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Date : 20180115


Dossier : T-323-17

Référence : 2018 CF 36

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 15 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

STEVEN KENNETH GROSVENOR

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Grosvenor se représente lui-même dans le cadre de la présente demande. Il n’a pas travaillé depuis avril 2006 pour des raisons de santé. En juin 2012 il a demandé de recevoir des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, LRC, 1985, c C-8 (RPC). Le demandeur a été jugé invalide et dans l’incapacité de travailler. Des prestations d’invalidité ont été accordées et, en appliquant la période maximale de rétroactivité habituellement disponible selon la loi, antidatées à mars 2011.

[2]  M. Grosvenor s’est opposé à la période de rétroactivité. Il a soutenu que les dispositions sur l’incapacité des paragraphes 60(8), (9) et (10) du RPC s’appliquaient parce qu’il avait continuellement été incapable de présenter des demandes de prestations avant 2012 : ses prestations devraient par conséquent être payables jusqu’en 2006, lorsqu’il a cessé de travailler en raison de son état de santé. Subsidiairement, il a soutenu devant la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale et notre Cour que la preuve médicale établissait son incapacité en date de mars 2008 et que les prestations auraient dû être versées au moins à partir de cette date.

[3]  La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a conclu qu’il n’avait pas établi qu’il était incapable de former l’intention de présenter une demande de prestations d’invalidité entre 2006 et 2012. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté sa demande.

[4]  M. Grosvenor a demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, mais l’autorisation lui a été refusée. M. Grosvenor sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision défavorable. Il soutient que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale sont arrivées à la mauvaise conclusion en appliquant incorrectement la jurisprudence relative à l’incapacité et en appréciant incorrectement les éléments de preuve. Il demande que la Cour annule la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale et qu’elle ordonne le paiement du plein montant des prestations avec intérêts et une allocation raisonnable de dépenses. Subsidiairement, M. Grosvenor demande à la Cour de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision, mais d’ordonner une décision lui accordant la réparation qu’il demande.

[5]  La seule question soulevée en l’espèce est celle du caractère raisonnable de la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. M. Grosvenor a très habilement présenté ses observations. Toutefois, sur le contrôle judiciaire, le rôle de la Cour est d’évaluer si une décision – en l’espèce, la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale de rejeter l’autorisation d’en appeler dans le cadre établi par le Parlement dans la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [LMEDS] – était raisonnable (Tracey c Canada (VG), 2015 CF 1300, au paragraphe 17). Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer le bien-fondé de la demande ou de substituer l’issue qui serait selon elle préférable à celle qui a été retenue. La Cour doit plutôt se demander si les motifs découlent d’un processus décisionnel intelligible, transparent et justifiable et déterminer si le résultat appartient aux issues possibles et acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). En appliquant cette norme, comme je suis obligé de le faire, je ne peux constater une seule erreur commise par la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale qui justifierait mon intervention. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Cadre législatif

[6]  Le RPC prévoit qu’aucune prestation n’est payable à une personne, sauf si la demande a été faite par elle ou en son nom (RPC, au paragraphe 60(1)). En règle générale, la première date à laquelle une personne peut être réputée invalide est quinze mois avant la date de présentation de cette demande (RPC, à l’alinéa 42(2)b)). Toutefois, si la personne qui est incapable de présenter la demande redevient plus tard en mesure de le faire, le ministre peut décider que la demande a été faite avant la date d’incapacité réputée de l’alinéa 42(2)b) (RPC, au paragraphe 60(9)). L’incapacité doit avoir été continue (RPC, au paragraphe 60(10)).

[7]  Les décisions initiales liées aux prestations du RPC peuvent être portées en appel devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et peuvent être entendues de novo; la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a le pouvoir discrétionnaire de rejeter l’appel ou de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision visée par l’appel ou rendre la décision qui aurait dû être rendue (LMEDS, au paragraphe 54(1)). Les décisions de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale peuvent, avec permission, être portées en appel devant la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (LMEDS, au paragraphe 56(1)). La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale doit refuser la permission, sauf si le demandeur peut démontrer que l’appel a une chance raisonnable de succès à l’égard d’un des trois motifs prescrits : que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale 1) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; 2) a commis une erreur de droit; ou 3) a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance (LMEDS, aux paragraphes 58(1) et (2)).

[8]  Par souci de commodité, les extraits pertinents du RPC et de la LMEDS sont reproduits en annexe.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[9]  La Cour contrôle la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. Toutefois, pour évaluer le caractère raisonnable de cette décision, il est nécessaire d’examiner et de prendre en considération la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Un aperçu des deux décisions suit.

