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Date : 20180117


Dossier : T-185-16

Référence : 2018 CF 42

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

SADHU SINGH HAMDARD TRUST

demanderesse

et

NAVSUN HOLDINGS LTD.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente décision concerne un appel en application du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi), d’une décision rendue par un commissaire de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) datée du 30 novembre 2015 (la décision), qui rejetait la demande de la demanderesse d’enregistrer la marque de commerce AJIT, fondée sur son emploi en lien avec des publications imprimées et des journaux.

[2]  Le présent appel est rejeté pour les motifs expliqués de façon plus détaillée ci-après. Je conclus que la Commission a correctement appliqué le droit applicable, que les nouveaux éléments de preuve présentés dans le présent appel n’auraient pas eu une incidence importante sur la décision de la Commission et que la décision est raisonnable.

II.  Résumé des faits

[3]  La demanderesse, Sadhu Singh Hamdard Trust (la fiducie), est une fiducie de bienfaisance établie conformément aux lois de l’Inde. Elle publie un quotidien en Inde, « AJIT », et exploite un site Web correspondant, tous deux en pendjabi. La défenderesse, Navsun Holdings Ltd. (Navsun), est une société canadienne. Navsun publie également un journal intitulé « AJIT » et exploite un site Web correspondant, là aussi, les deux en pendjabi. Le journal de Navsun est publié hebdomadairement et est distribué à Vancouver et dans la région du Grand Toronto. Par souci de clarté, le journal de la fiducie sera désigné « Ajit Daily » et le journal de Navsun sera désigné « Ajit Weekly ».

[4]  « Ajit » est un mot en pendjabi qui signifie « invincible » ou « imprenable ». Les parties à la présente demande sont engagées dans un litige en matière de propriété intellectuelle concernant leur utilisation de ce mot dans un certain nombre d’administrations depuis plus d’une décennie. Il s’agit d’une action intentée par la fiducie à l’encontre de Navsun pour commercialisation trompeuse et violation des droits d’auteur (voir Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2016 CAF 69, infirmant 2014 CF 1139). L’avocat a indiqué à l’audition de la présente demande que l’action avait été modifiée récemment afin d’inclure une action pour contrefaçon de marque de commerce, découlant de l’enregistrement d’une autre marque de commerce au Canada par la fiducie.

[5]  La question en litige en l’espèce concerne la demande de marque de commerce no 1487122, déposée en 2010 afin d’enregistrer la marque AJIT pour son utilisation en lien avec des publications imprimées et des journaux. Cette demande a fait l’objet d’une opposition par Navsun, qui alléguait, entre autres choses, que la marque demandée ne répondait pas à l’exigence d’un critère distinctif. Dans la décision qui fait l’objet du présent appel, la Commission a retenu ce motif d’opposition.

III.  Décision de la Commission

[6]  La preuve dont était saisie la Commission consistait en un affidavit de M. Kanwar Bains, un administrateur de Navsun, ainsi qu’en une transcription de son contre-interrogatoire et les pièces connexes, et en un affidavit de M. Narinder Pal Singh, le chef de la diffusion du journal de la fiducie à Jalandar, en Inde.

[7]  La décision établit l’historique du Ajit Weekly et de sa publication au Canada, soulignant qu’il avait été imprimé pour la première fois en 1993 et que, à l’époque de la décision, Navsun imprimait 11 000 exemplaires par semaine par l’intermédiaire de son imprimeur établi à Vancouver et 13 000 exemplaires par semaine par l’intermédiaire de son imprimeur établi à Toronto. La Commission a également mentionné la publication du Ajit Weekly en ligne par Navsun, par l’intermédiaire d’un site Web qui a été lancé en 1998 et qui comptait entre 14 000 et 38 000 visites par mois. Étant donné que le journal de la fiducie est un journal important en pendjabi en Inde, la Commission a conclu qu’il était probable que Navsun connaissait ce journal lorsqu’elle a adopté la marque AJIT au Canada et qu’il était probable que les lecteurs de Navsun au Canada étaient, et continuent d’être, au fait de l’existence d’un journal du même nom publié en Inde.

[8]  La Commission a également examiné les éléments de preuve de Narinder Pal Singh, y compris les documents annexés à son affidavit, sur lesquels la fiducie s’est appuyée pour justifier son allégation selon laquelle la marque demandée était utilisée au Canada depuis au moins 1968. Cette preuve établissait que le journal de la fiducie était livré à des adresses au Canada, bien qu’en petits nombres. Il y avait quatre abonnements au Canada entre janvier et juin 1968. En ce qui concerne les périodes ultérieures, la Commission a calculé qu’il y avait en moyenne 29 abonnés annuels entre 1990 et 1993, 13 entre 1994 et 2001, et 6 entre 2002 et 2010.

[9]  En appliquant la date du dépôt de l’opposition (le 28 décembre 2012) au titre de la date importante à compter de laquelle il faut apprécier le caractère distinctif, la Commission a conclu qu’à cette date, la marque AJIT de Navsun avait acquis une réputation importante au Canada pour la population cible desservie par ce journal. La Commission a également conclu que, d’après les éléments de preuve selon lesquels le journal Ajit Daily ne comptait que six abonnés entre 2002 et 2010, la marque de la fiducie avait au mieux une réputation minime au Canada pour la même population cible à la date importante. En conséquence, la Commission a conclu que la marque AJIT de Navsun était suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque demandée à la date importante. La Commission a déclaré que, en d’autres termes, à la date importante, la population cible lisant le journal AJIT canadien désignait un éditeur canadien comme étant la source du journal, plutôt que la fiducie.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[10]  Chacune des parties a déposé des éléments de preuve supplémentaires dans le présent appel, comme l’autorise le paragraphe 56(5) de la Loi. Les éléments de preuve déposés par la fiducie consistent en 21 affidavits souscrits par les témoins des faits. Navsun a déposé deux affidavits. Le premier est un affidavit complémentaire de M. Kunwar Bains, qui avait déposé en sa faveur la preuve de Navsun devant la Commission. L’autre consiste en un affidavit d’expert souscrit par M. Sukhwant Hundal. La présentation des éléments de preuve supplémentaires donne lieu à quelques-unes des questions que doit trancher la Cour dans le présent appel, y compris le choix de la norme de contrôle à appliquer à l’examen de la décision.

[11]  La demanderesse soumet à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

  1. Les nouveaux éléments de preuve auraient-ils eu une incidence importante sur la décision de la Commission?

  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en permettant à Navsun de s’appuyer sur son propre usage trompeur de la marque de commerce?

  3. La Commission a-t-elle bien appliqué le critère du caractère distinctif?

  4. Le fait que le mot AJIT soit un prénom courant chez les hommes punjabis est‑il pertinent?

  5. L’affidavit de Sukhwant Hundal est-il recevable?

  6. La défenderesse peut-elle soulever des motifs d’opposition non plaidés?

[12]  La défenderesse qualifie plutôt les questions ainsi :

  1. La demanderesse a-t-elle le droit de soulever de nouvelles questions en appel à propos de ses journaux électroniques?

  2. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  3. La détermination et l’application du critère juridique et de la norme de preuve par la Commission étaient-elles erronées ou déraisonnables?

  4. La contrefaçon est-elle pertinente pour le caractère distinctif de la marque AJIT de la demanderesse?

  5. Les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse à propos de l’usage à l’étranger et sur Internet auraient-ils eu une incidence importante sur les conclusions factuelles de la Commission concernant le caractère distinctif de la marque AJIT de la demanderesse en lien avec des publications imprimées et des journaux au Canada?

  6. La conclusion factuelle de la Commission selon laquelle tout caractère distinctif des marques AJIT de la demanderesse avait été annulé par la réputation de la demanderesse au Canada était-elle raisonnable?

[13]  Après avoir examiné les observations écrites et orales respectives des parties, je conclus que la liste de questions qui suit représente un cadre d’analyse approprié pour examiner les arguments des parties :

  1. L’une des parties demande-t-elle de soulever une nouvelle question en appel qui n’a pas été plaidée devant la Commission?

  2. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  3. La Commission a-t-elle appliqué un critère inexact concernant le caractère distinctif ou, par ailleurs, a-t-elle commis une erreur en appréciant le caractère distinctif de la marque de la demanderesse?

  4. En appliquant la norme de contrôle applicable, compte tenu des nouveaux éléments de preuve déposés en appel, la Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions concernant le caractère distinctif de la marque de la demanderesse?

V.  Discussion

A.  L’une des parties demande-t-elle de soulever une nouvelle question en appel qui n’a pas été plaidée devant la Commission?

