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Date : 20180112


Dossier : IMM-2940-17

Référence : 2018 CF 28

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2018

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

LOVINA NJIDEKA MBAOGU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Mbaogu, demande un contrôle judiciaire de la décision rendue le 27 juin 2017 par une agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (l’agente) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), qui a refusé de réexaminer sa décision de ne pas reporter le renvoi de Mme Mbaogu du Canada (la décision).

[2]  La Cour ayant refusé d’entendre une requête visant à surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi, Mme Mbaogu a été renvoyée du Canada le 5 juillet 2017 vers son pays d’origine, le Nigéria.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée en raison de son caractère théorique.

I.  Résumé des faits

[4]  Mme Mbaogu vivait au Canada depuis le 2 novembre 2009; elle était arrivée avec son époux qui travaillait comme médecin au Canada. Son mariage a toutefois pris fin peu de temps après son arrivée au Canada, car elle était victime de violence physique, sexuelle et psychologique de la part de son époux. Lorsque son fils est né en décembre 2009, la demanderesse était déjà séparée de son époux, qui est par la suite retourné au Nigéria en 2011.

[5]  Mme Mbaogu a obtenu son divorce en avril 2013 et, cette même année, elle a appris que son époux avait retiré sa demande de pension alimentaire au profit de son épouse. Elle devenait donc susceptible de renvoi.

[6]  Mme Mbaogu a présenté une demande d’asile le 14 mai 2013, invoquant sa crainte d’être de nouveau victime de violence de la part de son ex-époux, au Nigéria. La Section de la protection des réfugiés a toutefois conclu qu’elle n’était pas une personne à protéger. La demande d’autorisation du contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée le 13 août 2013.

[7]  Mme Mbaogu a déposé plusieurs demandes par la suite, notamment deux demandes de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire et une demande d’examen des risques avant renvoi. Toutes ces demandes ont été rejetées. Mme Mbaogu a présenté une troisième demande pour motifs d’ordre humanitaire en janvier 2017; la décision dans cette affaire est toujours en instance.

[8]  Le processus visant à renvoyer Mme Mbaogu du Canada a été entamé en août 2016. Son renvoi a été reporté verbalement à deux reprises par l’agente, pendant que Mme Mbaogu cherchait à obtenir la garde exclusive de son fils, ce qu’elle a finalement obtenu le 3 avril 2017. À ce moment-là, Mme Mbaogu avait déjà décidé de laisser son fils au Canada. Lorsque l’agente a eu la confirmation que la tante de Mme Mbaogu serait la tutrice de l’enfant, le renvoi a été fixé vers le 3 juillet 2017, et l’ASFC a entrepris d’organiser les préparatifs du voyage.

[9]  Le 17 juin 2017, l’avocat a écrit à l’agente pour lui demander que Mme Mbaogu soit autorisée à acheter son propre billet d’avion et qu’on lui accorde une certaine souplesse quant à sa date de départ. Aucun document à l’appui n’a été joint à cette demande et aucune autre date de départ n’a été proposée. Bien que les motifs à l’appui de cette demande aient été difficiles à cerner, ceux-ci semblaient liés à la demande pour motifs d’ordre humanitaire en instance, à l’intérêt supérieur de l’enfant et à un facteur qui, selon l’agente, était lié à la « responsabilité du renvoi ». L’agente a examiné ces facteurs et, étant convaincue qu’un report n’était pas justifié, elle a rejeté la demande par voie de lettre datée du 21 juin 2017, qui a été signifiée à Mme Mbaogu accompagnée d’une directive de se présenter pour son renvoi le 5 juillet 2017.

[10]  Le 27 juin 2017, l’avocat de Mme Mbaogu a envoyé une autre lettre à l’agente, cette fois-ci pour lui demander de reporter le renvoi de trois mois. Le 29 juin 2017, l’agente a de nouveau rejeté la demande de Mme Mbaogu.