A.  Décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale

[10]  L’audience devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale était en personne. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a examiné le contexte de la demande et a cerné le point en litige qui est de savoir si M. Grosvenor répondait à la définition d’incapacité donnée aux paragraphes 60(8), (9) et (10) du RPC.

[11]  La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a observé que les éléments de preuve de M. Grosvenor établissent ce qui suit : 1) il n’avait pas travaillé depuis avril 2006; 2) il avait subi de longues périodes intermittentes d’évanouissement entre 2006 et 2012; 3) il avait été hospitalisé pendant deux mois après son départ du travail; 4) ses activités quotidiennes avaient été régies par des modes de comportement et principalement orientées par son épouse; 5) il n’avait pas été en mesure de prendre lui-même des décisions jusqu’à ce qu’il ait achevé son traitement en 2011 et 2012 et, avant cela, il ne faisait que se conformer aux instructions liées au déroulement de la vie quotidienne et aux modes de comportement familiers; 6) ses souvenirs de la période sont fragmentés et très limités en dehors des modes de comportement que lui a fournis son épouse; 7) il continuait de conserver son permis de conduire, de jouer à des jeux vidéo avec son fils et de s’acquitter des tâches ménagères qu’on lui demandait; 8) il était conscient de sa tendance à être distrait et, par conséquent, il a décidé de ne pas avoir d’autres passagers lorsqu’il conduisait; 9) il a conservé des comptes financiers conjoints avec son épouse et il utilisait une carte de crédit pour faire son épicerie; et 10) il était conscient des médicaments qui lui avaient été prescrits et il était en mesure de les identifier.

[12]  La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a observé que la demande de prestations d’invalidité du RPC a été amorcée en 2012 après que l’employeur de M. Grosvenor eut rejeté une proposition de plan de retour au travail et que son médecin a ensuite déterminé qu’il fallait présenter une demande. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a également pris note d’une lettre datée du mars 2015 de l’épouse de M. Grosvenor qui indiquait qu’entre 2006 et 2012, son époux ne pouvait pas prendre soin de lui-même et elle avait géré ses affaires. Elle indique que M. Grosvenor était en mode [traduction] « pilote automatique » avec son aide et que toute interruption par rapport à ses modèles établis créait des problèmes importants. Elle a déclaré qu’elle avait envisagé de demander le contrôle officiel de ses affaires par voie de procuration, mais qu’elle ne l’a pas fait pour plusieurs raisons : on lui avait dit que sa santé allait s’améliorer, ce qui lui permettrait de retourner au travail; elle était préoccupée par la stigmatisation qui pourrait en résulter pour M. Grosvenor à titre d’ingénieur professionnel si elle le faisait; et elle n’avait eu aucune difficulté pratique à gérer ses affaires sans procuration.

[13]  La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a résumé la preuve médicale, observant qu’elle indiquait qu’un traitement était en cours et qu’il s’est poursuivi jusqu’en 2012, l’objectif étant de permettre à M. Grosvenor de retourner au travail. La preuve médicale a également indiqué qu’il était difficile de prédire les résultats du traitement ou la réponse de l’employeur quant à la proposition de retour au travail, et qu’une demande de prestations permanentes pendant ce processus courrait le risque de faire dérailler les espoirs de rétablissement et minerait le traitement de M. Grosvenor.

[14]  Dans son évaluation des questions devant elle, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a reconnu qu’il avait été déterminé que M. Grosvenor souffrait d’une invalidité grave et prolongée. La date de début avait été déterminée comme étant mars 2011, la date d’entrée en vigueur du versement des prestations étant juillet 2011. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a ensuite abordé la définition d’incapacité au paragraphe 60(9) en soulignant qu’une personne doit démontrer une incapacité de former ou d’exprimer une intention de présenter une demande avant la journée à laquelle la demande a été présentée et, conformément au paragraphe 60(10), que la période d’incapacité soit continue.

[15]  La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale s’est fondée sur Sedrak c Ministre du Développement social, 2008 CAF 86 à l’égard du principe selon lequel la capacité de former l’intention de présenter une demande de prestations n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent à un demandeur. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a également observé que la preuve médicale et que les activités d’un demandeur peuvent être pertinentes au moment d’évaluer l’incapacité continue aux fins des paragraphes 60(9) et (10) du RPC (Procureur général du Canada c Danielson, 2008 CAF 78 [Danielson]).