[14]  Chacune des parties a adopté la thèse voulant que l’autre cherche à soulever une nouvelle question en appel qui n’a pas été plaidée devant la Commission. En ce qui concerne la preuve de la fiducie, Navsun fait valoir que la fiducie soulève une nouvelle question sous le couvert du dépôt de nouveaux éléments de preuve en appel. Les nouveaux affidavits présentés par la fiducie comprennent la preuve du lectorat de son journal électronique, sur lequel la fiducie souhaite s’appuyer pour établir que sa marque se distingue de ses journaux imprimés au Canada. La fiducie soutient que, même si sa demande d’enregistrement de sa marque de commerce s’appliquait aux [traduction] « publications imprimées et aux journaux », ce libellé est suffisamment général pour s’appliquer à son journal électronique.

[15]   En présentant cet argument, la fiducie s’appuie sur la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans John v Ballingall, 2017 ONCA 579 [John], dans laquelle le mot [traduction« journal » a été interprété comme incluant la version en ligne d’un journal. Aux paragraphes 22 à 24 de cette décision, la Cour d’appel de l’Ontario s’est appuyée sur sa décision antérieure dans Weiss v Sawyer (2002), 61 OR (3d) 526 [Weiss], en concluant qu’un journal ne cesse pas d’être un journal lorsqu’il est publié en ligne, puisque les principes d’interprétation législative applicables sont favorables à un effort visant à réaliser l’intention du législateur dans le contexte des progrès technologiques.

[16]  Je souscris à la thèse de Navsun selon laquelle cet argument cherche à soulever une nouvelle question qui n’a pas été plaidée devant la Commission. La fiducie n’a fait référence à rien mentionné dans le dossier qui laissait entendre que cet argument avait été soulevé devant la Commission. Au contraire, le dossier confirme une intention de la fiducie de ne pas demander l’enregistrement de sa marque en lien avec des publications électroniques. Comme il ressort de la décision, la demande originale de la fiducie produite le 10 juin 2010 visait l’enregistrement de la marque AJIT en lien avec des [traduction] « publications, journaux et magazines imprimés et électroniques » et avec l’exploitation d’un site Web. Cependant, la demande a été modifiée par la suite pour ne viser que des [traduction] « publications imprimées et des journaux ». La modification visant à supprimer toutes les mentions explicites concernant des documents électroniques et l’exploitation d’un site Web peut uniquement être interprétée comme la démonstration d’une intention de la fiducie de limiter sa demande d’usage en lien avec des documents imprimés.

[17]  Effectivement, l’argument que fait valoir la fiducie, au sujet de la jurisprudence issue de la Cour d’appel de l’Ontario, ne figurait même pas dans le mémoire des faits et du droit de la demanderesse déposé dans le cadre du présent appel. Cet argument a été soulevé pour la première fois dans les observations orales de la fiducie devant la Cour, appuyées par une jurisprudence présentée à la Cour le jour de l’audience.

[18]  Je conclus également que cette jurisprudence offre peu d’appui à la thèse de la fiducie. Tant Weiss que John ont été tranchées dans un contexte très différent, à savoir l’interprétation du délai de prescription visé au paragraphe 5(1) de la Loi sur la diffamation, LRO 1990, c L12, pour les actions en diffamation dans un journal. J’estime donc que cette jurisprudence, ainsi que les principes d’interprétation législative sur lesquelles elle s’appuie, ne s’applique guère à la question concernant le sens du mot [traduction] « journaux » dans l’expression « publications imprimées et des journaux » utilisée dans la demande de marque de commerce modifiée de la fiducie. Une fois de plus, compte tenu des modifications apportées à la demande de marque de commerce et qui ont été décrites plus tôt, je conclus que la demande ne peut pas être interprétée comme étant destinée à s’étendre à la version électronique du journal de la fiducie.

[19]  Bien que le paragraphe 56(5) de la Loi autorise la fiducie à présenter de nouveaux éléments de preuve dans le présent appel, la fiducie n’a pas le droit de s’appuyer sur ceux-ci pour soulever de nouvelles questions dont la Commission n’a pas été saisie (voir Procter & Gamble Inc. c Colgate-Palmolive Canada Inc., 2010 CF 231, au paragraphe 26, et Tiger Calcium Services Inc. c Compass Minerals Canada Corp., 2015 CF 1257, au paragraphe 44). Essentiellement, le nouvel argument que la fiducie fait maintenant valoir devant la Cour représente un effort inadmissible d’étendre la portée de la demande de la fiducie en vue d’enregistrer sa marque.

[20]  Cette conclusion est pertinente à la question de l’effet des nouveaux éléments de preuve de la fiducie, concernant le lectorat de son journal électronique, sur le caractère distinctif de la marque de la fiducie telle qu’elle est utilisée en lien avec ses journaux imprimés au Canada. Cette question sera traitée plus loin dans les présents motifs.

[21]  De même, la fiducie soutient que Navsun tente aussi de soulever, dans le présent appel, de nouveaux motifs d’opposition qui n’ont pas été plaidés devant la Commission. Navsun a produit de nouveaux éléments de preuve concernant un journal hindi appelé le « Ajeet Patrika », la prévalence de l’utilisation du mot « Ajit » dans des noms d’entreprise en Inde, et l’utilisation du mot « Ajit » comme prénom pour des hommes. La fiducie prétend qu’aucune de ces circonstances n’a été alléguée dans la déclaration d’opposition de Navsun devant la Commission. Elle soutient que Navsun tente de faire valoir, sous le couvert de l’argument relatif au caractère distinctif, que la marque de la fiducie contrevient à l’alinéa 12(1)a) de la Loi, qui empêche, dans certaines circonstances, l’enregistrement du nom d’une personne comme marque de commerce.

[22]  Je souscris à la thèse de la fiducie selon laquelle les nouveaux éléments de preuve présentés par Navsun ne devraient pas être examinés par la Cour pour trancher le présent appel. La déclaration d’opposition de Navsun a soulevé plusieurs motifs d’opposition en application du paragraphe 38(2) de la Loi. Navsun a fait valoir, en application de l’alinéa 38(2)a), que la demande de la fiducie ne s’était pas conformée à certaines exigences de l’article 30 de la Loi et a fait valoir, en application de l’alinéa 38(2)c), que la fiducie n’était pas la personne ayant droit à l’enregistrement en application de l’alinéa 16(1)a) de la Loi. La Commission a rejeté ces motifs d’opposition et Navsun n’a pas interjeté appel de ces conclusions. Navsun a également fait valoir, en application de l’alinéa 32(2)d), que la marque de la fiducie ne se distingue pas au sens de l’article 2 de la Loi. Elle a soulevé cet argument pour deux motifs distincts. Le premier était que la marque de la fiducie ne distingue pas réellement les biens et les services de la fiducie des biens et des services de Navsun, en raison de l’usage par Navsun de sa propre marque. L’acceptation par la Commission de ce motif d’opposition est le seul motif du présent appel par la fiducie. Le deuxième motif d’opposition soulevé par Navsun en application de l’alinéa 32(2)d) était que la marque de la fiducie ne distingue pas réellement ses biens et services de ceux de tiers et n’est pas adaptée pour les distinguer. La Commission n’a tiré aucune conclusion quant à ce dernier motif et Navsun n’a pas interjeté appel de ce résultat. Les nouveaux éléments de preuve produits par Navsun auraient pu être pertinents à ce dernier motif d’opposition s’il avait été l’objet du présent appel. Cependant, je n’estime pas qu’il soit pertinent au caractère distinctif de la marque de la fiducie au motif de l’usage par Navsun de sa propre marque, qui constitue, comme nous l’avons déjà mentionné, le seul motif du présent appel.

[23]  J’observe que la fiducie soulève également plusieurs autres oppositions à la recevabilité de l’affidavit de Navsun de son témoin expert proposé, M. Sukhwant Hundal. Vu la conclusion que j’ai tirée plus tôt concernant la pertinence des nouveaux éléments de preuve de Navsun dans leur intégralité, il n’est pas nécessaire que je me penche sur ces oppositions supplémentaires qui concernent expressément l’affidavit de M. Hundal.

