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Date : 20180117


Dossier : T-57-16

Référence : 2018 CF 46

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

CHRISTOPHER L. KREUTZWEISER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7 (la Loi), visant la décision rendue par le chef d’état-major de la défense (le CEMD) le 27 novembre 2015 (la décision), rejetant le grief du demandeur portant sur sa libération des Forces armées canadiennes (FAC) pour raisons médicales.

II. RÉSUMÉ DES FAITS

[2] Le demandeur s’est enrôlé dans les FAC le 29 mars 2011. Le dossier des FAC concernant le demandeur indique qu’il a été libéré le 16 juin 2014. Le motif de sa libération portait que les contraintes à l’emploi pour raisons médicales (CERM) attribuées au demandeur par le directeur – Politique de santé (D Pol San) faisaient en sorte que le demandeur ne pouvait satisfaire au principe de l’universalité du service des FAC. Il a donc été libéré aux termes de l’élément 3b. de l’article 15.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). Le demandeur allègue que sa libération découle d’une campagne de harcèlement et de représailles menée par des membres des FAC.

A. Plaintes de harcèlement

[3] Les problèmes du demandeur ont commencé en avril 2011, peu de temps après son enrôlement, alors que, selon lui, deux officiers de son unité ont tenu des propos antisémites et homophobes tout en appuyant le fascisme. Après avoir été refusé comme officier cadet en juin 2011, le demandeur a exprimé l’intention de demander sa libération volontaire des FAC, mais il est revenu sur cette intention le jour suivant. Le demandeur a tenté d’obtenir une libération volontaire pour des raisons médicales en octobre 2011, mais on lui a plutôt conseillé de déposer une plainte de harcèlement. Outre les incidents d’avril, le demandeur a allégué que l’un des officiers qui avaient tenu des commentaires pro-fascistes l’avait menacé de libération pour fardeau excessif à l’administration en réponse à sa demande pour devenir officier cadet et qu’il l’avait harcelé sexuellement lors d’un trajet au retour d’une autre base des FAC. Le demandeur a tenté de retirer cette plainte trois jours plus tard. Par conséquent, le demandeur a été accusé d’avoir porté une fausse accusation et il était exposé à la possibilité d’être libéré des FAC pour fardeau excessif à l’administration. Le demandeur allègue que sa plainte initiale a donné lieu à une campagne de représailles menée par des membres de son unité. Il a fini par déposer une plainte de harcèlement élargie le 21 juin 2012, laquelle détaillait l’ensemble de ses allégations.

B. Antécédents médicaux

[4] Les problèmes médicaux ayant mené à la libération du demandeur ont commencé en novembre 2011, lorsqu’il s’est rendu à la salle d’urgence de la Royal University Hospital, à Saskatoon, se plaignant de dépression et de pensées suicidaires. Il a été hospitalisé au service psychiatrique de l’hôpital pendant cinq jours avant d’obtenir son congé, après avoir reçu des diagnostics de trouble d’adaptation et de traits de personnalité narcissique. Le 10 janvier 2012, la majore Jane Cruchley, médecin au sein des FAC, a examiné le demandeur. Dans son rapport, la Dre Cruchley a indiqué que le demandeur souffrait d’un trouble d’adaptation, mais elle a conclu qu’il était médicalement apte à poursuivre son service. La Dre Cruchley a examiné le demandeur de nouveau le 27 mars 2012 et elle l’a dirigé vers un psychiatre.

[5] En février 2012, le demandeur a fait une surdose en prenant tous les comprimés de son traitement thyroïdien et il a été hospitalisé de nouveau. La Dre Cruchley avait été avisée de la surdose du demandeur au moment de l’examen du 27 mars 2012. Ses notes d’examen indiquent qu’elle a discuté de la surdose avec le demandeur, qu’il [traduction] « avait décidé de tenter de se suicider » et qu’il [traduction] « présentait un risque élevé de se suicider ». Par conséquent, le 3 avril 2012, la Dre Cruchley a ajouté un addenda à son rapport du 10 janvier 2012 dans lequel elle a qualifié la surdose de [traduction] « tentative de suicide sérieuse » et mentionné les [traduction] « longs antécédents de troubles psychiatriques » du demandeur. De plus, elle a [traduction] « fortement recommandé qu’il ne soit pas enrôlé de nouveau [...] à l’avenir ».

[6] De mars à juin 2012, le demandeur a été transporté à l’hôpital à quatre reprises, où il a été évalué, renvoyé ou admis. Le demandeur a aussi continué de rencontrer le personnel médical des FAC. Lors de l’une de ces rencontres, le 18 juillet 2012, la Dre Arun Nayar a diagnostiqué le trouble d’adaptation du demandeur, mais il lui a remis un billet indiquant qu’il était [traduction] « apte à exercer des fonctions générales ». Le 25 juillet 2012, la Dre Cruchley a rencontré le demandeur de nouveau. Elle a alors décidé d’attendre les résultats des rapports des Drs Brock et Prasad. Dans son rapport en date du 24 octobre 2012, le Dr Brock établit que le demandeur souffre d’un trouble d’anxiété généralisée et il [traduction] « recommande fortement qu’il entreprenne une thérapie à long terme ».

[7] Le 29 octobre 2012, la Dre Cruchley a réalisé une évaluation de santé périodique, elle a conclu que le demandeur devait faire l’objet d’un suivi médical plus fréquent qu’aux six mois, elle a recommandé qu’on lui attribue des CERM sur le plan géographique et professionnel et elle a acheminé le dossier au D Pol San aux fins d’examen.

[8] Entre la recommandation initiale de la Dre Cruchley relative aux CERM et la libération du demandeur pour raisons médicales le 16 juin 2014, ce dernier a été transporté à l’hôpital par le service de police de Saskatoon à six reprises.

C. Examen administratif

[9] Le 5 février 2013, le D Pol San a approuvé les CERM proposées et il a déterminé que le demandeur était à risque très élevé de ne pas satisfaire au principe de l’universalité du service. Par conséquent, le directeur – Administration (carrières militaires) (DACM) a entamé l’examen administratif des CERM attribuées au demandeur. Le demandeur a reçu un dossier de documents le 24 octobre 2013. Le demandeur a écrit au DACM le 20 novembre 2013 pour renoncer à la possibilité de présenter des observations. Le 3 décembre 2013, le DACM a confirmé que les CERM attribuées au demandeur ne permettaient pas à ce dernier de satisfaire au principe de l’universalité du service des FAC et il a conclu que le demandeur devait être libéré pour des raisons médicales au plus tard le 17 juin 2014.

D. La procédure de grief

[10] Le 20 mai 2014, le demandeur a déposé un grief contre sa libération pour des raisons médicales. Il a déposé un deuxième grief le 16 juin 2014. Dans ce deuxième grief, le demandeur a écrit ce qui suit [traduction] « le premier grief vise à contester ma libération pour des raisons médicales et à demander des mesures d’adaptation futures. L’objectif principal du présent grief, en date du 14 juin, est d’obtenir réparation pour le traitement dont j’ai fait l’objet dans le passé, au moyen d’une indemnisation et du mode alternatif de résolution des conflits (MARC) ».

[11] Le commandant (CO) du demandeur a déterminé qu’il n’avait pas les compétences nécessaires pour trancher le fond de la décision relative à la libération du demandeur pour des raisons médicales. Par conséquent, le 12 juin 2014, l’Autorité des griefs des Forces canadiennes a déterminé que l’autorité initiale appropriée pour trancher le grief du demandeur était le directeur général – Carrières militaires (DGCM).

[12] Le 30 octobre 2014, le directeur – Politique et griefs (Carrières militaires) (DPGCM 3) a procédé à la divulgation auprès du demandeur et lui a offert la possibilité de présenter des observations écrites à l’autorité initiale. Le demandeur a présenté des observations écrites le 20 novembre 2014 et il a demandé qu’on lui accorde plus de temps pour examiner la divulgation et présenter d’autres observations. Le DPGCM 3 a refusé cette demande le 28 novembre 2014 et il a acheminé le grief à l’autorité initiale. Le 9 décembre 2014, le DGCM, agissant à titre d’autorité initiale, a rejeté le grief du demandeur.

[13] Le 28 décembre 2014, le demandeur a déposé son grief auprès du CEMD. Comme l’exige l’alinéa 7.21a) des ORFC, le grief du demandeur a été renvoyé au Comité externe d’examen des griefs militaires (le Comité).

E. Conclusions et recommandations du Comité

[14] Comme la décision retient les conclusions et recommandations du Comité, il est essentiel d’examiner ces conclusions.

[15] Après avoir présenté les faits et exposé les positions du demandeur et de l’autorité initiale, le Comité amorce son analyse en expliquant le principe de l’universalité du service. L’obligation de service légitime permanente de tous les membres des FAC est établie au paragraphe 33(1) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 (LDN). Ce principe de l’universalité du service signifie que tous les membres des FAC doivent être en mesure d’exercer les compétences militaires de base et être prêts à un conflit armé en tout temps. La politique des FAC dispose que pour satisfaire au principe de l’universalité du service, les militaires doivent être en bonne condition physique, aptes au travail et prêts à être déployés. Le Comité explique que le principe est reconnu au paragraphe 15(9) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 (LCDP), ce qui rend l’obligation des FAC de prendre des mesures d’adaptation conditionnelle au respect de l’exigence de l’universalité du service.

[16] Le Comité indique que, le 5 février 2013, le D Pol San a examiné les documents médicaux du demandeur et lui a attribué des CERM sur le plan géographique et professionnel. Le Comité note que le rapport du D Pol San précise que les CERM ont été attribuées en raison d’un [traduction] « problème de santé chronique engendrant un RISQUE ÉLEVÉ de non-conformité à l’universalité du service ». La question géographique portait que le demandeur [traduction] « devait faire l’objet d’un suivi médical plus fréquent qu’aux six mois » et qu’il ne pouvait donc pas être déployé. La question professionnelle portait que le demandeur était [traduction] « inapte au travail dans un contexte opérationnel militaire » et qu’il n’était donc pas apte au travail. Par conséquent, les CERM attribuées au demandeur remettaient en cause sa capacité à satisfaire à deux des trois conditions du principe de l’universalité du service.

[17] Dans le but de préciser la définition de l’expression [traduction] « inapte au travail dans un contexte opérationnel militaire », le Comité cite abondamment les observations formulées par le D Pol San à l’occasion d’un grief semblable. La citation permet d’expliquer que le D Pol San emploie l’expression pour indiquer des limitations [traduction] « où un membre ne peut, en raison de son état de santé, endurer les rigueurs et les exigences d’un contexte opérationnel stressant et, souvent, mais pas toujours, dans un contexte de déploiement ». Dans un contexte de santé mentale, un membre des FAC qui [traduction] « pourrait ne pas être fiable, avoir des réactions psychologiques indésirables ou être inapte, de nombreuses façons, à travailler dans un environnement mentalement exigeant » se verrait imposer des CERM. Le Comité conclut que ces définitions sont pertinentes pour comprendre les questions relatives à la santé mentale dans le grief du demandeur.

[18] Le Comité explique que l’attribution de CERM exposait le demandeur à un examen administratif. Conformément à l’article 4.5 des Directives et ordonnances administratives de la défense (DOAD) 5019-2, un membre des FAC qui fait l’objet d’un examen administratif doit être avisé de l’examen, obtenir le dossier de renseignements, être autorisé à présenter des observations, obtenir que les renseignements qu’il fournit soient examinés et recevoir copie de la décision rendue aux termes de l’examen administratif. Le rapport du Comité examine l’échéancier procédural de l’examen administratif du demandeur figurant dans son dossier et conclut que l’EA des CERM était conforme à la DOAD 5019-2.

[19] Lors de son examen du caractère raisonnable de la décision rendue à l’occasion de l’EA des CERM, le Comité a préparé un tableau où figurent les interactions du demandeur avec les praticiens médicaux militaires et civils. Le Comité conclut que les mentions au tableau, lesquelles indiquent que des évaluations médicales ont eu lieu avant le début de l’EA des CERM, lui permettent d’établir que la situation du demandeur a été prise au sérieux. Le Comité reconnaît qu’en l’absence de formation médicale, il n’est pas en mesure de déterminer si les diagnostics étaient exacts, mais il conclut que le dossier du demandeur contient les fondements suffisants pour justifier les conclusions des médecins militaires portant que l’état de santé du demandeur était incompatible avec le service militaire. Le Comité note que ces conclusions tiennent compte des contextes militaires applicables aux CERM. La proposition selon laquelle il vaut mieux laisser aux médecins militaires le soin d’évaluer l’effet d’un problème de santé sur la capacité d’un membre des FAC à accomplir des tâches militaires est justifiée par la décision dans l’arrêt McBride v Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181, au paragraphe 38 (McBride). Aucun élément de preuve ne permet au Comité de conclure que la décision était arbitraire ou qu’elle a été prise de mauvaise foi ou avec animosité à l’endroit du demandeur.

[20] Le Comité tient aussi compte des rapports médicaux présentés par le demandeur après qu’il fut avisé du résultat de l’EA des CERM. En fonction des rencontres entre le demandeur et un médecin des FAC et les communications internes des FAC au sujet des rapports, le Comité n’a pas de raison de croire que les rapports n’ont pas été examinés avant la libération du demandeur. Comme le demandeur a été avisé de la décision rendue aux termes de l’EA des CERM, qu’il s’est vu accorder six mois pour obtenir des rapports supplémentaires et qu’il a pu présenter de nouveaux renseignements aux fins d’examen, le Comité conclut que la libération du demandeur pour des raisons médicales était raisonnable et respectait les politiques des FAC applicables.

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[21] La décision énonce que l’objet du grief est la libération du demandeur des FAC pour des raisons médicales en date du 16 juin 2014 aux termes de l’élément 3b. de l’article 15.01 des ORFC. Le demandeur cherche à obtenir l’annulation ab initio de sa libération et à être, par conséquent, réintégré dans les FAC.

[22] La décision confirme que le grief a été renvoyé au Comité, que le Comité a présenté ses conclusions et recommandations au CEMD, et que le Comité a recommandé que le grief soit rejeté. Le CEMD indique qu’il a examiné l’affaire de novo et que son examen comprenait le dossier de grief du demandeur, notamment la décision de l’autorité initiale et les documents qui ont suivi.

[23] Avant d’analyser l’objet du grief, le CEMD traite plusieurs questions qu’il considère comme préliminaires. Le CEMD indique que la procédure de règlement des griefs n’est pas le forum approprié pour faire enquête sur des accusations criminelles et qu’il serait donc inapproprié pour lui de commenter les allégations d’actes criminels du demandeur à l’endroit de membres des FAC. Pour ce qui est de la requête du demandeur que le CEMD considère comme son grief vu les décisions antérieures de l’autorité de dernière instance, la décision indique que chaque grief doit être examiné individuellement et que la vie privée des plaignants doit être protégée. Par conséquent, le CEMD ne commente pas les autres griefs et limite son analyse à la libération du demandeur pour des raisons médicales. La décision note les allégations de discrimination et de harcèlement du demandeur aux mains de membres des FAC, mais le CEMD indique qu’elles ont fait l’objet d’une enquête et qu’elles ont été jugées sans fondement. La décision n’établit aucun lien de causalité entre la plainte de harcèlement du demandeur et l’objet du grief. Le CEMD considère que la plainte du demandeur devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) est la voie appropriée pour ses allégations de harcèlement et il refuse donc de les aborder.

[24] Le CEMD conclut que le demandeur a été traité de façon équitable et conformément aux règles, règlements et politiques applicables des FAC. Par conséquent, le CEMD n’est pas disposé à accueillir les conclusions recherchées par le demandeur.

[25] Après avoir brièvement exposé sa compréhension des faits, le CEMD retient les conclusions du Comité. Le CEMD note que le demandeur a obtenu des diagnostics de trouble d’adaptation, de traits de personnalité narcissique et d’anxiété généralisée. Le CEMD conclut que [traduction] « selon les nombreuses observations [du demandeur] », le dossier contient suffisamment de renseignements de nature médicale et psychologique pour justifier la conclusion du D Pol San selon laquelle le demandeur était inapte au service le 16 juin 2014.

[26] Pour ce qui est de la conduite de l’examen administratif des CERM attribuées au demandeur, le CEMD conclut que l’examen a été mené de façon équitable et conformément aux politiques des FAC. Le CEMD souligne que le 18 mars 2013, le demandeur a été avisé de l’examen administratif des CERM qui lui avaient été attribuées. Le CEMD conclut que le demandeur a eu suffisamment de temps pour contester les conclusions de l’examen. Le CEMD indique qu’il conclut que les documents et les évaluations faisant partie du dossier du demandeur démontrent que la question a été prise au sérieux et examinée de façon appropriée.

[27] Le CEMD conclut aussi que, vu les conclusions selon lesquelles le demandeur ne répondait pas à l’exigence de l’universalité du service et l’absence d’atteinte à l’équité procédurale pendant l’EA des CERM, le demandeur a été dûment libéré des FAC. Le CEMD indique ensuite qu’il n’a pas l’autorité pour réintégrer d’anciens membres des FAC après leur libération. Par conséquent, il ne peut accueillir la demande de réintégration du demandeur. Néanmoins, le CEMD formule l’incitatif suivant :

[traduction] Je n’ai pas l’autorité pour réintégrer d’anciens membres une fois qu’ils ont été libérés des FAC. Cependant, si vous obtenez de nouveaux documents démontrant que vous avez surmonté vos contraintes médicales, je vous encourage à présenter une nouvelle demande d’enrôlement.

[28] La décision se termine par une note indiquant qu’il n’est pas possible d’interjeter appel d’une décision rendue par le CEMD à titre d’autorité de dernière instance, mais le demandeur est avisé qu’il peut demander à la Cour fédérale de procéder au contrôle judiciaire de la décision et on le remercie de sa contribution apportée aux FAC et au Canada.

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[29] Le demandeur soutient que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. [traduction] Quelle est la norme de contrôle applicable aux décisions de la compétence et hors de la compétence du CEMD?

  2. Le CEMD a-t-il compétence pour instruire la plainte de harcèlement du demandeur?

  3. Le CEMD a-t-il compétence pour réintégrer le demandeur?

  4. La décision du CEMD d’adopter les conclusions du Comité est-elle juste ou déraisonnable?

  5. La conclusion du CEMD selon laquelle le demandeur ne répond pas à l’exigence de l’universalité du service est-elle déraisonnable?

  6. La conclusion du CEMD selon laquelle le processus d’EA des CERM a été dûment réalisé est-elle déraisonnable?

  7. La conclusion du CEMD selon laquelle le demandeur ne pouvait pas être réintégré dans les FAC est-elle déraisonnable?

  8. La conclusion du CEMD selon laquelle la plainte de harcèlement du demandeur ne présentait pas de lien de causalité avec son grief est-elle déraisonnable?

[30] Le défendeur affirme que les questions soulevées par le demandeur se résument ainsi :

  1. [traduction] Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision?