[16]  Dans ce cadre, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a observé : 1) une évaluation neurologique réalisée en 2010 avait révélé que M. Grosvenor fonctionnait dans la moyenne; 2) il avait participé à l’évaluation neurologique et à d’autres programmes de traitement qui auraient exigé qu’il donne un consentement écrit et aucun élément de preuve n’indiquait que le consentement a été accordé en son nom; 3) les documents liés à la demande de 2012 ont été signés par M. Grosvenor, malgré le fait qu’une évaluation médicale indiquait que son incapacité avait commencé en 2008 et qu’elle était déterminée comme continue; 4) que la capacité de former une intention expresse et précise avait été démontrée par les observations de M. Grosvenor tout au long du processus devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[17]  La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a accepté les éléments de preuve de M. Grosvenor qui indiquaient qu’il fonctionnait selon des modes de comportements, mais a déterminé que malgré leur nature de routine, ses tâches quotidiennes nécessitaient des intentions précises afin de les réaliser. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a observé que M. Grosvenor avait continué à gérer ses propres affaires, qu’il avait conservé un permis de conduire et qu’il utilisait une carte de crédit : ces activités nécessitent la capacité de former une intention et témoignaient d’une capacité de prendre des décisions et d’exercer son jugement. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale s’est également fondée sur la préoccupation de M. Grosvenor lui-même pour la sécurité des passagers pour conclure qu’il était en mesure de faire preuve de jugement.

[18]  La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a conclu que le fait que le demandeur n’a pas demandé de prestations avant 2012 était motivé par l’incertitude quant à la permanence de l’incapacité et un plan de traitement visant à ce que M. Grosvenor retourne au travail. Bien que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale ait reconnu que le résultat du programme de traitement était incertain, il a déterminé que l’incapacité d’en prédire le résultat n’équivalait pas à être incapable de former l’intention de présenter une demande.

[19]  Après avoir examiné la preuve médicale et les activités de M. Grosvenor entre la date de l’incapacité et la date de la demande, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale n’a pas été en mesure de conclure que M. Grosvenor avait été incapable de former l’intention de présenter une demande de prestations d’invalidité entre 2006 et 2012.

B.  Décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale

[20]  La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a commencé son analyse en observant que M. Grosvenor devait démontrer que les motifs de l’appel se situent dans la portée de l’article 58 de la LMEDS et que l’appel avait une chance raisonnable de succès. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a ensuite résumé les motifs de l’appel de M. Grosvenor comme étant des allégations selon lesquelles la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale :

  1. n’a pas appliqué correctement le critère relatif à l’incapacité et n’a pas respecté les bons fondements juridiques;

  2. a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas atteint d’une incapacité, alors que la preuve montrait qu’il était incapable de prendre lui-même des décisions importantes et qu’il dépendait des autres pour les prendre à sa place;

  3. a commis une erreur en préférant l’opinion d’un neuropsychologue à celle d’un autre professionnel de la santé.

[21]  La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a tout d’abord souligné qu’aucune opinion médicale n’avait été préparée pour la période de 2006 à 2009 qui trait de l’incapacité de M. Grosvenor. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu : [traduction] « [i]l n’y avait qu’une faible base documentaire, voire aucune, qui aurait permis à la division générale de tirer de conclusions quant à l’ampleur de l’incapacité du demandeur à une date aussi antérieure que 2006. »

[22]  La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a ensuite examiné chacun des moyens d’appel relevés.

[23]  En examinant le critère relatif à l’incapacité, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a résumé les observations de M. Grosvenor pour ce qui concerne la jurisprudence pertinente et l’absence de tout élément de preuve de fond qui contredise sa prétention d’incapacité. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a observé qu’il incombait à M. Grosvenor d’établir sa prétention et que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale devait être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Grosvenor souffrait d’incapacité. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a observé que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a déterminé la jurisprudence pertinente, qu’elle a suivi la démarche concernant l’incapacité indiquée dans la jurisprudence et qu’elle a à juste titre tenu compte à la fois de la preuve médicale et des activités auxquelles M. Grosvenor a participé. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu [traduction] « que l’on ne peut dire que la Division générale n’a pas bien appliqué le critère relatif à l’incapacité ».