B.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[24]  Il n’est pas controversé entre les parties que la norme de contrôle d’une décision de la Commission est habituellement celle de la décision raisonnable, mais que cela fera place à la norme de la décision correcte dans les cas où les nouveaux éléments de preuve présentés en appel auraient eu une incidence importante sur la décision de la Commission (voir Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 RCF 145, au paragraphe 51 (CAF)). Pour que ce soit le cas, les nouveaux éléments de preuve doivent être pertinents. Par exemple, ils doivent combler une lacune, remédier à des déficiences soulevées par la Commission, ajouter substantiellement à ce qui a déjà été soumis, ou renforcer la valeur probante des éléments de preuve déjà présentés (voir Kabushiki Kaisha Mitsukan Group Honsha c Sakura-Nakaya Alimentos Ltda., 2016 CF 20, aux paragraphes 18 et 19). Un examen selon la norme de la décision correcte s’applique ensuite aux conclusions de fait sur lesquelles les nouveaux éléments de preuve exercent une incidence importante, alors que d’autres conclusions de fait demeurent assujetties à la norme plus déférente de la décision raisonnable (voir Eclectic Edge Inc. c Gildan Apparel (Canada) LP, 2015 CF 1332, aux paragraphes 43 à 48).

[25]  Il n’est pas controversé entre les parties que, si on demande à la Cour d’examiner une question de droit isolable ou une pure question de droit découlant de la décision de la Commission, alors la norme de la décision correcte s’applique à l’examen de la Cour à l’égard de cette question (voir Cyprus (Commerces et Industries) c Producteurs Laitiers du Canada, 2010 CF 719, au paragraphe 29, confirmée par 2011 CAF 201).

[26]  J’appliquerai ces principes entourant la norme de contrôle des questions de fond examinées plus loin.

C.  La Commission a-t-elle appliqué un critère inexact concernant le caractère distinctif ou, par ailleurs, a-t-elle commis une erreur en appréciant le caractère distinctif de la marque de la demanderesse?

[27]  La fiducie présente différents arguments à l’appui de sa thèse selon laquelle la Commission a commis une erreur concernant le critère qu’elle a appliqué ou, autrement, dans l’approche analytique qu’elle a adoptée pour répondre à la question de savoir si l’usage par Navsun de sa marque avait annulé le caractère distinctif de la marque de la fiducie. Dans ses observations écrites et orales, la fiducie s’appuie sur un certain nombre de décisions de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale pour étayer ses arguments. À la conclusion de ses observations orales, l’avocat de la fiducie a dressé ce qu’il a qualifié de liste de questions de politique, tirées de la jurisprudence, que, selon lui, la Commission était obligée d’examiner et que la Cour doit désormais examiner dans le présent appel. Étant donné que l’avocat de la fiducie n’a pas, pour l’essentiel, lié ces questions de politique individuelles à des affaires en particulier, j’examinerai la thèse de la fiducie en lien avec les différentes décisions sur lesquelles elle s’appuie et les arguments qu’elle tire de ces décisions. Dans la mesure où ces arguments soulèvent ce qui peut être qualifié de pures questions de droit ou de questions de droit isolables, je les examinerai à la lumière de la norme de la décision correcte dans la présente partie des motifs.

[28]  La fiducie soutient que la Commission a appliqué le mauvais critère pour examiner si l’usage par Navsun de sa marque a annulé le caractère distinctif de la marque de la fiducie. La Commission s’est appuyée sur la déclaration suivante du juge Noël dans Bojangles’ International LLC c Bojangles Café Ltd., 2006 CF 657 [Bojangles], au paragraphe 34 :

[34]  Une marque doit être connue au moins jusqu’à un certain point pour annuler le caractère distinctif établi d’une autre marque, et sa réputation au Canada devrait être importante, significative ou suffisante. [...]

[29]  La fiducie soutient que la déclaration du juge Noël traduit simplement le fait que des éléments de preuve sont requis pour établir les faits et que la Commission a commis une erreur en s’en servant comme critère pour la détermination du caractère distinctif. Dans l’observation de la fiducie, le critère applicable qui est prescrit par la Cour d’appel fédérale dans Miranda Aluminum Inc. c Miranda Windows & Doors Inc., 2010 CAF 104 [Miranda CAF], la personne qui conteste le caractère distinctif d’une autre marque doit avoir établi dans l’esprit des consommateurs qu’il y avait une source concurrente pour les produits. La fiducie renvoie au paragraphe 29 de Miranda CAF, dans lequel le juge Evans a déclaré :

[29]  Compte tenu de la preuve qui indique l’abandon de l’emploi du nom par le père, l’existence de ruptures dans la chaîne d’entreprises, l’absence de cession de droits et l’emploi ultérieur trompeur du nom par le père, et considérant la conclusion de la juge quant à la crédibilité, je ne suis pas convaincu que la juge a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a statué que l’emploi du nom Miranda par le père n’avait pas détruit le caractère distinctif du nom en amenant les consommateurs à croire qu’il existait une source concurrente pour les produits en aluminium et services connexes. Là encore, l’appelante demande à la Cour de se mettre à la place de la juge et de réévaluer la preuve. Tel n’est pas le rôle d’une cour d’appel.

[30]  Je ne souscris pas à la thèse de la fiducie selon laquelle Miranda CAF prescrit un critère pour décider à quel moment l’usage d’une marque par une partie a détruit le caractère distinctif de la marque d’une autre partie. En revanche, la déclaration par la Cour d’appel fédérale sur laquelle la fiducie s’appuie est une description d’une conclusion de fait du juge de première instance à l’égard de laquelle la Cour d’appel n’a relevé aucune erreur. L’analyse pertinente dans la décision en première instance figure aux paragraphes 38 à 42 de Miranda Aluminum Inc. c Miranda Windows & Doors Inc., 2009 CF 669 [Miranda CF], dans lesquels la juge Simpson a conclu que l’usage par la demanderesse du nom Miranda ne visait pas à présenter la demanderesse comme une entreprise distincte et a conclu que le caractère distinctif de la marque de la défenderesse n’était pas touché.

[31]  Je ne vois aucun motif de conclure que Miranda CAF change quoi que ce soit au droit établi dans Bojangles, affaire dans laquelle le juge Noël a examiné la jurisprudence entourant la norme de preuve qui doit être satisfaite pour démontrer qu’une marque de commerce est suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif d’une autre marque de commerce et a décrit cette norme de la façon citée par la Commission en l’espèce. Je ne relève aucune erreur de droit dans le fait que la Commission se fonde sur Bojangles.

[32]  Je comprends également que la fiducie fasse valoir que la Commission était tenue de soupeser les intérêts opposés des parties, ainsi que l’intérêt public, au moment de décider si l’enregistrement de la marque de la fiducie aurait dû être autorisé. La fiducie renvoie à la décision dans Aladdin Industries Inc. v Canadian Thermos Products Ltd. (1969), 57 CPR 230 [Aladdin], à la page 275, dans laquelle la Cour de l’Échiquier a décrit de cette façon l’analyse qu’elle a menée au moment de décider s’il fallait radier la marque de commerce THERMOS de la défenderesse. Cette affaire découlait du fait que la marque de la défenderesse était devenue générique et que, pour cette raison, la demanderesse souhaitait utiliser le nom THERMOS dans sa propre entreprise. La Cour a conclu que la radiation de la marque de la défenderesse pourrait poser un risque sérieux qu’un nombre appréciable de consommateurs puissent être induits en erreur si des bouteilles de fabricants autres que la défenderesse étaient marquées comme des bouteilles THERMOS. Le risque l’emportait sur le désavantage pour la demanderesse de ne pas être autorisée à utiliser la marque dans son entreprise. Aladdin portait sur une situation factuelle passablement différente de celle de l’espèce et je ne considère pas qu’elle prescrit un critère ou une analyse que la Commission est tenue d’appliquer pour décider si une marque a annulé le caractère distinctif d’une autre.

[33]  La fiducie s’appuie également sur la décision récente de la Cour d’appel fédérale dans l’action de commercialisation trompeuse contre Navsun, pour justifier un argument voulant que la Commission ait commis une erreur en adoptant une erreur de droit commise par le juge de première instance dans cette autre affaire. Après avoir conclu que Navsun avait eu gain de cause concernant son motif d’opposition fondée sur le caractère distinctif, la Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 43 de la décision, sous le titre « Jurisprudence connexe » :

[43]  Dans l’affaire Sadhu Singh Hamdard Trust c. Navsun Holdings Ltd, 2014 CF 1139, sur laquelle s’est récemment prononcée la Cour fédérale, la demanderesse Sadhu (la requérante en l’espèce) accusait Navsun Holdings (l’opposante en l’espèce) de violation de droit d’auteur, de commercialisation trompeuse et de fausses déclarations relativement à la publication de Sadhu, l’Ajit Weekly. Aucune des demandes de Sadhu n’a été accueillie. Cette affaire se distingue évidemment de la présente opposition à plusieurs égards et, en particulier, par le fait que la marque en cause dans cette affaire était AJIT écrit en caractères pendjabi manuscrits et non le terme anglais AJIT. Néanmoins, je souligne que la Cour a tiré des conclusions de fait, reproduites ci-dessous, comparables aux conclusions de fait que j’ai moi-même tirées dans la présente opposition, mais à la lumière d’une preuve différente :

[83]  [traduction] La demanderesse a soutenu que la marque était [traduction] « célèbre » parmi les membres du public parlant le pendjabi. À l’audience, la demanderesse a soutenu que ce n’était [traduction] « pas contesté – il s’agit d’une institution célèbre ». La demanderesse a fait valoir que la preuve révélant le grand tirage du journal dans le Pendjab et sa disponibilité sur Internet démontrait bien que tout le monde connaissait son existence. Selon la preuve de la demanderesse, chaque famille pendjabi dans le monde connaît le Ajit Daily – d’ailleurs, la famille même des défenderesses lit le Ajit Daily en Inde.