  2. La décision est-elle déraisonnable?

  3. La procédure de règlement des griefs accorde-t-elle au demandeur une équité procédurale suffisante?

V. NORME DE CONTRÔLE

[31] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[32] Le demandeur prétend que dans la décision Bossé c Canada (Procureur général), 2015 CF 1143, au paragraphe 25, notre Cour a conclu que la norme de contrôle applicable au fond de la décision du CEMD agissant à titre d’autorité de dernière instance à l’occasion d’un grief des FAC est celle de la décision raisonnable. Toutefois, le demandeur souligne l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 (Alberta Teachers), où la Cour suprême du Canada a réitéré que les véritables questions de compétence sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Le demandeur prétend que la détermination du CEMD selon laquelle il n’avait pas compétence pour instruire sa plainte de harcèlement ou pour le réintégrer dans les FAC est une véritable question de compétence susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[33] Le défendeur prétend que les décisions rendues par le CEMD agissant à titre d’autorité de dernière instance dans le cadre de la procédure de règlement des griefs des FAC sont des questions de droit et de fait susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Moodie c Canada (Procureur général), 2015 CAF 87, au paragraphe 51 (Moodie); l’arrêt Zimmerman c Canada (Procureur général), 2011 CAF 43, au paragraphe 21; la décision MacPhail c Canada (Procureur général), 2016 CF 153, au paragraphe 8. Le défendeur soutient que l’expertise spécialisée du CEMD en matière de griefs des FAC demande une grande retenue. Voir la décision Stemmler c Canada (Procureur général), 2016 CF 1299, au paragraphe 30 (Stemmler); Walsh c Canada (Procureur général), 2016 CAF 157, au paragraphe 14. Le défendeur reconnaît, cependant, que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir l’arrêt Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79 (Khela); l’arrêt Moodie, précité, au paragraphe 50; la décision Shannon c Canada, 2015 CF 983, au paragraphe 37 (Shannon).

[34] Comme l’a déjà mentionné le défendeur, les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir l’arrêt Khela, précité, au paragraphe 79; l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 (Khosa).

[35] La norme de contrôle applicable à la décision du CEMD sur le fond du grief du demandeur est celle de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Moodie, précité, au paragraphe 51.

[36] La conclusion du CEMD selon laquelle il n’avait pas compétence pour réintégrer le demandeur dans les FAC n’est pas une véritable question de compétence. Il s’agit plutôt d’une question d’interprétation des lois susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le demandeur a raison de dire que l’arrêt Alberta Teachers a conclu que les véritables questions de compétence sont toujours susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Toutefois, cette affirmation est sous réserve de la qualification selon laquelle « les questions touchant véritablement à la compétence sont exceptionnelles » : Alberta Teachers, précité, au paragraphe 42. Le juge Rothstein a aussi conclu que « sauf situation exceptionnelle [...] il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de “sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie” est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire » : Alberta Teachers, précité, au paragraphe 34. Cette approche a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47, au paragraphe 26. La décision du CEMD selon laquelle il n’a pas compétence pour réintégrer le demandeur dans les FAC découle de son interprétation du paragraphe 30(4) de la LDN. Par conséquent, la présomption portant que la norme de la décision raisonnable s’applique n’est pas réfutée.

[37] La conclusion du CEMD selon laquelle la CCDP est l’entité appropriée pour enquêter sur la plainte de harcèlement du demandeur, ainsi que l’éventuelle décision du Tribunal canadien des droits de la personne, est une question relative à la délimitation des compétences respectives de deux tribunaux spécialisés. Une telle question réfute toujours la présomption portant que la norme de la décision raisonnable s’applique et elle continue d’être susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir l’arrêt Alberta Teachers, précité, au paragraphe 30; l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 61.

[38] Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’intéresse à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable, dans la mesure où elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[39] Les dispositions suivantes de la LDN sont pertinentes en l’espèce :

Droit de déposer des griefs

Right to grieve

29 (1) Tout officier ou militaire du rang qui s’estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la présente loi.

29 (1) An officer or non-commissioned member who has been aggrieved by any decision, act or omission in the administration of the affairs of the Canadian Forces for which no other process for redress is provided under this Act is entitled to submit a grievance.

...

...

Dernier ressort

Final authority

29.11 Le chef d’état-major de la défense est l’autorité de dernière instance en matière de griefs. Dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, il agit avec célérité et sans formalisme.

29.11 The Chief of the Defence Staff is the final authority in the grievance process and shall deal with all matters as informally and expeditiously as the circumstances and the considerations of fairness permit.

Renvoi au Comité des griefs

Referral to Grievances Committee

29.12 (1) Avant d’étudier et de régler tout grief d’une catégorie prévue par règlement du gouverneur en conseil ou tout grief déposé par le juge militaire, le chef d’état-major de la défense le soumet au Comité des griefs pour que celui-ci lui formule ses conclusions et recommandations. Il peut également renvoyer tout autre grief à ce comité.

29.12 (1) The Chief of the Defence Staff shall refer every grievance that is of a type prescribed in regulations made by the Governor in Council, and every grievance submitted by a military judge, to the Grievances Committee for its findings and recommendations before the Chief of the Defence Staff considers and determines the grievance. The Chief of the Defence Staff may refer any other grievance to the Grievances Committee.

...

...

Décision du Comité non obligatoire

Chief of the Defence Staff not bound

29.13 (1) Le chef d’état-major de la défense n’est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité des griefs.

29.13 (1) The Chief of the Defence Staff is not bound by any finding or recommendation of the Grievances Committee.

Motifs

Reasons

(2) Il motive sa décision s’il s’écarte des conclusions et recommandations du Comité des griefs ou si le grief a été déposé par un juge militaire.

(2) The Chief of the Defence Staff shall provide reasons for his or her decision in respect of a grievance if

(a) the Chief of the Defence Staff does not act on a finding or recommendation of the Grievances Committee; or

(b) the grievance was submitted by a military judge.

...

...

Décision définitive

Decision is final

29.15 Les décisions du chef d’état-major de la défense ou de son délégataire sont définitives et exécutoires et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, ne sont pas susceptibles d’appel ou de révision en justice.

29.15 A decision of a final authority in the grievance process is final and binding and, except for judicial review under the Federal Courts Act, is not subject to appeal or to review by any court.

...

...

Réintégration

Reinstatement

(4) Sous réserve des règlements pris par le gouverneur en conseil, la libération ou le transfert d’un officier ou militaire du rang peut être annulé, avec son consentement, dans le cas suivant :

30 (4) Subject to regulations made by the Governor in Council, where

a) d’une part, il a été libéré des Forces canadiennes ou transféré d’un élément constitutif à un autre en exécution d’une sentence de destitution ou d’un verdict de culpabilité rendu par un tribunal militaire ou civil;

(a) an officer or non-commissioned member has been released from the Canadian Forces or transferred from one component to another by reason of a sentence of dismissal or a finding of guilty by a service tribunal or any court, and

b) d’autre part, une autorité compétente a annulé le verdict ou la sentence.

(b) the sentence or finding ceases to have force and effect as a result of a decision of a competent authority,

Dès lors, toujours sous réserve des règlements, il est réputé, pour l’application de la présente loi ou de toute autre loi, ne pas avoir été libéré ou transféré.

the release or transfer may be cancelled, with the consent of the officer or non-commissioned member concerned, who shall thereupon, except as provided in those regulations, be deemed for the purpose of this Act or any other Act not to have been so released or transferred.

...

...

Obligation de la force régulière

Liability in case of regular force

33 (1) La force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l’obligation de service légitime.

33 (1) The regular force, all units and other elements thereof and all officers and non-commissioned members thereof are at all times liable to perform any lawful duty.

[40] Les dispositions suivantes de la LCDP sont pertinentes en l’espèce :

Universalité du service au sein des Forces canadiennes

Universality of service for Canadian Forces

15 (9) Le paragraphe (2) s’applique sous réserve de l’obligation de service imposée aux membres des Forces canadiennes, c’est-à-dire celle d’accomplir en permanence et en toutes circonstances les fonctions auxquelles ils peuvent être tenus.

15 (9) Subsection (2) is subject to the principle of universality of service under which members of the Canadian Forces must at all times and under any circumstances perform any functions that they may be required to perform.

[41] Les dispositions suivantes des ORFC sont pertinentes en l’espèce :

7.06 – DÉLAI POUR DÉPOSER UN GRIEF

7.06 – TIME LIMIT TO SUBMIT GRIEVANCE

(1) Tout grief doit être déposé dans les trois mois qui suivent la date à laquelle le plaignant a pris ou devrait raisonnablement avoir pris connaissance de la décision, de l’acte ou de l’omission qui fait l’objet du grief.

(1) A grievance shall be submitted within three months after the day on which the grievor knew or ought reasonably to have known of the decision, act or omission in respect of which the grievance is submitted.

(2) Le plaignant qui dépose son grief après l’expiration du délai prévu à l’alinéa (1) doit y inclure les raisons du retard.

(2) A grievor who submits a grievance after the expiration of the time limit set out in paragraph (1) shall include in the grievance reasons for the delay.

(3) L’autorité initiale ou, dans le cas d’un grief qui n’est pas visé par la section 2, l’autorité de dernière instance peut étudier le grief déposé en retard si elle est convaincue qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire. Dans le cas contraire, les motifs de la décision doivent être transmis par écrit au plaignant.

(3) The initial authority or, in the case of a grievance to which Section 2 does not apply, the final authority may consider a grievance that is submitted after the expiration of the time limit if satisfied it is in the interests of justice to do so. If not satisfied, the grievor shall be provided reasons in writing.

...

...

7.21 – CATÉGORIES DE GRIEFS DEVANT ÊTRE RENVOYÉS AU COMITÉ DES GRIEFS

7.21 – TYPES OF GRIEVANCES TO BE REFERRED TO GRIEVANCES COMMITTEE

Pour l’application du paragraphe 29.12(1) de la Loi sur la défense nationale, l’autorité de dernière instance renvoie au Comité des griefs tout grief qui a trait à l’une ou l’autre des questions suivantes:

For the purposes of subsection 29.12(1) of the National Defence Act, the final authority shall refer to the Grievances Committee any grievance relating to one or more of the following matters:

a) les mesures administratives entraînant la suppression ou des déductions de solde et d’indemnités, le retour à un grade inférieur ou la libération des Forces canadiennes;

(a) administrative action resulting in the forfeiture of or deductions from pay and allowances, reversion to a lower rank or release from the Canadian Forces;

...

...

15.01 – LIBÉRATION DES OFFICIERS ET MILITAIRES DU RANG

15.01 – RELEASE OF OFFICERS AND NON-COMMISSIONED MEMBERS

(1) Un officier ou militaire du rang ne peut être libéré au cours de son service militaire qu’en conformité du présent article et du tableau s’y rapportant.

(1) An officer or non-commissioned member may be released, during his service, only in accordance with this article and the table hereto.

...

...

Numéro 3

Item 3

Raisons de santé

Medical

Motifs de libération

Reasons for Release

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...

b) Lorsque du point de vue médical le sujet est invalide et inapte à remplir les fonctions de sa présente spécialité ou de son présent emploi, et qu’il ne peut pas être employé à profit de quelque façon que ce soit en vertu des présentes politiques des forces armées.

(b) On medical grounds, being disabled and unfit to perform his duties in his present trade or employment, and not otherwise advantageously employable under existing service policy.

VII. ARGUMENTATION

A. Demandeur

1) Plainte de harcèlement

[42] Le demandeur prétend que le CEMD avait compétence pour instruire sa plainte de harcèlement et appliquer les dispositions de la LCDP. Le demandeur souligne l’arrêt Tranchemontagne c Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, au paragraphe 14 (Tranchemontagne), où la Cour suprême du Canada a statué que « les tribunaux administratifs créés par une loi qui sont investis du pouvoir de trancher les questions de droit sont présumés avoir le pouvoir d’aller au‑delà de leurs lois habilitantes pour appliquer l’ensemble du droit à une affaire dont ils sont dûment saisis ». Une majorité de la Cour a donc conclu que le Tribunal de l’aide sociale de l’Ontario devait trancher si une disposition de l’une de ses lois habilitantes était rendue inapplicable par le Code des droits de la personne, LRO 1990, c H.19, puisque le tribunal était « présumé avoir compétence pour examiner l’ensemble du droit » : Tranchemontagne, précité, au paragraphe 40. Le demandeur reconnaît que la question dont était saisi le CEMD portait sur sa libération pour des raisons médicales, mais il soutient que celle-ci était la conséquence du harcèlement dont il a été victime. Par conséquent, même si la CCDP peut également examiner la plainte, le demandeur soutient que le CEMD peut aussi tenir compte des dispositions pertinentes de la LCDP et les appliquer. Le demandeur indique que cette compétence est renforcée par la DOAD 5516-0, Droits de la personne, qui dispose que le ministère de la Défense nationale et les FAC s’engagent à respecter les droits des membres des FAC protégés aux termes de la LCDP.

2) Réintégration

[43] Le demandeur prétend que le CEMD a compétence pour déclarer sa libération nulle ab initio et le réintégrer dans les FAC. Le demandeur reconnaît que la loi empêchait la réintégration dans la décision Stemmler, mais il affirme que cette décision se distingue de l’espèce, puisque le plaignant dans cette affaire ne répondait pas à l’exigence de l’universalité du service. Le demandeur indique qu’il a fourni la preuve médicale de son aptitude au service militaire, laquelle n’a pas été prise en compte, et que dans de telles circonstances, la réintégration n’est pas interdite. Le demandeur souligne un sommaire en ligne d’un grief précédent des FAC, le cas no 2010-92, qui indique que, dans cette affaire, le comité externe d’examen des griefs a recommandé au CEMD de considérer la libération du plaignant comme nulle ab initio et de traiter le plaignant comme s’il n’avait jamais été libéré.

3) Acceptation des conclusions et des recommandations du Comité

[44] Le demandeur prétend que les motifs de la décision sont insuffisants pour justifier l’acceptation des conclusions et des recommandations du Comité par le CEMD, et que cela constitue un manquement de ce dernier à procéder à l’audition de novo requise. Contrairement à l’affirmation du CEMD selon laquelle les conclusions du Comité étaient bien motivées, le demandeur soutient que le Comité a omis de déterminer les conditions susceptibles de limiter l’aptitude au travail du demandeur dans un contexte militaire, qu’il a fait fi d’une preuve médicale contredisant ses conclusions et qu’il a tiré des conclusions de fait erronées concernant la tentative de suicide alléguée du demandeur. Le demandeur soutient que l’adoption générale des conclusions du Comité fait que la décision ne satisfait pas à la norme de la suffisance des motifs énoncée dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, une décision rendue avant les énoncés plus récents de la Cour suprême du Canada sur le caractère suffisant des motifs dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (Newfoundland Nurses). Toutefois, dans le contexte d’une décision rendue par le CEMD, le demandeur souligne que dans la décision Stemmler, précitée, au paragraphe 55, notre Cour a conclu que « l’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser ».

[45] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable parce qu’elle ne reconnaît pas les lacunes et les contradictions dans les conclusions du Comité. Dans ces circonstances, seule une explication motivée et détaillée qui aborde ces questions pourrait satisfaire à l’exigence de la suffisance des motifs. Le demandeur prétend que l’omission de fournir cette explication constitue aussi un défaut de procéder à l’audition de novo nécessaire.

4) Universalité du service

[46] Le demandeur prétend que la conclusion du CEMD selon laquelle il n’était pas en mesure de respecter l’exigence de l’universalité du service est déraisonnable. La décision mentionne que le demandeur a reçu un diagnostic de trouble d’adaptation, de traits de personnalité narcissique et de trouble de la personnalité généralisé et que le CEMD a conclu que les éléments de preuve étaient suffisants pour justifier la conclusion selon laquelle le demandeur était inapte au service dans les FAC. Toutefois, le demandeur soutient que le CEMD, dans sa décision, n’a pas tenu compte du rapport initial de la Dre Cruchley, daté du 10 janvier 2012, et du rapport de la Dre Nayar, daté du 18 juillet 2012, qui indiquaient tous deux que le demandeur pouvait reprendre son service. De même, il semble que le CEMD, dans sa décision, n’a pas tenu compte du rapport de M. Helmer, qui a conclu que l’état de santé du demandeur pouvait être traité au moyen d’une thérapie continue et qui, selon le demandeur, avait fait l’objet d’un commentaire positif de la part du capitaine Ron Padua en 2014. La décision ne contient pas de commentaires sur d’autres rapports préparés par les Drs Rahmani, Lizon et Blackshaw. Le demandeur prétend que le CEMD s’est concentré sur ses problèmes de santé, plutôt que sur leur effet quant à sa capacité à satisfaire aux exigences du service militaire, et que sa décision manque de transparence et d’intelligibilité. Il soutient que le CEMD n’a procédé à aucune analyse, qu’il s’est simplement fié à ses propres experts et qu’il n’a formulé aucun motif sur la décision du D Pol San.

[47] La décision contient une note concernant les [traduction] « nombreuses observations présentées » par le demandeur, mais elle n’en décrit pas le contenu. Le demandeur soutient que cela empêche la Cour de déterminer les faits sur lesquels s’est fié le CEMD et contribue au caractère déraisonnable de la décision.

5) Réalisation de l’EA des CERM

[48] Le CEMD conclut que le demandeur a eu [traduction] « amplement l’occasion de présenter une preuve médicale pour réfuter les conclusions [de l’examen administratif] » et il souligne que le dossier du demandeur contenait des éléments de preuve selon lesquels des évaluations médicales avaient eu lieu. Le demandeur interprète cette conclusion comme une indication que le CEMD a tranché que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve. Il soutient qu’une telle conclusion est déraisonnable, même si les éléments de preuve qu’il a présentés ont été jugés insuffisants. Une telle situation se distingue de la décision Shannon, précitée, au paragraphe 53, car dans cette décision, la Cour a conclu que le CEMD peut accorder plus de poids aux témoignages des experts des FAC lorsqu’il a « évalué la preuve médicale de façon juste ». Le demandeur soutient que le CEMD a omis d’apprécier la preuve médicale sur laquelle reposait sa thèse, et qu’il n’était donc pas autorisé à accorder plus de poids au témoignage de son expert, en particulier lorsque certains des éléments de preuve du demandeur provenaient d’autres médecins des FAC.

6) Lien de causalité entre le harcèlement et la libération pour des raisons médicales

[49] Le demandeur soutient également que le dossier regorge d’éléments de preuve sur le harcèlement dont il a été victime et qu’il démontre un lien de causalité entre le harcèlement et sa libération pour des raisons médicales. La décision n’explique aucunement la conclusion selon laquelle il n’existait pas de lien de causalité entre le harcèlement et la libération du demandeur pour des raisons médicales, et le demandeur affirme qu’il aurait été possible pour le CEMD de parvenir à une telle conclusion seulement s’il avait examiné les éléments de preuve et tiré des conclusions de fait quant à l’existence du harcèlement. La conclusion du CEMD selon laquelle il n’avait pas compétence pour examiner l’allégation de harcèlement a empêché cet examen et elle indique donc qu’un tel examen n’a pas eu lieu. Le demandeur prétend que le fait de conclure qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre le harcèlement et sa libération pour des raisons médicales est un déni de justice naturelle et qu’il s’agit d’une conclusion déraisonnable.