[24]  La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a ensuite examiné l’observation selon laquelle la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale avait commis une erreur en concluant que M. Grosvenor : 1) n’avait pas d’incapacité; 2) avait maintenu la gestion et le contrôle de ses affaires alors que des éléments de preuve indiquaient que son épouse détenait de fait une procuration; et 3) ne dépendait pas d’un soignant à temps plein alors que les éléments de preuve indiquaient que son épouse s’était acquittée de ce rôle. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a reconnu que M. Grosvenor dépendait grandement de son épouse et qu’il peut avoir montré une incapacité [traduction] « de temps à autre » entre 2006 et 2012. Toutefois, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu qu’il n’était pas déraisonnable pour la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale de conclure que l’exécution de certaines des activités incontestées a démontré la capacité de former l’intention. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu que M. Grosvenor demandait essentiellement le réexamen de la preuve en appel. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a observé que ce n’était pas le rôle de la Division d’appel et a conclu que l’appel n’avait pas une chance raisonnable de succès pour ce motif.

[25]  En examinant le rapport de l’évaluation neuropsychologique, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale n’a pas accordé [traduction] « une grande importance » au rapport, ou tiré ses propres conclusions du rapport. Elle a conclu que M. Grosvenor soutenait que l’opinion de son médecin selon laquelle il souffrait d’une incapacité aurait dû avoir été acceptée sans réserve. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu que l’acceptation de cet avis aurait constitué une application incorrecte du critère relatif à l’incapacité, lequel exige un examen de la preuve médicale et des activités. Encore une fois, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu qu’il n’y avait pas de chance raisonnable de succès pour ce moyen d’appel et a rejeté la demande d’autorisation.

IV.  Discussion

A.  Capacité

[26]  Les paragraphes 60(8) et (10) du RPC obligent les demandeurs à démontrer qu’ils n’avaient pas de façon continue « […] la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande […] ». Il [traduction] « n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité, mais seulement et tout simplement “la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande » (Danielson, au paragraphe 5, citant Morrison c Ministre du Développement des ressources humaines, Appel CP 04182, le 7 mars 1997). Pour déterminer la question de capacité, il est nécessaire de prendre en compte non seulement la preuve médicale, mais également « les activités pertinentes de la personne en cause entre la date prétendue de début de l’invalidité et la date de la demande, ce qui nous informe sur la capacité de cette personne pendant la période en question de “former ou d’exprimer l’intention” de faire une demande » (Danielson, aux paragraphes 6 et 7).

[27]  M. Grosvenor conteste la conclusion de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle les activités comme la conduite automobile, l’utilisation d’une carte de crédit et la décision de M. Grosvenor de ne pas avoir de passagers dans sa voiture pour des raisons de sécurité démontrent une capacité. Il soutient que ces activités ne sont pas des « activités pertinentes » aux fins des paragraphes 60(8) à (10) du RPC et, par conséquent, elles n’auraient pas dû avoir été prises en compte; plutôt, sa capacité devait être évaluée en fonction de sa prise de décisions dans des contextes semblables à ceux ayant trait à la présentation d’une demande de prestations d’invalidité du RPC. Je ne suis pas convaincu.

[28]  Pour arriver à sa décision, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale était bien consciente de la décision Danielson et de la nécessité de prendre en compte la preuve médicale et les « activités pertinentes » en examinant la question de capacité. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a entrepris une analyse des activités de M. Grosvenor et a conclu que ces activités étaient des « activités pertinentes » aux fins de l’évaluation de la capacité.

[29]  M. Grosvenor soutient en outre que l’analyse était trop vaste et qu’elle englobait des activités qui n’étaient pas liées à former l’intention de présenter une demande de prestations. Il soutient que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social s’est concentrée sur les processus de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale plutôt qu’au fond de la décision en examinant la demande d’autorisation d’interjeter appel.

[30]  La question soulevée devant la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social était l’application erronée du critère relatif à l’incapacité et c’est dans ce contexte que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social a examiné le critère et les mesures prises par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. À cet égard, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social n’a pas commis d’erreur dans l’examen du processus. Après examen de la décision dans son ensemble, il est également clair que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social n’a pas limité son analyse au processus comme le laisse entendre M. Grosvenor.

[31]  La conclusion de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle les activités en question étaient pertinentes à une évaluation de la capacité a été abordée plus loin dans la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité social a conclu que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale pouvait aller au-delà de la question à savoir si M. Grosvenor prenait des décisions financières ou médicales de façon indépendante et tenir compte de ses autres activités. Elle a abordé les activités que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale avait examinées et analysées. Elle a conclu que ces activités auraient nécessité que M. Grosvenor forme des intentions pertinentes à l’analyse de l’incapacité et que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale n’a pas commis d’erreur en tenant compte de ces « activités pertinentes ». Il n’était pas déraisonnable ou incorrect pour la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social de conclure que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale n’avait pas commis d’erreur et que M. Grosvenor avait omis de démontrer une chance raisonnable de succès de ce motif d’appel.

