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Date : 20180110


Dossier : IMM-2790-17

Référence : 2018 CF 22

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 10 janvier 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

CONCHITA FERRARO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Ferraro demande la révision d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) le 1er juin 2017, qui a conclu que son mariage à un citoyen de la République dominicaine n’était pas authentique. La SAI a rejeté la demande de parrainage de Mme Ferraro au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. La SAI a conclu que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait à acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), selon l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR).

[2]  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

I.  Résumé des faits

[3]  La relation entre Mme Ferraro et son époux a débuté en novembre 2011 et il se sont mariés en février 2013. Mme Ferraro et son époux communiquent quotidiennement. Elle lui a rendu visite en République dominicaine à treize occasions.

[4]  Le 21 novembre 2014, la demande de visa de résident permanent de l’époux, à titre de personne appartenant à la catégorie de la famille, a été rejetée, parce que l’agent de visas (l’agent) a conclu que le mariage n’était pas authentique et qu’il avait été contracté à des fins d’immigration.

[5]  Mme Ferraro a interjeté appel auprès de la SAI.

II.  Décision de la SAI

[6]  La SAI a conclu que, du point de vue de Mme Ferraro, le mariage était authentique. La SAI a estimé que le témoignage de Mme Ferraro était cohérent et que les éléments de preuve documentaires corroboraient ses voyages allégués en République dominicaine, ses communications régulières avec son époux et l’aide financière qu’elle lui fournissait. En se basant sur la preuve par comportement du témoin et sur la preuve corroborante de Mme Ferraro, la SAI a noté que de nombreux éléments de preuve attestaient de l’authenticité du mariage pour Mme Ferraro.

[7]  La SAI a conclu en revanche que le mariage n’était pas authentique pour son époux. La SAI a souligné la durée assez longue de leur relation (5 1/2 ans) et la fréquence des communications entre le couple. Elle a néanmoins conclu que les lacunes dans les connaissances de l’époux et les incohérences dans son témoignage indiquaient qu’il ne s’agissait pas pour lui d’un mariage authentique. La SAI a relevé plus particulièrement le fait que l’époux a déclaré qu’il n’avait rien en commun avec Mme Ferraro  et qu’il a fourni une description peu détaillée des activités qu’ils faisaient ensemble.

[8]  La SAI a jugé que le témoignage de l’époux, son incapacité d’expliquer pourquoi il était tombé amoureux de Mme Ferraro ainsi que les différences d’âge et de culture entre les deux conjoints témoignaient d’un manque « d’engagement véritable » de la part de l’époux.

[9]  La SAI a conclu que les éléments de preuve des deux conjoints étaient pertinents, mais qu’il ne suffisait pas que les intentions de Mme Ferraro soient authentiques. Par conséquent, la SAI a conclu qu’aucun élément de preuve ne démontrait l’authenticité du mariage pour l’époux de Mme Ferraro.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[10]  Cette demande ne soulève qu’une seule question : la décision de la SAI selon laquelle le mariage entre Mme Ferraro et son époux n’est pas authentique selon le paragraphe 4(1) du RIPR est-elle raisonnable?

[11]  L’évaluation faite par la SAI de l’authenticité du mariage doit être examinée en regard de la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Moise, 2017 CF 1004, au paragraphe 17).

IV.  Analyse

[12]  La SAI a essentiellement examiné cette affaire en regard de l’alinéa 4(1)b), puis a reporté ses conclusions selon l’alinéa 4(1)b) à l’alinéa 4(1)a). Cependant, les critères prévus aux alinéas 4(1)a) et b) sont disjonctifs (Trieu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 925, au paragraphe 37 [Trieu]). Un demandeur doit démontrer qu’un mariage est à la fois authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la LIPR (Trieu, au paragraphe 36; Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522, aux paragraphes 29 et 30 [Gill]).

[13]  Il existe également une distinction temporelle entre chaque critère. Les allégations en vertu de l’alinéa 4(1)a) sont analysées au moment du mariage, alors que les arguments en vertu de l’alinéa 4(1)b) sont analysés en fonction du moment présent (Gill, aux paragraphes 32 et 33). Comme il a été confirmé dans la décision Lawrence c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 369, au paragraphe 14, un élément de preuve jugé pertinent aux fins de l’application d’un volet du critère peut l’être tout autant pour l’application de l’autre volet.

[14]   Dans cette optique, la SAI a omis d’examiner les éléments de preuve favorables de l’authenticité du mariage en regard de la conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’époux. La SAI a examiné les éléments de preuve concernant Mme Ferraro et a conclu que le mariage était authentique pour elle. Cependant, elle a omis d’expliquer pourquoi ces mêmes éléments de preuve ne pouvaient étayer la même conclusion quant à l’époux.

[15]  Bien qu’il soit vrai que la SAI n’est pas tenue de « tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif […] » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16), et que l’on présume en fait qu’elle a pris en compte tous les éléments de preuve présentés (Florea v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] ACF n598 (CAF), au paragraphe 1), le défaut d’examiner un élément de preuve essentiel et contradictoire constitue une erreur susceptible de révision.

[16]  Dans l’affaire Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17, la Cour a déclaré ce qui suit :

[...] quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[17]  Ce commentaire s’applique en l’espèce. En l’espèce, la SAI n’a pas mentionné les photos de la demanderesse et de son époux, les lettres de soutien de sa famille et des amis et les nombreux messages textes et appels téléphoniques entre le couple, au moment d’apprécier la crédibilité de l’époux. Ces éléments ont été considérés comme une preuve probante pour Mme Ferraro, mais ils n’ont pas été évalués dans le cas de son époux, même s’ils contredisaient les conclusions quant à sa crédibilité. La décision de la SAI va à l’encontre de tout le dossier.

[18]  Par conséquent, cette décision manque de « justification, de transparence et d’intelligibilité » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Ainsi que l’a mentionné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, au paragraphe 27, le défaut de la SAI de tenir compte des éléments de preuve à la lumière du dossier est considéré comme un des « traits distinctifs du caractère déraisonnable ». Une décision ne peut être raisonnable au sens de Dunsmuir si ses conclusions ne sont pas corroborées par les éléments de preuve.

[19]  La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

[20]  Aucune question n’est soumise pour être certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2790-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SAI est annulée et l’affaire est renvoyée pour un nouvel examen.
  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2790-17

INTITULÉ :

CONCHITA FERRARO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 janvier 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 10 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Arthur Yallen

Pour la demanderesse

Laoura Christodoulides

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yallen Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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