7) Conclusions recherchées

[50] Le demandeur recherche les conclusions suivantes :

  • a) une ordonnance de sursis de sa libération des FAC pour des raisons médicales;

  • b) une ordonnance annulant la décision;

  • c) une ordonnance enjoignant à l’autorité de dernière instance d’instruire l’affaire de nouveau avec l’encadrement de notre Cour;

  • d) les dépens de la demande.

B. Défendeur

[51] Le défendeur prétend qu’en plus de l’allégation du demandeur portant qu’il n’a pas eu droit à un degré d’équité procédurale suffisant, les motifs pour le contrôle judiciaire de la décision invoqués par le demandeur se résument aux quatre questions suivantes :

  1. le caractère suffisant des motifs du CEMD pour accepter les conclusions et les recommandations du Comité;

  2. la conclusion du CEMD de refuser d’instruire la plainte de harcèlement du demandeur;

  3. l’invocation par le CEMD de l’EA des CERM et sa conclusion selon laquelle le demandeur ne répondait pas à l’exigence de l’universalité du service;

  4. la conclusion du CEMD selon laquelle il n’avait pas compétence pour réintégrer le demandeur au sein des FAC.

[52] Le défendeur soutient que chacune de ces questions est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, et que dans chaque cas, la décision est raisonnable.

1) Suffisance des motifs et invocation des conclusions du Comité

[53] Le défendeur prétend que le CEMD a formulé suffisamment de motifs pour conclure que la libération du demandeur pour des raisons médicales était raisonnable et pour retenir les conclusions et les recommandations du Comité. Le défendeur note que le CEMD n’est pas lié par les conclusions et les recommandations du Comité. L’article 29.13 de la LDN exige plutôt du CEMD qu’il formule ses propres motifs s’il choisit de déroger aux conclusions et aux recommandations du Comité. Dans la décision Riach c Canada (Procureur général), 2011 CF 1230, au paragraphe 44 (Riach), la juge Bédard a examiné l’effet de cette disposition et elle a conclu que « lorsque le CEMD souscrit aux conclusions et recommandations du Comité, il peut approuver le raisonnement du Comité sans devoir s’étendre plus longuement ». Le défendeur soutient qu’en plus d’avoir retenu les conclusions du Comité, le CEMD a formulé des motifs supplémentaires pour conclure que la libération du demandeur pour des raisons médicales était raisonnable. Plus précisément, le CEMD a retenu ce qui suit : le demandeur était inapte au service, car il ne se satisfaisait pas au principe de l’universalité du service; le processus avait permis d’accorder au demandeur suffisamment de temps et de possibilités de répondre; de nombreux éléments de preuve dans le dossier du demandeur établissaient que des évaluations médicales avaient eu lieu avant que le personnel médical des FAC ne parvienne à la conclusion que les CERM attribuées au demandeur étaient incompatibles avec le service militaire; l’examen administratif a été effectué conformément aux politiques des FAC et il était équitable sur le plan procédural; et le CEMD n’avait pas compétence pour réintégrer le demandeur au sein des FAC, à titre de mesure de réparation à l’occasion du processus de règlement des griefs.

[54] Le défendeur prétend que les motifs d’un décideur doivent être lus dans leur ensemble, conjointement avec le dossier dont il était saisi. Plutôt que d’y chercher des erreurs, les motifs devraient être abordés dans le but de comprendre le raisonnement du décideur. L’application de cette approche lors de l’examen de la suffisance des motifs du CEMD lorsqu’il agit à titre d’autorité de dernière instance dans la procédure de règlement des griefs des FAC a été décrite par le juge Gascon dans la décision Stemmler, précitée, aux paragraphes 75 et 76. Le juge Gascon fait remarquer que tant que les motifs permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision, « [l]a décision raisonnable est la norme, non la perfection ». Le défendeur soutient que la décision exige une grande retenue, vu le pouvoir discrétionnaire du CEMD à l’occasion de la procédure de règlement des griefs des FAC.

2) La plainte de harcèlement du demandeur

[55] Le défendeur prétend que le demandeur cherche à forcer le CEMD à entreprendre un examen de novo de sa plainte de harcèlement de 2011 plutôt que de la question faisant l’objet du grief. Comme le grief du demandeur portait sur sa libération pour des raisons médicales, le dossier dont le CEMD est saisi porte sur cette question et non sur la plainte de harcèlement du demandeur. Le défendeur soutient que le dossier indique que la plainte pour harcèlement a été tranchée en février 2013 et que le délai pour interjeter appel ou présenter un grief est donc prescrit. Lors de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire quant à savoir s’il y a lieu d’examiner un grief déposé après le délai prescrit, le CEMD n’est pas obligé d’accepter les explications du plaignant concernant le retard. Voir l’arrêt Canada (Procureur général) c Beddows, 2016 CAF 294, au paragraphe 51.

[56] Le défendeur prétend aussi que la conclusion du CEMD selon laquelle la CCDP constitue le forum approprié pour l’examen de la plainte de harcèlement du demandeur est raisonnable. Le défendeur affirme que la CCDP est saisie d’une plainte sensiblement identique et que les FAC n’ont pas connaissance d’une décision rendue par la CCDP selon laquelle la plainte pourrait être avantageusement instruite aux termes de la procédure de règlement des griefs des FAC. Dans ces circonstances, la décision du CEMD de refuser d’instruire la plainte de harcèlement permet d’éviter la multiplication des procédures.

3) Universalité du service

[57] Le défendeur prétend que la décision appartient aux issues possibles qui s’offraient au CEMD, car le dossier établit que ce dernier et le Comité se sont appuyés sur l’opinion d’experts médicaux pour déterminer que le demandeur ne répondait pas à l’exigence de l’universalité du service. La décision indique particulièrement que le demandeur a reçu des diagnostics de trouble d’adaptation, de traits de personnalité narcissique et de trouble d’anxiété généralisée. Elle repose sur la conclusion du D Pol San selon laquelle le demandeur était inapte au travail dans un contexte militaire, une question relevant entièrement de l’expertise du D Pol San. Dans le contexte d’une évaluation de l’état de santé en fonction des besoins des FAC, il est loisible au CEMD d’accorder plus de poids à l’opinion des médecins militaires. Voir l’arrêt McBride, précité, au paragraphe 38; la décision Shannon, précitée, aux paragraphes 52 et 53. Par conséquent, la conclusion de la décision selon laquelle le demandeur ne répond pas à l’exigence de l’universalité du service est raisonnable.

4) Réintégration

[58] Le défendeur prétend que le CEMD ne pouvait pas examiner la réintégration comme une forme de mesure réparatoire au grief du demandeur. Le paragraphe 30(4) de la LDN établit les circonstances précises permettant la réintégration dans les FAC. Dans la décision Stemmler, précitée, aux paragraphes 43 à 45, le juge Gascon a conclu que le paragraphe 30(4) « établi[t] les conditions dans lesquelles une libération des FAC peut être annulée » et que le CEMD n’avait pas conclu déraisonnablement qu’un ancien membre des FAC ne pouvait être réintégré si sa situation ne se situait pas dans les exceptions prescrites au paragraphe 30(4). La décision établit que le demandeur ne répondait pas à l’exigence de l’universalité du service le 16 juin 2014 et qu’il a été libéré des FAC à juste titre. Comme la situation du demandeur ne se situait pas dans les exceptions prescrites au paragraphe 30(4) de la LDN, la conclusion du CEMD selon laquelle le demandeur ne pouvait pas être réintégré était raisonnable.

5) Équité procédurale

[59] Le défendeur prétend que la procédure de règlement des griefs ne présente pas de manquement à l’obligation d’équité. Le demandeur a été avisé du changement à ses CERM, on lui a remis tous les documents pertinents, il a eu l’occasion de répondre à ces documents et il y a répondu avant que son grief ne soit tranché. Le CEMD a ensuite procédé à une évaluation de novo des documents contenus dans le dossier de grief du demandeur. Le défendeur soutient que même s’il y avait eu manquement à l’équité procédurale antérieurement, l’examen de novo du CEMD aurait résout ce problème. Voir la décision Stemmler, précitée, au paragraphe 48, citant l’arrêt McBride, précité, au paragraphe 45; la décision Schmidt c Canada (Procureur général), 2011 CF 356, aux paragraphes 19 à 22.

[60] Par conséquent, le défendeur demande que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

VIII. DISCUSSION

A. Introduction

[61] Il s’agit d’une demande plutôt complexe où le demandeur a choisi de se représenter lui-même. Ce choix n’a pas joué en sa faveur. Ses documents écrits sont détaillés et bien organisés et, lors de son exposé oral à l’audition, il s’est révélé très habile et très convaincant à la fois quant à sa maîtrise des éléments de preuve et à sa connaissance des règles de droit applicables.

[62] La demande est plus complexe que ce ne serait normalement le cas puisque, en plus du grief et de l’examen portant sur sa libération des FAC pour des raisons médicales, le demandeur cherche aussi à obtenir le règlement d’un grief pour harcèlement qui est mentionné dans la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, mais qui fait aussi l’objet d’autres instances. Le demandeur a tenté de fusionner ses questions en matière de harcèlement avec le grief relatif à sa libération, mais le CEMD a jugé qu’il n’avait pas lieu de regrouper les deux affaires et il a restreint sa décision à la libération pour des raisons médicales.

[63] Le demandeur croit que les aspects d’ordre médical de son grief ne peuvent être séparés des questions portant sur le harcèlement et, lors de son exposé oral, il en avait beaucoup à dire sur le sujet.

[64] À mon avis, il était raisonnable et approprié pour le CEMD de laisser à d’autres instances le soin de trancher les questions portant sur le harcèlement et de concentrer sa décision sur la libération du demandeur pour des raisons médicales. J’ai deux motifs à l’appui de ce qui précède.

[65] Premièrement, la preuve médicale dont était saisi le CEMD – dont je suis maintenant saisi et à laquelle je ferai référence en détail plus tard – indique qu’il existe un lien entre le stress professionnel et l’état psychologique du demandeur, mais elle n’est pas suffisamment exhaustive ou étoffée pour permettre une évaluation valable du lien entre les incidents de harcèlement allégués et les diagnostics médicaux à l’origine de la libération. Toute mention du rôle des facteurs de stress et du lien de causalité dans les rapports médicaux pourrait, dans la plupart des cas, être fondée uniquement sur l’autodéclaration du demandeur et les allégations de harcèlement non établies, pour l’instant. Deuxièmement, je ne crois pas que les mesures d’adaptation que le demandeur espérait obtenir comme solution de rechange à sa libération pouvaient lui être offertes aux termes du processus ayant mené à la décision du CEMD de le libérer pour le motif qu’il ne pouvait, pour des raisons médicales, satisfaire au principe de l’universalité du service énoncé dans la DOAD 5023-0.

[66] Les questions de harcèlement sont pleinement reconnues et elles ont été tranchées par le Comité :

[traduction]

Le plaignant soutient que peu de temps après s’être enrôlé dans les FAC, il a éprouvé des difficultés au sein de son unité et on l’aurait encouragé à déposer une plainte pour harcèlement. Le plaignant soutient que cette situation a provoqué chez lui un stress important qui a nui non seulement à sa santé, mais aussi à sa confiance dans la chaîne de commandement (C de C). Il affirme que ce manque de confiance l’a retardé dans la mise en œuvre d’un traitement professionnel pour ses problèmes de santé.

De plus, le plaignant allègue que comme il était nouveau dans l’armée, lorsqu’il a été confronté, ultérieurement, à la possibilité de comparaître devant une cour martiale et d’être libéré, il a mal évalué certaines décisions de commandement qui étaient strictes, mais qui visaient à assurer le bon ordre et la discipline. Il soutient que compte tenu de sa connaissance accrue des processus et des normes militaires, il est maintenant motivé à regagner la confiance perdue et à prouver qu’il est apte à servir en tant que soldat efficace et discipliné.

[67] Le demandeur n’a pas indiqué qu’il s’agissait d’une évaluation inexacte de ses allégations à ce moment, bien qu’il m’en ait présenté une caractérisation différente. Cependant, il ne faut pas oublier que l’examen du Comité est indépendant et autonome.

[68] Le rapport du Comité indique aussi clairement que la DOAD 5023-1 dispose qu’un membre des FAC qui n’est pas qualifié pour le GPM ne peut être maintenu en poste. Il n’est pas possible d’accorder des mesures d’adaptation :

La DOAD 5023-1 dispose que pour être apte au travail, « un membre des FAC doit [...] être en mesure d’effectuer les éléments de compétence professionnelle des tâches essentielles opérationnelles communes [...] et n’avoir aucune contrainte à l’emploi pour raisons médicales empêchant d’accomplir les tâches essentielles ». En outre, pour être déployable, il ne doit pas « avoir de contrainte à l’emploi pour raisons médicales ou d’autres types de contraintes à l’emploi qui empêcheraient le déploiement ».

Si un membre n’est pas en mesure de satisfaire à ces normes, un examen administratif (EA) doit être réalisé pour déterminer si le membre devrait être « libéré [...] ou maintenu en poste avec des contraintes à l’emploi pendant une période de transition temporaire »; toutefois, « [l]e militaire qui n’est pas qualifié pour le GPM [Génération du personnel militaire] et qui ne répond pas aux critères minimaux d’efficacité opérationnelle n’est pas maintenu en poste ».

[Non souligné dans l’original.]

[69] Le demandeur n’a pas remis en question l’objet et la primauté de ces dispositions de gouvernance. Il semble penser qu’on aurait pu en faire plus pour l’aider pendant ses premières années dans les FAC. Cependant, la question dont étaient saisis le Comité et le CEMD était celle de savoir si la preuve médicale appuyait la conclusion selon laquelle le demandeur ne pouvait pas satisfaire au principe de l’universalité du service et si le processus d’évaluation avait été appliqué de façon appropriée. L’examen indépendant et autonome du Comité lui a permis de conclure que [traduction] « la décision de libérer le demandeur pour des raisons médicales était raisonnable et qu’elle avait été prise en conformité avec la politique applicable » et il a recommandé [traduction] « que le grief soit rejeté ». Le CEMD, après un examen de novo complet, a conclu qu’il n’y avait aucune raison de s’écarter de la décision du Comité.

[70] Dans le présent contrôle judiciaire, le demandeur a soulevé des questions variées, dont je traiterai successivement. Au bout du compte, cependant, la question dont la Cour est saisie est celle de savoir si les conclusions du Comité et du CEMD relativement à la libération du demandeur pour des raisons médicales étaient raisonnables, compte tenu de la preuve médicale à l’origine de la libération et du processus appliqué pour parvenir à cette décision définitive, et si le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale nécessaire au cours de ce processus. Pour les motifs qui suivent, je dois conclure que la décision était raisonnable et équitable sur le plan procédural. Ce disant, je ne me prononce d’aucune façon sur les allégations de harcèlement du demandeur dont il a saisi d’autres tribunaux, selon ma compréhension.

B. Compétence pour instruire la plainte de harcèlement

[71] Sur cette question, la plainte du demandeur est rédigée ainsi :

[traduction]

52. En l’espèce, la question dont est saisi le [CEMD] porte sur la libération du demandeur pour des raisons médicales. Comme nous le verrons ci-dessous, le demandeur courrait le risque d’être libéré pour des raisons médicales en raison, en grande partie, du harcèlement dont il avait été victime. Bien que la Commission canadienne des droits de la personne puisse aussi examiner cette question, il y a peu ou pas de doute que le [CEMD] avait compétence pour examiner et appliquer les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[traduction]

53. La directive 5516-0, Droits de la personne, des Directives et ordonnances administratives des Forces canadiennes s’applique précisément à l’ensemble des employés du ministère de la Défense nationale. La DOAD 5516-0 indique, dans son énoncé de politique à l’article 2.3, que le ministère de la Défense nationale et les FAC s’engagent à garantir un traitement équitable, respectueux et empreint de dignité; à offrir un milieu de travail exempt d’actes discriminatoires et à respecter les droits protégés par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Elle indique aussi, à l’article 2.4, que le MDN et les FAC doivent promouvoir les principes de la LCDP.

[traduction]

54. Le demandeur soutient respectueusement que [le CEMD] a eu tort de conclure que la Commission canadienne des droits de la personne était la seule instance à laquelle présenter ces questions. [Le CEMD] a eu tort de conclure qu’il n’avait pas compétence pour appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[72] Le demandeur peut attribuer ses problèmes médicaux au harcèlement allégué, mais le CEMD n’était pas saisi de la question du harcèlement en soi.

[73] Le grief dont était saisi le CEMD portait sur la libération du demandeur des FAC aux termes de l’élément 3b. de l’article 15.01 (Libération des officiers et militaires du rang) des ORFC. Le demandeur a prétendu qu’il n’aurait pas dû être libéré le 16 juin 2014 et il a demandé qu’on examine de nouveau sa libération.

[74] Le CEMD a fait les commentaires suivants :

[traduction]

Questions préliminaires Vous avez formulé plusieurs accusations d’actes criminels commis par des membres des FAC. La procédure de règlement des griefs ne constitue pas le moyen approprié pour obtenir l’examen de ces questions d’ordre juridique. L’article 5.01 des ORFC est rédigé ainsi :

5.01 – RESPONSABILITÉS GÉNÉRALES DES MILITAIRES DU RANG

Un militaire du rang doit :

[...]

e) signaler aux autorités compétentes toute infraction aux lois, règlements, règles, ordres et directives pertinents qui régissent la conduite de toute personne justiciable du code de discipline militaire.

Par conséquent, il ne serait pas approprié que je commente vos allégations. Je n’examinerai donc que les questions administratives entourant votre libération pour des raisons médicales aux termes de l’élément 3b, laquelle est l’objet de votre grief.

[Renvois omis.]

[75] Il semble aussi, selon le dossier, que la plainte pour harcèlement du demandeur a déjà été tranchée ou est en voie de l’être. Le dossier certifié du tribunal (DCT), aux pages 0543 et 0544, indique que la plainte pour harcèlement a été traitée en février 2013 et que le commandant (COM) du demandeur examine actuellement la demande de prorogation de ce dernier afin d’interjeter appel de la décision. Voir la lettre de l’avocat du demandeur (DCT, aux pages 0543 et 0544), qui mentionne la lettre du lieutenant-colonel Groves, datée du 19 février 2013, et la réponse de ce dernier (DCT, aux pages 0560 et 0561) laquelle mentionne aussi la lettre du 19 février 2013 avisant le demandeur que la plainte a été close sous la [traduction] « référence C ». De plus, la liste des références à la deuxième lettre de grief du demandeur, en date du 16 juin 2014, comprend la [traduction] « référence L : 5085-1-52567-12001, “Exposé des allégations et lettre signifiant la fin du processus”, lieutenant-colonel Groves, 19 février 2013 » (DCT, aux pages 0164 et 0669).