B.  Conclusions

[32]  M. Grosvenor soutient également que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social a conclu de manière déraisonnable que ses observations selon lesquelles les conclusions de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale étaient incompatibles avec les preuves n’avaient pas de chance raisonnable de succès en appel.

[33]  La Division d’appel du Tribunal de la sécurité social a pris note des allégations de M. Grosvenor qui soutient que les éléments de preuve indiquaient qu’il n’était pas en mesure de prendre lui-même des décisions importantes, mais a également reconnu, comme il a été mentionné précédemment, que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale avait le droit de regarder au-delà des décisions médicales ou financières pour les autres activités du demandeur. Ni la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social ni la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale n’ont négligé les éléments de preuve liés au rôle de son épouse dans les soins qui lui étaient prodigués et dans la gestion de ses affaires. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité social a plutôt observé que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a soupesé ces éléments de preuve par rapport aux faits que M. Grosvenor cuisinait, allait à des réunions, effectuait des tâches ménagères et (le plus important) prenait des décisions concernant la conduite automobile. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité social a conclu que les éléments de preuve ont permis à la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale de conclure raisonnablement que l’exécution de ces activités demandait une [traduction] « intention précise d’accomplir des actions précises » et, à ce titre, M. Grosvenor n’avait pas établi une incapacité continue.

[34]  Un appel fondé sur une conclusion de fait erronée est seulement offert à un appelant lorsque la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a fondé sa décision sur une conclusion de fait « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance » (LMEDS, à l’alinéa 58(1)c)). En l’espèce, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a examiné tous les éléments de preuve. Bien que M. Grosvenor soit en profond désaccord avec la façon dont les éléments de preuve ont été pondérés, cela ne veut pas dire pour autant que les conclusions de fait étaient tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité social a expliqué son analyse, et elle a conclu que la question en litige était une question de désaccord et une de tentative visant à ce que les éléments de preuve soient réexaminés en appel, un moyen d’appel qui n’est pas prévu au paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[35]  Je suis convaincu que cette conclusion était raisonnablement accessible à la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social comme l’était sa conclusion finale selon laquelle l’appel n’avait pas une chance raisonnable de succès pour ce motif.

C.  La preuve médicale

[36]  M. Grosvenor a ajouté que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale, et par la suite la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social, ont mal compris et surévalué l’importance d’une évaluation neuropsychologique qui énonçait que ses facultés intellectuelles étaient moyennes. Il a soutenu que trop d’importance a été accordée à l’évaluation, qui avait été préparée pour son médecin, et que l’on n’avait pas accordé suffisamment d’importance à l’opinion du médecin après l’évaluation.

[37]  La Division d’appel du Tribunal de la sécurité social était en désaccord avec les observations de M. Grosvenor selon lesquelles une grande importance avait été accordée à l’évaluation neurologique. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité social a également conclu que l’argument de M. Grosvenor selon lequel [traduction] « la division générale aurait dû avoir accepté sans réserve l’opinion de son médecin selon laquelle il souffrait d’une incapacité » était simplement incompatible avec le critère relatif à l’incapacité nécessitant l’examen de la preuve médicale et des activités pertinentes. En fait, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social a conclu que M. Grosvenor demandait encore un réexamen des éléments de preuve, un moyen d’appel qui, comme elle avait précédemment observé, n’était pas prévu au paragraphe 58(1) de la LMEDS. Il était raisonnable pour la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social de tirer cette conclusion. Rien ne justifie de modifier la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social selon laquelle le moyen d’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

D.  Lacunes de la preuve

[38]  Dans ses observations, M. Grosvenor a également soulevé l’omission de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale de lui avoir accordé une possibilité de combler les lacunes dans sa preuve médicale avant de rendre sa décision finale. Je ne connais aucune jurisprudence qui impose une obligation à un tribunal de demander des éléments de preuve d’un demandeur. Peu importe, la question en litige n’a pas été soulevée devant la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social et, à ce titre, il n’est pas justifié de modifier la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social dans le cadre du contrôle judiciaire.