[84]  La preuve de la demanderesse ne parvient pas à établir la réputation dans la région géographique des défenderesses. On ne m’a présenté aucune preuve par sondage ni aucune autre preuve fiable indépendante me permettant de conclure que le Ajit Daily disposait d’un achalandage commercial au Canada ou y était célèbre – le seul élément de preuve produit fait état de sept abonnés au Canada en 2010... (je souligne)

[34]  Suite à la décision, la décision en première instance citée par la Commission a été annulée dans Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2016 CAF 69 [Sadhu Singh Hamdard Trust], dans laquelle la juge Gleason, s’exprimant pour la Cour d’appel fédérale, a conclu ce qui suit au paragraphe 25 :

[25]  En analysant l’existence d’un achalandage uniquement du point de vue du nombre établi de lecteurs du journal Ajit Daily au Canada, la Cour fédérale a commis une erreur de droit, car l’utilisation d’une marque de commerce au Canada n’est pas une condition préalable permettant d’établir l’existence d’un achalandage en droit canadien. L’existence de l’achalandage requis dans le marché du défendeur doit plutôt être démontrée par la réputation de la marque de commerce du demandeur dans le marché du défendeur, même si le demandeur n’utilise pas la marque de commerce dans le marché en question : Orkin Exterminating Co. Inc. v. Pestco Co. of Canada Ltd. et al., [1985] O.J. No2536, 1985 CarswellOnt 144; Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer, [1996] 2 RCF 694, 1996 CarswellNat 2506, au paragraphe 52, conf. par Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer, 1998 CanLII 7405 (CAF).

[35]  La fiducie soutient que la Commission s’est appuyée sur les conclusions de fait de la décision de première instance en ce qui concerne la réputation de la marque de la fiducie au Canada, des conclusions qui ont ensuite été annulées par la Cour d’appel fédérale au motif qu’elles avaient été fondées sur une mauvaise interprétation de la loi. Plus précisément, la conclusion en appel était que la conclusion du juge de première instance selon laquelle la fiducie n’avait aucun achalandage au Canada a été tirée après avoir exclu à tort la réputation atteinte dans l’esprit des immigrants canadiens punjabis avant d’arriver au Canada. La fiducie soutient que le fait que la Commission se soit fondée sur la décision de première instance reprenait cette erreur de droit et constitue également une erreur commise par la Commission, car cela limitait l’appréciation du caractère distinctif de la réputation de la marque de la fiducie auprès de ses six abandonnés au Canada, tout en excluant les 450 000 immigrants qui étaient arrivés au Canada et qui connaissaient déjà la marque.

[36]  Je ne souscris pas à l’argument de la fiducie voulant que cette partie de la décision démontre que la Commission a commis une erreur de droit, car un examen de la décision n’appuie pas l’argument de la fiducie selon lequel la Commission s’est fondée sur des conclusions de fait triées par le juge de première instance. La Commission a plutôt expressément déclaré que la décision se distinguait à de nombreux égards et, même en observant que la Cour avait tiré des conclusions de fait comparables à celles de la Commission, la Commission a observé que cela était au motif d’un dossier de preuve différent. Il est également significatif que le renvoi par la Commission à la jurisprudence connexe ait suivi l’analyse par la Commission du caractère distinctif de la marque de la fiducie et sa conclusion selon laquelle Navsun avait eu gain de cause à l’égard de ce motif d’opposition. Même si la Commission a ensuite signalé la cohérence entre ses conclusions et celles de la Cour fédérale dans l’action de commercialisation trompeuse, je ne peux pas conclure que la Commission s’est fondée sur les conclusions de fait de la Cour pour tirer ses propres conclusions.

[37]  De plus, je ne suis pas d’accord pour dire que la règle de droit qui sous-tend la décision de la Cour d’appel fédérale s’applique en l’espèce. L’analyse pertinente dans Sadhu Singh Hamdard Trust portait sur la question de savoir si la fiducie avait établi ou non les éléments nécessaires pour avoir gain de cause dans une action pour commercialisation trompeuse. D’abord, il était nécessaire que la fiducie démontre l’existence d’un achalandage. Après avoir observé au paragraphe 25 que l’utilisation d’une marque de commerce au Canada n’est pas une condition préalable nécessaire à l’existence d’un achalandage dans le marché canadien, la juge Gleason a tiré les conclusions suivantes au paragraphe 27 :

[27]  En l’espèce, des éléments de preuve présentés devant la Cour fédérale indiquent qu’aux yeux de plusieurs souscripteurs d’affidavit au Canada, le journal Ajit Daily jouissait d’une réputation à titre de journal en pendjabi publié en Inde. Il a également été démontré qu’un certain nombre de Canadiens ont accédé à la version en ligne du journal Ajit Daily sur son site Web. Il incombait à la Cour fédérale d’évaluer cet élément de preuve afin de déterminer s’il permettait d’établir que le journal Ajit Daily s’était bâti une réputation au sein d’un groupe plus important au Canada que les quelques abonnés ayant acheté le journal. Le cas échéant, cet élément de preuve aurait permis d’établir l’existence de l’achalandage requis pour répondre au premier des trois critères permettant de présenter une pratique fondée sur la commercialisation trompeuse. Toutefois, la Cour fédérale n’a pas effectué cette analyse, car elle a commis une erreur en abordant la question de l’achalandage sous l’angle privilégié du nombre restreint établi d’abonnés canadiens ayant acheté le journal Ajit Daily au Canada. Par conséquent, la Cour fédérale a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer le bon critère pour évaluer l’achalandage.

[38]   Le deuxième élément de la commercialisation trompeuse, induire le public en erreur par une fausse déclaration, portait sur la démonstration du fait que la marque de Navsun créait de la confusion avec la marque de la fiducie. Les conclusions de la juge Gleason sur cet élément comprenaient une conclusion selon laquelle le juge de première instance avait commis une erreur en omettant d’examiner la preuve quant à la réputation dont jouissait le journal Ajit Daily, ce qui pourrait avoir contribué à l’établissement du caractère distinctif de la marque (au paragraphe 30). L’analyse du caractère distinctif par le juge de première instance, dans son appréciation de la confusion, figure aux paragraphes 89 à 91 de la décision de la Cour fédérale. Cette analyse semble avoir porté uniquement le caractère distinctif inhérent, non pas le caractère distinctif acquis. En d’autres termes, dans l’appréciation du caractère distinctif de la marque de la fiducie, le juge de première instance n’avait pas tenu compte de la réputation du journal Ajit Daily, à savoir si elle avait été acquise par les abonnements au journal imprimé au Canada ou par d’autres moyens.

[39]  Néanmoins, j’interprète la conclusion en appel, selon laquelle la Cour fédérale avait commis une erreur en omettant d’examiner l’effet de la réputation du journal Ajit Daily au moment de l’acquisition de son caractère distinctif, comme incluant la réputation que, selon les explications de la juge Gleason au paragraphe 27, la Cour fédérale était tenue d’apprécier en examinant l’achalandage, c’est-à-dire une réputation possible chez un groupe plus important au Canada que les quelques abonnés qui achetaient la version imprimée du journal. À ce titre, Sadhu Singh Hamdard Trust s’est appuyée en partie sur des conclusions quant aux éléments de preuve qui auraient dû être examinés au moment d’apprécier le caractère distinctif acquis de la marque de la fiducie. Cependant, il demeure que ces conclusions ont été tirées dans le contexte d’une allégation de commercialisation trompeuse dans laquelle, comme l’établissent clairement les décisions citées par la Cour d’appel fédérale, la réputation et l’achalandage qui en a découlé et qui constituent l’objet de l’allégation n’ont pas à provenir de l’usage par la demanderesse de la marque de commerce pertinente dans le marché de la défenderesse. Il s’ensuit que, dans l’appréciation d’une allégation de commercialisation trompeuse, le caractère distinctif de la marque pertinent à l’appréciation de la confusion peut également être acquis par l’usage de la marque de la demanderesse à l’étranger. Comme l’a soutenu Navsun, les principes sont différents dans le contexte d’une demande d’enregistrer ou de maintenir une marque de commerce, alors que la jurisprudence dispose que le caractère distinctif d’une marque peut uniquement être acquis par son usage au Canada.