[76] Il semble aussi que le demandeur ait présenté sa plainte pour harcèlement à la CCDP. Le paragraphe 7.27(1) des ORFC dispose que « [l]’autorité initiale ou de dernière instance doit suspendre l’étude d’un grief si le plaignant, relativement à la question qui a donné lieu au grief, prend l’une des mesures suivantes : a) il exerce un recours; b) il fait une réclamation; c) il dépose une plainte en vertu d’une loi fédérale, autre que la Loi sur la défense nationale ». Le paragraphe 7.27(2) indique que l’instance concernée reprend l’étude du grief « [e]n cas de désistement ou d’abandon du recours, de la réclamation ou de la plainte avant qu’une décision au fond ne soit prise [...], une fois qu’elle en est avisée ». Enfin, le paragraphe 7.27(3) dispose que « [e]n cas de règlement, même partiel, du recours, de la réclamation ou de la plainte, le plaignant doit en informer immédiatement l’autorité initiale ou de dernière instance, selon le cas, et lui en remettre une copie ». Par conséquent, même si le CEMD a compétence concomitante pour examiner une décision relative à un grief pour harcèlement, cet examen doit être suspendu une fois qu’une plainte est déposée à la CCDP.

[77] Dans ces circonstances, il aurait été inapproprié que le CEMD tranche le fond des allégations de harcèlement formulées par le demandeur compte tenu du chevauchement des procédures, mais, quoi qu’il en soit, il était raisonnable pour le CEMD de faire valoir que la nature du grief et des documents qui lui avaient été présentés portaient particulièrement sur la libération du demandeur et non sur les allégations de harcèlement. En outre, comme l’a souligné le Comité, la DOAD 5023-1 dispose que « [l]e militaire qui n’est pas qualifié pour le GPM et qui ne répond pas aux critères minimaux d’efficacité opérationnelle n’est pas maintenu en poste ». Je ne suis saisi d’aucun élément de preuve ni d’aucune autorité qui me permettrait de conclure que cette exigence obligatoire peut être atténuée ou écartée compte tenu de l’adoption de mesures d’adaptation ou de la cause des problèmes d’un membre, bien que cela ne signifie pas que de telles questions ne puissent faire l’objet d’un examen à l’occasion d’une autre instance.

[78] Le CEMD explique clairement pourquoi les questions relatives au harcèlement ne font pas partie du grief dont il est saisi et pourquoi le lien de causalité invoqué par le demandeur n’a pas été établi :

[traduction]

Dans vos observations au Comité, vous alléguez que des membres des FAC ont fait preuve de discrimination à votre égard et se sont livrés à des représailles contre vous. Plus précisément, vous mentionnez une série d’événements ayant eu lieu en avril et en juin 2011, alors que vous étiez employé au sein du 737e Escadron des communications (Saskatoon) (737e Esc Comm (Saskatoon)). Votre commandant (CO) a examiné votre plainte de harcèlement et il a conclu qu’elle n’était pas fondée, après quoi il a envisagé de porter des chefs d’accusation de fausses déclarations contre vous. Lorsque vos problèmes de santé mentale ont été diagnostiqués, les chefs d’accusation ont été retirés. Je conclus qu’il n’y a pas de lien de causalité entre votre plainte pour harcèlement et votre grief en instance. De plus, je note que vous avez déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, qui est l’instance appropriée pour trancher ces questions. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de ces allégations dans ma détermination du grief.

[79] Vu la preuve médicale dont était saisi le CEMD, il n’était pas déraisonnable pour lui de conclure qu’un lien de causalité suffisant n’avait pas été établi. Il est vrai que les rapports établissent un lien entre le stress professionnel et l’état psychologique du demandeur. Par exemple, le rapport Lizon indique ce qui suit : [traduction] « [i]l éprouve des problèmes d’anxiété qui sont probablement causés par la situation professionnelle stressante et les questions non résolues concernant sa future carrière dans l’armée » (DCT, à la page 0621). Le diagnostic d’axe I du Dr Lizon correspond à ce qui suit : [traduction] « Anxiété généralisée liée à la situation professionnelle. Trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse ». Le rapport Blackshaw ne comprend aucune mention de diagnostics de troubles de l’axe I, mais il indique que [traduction] « les traits de personnalité [du demandeur], combinés au stress découlant de son traitement au sein des Forces armées, ont mené à plusieurs épisodes diagnostiqués comme un trouble d’adaptation, entre octobre 2011 et février 2013 » (DCT, à la page 0651). Il faut noter que le rapport Brock indique particulièrement que [traduction] « [l]e harcèlement actuel en milieu de travail qu’il a décrit à contribuer au déclenchement et à l’aggravation de plusieurs de ces émotions » (DCT, à la page 0765). Plus loin, il indique ce qui suit : [traduction] « il semble que le harcèlement qu’il croit subir de la part du capitaine et du sergent de son unité, combiné à la série subséquente d’événements après sa demande initiale de libération volontaire (c.-à-d. entrevue, plainte pour harcèlement, retrait de la plainte, chefs d’accusation, etc.) ait mené à une certaine décompensation émotionnelle » (DCT, à la page 766). Par ailleurs, le rapport Helmer ne traite que de diagnostics de troubles caractérologiques de l’axe II et il indique particulièrement que [traduction] « [c]es questions caractérologiques sont très distinctes du harcèlement interpersonnel qu’il a subi dans l’armée » (DCT, à la page 0267).

[80] Toute mention dans ces rapports d’un possible lien de causalité entre l’état de santé du demandeur et son traitement dans les CAF repose sur l’autodéclaration du demandeur, et elle ne peut servir à établir un lien de causalité avant que le demandeur n’établisse que le harcèlement allégué a réellement eu lieu. Le demandeur aborde ce lien de causalité dans une plainte pour harcèlement dont n’était pas saisi le CEMD, et ce dernier a raisonnablement refusé, à mon avis, de créer un chevauchement des procédures ou de conclure qu’un lien de causalité avait été établi.

[81] Comme je l’ai déjà mentionné, la question du harcèlement a aussi été entièrement reconnue et réglée par le Comité, dont le CEMD, après un examen de novo complet, a retenu et approuvé l’examen.

C. Compétence pour réintégrer le demandeur dans les FAC

[82] Le demandeur soutient que le CEMD avait bel et bien compétence pour le réintégrer dans les FAC. Il soutient que le CEMD avait le pouvoir de déclarer sa libération nulle ab initio et d’ordonner qu’il soit traité comme s’il n’avait jamais été libéré.

[83] Il ne s’agit pas d’une question importante pour la présente demande, puisque le CEMD a raisonnablement conclu que le demandeur avait été dûment libéré des FAC. Par conséquent, la libération n’était pas nulle ab initio. De plus, je suis d’avis que le demandeur interprète tout simplement mal la décision du CEMD.

[84] Lors de son examen de la demande de réintégration, le CEMD est parvenu aux conclusions suivantes :

[traduction]

Réintégration au sein des Forces armées canadiennes. J’ai conclu qu’en date du 16 juin 2014, vous ne satisfaisiez pas à l’exigence de l’universalité du service des FAC. J’ai aussi conclu que l’EA (CERM) vous concernant a été mené conformément aux politiques des FAC applicables. En fonction de l’examen de votre dossier, je conclus que l’EA (CERM) vous concernant a été mené conformément aux règles d’équité procédurale. Par conséquent, je conclus que vous avez été dûment libéré des FAC. Dans certaines de vos observations subséquentes, vous avez demandé d’être réintégré au sein de la Force de réserve. Je n’ai pas compétence pour réintégrer d’anciens membres une fois qu’ils ont été libérés des FAC. Cependant, si vous obtenez de nouveaux documents démontrant que vous avez surmonté vos contraintes médicales, je vous encourage à présenter une nouvelle demande d’enrôlement.

[85] De toute évidence, le CEMD indique qu’il n’a pas compétence pour réintégrer le demandeur dans les FAC, s’il a été dûment libéré, mais que le demandeur peut présenter une nouvelle demande d’enrôlement si ses problèmes de santé sont réglés.

[86] Dans la décision Stemmler, précitée, la Cour a clairement indiqué que le CEMD n’avait pas compétence pour réintégrer un ancien membre, sauf dans les circonstances énoncées au paragraphe 30(4) :

[43] De même, les conditions de réintégration sont nettement exposées dans le paragraphe 30(4) de la LDN. La prescription est le paragraphe 30(4) de la LDN et l’article 15.50 des ORFC pour établir les conditions dans lesquelles une libération des FAC peut être annulée. Il est important de citer ces dispositions. Le paragraphe 30(4) de la LDN se lit comme suit :

30 (4) Sous réserve des règlements pris par le gouverneur en conseil, la libération ou le transfert d’un officier ou militaire du rang peut être annulé, avec son consentement, dans le cas suivant :

30 (4) Subject to regulations made by the Governor in Council, where

a) d’une part, il a été libéré des Forces canadiennes ou transféré d’un élément constitutif à un autre en exécution d’une sentence de destitution ou d’un verdict de culpabilité rendu par un tribunal militaire ou civil;

(a) an officer or non-commissioned member has been released from the Canadian Forces or transferred from one component to another by reason of a sentence of dismissal or a finding of guilty by a service tribunal or any court, and

b) d’autre part, une autorité compétente a annulé le verdict ou la sentence. Dès lors, toujours sous réserve des règlements, il est réputé, pour l’application de la présente loi ou de toute autre loi, ne pas avoir été libéré ou transféré.

(b) the sentence or finding ceases to have force and effect as a result of a decision of a competent authority, the release or transfer may be cancelled, with the consent of the officer or non-commissioned member concerned, who shall thereupon, except as provided in those regulations, be deemed for the purpose of this Act or any other Act not to have been so released or transferred.

[44] De son côté, l’article 15.50 des ORFC réitère ce qui se retrouve dans le paragraphe 30(4) de la LDN et se lit comme suit :

15.50 (1) Le paragraphe 30(4) de la Loi sur la défense nationale stipule:

15.50 (1) Subsection 30(4) of the National Defence Act provides:

«30. (4) Sous réserve des règlements pris par le gouverneur en conseil, la libération ou le transfert d’un officier ou militaire du rang peut être annulé, avec son consentement, dans le cas suivant :

“30. (4) Subject to regulations made by the Governor in Council, where

a. d’une part, il a été libéré des Forces canadiennes ou transféré d’un élément constitutif à un autre en exécution d’une sentence de destitution ou d’un verdict de culpabilité rendu par un tribunal militaire ou civil;

a. an officer or non-commissioned member has been released from the Canadian Forces or transferred from one component to another by reason of a sentence of dismissal or a finding of guilty by a service tribunal or any court; and

b. d’autre part, une autorité compétente a annulé le verdict ou la sentence. Dès lors, toujours sous réserve des règlements, il est réputé, pour l’application de la présente loi ou de toute autre loi, ne pas avoir été libéré ou transféré.»

b. the sentence or finding ceases to have force and effect as a result of a decision of a competent authority, the release or transfer may be cancelled, with the consent of the officer or non-commissioned member concerned, who shall thereupon, except as provided in those regulations, be deemed for the purpose of this Act or any other Act not to have been so released or transferred.”

(2) Sous réserve, de l’alinéa (3), lorsqu’un officier ou militaire du rang a été libéré ou muté d’un élément constitutif à un autre en raison d’une sentence de destitution ou d’un verdict de culpabilité rendu par un tribunal militaire ou toute cour et que la sentence ou le verdict cesse d’avoir effet par suite d’une décision d’une autorité compétente, le ministre, dans les 18 mois qui suivent cette libération ou mutation, ou le gouverneur en conseil en tout temps peut, avec le consentement de l’officier ou du militaire du rang, annuler cette libération ou mutation.

(2) Subject to paragraph (3), where an officer or non-commissioned member has been released or transferred from one component to another by reason of a sentence of dismissal or a finding of guilty by a service tribunal or any court, and the sentence or finding ceases to have force and effect as a result of a decision of a competent authority, the Minister, within 18 months of the release or transfer, or the Governor in Council at any time, may, with the consent of the member, cancel the release or transfer.

(3) La solde et les indemnités d’un officier ou militaire du rang dont la libération ou la mutation est annulée en vertu de l’alinéa (2) sont sujettes à toute déduction qui peut être imposée aux termes de l’alinéa (3) de l’article 208.31 (Suppression, déduction et annulation lorsqu’aucun service n’est rendu).

(3) The pay and allowances of an officer or non-commissioned member whose release or transfer is cancelled under paragraph (2) is subject to such deduction as may be imposed under paragraph (3) of article 208.31 (Forfeitures, Deductions and Cancellations - Where No Service Rendered).

(4) Un officier ou militaire du rang dont la libération ou la mutation a été annulée en conformité avec l’alinéa (2) a droit aux prestations mentionnées aux DRAS 209.99 (Droit aux indemnités de transport à la réintégration - force régulière) et 209.9942 (Déménagement de la famille, des meubles et des effets personnels des militaires réintégrés - force régulière).

(4) An officer or non-commissioned member whose release or transfer has been cancelled under paragraph (2) is entitled to the benefits described in CBI 209.99 (Entitlement to Transportation Benefits on Reinstatement - Regular Force) and 209.9942 (Movement of Dependants, Furniture and Effects - Members Reinstated - Regular Force).

[45] Il va sans doute que la situation du Cpl Stemmler ne se situe pas dans les exceptions qui sont exposées dans ces dispositions. Par conséquent, le CEMD n’a pas commis d’erreur en concluant que le Cpl Stemmler ne pouvait pas être réintégré. En d’autres termes, je ne considère pas qu’il était déraisonnable au CEMD d’appliquer les dispositions pertinentes de la LDN et des ORFC en se penchant sur « les sujets de controverse de la PDMEP [du Cpl Stemmler] ».

[87] La situation du demandeur ne correspond pas aux circonstances énoncées au paragraphe 30(4).

[88] Le demandeur cherche à distinguer sa situation de celle de la décision Stemmler de la façon suivante :

[traduction]

56. Dans la décision Stemmler c Canada (Procureur général), 2016 CF 1299 (Stemmler), le CEMD note que, conformément au paragraphe 30(4) de la Loi sur la défense nationale, la réintégration était interdite par une disposition législative. Cependant, le motif de cette décision découlait de la conclusion selon laquelle le Cpl Stemmler était inapte au service aux termes du principe de l’universalité du service. En l’espèce, le demandeur a présenté une preuve médicale suffisante relativement à son aptitude au service. En l’espèce, les éléments de preuve présentés par le demandeur n’ont pas été examinés et aucun motif n’a été formulé pour expliquer cette absence de prise en compte. Par conséquent, en l’espèce, la réintégration n’était pas une mesure interdite par une disposition législative.

[89] Cela ne soulève aucune question en l’espèce, puisque que le grief a été rejeté pour le motif que traduction] « en date du 16 juin 2014, [le demandeur] ne satisfaisait pas à l’exigence de l’universalité du service des FAC ». Donc, il n’est pas pertinent que le CEMD ait eu tort au sujet de sa compétence pour réintégrer le demandeur. De façon générale, la décision Stemmler, précitée, indique que le CEMD n’avait pas commis d’erreur.

D. Caractère déraisonnable

[90] Le demandeur allègue que la décision du CEMD était déraisonnable pour diverses raisons.

1) Défaut de formuler des motifs suffisants

[91] Sur ce point, l’argument principal du demandeur est le suivant :

[traduction]

59. Bien que [le CEMD] ait indiqué qu’il concluait que l’analyse [du Comité] était bien motivée, il n’a pas formulé de motifs suffisants pour étayer cette conclusion. Comme l’a noté le demandeur dans son examen des conclusions du [Comité], le [Comité] :

a. a omis d’indiquer les déclencheurs ou facteurs de stress qui limiteraient l’aptitude au travail dans un contexte militaire;

b. a omis de tenir compte des conclusions de la majore Cruchley et de la Dre Nayar dans leur détermination du respect du demandeur au principe de l’universalité du service;

c. a omis d’examiner correctement les énoncés du Dr Rahmani concernant l’état de santé du demandeur;

d. a noté de façon inexacte que le demandeur avait tenté de se suicider, contrairement aux éléments de preuve dont il était saisi;

e. a omis de tenir compte de l’évaluation du Dr Lizon selon laquelle l’état de santé du demandeur découlait des facteurs de stress en milieu de travail et ne constituait pas une déficience importante;

f. a omis de tenir compte de la suggestion du Dr Blackshaw portant que le demandeur pouvait suivre une thérapie qui lui permettrait de continuer à travailler;

g. s’est fondé sur la déclaration du capitaine Strawson selon laquelle l’état de santé du demandeur ne changerait pas, ce qui allait directement à l’encontre des autres éléments de preuve dont [le Comité] était saisi;

h. a omis de tenir compte de la déclaration de M. Helmer selon laquelle le problème de santé du demandeur pouvait être traité et de la position du capitaine Padua de retenir cette assertion;

i. a omis de tenir compte du rapport de M. Helmer indiquant que le demandeur n’avait pas reçu suffisamment d’aide concernant son grief;

[...]

[traduction]

63. La décision du [CEMD] de retenir les conclusions du [Comité] sans expliquer leurs lacunes, leurs nombreuses contradictions, leur omission relative aux éléments d’expertise médicale présentés ne satisfait à aucune norme relative à la suffisance des motifs.

64. Le demandeur soutient respectueusement qu’il n’était pas raisonnable pour le [CEMD] de se fonder sur les conclusions du [Comité] sans offrir d’explication motivée et détaillée concernant les diverses lacunes du rapport [du Comité], et que son omission de le faire a donné lieu à une décision déraisonnable, ce qui devrait permettre de casser la décision.

65. De plus, le demandeur soutient respectueusement et essentiellement, toutefois, que le [CEMD] a commis une erreur en se fondant sur les conclusions du [Comité] puisque que, comme il l’a affirmé, il était tenu par la loi de procéder à une audition de novo et d’examiner les éléments de preuve de nouveau. Il ne l’a pas fait.

[92] Une plainte semblable a été formulée dans la décision Stemmler, précitée, où la Cour indique l’approche générale servant à évaluer la suffisance des motifs :

[75] Le test pour établir si les raisons étaient suffisantes examine si les raisons sont claires et intelligibles et expliquent à la Cour et aux parties comment elle a été prise. Les motifs sont suffisants « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Afin de fournir des motifs appropriés, « [l]e décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions », « traiter des principaux points en litige » et procéder à « l’examen des facteurs pertinents » (VIA Rail Canada Inc c National Transportation Agency, [2001] 2 FCR 25, au paragraphe 22). C’est exactement ce qu’a fait le CEMD. Dans la mesure où les motifs permettent « à la cour de révision d’apprécier le bien‑fondé » de la décision, ils seront suffisants (Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 46).