V.  Conclusion

[39]  La décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité social reflète les éléments requis de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel et elle appartient aux issues possibles et acceptables au regard des faits et du droit. La décision est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[40]  Le défendeur n’a pas demandé de dépens et aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de février 2020

Lionbridge


ANNEXE

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005 c 34

Décisions

54 (1) La division générale peut rejeter l’appel ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision visée par l’appel ou rendre la décision que le ministre ou la Commission aurait dû rendre.

Appel

55 Toute décision de la division générale peut être portée en appel devant la division d’appel par toute personne qui fait l’objet de la décision et toute autre personne visée par règlement.

Autorisation du Tribunal

56 (1) Il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission.

[…]

Moyens d’appel

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Critère

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

 

Decision

54 (1) The General Division may dismiss the appeal or confirm, rescind or vary a decision of the Minister or the Commission in whole or in part or give the decision that the Minister or the Commission should have given.

Appeal

55. Any decision of the General Division may be appealed to the Appeal Division by any person who is the subject of the decision and any other prescribed person.

Leave

56 (1) An appeal to the Appeal Division may only be brought if leave to appeal is granted.

[…]

Grounds of appeal

58 (1) The only grounds of appeal are that

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

Criteria

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

 

Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8

Personne déclarée invalide

42(2) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne — notamment le cotisant visé au sousaliné a 44(1)b)(ii) — n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été faite.

Paiement des prestations : dispositions générales

Demande de prestation

60 (1) Aucune prestation n’est payable à une personne sous le régime de la présente loi, sauf si demande en a été faite par elle ou en son nom et que le paiement en ait été approuvé selon la présente loi.

[…]

Incapacité

(8) Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur ou en son nom, que celui-ci n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, le ministre peut réputer cette demande de prestation avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

Idem

(9) Le ministre peut réputer une demande de prestation avoir été faite le mois qui précède le premier mois au cours duquel une prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon lui, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé, s’il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur :

a) que le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faite;

b) que la période d’incapacité du demandeur a cessé avant cette date;

c) que la demande a été faite, selon le cas :

(i) au cours de la période — égale au nombre de jours de la période d’incapacité mais ne pouvant dépasser douze mois — débutant à la date où la période d’incapacité du demandeur a cessé,

(ii) si la période décrite au sous-alinéa (i) est inférieure à trente jours, au cours du mois qui suit celui au cours duquel la période d’incapacité du demandeur a cessé.

Période d’incapacité

(10) Pour l’application des paragraphes (8) et (9), une période d’incapacité doit être continue à moins qu’il n’en soit prescrit autrement.

When person deemed disabled

42(2) For the purposes of this Act,

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

(b) a person is deemed to have become or to have ceased to be disabled at the time that is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person — including a contributor referred to in subparagraph 44(1)(b)(ii) — be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

Payment of Benefits: General Provisions

Application for benefit

60 (1) No benefit is payable to any person under this Act unless an application therefor has been made by him or on his behalf and payment of the benefit has been approved under this Act.

[…]

Incapacity

(8) Where an application for a benefit is made on behalf of a person and the Minister is satisfied, on the basis of evidence provided by or on behalf of that person, that the person had been incapable of forming or expressing an intention to make an application on the person’s own behalf on the day on which the application was actually made, the Minister may deem the application to have been made in the month preceding the first month in which the relevant benefit could have commenced to be paid or in the month that the Minister considers the person’s last relevant period of incapacity to have commenced, whichever is the later.

Idem

(9) Where an application for a benefit is made by or on behalf of a person and the Minister is satisfied, on the basis of evidence provided by or on behalf of that person, that

(a) the person had been incapable of forming or expressing an intention to make an application before the day on which the application was actually made,

(b) the person had ceased to be so incapable before that day, and

(c) the application was made

(i) within the period that begins on the day on which that person had ceased to be so incapable and that comprises the same number of days, not exceeding twelve months, as in the period of incapacity, or

(ii) where the period referred to in subparagraph (i) comprises fewer than thirty days, not more than one month after the month in which that person had ceased to be so incapable,

the Minister may deem the application to have been made in the month preceding the first month in which the relevant benefit could have commenced to be paid or in the month that the Minister considers the person’s last relevant period of incapacity to have commenced, whichever is the later.

Period of incapacity

(10) For the purposes of subsections (8) and (9), a period of incapacity must be a continuous period except as otherwise prescribed.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-323-17

 

INTITULÉ :

STEVEN KENNETH GROSVENOR c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JANVIER 2018

 

COMPARUTIONS :

Steven Kenneth Grosvenor

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Penny Brady

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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