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Date : 20180116


Dossier : T-1396-13

Référence : 2018 CF 41

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

LANTECH.COM, LLC

demanderesse/
défenderesse reconventionnelle

et

WULFTEC INTERNATIONAL INC.

défenderesse/
demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La défenderesse/demanderesse reconventionnelle (la défenderesse ou Wulftec) demande à ajouter trois sujets de modifications à sa nouvelle défense et demande reconventionnelle de nouveau modifiée, conformément à l’article 75 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, ou au paragraphe 75(1), auxquels la demanderesse/défenderesse reconventionnelle (la demanderesse ou Lantech) s’oppose.

[2]  Voici les modifications contestées :

  1. ajouter une allégation selon laquelle les brevets invoqués sont inutiles (modifications liées à l’utilité);

  2. ajouter une allégation selon laquelle les brevets invoqués ont été antériorisés par Lantech elle-même (modification liée à l’antériorité par Lantech);

  3. ajouter une allégation selon laquelle les inventeurs des brevets invoqués ont été incorrectement nommés (modification liée à la paternité de l’invention).

[3]  La demanderesse soutient qu’aucune de ces modifications n’a de chance d’être accueillie puisqu’elles ne présentent aucun fait important qui soutiendrait une cause d’action contre la demanderesse, elles nuiraient à l’instruction équitable de l’action et constitueraient un abus du processus judiciaire.

[4]  Il est admis qu’une modification proposée doit répondre à une question préliminaire, soit de savoir si elle survivrait à une requête en radiation, régie par l’article 221 des Règles : Teva Canada Limitée c Gilead Sciences Inc, 2016 CAF 176, au paragraphe 26 [Teva]. À cet égard, Lantech soutient qu’il est évident et manifeste [sans renvoyer aux éléments de preuve accueillis, c.-à-d. l’article 221 des Règles] que les modifications ne révèlent aucune cause d’action valable et n’ont aucune chance raisonnable d’être accueillies : R c Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42, au paragraphe 17; Canada c Scheuer, 2016 CAF 7, au paragraphe 11.

a)  Modifications proposées liées à l’utilité (paragraphes 33 à 43)

[5]  Voici les modifications proposées liées à l’utilité, indiquées aux paragraphes 33 à 43 de la défense et demande reconventionnelle de nouveau modifiée :

33.  Les brevets sont également invalides parce qu’ils n’ont aucune utilité.

34.  La description qui figure dans les brevets prétend régler le problème de l’étirement inégal du film causé par la forme de la charge emballée.

35.  Les interrogatoires préalables ont établi que le mécanisme de dispense de film décrit dans les brevets tel que Lantech le comprend, comporte une dispense continue du film, sans aucun changement quel qu’il soit à la vitesse de dispense du film. Par conséquent, l’augmentation de la tension du film aux coins d’une charge carrée ou rectangulaire standard n’est pas compensée par une modulation de la vitesse de dispense du film, qu’elle soit calculée d’avance (comme c’est le cas avec le produit FAST de la défenderesse) ou au moyen d’un mécanisme, comme un mesureur de force ou un rouleau danseur, ce qu’un certain nombre d’entreprises de l’industrie, y compris Wulftec et Lantech, font depuis des années.

36.  L’interrogatoire préalable mené par Michael Mitchell, le représentant de la demanderesse, les 15 et 16 juin 2017, a déterminé que l’invention décrite dans les brevets correspond à la technologie No Film Break de Lantech, également connue sous le nom de technologie Lean Tech et de méthode de dispense de film dosée. Ces termes semblent tous être des synonymes.

37.  La méthode de dispense de film dosée de Lantech semble résoudre le problème de l’augmentation de la tension du film en augmentant l’épaisseur du film, Lantech recommandant ainsi à ses clients d’utiliser un film de meilleure qualité.

38.  Par conséquent, la matière du brevet 981 de Lantech n’est pas utile et ne sert donc aucune fin pratique.

39.  La méthode utilisée par Wulftec pour compenser l’augmentation de la tension du film se fonde sur des calculs préalables déterminés par les coordonnées des coins de la charge et elle ne peut donc pas enfreindre les revendications des brevets.

40.  Dans le numéro 31 du bulletin d’information de Lantech de 2010, on indiquait ce qui suit :

[traduction]

a) « Les causes fondamentales des bris de film sont difficiles à cerner. En fait, elles sont si difficiles à cerner que la plupart des gens s’en débarrassent en abaissant la force de l’emballage jusqu’à ce que le film cesse de se briser. » [...] « Il y a de l’espoir, cependant, parce que nous venons de faire un saut technologique qui résout ces problèmes de front. La nouvelle technologie “no film break” élimine maintenant la raison pour laquelle le film se brise. Les utilisateurs de machine d’emballage sous film étirable profitent maintenant de ce qui suit :

i. une meilleure charge avec une force de rétention accrue;

ii. plus de temps de disponibilité et moins de mises au point;

iii. des coûts inférieurs en film puisque nous pouvons créer la force de rétention requise avec un nombre inférieur de révolutions de film. » [...] « Apprenez-en plus sur la technologie No Film Break ».

