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Date : 20180104


Dossier : IMM-1508-17

Référence : 2018 CF 4

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ALEXANDER CASTRILLON GUTIERREZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision, datée du 6 mars 2017 (la décision), par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Section de la protection des réfugiés ou la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi.

II. RÉSUMÉ DES FAITS

[2] Le demandeur est un citoyen de la Colombie. Il est arrivé au Canada le 4 décembre 2016 et a présenté une demande d’asile.

[3] Le fondement de la demande présentée par le demandeur remonte aux années 1990, lorsque les AUC, un groupe paramilitaire colombien, ont ciblé ses parents à des fins d’extorsion. Une fois que la famille a cessé d’être en mesure de payer, les AUC ont menacé les frères et sœurs du demandeur. En raison de ces menaces, les frères et la sœur du demandeur se sont enfuis de la Colombie entre 1997 et 1999. L’un de ses frères s’est installé aux États-Unis après y avoir étudié. Son autre frère et sa sœur ont fui vers le Canada, où ils ont présenté des demandes d’asile qui ont été acceptées. Le demandeur et ses parents sont restés en Colombie.

[4] Les parents du demandeur ont quitté la Colombie le 24 décembre 2006 en raison de leur persécution continue par les AUC. Après être passés par les États-Unis, ils sont arrivés au Canada le 16 janvier 2007. Les demandes d’asile présentées par les parents du demandeur ont été acceptées, tout comme celles présentées par son frère et sa sœur.

[5] Le demandeur a tenté d’immigrer aux États-Unis entre 2012 et 2015. Ses demandes de visa américain ont été rejetées.

[6] Le demandeur allègue qu’à compter d’août 2015, il a commencé à recevoir une série d’appels téléphoniques menaçants, où on lui indiquait qu’il devait quitter la Colombie, ce qui l’a poussé à fuir au Canada. Au début, il n’a pas signalé les menaces aux autorités colombiennes, mais il a déménagé avec sa famille de Medellín à Itagui, en Colombie. Le demandeur affirme avoir quitté la Colombie après avoir reçu un autre appel à Itagui, en septembre 2016. Il a jugé que cet appel était plus menaçant puisque l’auteur de l’appel lui aurait dit qu’il savait que son frère, un agent de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) au Canada, était un mouchard pour la police qui avait coûté beaucoup d’argent à la personne au bout du fil. Le demandeur croyait que ce niveau de détails indiquait que son interlocuteur en savait beaucoup sur sa famille. Le demandeur indique qu’il a déclaré cet appel aux autorités colombiennes avant de quitter le pays, mais il n’a rien entendu de plus de leur enquête.

[7] Le demandeur s’est rendu aux États-Unis sans sa famille. Il a d’abord présenté une demande d’asile aux États-Unis. Après avoir été mis en liberté, le demandeur s’est rendu au Canada et a présenté sa demande d’asile à la frontière canadienne.

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8] La Commission a conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La conclusion de la Commission se fonde sur une décision défavorable sur la crédibilité.

[9] Après avoir indiqué que l’identité du demandeur était établie, le commissaire aborde les préoccupations de la Commission quant à la crédibilité. La décision n’est censée décrire que certaines préoccupations précises de la Commission en raison de leur nombre élevé.

[10] Dans la décision, on indique que le temps pris par le demandeur pour quitter la Colombie est si « inouï » qu’il a une incidence défavorable sur sa crédibilité. Même si les frères et la sœur du demandeur sont partis à la fin des années 1990 et que ses parents sont partis en 2006, le demandeur est resté en Colombie. Étant donné qu’il était soi-disant resté pour prendre soin de ses parents, ce motif pour rester en Colombie a disparu après 2006. La Commission précise que les parents du demandeur, dans l’exposé circonstancié lié à leur demande d’asile, ont indiqué que trois de leurs enfants avaient fait l’objet de menaces dans les années 1990. Étant donné que ses deux frères et sa sœur ont quitté la Colombie à la fin des années 1990, la Commission se demande si le demandeur était l’un de ceux qui ont reçu des menaces. Ce questionnement a amené la Commission à se demander si le demandeur avait également été la cible de menaces plus récemment.

[11] La Commission conclut que la nature des menaces alléguées faites à l’endroit du demandeur n’est pas plausible. Le demandeur a indiqué qu’on lui a dit de quitter la Colombie parce que son frère avait fait perdre de l’argent aux personnes qui proféraient des menaces. Il n’y a pourtant pas eu de demandes d’argent, comme cela avait été le cas pour ses parents. La Commission n’accepte pas que le fait de contraindre le demandeur à quitter la Colombie et à rejoindre sa famille au Canada puisse constituer un acte de représailles. C’est ce qui a amené la Commission à croire que les menaces avaient été concoctées après que l’échec du demandeur dans sa tentative d’obtenir un visa américain ou canadien.

[12] Le demandeur a indiqué que, vu les antécédents de sa famille, sa crainte pour sa vie n’a jamais disparu; il n’a toutefois pas été la cible de menaces en Colombie de 2006 à 2015. Le demandeur a aussi reconnu que sa décision de demander un visa en 2012 était motivée par des facteurs d’ordre économique. La Commission conclut que la crainte indiquée par le demandeur était incompatible avec son défaut de signaler les menaces reçues en 2015 aux autorités colombiennes. La Commission conclut que les tentatives du demandeur de quitter la Colombie depuis 2012 étaient motivées par des facteurs d’ordre économique.

[13] La Commission conclut que le défaut du demandeur de se rendre à la police après le premier appel de menaces est incompatible avec sa déclaration selon laquelle il a toujours eu une crainte de persécution de 2006 à 2015. Le commissaire précise que le demandeur a indiqué au départ dans son témoignage qu’il croyait que le premier appel était une blague de mauvais goût. Lorsque la Commission a fait part de ses préoccupations sur cette explication au demandeur, ce dernier a ajouté qu’il ne faisait aucunement confiance à la police et qu’il n’avait pas ignoré le premier appel. La Commission conclut que cette autre explication contredit directement celle fournie précédemment par le demandeur.

[14] La Commission conteste aussi le moment où le demandeur a décidé de signaler aux autorités colombiennes les menaces reçues en 2016. La Commission indique que le demandeur, dans son témoignage écrit, indique qu’il avait déjà acheté un billet pour quitter la Colombie avant de faire sa déclaration aux autorités. Lors de son témoignage de vive voix, toutefois, le demandeur a affirmé qu’il avait décidé de quitter la Colombie parce qu’il n’était pas satisfait de la réponse officielle à son signalement. La Commission conclut que l’explication du demandeur à cette contradiction est « obtuse et indirecte. » Le demandeur a aussi laissé entendre qu’il avait peut-être perdu un rapport des autorités. La Commission croit que ce rapport n’a jamais existé ou que le demandeur n’a jamais signalé les menaces aux autorités colombiennes. La Commission conclut plutôt que le demandeur ne dit pas la vérité, vu qu’il n’arrive pas à raconter une histoire uniforme.

[15] Le commissaire conclut que le demandeur s’est aussi contredit quand il a affirmé, pendant son témoignage de vive voix, que les auteurs des appels téléphoniques avaient clairement indiqué qu’ils appartenaient aux AUC. Dans son exposé circonstancié, le demandeur a indiqué que le premier appel de menaces avait été fait par un inconnu. Au départ, le demandeur a expliqué cette incohérence en affirmant qu’il avait uniquement soupçonné que les auteurs des premiers appels téléphoniques étaient membres des AUC, parce qu’ils avaient parlé de sa famille, sans toutefois indiquer qu’ils appartenaient aux AUC. Quand on lui a demandé d’expliquer cette incohérence entre cette explication et son témoignage précédent, le demandeur a rejeté la faute sur une erreur dans son exposé circonstancié attribuable au stress qu’il subissait à ce moment-là. La Commission indique que cela n’explique pas les incohérences liées à l’appel dans le témoignage de vive voix du demandeur.

[16] La Commission observe aussi que le récit du demandeur sur ses études n’est pas le même dans le formulaire rempli au point d’entrée et dans son témoignage de vive voix. Le niveau d’études mentionné dans le formulaire rempli précédemment a été corroboré par le témoignage du frère du demandeur. La Commission conclut que le demandeur a fait des déclarations délibérément trompeuses sur ses études en vue d’influencer la décision de la Commission pour savoir s’il pouvait se réinstaller avec succès à Bogota.

[17] Dans l’exposé circonstancié des parents du demandeur dans leur demande d’asile de 2007, il est indiqué que ce dernier a quitté la maison en 2001 et qu’il n’a pas été en contact avec eux depuis. La Commission conteste l’affirmation faite par le demandeur dans son témoignage de vive voix selon laquelle il habitait dans la même ville que ses parents jusqu’à ce qu’ils quittent la Colombie; après leur départ, il a déménagé de Medellín à Bogota. Il a affirmé n’avoir jamais perdu contact avec ses parents jusqu’à ce qu’ils quittent la Colombie. Le demandeur ne savait trop pourquoi ses parents avaient indiqué en 2007 qu’ils avaient perdu contact avec lui. La Commission indique que la déclaration du demandeur dans son témoignage de vive voix selon laquelle il n’avait pas perdu contact avec ses parents contredit l’exposé circonstancié de ces derniers et le propre exposé circonstancié du demandeur. Dans son exposé circonstancié, le demandeur indique avoir perdu contact quand il a déménagé à Bogota, avant le départ de ses parents. La Commission retient que ces contradictions sont secondaires aux allégations du demandeur, tout en concluant qu’elles alimentent les préoccupations générales sur la crédibilité.

[18] En ce qui concerne le témoignage du frère du demandeur, la Commission conclut qu’il est crédible, parce qu’il était simple, sans embellissements et sans incohérences ou contradictions. La Commission conclut toutefois que le témoignage du frère se fondait sur des renseignements fournis par le demandeur plutôt qu’une observation directe. Étant donné que la Commission avait déjà conclu que le demandeur n’était pas crédible, elle n’accorde aucun poids aux éléments de preuve qui se fondent sur la sincérité du demandeur.

[19] La Commission conclut que le métier du frère du demandeur en tant qu’agent de la GRC au Canada n’avait pas exposé le demandeur à un risque de préjudice en Colombie par le passé et ne le ferait pas à l’avenir. La Commission précise que le frère du demandeur a quitté la Colombie il y a près de vingt ans. Il s’est joint à la GRC en 2010. Vu que la Commission conclut que le demandeur n’est pas crédible, aucune preuve crédible ne laisse entendre qu’un groupe armé a établi un lien entre le demandeur et son frère. La Commission conclut donc que le demandeur n’a pas fait l’objet de menaces en raison de l’emploi occupé par son frère.