[76] Comme je l’explique dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdulghafoor, 2015 CF 1020, aux paragraphes 30 à 36 et dans Al-Katanani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1053, au paragraphe 32, la jurisprudence relative aux motifs suffisants pour prendre une décision administrative a évolué substantiellement depuis Dunsmuir. Dans Newfoundland Nurses, la Cour suprême fournit une orientation pour aborder les situations où les décideurs fournissent des motifs brefs ou restreints. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits ou qu’ils traitent de l’ensemble des éléments de preuve ou des arguments présentés par une partie ou figurant dans le dossier (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 16 et 18). La décision raisonnable est la norme, non la perfection.

[93] Le demandeur invite la Cour à tenir pour acquis, en l’espèce, que le Comité – une entité indépendante et autonome – et le CEMD, par le fait même, ont écarté les facteurs qu’il a énoncés ci-dessus, au paragraphe 59 de son mémoire. Certaines de ces assertions sont inexactes et d’autres sont prises hors de contexte et elles ne tiennent pas compte du dossier complet de la preuve dont était saisi le Comité.

[94] Par exemple, le dossier médical du demandeur de 2011 à 2014 révèle ce qui suit :

9. De novembre 2011 à février 2013, le demandeur a été hospitalisé ou a cherché à obtenir une évaluation et un traitement psychiatriques de façon volontaire et non volontaire :

a. Novembre 2011 – le demandeur s’est rendu à la salle d’urgence du Royal University Hospital (RUH) se plaignant de symptômes de dépression et d’idées suicidaires au cours des trois semaines précédentes. Il a été hospitalisé au Dube Centre du RUH pendant cinq [jours] (DCT, à la page 0648);

b. Février 2012 – le demandeur s’est rendu à la salle d’urgence du St. Paul’s Hospital à Saskatoon, en Saskatchewan, afin de se faire traiter pour une surdose de médicaments (DCT, aux pages 0649 et 0759);

c. Mars 2012 – le demandeur a été hospitalisé de façon volontaire au Dube Centre du RUH pendant cinq jours, et il a reçu un diagnostic de trouble d’adaptation (DCT, à la page 0649);

d. Avril 2012 – le demandeur a refusé de se rendre volontairement à l’hôpital après avoir résisté fortement à une évaluation [psychologique] et avoir fait allusion à des pensées de s’en prendre à lui-même. Il a, par la suite, été transporté à l’hôpital par la police militaire, il a été évalué, puis renvoyé (DCT, aux pages 0604 et 0605);

e. Le 10 mai 2012 – le service de police de Saskatoon (SPS) a transporté le demandeur au RUH de Saskatoon, en Saskatchewan, pour une évaluation psychiatrique volontaire (DCT, à la page 0655);

f. Du 8 au 11 juin 2012 – le demandeur a été admis au RUH alors qu’il présentait des symptômes de dépression et des idées suicidaires. Le diagnostic définitif comprenait un trouble d’anxiété généralisée, une dépression ainsi que des traits de personnalité narcissique et passive-agressive. Lors de son congé, on a prescrit au demandeur les médicaments suivants : Venlafaxine XR, Seroquel et Zopiclone, et on lui a indiqué de les prendre de façon quotidienne (DCT, aux pages 0754 et 0755).

g. Le 15 novembre 2012 – le SPS a transporté le demandeur au RUH pour une évaluation psychiatrique volontaire (DCT, à la page 0656).

h. Le 15 décembre 2012 – le SPS a transporté le demandeur au RUH pour une évaluation psychiatrique volontaire (DCT, à la page 0656).

i. Le 19 décembre 2012 – le SPS a procédé à l’arrestation du demandeur aux termes de la Mental Health Act (une loi sur la santé mentale) et l’a transporté au RUH pour une évaluation psychiatrique obligatoire (DCT, à la page 0656).

j. Le 24 décembre 2012 – le SPS a procédé à l’arrestation du demandeur aux termes de la Mental Health Act (une loi sur la santé mentale) et l’a transporté au RUH pour une évaluation psychiatrique obligatoire (DCT, à la page 0656).

k. Le 15 février 2013 – le SPS a transporté le demandeur au RUH pour une évaluation psychiatrique volontaire (DCT, à la page 0656).

l. Le 21 février 2013 – le SPS a procédé à l’arrestation du demandeur aux termes de la Mental Health Act (une loi sur la santé mentale) et l’a transporté au RUH pour une évaluation psychiatrique obligatoire (DCT, à la page 0656). Le demandeur a menacé de s’immoler et il a ensuite affirmé qu’il tentait de [traduction] « communiquer la profondeur de son désespoir » (DCT, à la page 0649).

[Renvois omis.]

[95] Concernant les points soulevés par le défendeur dans son mémoire, le demandeur souligne les éléments suivants, lesquels sont pertinents aux questions dont je suis saisi.

  • a) Alinéa 9j) – il n’a pas été arrêté aux termes de la Mental Health Act (une loi sur la santé mentale), mais il a été mis sous garde. Rien dans le dossier n’appuie l’assertion du demandeur. Il semble qu’il ait demandé deux lettres au service de police de Saskatoon décrivant leurs interactions, une en date du 6 juin 2014 (DCT, aux pages 0655 et 0656) et l’autre en date du 30 avril 2014 (DCT, aux pages 0752 et 0753). Les deux lettres décrivent l’incident du 24 décembre 2012 comme [traduction] « une arrestation aux termes de la Mental Health Act (une loi sur la santé mentale) et un transport au RUH pour une évaluation psychiatrique obligatoire »;

  • b) Alinéa 10c) – il n’a pas fait de tentative de suicide. Il n’a pas d’antécédents de tentatives de suicide. Voir le rapport Lizon (DCT, à la page 0621) et le rapport Rahmani de novembre 2014 (DCT, à la page 0294).

Bien qu’il soit possible que la surdose n’ait pas été une tentative de suicide, cette question repose entièrement sur la description ultérieure du demandeur relative à sa connaissance des effets possibles de son médicament pour la glande thyroïde. Cependant, lors de sa première rencontre avec la Dre Cruchley après la surdose, le 27 mars 2012, il semble qu’il ait indiqué qu’il s’agissait bien d’une tentative de suicide : [traduction] « En février 2012, le membre [des FAC] se sentait très stressé, car il devait se rendre dans son unité le jour suivant. Il craignait de faire l’objet de chefs d’accusation criminelle et administrative. Il craignait aussi que sa chaîne de commandement formule de fausses accusations contre lui. Il a décidé de tenter de se suicider en prenant pour l’équivalent d’un mois de son traitement thyroïdien, en pensant qu’il en subirait un infarctus. Il a reçu un traitement au charbon à la salle d’urgence du St. Paul’s Hospital et il a passé la nuit en observation pour des arythmies cardiaques. Son électrocardiogramme a présenté des anomalies pendant la nuit, mais il s’est rétabli au matin, et le demandeur a obtenu son congé. Depuis ce temps, il se considère comme étant à risque élevé de suicide » (DCT, à la page 0270). C’est ce qui a amené la Dre Cruchley à ajouter, en avril 2012, l’addenda à son rapport de janvier, lequel décrit la surdose comme une tentative de suicide sérieuse. Le rapport de son évaluation subséquente avec la Dre Klym, le 17 avril 2014, indique ce qui suit : [traduction] « Tentative de suicide par la prise d’une surdose de médicaments pour la glande thyroïde en février, et il dit maintenant réaliser que cette surdose n’était probablement pas mortelle et qu’il aurait pu employer un autre moyen plus à risque de le tuer. Il a de la difficulté à répondre aux questions sur son intention concernant la surdose de médicaments pour la glande thyroïde et il craint que l’on interprète son geste comme révélant des symptômes de dépression ou une tentative de se soustraire à ses fonctions » (DCT, à la page 0271). Il semble donc que même si la surdose n’était pas une tentative de suicide, le demandeur a tenté de la dissimuler à ses médecins des FAC immédiatement après, parce qu’elle aurait pu être interprétée comme une tentative de se soustraire à ses fonctions.

  • c) Alinéa 11a) – Il s’agit d’une présentation de certains éléments de preuve provenant du rapport Garcea, laquelle exclut les conclusions de nature normale. Voir le DCT, aux pages 0594 à 0596. Le rapport fait état d’un comportement normal.

Le demandeur a raison en l’espèce. S’il est vrai que les résultats qu’il a obtenus quant au trouble obsessionnel compulsif présentent une problématique, ses autres résultats sont normaux, et le rapport est généralement très positif. Toutefois, le rapport Garcea est d’un intérêt limité, puisqu’il visait à évaluer les aptitudes cognitives et intellectuelles du demandeur, et l’évaluation semble avoir été réalisée pour déterminer s’il était nécessaire de prendre des mesures d’adaptation relatives à l’apprentissage. Comme il date de mai 2011, il est également antérieur à la manifestation des problèmes de santé mentale du demandeur, vers la fin de l’automne.

  • d) Alinéa 11b) – Le rapport Brock mentionne des [traduction] « traits », qui ne constituent pas un [traduction] « trouble ».

Le Dr Brock conclut que le demandeur souffre d’un trouble d’anxiété généralisée de l’axe I (mais il écarte l’idée d’un bref trouble psychotique). Le Dr Brock conclut aussi que le demandeur présente des troubles de la personnalité limite et de la personnalité à conduite d’échec de l’axe II.

  • e) Alinéa 11c) – Rapport Vrbancic – Ce rapport porte sur des tentatives de suicide qui n’ont jamais eu lieu. Ce rapport ne contient aucun renseignement indiquant que le demandeur est apte au service militaire.

La Dre Vrbancic est généralement très positive, même si le rapport traite principalement des fonctions cognitives du demandeur et ne pose aucun diagnostic fondé sur les critères du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM). Le contexte général de ses commentaires sur l’idéation suicidaire figure dans sa discussion sur l’adaptation affective : [traduction] « Lors de l’évaluation de son adaptation affective, M. Kreutzweiser a répondu à des éléments représentant de faibles niveaux de détresse psychologique, caractérisés par des impressions d’avoir été puni, une perte d’énergie, de l’irritabilité et un manque de concentration. M. Kreutzweiser a aussi admis avoir eu des idées suicidaires, mais il a nié toute intention [de se suicider] » (DCT, à la page 0654). Aussi, par souci de clarté, bien qu’il soit daté du 9 janvier 2013, il est plus sensé de considérer que ce rapport a été préparé en janvier 2014, en fonction de toutes les autres dates et tous les autres événements qu’il décrit. Par exemple, le rapport indique que le demandeur a été rencontré en consultation le 30 décembre 2013.

  • f) Alinéa 11e) – Rapport Helmer – il indique que le demandeur aurait dû bénéficié de mesures d’adaptation.

Le rapport Helmer contredit les autres diagnostics de l’axe I : [traduction] « Il est aussi probable, compte tenu du fait qu’aucun médicament n’a vraiment aidé [le demandeur], qu’il ne s’agisse pas d’un trouble de l’axe I. Cela écarterait les précédents diagnostics de trouble dépressif caractérisé, de trouble dépressif caractérisé (chronique), de trouble obsessionnel compulsif ou de trouble d’anxiété généralisée. [Changement de paragraphe) Le diagnostic fondé sur les critères du DSM-5 écarte aussi tout trouble psychotique bref. Le diagnostic de l’axe 1 est inexistant. Le diagnostic de l’axe II correspond à un trouble de la personnalité mixte comportant des traits de personnalité limite, des traits narcissiques et des traits passifs agressifs ». Pour ce qui est des traits de l’axe II, [traduction] « [l]a recommandation consiste en une psychothérapie pour troubles caractérologiques comprenant le narcissisme, la personnalité passive agressive et les traits de personnalité limite [...] Il n’est pas nécessaire que cette psychothérapie soit poursuivie de façon continue, mais elle doit être intensive, et l’adoption d’un tel traitement pourrait comporter des “congés pour psychothérapie”. Compte tenu du caractère traitable de ce trouble, M. Kreutzweiser est apte au service militaire ». Toutes les citations proviennent du DCT, à la page 0638.

  • g) [traduction] Alinéa 11g) – Le défendeur choisit uniquement les aspects les plus défavorables du rapport Blackshaw – il omet de mentionner les énoncés positifs concernant l’absence de dysfonction.

La Dre Blackshaw indique, en effet, que [traduction] « le demandeur ne présente aucune dysfonction en matière de perception ou de processus cognitif ». Elle n’a diagnostiqué aucun trouble de l’axe I, mais elle a diagnostiqué des traits de personnalité limite et narcissique (vraisemblablement de l’axe II). Elle recommande [traduction] « une thérapie intensive continue visant à atténuer les traits de personnalité mésadaptée et à renforcer les habiletés d’adaptation ». Sa conclusion porte que [traduction] « la thérapie maintiendra vraisemblablement les récentes améliorations de M. Kreutzweiser et lui permettra de poursuivre son travail dans les Forces armées ». (DCT, à la page 0651).

  • h) Paragraphes 15 et 16 – Le demandeur allègue qu’il a refusé de présenter des observations lors de l’EA des CERM le concernant, en raison des pressions exercées sur lui à propos de la plainte pour harcèlement, afin de le dissuader de la poursuivre.

Je ne vois rien dans le dossier qui appuierait cette assertion. L’élément de preuve le plus pertinent se trouve dans les observations présentées au Comité par le demandeur, DCT, à la page 0087, où il allègue ce qui suit : [traduction] « [e]n 2013, le commandant du 38e Régiment des transmissions était le capitaine John Kitely. Pendant plusieurs mois, le capitaine a empêché mes tentatives de présenter mon appel relatif à ma libération pour des raisons médicales. J’ai préparé la version définitive d’un document, datée du 20 novembre 2013, visant à interjeter appel de ma libération. Le capitaine Kitely m’a menacé à plusieurs reprises lors de nos visites d’octobre et de novembre 2013 [...] » En supposant que cette situation ait eu une incidence sur l’EA des CERM concernant le demandeur, l’erreur de procédure aurait pu être rectifiée par la possibilité de présenter des observations subséquentes et d’obtenir qu’elles soient examinées avant la libération. En outre, le seul nouveau rapport médical préparé avant la conclusion de l’EA des CERM est la lettre du Dr Rahmani, laquelle contenait son avis selon lequel le demandeur était [traduction] « capable de travailler et de s’acquitter de ses fonctions », mais il pose tout de même un diagnostic de trouble d’anxiété généralisée et il note que le demandeur a refusé de prendre des médicaments (DCT, à la page 0613).

  • i) Alinéa 35d) – le demandeur soutient que les rapports médicaux contredisent l’assertion selon laquelle il n’existe aucun lien de causalité entre la plainte pour harcèlement et sa libération pour des raisons médicales. Voir le rapport Lizon, mai 2014, DCT, à la page 0621, [traduction] « Trouble d’anxiété généralisée lié à la situation professionnelle ». Ce diagnostic repose sur l’autodéclaration du demandeur. Voir le rapport Helmer, DCT, à la page 637, omission de donner l’aide appropriée au demandeur, etc. Je ne vois pas vraiment la pertinence à l’égard de la présente demande.

  • j) Alinéa 35e) – Le demandeur soutient qu’il a obtenu son congé de l’hôpital en février 2013 et qu’il n’a pas été hospitalisé en 2014, ce qui indique qu’il était en voie de guérison.

  • k) Alinéa 35j) – Le demandeur soutient qu’il a communiqué de nouveaux renseignements après sa libération dans le but d’établir qu’il y avait eu violation de l’équité procédurale. Le rapport Rahmani, novembre 2014, DCT, aux pages 0288 à 0296, dont il a discuté longuement dans les documents relatifs à son grief, porte sur l’état de santé du demandeur et non sur les questions d’équité. Pour ce qui est du mémoire daté du 23 février 2015 présenté au CEMD – [traduction] « Demande pour un officier désigné (OD) », DCT, aux pages 0975 à 0981, il me semble que, selon les dires du demandeur, il a présenté une demande pour obtenir l’aide d’un officier désigné à l’occasion du processus concernant le harcèlement.

La lettre confond les questions liées au grief du demandeur concernant sa libération pour des raisons médicales avec celles découlant de sa plainte de harcèlement. Par exemple, il est mentionné au paragraphe 14 que [traduction] « des membres des FAC m’ont refusé un OD ou un WRA à un certain moment au cours de chacune des années suivantes : 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015 ». Au plus tôt, un OD aurait pu être désigné pour aider le demandeur concernant sa libération pour des raisons médicales après l’attribution des CERM, en février 2013. Il n’est pas clair si le capitaine Sliwowski auquel le demandeur fait référence était l’officier désigné pour le grief de mai du demandeur, le grief rejeté de juin ou la plainte pour harcèlement. La plupart des plaintes du demandeur semblent être liées au fait qu’on ait refusé d’examiner le grief de juin 2014 (voir le paragraphe 19). Toutefois, le mémoire du demandeur indique, aux paragraphes 26 et 27, ainsi que le DCT, aux pages 0897 et 0898, que l’adjudant Boire était l’officier désigné pour le grief portant sur la libération pour des raisons médicales. L’adjudant Boire est aussi la personne à qui le capitaine Padua a envoyé un courriel, en juin 2014, concernant la réponse du D Pol San au rapport de M. Helmer (DCT, aux pages 0205 et 0206). On a ensuite demandé au capitaine William Lee d’agir à titre d’officier désigné pour le grief concernant la libération pour des raisons médicales (DCT, à la page 0050). Le demandeur a continué de se plaindre de son incapacité de joindre le capitaine Lee (DCT, aux pages 0009 à 0015). Le demandeur mentionne aussi une lettre du Père Jim Halmarson (DCT, à la page 0200). Elle contient des énoncés très généraux de soutien, mais l’énoncé qui corrobore le plus les allégations du demandeur concernant l’équité procédurale est le suivant : [traduction] « Même si je ne suis pas d’accord avec l’entièreté de son analyse sur les manquements des FC dans le traitement de ses préoccupations, je crois que certains membres des FC n’ont pas toujours fait preuve de franchise et d’ouverture dans leur traitement des affirmations de Chris L. Kreutzweiser à propos du harcèlement ».

  • l) Paragraphe 65 – Le demandeur soutient qu’il a aussi déposé des plaintes pour harcèlement en juin 2012 et en 2014 – il n’existait donc pas de contrainte temporelle.

Le dossier indique qu’on n’a jamais accepté d’examiner le grief de juin 2014 parce qu’il visait l’obtention de mesures réparatoires concernant plus d’une décision (DCT, à la page 1016). Si on présume que la plainte pour harcèlement a été tranchée le 19 février 2013, le délai de six mois pour déposer un grief aurait pris fin le 19 août 2013. C’est pourquoi la lettre de l’avocat du demandeur, en date du 19 août 2013 (DCT, à la page 0543), indique ce qui suit [traduction] « [n]ous savons que le délai pour interjeter appel expire aujourd’hui même [...], [mais] nous vous demandons de bien vouloir accepter la présente comme une demande d’appel officielle ». À l’exception de la réponse du commandant (DCT, à la page 0560), rien dans le dossier n’indique si on a ensuite accepté d’examiner un grief. Quoi qu’il en soit, il aurait fallu qu’il s’agisse d’un grief concernant la décision selon laquelle la plainte pour harcèlement était sans fondement et non la décision selon laquelle le demandeur devrait être libéré pour des raisons médicales.