41.  Par conséquent, Lantech n’a pas fait un « saut technologique » qui règle ces problèmes, soit la question du bris du film.

42.  Même si ce genre de déclarations peut comprendre des efforts de marketing susceptibles d’attirer des clients, en fin de compte, le fait de recommander l’utilisation d’un film plus épais et de meilleure qualité n’est pas une invention, encore moins une percée ou un « saut ».

43.  Ce « saut » n’aurait pas dû être déguisé jusqu’à devenir une invention brevetable au moyen de revendications brillamment rédigées, comme c’est le cas dans les demandes de brevet ayant donné lieu à la présentation des brevets en litige.

[6]  Lantech fait valoir que, plutôt que de mettre l’accent sur les revendications des brevets invoqués, Wulftec a fondé à tort ses allégations sur une promesse d’utilité dans la description du brevet, ce qui va à l’encontre de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2017 CSC 36, aux paragraphes 54 à 55 [AstraZeneca CSC] et sur des réalisations commerciales non pertinentes. Qui plus est, Wulftec n’a présenté aucun fait important à l’appui d’une allégation selon laquelle l’une des revendications des brevets invoqués ne possède pas une moindre parcelle d’utilité.

[7]  La Cour est en désaccord avec cette affirmation. Le renvoi de Wulftec, au paragraphe 34, à [traduction] « [l]a description figurant dans les brevets prétend régler le problème de l’étirement inégal du film causé par la forme de la charge emballée », n’aborde pas l’utilité des inventions, qui se limite aux revendications dans les brevets invoqués, comme l’exige l’arrêt AstraZeneca CSC. Qui plus est, les modifications proposées semblent reposer sur la prémisse selon laquelle les réalisations commerciales ne possèdent pas une moindre parcelle d’utilité parce qu’elles résolvent un problème particulier d’une certaine façon, ce qui n’est pas le critère. Les modifications semblent aussi s’apparenter davantage à un plaidoyer sur l’« évidence » qu’un plaidoyer sur l’utilité. Le renvoi à un « saut technologique » s’apparente à une forme de seuil de validité, même si la défenderesse ne l’a pas plaidé de cette manière pendant l’audience. Cette dernière a plutôt fait valoir qu’elle ne faisait que citer les revendications de Lantech sur les avancées alléguées de la technologie.

[8]  Pour les motifs qui précèdent, la Cour conclut que les modifications proposées de l’utilité ne répondent pas à l’obligation de révéler une cause d’action raisonnable.

b)  Modification proposée liée à l’antériorité (paragraphe 44)

[9]  Le paragraphe 48 proposé de la défense et demande reconventionnelle de nouveau modifiée sur l’antériorité est rédigé ainsi :

[traduction]

44.  Le Système de dispense de film dosée a été divulgué au public un an avant la première date de demande des trois brevets visés, c’est-à-dire le 7 avril 2006, ce qui rend donc les brevets invalides pour cause d’antériorité.

[10]  Il est reconnu que le Système de dispense de film dosée correspond à la description commerciale de la réalisation des brevets. Aucun fait important à l’appui n’a été présenté sur la machine ou le produit en particulier qui ont été supposément divulgués, sur le moment de leur divulgation, sur le lieu de leur divulgation, sur la façon dont ils ont été divulgués ou sur les renseignements particuliers qui auraient été à la disposition d’un membre du public à la suite de cette divulgation. Ce paragraphe unique est une simple allégation qui n’est pas étayée par des faits importants, ce qui est interdit, comme l’a reconnu la Cour : article 174 des Règles, arrêt Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien-être social), 2015 CAF 227, au paragraphe 17.

[11]  La défenderesse soutient qu’il faut se pencher sur la requête connexe en vue d’obtenir des réponses aux questions issues de l’examen préliminaire, qui devait être instruite avec la requête en modification, mais qui a été tranchée peu de temps avant l’audience. L’avocat de Wulftec a affirmé qu’on a posé au déposant de la demanderesse une question ouverte au départ, qui portait sur des documents liés à l’achat de la première vente du dispositif muni du Système de dispense de film dosée. La demanderesse s’est opposée à la question puisqu’elle n’était pas pertinente, mais a répondu conformément au paragraphe 95(2) des Règles, tout en conservant son droit de faire examiner le bien-fondé des questions. Toutefois, dans le cadre du processus visant à trancher la requête en vue d’obliger la partie adverse à fournir des réponses, Lantech a fourni à Wulftec un bon de commande en date de novembre 2005 de l’acheteur (Proctor & Gamble) et un connaissement prouvant la vente et l’expédition de l’équipement en juillet 2006. L’avocat a informé la Cour qu’il s’agissait des seuls documents liés à la première vente de la technologie brevetée.