[20] En conclusion, la Commission indique qu’elle n’accorde aucun poids au témoignage de vive voix ou aux affirmations écrites du demandeur. L’incapacité du demandeur de présenter des éléments de preuve fiables empêche la Commission de rendre une décision favorable.

IV. QUESTION EN LITIGE

[21] Le demandeur estime que les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :

  1. La conclusion sur la crédibilité tirée par la Commission est-elle déraisonnable?
  2. Le traitement du principe de courtoisie judiciaire dans la décision est-il déraisonnable?
  3. L’absence d’une analyse distincte fondée sur l’article 97 dans la décision est-elle déraisonnable?

V. NORME DE CONTRÔLE

[22] Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de contrôle judiciaire en common law que la cour de révision doit procéder à une analyse des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[23] La norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’examen des conclusions de la Commission concernant la crédibilité est celle de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1343, au paragraphe 10 [Diaz].

[24] L’application par la Section de la protection des réfugiés du principe de courtoisie judiciaire et sa décision de ne pas procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97 sont des questions mixtes de fait et de droit qui sont aussi soumises à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 53.

[25] Le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable se fonde sur une analyse qui s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, il est demandé à la Cour d’intervenir seulement si la décision est déraisonnable, dans la mesure où elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[26] Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

VII. THÈSES DES PARTIES

A. Demandeur

1) Crédibilité

[27] Le demandeur soutient que la décision n’est pas raisonnable parce qu’elle n’expose que quelques-unes des préoccupations de la Commission dans sa conclusion générale relative à la crédibilité. La Cour d’appel fédérale a conclu que les motifs du rejet d’une demande d’asile pour cause de crédibilité doivent être énoncés [traduction] « en termes clairs et explicites » Armson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 101 NR 372 (WL Can), au paragraphe 20 (CAF) [Armson]. Les motifs doivent permettre à un demandeur de comprendre pourquoi la demande a été rejetée. Voir Mehterian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 545 (QL) (CA) [Mehterian]. La Cour a affirmé que « si la Commission ne croit qu’une partie du témoignage de la demanderesse, elle doit préciser quels éléments elle a retenus et lesquels elle a rejetés » : Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 166 FTR 158 (WL Can), au paragraphe 3 (1re inst). Dans la décision, il est expressément indiqué que seules certaines des préoccupations de la Commission quant à la crédibilité seront abordées. Le demandeur indique que cela ne lui permet pas, en appel, de répondre correctement à toutes les questions liées à la crédibilité.

[28] Le demandeur affirme aussi que la conclusion d’invraisemblance tirée par la Commission sur la nature des menaces dont il était la cible se fonde sur le fait que le groupe paramilitaire qui l’a menacée agit de manière rationnelle. Le demandeur affirme que les AUC sont largement considérées comme un groupe terroriste. La Cour a retenu l’idée qu’« [i]l arrive souvent que les groupes terroristes agissent de façon irrationnelle » : Yoosuff c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1116, au paragraphe 8. Voir aussi Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 493, au paragraphe 6; Franco Taboada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1122, au paragraphe 35; Londono Soto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 354, au paragraphe 26 [Londono Soto]; Builes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 215, au paragraphe 17. La Commission a conclu qu’il était invraisemblable que le groupe qui avait menacé le demandeur se contente de lui faire quitter la Colombie parce qu’il n’en tirait aucun avantage et qu’il ne s’agissait pas d’un acte de représailles. Le demandeur affirme qu’il n’est pas raisonnable de fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur la vraisemblance des actions de terroristes.

[29] Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en fondant une conclusion sur la crédibilité sur sa perception du caractère raisonnable de la réponse du demandeur aux menaces faites à son égard. La Commission a conclu qu’il était invraisemblable que le demandeur n’ait pas pris le premier appel au sérieux, vu sa crainte pour sa vie et le fait que l’auteur de l’appel avait parlé de sa famille. Les conclusions sur la vraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents. La Commission devrait tenir compte du fait que « les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge [d’un point de vue canadien] peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur » : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7 [Valtchev]. Étant donné qu’une conclusion d’invraisemblance dépend de l’idée que la Commission se fait de ce qui constitue un comportement sensé, cette dernière aura donc tort de ne pas faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient éventuellement réfuter ses conclusions d’invraisemblance. Voir Valtchev, précité, au paragraphe 8, citant Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 81 FTR 303 (WL Can), au paragraphe 15 (CF 1re inst), cité dans Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, au paragraphe 14. Une conclusion au sujet de l’invraisemblance qui ne se fonde pas SUR des éléments de preuve fiables et vérifiables n’est qu’une « spéculation non fondée » : Aguilar Zacarias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155, au paragraphe 11. Le demandeur indique qu’il n’est pas invraisemblable qu’il n’ait pas signalé le premier appel à la police, même s’il craignait continuellement pour sa vie. Il est possible que le demandeur ait commencé à être plus effrayé après le deuxième appel. Par conséquent, le demandeur soutient que la conclusion de la Commission au sujet de l’invraisemblance est déraisonnable.

[30] Le demandeur soutient aussi que les préoccupations de la Commission sur les disparités quant à savoir si l’auteur du premier appel s’est présenté en tant que membre des AUC ou pas n’auraient pas dû avoir une incidence considérable dans la conclusion de la Commission sur la crédibilité. Étant donné que les AUC avaient déjà ciblé la famille du demandeur, ce dernier affirme qu’il lui était raisonnable de supposer que les AUC étaient les auteurs et de ne pas se rappeler si l’auteur de l’appel s’était identifié. Le demandeur affirme que la décision se concentre sur des incohérences mineures et explicables pour tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité. Cela va à l’encontre de la directive selon laquelle la Commission devrait se garder de conclure trop hâtivement que le demandeur n’est pas crédible et de ne pas examiner à la loupe les éléments de preuve. Voir Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792, au paragraphe 24. Le demandeur indique que c’est sa croyance selon laquelle il était la cible des AUC qui est pertinente à la décision.

[31] Le demandeur soutient que la conclusion défavorable sur la crédibilité tirée par la Commission se fonde en partie sur des disparités techniques, plutôt que de fond, qui n’ont aucune importance quant à sa demande. La Commission conclut que le demandeur a menti à propos du niveau de scolarité qu’il a atteint et que ce mensonge constituait une tentative délibérée d’induire la Commission en erreur. Le demandeur affirme que son niveau de scolarité n’a aucune importance et que la disparité perçue ne pourrait être attribuable qu’aux ambiguïtés dans la traduction. La Cour a conclu qu’il n’est pas raisonnable de rejeter des demandes en fonction de questions secondaires insignifiantes alors qu’elle écarte des parties importantes de l’affaire du demandeur. Voir Simba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 14777 (CFPI) [Simba], citant Mahathmasseelan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm LR (2d) 29 (WL Can), au paragraphe 9 (CAF). Voir aussi Owusu-Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm LR (2d) 106 (CAF); Armson, précité, au paragraphe 24. Le demandeur affirme que la décision met aussi l’accent sur une disparité mineure entre son témoignage et l’exposé circonstancié de ses parents, même si la Commission reconnaît que cette disparité n’a aucune importance dans la revendication du demandeur.

[32] Le demandeur soutient que la décision de la Commission de fonder sa conclusion relative à la crédibilité sur des incohérences sans importance et des motifs non-dits fait en sorte que la Commission écarte un témoignage corroborant, des éléments de preuve sur les conditions dans le pays et le témoignage du demandeur à l’appui de sa demande. Le demandeur indique aussi que la Commission a uniquement tenu compte de la persécution passée et qu’elle n’a pas apprécié de manière prospective le risque auquel s’exposait le demandeur s’il retournait en Colombie. Même après avoir conclu que le frère du demandeur était crédible, la Commission a tout de même écarté son témoignage au sujet de la crainte dont lui avait fait part le demandeur et sa croyance, selon sa connaissance du trafic de drogue, que le demandeur courait un risque. Même lorsque la Commission conclut qu’un demandeur n’est pas crédible, elle doit apprécier expressément les éléments de preuve susceptibles d’influer sur l’appréciation de la demande. Voir SS c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1999), 167 CFPI 130, au paragraphe 11 (1re inst) [Seevaratnam]. Le fait de tirer une conclusion fondée sur certains éléments de preuve et ensuite rejeter la preuve documentaire restante au motif qu’elle n’est pas authentique puisqu’elle est incompatible avec cette conclusion inverse le processus de raisonnement. Voir l’arrêt Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311, au paragraphe 20 [Chen].

[33] Le demandeur indique que le cartable national de documentation pour la Colombie offre de nombreux éléments de corroboration à l’appui de son témoignage. Le demandeur renvoie aux « Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Colombia » (septembre 2015) [Lignes directrices] du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Les Lignes directrices présentent les risques continus que posent les groupes paramilitaires en Colombie et la façon dont les proches de cibles s’exposent aussi à un risque de menaces et d’extorsion. Ce fait est conforme au témoignage du demandeur où il affirme être une cible. La Cour a conclu que « quand [la Commission] fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer qu’[elle] n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait » : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 CFPI 35 (WL Can), au paragraphe 17 (1re inst). Voir aussi Goman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 643, au paragraphe 13; Hernandez Montoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 808, aux paragraphes 36 et 37; Gopalarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1138, au paragraphe 39. De plus, il peut y avoir des situations où le demandeur d’asile, dont l’identité n’est pas contestée, est jugé non crédible relativement à sa crainte subjective de persécution, mais où les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger. Voir Fixgera Lappen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 434, au paragraphe 27; Maimba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 226, au paragraphe 22.

[34] Le demandeur soutient aussi que tout retard perçu dans sa décision de quitter la Colombie n’aurait pas dû avoir d’incidence sur la décision. Même si les frères et la sœur du demandeur sont effectivement partis entre 1997 et 1999 et que ses parents sont partis en 2006, le demandeur allègue n’avoir été ciblé directement qu’en 2015. Dans la décision, on indique qu’il s’agit d’un retard « inouï » et on conclut qu’il discrédite les allégations du demandeur. Le demandeur renvoie à Ibrahimov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1185, au paragraphe 19, où la juge Heneghan a conclu que « dans les cas où une demande est fondée sur plusieurs actes de discrimination ou de harcèlement qui se terminent par un incident qui force la personne à quitter son pays, on ne peut pas considérer la question du retard comme un facteur important pour mettre en doute la crainte subjective de persécution. » Voir aussi Londono Soto, précité, au paragraphe 31.