  • m) Paragraphe 66 – Le demandeur soutient que son avocat a écrit au Comité dans le délai de six mois pour lui demander de suspendre le grief du 20 mai 2014, car il voulait qu’un officier désigné soit nommé. Le Comité a refusé de suspendre le grief. À mon avis, cet élément n’est pas particulièrement pertinent, puisque le Comité n’était saisi que du dossier de libération pour des raisons médicales.

Je ne trouve, dans le dossier, aucune lettre de l’avocat du demandeur destinée au Comité. Il a toutefois demandé une prolongation pour répondre aux énoncés contenus dans les documents reçus à l’étape de l’autorité initiale (DCT, à la page 0784). Il a aussi demandé une prolongation pour répondre aux conclusions et aux recommandations du Comité avant que le dossier ne soit acheminé au CEMD et il a continué de se plaindre de l’absence d’un officier désigné adéquat (DCT, au paragraphe 0019).

  • n) Le demandeur soutient que les médecins ont clairement établi un lien entre la discrimination et le harcèlement qu’il allègue avoir subis et ses problèmes de santé. Voir le rapport Blackshaw – Affidavit du demandeur, pièce C1, au paragraphe 24, [traduction] « Trouble d’adaptation ».

La Dre Blackshaw n’a diagnostiqué aucun trouble de l’axe I. Selon son avis diagnostique, elle affirme ce qui suit : [traduction] « [i]l est possible que les symptômes antérieurs de dépression et d’anxiété découlaient ou étaient une manifestation des traits sous-jacents de personnalité mésadaptée de M. Kreutzweiser. Ces traits de personnalité, combinés au stress engendré par son traitement dans les Forces armées, ont mené à plusieurs épisodes diagnostiqués comme un trouble d’adaptation entre octobre 2011 et février 2013 » (DCT, au paragraphe 0248).

  • o) Le rapport Rahmani (DCT, aux pages 0288 à 0296) lui accorde une note de 80/100 – le demandeur soutient que ce rapport aurait dû être pris en considération, puisqu’il indique qu’on lui imposait une norme déraisonnable.

La note de 80/100 contenue dans ce rapport concerne l’évaluation globale aux termes de l’axe V. Cependant, le Dr Rahmani a tout de même diagnostiqué le trouble d’anxiété généralisée de l’axe I du demandeur. À la question [traduction] « Vous attendez-vous à une amélioration plus importante de l’état de santé? », il a coché la case [traduction] « Non ». Ce rapport est daté du 14 novembre 2014 (DCT, à la page 0296), soit après la libération du demandeur, le 16 juin 2014.

[96] En l’espèce, aucun des éléments présentés par le demandeur ne change le caractère raisonnable de la décision. La plupart d’entre eux contestent simplement l’interprétation par le défendeur des éléments de preuve plutôt que les conclusions du Comité. En 2012, le rapport de congé du RUH et le rapport Brock ont tous deux indiqué le trouble d’anxiété généralisée du demandeur, tout comme le rapport du Dr Rahmani datant de 2013. Même en 2014, alors que le demandeur semblait présenter moins de symptômes, le Dr Rahmani continue de diagnostiquer le trouble d’anxiété généralisée, et le Dr Lizon, le trouble d’anxiété généralisée liée à la situation professionnelle. Les deux rapports qui ne diagnostiquent pas le trouble de l’axe I, ceux de M. Helmer et de la Dre Blackshaw, recommandent tout de même une thérapie pour traiter les troubles caractérologiques de l’axe II. La suggestion du demandeur selon laquelle les médecins du ministère de la Défense nationale (MDN) lui imposaient une norme supérieure doit être examinée dans le contexte de ses antécédents documentés de troubles psychologiques en situation de stress. De plus, le dernier paragraphe de la citation du Comité formulée par le D Pol San, DCT, au paragraphe 0063, indique que les questions caractérologiques ne sont pas exclues des limitations « médicales » si elles ont une incidence sur la fiabilité :

[traduction]

De plus, un membre souffrant de problèmes de santé mentale (SM) ou de comportement pourrait ne pas être fiable, avoir des réactions psychologiques indésirables ou être inapte, de nombreuses façons, à travailler dans un environnement mentalement exigeant. Cette situation pourrait découler de problèmes de santé mentale contemporains ou antérieurs (risque élevé de récurrence), de certains médicaments ou de comportements inappropriés, présents ou passés. La question de l’impulsivité, c’est-à-dire l’incapacité de contrôler ses comportements dans certaines conditions ou situations, s’appliquerait aussi en l’espèce. Ces membres se verraient aussi imposer de telles contraintes liées à l’emploi.

[Non souligné dans l’original.]

Les questions d’ordre procédural soulevées par le demandeur sont tout simplement impossibles à évaluer en fonction des éléments de preuve. Le problème est en partie attribuable au fait qu’il perçoit la plupart des désaccords avec sa perception des événements ou son interprétation des règlements comme étant des cas d’obstruction. En définitive, il ressort clairement qu’il a été en mesure de présenter des observations détaillées tout au long du processus, lesquelles ont été examinées et traitées.

[97] Le même dossier révèle aussi que le demandeur a été évalué par le personnel médical des FAC parce qu’il éprouvait des problèmes continus de santé mentale :

[traduction]

10. Entre 2012 et 2014, le demandeur a rencontré le personnel médical des FAC à plusieurs reprises pour des questions relatives à ses problèmes continus de santé mentale :

a. Le 10 janvier 2012 – la majore Cruchley (médecin) a procédé à un examen médical en vue de la libération du demandeur, et elle a déterminé qu’il souffrait d’un trouble d’adaptation et d’un trouble mixte d’anxiété et d’humeur dépressive [découlant du stress au travail]. Le rapport comprenait une observation selon laquelle le demandeur était médicalement apte à un nouvel enrôlement (DCT, aux pages 0268 et 0269).

b. Le 27 mars 2012 – la majore Cruchley a déterminé que le demandeur souffrait d’un trouble d’adaptation et elle l’a dirigé vers un psychiatre pour qu’il soit évalué (DCT, à la page 0270).

c. Le 3 avril 2012 – la majore Cruchley a modifié à son rapport du 10 janvier 2012 pour y ajouter des antécédents psychiatriques jusque-là inconnus, notamment une tentative de suicide en février 2012. Elle a fortement recommandé que le demandeur ne soit pas enrôlé de nouveau dans les FAC. Elle a affirmé ce qui suit : [traduction] « Ce membre souffre de graves problèmes psychiatriques, et je recommande fortement qu’il ne soit pas enrôlé dans les Forces canadiennes à l’avenir » (DCT, à la page 0552).

d. Le 17 avril 2012 – la Dre Klym a évalué que le demandeur souffrait d’un trouble d’adaptation avec anxiété et il l’a dirigé vers une agence de thérapeutes externe (DCT, à la page 0271); (Pour ce qui est des paragraphes b, c et d, voir mes commentaires sur la surdose du demandeur et la description de tentative de suicide qu’il en fait initialement).

e. Le 29 mai 2012 – la Dre Klym a évalué que le demandeur souffrait d’un trouble d’adaptation avec anxiété et elle l’a avisé qu’elle le dirigerait vers un spécialiste pour qu’il soit évalué de manière plus approfondie concernant ce trouble (DCT, à la page 0272).

f. Le 19 juin 2012 – la majore Cruchley a évalué que le demandeur [souffrait d’un] trouble de la personnalité. Le demandeur avait rendez-vous avec M. Brock, docteur en psychologie, le 27 juin 2012. On a inscrit dans le rapport que le demandeur avait été vu par un psychiatre, le Dr Prasad, à deux reprises, mais qu’aucun rapport ne figurait au dossier (DCT, à la page 0748).

g. Le 18 juillet 2012 – la Dre Nayar a évalué que le demandeur souffrait d’un trouble d’adaptation et il a indiqué que le plan de traitement devait comprendre une thérapie de soutien. Elle lui a aussi remis un billet indiquant qu’il était [traduction] « apte à exercer ses fonctions habituelles » (DCT, à la page 0273).

h. Le 25 juillet 2012 – la majore Cruchley a évalué que le demandeur souffrait d’un trouble d’adaptation avec humeur dépressive, mais qu’elle attendrait les résultats de M. Brock et du Dr Prasad avant de mettre en œuvre un plan de traitement (DCT, à la page 0274).

i. Le 4 février 2014 – le capitaine Strawson a évalué que le demandeur souffrait d’un trouble de la personnalité. Un addenda a été ajouté au rapport afin de tenir compte de la lettre du 10 juin 2014 du psychiatre du demandeur, le Dr Rahmani, tout en indiquant qu’elle ne témoignait pas d’un changement important dans l’état de santé du demandeur (DCT, à la page 0201); [La lettre mentionnée par le capitaine Stawson semble être celle du Dr Rahmani datée du 19 novembre 2013, DCT, à la page 0199, puisqu’avant l’addenda, le capitaine Strawson a indiqué qu’il prévoyait [traduction] « discuter de la nouvelle lettre du Dr Rahmani avec ses supérieurs ». Comme cette mention a apparemment été rédigée le 4 février 2014, elle doit porter sur la lettre précédente. Cela dit, la lettre de juin (DCT, à la page 0203) est encore moins importante que la lettre de novembre.]

j. Le 20 février 2014 – la Dre Nayar a examiné le demandeur et elle a conclu qu’il souffrait d’anxiété et qu’il présentait des traits de personnalité limite. Le rapport indique que le demandeur a pris l’équivalent d’un mois de médicament, mais il a nié qu’il s’agissait d’une tentative de suicide. La Dre Nayar a encouragé le demandeur à poursuivre son traitement (DCT, aux pages 0221 et 0222). (Extrait du rapport : [traduction] « surdose, a pris l’équivalent d’un mois de levothyroxine, a reçu un traitement au charbon et a été mis en observation pendant la nuit. Le membre nie qu’il s’agissait d’une tentative de suicide et il affirme qu’il voulait seulement se rendre malade, car il éprouvait des problèmes dans son unité. Il essayait de se soustraire à son travail, car il faisait l’objet d’une enquête pour fausses déclarations et il croyait qu’il subirait une forme de représailles. Il pensait qu’en prenant une surdose il serait malade et en congé de maladie à compter du vendredi 3 février 2012 ».)

[Renvois omis.]

[98] De plus, comme l’indique le défendeur, le demandeur a lui-même présenté une série de rapports et d’évaluations au CEMD dans le cadre de la procédure de règlement des griefs :

a. Évaluation psychoéducative de M. Garcea, psychologue agréé (le rapport Garcea), datée du 4 mai 2011. L’évaluation portait sur la personnalité obsessionnelle compulsive du demandeur [et] ses conclusions indiquent que ce dernier a admis avoir des pensées, des impulsions et des comportements persistants et irrésistibles et d’une nature non désirée (DCT, à la page 596); (Outre mes commentaires ci-dessus sur la faiblesse généralisée de ce rapport, le test où le demandeur a présenté des symptômes de personnalité obsessionnelle compulsive [traduction] « est une mesure de l’état actuel des symptômes psychologiques au cours “des sept derniers jours, y compris aujourd’hui” »).

b. Rapport d’évaluation psychologique rédigé par un docteur en psychologie agréé, M. Brock, en date du 24 octobre 2012. M. Brock a examiné les antécédents psychologiques du demandeur et il a noté que ce dernier avait souffert de symptômes de maladie mentale importants entre 1996 et 2001 et qu’il avait été hospitalisé pour être traité à trois reprises, pendant un mois chaque fois. Les antécédents du demandeur comprenaient une surdose de drogues en 2006, pour laquelle il a été hospitalisé. Le demandeur a reçu des diagnostics de troubles d’anxiété généralisée, de la personnalité limite et de la personnalité à conduite d’échec, et M. Brock lui a fortement recommandé d’entreprendre une thérapie à long terme (DCT, aux pages 0756 et 0767); [la mention de la surdose précédente se trouve dans le DCT, à la page 0758].

c. Rapport de tests neuropsychologiques rédigé par un neuropsychologue, Mme Vrbancic, en date du 9 janvier 2013. Le rapport indique que le demandeur a admis avoir des idées suicidaires, mais il a nié toute intention de se suicider. Mme Vrbancic a recommandé au demandeur de poursuivre la psychothérapie de soutien pour l’aider à gérer le stress (DCT, aux pages 0652 à 0654); [le contexte général de la recommandation porte que [traduction] « M. Kreutzweiser peut être certain qu’il se porte très bien sur le plan cognitif, et je l’encourage à continuer d’utiliser les stratégies qu’il a déjà adoptées pour optimiser son fonctionnement et à poursuivre la psychothérapie de soutien pour lui permettre de mieux gérer son stress personnel [...] »].

d. Une lettre du Dr Rahmani, le psychiatre du demandeur, en date du 19 novembre 2013 et indiquant que le demandeur souffre d’un trouble d’anxiété généralisée. Le Dr Rahmani a indiqué que ce trouble est traité au moyen de médicaments psychotropes et d’une aide psychologique. Il a noté que le demandeur avait refusé de prendre des médicaments, mais qu’il avait récemment accepté de recevoir une aide psychologique. Il a été dirigé vers des services en santé mentale (DCT, à la page 0613).

e. Évaluation psychologique de M. Helmer des Services de santé mentale et de lutte contre les toxicomanies de la région sanitaire de Saskatoon le rapport Helmer), en date du 20 mai 2014. M. Helmer a établi que le demandeur souffrait d’un trouble de personnalité mixte avec traits limites, traits narcissiques et traits passifs agressifs et il lui a recommandé de suivre une psychothérapie (DCT, à la page 0638). En consultation avec le capitaine Padua, un médecin au sein des FAC, M. Helmer, à titre de traitement, a prescrit au demandeur d’assister à environ 30 à 40 séances de psychothérapie (DCT, à la page 0519; voir aussi le DCT, aux pages 0205 et 0206); (outre le rapport du capitaine Padua à la page 0519, le DCT contient, aux pages 0205 et 0206, un courriel, en date du 4 juin 2014, que le capitaine Padua a envoyé à l’adjudant Boire qui, si je ne m’abuse, était l’officier désigné du demandeur à l’époque. La partie pertinente est rédigée ainsi : [traduction] « 2. J’ai examiné la dernière évaluation du membre réalisé par le dernier médecin spécialiste au dossier. Il s’agit d’une très bonne évaluation, et j’ai transmis une note au D Pol San pour qu’il l’examine. Le professionnel de la santé (M. Helmer) est revenu de vacances cette semaine, et j’ai pu lui parler hier. Il confirme que le membre souffre d’un problème de santé et qu’il peut être traité, après quoi il pourrait reprendre son service militaire. Je lui ai demandé la durée du traitement, et il a répondu environ 30 à 40 séances. Il a indiqué, toutefois, qu’il ne s’agit que d’une évaluation et qu’il ne traite pas activement le membre »).

f. Évaluation psychiatrique du Dr Lizon, psychiatre civil, en date du 23 mai 2014. Le Dr Lizon a diagnostiqué un trouble d’anxiété généralisée [lié à la situation au travail] au demandeur et un trouble d’adaptation avec humeur anxieuse. Le plan de traitement prévoyait la poursuite des rencontres avec lui, afin d’évaluer l’état mental du demandeur et le besoin de médication ou de toute autre intervention thérapeutique (DCT, aux pages 0621 et 0622).

g. Évaluation psychiatrique de la Dre Blackshaw, une psychiatre consultante au RUH, en date du 6 juin 2014. La Dre Blackshaw a conclu que le demandeur présentait des traits de personnalité limite et narcissiques qui comprenaient des réactions émotives intenses et qui avaient déjà entraîné des comportements autodestructeurs en réponse. La Dre Blackshaw a reconnu que les médicaments ne s’étaient pas avérés utiles, mais elle a recommandé une [traduction] « psychothérapie intensive continue » (DCT, à la page 0651).

h. Une lettre du Dr Rahmani, en date du 10 juin 2014, confirmant son diagnostic de trouble d’anxiété généralisée du 19 novembre 2013. Cependant, contrairement à sa lettre du 19 novembre, le Dr Rahmani a affirmé que les médicaments n’étaient pas essentiels au traitement et que le demandeur pouvait choisir une aide psychologique, selon ses besoins (DCT, à la page 0619).

i. Rapport de Mme Maria Badrock, travailleuse sociale au sein des FAC, en date du 11 juin 2014. Mme Badrock a offert une aide psychologique au demandeur à plusieurs reprises, mais aucune date n’est indiquée dans son rapport, et elle a recommandé qu’il soit dirigé vers M. Brock, un psychologue, pour une thérapie de suivi. Elle a aussi recommandé au demandeur d’entreprendre une thérapie à long terme dans le but de régler ses difficultés psychologiques et interpersonnelles, ainsi que son anxiété (DCT, à la page 0512).

[Renvois omis.]

[99] Les éléments de preuve supplémentaires comprenaient les considérations suivantes :

  • a) Le 29 octobre 2012, la Dre Cruchley a recommandé qu’on attribue au demandeur des CERM dans les catégories géographique et professionnelle, et elle a indiqué qu’il devait obtenir un suivi médical plus fréquent qu’aux six mois (DCT, à la page 0841).

  • b) Le 5 février 2013, le D Pol San a attribué des CERM au demandeur en raison d’un problème de santé chronique engendrant un risque élevé de non-conformité au principe de l’universalité du service. Les CERM attribuées au demandeur indiquaient qu’il [traduction] « devait recevoir un suivi médical plus fréquent qu’aux six mois » et qu’il était [traduction] « inapte au travail dans un contexte opérationnel militaire » (DCT, à la page 0590).

  • c) Le 18 mars 2013, le DACM a avisé le demandeur qu’il ferait l’objet d’un EA des CERM (DCT, à la page 0816).

  • d) Le 24 octobre 2013, le demandeur a accusé réception d’un dossier de documents, il a reconnu avoir été informé au sujet du processus d’EA des CERM et il a indiqué qu’il déposerait des observations écrites à l’intention du DACM (DCT, à la page 0812).

  • e) Le 20 novembre 2013, le demandeur a indiqué au DACM qu’il ne présenterait pas d’observations écrites aux fins d’examen à l’occasion de l’EA des CERM (DCT, à la page 0806).

  • f) Le 3 décembre 2013, le DACM a décidé de libérer le demandeur des FAC pour des raisons médicales aux termes de l’élément 3b. de l’article 15.01 des ORFC, au plus tard le 17 juin 2014, puisque les CERM qu’on lui avait attribuées ne lui permettaient pas de satisfaire au principe de l’universalité du service et qu’il ne possédait pas les compétences de base de son métier justifiant une période de maintien en service (DCT, à la page 0802).

  • g) Les FAC ont nommé un gestionnaire de cas pour défendre les intérêts du demandeur lors du processus de libération pour des raisons médicales et pour contribuer au règlement de son grief (DCT, à la page 0208).