[40]  Navsun renvoie la Cour plus précisément à la décision dans Boston Pizza International Inc. c Boston Chicken Inc., 2003 CAF 120 [Boston Pizza], dans laquelle la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 13 :

[13]  Bien qu’il puisse exister certaines différences entre le caractère distinctif d’une marque et ce qui la rend distinctive, la jurisprudence énonce constamment qu’une marque ne peut être distinctive que si elle est employée au Canada. La raison pour laquelle la preuve du « caractère distinctif » ne devrait pas être assujettie à la même condition est loin d’être claire. Les propos suivants tenus par le juge Tomlin dans la décision Impex Electrical Ltd. c Weinbaum (1927), 44 R.P.C. 405, à la page 410, ont souvent été cités en Cour fédérale :

[traduction] Pour déterminer si la marque est distinctive, nous ne devons considérer que notre marché intérieur. À cette fin, on ne peut prendre en considération les marchés étrangers, à moins que la preuve ne montre que des marchandises vendues dans notre pays portaient une marque étrangère et que, de ce fait, on établit un rapport entre la marque ainsi utilisée et le fabricant de ces marchandises.

Voir Société des Accumulateurs fixes et de traction c Charles Le Borgne Ltée (1975), 22 C.P.R. (2nd) 178 (C.F. 1re inst.), Madger c Brecks Sporting Goods Co. (1973), 17 C.P.R. (2nd) 201 (C.A.F.), Consorzio del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 48 (C.F. 1re inst.), Unitel Communications Inc. c Bell Canada (1995), 61 C.P.R. [3rd] 95. (C.F. 1re inst.).

[Non souligné dans l’original]

[41]  Même si Boston Pizza concernant l’exigence de montrer le « caractère distinctif » en application de l’alinéa 14(1)b) de la Loi concernant une demande d’enregistrement au Canada d’une marque de commerce étrangère, la conclusion de la Cour était fondée sur la jurisprudence relative au caractère distinctif pour les marques de commerce demandées en fonction de l’usage au Canada. Comme il est indiqué dans la citation ci-dessus, Boston Pizza s’appuyait en partie sur les propos du juge Tomlin dans Impex Electrical Ltd. c Weibaum (1927), 44 RPC 405 [Impex]. Dans Consorzio Del Prosciutto Di Parma c Maple Leaf Meats Inc., [2001] 2 CF 536, au paragraphe 28, confirmée par 2002 CAF 169, la Cour fédérale s’est appuyée sur la même citation d’Impex en examinant un effort par la demanderesse, un consortium de producteurs de prosciutto de Parme, en Italie, en vue de radier la marque de commerce PARMA enregistrée pour la défenderesse. La Cour a fait allusion au caractère non pertinent de l’effet « retombées », dans cette affaire une augmentation de la reconnaissance au Canada de la réputation du prosciutto produit à Parme, en Italie, par opposition aux ventes réelles de produits carnés de la défenderesse au Canada en lien avec la marque de la défenderesse. En concluant que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer que la marque de la défenderesse ne revêtait pas un caractère distinctif, la Cour a indiqué au paragraphe 35 que le caractère distinctif d’une marque de commerce doit s’apprécier uniquement en fonction du marché canadien.

[42]  J’observe que l’une des décisions mentionnées par les parties est celle de l’affaire Motel 6, Inc. c No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 CPR (2d) 44 [Motel 6], dans laquelle la Cour a examiné une situation où des consommateurs canadiens étaient exposés à une marque de commerce pendant qu’ils se trouvaient à l’étranger. La demanderesse exploitait une grande chaîne de motels sous le nom « Motel 6 » dans la majeure partie des États-Unis, où bon nombre de ses clients étant des automobilistes canadiens. Elle demandait la radiation de la marque de la défenderesse, une société de la Colombie-Britannique qui employait une marque similaire en lien avec son exploitation de trois motels au Canada. La Cour a accordé ce redressement, concluant que la marque de la défenderesse utilisée en lien avec ses services n’était pas distinctive, en partie en raison des résidents canadiens qui ont séjourné dans les motels de la demanderesse et qui en ont informé des résidents du Canada. La Cour a expliqué au paragraphe 38 l’ampleur de la preuve potentiellement pertinente à son analyse du caractère distinctif de la marque de la défenderesse :

[traduction]

[38]  Le moyen tiré du caractère non distinctif n’est pas limité à l’exécution réelle des services au Canada comme le cas d’une revendication en emploi antérieur sous le régime de l’article 4. Il peut être aussi fondé sur la preuve d’une connaissance ou notoriété de la marque rivale acquise par le bouche-à-oreille et sur la preuve d’une notoriété et d’une renommée obtenues par voie d’articles de journaux ou de magazines plutôt que par de la publicité. Peuvent être pris en compte tous les éléments de preuve pertinents tendant à établir le caractère non distinctif.

[43]  Comme l’a mis en évidence Navsun, la marque à laquelle les consommateurs canadiens ont été exposés pendant qu’ils se trouvaient à l’étranger au Motel 6 était celle d’une partie qui souhaitait contester le caractère distinctif d’une marque enregistrée, mais non celle d’une partie qui présentait une demande d’enregistrement ou qui souhaitait maintenir l’enregistrement d’une marque au Canada en fonction de l’usage au Canada. J’observe également que Motel 6 a été examinée par notre Cour dans Unitel Communications Inc. c Bell Canada (1995), 92 FTR 161 [Unitel] dans laquelle la demanderesse s’est fondée sur cette affaire pour demander la radiation de l’enregistrement des marques de la défenderesse, pour appuyer sa thèse voulant que l’exposition constante à l’usage d’une marque aux États-Unis puisse avoir une incidence sur la perception publique au Canada et suffire à établir une réputation d’une marque de commerce au Canada. Le juge Gibson a privilégié la thèse de la défenderesse en concluant aux paragraphes 33 et 34, se fondant en partie sur des décisions s’appuyant sur Impex, que la preuve concernant l’usage aux États-Unis d’expressions identiques ou semblables aux marques de la défenderesse n’est pas pertinente.

[44]  Unitel est l’une des décisions citées par la Cour d’appel fédérale dans Boston Pizza pour appuyer sa conclusion voulant que la jurisprudence énonce constamment qu’une marque ne peut être distinctive que si elle est employée au Canada. Je suis lié par la décision dans Boston Pizza. Pour revenir à Sadhu Singh Hamdard Trust, comme je l’ai expliqué ci-dessus, cette affaire a été tranchée dans le contexte d’une allégation de commercialisation trompeuse, plutôt que d’une demande en vue d’acquérir le monopole associé à l’enregistrement d’une marque de commerce en fonction de son usage au Canada. Par conséquent, je n’interprète pas Sadhu Singh Hamdard Trust comme ayant modifié la jurisprudence qui ressort dans Boston Pizza ou s’en étant écarté.

[45]  Cette conclusion règle le cas de l’argument de la fiducie voulant que la Commission ait commis une erreur en limitant son appréciation de la marque de commerce de la fiducie aux abonnés canadiens, tout en excluant les personnes qui sont arrivées au Canada et qui connaissaient déjà la marque. Comme je l’explique plus loin dans les présents motifs, cette conclusion est également importante pour l’analyse de la pertinence et de l’importance des nouveaux éléments de preuve de la fiducie.

[46]  La fiducie soutient également que la Commission a commis une erreur en autorisant Navsun à s’appuyer sur ce que la fiducie qualifie d’usage [traduction] « trompeur » de sa marque. La fiducie s’appuie une fois de plus sur Miranda CF, citant les conclusions suivantes par la juge Simpson au paragraphe 32 pour étayer son argument selon lequel une partie ne peut pas s’appuyer sur son propre usage qui crée de la confusion d’une marque de commerce pour contester les droits d’une autre personne à l’égard de la marque :

[32]   Selon moi, la preuve produite par le père n’établit pas l’utilisation antérieure du nom Miranda. La preuve de l’utilisation avant l’an 2000 n’est pas crédible et même si le nom Miranda était utilisé, il a été abandonné deux fois. En outre, entre 2000 et 2004, lorsque l’entreprise TMR a été dissoute, l’utilisation du nom Miranda par le père dans le dessin-marque a été faite pour entraîner de la confusion chez les consommateurs. Il ne s’agit pas d’une utilisation antérieure qui donne le droit à la demanderesse au bénéfice du paragraphe 17(1) de la Loi.