2) Courtoisie judiciaire

[35] Le demandeur précise que ses frères et sa sœur ainsi que ses parents ont tous été acceptés au Canada en tant que réfugiés au sens de la Convention. Les décisions rendues dans les deux demandes et l’exposé circonstancié des parents du demandeur ont tous été soumis à l’examen de la Section de la protection des réfugiés. Dans ces circonstances, le demandeur indique qu’il incombe à la Commission d’exposer les motifs qui l’amènent à s’écarter des conclusions tirées précédemment par la Section de la protection des réfugiés. Dans Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 251, au paragraphe 25 [Mendoza], le juge Zinn a conclu « qu’il incombait au commissaire de la Section de la protection des réfugiés qui arrive à une conclusion différente de celle rendue par un autre commissaire à l’égard d’une demande présentée par un membre de la famille dans des circonstances similaires d’expliquer les raisons pour lesquelles il est parvenu à une conclusion contradictoire. » Voir aussi Djouah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 884, au paragraphe 25 [Djouah].

3) Article 97

[36] Le demandeur soutient que l’analyse de la décision fondée sur l’article 97 de la Loi est erronée parce que la Commission n’analyser que la crédibilité et n’examine pas si le demandeur s’expose à un risque objectif. Le demandeur affirme que le critère prévu à l’article 97 est entièrement objectif puisqu’il se fonde sur le profil du demandeur et sur la preuve documentaire présentée à la Commission. Par conséquent, même si la Commission ne croit pas vraiment le demandeur, elle est tenue d’examiner s’il s’expose à un risque vu sa conclusion sur le profil du demandeur. Le demandeur affirme que la conclusion de la Commission selon laquelle [traduction]« le demandeur d’asile n’a pas produit d’éléments de preuve dignes de foi à l’appui de ses allégations » écarte de façon flagrante le témoignage d’un témoin que la Commission avait déclaré crédible, les éléments de preuve sur les conditions dans le pays et les décisions favorables rendues à l’égard des proches du demandeur.

[37] Dans Odetoyinbo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 501, au paragraphe 7, le juge Martineau a conclu : « Il est clairement établi qu’une conclusion défavorable sur la crédibilité, quoiqu’elle puisse être concluante quant à une demande du statut de réfugié au titre de l’article 96 de la (Loi), n’est pas nécessairement concluante quant à une demande en application du paragraphe 97(1) de la Loi » Voir aussi Bouaouni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, au paragraphe 41. Le demandeur indique que la Section de la protection des réfugiés est tenue, même si elle doute de la crédibilité d’un demandeur, de fonder sa décision sur l’ensemble de la preuve. Voir Mensah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 1038 (QL) (CA); Baranyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 664, au paragraphe 14; Voytik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 66, au paragraphe 20. Le fait de conclure qu’un demandeur n’est pas crédible signifie seulement que l’on ne peut s’appuyer sur son témoignage; cela ne veut pas dire pour autant que les faits affirmés sont faux. Ce fait est illustré dans Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (WL Can), au paragraphe 13 (CAF), où la Cour d’appel fédérale a conclu « Que le requérant soit ou non un témoin digne de foi […] cela ne l’empêche pas d’être un réfugié à la condition que ses opinions et ses activités politiques soient susceptibles de conduire à son arrestation et à sa punition. »

[38] Le demandeur soutient donc que la conclusion de la Commission en application de l’article 97 de la Loi est déraisonnable parce qu’elle n’examine pas si son renvoi en Colombie l’exposerait aux risques énoncés à l’article 97. L’erreur est exacerbée par le défaut de la Commission d’analyser la preuve documentaire, qui présentait en détail les risques auxquels le demandeur serait exposé à son retour. Le demandeur indique que l’absence d’analyse fondée sur l’article 97 exige à elle seule de renvoyer le dossier à la Section de la protection des réfugiés pour réexamen. Voir Ayilan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1328 [Ayilan].

B. Défendeur

1) Crédibilité

[39] Le défendeur prétend que la jurisprudence n’étaye pas la suggestion du demandeur selon laquelle la Section de la protection des réfugiés doit énoncer chacune de ses préoccupations quant à la crédibilité. Le demandeur cite des décisions qui indiquent que la Section de la protection des réfugiés doit énoncer de façon claire et explicite dans ses motifs pourquoi elle conclut qu’une revendication n’est pas crédible. Voir Armson, précité, au paragraphe 20; Mehterian, précité, au paragraphe 2. Le défendeur affirme que la plaidoirie du demandeur porte sur le caractère adéquat des motifs. Étant donné que la décision permet au demandeur de comprendre pourquoi sa demande est rejetée, les motifs sont adéquats dans la présente affaire. Le défendeur observe que le demandeur n’allègue pas qu’il ne comprend pas les préoccupations de la Commission quant à la crédibilité. Le demandeur indique plutôt qu’il ne peut pas aborder d’autres préoccupations quant à la crédibilité qui n’ont pas été mentionnées.

[40] Le défendeur indique que l’argument avancé par le demandeur n’est pas fondé parce que la décision repose sur une évaluation cumulative de la crédibilité et qu’elle énumère sept préoccupations précises quant à la crédibilité. Dans la décision, ces préoccupations concernant les études et les parents du demandeur sont présentées sous les titres [traduction] « Retard à quitter le pays », « Nature des menaces », « Tentatives de quitter la Colombie », « Signalement aux autorités », « Agents de persécution » et « Disparités diverses ». Le défendeur indique qu’un examen de la transcription établit que les préoccupations qu’entretient la Commission sont raisonnables et que la décision comprend effectivement les principales préoccupations de la Commission quant à la crédibilité. On en trouve aussi la preuve dans les observations après l’audience présentées par l’ancien avocat du demandeur, qui abordent certaines de ces questions.

[41] Le défendeur indique que la préoccupation de la Commission quant au retard du demandeur à quitter la Colombie est raisonnable. Le demandeur cite des décisions où les préoccupations quant au retard étaient déraisonnables puisque le revendicateur avait allégué qu’il avait été victime d’incidents cumulatifs de persécution. Le demandeur n’allègue pas avoir été victime d’incidents cumulatifs de persécution. Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas pris de mesures pour quitter la Colombie après 2012, après le départ de ses parents, en 2006, le demandeur a expliqué que son entreprise avait fermé ses portes en 2012 et que sa situation économique dépérissait. Il a toutefois nié qu’il cherchait à partir pour des motifs d’ordre économique et a maintenu qu’il était toujours resté craintif.

[42] Le défendeur affirme aussi que la Commission était tout aussi préoccupée par l’explication du retard fournie par le demandeur. Le demandeur indique qu’il n’a pas quitté la Colombie au cours des années 1990 pour prendre soin de ses parents, qui sont pourtant partis en 2006. On ne savait trop non plus si le demandeur avait fait l’objet de menaces, tout comme ses frères et sa sœur, dans les années 1990.

[43] Le défendeur soutient que la conclusion d’invraisemblance tirée par la Commission sur la nature des menaces dont le demandeur aurait été la cible n’est pas déraisonnable. Les AUC ont extorqué de l’argent aux parents du demandeur. Le demandeur allègue qu’un des auteurs des appels lui avait dit que son frère leur avait fait perdre de l’argent. La Commission a conclu qu’il était invraisemblable que les AUC demandent au demandeur de quitter la Colombie parce que son départ ne leur donnerait aucun avantage. Le défendeur affirme que la Commission a appliqué une déduction conforme au bon sens quant aux motifs des agents de persécution, plutôt que de faire une spéculation. Voir la décision Sandirasekaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1005, aux paragraphes 10 et 11.

[44] Même si la conclusion tirée par la Commission est hypothétique, le défendeur mentionne que dans Varatharasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 11, le juge Gleeson a retenu l’idée que ce n’était pas au demandeur d’asile d’expliquer le comportement des agents de persécution, mais il a tout de même conclu que la décision était raisonnable vu les autres préoccupations de l’agent.

[45] Le défendeur mentionne qu’il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur n’était pas crédible parce qu’il n’avait pas signalé le premier appel téléphonique aux autorités colombiennes. Le demandeur affirme que cette conclusion se fondait sur la propre perception de la Commission de ce qui constitue un comportement raisonnable et qu’il était possible qu’il ait une crainte de persécution continue sans signaler l’appel pour autant. Le défendeur affirme que la question ne porte pas sur le caractère raisonnable de la réaction du demandeur aux menaces, parce que le critère pour l’examen [traduction] « n’est pas de dresser une liste de la totalité des possibilités raisonnables; il faut plutôt déterminer s’il était loisible à la Section de la protection des réfugiés de tirer ces conclusions. » Le défendeur soutient que cette affaire est semblable à Diaz, précité, aux paragraphes 13 et 14, où la Section de la protection des réfugiés a fondé en partie ses préoccupations quant à la crédibilité sur le fait que le demandeur n’avait pas divulgué une menace alléguée faite à sa femme.

[46] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la Commission d’être préoccupée par l’incohérence du récit du demandeur quant à savoir si les auteurs des appels s’étaient identifiés. Le défendeur sous-entend que le demandeur, quand il indique que ces incohérences sont infimes, se méprend sur la préoccupation de la Commission. Dans son témoignage, le demandeur a dit que l’interlocuteur de 2016 s’est présenté comme appartenant aux AUC et a ajouté ensuite que l’auteur du premier appel s’était aussi présenté comme appartenant aux AUC. Cette affirmation contredisait l’exposé circonstancié du demandeur, où il disait ne pas connaître l’identité de l’auteur du premier appel. Quand on lui a demandé d’expliquer cette incohérence, le demandeur a répondu qu’il avait cru que le premier interlocuteur était membre des AUC. Le défendeur affirme qu’il était raisonnablement loisible à la Commission d’être préoccupée par ces incohérences.

[47] Le défendeur observe que la Commission a aussi indiqué qu’elle était préoccupée par le témoignage du demandeur quant au moment où il a décidé de quitter la Colombie. Dans son exposé circonstancié, le demandeur a indiqué qu’il avait déjà acheté un billet d’avion pour le Mexique avant de signaler l’appel reçu en 2016 aux autorités colombiennes. Dans son témoignage de vive voix, il a indiqué qu’il avait décidé de partir quand la police ne lui a pas accordé de protection après avoir fait son signalement. Quand la Commission a demandé au demandeur d’expliquer cette contradiction, il a répondu qu’il a décidé de partir après avoir reçu l’appel en 2016. Plus tard, quand son avocat l’a interrogé, le demandeur a de nouveau indiqué qu’il avait décidé de partir après avoir fait son signalement aux autorités.