  • h) Le 20 mai 2014, le demandeur a présenté un grief concernant sa libération pour des raisons médicales (DCT, aux pages 0986 à 0989).

  • i) Le 16 juin 2014, le demandeur a été libéré des FAC (DCT, à la page 0399).

  • j) Le 20 juin 2014, le demandeur a présenté un deuxième grief dans le but d’obtenir une indemnité et l’adoption d’un mode substitutif de règlement des différends à l’égard de nombreuses questions concernant sa plainte pour harcèlement et sa libération pour des raisons médicales, mais il a précisé que l’objectif principal de son grief de mai 2014 était de s’opposer à sa libération pour des raisons médicales (DCT, à la page 0991).

  • k) Dans une lettre en date du 30 octobre 2014, le DPGCM 3 a avisé le demandeur que l’autorité initiale entendrait son grief, et il lui a transmis un résumé du grief et les renseignements que l’autorité initiale examinerait (DCT, à la page 0553).

  • l) Le 20 novembre 2014, le demandeur a présenté des observations écrites à l’autorité initiale et il a demandé que le DPGCM 3 prolonge de 90 jours le délai de présentation des observations écrites, afin de lui permettre de répondre à de nouveaux renseignements médicaux et du service social qu’il avait obtenus et présentés à l’autorité initiale (DCT, à la page 0494).

  • m) Le 28 novembre 2014, le DPGCM 3 a refusé la demande de prorogation du demandeur, il a donné l’assurance au demandeur que l’on consacrerait suffisamment de temps à l’examen des documents qu’il avait présentés et que l’on demanderait au D Pol San de procéder à un examen d’expert, au besoin. Il a également avisé le demandeur que le personnel de l’Autorité des griefs des FAC examinait la réunion de ses griefs de mai et de juin 2014 (DCT, à la page 0480).

  • n) Le 9 décembre 2014, le DGCM, agissant en qualité d’autorité initiale, a rejeté le grief de mai 2014 du demandeur et il a déterminé que sa libération pour des raisons médicales était appropriée et conforme à la politique des FAC (DCT, aux pages 0329 et 0330).

  • o) Le 28 décembre 2014, le demandeur a présenté son grief de mai 2014 au CEMD pour obtenir une décision de l’autorité de dernière instance (DCT, à la page 0403).

  • p) Le 2 février 2015, le grief du demandeur a été renvoyé au Comité aux fins d’examen (DCT, à la page 0058).

  • q) Le demandeur a présenté au Comité des observations écrites et des documents datés du 22 janvier 2015 (DCT, à la page 0385), du 6 avril 2015 (DCT, à la page 0333), du 15 avril 2015 (DCT, à la page 0276), du 18 avril 2015 (DCT, à la page 0224), du 19 avril 2015 (DCT, à la page 0180), du 23 avril 2015 (DCT, à la page 0074) et du 23 mai 2015 (DCT, à la page 0136).

  • r) Le 18 juin 2015, le Comité a conclu que le grief de mai 2014 du demandeur devrait être rejeté (DCT, à la page 0069).

  • s) Le 19 juin 2015, l’Autorité des griefs des FAC a remis au demandeur une copie des conclusions et des recommandations du Comité, elle lui a communiqué l’entièreté du dossier de grief et elle l’a avisé qu’il pouvait présenter des observations et des documents pertinents aux fins d’examen par le CEMD dans les 21 jours de la réception de ces documents (DCT, à la page 0053).

  • t) Le 25 juin 2015, (DCT, à la page 0848) le demandeur a présenté des documents supplémentaires au CEMD aux fins d’examen, notamment des lettres adressées au CEMD (DCT, à la page 0849), au ministre de la Défense nationale (DCT, à la page 0853) et au premier ministre de la Saskatchewan (DCT, à la page 0863).

  • u) Le 30 juin 2015, le demandeur a accusé réception des conclusions du Comité et il a demandé une prolongation de 90 jours, afin de présenter des observations supplémentaires au CEMD (DCT, aux pages 0049 à 0051).

  • v) Le demandeur a obtenu une prolongation jusqu’au 14 août 2015 pour présenter des observations et des documents supplémentaires au CEMD (DCT, à la page 0028).

  • w) Le 13 juillet 2015, le demandeur a présenté des observations et des documents supplémentaires au CEMD aux fins d’examen (DCT, à la page 0036). Les observations contiennent de nombreuses allégations d’actes criminels commis par des membres des FAC et des spécialistes en santé mentale civils, notamment des accusations de sédition, de terrorisme, de fraude, d’intimidation, d’extorsion et de représailles (DCT, aux pages 0036 à 0043).

  • x) Le 23 juillet 2015, l’Autorité des griefs des FAC a rejeté la demande de prorogation supplémentaire du demandeur, soit jusqu’au 23 octobre 2015 (DCT, à la page 0018).

  • y) Au terme de la procédure de règlement des griefs, les FAC avaient affecté un officier désigné au demandeur, ainsi qu’une personne-ressource au sein des FAC par l’entremise de laquelle il pouvait communiquer avec son officier désigné (DCT, à la page 0017).

[100] Le CEMD, après un examen de novo de l’ensemble des éléments de preuve, a souscrit aux motifs et aux conclusions du Comité et les a retenus. Si le CEMD n’est pas d’accord avec les conclusions du Comité, il doit alors indiquer les motifs de ce désaccord, mais s’il est d’accord, le CEMD peut adopter les motifs du Comité sans autres motifs. Les raisons de cette situation sont évidentes. Voir l’article 29.13 de la LDN et la décision Riach, précitée :

[44] Le CEMD aurait pu se limiter à dire qu’il était en accord avec les conclusions et recommandations du Comité, sans aller plus loin. L’article 7.14 des ORFC dispose que, après avoir reçu les conclusions et les recommandations du Comité des griefs, le CEMD doit examiner et trancher le grief, et informer par écrit le plaignant « de la décision et des motifs à l’appui ». Cependant, l’article 29.13 de la Loi dispose que le CEMD n’est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité, mais que, s’il choisit de s’en écarter, il doit motiver son choix dans sa décision. Selon mon interprétation de ces dispositions, lorsque le CEMD souscrit aux conclusions et recommandations du Comité, il peut approuver le raisonnement du Comité sans devoir s’étendre plus longuement.

[101] Il est aussi clair qu’au moment d’évaluer le caractère raisonnable, il faut lire les motifs du CEMD dans leur ensemble, conjointement avec l’entièreté du dossier dont était saisi le décideur. Voir l’arrêt Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 15.

[102] Dans la décision, le CEMD indique clairement la façon dont il a abordé et tranché le grief du demandeur :

[traduction]

En tant qu’autorité de dernière instance (ADI), j’ai examiné votre affaire de novo. En d’autres termes, toute décision précédente a été annulée, et j’ai rendu une nouvelle décision sur la question soulevée dans votre grief.

Cet examen comprenait l’entièreté de votre dossier de grief, notamment votre grief initial, la décision de l’autorité initiale rendue le 9 décembre 2014 et les autres renseignements présentés par la suite. Je note que, le 28 décembre 2014, vous avez demandé que votre grief soit acheminé au Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes (DGAGFC) aux fins d’examen par l’ADI. Le DGAGFC a reçu vos documents le 12 janvier 2015.

[103] Le Comité a aussi présenté un compte rendu détaillé de l’ensemble du processus ayant mené à la conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas en mesure de satisfaire au principe de l’universalité du service et qu’il devait, par conséquent, être libéré.

[104] En fonction de l’examen de novo de l’ensemble du dossier, le CEMD a fourni le résumé général suivant de ses motifs et de ses conclusions :

[traduction]

Comme l’indique le Comité, à très juste titre, votre dossier de grief contient des éléments de preuve importants selon lesquels des consultations et des évaluations médicales ont eu lieu avant que les médecins du MDN ne concluent que vos problèmes de santé étaient incompatibles avec le service militaire. Bien que je comprenne parfaitement que vous auriez souhaité poursuivre votre service de soldat dans les FAC, je dois souscrire à la décision du Comité. Je note, tout particulièrement, que selon les documents et les évaluations contenus dans votre dossier de grief, votre situation a été prise au sérieux et elle a reçu l’attention nécessaire. De plus, vous n’avez pas présenté d’éléments de preuve démontrant qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale pendant l’EA (CERM) vous concernant, et vous n’avez pas présenté de nouveaux renseignements médicaux pour appuyer vos affirmations. Comme le Comité, je conclus que l’EA (CERM) vous concernant a été réalisé de façon équitable et conformément à toutes les politiques pertinentes des FAC.

[105] Comme le CEMD souscrit aussi aux motifs du Comité, ceux-ci doivent également être pris en considération pour évaluer le caractère raisonnable de la décision :

DISCUSSION

Le plaignant s’est vu imposer des CERM permanentes réputées non conformes au principe de l’universalité du service. Ces CERM ont finalement entraîné la libération du plaignant pour des raisons médicales, ce qui, selon lui, était inapproprié et fait l’objet de son grief. Le dossier contient plus de 700 pages où le plaignant présente de nombreuses observations détaillées pour appuyer sa thèse.

Principe de l’universalité du service

Le paragraphe 33(1) de la Loi sur la défense nationale dispose que les membres des FAC sont en permanence soumis à l’obligation de service légitime. Il s’agit de ce qu’on qualifie communément de principe de l’universalité du service.

L’obligation de service légitime signifie que, peu importe le métier ou l’activité professionnelle d’un membre au sein des FAC, il doit être en mesure d’exercer les compétences militaires de base et être prêt à un conflit armé en tout temps. Il s’agit d’une obligation universelle de service opérationnel, que l’on qualifie communément de principe du « soldat d’abord », c’est-à-dire d’être en mesure de répondre à des événements précis.

Le principe est énoncé dans la DOAD 5023-0, Universalité du service, laquelle dispose que tous « les militaires doivent exécuter les tâches militaires d’ordre général ainsi que les tâches communes liées à la défense et à la sécurité », ce qui comprend l’obligation d’être « en bonne condition physique, aptes au travail et déployables pour aller effectuer des tâches opérationnelles générales ».

De plus, la situation unique des FAC et l’importance fondamentale de cette autorisation législative sont reconnues au paragraphe 15(9) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Ce paragraphe dispose que le devoir des FAC d’accorder des mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne, aux termes du paragraphe 15(2) de la LCDP, est assujetti au principe de l’universalité du service et il déclare ce qui suit :

Universalité du service au sein des Forces canadiennes

(9) Le paragraphe (2) s’applique sous réserve de l’obligation de service imposée aux membres des Forces canadiennes, c’est-à-dire celle d’accomplir en permanence et en toutes circonstances les fonctions auxquelles ils peuvent être tenus.

Contraintes à l’emploi pour raisons médicales

Le D Pol San est l’autorité générale chargée d’examiner de façon impartiale les dossiers médicaux de tous les membres des FAC et, le cas échéant, d’attribuer des catégories médicales et des contraintes à l’emploi permanentes. Le D Pol San, au nom du médecin général, agit à titre de contact entre les médecins évaluateurs, les médecins-chefs des bases/escadres et le DACM, ce dernier étant chargé de rendre une décision relativement aux EA.

Le 5 février 2013, suivant l’examen des documents médicaux du plaignant par le D Pol San, les catégories médicales suivantes ont été attribuées au plaignant, ce qui représentait des changements aux catégories géographique et professionnelle le concernant (aux pages 27 et 28) :

V

Acuité visuelle

CV

Vision des couleurs

H

Ouïe

G

Facteur géographique

O

Facteur professionnel

A

Facteur d’aptitude au vol

4

1

1

4

4

5

À cette même date, le D Pol San a attribué des CERM au plaignant (aux pages 27 et 141). Dans la déclaration médicale émise par le D Pol San, il a été précisé que les CERM avaient été attribuées au demandeur pour [traduction] « un problème de santé chronique engendrant un RISQUE ÉLEVÉ de non-conformité au principe de l’universalité du service ». La condition exigeait [traduction] « un suivi médical plus fréquent qu’aux six mois » et il avait été déterminé que le plaignant était [traduction] « inapte au travail dans un contexte opérationnel militaire » (DCT, à la page 141).

Par conséquent, les catégories/limitations médicales en l’espèce portaient sur les éléments suivants :

G – doit faire l’objet d’un suivi médical plus fréquent qu’aux six mois;

O – inapte au travail dans un contexte opérationnel militaire.

Par conséquent, la capacité du plaignant de répondre à deux des trois conditions du principe de l’universalité du service était remise en cause. Le plaignant n’était pas [traduction] « employable » en raison de son inaptitude au travail dans un contexte opérationnel militaire et il n’était pas [traduction] « déployable », car on avait déterminé qu’il devait faire l’objet d’un suivi médical plus fréquent qu’aux six mois. Les éléments de preuve au dossier n’abordent pas la troisième condition, c’est-à-dire la condition physique du plaignant.

Le Comité a récemment examiné un grief semblable où le membre s’était aussi vu attribuer la CERM portant qu’il était [traduction] « inapte au travail dans un contexte opérationnel militaire ». Compte tenu de l’absence d’une définition ou d’une compréhension claire de la portée de cette CERM, le Comité a communiqué avec le D Pol San, qui a expliqué la contrainte ainsi (à la page 776) :

[traduction]

Nous utilisons la restriction relative au « contexte opérationnel militaire » dans certaines circonstances où un membre ne peut, en raison de son état de santé, soutenir les rigueurs et les exigences d’un contexte opérationnel stressant et, souvent, mais pas toujours, dans un contexte de déploiement.

Un contexte *opérationnel* militaire pourrait aussi comprendre une situation, comme une assignation à la Station des Forces canadiennes Leitrim (SFC Leitrim) ou au quartier général (QG) du Commandement des opérations interarmées du Canada (COIC), où il ne s’agit pas d’un contexte de déploiement, mais qui présente un nombre important de facteurs de stress portant sur des questions de déploiement et opérationnelles; cependant, un membre avec la jambe cassée, par exemple, pourrait toujours travailler à la SFC Leitrim ou au sein du COIC, s’il est en mesure de soutenir les exigences mentales et psychologiques de ce contexte.

Dans la plupart des cas, les activités « de campagne » sont considérées comme constituant un contexte opérationnel du point de vue d’un fournisseur de soins de santé. Il peut, toutefois, exister des circonstances où il est acceptable qu’une personne à qui on a attribué une CERM d’inaptitude au travail dans un contexte opérationnel militaire soit employée en contexte de campagne, selon la tâche et la nature de la campagne.

De plus, un membre souffrant de problèmes de santé mentale (SM) ou de comportement pourrait ne pas être fiable, avoir des réactions psychologiques indésirables ou être inapte, de nombreuses façons, à travailler dans un environnement mentalement exigeant. Cette situation pourrait découler de problèmes de santé mentale contemporains ou antérieurs (risque élevé de récurrence), de certains médicaments ou de comportements inappropriés, présents ou passés. La question de l’impulsivité, c’est-à-dire l’incapacité de contrôler ses comportements dans certaines conditions ou situations, s’appliquerait aussi en l’espèce. Ces membres se verraient aussi imposer de telles contraintes liées à l’emploi.

Je conclus que ces renseignements sont pertinents pour comprendre le présent grief, lequel soulève des questions de santé mentale passées et contemporaines qui ne sont pas toujours faciles à comprendre ou manifestes, mais qui peuvent provoquer une sensibilité à certains déclencheurs ou à certains facteurs de stress susceptibles, notablement, de limiter l’aptitude d’une personne au travail dans un contexte opérationnel militaire.

La DOAD 5023-1 dispose que pour être apte au travail, « un membre des FAC doit [...] être en mesure d’effectuer les éléments de compétence professionnelle des tâches essentielles opérationnelles communes [...] et n’avoir aucune contrainte à l’emploi pour raisons médicales empêchant d’accomplir les tâches essentielles ». En outre, pour être déployable, il ne doit pas « avoir de contrainte à l’emploi pour raisons médicales ou d’autres types de contraintes à l’emploi qui empêcheraient le déploiement ».

Si un membre n’est pas en mesure de satisfaire à ces normes, un EA doit être réalisé pour déterminer si le membre devrait être « libéré [...] ou maintenu en poste avec des contraintes à l’emploi pendant une période de transition temporaire »; toutefois, « [l]e militaire qui n’est pas qualifié pour le GPM et qui ne répond pas aux critères minimaux d’efficacité opérationnelle n’est pas maintenu en poste ».

Je note que dans le cas du plaignant, il s’est enrôlé dans la Première réserve (P rés) le 29 mars 2011 (à la page 449), mais qu’en raison d’une blessure au pied subie le 14 mai 2011 (à la page 23), alors qu’il participait à une activité sportive avec son unité, il n’a pas été en mesure de participer à la formation Qualification militaire de base (QMB). Le plaignant n’a jamais suivi la formation QMB et il n’était pas qualifié pour le GPM. En fait, il comptait moins de deux ans dans la P Rés au moment où les CERM lui ont été attribuées.

L’attribution de CERM au plaignant a donc fait en sorte qu’il ne répondait pas à deux des trois conditions du principe de l’universalité du service. Par conséquent, le plaignant ne satisfaisait pas aux normes minimales d’efficacité opérationnelle établies dans la DOAD 5023-1 et il était donc susceptible de faire l’objet d’un EA ou de CERM.

[Renvois omis.]

[106] Certains des manquements allégués par le demandeur – comme exposé ci-dessus – ne constituent en aucun cas des manquements, lorsque l’on examine la totalité du dossier. Par exemple, le demandeur soutient que le Comité a [traduction] « omis de prendre en considération la déclaration de M. Helmer selon laquelle le problème de santé dont il souffrait pouvait être traité », mais les conclusions et les recommandations du Comité indiquent précisément que [traduction] « [l]e psychologue, M. Helmer, soutient que le problème de santé mentale du plaignant pouvait être traité grâce à 30 ou à 40 séances de psychothérapie », et il conclut qu’il est probable que le capitaine Padua ait acheminé ce rapport au D Pol San aux fins d’examen. Si on lit le dossier dans son ensemble, les motifs pour lesquels le Comité et le CEMD sont parvenus à la conclusion que l’état de santé du demandeur était incompatible avec le service militaire sont tout à fait transparents, intelligibles et justifiables. Certains éléments de preuve indiquaient peut-être le contraire, mais ils ont aussi été pris en considération et ils n’étaient pas convaincants lors d’un examen du dossier dans son ensemble. Cet élément a été souligné dans la décision du Comité que le CEMD a retenue, et ce dernier a également mentionné certaines parties des rapports. Compte tenu de la structure de ces décisions et des précisions fournies, la Cour ne peut présumer que certains des éléments de preuve présentés par le demandeur ont été écartés. Même le dernier rapport du Dr Rahmani, dont le Comité ne semble pas avoir tenu compte puisqu’il portait une date postérieure à la libération du demandeur, indiquait que ce dernier souffrait d’un trouble d’anxiété généralisée et il n’aurait pas pu faire pencher la balance en sa faveur. Le message non équivoque qui ressort des éléments de preuve, si on les examine dans leur ensemble, porte que le demandeur souffrait de certains problèmes de santé nécessitant des soins de psychiatrie à long terme, même si ces problèmes pouvaient s’atténuer au fil du temps; et l’état de santé du demandeur signifiait que les médecins des FAC avaient des motifs raisonnables de conclure que [traduction] « l’état de santé du plaignant était incompatible avec le service militaire ». Des médecins civils ont présenté des éléments de preuve, mais il appartenait aux FAC de déterminer si la preuve médicale signifiait que le demandeur pouvait soutenir [traduction] « les limitations particulières à la vie militaire, qui ne prévalent pas dans un milieu de travail de la vie civile ». Il n’était pas en mesure de réponde au principe de l’universalité du service. Dans ce contexte général, les motifs n’étaient manifestement pas inappropriés.