[47]  Dans la même veine, la fiducie s’appuie sur le passage suivant de Andres Wines Ltd. v E & J Gallo Winery (1975), [1976] 2 CF 3 (CAF) [Andres], à la page 18 :

[traduction]

Étant donné les faits de l’espèce, je suis d’avis qu’ici aussi l’enregistrement de la marque « SPANADA » par l’intimée et son emploi par celle-ci en liaison avec ses vins viserait à tromper le public ou à l’induire en erreur et qu’il s’ensuit que la marque n’est pas adaptée pour distinguer les marchandises de l’intimée. L’opposition de l’appelante en application de l’alinéa 37(2)d) de la Loi sur les marques de commerce doit donc être accueillie.

[48]  La fiducie renvoie également la Cour au paragraphe suivant de Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd. c Tune Masters (1984), 82 CPR (2d) 128 (C.F. 1re inst.), à la page 144 :

Le propriétaire d’une marque de commerce peut perdre son droit exclusif sur cette marque s’il en permet une large utilisation par les commerçants concurrents, soit par concurrence, soit par action négative. Dans ce cas, la marque cesse d’être distinctive des marchandises et services du propriétaire. Mais un propriétaire ne perd pas ses droits sur la marque du fait de leur violation par un tiers.

[Soulignement ajouté par la demanderesse]

[49]  En réponse à ces arguments, Navsun adopte la thèse selon laquelle la question de savoir si son usage de sa propre marque constituait une violation des droits de la fiducie n’est pas une question dont était saisie la Commission ou dont la Cour est maintenant saisie. Au lieu de cela, la question applicable consiste à trancher si l’usage par Navsun, peu importe s’il constituait une contrefaçon, a annulé le caractère distinctif de la marque de la fiducie. Navsun prétend que la jurisprudence est claire sur le fait qu’un emploi constituant une contrefaçon peut faire perdre à une marque son caractère distinctif, bien que la question est de savoir dans quelle mesure il faudrait le faire pour atteindre un tel résultat (voir Farside Clothing Ltd. c Caricline Ventures Ltd., 2002 CAF 446, au paragraphe 9). Je suis d’accord avec cet énoncé du droit. En effet, comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans Auld Phillips Ltd. c Suzanne’s Inc., 2005 CAF 429, aux paragraphes 5 à 7, il est possible qu’un contrefacteur unique fasse perdre son caractère distinctif à une marque, même si la Cour a également indiqué que cela ne se produira que rarement. En fin de compte, la question de savoir si une marque de commerce a perdu son caractère distinctif est une question de fait, ou une question mixte de fait et de droit, qui doit être tranchée en fonction de la preuve présentée dans une affaire donnée.

[50]  Conformément à cette compréhension de la loi, je ne considère pas que Miranda CF ou Andres appuient la proposition avancée par la fiducie selon laquelle il existe une règle de droit voulant qu’une partie ne puisse pas s’appuyer sur son propre usage d’une marque de commerce portant à confusion pour contester les droits d’une autre personne à l’égard de la marque. Il faut se rappeler que la question que la Commission devait trancher n’était pas de savoir si la marque de Navsun était distinctive de sa propre publication, mais plutôt de savoir si l’existence de cette marque dans le marché annulait le caractère distinctif de la marque de la fiducie. Un principe du genre préconisé par la fiducie serait incompatible avec la jurisprudence selon laquelle un usage constituant une contrefaçon peut entraîner la perte du caractère distinctif. Selon mon interprétation, les décisions Miranda CF et Andres se fondent sur leurs faits respectifs et je ne considère pas que la décision démontre que la Commission a commis une erreur de droit en s’appuyant sur l’usage par Navsun de sa marque pour annuler le caractère distinctif de la marque de la fiducie.

[51]  J’observe que la mesure dans laquelle le propriétaire d’une marque de commerce prend des mesures pour protéger sa marque peut être pertinente pour déterminer si son caractère distinctif est annulé par une marque contrefaite (voir Mattel U.S.A. Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 26; Philip Morris Inc. c Imperial Tobacco Ltd (1987), 17 CPR (3d) 289 (CAF) [Philip Morris CAF], aux pages 297 et 298). La fiducie soutient que les mesures qu’elle a prises pour défendre sa marque de commerce empêchent de tirer une conclusion voulant que son caractère distinctif ait été annulé. Cependant, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, que j’examinerai plus loin dans les présents motifs.

[52]  Le dernier argument qui, selon moi, soulève une pure question de droit ou une question de droit isolable est l’observation de la fiducie voulant que l’usage d’une marque de commerce par un opposant soit pertinent uniquement s’il s’agissait d’un utilisateur antérieur de la marque au Canada. La fiducie se fonde sur l’alinéa 16(1)a) de la Loi et prétend que le fait de tenir compte de l’usage par Navsun de sa marque en lien avec son caractère distinctif, lorsque la Commission a conclu qu’elle n’avait pas établi une utilisation ou une révélation antérieures, est incompatible avec l’ordre de priorité établi par la Loi.

[53]  Je ne souscris pas à cette thèse. L’alinéa 16(1)a) de la Loi dispose que l’enregistrement d’une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada n’est pas possible si, à la date à laquelle elle a été employée ou révélée pour la première fois, la marque créait une confusion avec une marque de commerce qui avait déjà été employée ou révélée au Canada par une autre personne. Cependant, la fiducie n’a cité aucune décision qui laisserait entendre que le droit de s’opposer au caractère distinctif d’une marque demandée, en application de l’alinéa 38(2)d) et de l’article 2 de la Loi, est limité à ces personnes. À mon avis, une telle conclusion serait incompatible avec le principe, comme l’a reconnu la fiducie dans son mémoire des faits et du droit, que la date importante pour apprécier le caractère distinctif est la date du dépôt de l’opposition à la demande, par opposition à l’appréciation de la confusion en application de l’alinéa 16(1)a) de la Loi, qui est expressément tenue d’être menée à compter de la date de la première utilisation par l’utilisateur antérieur allégué.

[54]  Ayant conclu à l’absence de pures erreurs de droit dans la décision, je passe à l’examen des conclusions de la Commission concernant le caractère distinctif de la marque de la fiducie.

D.  En appliquant la norme de contrôle applicable, compte tenu des nouveaux éléments de preuve déposés en appel, la Commission a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions concernant le caractère distinctif de la marque de la demanderesse?

1)  Importance des nouveaux éléments de preuve

[55]  Comme je l’ai expliqué précédemment, le choix de la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit de la Commission est influencé par l’importance des nouveaux éléments de preuve présentés en appel. La fiducie a présenté 21 affidavits comme nouveaux éléments de preuve dans le présent appel. Ces affidavits peuvent se résumer ainsi :

  1. l’affidavit de M. Barjinder Singh Hamdard, le rédacteur en chef du journal Ajit Daily, dont les éléments de preuve comprenaient une explication de l’histoire du journal, de sa diffusion en Inde, du nombre d’abonnés canadiens entre 1990 et 2010, ainsi que de sa connaissance du journal Ajit Weekly depuis 1995;
  2. trois affidavits de Satpaul Singh Johal, un correspondant employé par la fiducie pour écrire pour le journal Ajit Daily au Canada, dont les éléments de preuve comprennent des statistiques sur le nombre d’immigrants punjabis au Canada et de statistiques obtenues auprès du site Web d’un tiers (Alexa.com) concernant le nombre de visiteurs de la version en ligne du journal Ajit Daily en provenance du Canada. M. Johal dépose également que, depuis son arrivée au Canada en 2001, il a dû préciser presque quotidiennement à des lecteurs confus du journal Ajit Daily que celui-ci et le journal Ajit Weekly sont deux entités distinctes;
  3. les affidavits de trois autres journalistes employés par la fiducie pour écrire pour le journal Ajit Daily au Canada, un résidant en Ontario et les deux autres, en Alberta, qui affirment que des Punjabis vivant au Canada les ont questionnés à propos du lien entre le journal Ajit Daily et le journal Ajit Weekly, car ils supposaient que les deux publications étaient liées;
  4. l’affidavit de Sukhvinder Singh, le directeur du marketing de la fiducie, dont le témoignage comprend des renseignements obtenus auprès de Google Analytics concernant le nombre de visiteurs de la version en ligne du journal Ajit Daily en provenance du Canada;
  5. les affidavits de treize résidents canadiens d’origine punjabi, qui ont immigré en provenance de l’Inde entre 1970 et 2009, et qui vivent maintenant en Ontario ou en Alberta. Ces déposants affirment avoir lu le journal Ajit Daily en Inde, dans certains cas qu’ils ont lu le journal Ajit Daily régulièrement sur Internet depuis leur arrivée au Canada et que, après avoir vu le journal Ajit Weekly pour la première fois au Canada, ils croyaient qu’il s’agissait de la même publication ou d’une publication qui y était liée.