[48] Le défendeur soutient que la Commission n’a pas tiré de conclusions sur la crédibilité en fonction de disparités insignifiantes ou techniques. La Commission indique que les préoccupations entourant le niveau d’études du demandeur et l’incohérence avec la demande présentée par ses parents sont des préoccupations supplémentaires, qu’elle désigne sous le nom de « Disparités diverses. » Le défendeur observe que le demandeur affirme que le défaut de la Commission d’indiquer chacune des préoccupations liées à la crédibilité lui porte préjudice, tout en la blâmant aussi d’inclure des préoccupations qui ne sont pas pertinentes selon lui. La Commission explique que sa discussion sur la préoccupation relative aux études est pertinente parce que cette question est survenue en réponse à la possibilité de refuge intérieur à Bogota. Le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure qu’il s’agissait d’une tentative délibérée de l’induire en erreur. La Commission n’a pas retenu l’explication du demandeur selon laquelle il n’avait terminé que trois années d’études pendant les cinq années où il a fréquenté l’école. Le défendeur mentionne que le témoignage du frère du demandeur soutenait la conclusion selon laquelle le demandeur avait un niveau d’études supérieur. Le défendeur soutient que les affaires sur lesquelles le demandeur s’appuie pour sous-entendre que la Commission a commis une erreur en tenant compte de préoccupations non pertinentes sont des affaires où la Section de la protection des réfugiés a omis de tenir compte de faits plus importants, ce qui est différent de l’espèce.

[49] En ce qui concerne l’incohérence avec le témoignage des parents du demandeur, le défendeur mentionne que la Commission reconnaît que cette incohérence n’est pas cruciale à la revendication du demandeur. Le défendeur soutient toutefois qu’il demeurait loisible à la Commission de tirer des conclusions sur la crédibilité générale du demandeur en fonction de déclarations manifestement contradictoires.

[50] Le défendeur soutient qu’après avoir conclu que le demandeur n’était pas crédible, la Commission n’était pas tenue de se pencher sur les autres éléments de preuve pertinents. Le défendeur affirme que le demandeur a tort d’invoquer la décision Seevaratnam, précitée. La Cour s’est penchée sur des arguments semblables dans Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 548, au paragraphe 12, et a conclu que lorsque « les préoccupations du Tribunal concernant la crédibilité ou la fiabilité des preuves soumises par le demandeur lui font douter de l’essence même de la demande […], le Tribunal n’a pas besoin de considérer la preuve sur la situation générale du pays pour déterminer si la demande est fondée. » De même, Chen, précité, est différent parce que, dans cette affaire, la Commission ne croyait pas le témoignage du demandeur puisqu’il n’était pas étayé par les éléments de preuve sur les conditions dans le pays. Le défendeur affirme que Chen ne s’applique pas quand la préoccupation porte sur le témoignage incohérent du demandeur.

[51] Le défendeur signale aussi que la Commission explique que, même si elle a conclu à la crédibilité du frère du demandeur, son témoignage ne reposait pas sur une connaissance directe. Par conséquent, il était raisonnable pour la Commission de conclure que le témoignage ne constituait pas un élément de preuve crédible à l’appui de la revendication du demandeur.

[52] Le défendeur soutient qu’une preuve documentaire ne peut étayer à elle seule une demande de protection alors qu’aucun élément de preuve crédible n’établit de lien entre le demandeur et les agents de persécution. Étant donné que la Commission a conclu que les éléments de preuve présentés par le demandeur qui établissaient un lien entre lui et les menaces n’étaient pas crédibles, il n’était pas nécessaire de se demander si la preuve documentaire s’appliquait au demandeur. Voir Rahaman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1008, au paragraphe 17 (Rahaman).

2) Courtoisie judiciaire

[53] Le défendeur soutient que la Commission n’avait pas à expliquer pourquoi elle avait conclu que la demande présentée par le demandeur était différente de celles présentées par ses proches, parce que les faits entourant sa demande sont manifestement différents. Contrairement aux décisions sur lesquelles le demandeur s’appuie, il ne s’agissait pas d’une affaire où des demandes semblables présentées à des moments semblables. Dans Mendoza, les demandes d’asile présentées par les frères du demandeur se fondaient sur des faits très semblables. Dans Djouah, les demandeurs étaient tous membres de la même troupe de danse et ils avaient présenté des demandes fondées sur les mêmes faits et les mêmes éléments de preuve. Le défendeur mentionne aussi que le principe de courtoisie judiciaire s’applique à des questions de droit et non entre les décisions d’un tribunal et des conclusions de fait. Voir Nwabueze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 323, au paragraphe 9.

[54] Le défendeur affirme que rien ne permettait à la Commission d’estimer la demande présentée par le demandeur comme analogue à celles présentées par ses frères, sa sœur et ses parents. Dans leurs demandes, les frères, la sœur et les parents du demandeur affirment avoir été menacés avec une arme à feu. Les parents du demandeur avaient aussi reçu des demandes d’argent. De plus, le demandeur a présenté sa demande près de vingt ans après que ses frères et sa sœur aient quitté la Colombie, et une décennie après le départ de ses parents.

3) Article 97

[55] Le défendeur soutient que la Commission n’était pas tenue de procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97 de la Loi. Dans Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 102, au paragraphe 41 (Lopez), la juge Kane a conclu qu’« une conclusion négative en matière de crédibilité suffit pour rejeter la demande, tant en vertu de l’article 96 que de l’article 97, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une conclusion favorable au demandeur et de faire droit à sa demande d’asile. » Voir aussi l’arrêt Velez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 923. Le défendeur soutient que la présente instance est semblable à Lopez. Dans Lopez, la demande présentée par deux frères salvadoriens avait été rejetée parce que la preuve documentaire n’abordait que le risque généralisé auquel certains jeunes hommes du Salvador s’exposaient et les frères n’avaient pas présenté d’éléments de preuve objectifs et crédibles du risque qu’ils couraient. Voir Lopez, précité, aux paragraphes 41 à 46.

[56] Le défendeur renvoie à Dag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 375 (Dag), où le juge Diner s’est penché sur Ayilan, précité. Le juge Diner mentionne que dans Ayilan, « une analyse fondée sur l’article 97 était nécessaire, compte tenu de a) la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur avait ou pouvait avoir été victime de discrimination, et b) la preuve documentaire fournie par le demandeur » : Dag, précité, au paragraphe 22. Dans Dag, la Commission avait conclu que le demandeur n’avait jamais été victime de discrimination. Le juge Diner mentionne ensuite que la Section de la protection des réfugiés « ne disposait pas de la preuve documentaire sur laquelle mener une analyse fondée sur l’article 97, et sur les risques personnels encourus par le demandeur » : Dag, précité, au paragraphe 23. Le défendeur soutient qu’après avoir conclu que le demandeur n’était pas crédible, la Commission ne pouvait se fonder sur aucune preuve de risque personnel pour procéder à une analyse fondée sur l’article 97.

[57] Par conséquent, le défendeur demande à ce que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

VIII. DISCUSSION

[58] À mon avis, les arguments avancés par le demandeur selon lesquels la Commission était tenue de trancher sa demande conformément aux décisions favorables rendues pour ses parents ainsi que son frère et sa sœur ne sont aucunement fondés. Chaque demande d’asile est tranchée en fonction de son bien-fondé et des faits qui lui sont propres. Voir la décision Gilles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 159, au paragraphe 43. Il peut arriver, dans certaines affaires, surtout dans des situations familiales, que l’on invoque les mêmes faits. Il est donc logique de trancher de la même façon à leur égard ou, à tout le moins, d’expliquer pourquoi elles ne doivent pas être tranchées de la même façon. Voir Mengesha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 431, au paragraphe 5. Il ne s’agit pas de l’une de ces affaires. Les faits dans l’affaire du demandeur étaient très différents de ceux présentés par ses parents, son frère et sa sœur, même si on allègue le même agent de persécution.

[59] Je ne crois pas non plus que les arguments du demandeur selon lesquels une analyse distincte fondée sur l’article 97 s’imposait sont fondés en l’espèce. On ne peut pas établir le risque en se fondant uniquement sur la documentation générale sur le pays. Le demandeur était tenu d’établir qu’il s’exposait à un risque personnel ou qu’il avait le profil d’une personne qui, selon la documentation sur le pays et la prépondérance des probabilités, courait un risque, ou qu’il appartenait à une telle catégorie de personnes. Voir Lopez, précité, aux paragraphes 41 à 46. Le demandeur ne l’a pas fait. Vu la conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas crédible, la Commission n’avait aucun motif de procéder à une analyse fondée sur l’article 97. Voir Dag, précité, au paragraphe 23.

[60] Le demandeur soutient que la Commission disposait d’éléments de preuve crédibles qui suffisaient à justifier la tenue d’une analyse distincte fondée sur l’article 97.

[61] Il renvoie aux éléments de preuve présentés par son frère, que la Commission avait jugé crédible. Dans la décision, la Commission précise que le témoignage du frère « concernant les problèmes [que le demandeur] a éprouvés en Colombie repose sur les affirmations [du demandeur] et, comme le témoin l’a reconnu, non pas sur une connaissance directe. » Étant donné que la Commission avait déjà conclu que les affirmations du demandeur n’étaient pas crédibles, elle n’accorde « aucun poids à quelque élément de preuve que ce soit dépendant de la franchise de ce demandeur d’asile. » La Commission aborde ensuite le lien possible entre le statut du frère en tant qu’agent de la GRC et le risque auquel le demandeur affirme s’exposer en Colombie.

[24] En ce qui concerne la profession du témoin en tant que membre de la GRC, il n’y a rien devant le tribunal qui donne à penser que le travail du témoin en tant que membre de la GRC ait exposé ou aurait pu exposer le demandeur d’asile à un risque de préjudices en Colombie. Le témoin a quitté la Colombie il y a presque vingt ans. Il est membre de la GRC depuis 2010. Le tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve crédible qui permettrait de croire qu’un groupe armé a établi un lien entre ce demandeur particulier et son frère au Canada ou qu’il établirait un tel lien. Le tribunal n’a aucun élément de preuve crédible selon lequel le demandeur d’asile a subi ou risque de subir des préjudices en raison de l’emploi occupé par son frère au Canada.

[62] Le frère a livré le témoignage qui suit à un moment donné à l’audience :

TÉMOIN : Eh bien, essentiellement, vous savez, j’irai droit au but, vous savez, je travaille dans le domaine de la lutte antidrogue au Canada. Ces gens tentent de me tuer et de tuer mes parents. C’est pour cette raison que j’ai quitté la Colombie et présenté une demande d’asile au Canada. Il est possible d’établir un certain lien entre ces gens et le commerce de la drogue.

Mon emploi ici consiste à faire enquête sur les organisations criminelles au Canada, et à l’échelle internationale, et à les démanteler. D’une manière ou d’une autre, ces gens auraient pu savoir ce que je faisais ici au Canada, que j’ai porté un coup à leur organisation, apprendre que mon frère se trouvait toujours en Colombie et commencer à le harceler et à menacer sa famille et lui.

