d’aborder l’argument d’Advance concernant le paragraphe 30(i) de la Loi et de déterminer s’il y a lieu de tirer une inférence défavorable des oppositions eu égard à l’obligation de répondre aux questions en contre-interrogatoire concernant l’affidavit. La COMC a abordé cette question dans la décision faisant l’objet du présent appel et elle a émis un doute quant à la possibilité qu’une telle inférence puisse être suffisante pour satisfaire au critère énoncé au paragraphe 30(i), comme il a été interprété dans des décisions de notre Cour; je n’émettrai aucun commentaire à ce sujet.

[59]  Vu ma conclusion concernant la question de la confusion, il n’est pas non plus nécessaire d’examiner les autres motifs d’objection présentés en vertu des paragraphes 2, 22 et 50 de la Loi.

C.  Dépens

[60]  Advance a obtenu gain de cause dans cet appel et, normalement, les dépens devraient suivre l’issue de la cause. Conformément au pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, je dois prendre plusieurs facteurs en considération. Tout d’abord, le présent appel a été accueilli en grande partie en raison des nouveaux éléments de preuve qu’Advance a déposés; cependant, rien n’explique pourquoi ceux-ci n’ont pas été présentés à la COMC. Cette procédure aurait pu être évitée si ces éléments de preuve, qui étaient facilement accessibles et, même s’ils étaient plutôt volumineux, pouvaient être préparés facilement, avaient été présentés à la COMC. Toutefois, il convient de souligner le fait que Banff n’a pas mis un terme à sa demande d’enregistrement même après avoir reçu ces nouveaux éléments de preuve d’Advance et n’a pas comparu devant moi pour présenter ses arguments. Advance déclare avoir engagé des frais supplémentaires du fait qu’il lui a fallu poursuivre son appel pour faire valoir les droits que son enregistrement confère en vertu de la Loi.

[61]  À la lumière de l’examen des observations présentées par l’avocat d’Advance et des facteurs mentionnés ci-dessus, j’alloue les dépens à Advance, lesquels sont payables par Banff. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur le montant, elles disposent de dix jours pour me soumettre leurs observations.

V.  CONCLUSION

[62]  Je conclus qu’Advance a établi la probabilité de confusion entre sa marque enregistrée et les marques de commerce demandées et la marque demandée par Banff, en m’appuyant sur les éléments de preuve présentés à la COMC des oppositions des marques de commerce et les nouveaux éléments de preuve qui ont été déposés aux fins du présent appel. Les objections d’Advance reposant sur les alinéas 12(1)d), 16(3)a) et b) sont bien fondées.

[63]  Par conséquent, l’appel est accueilli et la décision de la COMC est annulée. J’enjoins au registraire des marques de commerce de refuser l’enregistrement de la demande de Banff.

[64]  Les dépens sont adjugés à Advance, et sont payables par Banff. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur le montant, elles disposent de dix jours pour me soumettre leurs observations.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1168-15

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. L’appel est accueilli.

  2. J’enjoins au registraire des marques de commerce de refuser l’enregistrement de la demande du Banff Lake Louise Tourism Bureau.

  3. Le défendeur paiera des dépens au demandeur. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur le montant, elles disposent de dix jours pour me soumettre leurs observations.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1168-15

 

INTITULÉ :

ADVANCE MAGAZINE PUBLISHERS, INC. c. BANFF LAKE LOUISE TOURISM BUREAU

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Kenneth D. McKay

Pour le demandeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim Lowman Ashton & Mckay LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

 

 

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