[12]  D’autres discussions ont eu lieu pendant l’audience afin de déterminer s’il pouvait s’agir de tous les documents, puisqu’il semblait peu probable qu’il n’y ait pas eu d’échange de courriels ou d’autres documents accompagnant la vente d’une pièce coûteuse d’équipement amélioré arborant une nouvelle technologie.

[13]  La Cour conclut que les déclarations qui précèdent, même si elles étaient recevables en preuve dans une requête de ce genre, ne sont pas suffisamment probantes pour permettre d’apporter des précisions sur l’acte de procédure ou pour donner l’occasion de demander une divulgation supplémentaire et complète. La question originale constituait en quelque sorte une recherche à l’aveuglette, vu l’absence d’acte de procédure pertinent, tandis que la demanderesse a uniquement répondu conformément au paragraphe 95(2) des Règles, sans abandonner le droit de faire examiner le bien-fondé des questions.

[14]  Ensuite, la question relative aux réponses aux questions sur ces documents a été tranchée. Il n’est pas approprié ou logique de les revoir indirectement par l’intermédiaire d’observations orales à l’instruction de la requête en modification.

[15]  Troisièmement, et c’est là l’aspect le plus important, il n’y a aucune preuve de divulgation avant le 7 avril 2005, ou aux alentours de cette date. Le document qui se rapproche le plus sur le plan temporel est le bon de commande de novembre 2005, quelque six mois après l’échéance d’un an liée à l’antériorité. Par conséquent, la modification proposée du paragraphe 44 sur l’antériorité est rejetée.

c)  La modification proposée de la paternité de l’invention (paragraphe 45)

[16]  La modification proposée du paragraphe 45 se lit ainsi :

[traduction]

45.  Les interrogatoires préalables ont montré que M. Patrick Lancaster III n’est pas l’inventeur des brevets 981 et 148 et que les inventeurs du brevet 309 ont été incorrectement nommés.

[17]  La Cour se trouve de nouveau en face d’un simple argument aucunement appuyé par des faits importants, qui n’est accompagné que d’une déclaration partielle renvoyant aux interrogatoires préalables, sans désigner les éléments de preuve véritables qui constituent le fondement de la revendication alléguée.

[18]  La défenderesse a soutenu à l’audience qu’elle possédait des photographies qui montraient que des membres du personnel de Lantech avaient été vus à des salons commerciaux après avoir passé des heures dans les kiosques d’un autre fournisseur et de Wulftec, soi-disant pour examiner leurs produits. Même si ces allégations étaient ajoutées en tant que faits importants, elles ne révèlent aucun lien raisonnable avec la question de la paternité de l’invention. Qui plus est, l’acte de procédure de la défenderesse fondé sur ces affirmations équivaudrait également à une fraude. Ce genre d’allégation exige de présenter des faits importants qui, s’ils étaient prouvés, pourraient constituer le fondement d’une conclusion de mauvaise foi de la part de la demanderesse concernant l’invention elle-même : arrêt Teva, précité, au paragraphe 15. Enfin, le paragraphe 45 proposé semble être une allégation sans importance, ce qui va à l’encontre de l’alinéa 221(1)b) des Règles, en ce sens où le simple fait de ne pas nommer correctement un inventeur ne rend pas un brevet invalide : Apotex c Wellcome, 2002 CSC 77, aux paragraphes 107 à 109.

[19]  Par conséquent, la modification liée à la paternité de l’invention au paragraphe 45 est rejetée.

d)  Dépens

[20]  Les parties se sont entendues sur le fait que l’adjudication des dépens en faveur de la partie ayant entièrement obtenu gain de cause dans la requête serait fixée à une somme, tout compris, de 3 500 $, que la Cour accepte.

LA COUR ORDONNE que la requête en modification en vue d’ajouter les paragraphes 33 à 45 soit rejetée et que les dépens de 3 500 $ soient adjugés à la demanderesse, tout compris.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de septembre 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-1396-13

 

INTITULÉ :

LANTECH.COM, LLC c WULFTEC INTERNATIONAL INC.

REQUÊTE INSTRUITE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 21 NOVEMBRE 2017, DEPUIS OTTAWA (ONTARIO)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 janvier 2018

 

OBSERVATIONS ORALES ET ÉCRITES :

Michael Crichton

Constance Too

 

POUR LA DEMANDERESSE/
DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Alexandre Archambault

Pour la défenderesse/
demanderesse reconventionnelle

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

 

POUR LA DEMANDERESSE/
DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

ROBIC, S.E.N.C.R.L.

Pour la défenderesse/
demanderesse reconventionnelle

 

 

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