[Dossier certifié du tribunal, à la page 201]

[…]

AVOCAT : Et que vous a-t-il dit à ce moment, en septembre 2015?

TÉMOIN : D’accord. Eh bien, il m’a dit que des gens l’avaient appelé et mentionné mon nom et indiqué essentiellement que j’étais un mouchard pour la police au Canada et ils avaient menacé sa famille et lui.

[Dossier certifié du tribunal, à la page 204]

[…]

AVOCAT : Et qu’a-t-il dit pendant son appel téléphonique de septembre 2016?

TÉMOIN : Essentiellement, je lui ai répondu au départ qu’avant que des gens l’appellent, des inconnus l’avaient appelé et ils savaient, par exemple, qu’ils perdaient de l’argent et que s’il ne quittait pas la Colombie, sa famille et lui en subiraient les répercussions. Ils ont dit qu’ils allaient le tuer, fondamentalement, et sa famille aussi, et qu’ils savaient, d’une manière ou d’une autre, que tout cela était lié au départ de mes parents, à mon départ, au départ de toute ma famille et au fait qu’il était le seul qui était resté. Je suppose donc qu’il allait en payer le prix.

AVOCAT : D’accord, clarifions cette partie : vous a-t-il appelé aussi en septembre 2015, ou seulement en septembre 2016?

TÉMOIN : Non, il – eh bien, il communiquait aussi par l’intermédiaire de mes parents. À titre de précision, le dernier appel téléphonique où il indique que ces gens ont mentionné mon nom a eu lieu en 2016, ce qui correspond à l’année où il est évidemment parti, parce que je me souviens qu’il est parti peu de temps après avoir reçu le dernier appel téléphonique où ces gens avaient mentionné mon nom. Je sais qu’il avait toutefois reçu d’autres appels auparavant et au cours de l’année précédente, soit 2015. J’ignore s’il s’agissait des mêmes personnes, mais...

AVOCAT : Permettez-moi de vous poser la question suivante : Selon votre expérience professionnelle et votre expérience de vie aussi, bien entendu, croyez-vous que ce modus operandi correspond à celui d’une organisation que vous connaissez peut-être?

TÉMOIN : Oui, assurément. Sans aucun doute. En Colombie, il n’y a essentiellement que des cartels de la drogue. Les cartels de la drogue mènent leurs activités en Colombie. Ils utilisent les gens. Ils utilisent des personnes innocentes pour exporter des narcotiques. Ils recourent aussi à des menaces, à l’intimidation et aux assassinats si la police, et pas seulement la police colombienne, leur fait perdre de l’argent. S’ils ont la capacité de tuer des gens outre-mer, dans un autre pays, ils vont le faire, n’est-ce pas? Leur modus operandi est essentiellement la peur. Vous savez, ce sont des personnes dangereuses.

AVOCAT : D’accord, et il s’agit – je le demande – il s’agit probablement de ma dernière question, pour donner suite à vos directives, mais encore une fois, je vous demande de faire part de votre opinion.

TÉMOIN : Oui.

AVOCAT : Savez-vous pourquoi ces gens dont les activités ont souffert n’ont pas tout simplement tué votre frère plutôt que lui donner l’occasion de partir? Avez-vous une opinion à cet égard?

TÉMOIN : Ils ne l’ont pas fait immédiatement, mais à un moment donné, ils l’auraient fait, n’est-ce pas? Je sais que mon frère a déménagé à quelques reprises, ce qui signifie qu’il était dur à suivre, mais je sais – il ne fait aucun doute pour moi que ces gens les auraient trouvés, sa famille et lui, à un moment donné, et qu’ils l’auraient assassiné ou kidnappé et torturé et recouru à toutes sortes de techniques.

AVOCAT : D’accord. Enfin, il s’agit probablement de la dernière.

TÉMOIN : Oui.

AVOCAT : Encore une fois, je vous demande de me donner votre opinion. Selon votre expérience, comment ces gens pourraient-ils trouver Alexander s’il déménageait à Bogota?

TÉMOIN : Eh bien, il est question ici d’organisations criminelles. Elles infiltrent même le gouvernement. La police n’y fait pas exception non plus. L’argent est roi en Colombie et, malheureusement, c’est ainsi que les choses fonctionnent. Ils peuvent infiltrer des gens et des haut placés, la police. Ils peuvent trouver où des personnes habitent en consultant des casiers judiciaires, des banques de données. Ils ont une identité. Ils peuvent trouver une personne comme nous le faisons ici au Canada. Vous n’avez qu’à fournir un nom et une identité et vous trouverez l’adresse et le lieu où la personne habite, n’est-ce pas?

Il en aurait donc été de même en Colombie. Ils peuvent suivre facilement les gens, peu importe l’endroit où ils déménagent, peu importe la ville. Eh bien, ils sont parvenus à me trouver d’une manière ou d’une autre et ont su que j’habitais au Canada. Donc, vous pouvez vous imaginer ce qu’ils peuvent faire, ils peuvent le faire en Colombie également, n’est-ce pas?

[Dossier certifié du tribunal, aux pages 205 et 206]

[…]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Et tous ces renseignements que vous avez sur les appels téléphoniques reçus par votre frère et toutes les menaces dont il a été la cible, s’agit-il d’une connaissance indirecte? Se fondent-ils tous – simplement sur ce que votre frère vous a dit?

TÉMOIN : Oui.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Avez-vous connaissance d’autres sources?

TÉMOIN : Non, non.

[Dossier certifié du tribunal, aux pages 206 et 207]

[63] Il me semble que le frère émet des hypothèses sur un éventuel lien : [traduction] « Il se peut que ces gens soient reliés au commerce de la drogue » et « d’une manière ou d’une autre, ces gens auraient pu savoir ce que je fais ici au Canada » et « apprendre d’une manière ou d’une autre que mon frère se trouvait toujours en Colombie et commencer à le harceler et à menacer sa famille et lui. »

[64] Vu le témoignage spéculatif de ce témoin et le fait qu’il a reconnu que son unique source d’information sur les menaces faites à l’égard du demandeur est le demandeur lui-même, qui n’est pas crédible selon la Commission, je ne crois pas que la preuve présentée par le frère puisse constituer un motif pour procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97. Ces éléments de preuve n’entreraient en jeu qu’au moment de déterminer un risque futur lié à l’article 97 si les éléments de preuve présentés par le demandeur sont crédibles. Le récit livré par le demandeur sur les menaces correspond assurément aux conditions en Colombie et aux méthodes des groupes paramilitaires qui participent au commerce de la drogue; il est toutefois très improbable que le demandeur présente un récit qui ne correspond pas à ces conditions. Vu les autres conclusions quant à la crédibilité, les conditions générales décrites par le frère ne peuvent racheter le faux exposé circonstancié du demandeur, à condition que les conclusions défavorables de la Commission sur la crédibilité soient raisonnables.

[65] La présente demande se résume donc à l’analyse et aux conclusions de la Commission sur la crédibilité. Je conclus que l’évaluation de la crédibilité menée par la Commission n’a rien de déraisonnable et que la demande doit être rejetée.

A. Défaut d’aborder toutes les préoccupations

[66] Le demandeur affirme que la Commission doit [traduction] « énoncer toutes les préoccupations relatives à la crédibilité du demandeur et les aborder si elle entend les invoquer au moment de rendre sa décision défavorable » [non souligné dans l’original].

[67] Les décisions invoquées par le demandeur n’étayent pas cette thèse. Elles indiquent clairement que la Commission doit énoncer ses motifs du rejet d’une demande en « termes clairs et explicites. » Voir Armson, précité, au paragraphe 20.

[68] Comme Mehterian, précité, l’indique clairement, « il faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l’intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger s’il y a lieu, le cas échéant, de demander la permission d’en appeler. »

[69] La Commission explique ainsi les motifs au rejet de la demande :

[6] La présente demande d’asile est refusée pour des questions de crédibilité. Des préoccupations quant à la crédibilité ont été soulevées très tôt pendant l’audience et ont continué de s’accumuler tout au long de celle‑ci. Il y a eu des omissions, des contradictions, des incohérences et des invraisemblances suffisamment graves pour donner au tribunal des motifs de douter de la véracité du témoignage sous serment du demandeur d’asile. Le conseil lui‑même a demandé l’autorisation de produire des observations écrites en raison des questions complexes quant à la crédibilité qui ont été soulevées pendant l’audience ou, pour reprendre les mots utilisés par le conseil, [traduction] « du témoignage confus ». Les préoccupations quant à la crédibilité étaient nombreuses et, par conséquent, par souci de brièveté, quelques‑unes seulement seront énoncées dans les présents motifs. Je tiens toutefois à souligner que la présente décision ne repose pas sur une préoccupation quant à la crédibilité en particulier, mais plutôt sur l’évaluation cumulative de tous les aspects soulevant des doutes quant à la crédibilité, même ceux qui ne sont pas mentionnés dans les présents motifs.

[70] La Commission cite et aborde ensuite des cas précis qui établissent pourquoi la crédibilité constitue une préoccupation grave en l’espèce : le retard à quitter; la nature des menaces; les tentatives précédentes de quitter la Colombie; le signalement aux autorités colombiennes; les agents de persécution; et diverses disparités.

[71] Le demandeur ne cite aucune jurisprudence pour laisser entendre qu’il est impossible de comprendre les motifs d’une décision à moins d’énoncer toutes les préoccupations quant à la crédibilité. Il est évident que le demandeur savait à l’audience que les éléments de preuve qu’il avait présentés soulevaient des préoccupations quant à la crédibilité et que ces préoccupations étaient manifestes et reconnues au point où l’avocat du demandeur a demandé la permission de présenter des observations écrites sur ce qu’il avouait être un [traduction] « témoignage confus. » Selon ces faits, le demandeur était pleinement conscient du fait qu’un éventail important de préoccupations méritaient une explication. Il ne pouvait pas avoir de doutes quant à la raison du rejet de sa demande.

B. Raisons de quitter la Colombie – Vraisemblance et spéculation

[72] Le demandeur formule les plaintes suivantes :

14. [traduction] Dans les motifs, le tribunal indique qu’il est invraisemblable que le demandeur se soit fait dire de quitter le pays. Elle ne voit pas en quoi ce départ aurait profité aux prétendus auteurs des appels téléphoniques ou constituait un acte de représailles. Dans son témoignage, le demandeur a indiqué qu’il croyait que les appels menaçants avaient été faits par les AUC ou Bacrim, qui sont largement reconnus comme des groupes terroristes paramilitaires. Le tribunal fonde sa conclusion d’invraisemblance sur ce qui constitue à son avis un plan d’action déraisonnable desdits groupes terroristes. Il est soutenu que le tribunal commet une erreur en se mettant à la place des terroristes, qui n’agissent pas nécessairement de façon logique, puis tire une conclusion défavorable sur la crédibilité.