[11]  Le 4 juillet 2017, Mme Mbaogu a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Le même jour, une requête visant à surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi a aussi été présentée, mais celle-ci a été rejetée. Mme Mbaogu a été renvoyée au Nigéria le 5 juillet 2017, ainsi qu’il était prévu.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[12]  Dans sa lettre du 27 juin 2017, Mme Mbaogu demandait que son renvoi soit reporté de trois mois afin que son fils puisse bénéficier d’une période « d’adaptation » et qu’elle puisse obtenir des soins médicaux d’urgence, sa santé mentale s’étant grandement détériorée depuis qu’elle avait reçu la confirmation de sa date de renvoi. Divers documents, dont un rapport du psychologue daté du 19 juin 2017, une lettre d’un médecin du Nigéria et des copies d’ordonnances, ont été joints à l’appui de sa demande. Cette lettre exhortait également l’agente à examiner les motifs impérieux d’ordre humanitaire invoqués pour reporter le renvoi de Mme Mbaogu et exposait, à l’intention de l’agente, les lignes directrices suivies par les agents chargés d’étudier les demandes pour motifs d’ordre humanitaire.

[13]  L’agente a estimé que le réexamen demandé était fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme, sur la demande pour motifs d’ordre humanitaire en instance, sur l’intérêt supérieur de l’enfant à long terme, sur les besoins médicaux de Mme Mbaogu et sur l’absence de soins médicaux au Nigéria.

[14]  L’agente a examiné chacun des aspects de la demande en détail. Dans sa réponse, l’agente a commencé par mentionner que l’ASFC avait l’obligation, en vertu du paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27, d’exécuter les mesures de renvoi dès que possible, lorsque rien ne s’y oppose. De plus, les agents d’exécution disposent de peu de pouvoir discrétionnaire pour reporter l’exécution des mesures de renvoi et, si un agent choisit d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, [traduction] « il doit alors le faire tout en poursuivant l’exécution de la mesure de renvoi dès que possible ».

[15]  En ce qui concerne le report de trois mois demandé pour donner au fils de Mme Mbaogu le temps de s’adapter à sa tutrice, l’agente a jugé que la demanderesse avait déjà eu suffisamment de temps pour prendre les dispositions nécessaires et que la tante de la demanderesse, qui était depuis longtemps très présente dans la vie de l’enfant, saurait bien prendre soin de l’enfant.

[16]  Quant à la demande pour motifs d’ordre humanitaire en instance, l’agente a noté qu’il ne relève pas de son autorité de rendre, ou de revoir, une décision concernant une demande pour motifs d’ordre humanitaire et que de telles demandes n’ont pas d’incidence sur la validité d’une mesure de renvoi. De plus, comme les délais de traitement des demandes pour motifs d’ordre humanitaire sont d’environ 25 mois, l’agente a jugé que ces délais ne cadraient pas avec un report de courte durée.

[17]  Enfin, en ce qui concerne les questions liées à la santé mentale de Mme Mbaogu, notamment la question de savoir si celle-ci pourrait obtenir des soins médicaux adéquats au Nigéria, l’agente a examiné le rapport du psychologue et la lettre d’un médecin du Nigéria. L’agente a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour démontrer que Mme Mbaogu n’était pas apte à voyager par avion, ni qu’elle avait besoin d’un traitement de suivi à plus long terme qu’elle ne pourrait pas obtenir au Nigéria.

[18]  Dans l’ensemble, l’agente a jugé que les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure que la vie de Mme Mbaogu ou celle de son fils serait menacée ou que Mme Mbaogu serait exposée à des sanctions extrêmes ou à un traitement inhumain si elle est renvoyée. Pour ces motifs, elle a refusé de réexaminer sa décision antérieure de ne pas reporter la mesure de renvoi.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[19]  La norme de contrôle qui s’applique à la révision d’une décision rendue par un agent d’exécution à l’égard d’une demande visant à reporter l’exécution d’une mesure de renvoi est celle de la décision raisonnable : Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron], au paragraphe 25; Mota Furtado c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 963, au paragraphe 19. La même norme de contrôle s’applique à un refus de réexaminer une telle décision.

[20]  Comme Mme Mbaogu a déjà été renvoyée du Canada, la question déterminante en l’espèce est de savoir s’il s’agit d’une question théorique et, le cas échéant, si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre la demande, quoi qu’il en soit.