[56]  Bref, les nouveaux éléments de preuve sont présentés par la fiducie pour établir que le journal Ajit Daily est bien connu des membres de la communauté punjabi en Inde, que le nombre de membres de cette communauté qui ont immigré au Canada est passé d’environ 136 000 en 1991 à 450 000 en 2011, et que les immigrants punjabis au Canada connaissent le journal Ajit Daily et, à tout le moins initialement, ils supposent que le journal Ajit Weekly est la même publication ou une publication qui y est liée. Les nouveaux éléments de preuve visent également à établir que, même si le nombre d’abonnés canadiens à la version imprimée du journal Ajit Daily est petit, un nombre considérablement plus important de Canadiens d’origine punjabi lisent la version électronique du journal Ajit Daily. Les données de Google Analytics indiquent une moyenne de 260 000 visites par mois du site Web de la fiducie entre mai et août 2008, et entre 215 000 et 272 000 visites par mois, certains mois donnés, entre mai 2013 et décembre 2014.

[57]  Puisque j’ai conclu plus tôt dans les présents motifs que le caractère distinctif d’une marque peut uniquement être acquis par son usage au Canada, la plupart des nouveaux éléments de preuve de la fiducie ne sont pas pertinents et, par conséquent, n’auraient pas pu avoir une incidence importante sur la décision de la Commission. Cela s’applique aux éléments de preuve concernant la réputation du journal Ajit Daily en Inde, l’ampleur de l’immigration au Canada, et la confusion de la part des immigrants punjabis qui arrivent et connaissent le journal Ajit Daily.

[58]  À l’étude des éléments de preuve concernant le nombre de Canadiens d’origine punjabi qui lisent la version électronique du journal Ajit Daily, je conclus une fois de plus que ces nouveaux éléments de preuve ne sont pas pertinents quant à la question du caractère distinctif dont était saisie la Commission. L’article 2 de la Loi définit ainsi le sens du terme « distinctive » :

distinctive Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. (distinctive)

distinctive, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the goods or services in association with which it is used by its owner from the goods or services of others or is adapted so to distinguish them; (distinctive)

[soulignement ajouté]

[Emphasis added]

[59]  L’article 2 de la Loi définit ainsi le sens du terme « emploi » ou « usage » :

emploi ou usage À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des produits ou services. (use)

use, in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with goods or services; (emploi ou usage)

[60]  Le paragraphe 4(1), qui porte sur l’emploi d’une marque de commerce en lien avec des produits, dispose à son tour ce qui suit :

Quand une marque de commerce est réputée employée

When deemed to be used

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4 (1) A trade-mark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

[61]  Les conditions nécessaires pour établir le caractère distinctif ont été résumées comme suit dans Philip Morris Inc. c Imperial Tobacco Ltd (1985), 7 CPR (3d) 254 (CFPI) [Philip Morris CF], à la page 270; confirmée par Philip Morris CAF :

[traduction]

D’après ces définitions, on peut voir en quoi la perte du caractère distinctif peut annuler l’enregistrement d’une marque de commerce, puisque la nature même d’une marque de commerce est de permettre de distinguer les marchandises qui y sont associées des autres. On peut également voir que le caractère distinctif exige que trois conditions soient remplies : 1) la marque doit être reliée à un produit (ou marchandise); 2) le « propriétaire » doit utiliser ce lien entre la marque et son produit, en plus de fabriquer et de vendre le produit; 3) ce lien permet au propriétaire de la marque de distinguer son produit de celui d’autres fabricants.

[62]  Ce qui ressort à la fois des dispositions législatives susmentionnées et du présent résumé est que l’analyse du caractère distinctif s’intéresse à la question de savoir si une marque distingue les produits et services particuliers en lien avec lesquels elle est employée, un tel usage étant par des moyens prévus par l’article 4 de la Loi. Même si la distribution au Canada de documents imprimés portant la marque de la fiducie constitue un usage de cette marque en lien avec ces produits, je souscris à l’observation de Navsun selon laquelle les éléments de preuve concernant l’usage par la fiducie de sa marque sur son site Web et dans ses publications électroniques ne sont pas pertinents pour savoir si la marque est distinctive des documents imprimés, car un tel usage ne constitue pas un usage en lien avec ces documents. Plus tôt dans les présents motifs, j’ai rejeté l’argument de la fiducie selon lequel, même si sa demande d’enregistrement de sa marque de commerce s’appliquait aux [traduction] « publications imprimées et aux journaux », ce libellé est suffisamment général pour s’appliquer à son journal électronique. En conséquence, je conclus que la preuve concernant le nombre de Canadiens d’origine punjabi qui lisent la version électronique du journal Ajit Daily n’est pas pertinent quant au caractère distinctif de la marque de la fiducie et je conclus que de tels éléments de preuve n’auraient pas pu avoir une incidence importante sur la décision de la Commission.

[63]  Les conclusions susmentionnées éliminent l’importance des affidavits des treize résidents canadiens d’origine punjabi, dont la preuve de confusion entre le journal Ajit Daily et le journal Ajit Weekly est fondée sur le fait d’avoir lu le journal Ajit Daily en Inde avant d’immigrer au Canada et, dans certains cas, sur la lecture du journal Ajit Daily sur Internet depuis leur arrivée au Canada. L’affidavit de Sukhvinder Singh, le directeur du marketing de la fiducie, est également non pertinent et sans importance, car ses éléments de preuve portaient essentiellement sur des renseignements quant au nombre de visiteurs de la version en ligne du journal Ajit Daily en provenance du Canada. La même conclusion s’applique au témoignage de Satpaul Singh Johal, le correspondant canadien pour le compte de la fiducie, à propos du nombre de visiteurs de la publication en ligne en provenance du Canada. L’affidavit de M. Barjinder Singh Hamdard fournit des renseignements sur le nombre d’abonnés canadiens à la version imprimée du journal entre 1990 et 2010. Ces renseignements sont pertinents, mais pas importants, car ils n’ajoutent pas grand-chose aux éléments de preuve qui ont déjà été présentés à la Commission ou n’en renforcent pas la valeur probante.

[64]  Il reste donc l’examen du témoignage de Satpaul Singh Johal et des trois autres journalistes travaillant pour la fiducie au Canada, en ce qui a trait à la confusion entre le journal Ajit Daily et le journal Ajit Weekly qui leur a été exprimée par des consommateurs canadiens d’origine punjabi. Si on met de côté les préoccupations soulevées par Navsun quant au fait que ces témoignages constituent du ouï-dire, ces affidavits n’indiquent pas d’une manière suffisamment claire si l’exposition de ces consommateurs au journal Ajit Daily découlait de sa lecture en Inde avant d’émigrer, de la lecture de la version électronique au Canada, ou du fait de faire partie du petit nombre d’abonnés à la version imprimée au Canada. Seul ce dernier point signifie que l’exposition aurait pu découler de l’usage de la marque par la fiducie au Canada en lien avec les produits qui font l’objet de sa demande d’enregistrement de la marque. Étant donné que les affidavits des journalistes ne me permettent de trancher si l’un des éléments de preuve relatifs à la confusion appartient à cette catégorie, je ne peux pas conclure qu’ils sont pertinents ou importants.

[65]  Je conclus donc qu’aucun des nouveaux éléments de preuve n’est important et que les conclusions de la Commission concernant le caractère distinctif de la marque de la fiducie doivent être examinées d’après la norme de la décision raisonnable.