[73] Cette question est abordée ainsi dans la décision :

[9] Le demandeur d’asile a affirmé que les menaces qu’il avait reçues visaient à lui faire quitter la Colombie. Il n’était pas exigé qu’il verse de l’argent, comme dans le cas de ses parents, ou que son frère abandonne son travail d’application de la loi au Canada. Le demandeur d’asile a affirmé que l’interlocuteur avait déclaré que son frère leur avait fait perdre beaucoup d’argent, et pourtant il n’était pas exigé que le demandeur d’asile verse de l’argent en représailles. Il lui a simplement été ordonné de quitter la Colombie. Le tribunal a demandé en quoi le fait que le demandeur d’asile quitte la Colombie pour rejoindre sa famille et vivre une vie meilleure aux États‑Unis ou au Canada profiterait à ces présumés auteurs d’appels de menaces ou pourrait être considéré comme des représailles. Le tribunal croit que ces affirmations sont invraisemblables. Il estime que le demandeur d’asile voulait quitter la Colombie pour des raisons économiques et, lorsque ses démarches pour obtenir un visa pour les États‑Unis ou le Canada ont échoué, il avait inventé ces menaces.

[74] La Commission explique ensuite le fondement de sa croyance selon laquelle le demandeur voulait quitter la Colombie pour des motifs d’ordre économique. La Commission est donc préoccupée par le fait que le demandeur n’a pas présenté de raisons qui suffisaient à expliquer en quoi les menaces l’obligeraient à quitter la Colombie pour des motifs autres qu’économiques. La Commission n’émet aucune hypothèse sur ce que les prétendus agents de persécution avaient en tête. L’accent est vraiment mis sur la menace elle-même – on a ordonné au demandeur de quitter le pays et on l’a menacé de le tuer s’il n’obéissait pas. Aucune demande d’argent n’a été faite et aucune demande n’a été présentée afin que le frère du demandeur mette fin à ses activités d’application de la loi au Canada. De l’avis de la Commission, la nature des menaces n’élimine pas la préoccupation selon laquelle le demandeur a quitté la Colombie pour des motifs d’ordre économique. Selon moi, la Commission n’émet pas d’hypothèses sur les motifs des AUC. La Commission essaie de comprendre pourquoi le demandeur a agi de la sorte, vu la nature de la menace elle-même, son retard à quitter et son désir manifeste de quitter la Colombie pour des motifs d’ordre économique.

[75] Selon le dossier, le demandeur a toujours affirmé qu’on avait menacé de le tuer s’il ne quittait pas la Colombie.

  • Notes au point d’entrée : [traduction] « En 2015, j’ai reçu des appels téléphoniques de personnes qui menaçaient de me tuer et qui m’ordonnaient de quitter le pays, sans quoi j’en subirais les conséquences, j’allais mourir » (dossier certifié du tribunal, à la page 48);

  • Exposé circonstancié du fondement de la revendication : [traduction] « En août 2015, j’ai reçu un appel téléphonique à mon domicile à Medellín d’un inconnu qui m’a ordonné de quitter la Colombie, comme ma famille l’avait fait par le passé, sinon on allait me tuer… » On m’a dit de nouveau que je devais quitter le pays et on m’a de nouveau menacé [sic] de me tuer… À Itagui, les problèmes ont commencé la première semaine de septembre 2016, lorsque j’ai reçu un autre appel téléphonique à la maison où l’on m’ordonnait encore de quitter la Colombie, de débarrasser le plancher, sans quoi on allait nous tuer, ma famille et moi » (dossier certifié du tribunal, aux pages 24 et 25);

  • Témoignage à l’audience : [traduction] « lors du premier appel, on m’a ordonné de quitter le pays, sans quoi ils tenteraient de me tuer » (DCT, à la page 181); « lors du dernier appel, ils ont traité mon frère de mouchard et indiqué qu’il leur avait fait perdre de l’argent et que, vu ces faits, ils allaient tenter de me tuer » (dossier certifié du tribunal, à la page 186).

Je ne crois pas que les menaces de mort sont invraisemblables en soi, peu importe si cela apaise ou non les préoccupations quant à la crédibilité issues du motif économique du demandeur à les inventer ou à les embellir avec un ordre de partir. Étant donné que les groupes paramilitaires se financent en recourant à l’extorsion, ils ont un motif à maintenir la « culture de peur » en forçant à l’exil les proches de cibles qui ne paient pas, puisque cela encourage d’autres cibles à continuer de payer. Toutefois, les préoccupations quant à la crédibilité dans l’affaire du demandeur sont attribuables à sa réponse aux prétendues menaces, à la longue période écoulée depuis la première extorsion, au retard à quitter et aux éléments de preuve contradictoires sur le lien avec les revendications présentées par sa famille.

C. Le premier appel téléphonique – comportement raisonnable

[76] La préoccupation du demandeur à cet égard est la suivante :

15. [traduction] Le tribunal a aussi conclu qu’il était invraisemblable que le demandeur n’ait pas pris le premier appel de menaces qu’il a reçu au sérieux, étant donné qu’il a indiqué dans son témoignage qu’il craignait continuellement pour sa vie et que les auteurs des appels avaient précisément parlé de sa famille. Il est soutenu que le tribunal a commis en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité en fonction de sa propre perception de ce qui constitue un comportement « raisonnable ».

[…]

Le demandeur soutient qu’il n’était pas impossible qu’il craigne continuellement pour sa vie et qu’il ne signale tout de même pas le premier appel à la police. Il n’est pas invraisemblable que le demandeur ait commencé à craindre plus sérieusement pour sa vie après avoir reçu le deuxième appel. Le demandeur soutient donc que la conclusion d’invraisemblance du tribunal n’est pas raisonnable vu la jurisprudence.

[77] Ici, le demandeur interprète mal la décision sur cette question, qui se lit ainsi :

[11] Le demandeur d’asile a affirmé qu’il ne s’était pas adressé à la police après avoir reçu les premiers appels de menaces en dépit de la crainte qui, comme il l’avait déclaré plus tôt, l’habitait constamment. Il a prétendu qu’il pensait que le premier appel de menaces était une mauvaise blague et qu’il n’y avait pas accordé beaucoup d’importance. Le tribunal estime que cette affirmation n’est pas compatible avec les déclarations précédentes du demandeur d’asile. Le tribunal ne juge pas vraisemblable que le demandeur d’asile, qui a affirmé qu’il craignait constamment pour sa vie au point où il avait cherché à quitter la Colombie en 2012, n’ait pas accordé beaucoup d’importance à un appel de menaces provenant des personnes qu’il croyait être les mêmes qui avaient obligé ses parents à fuir la Colombie pour rester en vie, particulièrement étant donné qu’il avait précisé que les auteurs des appels avaient mentionné expressément sa famille et la situation de celle-ci.

[12] Lorsque confronté aux préoccupations du tribunal, le demandeur d’asile a changé son témoignage. Il a affirmé qu’il ne s’était pas adressé à la police après les premiers appels de menaces parce qu’il ne faisait pas confiance à la police. Il a modifié son témoignage pour montrer qu’il n’avait pas fait abstraction des premiers appels, et que ceux-ci lui avaient bel et bien fait peur. Ce témoignage contredit directement son témoignage précédent. L’incapacité du demandeur d’asile de s’en tenir à la même version donne au tribunal de sérieuses raisons de douter de la véracité de ses allégations.

[78] Ici, le problème pour la Commission réside dans l’incohérence entre l’explication fournie par le demandeur et son défaut de faire un signalement à la police malgré sa crainte déclarée. Le demandeur a changé son récit et il est passé d’un espoir que le premier appel était une blague de mauvais goût à un manque de confiance à l’égard de la police. La Commission n’émet aucune hypothèse sur ce qui constitue un comportement raisonnable. Le problème, comme il est clairement indiqué dans la décision, réside dans « [l]’incapacité du demandeur d’asile de s’en tenir à la même version […] »

D. Accent sur des incohérences mineures

[79] Sur ce point, le demandeur déclare :

16. [traduction] Le tribunal tire aussi une conclusion défavorable sur la crédibilité en ce qui concerne le témoignage du demandeur quant à l’identité des auteurs des appels de menaces. Le tribunal affirme que le témoignage du demandeur était incohérent quant à savoir si les auteurs de l’appel du mois d’août 2015 se sont présentés comme appartenant aux AUC ou aux Bacrim. Il est soutenu que cette prétendue disparité n’aurait pas dû avoir une incidence considérable sur la décision du tribunal quant à la crédibilité. Étant donné que la famille du demandeur avait déjà été ciblée par les AUC, il n’était pas déraisonnable pour le demandeur d’avoir supposé ou d’avoir tenu compte de la possibilité qu’ils étaient aussi les auteurs dans ce cas-ci, ce qui aurait facilement pu faire en sorte qu’il ne se souvienne pas s’ils s’étaient identifiés ou pas lors du premier appel. Ce qui aurait dû être important pour le tribunal, c’était que le demandeur croyait qu’il était de nouveau la cible des AUC. L’accent mis par le tribunal sur des incohérences mineures et explicables pour tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité constitue une erreur selon la jurisprudence : […]

[80] Encore une fois, le demandeur interprète mal l’approche adoptée par la Commission à l’égard de ces disparités. La Commission a tranché cette question ainsi :

[15] Le demandeur d’asile a été appelé à dire qui il craignait en Colombie. Il a répondu que, lorsqu’il recevait des appels de menaces, [traduction] « ils se présentaient comme membres des AUC ». Le tribunal a demandé au demandeur d’asile de préciser si, lors des premiers appels qu’il a reçus en août 2015, les auteurs s’étaient présentés expressément comme appartenant aux AUC. Le demandeur d’asile a répondu que c’était le cas. Cette information contredit ce qui est écrit dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur d’asile. Le demandeur d’asile a écrit qu’il avait reçu un appel téléphonique en août 2015 d’une personne inconnue. Il a écrit qu’il croyait que l’appel pouvait provenir d’une personne associée aux paramilitaires, mais il n’a pas écrit que l’auteur de l’appel s’était expressément présenté comme un membre des AUC, comme il l’a affirmé dans son témoignage de vive voix. Le demandeur d’asile n’a pas déclaré qu’il croyait que l’auteur des appels appartenait aux AUC ou qu’il avait conclu que l’auteur de l’appel faisait partie des AUC. Il a affirmé que les auteurs se sont expressément présentés comme tels. Pour le tribunal, il s’agit d’une contradiction.