IV.  Analyse

[21]  Citant Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski], le juge Diner a récemment passé en revue le critère du caractère théorique dans Harvan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1026, au paragraphe 7 :

[7]  Le critère du caractère théorique comporte une analyse en deux temps. Dans un premier temps, il faut déterminer si la décision de la Cour aurait un effet pratique qui permettrait de résoudre un litige actuel entre les parties : la Cour se demande si les questions sont devenues purement théoriques et si le différend a disparu, auquel cas le débat est devenu théorique. Dans un deuxième temps, si le critère de la première étape est rempli, la Cour décide si elle doit – malgré le fait que l’affaire est théorique – exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à la seconde étape, la Cour doit être guidée par les trois assises de la doctrine du caractère théorique :

i.  l’existence d’un contexte contradictoire;

ii.  le souci d’économie des ressources judiciaires;

iii.  la question de savoir si la Cour empiéterait sur la fonction législative plutôt que d’exercer sa fonction juridictionnelle au sein du gouvernement.

[22]  Pour déterminer si la présente affaire est théorique, la première étape consiste à déterminer si la décision dans le présent contrôle judiciaire aurait quelque effet pratique qui permettrait de résoudre le litige entre les parties.

[23]  Mme Mbaogu demande un contrôle judiciaire du refus de l’agente de réexaminer sa demande de reporter de trois mois l’exécution de la mesure de renvoi à son égard. Il n’est toutefois plus possible de reporter le renvoi demandé, puisque Mme Mbaogu a déjà été renvoyée au Nigéria et que le délai de trois mois est maintenant expiré. Il est donc impossible d’accorder la mesure de redressement demandée par Mme Mbaogu. Par conséquent, il n’y a pas de litige actuel entre les parties.

[24]  L’avocat de Mme Mbaogu fait valoir que la question n’est pas aussi simple que cela et que, si le refus de reporter ne peut être examiné après le renvoi d’un demandeur, il s’ensuit un [traduction] « mépris du pouvoir exécutif » qui a pour effet « de tronquer et de bafouer les droits des demandeurs, du simple fait du renvoi ».

[25]  Le problème avec cet argument est que la mesure de renvoi de Mme Mbaogu a été examinée à plusieurs reprises. De fait, en plus d’au moins deux demandes verbales de report qui ont été accordées, l’agente a examiné en profondeur la demande initiale de report de Mme Mbaogu et l’a de nouveau examinée dans le cadre de la décision contestée. La Cour a également rendu deux ordonnances dans le cadre desquelles le renvoi de la demanderesse a été pris en compte. Le jour même où Mme Mbaogu a présenté la présente demande de contrôle judiciaire, son avocat a déposé une requête visant à surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi. Cette requête a été entendue et rejetée, auquel moment l’avocat a présenté à la Cour d’autres pièces de correspondance à examiner. Là encore, la requête en sursis a été examinée, puis rejetée par la Cour.

[26]  Mais, plus important encore, je note que, dans sa demande initiale, Mme Mbaogu avait demandé un report de trois mois pour offrir à son fils une période d’adaptation. Or, cette période est déjà écoulée. Et même si la Cour avait accordé à Mme Mbaogu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, le litige opposant les parties au sujet du refus de reporter serait devenu théorique, puisque la durée du sursis demandé est maintenant écoulée. Voir l’arrêt Baron, précité, au paragraphe 37.

[27]  Enfin, j’ai tenu compte du fait que la demande pour motifs d’ordre humanitaire présentée par Mme Mbaogu sera instruite malgré le renvoi de cette dernière et qu’il n’y aura aucune conséquence accessoire qui justifierait d’entendre le présent contrôle judiciaire (Borowski, précité, à la page 363). Aucun des divers arguments soulevés par Mme Mbaogu, concernant le bien-fondé du refus, ne permettra d’éliminer le fait que le délai de trois mois est maintenant écoulé.

[28]  Compte tenu de tous ces facteurs, la Cour ne voit aucun motif d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre cette affaire.

[29]  Par conséquent, pour les motifs énoncés, la demande est rejetée.

[30]  Aucune des parties ne considère qu’il y a une question à certifier. Je suis d’accord.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2940-17

LA COUR rejette la présente demande. Il n’y a aucune question sérieuse d’importance générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2940-17

 

INTITULÉ :

LOVINA NJIDEKA MBAOGU c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Uzo Aghaegbuna

 

Pour la demanderesse

 

Galina Bining

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stanley Law

Avocat

Calgary (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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