2) Principe de l’universalité du service

[107] Le demandeur se plaint que lorsque le CEMD a rendu sa décision, il n’a ni abordé ni expliqué les éléments de preuve dont il était saisi, lesquels appuyaient une conclusion selon laquelle le demandeur était apte au service. Le demandeur a été examiné et évalué par divers médecins à différents moments et, parfois, leurs rapports se contredisent et indiquent des diagnostics et des traitements différents. Ni le CEMD ni le Comité ne sont des experts en médecine. Ils ne sont pas en position de relever et d’évaluer les différences entre les rapports médicaux et ils sont en droit de se fier aux évaluations du personnel médical des FAC quant à savoir si les éléments de preuve, pris dans leur ensemble, indiquent qu’un membre est en mesure ou non de satisfaire au principe de l’universalité du service. Voir la décision Shannon, précitée, aux paragraphes 52 et 53. Le CEMD indique clairement qu’il est tout à fait au courant des divergences entre les évaluations médicales, lorsqu’il conclut ainsi :

[traduction]

Le directeur – Politique de santé, mon expert médical, a déterminé que vous étiez « inapte au travail dans un contexte opérationnel militaire ». En fonction de vos nombreuses observations, je conclus que votre dossier de grief contient suffisamment de renseignements de nature médicale et psychologique pour permettre aux médecins du ministère de la Défense nationale (MDN) de conclure que, le 16 juin 2014, vous étiez inapte à servir comme soldat dans les FAC.

[Non souligné dans l’original.]

[108] Le terme « suffisamment » ne signifie pas que tous les éléments de preuve indiquent la même chose. Compte tenu du nombre de médecins qui ont examiné le demandeur à différents moments, il serait étrange que tous les rapports soient uniformes. C’est pourquoi le CEMD a indiqué qu’il existait [traduction] « suffisamment de renseignements de nature médicale et psychologique [...] pour conclure [...] que [le demandeur était] inapte à servir comme soldat dans les FAC ». Compte tenu des éléments de preuve dont étaient saisis le D Pol San et le CEMD, je ne peux dire que cette conclusion était déraisonnable. Le CEMD n’est pas tenu de discuter en détail de chaque rapport ni de concilier, en quelque sorte, les différents rapports.

[109] Comme je l’indique ci-dessous, plusieurs des rapports médicaux qui appuient la position du demandeur ont été expressément abordés par le Comité.

[110] Pour les motifs susmentionnés, le dossier complet a été examiné et des motifs ont été formulés sur la raison pour laquelle tout élément de preuve portant que le demandeur était apte à satisfaire au principe de l’universalité du service ne pouvait réfuter la prépondérance des éléments de preuve soutenant qu’il ne l’était pas.

3) L’EA des CERM – Éléments de preuve contraires

[111] Le demandeur affirme, de plus, qu’il était déraisonnable pour le CEMD de conclure que l’EA des CERM avait été dûment réalisé.

[112] Il maintient que le dossier contenait une importante preuve médicale à l’appui de sa thèse et que même si le CEMD peut retenir la déposition de son propre expert, il est tenu d’examiner tous les éléments de preuve dont il est saisi et d’expliquer les motifs pour lesquels il n’a pas examiné les autres éléments de preuve ou n’y a pas accordé de poids.

[traduction]

77. Dans la décision Shannon c Canada, 2015 CF 983, la Cour fédérale note que le CEMD a le droit de préférer les rapports et avis de ses propres experts à ceux des médecins externes (au paragraphe 52), tout en mentionnant que le CEMD « a évalué [la preuve médicale] de façon juste » (au paragraphe 53). Toutefois, cela ne permet d’aucune façon au décideur saisi des faits de ne pas offrir de motifs ou d’explication concernant sa décision de préférer cette preuve médicale et de ne pas accorder de poids aux autres éléments de preuve de nature médicale, particulièrement lorsque ces éléments, comme c’est le cas, en partie, en l’espèce, sont présentés par d’autres professionnels de la santé au sein des FAC.

[En italique dans l’original.]

[113] Comme je l’ai déjà indiqué, le CEMD, dans sa propre décision, indique clairement qu’il est tout à fait au courant que le dossier contient certains éléments de preuve susceptibles d’appuyer la position du demandeur, mais que la prépondérance de la preuve est suffisante pour conclure que le demandeur est inapte au service :

[traduction]

Satisfaisiez-vous aux exigences de l’universalité du service des Forces armées canadiennes? Selon les renseignements contenus dans votre dossier de grief, diverses évaluations psychiatriques ont permis d’établir que vous présentez un trouble d’adaptation et des traits de personnalité narcissique. De plus, il a été conclu que vous souffriez d’un trouble d’anxiété généralisée. Le directeur – Politique de santé, mon expert médical, a déterminé que vous étiez [traduction] « inapte au travail dans un contexte opérationnel militaire ». En fonction de vos nombreuses observations, je conclus que votre dossier de grief contient suffisamment de renseignements de nature médicale et psychologique pour permettre aux médecins du ministère de la Défense nationale (MDN) de conclure que, le 16 juin 2014, vous étiez inapte à servir comme soldat dans les FAC.

L’examen administratif sur les contraintes à l’emploi pour des raisons médicales vous concernant a-t-il été dûment réalisé? Le 18 mars 2013, vous avez été avisé que vous feriez l’objet d’un EA (CERM). Le 24 octobre 2013, les intentions du DACM vous ont été communiquées, et vous avez eu l’occasion de présenter des observations en réponse. Le 12 décembre 2013, vous avez été avisé de votre imminente libération des FAC pour des raisons médicales, laquelle devait avoir lieu au plus tard le 17 juin 2014, aux termes de l’élément 3b. Une année s’est maintenant écoulée depuis votre libération des FAC. Je crois que ce délai vous a donné amplement le temps de présenter une preuve médicale pour réfuter les conclusions de l’EA (CERM).

Comme l’indique le Comité, à très juste titre, votre dossier de grief contient des éléments de preuve importants selon lesquels des consultations et des évaluations médicales ont eu lieu avant que les médecins du MDN ne concluent que vos problèmes de santé étaient incompatibles avec le service militaire. Bien que je comprenne parfaitement que vous auriez souhaité poursuivre votre service de soldat dans les FAC, je dois souscrire à la décision du Comité. Je note, tout particulièrement, que selon les documents et les évaluations contenus dans votre dossier de grief, votre situation a été prise au sérieux et elle a reçu l’attention nécessaire. De plus, vous n’avez pas présenté d’éléments de preuve démontrant qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale pendant l’EA (CERM) vous concernant, et vous n’avez pas présenté de nouveaux renseignements médicaux pour appuyer vos affirmations. Comme le Comité, je conclus que l’EA (CERM) vous concernant a été réalisé de façon équitable et conformément à toutes les politiques pertinentes des FAC.

[114] Dans les conclusions du Comité, que le CEMD a retenues, les éléments de preuve qui appuient la thèse du demandeur sont expressément énoncés, et le Comité indique les motifs qui lui ont permis de conclure qu’il existait [traduction] « suffisamment de renseignements de nature médicale et psychologique pour permettre aux médecins du ministère de la Défense nationale (MDN) de conclure que l’état de santé du plaignant était incompatible avec le service militaire ».

[115] Le Comité (et donc le CEMD) explique qu’il y a lieu de préférer les éléments de preuve du MDN, puisque [traduction] « de telles conclusions tiennent nécessairement compte des limitations particulières à la vie militaire, qui ne prévalent pas dans un milieu de travail de la vie civile ».

[116] Ensuite, le Comité étaye ses motifs en citant l’arrêt McBride, précité :

[traduction]

Je note que dans l’arrêt McBride, le juge Luc Martineau, s’exprimant pour la Cour fédérale du Canada, a ainsi conclu :

Je ne suis pas convaincu qu’il appartient au médecin civil de critiquer l’opinion du médecin militaire quant à l’effet de l’état de santé d’un membre sur sa capacité à exécuter des tâches militaires de base. Le médecin civil peut fournir un deuxième avis quant au diagnostic et au pronostic de rétablissement, et il peut formuler des commentaires relativement à l’effet que l’état de santé du membre peut avoir sur sa capacité de fonctionner dans la vie civile. Je retiens toutefois l’observation des Forces canadiennes selon laquelle il n’appartient pas au médecin civil d’appliquer les critères énoncés dans le document PFC 154 et les politiques s’y rattachant à un membre des Forces canadiennes. [...]

Comme les membres des FAC ont une responsabilité illimitée, les FAC ont l’obligation supérieure de veiller à ce que leurs membres soient en mesure de répondre aux normes requises pour s’acquitter de leurs fonctions. En l’espèce, je conclus qu’il ne s’agissait pas d’une décision hâtive prise avec peu de renseignements et en peu de temps; c’est tout à fait l’opposé. De plus, je conclus qu’aucun élément de preuve ne démontre qu’il s’agissait d’une décision arbitraire prise de mauvaise foi ou avec animosité à l’endroit du plaignant. Elle était fondée sur les politiques et les besoins particuliers des FAC.

Je conclus que la décision du DACM de libérer le plaignant après la réalisation de l’EA était raisonnable.

[Renvois omis.]

[117] Le Comité (et donc le CEMD) poursuit en abordant les rapports médicaux qui appuyaient la thèse du demandeur à l’étape suivant l’EA des CERM :

[traduction] Mesures prises après l’examen administratif

La politique et les procédures régissant la libération des FAC sont énoncées au chapitre 15 des ORFC. Comme le plaignant s’était vu attribué des CERM incompatibles avec le principe de l’universalité du service, le DACM a conclu que le plaignant devait être libéré aux termes de l’élément 3b. du tableau ajouté à l’article 15.01 des ORFC. L’élément 3b. est ainsi rédigé :

3. Raisons de santé

a. [...]

b. Lorsque du point de vue médical le sujet est invalide et inapte à remplir les fonctions de sa présente spécialité ou de son présent emploi, et qu’il ne peut pas être employé à profit de quelque façon que ce soit en vertu des présentes politiques des forces armées.

Conformément aux articles 15.05 et 15.06 des ORFC, un membre inapte au service pour des raisons médicales doit être libéré le plus tôt possible et, au plus tard, dans les six mois suivant la décision de le libérer.

En date du 12 décembre 2013, le plaignant avait reçu le message l’avisant de la décision du DACM de le libérer le 17 juin 2014, c’est-à-dire environ six mois plus tard. Le message indiquait aussi que si l’état de santé du plaignant s’améliorait, il pourrait présenter de nouveaux renseignements aux fins d’examen médical. Le tableau ci-dessus renvoie à plusieurs rapports contenus dans le dossier de grief ayant été présentés au nom du plaignant suivant l’avis relatif à la décision du DACM et en réponse à celle-ci.

Dans un rapport du 15 mai 2014 préparé par le Dr R. Padua, alors médecin-chef de la base de la 15e Escadre de Moose Jaw, il est indiqué que le plaignant avait demandé à son psychiatre d’acheminer ses notes aux fins d’examen et qu’il avait ensuite rencontré le Dr Padua pour discuter de sa situation et des mesures réparatoires disponibles. Dans son rapport suivant la rencontre, le Dr Padua a indiqué qu’il enverrait un courriel au D Pol San concernant les options offertes au membre. Dans un deuxième rapport en date du 3 juin 2014, le Dr Padua a ajouté les conclusions d’une évaluation reçue d’un psychologue en santé mentale auprès des adultes en milieu communautaire et dont ils ont discuté par téléphone. Ce psychologue ne traitait pas activement le plaignant, mais il a fourni une évaluation à la demande de ce dernier.

Le psychologue, M. D. Helmer, soutient que le problème de santé mentale du plaignant peut être traité au moyen de 30 à 40 séances de psychothérapie. Dans ce deuxième rapport, le Dr Padua mentionne son intention de discuter du cas du plaignant avec le D Pol San. Il note aussi que le plaignant doit faire l’objet d’une évaluation par le nouveau médecin-chef de l’Escadre, qui examinera aussi un rapport d’un travailleur social est cours de préparation, et que les renseignements nécessaires seront ensuite transmis au D Pol San.

Dans un courriel subséquent, daté du 4 juin 2014, au régiment de réserve du plaignant avec copie conforme au nouveau médecin-chef, le Dr M. Strawson, le Dr Padua présente une mise à jour de la situation du plaignant. Le Dr Padua indique que le rapport de M. Helmer contient une très bonne évaluation, laquelle a été envoyée au D Pol San aux fins d’examen. Il indique cependant que l’évaluation ne prescrit aucun plan de traitement précis et qu’il se demande si le plaignant est actuellement en traitement, puisque l’évaluation mentionne qu’il a refusé d’être traité dans le passé. Le Dr Padua souligne l’importance d’obtenir la confirmation que le plaignant est actuellement traité et un pronostic sur le délai prévu pour l’amélioration de son état de santé. Il note que le D Pol San a déjà exprimé des réserves quant à l’amélioration de l’état de santé du plaignant avant la date de sa libération.

Dans un rapport en date du 23 mai 2014, la Dre M. Lizon, psychiatre, indique que lors de l’évaluation initiale du plaignant, elle a conclu que ses problèmes étaient liés à de l’anxiété et à une situation de travail stressante. Son plan de traitement consistait à rencontrer le plaignant une ou deux fois de plus pour évaluer davantage son état mental et déterminer s’il avait besoin de médication ou de toute autre intervention thérapeutique. Dans une évaluation psychiatrique en date du 6 juin 2014, la Dre Blackshaw note qu’elle a déjà rencontré le plaignant en novembre 2012, et qu’à ce moment, elle lui a recommandé de suivre une psychothérapie continue. Selon la nouvelle évaluation, la Dre Blackshaw recommande une psychothérapie continue axée sur l’atténuation des traits de personnalité mésadaptée et le renforcement des habiletés d’adaptation. La Dre Blackshaw indique que le plaignant pourrait suivre la thérapie de façon périodique, parsemée de pauses de quelques mois à plusieurs mois, afin qu’il puisse maintenir ses gains et poursuivre son travail dans les FAC. Dans un rapport en date du 10 juin 2014, le Dr M. Rahmani, psychiatre consultant, indique qu’un traitement médical n’est pas essentiel pour soigner le problème de santé du plaignant, mais qu’il peut choisir d’entreprendre une psychothérapie s’il en sent le besoin. Enfin, un rapport d’un travailleur social, en date du 11 juin 2014, préparé par M. Badrock, recommande fortement au plaignant d’entreprendre une thérapie à long terme avec pour objectif de traiter ses difficultés d’ordre psychologique et interpersonnel et de réduire son anxiété.

Je conclus qu’il n’y a pas de motif de croire que ces rapports n’ont pas été examinés avant la libération du plaignant. Je note que le Dr Strawson a rencontré le plaignant le 7 mai 2014, afin de discuter de sa libération pour des raisons médicales et de l’assurer que tout renseignement nouveau ou pertinent serait examiné (à la page 644). De plus, le Dr Strawson, dans une lettre au commandant du plaignant (laquelle, selon les observations du plaignant, aurait été envoyée le 11 juin 2014), confirme la réception du plus récent rapport psychiatrique daté du 10 juin 2014 et note qu’il contient des renseignements sur l’évaluation, le diagnostic et les traitements recommandés. Dans cette même lettre, le Dr Strawson conclut que la nature des problèmes de santé du plaignant, lesquels ont mené à son imminente libération, n’avait pas changé et qu’elle n’était pas susceptible de changer prochainement. Le Dr Strawson indique aussi que le plaignant serait libéré le 17 juin 2014 et que même s’il lui était loisible de présenter d’autres renseignements médicaux, il était peu probable qu’ils modifient le processus en cours. Il note que si l’état de santé du plaignant s’améliore au fil du temps et grâce à un traitement approprié, il est invité à présenter une nouvelle demande d’enrôlement dans l’armée.

Comme pour l’EA des CERM, je conclus que l’examen par les FAC des renseignements médicaux présentés par le plaignant après la décision rendue aux termes l’EA était équitable et raisonnable. Les FAC ont accordé six mois supplémentaires au plaignant entre la décision du DACM et sa libération. Pendant ce temps, il était loisible au plaignant de présenter des renseignements supplémentaires aux fins d’examen. Cependant, il semble qu’aucun de ces rapports supplémentaires n’ait réussi à changer l’évaluation selon laquelle le plaignant n’était pas en mesure de satisfaire au principe de l’universalité du service, une condition pour servir dans les FAC.

Je conclus que la décision de libérer le plaignant pour des raisons médicales était raisonnable et prise conformément à la politique applicable.

RECOMMANDATION

Je recommande que le grief soit rejeté.

[Renvois omis.]

[118] Maintenant, le demandeur ne peut pas soutenir que les éléments de preuve contraires n’ont pas été abordés et examinés ou que des motifs complets n’ont pas été présentés pour expliquer la préférence de certains éléments de preuve à d’autres.

E. Équité procédurale

[119] La plupart des doléances du demandeur au sujet du manque d’équité procédurale sont liées à la question du harcèlement contenue dans sa plainte et elles deviendront pertinentes lorsque cette plainte sera instruite. Concernant l’objet de la décision, à savoir la libération pour des raisons médicales, le demandeur a été pleinement informé des questions d’ordre médical en cause et il s’est vu accorder une réelle possibilité d’y répondre en tous points, comme il l’a d’ailleurs fait. La thèse du demandeur portait que ses problèmes de santé ne nécessitaient pas qu’il soit libéré, et il a présenté une importante preuve médicale pour tenter de convaincre le D Pol San de changer d’avis. Le fait qu’il n’y soit pas parvenu ne signifie pas que ses observations n’ont pas été examinées et évaluées avant qu’il ne soit finalement libéré. Le rapport du Comité indique clairement que ses observations ont été prises en compte.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-57-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée avec dépens attribués au défendeur.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour d’août 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-57-16

 

INTITULÉ :

CHRISTOPHER L. KREUTZWEISER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

SASKATOON (SASKATCHEWAN)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 OCTOBRE 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JANVIER 2018

 

COMPARUTIONS :

Christopher L. Kreutzweiser

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Chris Bernier

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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