[16] Lorsque la contradiction entre son exposé circonstancié et son témoignage de vive voix a été soulignée au demandeur d’asile, celui-ci a modifié son témoignage. Le demandeur d’asile a affirmé que les auteurs des appels ne s’étaient pas présentés expressément comme des membres des AUC, mais qu’il croyait plutôt qu’ils appartenaient aux AUC parce qu’ils avaient mentionné qu’ils avaient forcé sa famille à quitter le pays, ce qu’avaient fait les AUC. Le tribunal a demandé au demandeur d’asile d’expliquer la contradiction dans son témoignage de vive voix, ainsi que les différences entre son témoignage de vive voix et son exposé circonstancié quant à la question de savoir si les présumés auteurs des appels s’étaient déjà présentés comme appartenant aux AUC, aux paramilitaires, aux BACRIM ou à une autre organisation. Le demandeur d’asile a expliqué qu’il s’agissait d’un [traduction] « oubli » dans son exposé écrit. Il a affirmé que, lorsqu’il a écrit son histoire, il était en proie à beaucoup de pressions, de crainte et de stress. Même si le tribunal prêtait foi à cette explication des contradictions entre l’exposé écrit du demandeur d’asile et son témoignage de vive voix, elle n’explique pas les incohérences relevées dans son témoignage de vive voix à l’audience.

[81] Le demandeur reconnaît les disparités, mais affirme qu’elles étaient mineures et explicables, et qu’elles n’auraient pas dû avoir d’importance. La Commission était préoccupée par le fait que le demandeur avait affirmé que l’auteur de l’appel s’était précisément présenté comme appartenant aux AUC, tandis qu’il avait écrit dans son exposé qu’il ignorait l’identité de l’auteur de l’appel. Ainsi, la disparité ne portait pas sur la question de [traduction] « savoir si les auteurs de l’appel téléphonique du mois d’août 2015 se sont présentés comme appartenant aux AUC ou aux Bacrim » comme l’allègue maintenant le demandeur. Encore une fois, le problème est aggravé par un changement de témoignage, que le demandeur définit comme mineur. La Commission indique toutefois clairement que la décision se fonde sur l’ensemble des préoccupations quant à la crédibilité et qu’il s’agit d’une autre incohérence qui n’a pas été expliquée à sa satisfaction.

E. Disparités techniques plutôt que de fond

[82] Le demandeur, encore une fois, ne tient pas compte des questions dans leur contexte quand il mentionne :

17. [traduction] Le tribunal a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité qui se fondait en partie sur des disparités techniques plutôt que de fond, qui ne sont pas importantes au fondement des revendications du demandeur. Dans ses motifs, le tribunal écrit que « le demandeur d’asile a menti en ce qui concerne le plus haut niveau d’études qu’il a terminé » et « conclut que le demandeur d’asile a délibérément cherché à le tromper à cet égard ». Le niveau d’études le plus élevé obtenu par le demandeur n’est pas pertinent à sa revendication et l’incohérence perçue pourrait aussi être très facilement attribuable à la perte de signification et d’équivalences dans le processus de traduction. Le tribunal commet une erreur en attribuant au demandeur une intention de chercher délibérément à le tromper. La Cour a conclu que le fait de rejeter des revendications fondées sur des questions secondaires sans importance, sans évaluer l’essence de la revendication, constitue une erreur susceptible de révision : […]

[83] La Commission mentionne clairement la préoccupation relative au niveau d’études du demandeur dans le contexte d’une possibilité de refuge intérieur possible :

[17] Lorsqu’une possibilité de refuge intérieur à Bogota a été examinée, le demandeur d’asile a affirmé qu’il n’avait pas de diplôme universitaire. Il a prétendu qu’il n’avait pas un baccalauréat de cinq ans comme il est inscrit dans ses formulaires au point d’entrée. Il a affirmé qu’il avait un diplôme ou certificat technique de trois ans, mais pas un baccalauréat. Il a affirmé qu’un baccalauréat est l’aboutissement d’un programme universitaire de cinq ans, et qu’il n’avait terminé qu’un programme de trois ans.

[18] Le tribunal a demandé au demandeur d’asile d’expliquer la contradiction entre son témoignage de vive voix et les documents au point d’entrée. Le demandeur d’asile a affirmé qu’il lui avait fallu cinq ans pour terminer un programme technique de trois ans parce que l’université fermait constamment en raison de manifestations qui ont retardé le semestre, ce qui a allongé le temps nécessaire pour mener à bien les programmes d’études. Toutefois, lorsque le frère du demandeur d’asile a été appelé à témoigner, il avait affirmé que le demandeur d’asile avait étudié à l’université en Colombie où il avait obtenu un baccalauréat ès arts ou B.A. Il a affirmé qu’il s’agissait d’un programme de cinq ans Le tribunal estime que le témoignage du témoin est véridique pour les motifs qui seront énoncés ci‑après. Le tribunal conclut que le demandeur d’asile a menti en ce qui concerne le plus haut niveau d’études qu’il a terminé, étant donné qu’il était manifeste que le tribunal essayait de voir si, avec son niveau d’études, le demandeur d’asile pourrait facilement se réinstaller et se rétablir dans une autre région de la Colombie. Le tribunal conclut que le demandeur d’asile a délibérément cherché à le tromper à cet égard.

[Notes de bas de page omises.]

[84] Il est évident que le niveau d’études du demandeur était important dans le cadre de sa demande puisqu’il aurait pu être pertinent pour une possibilité de refuge intérieur éventuelle à Bogota. La suggestion du demandeur selon laquelle « l’incohérence perçue pourrait aussi être très facilement attribuable à la perte de signification et d’équivalences dans le processus de traduction » n’est que pure spéculation et je ne vois pas pourquoi le demandeur a offert une telle explication. Vu le contraste saisissant entre le témoignage du demandeur sur ce point et le témoignage clair du contraire livré par son frère, dans le contexte d’une discussion sur une possibilité de refuge intérieur, il est peu surprenant que la Commission ait conclu que le demandeur avait « délibérément cherché à [...] tromper [le tribunal] à cet égard. » Le demandeur n’affirme pas qu’il n’a pas tenté d’induire la Commission en erreur sur ce point; il invite simplement la Cour à émettre l’hypothèse que l’incohérence « pourrait aussi être très facilement attribuable à la perte de signification et d’équivalences dans le processus de traduction. »

[85] Vu la nature de la revendication du demandeur, il était nécessaire de se pencher sur l’offre d’une possibilité de refuge intérieur à Bogota. En répondant aux questions de la Commission à cet égard, le demandeur a révélé une approche à l’égard de la présentation d’éléments de preuve qui était pertinente à sa crédibilité en général et, quoi qu’il en soit, il ne s’agissait que de l’une des disparités sur lesquelles s’appuyait la Commission. Dans la présente demande, la Commission n’a pas écarté des parties importantes de l’affaire du demandeur. Il ne s’agit pas d’une affaire où la Commission a uniquement invoqué des incohérences secondaires. Il est loisible à la Commission de renvoyer à d’autres éléments de preuve afin de déterminer si le demandeur est digne de confiance pour dire la vérité, à condition d’avoir aussi un motif de ne pas croire les éléments centraux de la demande. Voir Qasem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1182, aux paragraphes 47 et 48 (Qasem).

F. Revendication des parents

[86] Pour des raisons semblables, le demandeur se plaint aussi du fait que la Commission s’est fondée sur des différences dans les éléments de preuve entre sa revendication et celle de ses parents :

[traduction] Le demandeur soutient que le tribunal a aussi commis une erreur en procédant à un examen à la loupe d’une disparité mineure entre le témoignage du demandeur, celui de ses parents et son exposé circonstancié. Le tribunal reconnaît même au paragraphe 22 que cette disparité n’est pas « au cœur des allégations du demandeur ». Elle n’aurait donc pas dû être un aspect déterminant du fait que le tribunal a douté de la crédibilité du demandeur.

[87] La Commission a analysé cette question comme suit : [traduction]

[19] Les parents du demandeur d’asile ont demandé l’asile au Canada en 2007, et leurs demandes ont été acceptées. Le demandeur d’asile a produit l’exposé circonstancié qui avait été utilisé dans les demandes d’asile en question. Selon l’exposé circonstancié de ses parents, [traduction] « À la fin de décembre 2001, mon fils Alexander [le demandeur d’asile] a décidé de se marier et de quitter la maison. Malheureusement, Alexander est parti en colère en raison de notre manque d’appui à l’égard de ses projets de mariage. Il n’a pas eu de contacts avec nous depuis son départ ».

[…]

[22] Le témoignage écrit du demandeur d’asile contredit son témoignage de vive voix et des éléments du témoignage de vive voix du demandeur d’asile sont contradictoires. Le tribunal souscrit aux observations du conseil selon lesquelles ces éléments particuliers ne sont pas au cœur des allégations du demandeur d’asile, mais il estime qu’ils donnent une idée de la crédibilité globale du demandeur d’asile. Le tribunal conclut que, globalement, le demandeur d’asile a eu de la difficulté à s’en tenir à la même histoire pendant qu’il tentait de jongler avec la vérité et les mensonges.

[Notes de bas de page omises.]

[88] Il s’agit de l’un des motifs du contrôle judiciaire dans la présente demande : la Commission était tenue de rendre une décision favorable parce que la Section de la protection des réfugiés avait déjà accordé le statut de réfugié à ses parents, à ses frères et à sa sœur à l’égard de faits semblables.

[89] La Commission explique ici pourquoi elle ne peut pas le faire. Il est évident que ces disparités ne sont pas « mineures », comme l’allègue maintenant le demandeur. Encore une fois, ici, la Commission ne se fonde pas sur ces disparités tout en écartant des parties importantes de l’affaire du demandeur, comme ce fut le cas dans Simba, précité, et invoqué par le demandeur. Il s’agissait d’une question diverse qui, même si elle n’était pas au cœur de l’affaire du demandeur, témoigne de son approche globale à l’égard de la présentation d’éléments de preuve et de sa crédibilité générale. Voir Qasem, précité, au paragraphe 48.

G. Défaut de tenir dûment compte d’autres éléments de preuve à l’appui

[90] Le demandeur se plaint que la Commission, puisqu’elle a mis l’accent sur des « détails mineurs » pour conclure qu’il n’était pas crédible, a donc omis de tenir dûment compte de ce qui suit :

[traduction] […] le témoignage du frère du demandeur, les éléments de preuve sur les conditions dans le pays et le propre témoignage du demandeur à l’appui de sa demande d’asile. Le tribunal a uniquement invoqué les allégations de persécution passée du demandeur et n’a pas apprécié de manière prospective le risque auquel le demandeur s’exposerait s’il retournait en Colombie. Il incombait au tribunal, même après avoir rendu une conclusion défavorable sur la crédibilité, de procéder quand même à une analyse du bien-fondé de la crainte de persécution future du demandeur.