2)  Le caractère raisonnable des conclusions de la Commission quant au caractère distinctif

[66]  Comme je l’ai indiqué précédemment, la mesure dans laquelle le propriétaire d’une marque de commerce prend des mesures afin de protéger sa marque peut être pertinente quant à savoir si son caractère distinctif est annulé par une marque contrefaite. La fiducie soutient qu’elle a commencé à contester l’usage de la marque AJIT par Navsun en 2004, et a entrepris son action en commercialisation trompeuse en 2010. Elle a également obtenu l’enregistrement d’une marque de commerce pour une autre marque connexe et a présenté la demande d’enregistrement de la marque AJIT qui fait l’objet du présent appel. Je comprends que les procédures engagées en 2004 par Navsun concernant l’enregistrement pour son propre usage de la marque AJIT au Canada et que, bien que la demande de Navsun ait été accueillie, elle a subséquemment annulé cet enregistrement lorsque la fiducie a présenté une demande en vue de la radier. L’action en commercialisation trompeuse engagée en 2010 est la procédure qui a fait l’objet de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Sadhu Singh Hamdard Trust, à la suite de laquelle les allégations de la fiducie dans cette action doivent faire l’objet d’une nouvelle décision par la Cour fédérale.

[67]  Je n’estime pas que l’historique de ce contentieux canadien mine le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission selon laquelle, à la date du dépôt de son opposition, le 28 décembre 2012, la marque de Navsun était suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque de la fiducie. Bien que la fiducie ait entrepris des efforts en 2004 pour empêcher Navsun d’avoir un monopole sur l’usage de la marque au Canada, elle n’a pas pris de mesures pour empêcher Navsun d’employer la marque avant d’engager son action en commercialisation trompeuse et la présente demande d’enregistrement de sa propre marque en 2010. À ce moment-là, Navsun utilisait sa marque au Canada depuis 17 ans. Même si l’on devait tenir compte des mesures que la fiducie a commencé à prendre en 2004, la marque de Navsun était alors employée depuis plus d’une décennie.

[68]  La fiducie fait également valoir que la Commission a commis une erreur en supposant que l’usage par Navsun de sa marque avait fait en sorte que celle-ci était devenue distinctive de Navsun, car elle prétend que le simple usage ne suffit pas à supplanter la signification antérieure établie d’une autre marque. La thèse de la fiducie est que, pour avoir gain de cause dans la contestation du caractère distinctif de sa marque, Navsun était tenue d’informer le public qu’il s’agissait d’une source nouvelle et différente des produits pertinents et de prouver qu’elle l’avait fait avec succès. Elle s’appuie sur MC Imports Inc. v AFOD Ltd., 2016 CAF 60 [MC Imports], aux paragraphes 78 à 82, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle la marque de la demanderesse n’était pas enregistrable et était invalide en application de l’alinéa 12(1)a) de la Loi, car les éléments de preuve concernant la durée de son usage ne sont pas suffisants pour s’acquitter du fardeau de démontrer que la marque avait acquis le caractère distinctif dans l’esprit des consommateurs. Cette affaire portait sur la marque descriptive LINGAYEN, qui décrivait la municipalité aux Philippines qui était le lieu d’origine des produits auxquels la marque était associée, et la Cour s’est penchée sur ce qu’elle a appelé un argument implicite en application du paragraphe 12(2) voulant que la marque ait été par ailleurs utilisée au Canada de façon à devenir distinctive.

[69]  J’interprète la décision dans MC Imports comme reposant sur la question et les éléments de preuve propres à cette affaire et non pas comme prescrivant une règle de droit qui minerait le caractère raisonnable de la décision de la Commission en l’espèce. La Commission a conclu que la marque de Navsun était suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque demandée à la date importante et, subsidiairement, elle a décrit cette conclusion comme voulant que la population cible lisant le journal canadien AJIT reconnaisse l’éditeur canadien comme étant la source du journal, plutôt que la demanderesse. La conclusion de la Commission s’appuyait sur les éléments de preuve selon lesquels le tirage du journal de Navsun avait augmenté à 11 000 par semaine chez son imprimeur de Vancouver, et à 13 000 par semaine chez son imprimeur de Toronto, comparativement aux six abonnés canadiens au journal de la fiducie entre 2002 et 2010. Même si la conclusion de la Commission, en ce qui concerne les réputations respectives des marques des parties, était fondée sur le tirage, par opposition aux éléments de preuve fondés sur la perception des consommateurs, j’estime que son raisonnement et sa conclusion appartiennent aux issues possibles et acceptables et qu’ils sont raisonnables.

[70]  J’observe que l’on pourrait affirmer que l’autre description de sa conclusion, à savoir que la population cible lisant le journal canadien AJIT reconnaîtrait l’éditeur canadien comme étant la source du journal, plutôt que la demanderesse, s’applique également à une conclusion quant au caractère distinctif de la marque de Navsun qui était nécessaire pour examiner son motif d’opposition. Comme je l’ai expliqué plus tôt dans les présents motifs, la question que la Commission était tenue de trancher était de savoir si l’usage par Navsun de sa marque avait annulé le caractère distinct de la marque de la fiducie, et non pas de savoir si la marque de Navsun était distinctive de ses propres publications. Cependant, la formulation par la Commission de la mesure dans laquelle la marque de Navsun était devenue connue est conforme à sa conclusion selon laquelle la marque de Navsun était suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque de la fiducie, ce qui à son tour est conforme à l’orientation jurisprudentielle à l’égard de la question que la Commission devait trancher.

[71]  La fiducie s’appuie également sur la décision de notre Cour dans Heitzman v 751056 Ontario Ltd. (1990), 34 CPR (3d) 1 [Heitzman], aux paragraphes 16 et 17, pour étayer sa thèse selon laquelle Navsun avait l’obligation d’informer le public qu’il s’agissait d’une source nouvelle et différente de journaux autre que la fiducie. Cependant, je conclus que cette décision offre peu d’aide à la fiducie, car elle portait sur des circonstances très différentes de celles en l’espèce. La question dans Heitzman était de savoir si la marque de commerce de la demanderesse devait être radiée, car la marque avait cessé d’être distinctive de ses produits, après avoir modifié la source de fabrication des pianos qu’elle vendait. C’est dans ce contexte que la Cour a conclu que la défenderesse avait une obligation, pour maintenir la validité de sa marque, d’informer le public que la source du produit qu’elle vendait sous cette marque avait changé.

[72]  Enfin, la fiducie s’appuie sur Alibi Roadhouse Inc. c Grandma Lee’s International Holdings Ltd. (1997), 136 FTR 66, pour étayer la thèse selon laquelle, dans la mesure où la marque demeure distinctive dans un segment géographique bien distinct du marché pertinent, elle demeure distinctive. La fiducie soutient que Navsun a uniquement distribué ses journaux dans quelques centres urbains et qu’il n’existe aucun élément de preuve selon lequel sa marque est connue dans la plupart des régions du Canada. Navsun semble accepter qu’il soit possible pour une marque d’acquérir un caractère distinctif local, mais elle prétend que la fiducie n’a présenté aucun élément de preuve quant à l’endroit au Canada où son journal est diffusé et que la présente espèce n’en est pas une où les marchandises des parties sont limitées à des clients locaux. Je souscris à la thèse de Navsun. Même si la fiducie a raison de dire que les éléments de preuve de Navsun établissent que le journal Ajit Weekly est distribué uniquement en Colombie-Britannique et en Ontario, les éléments de preuve de la fiducie ne présentent aucune ventilation géographique au Canada quant à l’endroit où le journal Ajit Daily est distribué. Compte tenu du dossier de preuve dans la présente affaire, la décision de ne tirer aucune conclusion quant au caractère distinctif local est raisonnable.

[73]  Je conclus donc que la décision est raisonnable et, par conséquent, je rejette le présent appel.

VI.  Dépens

[74]  Chaque partie a demandé des dépens à l’égard du présent appel. À l’audience, les parties se sont entendues sur la quantification des dépens à accorder à la partie qui a gain de cause. Le montant entendu est de 11 500 $, la TVH applicable devant être ajoutée uniquement si les dépens sont accordés à la défenderesse. Étant donné que la défenderesse est la partie ayant gain de cause, en tenant compte de la TVH de 13 % applicable en Ontario où la défenderesse est établie, j’accorde dans mon jugement des dépens à la défenderesse fixés à 12 995 $.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-185-16

LA COUR REJETTE le présent appel, avec dépens fixés à 12 995 $ en faveur de la défenderesse, y compris les honoraires, les débours et la TVH.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-185-16

INTITULÉ :

SADHU SINGH HAMDARD TRUST c NAVSUN HOLDINGS LTD.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 OCTOBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JANVIER 2018

COMPARUTIONS :

David Allsebrook

Pour la DEMANDERESSE

Tamara Ramsay

Pour la DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ludlow Law Office

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Chitiz Pathak

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la DÉFENDERESSE

 

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