[91] Comme il a été mentionné plus tôt, je suis d’avis que la Commission a pleinement examiné le témoignage du frère et qu’elle explique pourquoi il n’apaise pas les préoccupations quant à la crédibilité ou il n’établit aucun risque futur.

[92] La Commission explique aussi qu’étant donné qu’elle a rejeté la preuve de persécution passée présentée par le demandeur lui-même puisqu’elle n’était pas crédible, « [le tribunal] n’a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel fonder une décision favorable dans la présente demande d’asile. »

[93] Le demandeur n’a pas expliqué à la Cour comment, vu que son récit sur les menaces faites par les AUC n’a pas été cru, un seul élément des documents sur les conditions dans le pays l’expose à un risque s’il retourne en Colombie. Étant donné que tel est le cas, la commission ne pouvait pas analyser d’autres risques futurs. Le demandeur n’a pas allégué devant la Commission qu’il s’exposait aussi à des risques s’il retournait en Colombie, hormis le fait d’être la cible de menaces, ce que la Commission avait rejeté. Rien dans la preuve en général ne permet de croire que le demandeur était effectivement exposé à un risque autre que celui d’être la cible de menaces par les AUC, qui constituait le fondement de sa demande.

[94] En outre, on ne peut pas utiliser les documents généraux sur le pays où il est question de ciblage par des groupes terroristes en Colombie pour remédier aux disparités précises dans les éléments de preuve du demandeur lui-même qui constituaient le fondement des conclusions négatives sur la crédibilité. Comme la Cour l’a fait remarquer dans Rahaman, précité :

[17] Je ne suis pas d’accord. Si la crédibilité du demandeur est à ce point minée que la Commission ne croit pas que ce dernier craigne avec raison d’être persécuté, il est inutile de se demander si les conditions du pays peuvent étayer sa revendication.

H. Retard

[95] Enfin, le demandeur affirme qu’il était déraisonnable pour la Commission d’invoquer son retard à quitter la Colombie. La Commission a traité la question de la façon suivante :

[7] Le tribunal estime que le départ tardif du demandeur d’asile de la Colombie est important et permet de douter de la crédibilité de ses allégations. Les parents du demandeur d’asile ont fui la Colombie de crainte d’être tués en 2007. Les frères et sœurs du demandeur d’asile ont quitté la Colombie entre 1997 et 1999. Le demandeur d’asile a été invité à expliquer pourquoi il n’avait pas quitté la Colombie en même temps que ses frères et sœurs. Il a affirmé qu’il était resté en Colombie pour prendre soin de ses parents, mais le tribunal souligne que même après que ses parents eurent quitté la Colombie, dix ans plus tôt, le demandeur d’asile est resté dans son pays.

[8] L’exposé circonstancié des parents du demandeur d’asile précise que trois de leurs enfants ont été menacés en 1997 avec des mitrailleuses. Trois de leurs enfants ont quitté la Colombie entre 1997 et 1999. Le demandeur d’asile n’a pas quitté le pays. Cela amène le tribunal à mettre en doute la question de savoir si le demandeur d’asile a reçu la moindre menace dans les années 1990 ou maintenant.

[Notes de bas de page omises.]

[96] Le demandeur expose ainsi ses arguments :

20. Dans les motifs, le tribunal affirme que le départ tardif du demandeur est « inouï » et qu’il « permet de douter de la crédibilité de ses allégations », vu que ses parents, ses frères et sa sœur ont quitté le pays des années avant lui. Il s’agit d’une erreur. Les parents, les frères et la sœur du demandeur ont été directement ciblés par le groupe terroriste paramilitaire entre 1997 et 1999, tandis que le demandeur lui-même ne l’a pas été. Les parents du demandeur ont été ciblés de nouveau en 2006 et en 2007; c’est à ce moment qu’ils ont décidé de quitter la Colombie pour demander l’asile. Le demandeur n’a été une cible directe qu’au moment où le premier appel a été fait, en 2015.

[97] Ici encore, nous constatons que le demandeur met l’accent sur des différences entre sa situation et celle de ses parents dans une demande de contrôle judiciaire où il allègue aussi que la Commission aurait dû rendre la même décision pour les deux demandes.

[98] Cela étant dit, le demandeur s’appuie sur des affaires comme la décision Londono Soto, précitée, pour étayer sa position selon laquelle « [é]tant donné qu’il faut un certain temps pour qu’une série d’incidents se solde finalement par quelque chose, la lenteur d’un demandeur d’asile à quitter son pays ne saurait faire obstacle à l’admission de sa demande d’asile » (au paragraphe 31).

[99] Le demandeur indique que la conclusion sur le « retard inouï » est déraisonnable parce qu’il a pris des mesures d’évitement en déménageant à l’intérieur de la Colombie et qu’il n’avait aucune raison de quitter jusqu’à l’appel de septembre 2016.

[100] À l’audience devant la Commission, le demandeur a affirmé qu’il avait quitté Medellín seulement [traduction] « en mars 2007, plus ou moins », après le départ de ses parents de la Colombie. Il explique qu’avant, il n’habitait pas dans le même secteur de Medellín que ses parents (dossier certifié du tribunal, à la page 183). Il affirme avoir déménagé à Bogota en 2007. Toutefois, le formulaire au point d’entrée indique que Medellín est sa ville de résidence, à différentes adresses, jusqu’en 2013 et n’indique pas qu’il a déjà habité à Bogota (dossier certifié du tribunal, à la page 40). Dans l’exposé figurant sur son formulaire de renseignements personnels (FRP), il indique que ses parents [traduction] « ont déménagé dans un secteur différent de Medellín et j’ai déménagé à Bogota », mais aucune date n’est mentionnée. Dans le FRP, il indique ensuite [traduction] « [c]e déménagement m’a rendu très malheureux et pendant quelques années, j’ai perdu contact avec Medellín et avec ma famille; je survivais à peine à Bogota [… ]. J’ai appris plus tard qu’à un moment donné en 2006 ou en 2007, mes parents avaient été menacés par le groupe paramilitaire et qu’ils avaient aussi quitté la Colombie en 2007. » Selon l’interprétation qu’en fait la Commission, le FRP indique que le demandeur a déménagé à Bogota et qu’il a perdu contact avec sa famille avant que ses parents ne quittent la Colombie. Quand on lui a demandé une explication, le demandeur a continué d’insister sur le fait qu’il avait travaillé avec ses parents à Medellín jusqu’à leur départ pour le Canada et qu’il n’avait pas perdu contact avec eux jusqu’à ce moment-là. Il n’a déménagé à Itagui qu’après avoir commencé à recevoir des appels menaçants en 2015.

[101] Le départ tardif n’est qu’une question parmi tant d’autres et par « inouï », la Commission renvoie manifestement au long écart entre le moment où ses frères, sa sœur et ses parents ont quitté et le moment où le demandeur a quitté. Le demandeur était membre d’une famille ciblée et il travaillait dans l’entreprise familiale pour payer les demandes d’argent des AUC. Il n’est pourtant pas parti quand sa famille l’a fait; il a attendu que survienne la menace de septembre 2016. Il se peut que le demandeur ait déménagé à quelques reprises et qu’il ait pris des mesures d’évitement; cela signifie toutefois que malgré ce qui était arrivé à ses frères, à sa sœur et à ses parents, il arrivait à fonctionner et il n’a pas ressenti le besoin de partir que très longtemps après le départ de sa famille. Ce retard donne à croire à la Commission qu’il ne faisait pas l’objet des mêmes menaces qu’eux – autrement, il serait parti avec eux –, ce qui signifie que le retard sème un doute quant à savoir s’il a bel et bien été menacé. Le retard en soi ne constitue pas un facteur déterminant et il ne s’agit que d’une question préoccupante sur laquelle il fallait se pencher conjointement avec d’autres facteurs, surtout la tentative du demandeur de quitter la Colombie pour des motifs d’ordre économique après le départ de sa famille, pour d’autres raisons. Le demandeur a présenté des raisons pour être resté, mais la durée du retard sous-entend que les personnes qui avaient menacé sa famille pendant une longue période ne lui faisaient pas courir un grave danger.

[102] Pour le demandeur, tout revient à l’appel téléphonique de septembre 2016. Je ne crois toutefois pas qu’il est déraisonnable pour la Commission de se pencher sur les antécédents de menace de la famille dans leur ensemble et je conclus que le fait que le demandeur soit resté en Colombie aussi longtemps sème un certain doute quant à savoir s’il a été menacé par le même groupe qui avait menacé les autres membres de sa famille. Vu les conclusions de la Commission relativement à l’appel de septembre 2016, le long retard devient donc très révélateur. Le demandeur tente d’avoir le beurre et l’argent du beurre. Il veut que la Commission croie qu’il a toujours craint les AUC en raison de la situation de sa famille, mais il n’a pourtant pas quitté le pays avant septembre 2016, longtemps après le départ de sa famille. Il veut aussi que la Commission accepte qu’il n’avait aucun motif de partir avant l’appel de septembre 2016. Il a pourtant présenté des éléments de preuve incohérents sur les appels téléphoniques qui ont mené à sa décision de partir et qui l’ont précipitée. Selon la transcription de l’audience, le demandeur a expliqué que le retard était attribuable à son déménagement à Bogota peu après le départ de ses parents de la Colombie. C’est le récit qu’il répète sans cesse à l’audience. Le problème réside dans la confusion que suscitent les réponses du demandeur quand on les compare à son exposé circonstancié et à celui de ses parents dans leur FRP. Le demandeur n’explique à aucun moment la différence entre le témoignage qu’il a livré à l’audience et son exposé circonstancié dans son FRP. À l’instar de la préoccupation entourant le non-signalement du premier appel à la police, il est possible que le retard en soi ne donne pas lieu à une préoccupation quant à la crédibilité. Toutefois, les incohérences dans les éléments de preuve et l’incapacité du demandeur de les expliquer constituent un motif suffisant au questionnement de la Commission quant à savoir si [traduction] « le demandeur a fait ou non l’objet de menace [sic], dans les années 1990 ou maintenant. » Il faut aussi voir cette préoccupation dans le contexte des autres préoccupations quant à la crédibilité.

[103] Les parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1508-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de juillet 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1508-17

 

INTITULÉ :

ALEXANDER CASTRILLON GUTIERREZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

John Grice

 

Pour le demandeur

 

Nadine Silverman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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